Senèque, Œdipe (4 avt JC) - ACTUS PRIMUS 1 Œdipe

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Senèque, Œdipe (4 avt JC) - ACTUS PRIMUS
Œdipe – en jaune le champ lexical de la destruction, du malheur
En rose : un type de destruction : la sécheresse
Une clarté douteuse a dissipé les
Iam nocte Titan dubius expulsa redit
disque pâle et voilé de sombres nuages
lumenque flamma triste luctifica gerens
ténèbres. Le soleil élève tristement son
pour contempler le deuil de notre ville
désolée par un fléau dévorant, et le jour
va découvrir à nos yeux les ravages de la
et nube maestum squalida exoritur iubar,
prospiciet auida peste solatas domos,
5 stragemque quam nox fecit, ostendet
dies.
nuit. Est-il un roi qui se trouve heureux
Quisquamne regno gaudet?
Iam
(Déjà )
sur le trône?
nocte expulsa (AA)
(la nuit ayant été chassée) après avoir
chassé la nuit,
un soleil douteux
Titan dubius redit
revient
et maestum exoritur iubar
et la triste étoile du matin se lève avec un nuage brumeux et LA FLAMME FUNEBRE APPORTANT UNE TRISTE LUMIERE REGARDERA LES MAISONS DESERTEES à cause de la peste avide et le jour montrera le massacre que la nuit a fait Qui Se réjouit de régner ? nube squalida
que
flamma luctifica
triste lumen gerens
prospiciet domos
solatas
auida peste
que ostendet dies
stragem
quam nox fecit.
Quisquamne
gaudet
regno ? 1 Senèque, Œdipe (4 avt JC) - ACTUS PRIMUS
PREPARATION DU BILAN DU PERIODE POUR JEUDI : sur feuille Introduction rédigée HISTOIRE DES ARTS Titan, anis, m : Titan
Jubar, jubaris, n : Lucifer, l'étoile du matin
Luctificus : qui cause de la peine
Prospicio,is,ere : regarde
Solo,as,are,avi,atum : dépeupler
Strages,is, f : massacre
Une clarté douteuse a dissipé les ténèbres. Le soleil élève tristement son disque pâle et voilé de
sombres nuages pour contempler le deuil de notre ville désolée par un fléau dévorant, et le jour va
découvrir à nos yeux les ravages de la nuit. Est-il un roi qui se trouve heureux sur le trône? 0
trompeuse idole, que de misères tu caches sous une riante image! Comme les hautes montagnes sont
toujours en butte à la fureur des vents; comme les rochers qui s'avancent sur la plaine liquide, ne
cessent pas, même en temps de calme, d'être battus des flots; ainsi le rang suprême des rois les
expose davantage aux coups de la Fortune. Oh ! que j'avais bien fait de fuir les états de Polybe mon
père ! J'étais exilé, mais tranquille; errant, mais exempt d'alarmes. Le ciel et les dieux me sont témoins
que je ne cherchais pas le trône. Une affreuse prédiction me poursuit : je crains de devenir l'assassin
de mon père. Le laurier prophétique de Delphes me menace de ce crime et d'un autre plus grand
encore. Cependant peut-il en être un plus abominable que le meurtre d'un père? Infortuné que je suis!
j'ai honte de rappeler cette prédiction.
Apollon m'annonce un hymen infâme, une couche incestueuse, et des torches impies qui doivent
éclairer l'union d'un fils avec sa mère ! C'est cette crainte qui m'a chassé de ma patrie. Je n'ai point
quitté le lieu de ma naissance comme un banni ; mais, me défiant de moi-même, ô nature! j'ai
sauvegardé tes saintes lois. Lorsqu'on tremble à l'idée d'un crime qu'on ne croit pas même possible, on
doit le redouter encore. Tout m'effraie, et je n'ose compter sur moi-même. Il faut bien que la Destinée
me prépare quelque malheur:car que dois-je penser de me voir seul épargné par le fléau qui, déchaîné
contre le peuple de Cadmus, étend si loin ses ravages? A quelle infortune suis-je donc réservé? Dans
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la désolation d'une ville entière, au milieu des larmes et des funérailles qui se renouvellent sans cesse,
je reste seul debout sur les débris de tout un peuple. Condamné comme je le suis par la bouche
d'Apollon, pouvais-je attendre une royauté plus heureuse pour prix de si grands crimes? C'est moi qui
empoisonne l'air qu'on respire ici. Le souffle pur de la brise ne rafraichit plus les poitrines essoufflées
et brûlantes; les légers Zéphyrs ont fui; le soleil s'embrase de tous les feux de l'ardent Sirius ue
précède le terrible Lion de Némée; les fleuves ont perdu leurs eaux et les prés leur verdure; la
fontaine de Dircé est tarie, et l'Ismène n'a plus qu'un filet d'eau qui peut à peine humecter son lit. La
soeur d'Apollon passe invisible à travers le ciel, et une obscurité inconnue attriste l'univers. Les nuits,
même les plus sereines, sont sans étoiles; une lourde et sombre vapeur enveloppe la terre; des
ténèbres infernales voilent l'Olympe et les demeures des dieux. Cérès nous refuse ses trésors.
Au moment où les blonds épis se balancent dans l'air, le fruit meurt sur sa tige desséchée. Personne
n'échappe à ce fléau désastreux. Il frappe sans distinction d'âge ni de sexe, moissonne les jeunes
gens et les vieillards, les pères et les enfants, joint l'époux et l'épouse sur le même bûcher. Le deuil et
les pleurs n'accompagnent point les funérailles. Que dis-je? la rigueur obstinée de ce mal terrible a
tari la source des larmes, et (ce qui est le dernier terme de la douleur) les yeux demeurent secs. Ici
c'est un père mourant, là une mère éperdue, qui portent leur enfant sur le bûcher, et se hâtent d'en
aller prendre un autre pour lui rendre le même devoir. La mort même naît de la mort : ceux qui
conduisent les convois tombent sans vie à côté de leur fardeau. On voit aussi des infortunés jeter
leurs morts sur des bûchers allumés pour d'autres. On se dispute la flamme funéraire : le malheur
étouffe tout sentiment. Les restes sacrés des morts ne sont point ensevelis dans des tombes
séparées on se contente de les brûler, et encore ne les brûle-t-on pas tout entiers. L'espace manque
pour les sépultures et le bois pour les bûchers. Ni prières, ni soins ne peuvent adoucir la violence du
mal.
L'art succombe, et le malade entraîne avec lui le médecin. Prosterné au pied des autels, j'étends des
mains suppliantes pour demander que la mort me fasse devancer la ruine de ma patrie, et m'épargne le
malheur de périr le dernier, après avoir suivi les obsèques de mes sujets, 0 dieux cruels ! ô Destins
impitoyables! c'est à moi seul que vous refusez la mort, si prompte à frapper autour de moi. Fuis donc,
malheureux, ce royaume souillé par tes mains criminelles. Dérobe-toi à ces larmes, à ces funérailles, à
cet air empoisonné que tu portes partout.
Hâte-toi de fuir, quand tu devrais ne trouver d'asile qu'auprès de tes parents.
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