annales et corrigés

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ANNALES ET CORRIGÉS RÉSUMÉ-DISCUSSION, ITSRA – CLERMONT, 12 MARS 2011
1. Dégager les idées fortes de ce texte (maximum 2 pages).
2. Que pensez-vous du « mondialisme occidental » ? Donnez votre point de vue et argumentez-le.
Le mondialisme occidental a ses limites
Ali Laïdi
Pour ce géopolitologue, un monde totalement occidentalisé, un monde perdu. Seuls la tolérance et le
droit à la différence peuvent le sauver
La mondialisation n’est-elle qu’une occidentalisation ? Pour tenter de répondre à cette vaste question, encore faut-il s’accorder sur la définition du concept d’Occident. Bien présomptueux celui qui
prétend en connaître les exacts contours. Est-ce que l’Occident est une civilisation, une géographie, un destin, une idéologie, une idée ? Est-ce un peu tout cela à la fois ?
D’un point de vue territorial, on y regrouperait la fameuse triade (Japon, Amérique du Nord et
Europe de l’Ouest), à laquelle il faudrait ajouter l’Australie, Israël et quelques autres pays développés. Bref, un vaste ensemble éparpillé sans homogénéité géographique mais qui partage le même
fond culturel (helléno judéo-chrétien) ou la même idéologie économique, le libre marché.
Et encore ! Les modèles capitalistes diffèrent. Les travaux de l’économiste Bruno Amable en
dénombrent au moins cinq et le Cercle des économistes (organe de réflexion réunissant des économistes français) évoque une concurrence acharnée entre eux qui pourrait bien déboucher sur une
guerre des capitalismes.
Que dire de l’unité religieuse ? Certes, les habitants du Vieux Continent et de l’Amérique du Nord
croient au même Dieu, mais les manières de le célébrer y sont fort diverses. Au Japon, évidemment, la foi est bien éloignée de celle de la « Sainte Trinité ».
Quel est le dénominateur commun de cet Occident divers ? Sans doute, cette croyance dans un
modèle politico-économique basé sur la croissance éternelle et la consommation. Ce que l’historien de l’économie Karl Polanyï (1886-1964) a appelé la « grande transformation », qui consiste
à percevoir toutes les activités de l’homme comme une valeur marchande. Ce que le philosophe
Michel Foucault qualifie de « rationalité politique néolibérale », qui fait du marché non seulement
la référence dans la sphère économique mais également dans les sphères politique, sociale et
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MÉTHODOLOGIE DES ÉPREUVES ÉCRITES
culturelle. D’où le cri d’alarme de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss (1908-2009), qui craignait
que l’humanité ne s’installe dans la monoculture occidentale. Alors oui, la mondialisation n’est
qu’une occidentalisation car le monde vit au rythme de Wall Street, d’Internet et de la grande distribution.
Le libéralisme comme destin de l’humanité
Le « génie » de l’Occident est d’avoir « vendu » le libéralisme puis le néolibéralisme comme le
destin de l’humanité, et d’en avoir fait un deus economicus, une sorte de « mégamachine » pour
reprendre l’expression de Serge Latouche, économiste de la décroissance.
Ce projet s’est épanoui avec la chute du mur de Berlin en 1989. Sans frontières (excepté celles
de rares pays comme Cuba ou la Corée du Nord), l’Occident a conquis tous les territoires et
impose son pouvoir à tous. D’où le sentiment d’un seul marché dans lequel le voyageur occidental a la sensation de ne jamais quitter les trottoirs de Paris ou de New York. L’année 1991 marque
l’extension du domaine de la lutte, avec l’implosion de l’Union soviétique et l’accélération de l’occidentalisation du monde, projet idéologique par nature.
Les thuriféraires1 de la mondialisation (autrefois ennemis des systèmes, surtout socialiste et
communiste) n’auront mis qu’une vingtaine d’années à la transformer à son tour en idéologie, celle
du « mondialisme ». Cette idéologie prétend que le salut de l’humanité se trouve dans le libre
marché et la concurrence libre et parfaite. Le mondialisme serait la réponse à la question heidegerrienne sur l’essence de l’homme, un entrepreneur de sa propre vie ! Entendons-nous bien, il ne
s’agit pas de refuser la mondialisation ni d’en rejeter ses bienfaits. Il s’agit de montrer que la
mondialisation occidentale est nocive lorsqu’elle se postule comme ultime universalisme.
L’OPA de l’Occident sur le reste du monde s’est notamment heurtée au terrorisme. Contrairement
aux thèses sur le nihilisme et la folie religieuse, les militants d’al-Qaida usent de la violence à des
fins politiques. Les textes d’al-Qaida, ceux des islamistes qui préfèrent islamiser la modernité
plutôt que moderniser l’islam, évoquent aussi les échecs politiques et économiques des régimes
arabo-musulmans et la destruction des sociétés musulmanes. Ils pointent l’impuissance des
régimes arabes à trouver leur place dans cette mondialisation et dénoncent leur renoncement à
protéger aussi bien les richesses énergétiques que les valeurs de leurs sociétés.
1. Définition « thuriféraire » = (mot lat. thus, thuris, encens et ferre, porter)
1. relig. clerc chargé de porter l’encensoir
2. litt. flatteur
Source : Le Petit Larousse illustré, dictionnaire Larousse 2008, Paris 2007
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ANNALES ET CORRIGÉS Ailleurs dans le monde, l’Occident n’a pas réussi à imposer son modèle aux « alters » et autres
indomptables. De Porto Alegre à Pékin en passant par Johannesburg, le monde est resté multicolore. McDonald’s, Vuitton, Chanel, Google, Gap… sont mondialement connus… mais restent des
marques. L’imaginaire qu’elles véhiculent n’est pas parvenu à métamorphoser le reste du monde
en vassal de l’Occident. Les esprits se sont battus en utilisant les mêmes armes que lui : la compétition économique qui permet aujourd’hui aux pays émergents d’affronter les multinationales occidentales à armes égales.
Alors, choc des civilisations ou choc des puissances ? Une chose est sûre, le terrorisme islamiste
n’est pas le moteur de l’histoire post-guerre froide. En revanche, l’état de guerre économique dans
lequel nous plonge depuis une vingtaine d’années l’occidentalisation du monde, au nom de la
concurrence tous azimuts, débouche sur une résistance, des nations jusqu’aux individus.
Un défaut de représentation
Une résistance à la standardisation de l’usage du monde. Ce que craignent les peuples, ce n’est
pas la mondialisation mais l’absence de leur point de vue sur notre destin commun que cette
mondialisation est censée incarner. Ce défaut de représentation enrage les plus radicaux et les
pousse dans la violence. Le concept de mimétisme du philosophe et anthropologue René Girard
est insuffisant pour comprendre ce désordre. Les pays exclus de la mondialisation occidentale
veulent moins embrasser notre mode de vie qu’adapter le leur à la mondialisation. C’est par exemple la proposition du monde arabo-musulman de faire une place à la finance islamique censée être
moins spéculative, plus juste et plus solide.
Les partisans d’une mondialisation moins occidentale se recrutent aussi en Occident. N’est-ce pas
le Canada et la France qui ont poussé au vote, en 2005 à l’Unesco, d’un texte qui protège la diversité culturelle ? Exclure la culture de la sphère marchande, c’est déjà reconnaître que le monde ne
peut pas être peint de la même couleur.
D’ailleurs, l’occidentalisation du monde est un danger pour l’Occident lui-même. Sa croyance dans
le tout compétitif entraîne une radicalisation des rapports économiques en son sein même.
Protectionnisme, patriotisme et guerre économique le gangrènent. Car la compétition économique
n’oblige pas seulement les Etats à défendre leurs entreprises, leurs parts de marché et leurs
emplois, elle les contraint aussi à protéger leurs modèles sociaux. Un combat vital. L’ensemble du
monde a beau reconnaître l’économie de marché comme cadre commun, nul n’est prêt à abandonner ses valeurs, ses coutumes et ses modes de vie distincts.
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MÉTHODOLOGIE DES ÉPREUVES ÉCRITES
« La Terre ne supporterait pas l’ensemble de l’humanité vivant avec les standards occidentaux »
L’Occident sait que la généralisation de son modèle est une chimère. A l’heure où notre planète
souffre, où la vieille triade ne cesse de brandir ses exigences écologiques au nom du développement durable, l’Occident a compris que la Terre ne supporterait pas l’ensemble de l’humanité
vivant avec les standards occidentaux. Un monde totalement occidentalisé est un monde épuisé,
perdu, mort à court terme. La victoire de l’occidentalisation du monde signifierait donc sa défaite.
Le modèle occidental ne peut se perpétuer que si une minorité d’êtres humains l’appliquent…
tandis que la majorité s’en accommode tant bien que mal. C’est pourquoi le mondialisme occidental est un cauchemar. Pour l’éviter, l’Occident doit limiter sa puissance. Il doit faire preuve de tolérance et reconnaître que l’autre possède aussi une partie de la vérité. Souvenons-nous du cri des
nouveaux philosophes : « Théoriser, c’est terroriser. »
Hors série La Vie–Le Monde, p. 68 et 69, 2010-2011
Géopolitologue et journaliste, Ali Laïdi, né en 1966, est chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) de Paris et chroniqueur sur la chaîne de télévision France 24, chargé du
Journal de l’intelligence économique. Il a publié Le Jihad en Europe (2002), Les Secrets de la
guerre économique (2004), Retour de flamme. Comment la mondialisation a accouché du terrorisme (2006). Dernier livre paru : Les Etats en guerre économique (Le Seuil, 2010).
Corrigé
1. Dégager les idées fortes de ce texte (maximum 2 pages).
Le diktat du libre marché sur le monde renvoie à une idéologie mondialiste générée et véhiculée
par l’Occident. Occident caractérisé par un fond culturel et idéologique homogène.
L’idéologie, économique avant tout, se fonde sur la croyance aveugle en un modèle de libre concurrence. Elle prend pour appui une marchandisation de toute activité humaine au service de la
consommation. Elle fait aussi miroiter une croissance se prolongeant indéfiniment.
S’imaginant le seul et unique point de référence universel, le mondialisme occidental se présente
comme naturellement vertueux, au service de l’humanité tout entière. Or, justement par ce fait, il
ne peut être que dangereux, et en tant que tel fortement contestable.
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