FICHE DE LECTURE L’AUDACE DES ENTREPRENEURS SOCIAUX concilier efficacité économique et innovation sociale Virginie SEGHERS et Sylvain ALLEMAND Collection « Acteurs de la société » Editions Autrement - janvier 2007 Christèle LAFAYE 09/10/08 1 - BIOGRAPHIE DES AUTEURS Virginie Seghers est consultante, spécialiste du mécénat et de la responsabilité sociale des entreprises et également experte auprès d’agences de notation extra-financières sur les questions d’évaluation sociétale. Diplômée d’HEC, chanteuse, elle a dirigé l'Admical (Association pour le développement du mécénat industriel) de 1995 à 2002 et animé le CEREC, réseau d’associations de promotion du mécénat culturel européen. En charge du MBA responsabilité sociale des entreprises à l’ESCP et maître de conférences à l’IEP de Paris, elle intervient aussi à la chaire d’entrepreneuriat social de l’ESSEC et a fait partie du comité de lancement de la majeure management alter d’HEC. Elle a participé au lancement en France d’Ashoka. Sylvain Allemand est journaliste indépendant, titulaire d’une maîtrise d’histoire et diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où il est chargé de conférences. Il a reçu le prix 2008 du livre entrepreneuriat France-Québec pour l’ensemble de son œuvre. _____________________________ Bibliographie de Virginie Seghers : - Ce qui motive les entreprises mécènes : Philanthropie, investissement, responsabilité sociale ?, Autrement, 2007 - Guide de l'entrepreneur social, avec l’Agence de Valorisation des Initiatives SocioEconomiques; la Caisse des Dépôts et Consignations, Les guides de l'AVISE, 2004 Bibliographie de Sylvain Allemand : - Le Commerce équitable en question, Carnets Info, 2008 - La microfinance n'est plus une utopie !, Autrement, 2007 - Le développement durable, Autrement, 2006 - Les nouveaux utopistes de l'économie : Produire, consommer, fabriquer... différemment, Autrement, 2005 - S'engager autrement : Lecture d'un colloque de Cerisy, Aube, 2003 - La Mondialisation, avec jean-Claude Ruano-Borbalan, le Cavalier bleu, 2003 2 – PRESENTATION DE L’OUVRAGE C’est l’un des premiers livres en France explicitement dédié à cerner les contours du concept d’entrepreneur social, importé des Etats-Unis depuis quelques années. Son objet est de nous faire percevoir l’identité commune aux entrepreneurs sociaux, en s’en faisant une idée au travers de témoignages et de portraits d’entrepreneurs sociaux et de grands spécialistes. Il a reçu le soutien de l’AVISE, de la DIIESES, du Crédit Coopératif, de la Macif et de la Maif. 3 – IDEES CLES Les entrepreneurs sociaux représentent une force de changement social, ils concilient l’initiative économique et l’innovation sociale. Ils font preuve de ténacité pour mener à bien leur « entreprise sociale », pour mettre du lien social là où les secteurs public et marchand n’interviennent pas. Ils apparaissent souvent dans un premiers temps comme des « doux rêveurs, certes, mais avec les pieds sur terre »1. Malgré l’importance du secteur de 1 Jean-Michel RICARD, fondateur de Siel bleu, page 62. Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 1/9 l’économie sociale, ces entrepreneurs manquent encore de notoriété, même si de nombreuses institutions, fondations, réseaux de chercheurs ou grandes écoles les soutiennent ou y consacrent de plus en plus d’études ou de formations. Au-delà de la variété des profils, formations ou structures des entrepreneurs sociaux, ils partagent un état d’esprit commun et vont au devant des besoins sociaux tout en ayant le souci d’un management efficace. Ils constituent une passerelle entre le secteur privé et le secteur non lucratif. 4 – RESUME DE L’OUVRAGE INTRODUCTION L’expression « entrepreneur social » concilie deux opposés : l’activité économique et une finalité sociale. Un grand nombre de personnes de par le monde entreprennent autrement et mettent leur volonté d’innover au service de besoins sociaux non pris en compte par le marché et l’Etat. Ils s’inscrivent soit dans l’économie sociale (associations, fondations, coopératives, mutuelles) ou solidaire (insertion), soit dans des sociétés de capitaux. Ce concept, qui n’est pas encore théorisé, recouvre des réalités variées dont les auteurs se proposent de dessiner les contours au travers de témoignages différents qui l’illustrent. Le terme « entrepreneurship » apparaît à la fin des années 80 aux Etats-Unis et est lancé par la Harvard Business School qui crée en 93 la Social Enterprise Initiative. Il connaît un essor rapide, soutenu par de grandes fondations telles qu’Ashoka ou la Fondation Schwab. Apparu dans les cercles patronaux et dans les grandes écoles de gestion outreatlantique, il est lié aux non-profit organisations. L’entrepreneur social y est souvent vu comme un héros capable de changements sociaux importants, sa mission est de changer le monde. En Europe, ce concept a une filiation avec l’économie sociale, composée d’organisations non lucratives qui se différencient des sociétés de capitaux par leur nondistribution de dividendes aux actionnaires. L’économie sociale correspond à un projet politique dans le sens où elle place l’homme au cœur de l’économie. Elle a un poids et un rôle économique essentiel et représente en France 11 % du PIB et 12 % de l’emploi. Pourtant elle traverse une crise identitaire, tiraillée entre valeurs et logique de marché. La notion d’entrepreneur social ne pourrait-elle contribuer à son renouvellement ? Une autre influence est constituée par l’économie solidaire, notion apparue dans les années 90. Parfois intitulé « tiers secteur », ce concept regroupe un secteur né dans les années 70-80 : les entreprises d’insertion par l’activité économique, le commerce équitable... En réaction face aux dérives du marché et à l’incapacité des pouvoirs publics de trouver des réponses à l’exclusion, elle implique plus d’engagement du consommateur ou du client. Alors que l’économie solidaire est marquée par une démarche de réparation, l’économie sociale s’inscrit plus dans un projet politique, dans le cadre de l’économie marchande. En France, 2 millions de salariés travaillent dans l’économie sociale et solidaire. Elle est reconnue avec un secrétariat d’Etat de 2000 à 2002, aujourd’hui à la DIIESES (délégation interministérielle à l’innovation, à l’expérimentation sociales et à l’économie sociale). Encore inconnue il y a une dizaine d’années, la notion d’entrepreneur social fait aujourd’hui une percée impressionnante en Europe. En 1991, la législation italienne reconnaît les coopératives sociales et en 95, la Belgique crée la société à finalité sociale. Ce concept s’appuie sur des organisations mutualistes ou coopératives. En 96 est crée le réseau de chercheurs EMES (Emergence des Entreprises Sociales en Europe), qui élabore une approche commune de l’entreprise sociale. La notion va se concrétiser en 2002 avec la création de la social enterprise coalition en Grande Bretagne et le lancement par l’ESSEC de la première chaire d’entrepreneuriat social en France. La Caisse des Dépôts, la Macif et la Fondation de France contribuent à structurer la notion et soutiennent les porteurs de projets. Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 2/9 Plus qu’une seule définition fixe et immuable, l’entrepreneur social est un état d’esprit : concilier l’efficacité économique et l’innovation sociale. A la lecture des témoignages, le lecteur se forgera sa définition de l’entrepreneur social. Il y a une diversité de possibles, en témoigne le florilège de définitions donné (ESSEC, OCDE, Ashoka, Fondation Schwab). L’entrepreneuriat social apporte une réponse innovante à un problème social majeur. L’entrepreneur est vu comme un porteur de changement, de progrès économique et social. C’est avant tout un entrepreneur : il apporte une idée nouvelle, invente des solutions nouvelles, il combine différentes ressources humaines et implique de nombreux partenaires et parties prenantes; cela impacte sur son mode d’organisation. Il diversifie ses sources de financement, renouvelle les partenariats : mécénat, subventions, tandis que les associations se développent dans des logiques de concurrence. Les grandes entreprises de l’économie marchande privée s’engagent depuis peu dans des démarches de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), prenant ainsi en compte l’impact de leurs activités sur l’environnement et la société. Cette évolution est souvent imposée par la législation (loi nouvelles régulations économiques de 2001 en France). Entre les entreprises capitalistes de plus en plus responsables et les entreprises de l’économie sociale de plus en plus compétitives, il y a une troisième voie et l’entrepreneur social jette des passerelles entre les deux en conciliant initiative privée et finalité sociale. Les entrepreneurs sociaux ont un rôle important pour proposer une alternative dans l’économie de marché. Le contexte est propice à la création de ces entreprises, d’autant plus qu’un grand nombre de personnes veulent donner plus de sens à leur vie. Même si leurs profils sont bien différents, ils ont tous en commun d’avoir été marqués par les exclusions générées par la société et la répartition inéquitable des richesses. L’entrepreneur social : une force de changement L’entrepreneur social apporte une solution nouvelle à des problèmes de société qui peut influer sur les politiques publiques. Il est porteur d’innovations sociales majeures comme le micro-crédit, le commerce équitable ou le service volontaire civil. Les entrepreneurs sociaux incarnent modestement une certaine forme de révolution, pragmatique, propre au contexte local et en mesure d’être dupliquée dans d’autres pays. Ce sont des personnes de terrain, tel Muhammad Yunus, promoteur du micro-crédit au Bangladesh, qui a œuvré plus de 30 ans avant d’être prix Nobel de la paix. Ils partent d’un problème local et y apportent une réponse innovante, qu’ils adaptent et essaiment, même à l’étranger. Au-delà de leur grande diversité, ils ont un sentiment d’appartenance partagée. SEQUENCE 1 - PORTRAITS D’ENTREPRENEURS SOCIAUX : UNE PRATIQUE La parole est donnée aux personnes qui incarnent l’entrepreneuriat social. Le choix du statut de la structure n’est pas fondamental, ce qui importe c’est leur motivation, leurs parcours et ses difficultés et l’innovation sociale à laquelle ils contribuent. Plusieurs points communs ressortent de ces témoignages, voilà ce que partagent ces entrepreneurs sociaux, aux profils bien différents : Une formation, un parcours Tous ces entrepreneurs ont des formations et des parcours variés ; on retrouve souvent des travailleurs sociaux, des personnes qui on travaillé dans la fonction publique et d’autres proviennent d'écoles de commerce. Ils ont souvent une double formation, comme Jean-Guy Henckel, Directeur du réseau des Jardins de Cocagne, travailleur social et sociologue ou un parcours atypique tel Jean-Marc Borello, Délégué Général du groupe SOS, qui après avoir Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 3/9 été éducateur spécialisé avait été conseiller de ministre des affaires sociales. Parfois ils combinent plusieurs métiers, comme Jean-Pierre Clair. Educateur spécialisé de formation, il a tenu un bar avant d’animer une bibliothèque pour devenir enfin directeur d’AIL 46, une association qui mets des véhicules à disposition de personnes en recherche d‘emploi. Un projet un peu fou Personne ne parie sur les chances du projet de l’entrepreneur social au départ, « vous êtes fous : vous n’y arriverez jamais ! ». Chacun de ces entrepreneurs sociaux a reçu des réactions négatives lorsqu’il parlait de son idée au début. Jean-Michel Quéquigner, directeur de Bretagne Alteliers explique que « Personne ne pariait sur les chances de survie de cette entreprise 30 ans plus tôt ». Son entreprise adaptée, crée en 1975, emploie en 2007, 710 salariés dont plus de 500 travailleurs handicapés. Jean-Guy Henckel raconte que, lorsqu’il s’adresse aux collectivités territoriales pour demander des financements et lancer un premier jardin d’insertion, ces interlocuteurs lui font des yeux effarés. Une rencontre déterminante Souvent l’idée est présente depuis quelques temps et c’est une rencontre décisive qui va déclencher la mise en route de l’entreprise sociale. C’est par exemple la rencontre entre Rachel Liu et Antoinnette Giorgi, fondatrices d’Idéo qui propose des marques de vêtements équitables et bio. La première cherchait une styliste pour la suivre dans cette aventure, tandis que la deuxième voulait s’associer avec un profil commercial. Elles étaient faites pour se rencontrer. C’est encore une personne de la FNARS qui révèle au fondateur des Jardins de Cocagne sa fibre d’entrepreneur social. Un entrepreneur qui fait preuve de patience et de ténacité Ce sont souvent des hommes ou femmes de conviction. Pour que le projet prenne vie, que l’entreprise sociale survive à ses difficultés, pour obtenir des financements, pour convaincre de l’intérêt du projet, l’entrepreneur social doit être tenace car il s’agit d’un parcours du combattant. Pour Jean-Marc Borello, il faut être obstiné. Pendant un an et demi, Caroline Simonds, Présidente et fondatrice du Rire Médecin, a essuyé les refus des institutions et des services hospitaliers, pour intervenir auprès des enfants en milieu hospitalier. Un gestionnaire, un manager d’hommes Ces entrepreneurs, qui prennent des risques, ont le souci du management efficace pour la pérennité de l’entreprise sociale. Ils combinent des ressources humaines et financières diverses. Ils ont des difficultés à trouver des financements car souvent ils doivent d’abord faire leurs preuves pour convaincre qu’il est possible de répondre à un besoin non couvert. Selon Anne-Claire Paque, cofondatrice d’Unis Cité, ils doivent nécessairement mettre des outils entrepreneuriaux au service d’une cause sociale. Ils recherchent efficacité et professionnalisme et ne perdent jamais de vue le sens, l’approche sociale. Des soutiens Des soutiens financiers, institutionnels, des partenariats, des mécènes sont quasiment toujours présents en appui à ces porteurs de projets. C’est le cas pour le Rire Médecin qui reçoit le soutien du Ministère de la culture, de la fondation Florence Gould et de la Fondation Crédit Lyonnais qui lui a versé 600 000 francs par an pendant 3 ans. De même, une bourse de la fondation Macif a été versée pour l’engagement d’une personne à temps plein dans le projet d’Unis Cité. Le terrain, l’expérimentation et l’innovation sociales Les entrepreneurs sont novateurs, ainsi l’administration rétorque aux fondateurs de Ciel Bleu qu’ils arrivent 10 ans trop tôt, alors qu’ils proposent des activités sportives aux personnes âgées. Proximité, bonne connaissance des besoins sociaux, du contexte local les caractérisent. Ils peuvent de cette façon répondre à des besoins qu’ils révèlent et qui ne sont pas pris en compte par le marché ou le secteur public. L’homme reste au cœur de leur projet. Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 4/9 L’essaimage Alors que des groupes ont reproduit un peu partout dans le monde le concept du Rire Médecin, plusieurs de ces « aventuriers » du social se sont inspirés d’expériences étrangères (les Jardins de Cocagne suisses, le programme américain City year pour le service civil volontaire d’Unis Cité). Les entreprises sociales ont la capacité de dupliquer leurs innovations sociales, leurs réponses à des besoins sociaux, dans d’autres régions que la région où elles ont commencé, en les adaptant au contexte. SEQUENCE 2 – POINTS DE VUE DE PROMOTEURS DE L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL : UN CONCEPT L’AVISE (et le crédit coopératif) L’AVISE, Agence de Valorisation des Initiatives Socio-Economiques, est le centre de ressources sur l’entrepreneuriat social. Son objet est de mieux le faire connaître et de contribuer à son développement. Elle a édité un guide consacré à cette question. Elle met en relation les entreprises et les entrepreneurs sociaux et est l’interface entre les pouvoirs publics pour la conduite de politiques publiques en faveur de cet entrepreneuriat. Par delà la diversité de ces entrepreneurs, l’expression « entrepreneur social » contribue à renforcer un sentiment d’appartenance et est une reconnaissance de leur rôle et qualité de capacité d’initiative, de prise de risque et de mobilisation d’équipes. LA DIIESES, Délégation Interministérielle à l’Innovation, à l’Expérimentation Sociales et à l’Economie sociale Sa mission est d’encourager le développement de l’économie sociale. Les entrepreneurs sociaux incarnant une force de changement et étant à l’origine d’innovations sociales, son rôle est d’impulser, de repérer et de mobiliser. Malgré son importance en terme de PIB et d’emploi en France, l’économie sociale manque de notoriété et apparaît très fragmentée. La DIIESES a pour rôle de favoriser l’essor de cet entrepreneuriat et de contribuer à un cadre juridique adapté, notamment au niveau européen. Cette économie et cet entrepreneuriat concilient l’esprit d’entreprise et l’intérêt général et constituent ainsi une perspective pertinente pour les jeunes. LA CHAIRE D’ENTREPRENEURIAT SOCIAL DE L’ESSEC Cette chaire concrétise l’idée de l’intérêt d’appliquer au management du secteur non lucratif les méthodes du secteur privé, moyennant une adaptation. Elle correspond à un besoin du secteur associatif et social qui dans l’ensemble n’est pas assez familiarisé avec le souci de la performance et de l’efficacité. Elle a pour objet de jeter des passerelles entre le secteur privé et le secteur à but non lucratif. Elle correspond à un besoin de l’économie sociale qui est confrontée à une forte croissance et à l’essor de la responsabilité sociale des entreprises du secteur lucratif. Le programme prévoit des voyages pour tenir compte de la mondialisation. ASHOKA Ces entrepreneurs sociaux répondent à des enjeux sociétaux et jouent un rôle fondamental dans le progrès de la société car ils interviennent en faveur de personnes fragiles auxquelles ils font confiance dans leurs propres capacités de développement. Ils ont une capacité à prendre des risques et sont une force de changement. Ils peuvent être perçus au début comme des personnes excentriques car ils sont novateurs. Ils ont une identité commune, ils partagent une vocation sociale. Ashoka a pour rôle de les identifier et de contribuer à une prise de conscience de leur identité dans un réseau mondial pour favoriser leur développement. Elle soutient financièrement et accompagne en formation et conseils les entrepreneurs sociaux très novateurs et dont les projets peuvent avoir un impact large. Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 5/9 REPORTERS D’ESPOIRS Cette association a pour objet de faire connaître les initiatives des entrepreneurs sociaux à travers le monde car ils apportent des solutions innovantes à des problèmes de société majeurs en conciliant logique entrepreneuriale et principes de solidarité. Elle s’appuie sur un magazine, une agence d’information et un prix. Les « passeurs d’espoir » qu’elle a rencontrés à travers le monde partagent le fait de révéler des problèmes et d’initier de profonds changements dans un environnement qu’ils connaissent bien et créent des projets pour et avec les personnes. Acteurs de changement, ils sont tenaces, dépassent leurs échecs et combattent les forces d’inertie. Ils donnent du sens à l’activité économique et offrent de nouvelles perspectives positives dans la mondialisation en s’appuyant sur des valeurs universelles au service des autres. LE RESEAU ENTREPRENDRE Ce réseau national de 2500 chefs d’entreprise aide des porteurs de projet notamment par un programme « entreprendre autrement ». Il apporte des fonds propres, propose un accompagnement personnel par un chef d’entreprise et accorde des prêts. Il fonctionne sur la réciprocité, les aidés aideront plus tard à leur tour. Les entrepreneurs sociaux sont différents car la question sociale est au cœur de leur projet économique. Ils sont créateurs d’emplois de façon soutenue et ont une motivation sociale très forte. Ils peuvent contribuer à revaloriser la notion d’entreprise et concilient initiative économique et innovation sociale. Ils ont des profils extrêmement variés et sont assez difficilement identifiables, aussi ce réseau a la volonté de contribuer à leur émergence et favoriser la duplication des entreprises sociales. SEQUENCE 3 – POINTS DE VUE D’OBSERVATEURS DE LA VIE SOCIALE ET ECONOMIQUE : UNE APPROCHE SOCIO-ECONOMIQUE Jen-Baptiste de FOUCAUD, Inspecteur Général des finances, président du club convictions, fondateur de solidarités nouvelles face au chômage L’enjeu de l’entrepreneuriat social est de promouvoir une autre approche, à finalité sociale et combinant des ressources marchandes, publiques et bénévoles. Le statut (association, coopérative) est un indice mais il ne fait pas tout. L’entrepreneur social combine la défense de valeurs de solidarité, l’identification à ceux qu’il défend et soutient et présente des vertus (ouvert, non égocentrique). Deux figures l’incarnent : le père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde et l’abbé Pierre. On ne naît pas entrepreneur social, on le devient, par passion et de par son expérience personnelle, en reliant trois dimensions : le professionnel, le lien social et le sens. L’entrepreneuriat social c’est « la rencontre d’une sensibilité à vif, du refus d’une situation injuste et d’un désir de pouvoir en vue de changer cette situation ». Cet entrepreneur est utopiste et réaliste, il combine trois cultures : la résistance (refus de la fatalité), l’utopie (transformer le réel) et la régulation (logique collective de responsabilité). Il contribue à produire de nouvelles règles et fait de son engagement un métier. Jacques DEFOURNY, Président du réseau européen EMES Le réseau EMES (Emergence des entreprises sociales en Europe) a été créée par des chercheurs pluridisciplinaires spécialistes de l’économie sociale et solidaire suite à l’essor après la loi de 1991 en Italie des coopératives sociales, qui répondaient à des besoins sociaux non pris en charge par les pouvoirs publics ou le secteur lucratif. Ce réseau s’intéresse à la dynamique collective de l’entreprise sociale plutôt qu’à la trajectoire individuelle de l’entrepreneur. Il a défini des critères économiques et sociaux (comme un objet explicite de service à la collectivité) de différenciation d’une entreprise sociale. EMES s’intéresse aux entreprises « coopérativo-associatives » d’intérêt général ou d’utilité publique. Il constate une grande diversité de leurs formes et un ancrage local très fort, un développement de logiques plus entrepreneuriales tout en gardant une finalité sociale. Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 6/9 Denis CLERC, fondateur du magazine Alternatives économiques, ancien président d’économie & humanisme L’entrepreneuriat social est une réponse à l’individualisme et à l’exclusion sociale. Il correspond à une manière de prendre en compte des valeurs autres que la réussite personnelle ou l’enrichissement, tel le respect des salariés. Ainsi il peut déborder du champ de l’économie sociale. Il nécessite des compétences en gestion-management et des dispositifs de dialogue interne qui permettent à chacun de s’exprimer régulièrement et qui seront ajustés en permanence. Alternatives Economiques relève de cet état d’esprit puisqu’il s’agit d’une SCOP. Cet entrepreneuriat se développe différemment selon la tradition culturelle d’un pays, le contexte social et la conception de l’Etat. La RSE s’inscrit dans la même dynamique, contribuer au mieux-être de la société, même si elle n’est pas spontanée en France puisque la loi NRE l’impose à certaines entreprises. Même si le dialogue paraît inconciliable avec l’urgence du rythme économique, il faut investir dans l’homme pour enrichir l’entreprise : mettre en place du management social pour lui assurer un meilleur fonctionnement. Gérard ANDRECK, Président de la Macif Créée en 1960, la mutuelle d’assurances Macif est à l’origine limitée aux industries, commerçants et PME. Elle a connu un tournant en 1972 avec des nouvelles règles de gouvernance démocratique et une meilleure représentation des adhérents au conseil d’administration, qui l’a fait passer du statut de mutuelle professionnelle à celui d’organisation de l’économie sociale. Elle s’inscrit dans le champ de l’économie sociale en tant que mutuelle et par sa fondation qui accompagne financièrement des porteurs de projet. Elle a d’ailleurs un partenariat avec la chaire entrepreneuriat social de l’Essec. Les entreprises de l’économie sociale n’ont pas pris la mesure de l’impact de la RSE sur les entreprises classiques qui peuvent notamment les soutenir par le mécénat. Ce qui distingue l’entrepreneur social, porteur de remises en question salutaires c’est son engagement, son innovation et sa vocation sociale ; en aucun cas le statut juridique de sa structure (qui peut être à but lucratif). Jean-Christophe LE DIGOU, Secrétaire de la CGT secteur économique, chargé des retraites Le syndicalisme et l’économie sociale ont la même origine : les coopératives et mutuelles du XIXe siècle en réponse aux besoins sociaux des ouvriers. Séparés durant la deuxième moitié du XIXe siècle (quand le syndicalisme s’est développé dans l’industrie manufacturière), ce n’est que dans les années 1970 qu’il y a eu un renouveau de l’économie sociale. La CGT s’intéresse à l’économie sociale et solidaire et à la RSE, nouant ainsi des relations avec les coopératives et les mutuelles santé dont la Macif. Cela correspond aux objectifs de réflexion du syndicat sur les services à la personne et la logique conciliant l’économique et le social. Le syndicalisme français, de par sa faiblesse, doit instaurer des partenariats avec notamment le monde associatif sur des enjeux communs, comme au niveau européen, sur la reconnaissance de l’économie sociale. Un grand nombre d’entreprises sociales négligent les droits de leurs salariés et les hauts niveaux de qualification pourtant nécessaires. Elles ont pour vocation le développement de l’emploi et se doivent d’être efficaces socialement en respectant les droits sociaux de leurs salariés. Eve CHAPIELLO, Professeur de Management à HEC Depuis 2006, l’enseignement d’HEC, le management alter, a pour objet de doter les cadres dirigeants de capacité de réflexion et d’innovation en grande entreprise, PME, ONG ou dans l’entrepreneuriat social. Il a été crée par Eve Chiapello et un juriste. Elle a fait une thèse sur le monde culturel qu’elle voyait comme une alternative professionnelle à l’entreprise privée lucrative. En 1999, elle publie avec Luc Boltanski Le nouvel esprit du capitalisme où ils constatent une absence des courants traditionnels de la critique face au capitalisme galopant. L’économie sociale et la RSE sont porteuses de nouvelles valeurs et peuvent transformer le capitalisme de l’intérieur. Ce management alter provient d’initiatives Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 7/9 réformatrices en dehors de l’entreprise privée. Les élèves ont un travail de recherche et doivent mener un projet opérationnel collectif. Ce management-là est peut-être un outil d’une meilleure prise en compte par notre système économique des aspects sociaux, éthiques et environnementaux. CAHIER PRATIQUE Une quatrième partie constitue un guide pratique à l’attention des personnes qui voudraient aller plus loin et agir. Il décline les organismes de soutien à la création et/ou au développement d’entreprises sociales, les pouvoirs publics, les solutions pour installer son entreprise, les lieux de formation, les sources de financement, les mécènes et concours publics, les aides et des informations sur les statuts possibles. 5 – COMMENTAIRE CRITIQUE Ce livre est intéressant et original dans la mesure où il donne la parole à des entrepreneurs sociaux qui sont dans l’action, il nous aide à nous faire notre propre idée de ce concept au travers de portraits et témoignages choisis dans divers secteurs représentatifs. Il nous fait comprendre que la définition de l’entrepreneur social n’est pas figée, qu’il s’agit d’un état d’esprit empreint de patience, de ténacité, d’innovation sociale et de conviction. Le parti pris de donner la parole aux entrepreneurs sociaux et aux spécialistes de ce secteur donne une connotation très vivante à ce livre qui est ainsi agréable à lire. On a l’impression en tant que lecteur d’écouter des témoignages de vie. Cela donne du dynamisme à la présentation, une idée de mouvement et donne envie d’agir, tout comme ces entrepreneurs ont osé agir. Le guide pratique à la fin va d’ailleurs dans ce sens, le lecteur est invité à prendre des contacts, à se renseigner, pour entreprendre socialement peut-être ? La photographie de chaque interviewé crée en quelque sorte une proximité, comme une relation entre un interlocuteur et un auditoire. Tous ces éléments permettent au lecteur de s’identifier et de participer en tant qu’acteur à une sorte de dialogue, d’échange interactif. Il est dommage qu’il n’y ait pas une partie consacrée aux interviews des bénéficiaires de ces entrepreneurs sociaux : les personnes en difficulté, les personnes en insertion, les « consom-acteurs »… Cela aurait apporté un plus car leur action est avant tout tournée en faveur du lien social et que l’homme est au cœur de ces entreprises. Ce livre aurait sans doute été plus complet avec de tels témoignages. De même, on a certes des exemples pertinents d’entrepreneurs sociaux qui ont réussi, mais quid de ceux qui ont échoué, des expériences, tentatives et échecs et leurs raisons ? Il aurait été intéressant d’avoir des interviews d’entrepreneurs sociaux qui ont raté, afin d’en tirer des conséquences. Le déroulé journalistique est pertinent car les informations passent mieux ainsi (même s’il est regrettable que beaucoup de questions soient fermées). En effet un exposé trop théorique aurait été moins porteur. Avec ce rythme d’interviews, de portraits, d’avis et de parcours si différents, on a l’impression que ce champ de l’entrepreneuriat social investit toute la vie socio-économique, et que, par delà la diversité de ces entrepreneurs, synonyme de richesse, un lien les unit, un lien au-delà de leurs interventions locales, puisqu’ils sont capables d’essaimer, d’adapter une idée, une innovation sociale à une région, un pays … Ce livre invite à tout le moins à se renseigner, au plus à agir. En effet, il s’appuie sur des vécus, des histoires d’entrepreneurs sociaux et de spécialistes de l’entrepreneuriat social, et à chaque fin d’interview, il y a les renseignements sur la structure et les coordonnées qui permettent de prendre contact. On est bien sur un style journalistique : après les interviews, si le lecteur veut en savoir plus, il piochera dans le guide pratique qui constitue la quatrième partie du livre. Cette quatrième partie est donc un outil à disposition du lecteur qui Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 8/9 souhaiterait créer ou développer une entreprise sociale, ce guide s’inspire d’ailleurs largement du guide de l’entrepreneur social de la CDC et de l’AVISE. On pourrait d’ailleurs dire que ces deux livres se complètent idéalement. Celui-ci serait en quelque sorte l’entrée et le deuxième serait le plat de résistance. Peut-être le dessert serait-il constitué par le livre de David Bornstein How to change the world. Social entrepreneurs and the power of new ideas2 ? Ce dernier démontrant la dimension internationale des entrepreneurs sociaux. Les entrepreneurs sociaux sont porteurs d’espoir, ils révèlent les demandes sociales non prises en compte par les pouvoirs publics ou le secteur marchand. Leur rôle sociétal est fondamental car ils sont facteurs de cohésion sociale. Ils sont peut-être, par ces temps de crise financière mondiale où l’on parle de la fin d’un système économique, une solution qui réconcilierait l’initiative privée et l’utilité sociale ? 2 2004 éditions la Découverte Christèle LAFAYE - fiche de lecture L’audace des entrepreneurs sociaux, Seghers et Allemand – 09/10/08 9/9