Reliquiae : envers, revers et travers des restes

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RELIQUIAE : ENVERS, REVERS ET TRAVERS DES RESTES
Journée d’étude en résonance avec l’exposition Le sang des limbes de Sabÿn présentée à la Fabrique
Culturelle (le Cube) du 29 janvier au 14 février 2O13, et organisée par le CIAM
Jeudi 7 février 2013
Salle D29, Maison de la recherche, Université de Toulouse II Le Mirail
9h-18h
Cheveux, poils, dents, os, rognures d’ongle, sang, sperme, lait, urine, merde, salive, mais aussi reliquats
de peau, de chair, d’organe sont proprement des reliques du corps en tant que « matières » qui en sont
directement issues. Néanmoins, cette matérialité du corps ne doit pas occulter le fait que la relique peut être un
objet ou matériau en contact avec le corps : linge, vêtement, objet personnel (archives, documents,
photographies, etc.).
A ce titre, penser la relique c’est d’abord prendre en compte sa matérialité, son statut lacunaire, de fragment, de
rebut. Elle est trace réelle. Elle fait présence, signe une présence et suscite une pluralité d’ancrages historiques,
culturels et cultuels, n’excluant pas nombre de réappropriations relevant de corpus variés.
Traditionnellement la relique est définie comme « ce qui reste du corps des saints ». Par extension son
nom est également donné aux objets ayant appartenu à un saint ou ayant été en contact avec son corps. Saintes
reliques, elles sont conservées dans de précieux reliquaires ou châsses faisant généralement l’objet de cultes
religieux (recueillements, dévotions, processions, pèlerinage, etc.). Ce rapport singulier à la relique ne relève pas
du seul monothéisme mais s’actualise également dans d’autres pratiques cultuelles exogènes : animisme, vaudou,
maraboutages, sorcellerie… Ainsi, selon une approche anthropologique, la relique, quel que soit son contexte
d’inscription, s’apparente à des pratiques magiques relevant d’une « efficacité symbolique » au sens large, qu’il
semble pertinent d’interroger.
La relique, c’est ainsi « ce qui reste » : reste d’un corps ou reste d’une existence collecté, préservé,
transfiguré, activé, sacralisé. Cet Erdenrest (Goethe), que le corps laisse après lui, est un retour (ou survivance)
dans le présent autour du vide de l’absence : « La relique est ce qui, du mort, est conservé pour garantir, au nom
de la réalité, qu’il ne reviendra pas » (Pierre Fédida, L’absence, Paris, Gallimard, coll. Folio/Essais, 1978, p. 75.). En
ce sens, la relique cristallise la palpitation du vivant dans l’évanouissement ou la disparition du corps. Elle se
révèle donc indissociable du travail du deuil dans lequel elle défie l’insupportable mort en cherchant à saisir,
retenir quelque chose, ne serait-ce que quelques bribes, supports de processus mémoriels, projectifs et
imaginaires.
A la fois fragile et puissante, belle et répugnante, la relique excite la foi, dégoûte, attire, soutient, protège,
guérit, envoûte, incarne, sublime, anime les cœurs et les esprits, mais aussi inspire les artistes. De ce fait, la relique
fait également l’objet de questionnements artistiques et esthétiques quant à sa matérialité, son élaboration, sa
ritualisation, sa scénographie, sa conservation et sa réception.
8h30 : Accueil du public
9h00-9h30 : Jérôme Moreno, Docteur qualifié en Arts Plastiques, Université de Toulouse II Le
Mirail/Chercheur associé au laboratoire LLA-Créatis.
Histoire et tradition des reliques
Quand on parle de relique, le sens commun assimile celle-ci aux « vestiges corporels d’un saint. » Cette définition implique la
préservation des restes aux saints de l’église catholique dont le paroxysme du culte est assimilable à une période : le Moyen
Âge. Cette perception restrictive de la relique a été largement amplifiée par l’hagiographie des saints, les études de cas et le
fait que les reliques contribuent à une encyclopédie du sacré et une cartographie de l’église.
Mon propos sera ici d’établir une rapide histoire des reliques me permettant de pointer leur importance religieuse, politique,
sociale et économique, mais aussi de montrer leur modernité à travers des traditions ancestrales qui semblent se poursuivre.
9h30-10h00 : Emma Viguier, Maître de conférences en Arts Plastiques et Théories de l’art, Université de
Toulouse II Le Mirail/Laboratoire LLA-Créatis.
Les « beaux-restes »
Dans son ouvrage De Immundo Jean Clair s’insurge face au « devenir reliques » des œuvres d’art qui usent et abusent de
matières corporelles dites abjectes : phanères, humeurs et autres excréments. Cette fascination des artistes pour les
sécrétions et excrétions du corps conduit, selon l’auteur, à une esthétique du stercoraire révélant la face la plus repoussante
de l’humanité. Ces reliques contemporaines supposées coupées de toute transcendance divine érigent-elles pour autant le
pouvoir de l’abject comme seule ostension ? Ne doit-on pas plutôt déceler au cœur de ces matières-corps intimes et
précaires mais aussi précieuses des tissages mystérieux de multiples corpus, (se) jouant de l’ambiguïté pour construire un
« parler du corps » qui parle et prend au corps ?
A travers quelques exemples issus de l’art contemporain, de l’anthropologie et de pratiques quotidiennes noués entre autres
autour de la relique-cheveu, il s’agira d’explorer ces « artialisations » de restes comme puissances plastiques et organiques,
réceptacles d’une force obscure et émouvante qui comble l’absence, défie, apprivoise, conjure la mort, protège ou guérit,
génère ou régénère. Ne serait-ce alors transfigurer ces rebuts corporels en œuvres ou parures habitées tant séduisantes que
dérangeantes…. étrange alchimie ?
10h00-10h15 : pause
10h15-10h45 : Gilles Deles, Psychanalyste/ Master 2 de Philosophie contemporaine, Université de Paris 1.
La chose, la relique, le don
Nous nous proposons dans cette intervention de repartir du concept de « chose », tel qu'il a été conçu par Martin Heidegger,
afin d'étendre et d'ouvrir notre réflexion sur la relique. Nous verrons ensuite comment Lacan a repris le questionnement
heideggerien pour élaborer le concept de chose (das ding) qui constitue une mise en forme symbolique originaire, un
signifiant sans signifié associé. La relique sera donc conçue comme ce qui reste d'indicible dans le sujet, un contenant
originaire permettant de créer du sens et de penser. Nous tenterons ensuite un croisement avec le champ de l'anthropologie
de Marcel Mauss et la question du don, en essayant de démontrer que la relique est ce qui résiste au don et à l'échange.
Toutefois, nait de ce constat un paradoxe : comment envisager en même temps un élément qui s'ouvre à l'altérité, à la
fascination (la relique de saint) et qui pourtant résiste à un système de relations humaines. Cette question a été explorée
également par Maurice Godelier avec lequel nous nous essaierons à un rapprochement.
10h45-11h15 : Isabelle Alzieu, Maître de conférences en Histoire de l’art, Université de Toulouse II Le
Mirail/Laboratoire LLA-Créatis.
Enchâssements
Que l’art ait supplanté la relique sainte est l’angle d’attaque évident. Que le dispositif de monstration de l’un ait beaucoup en
commun avec celui de l’autre est une démonstration qui mérite d'être rappelée. Enfin, que le musée soit en définitive un
reliquaire contenant des reliquaires contenant des reliques, dit autrement, un coffre ou un écrin contenant d’autres coffres
ou écrins, présentant des œuvres, est un parallèle qui mérite d’être questionné. La réflexion portera sur ces contenants, ces
boites qui contiennent ce que la société aura jugé être le bien le plus précieux, ces boites, ouvertes ou fermées, de toutes les
échelles que l’on imaginera, de la micro architecture la plus délicate à l’architecture la plus écrasante des nouveaux lieux de
pèlerinage : les espaces de l’art.
11h15-12h30 : discussion et visite de l’exposition Le sang des limbes
12h30 : déjeuner
14h30-15h00 : Sophie Rieu, Doctorante en Arts du spectacle, Université Paul Valéry Montpellier III.
La relique « sur-vivante » dans l’œuvre de Jan Fabre
Dans l’œuvre totalement imprégnée de mort qu'est celle de Jan Fabre – mort qu’il considère comme un « champ d’énergie
positive » - la relique tient une place non négligeable. Si comme nombre d'artistes contemporains il réactualise plastiquement
la relique dans des œuvres telles que ses Weckpotten, c'est principalement dans les arts vivants que s’exprime la singularité de
cette réappropriation. Réappropriation et incarnation puisque c'est le corps même de ses danseurs – « guerriers de la
beauté » - qui se fait ici relique : un corps à la fois « sur-vivant » - ou organique c'est-à-dire de chair et d'humeurs - et corpsobjet, ritualisé comme passage d'un monde à l'autre.
15h00-15h30 : Chloé Pirson, Docteur en Histoire de l’art, chargée de recherche à l’Université libre de Bruxelles.
La relique du centaure
Le 22 février 2011, à Ljubljana, en Slovénie, l’artiste française, Marion Laval-Jeantet se fait injecter, par son binôme Benoit
Mangin, du sang compatibilisé de cheval. Au terme de la réaction métabolique, le sang centaurisé de la plasticienne est
lyophilisé avant d’être le «saint des saints» de deux séries de sept reliquaires mémoire. De cet exemple princeps, nous nous
proposons d’ouvrir une réflexion plus générale sur les nouvelles productions d’œuvres bio-artistiques engageant la
génération de bio-corps. Que ce soit en regard de la volonté de «préservation» matérielle de ces fragments auto-bioartistiques, de leur finalité thaumaturgique ou en raison avec la vision prométhéenne du créateur renforcée d’autant par le
médium même de l’œuvre : à savoir un matériau vivant, nous tenterons de décrypter les significations de ce nouveau genre
d’œuvre qui, à travers cette notion de relique, pose la question d’une resacralisation ou à l’inverse d’une désacralisation du
corps en art.
15h30-15h45 : pause
15h45-16h15 : Dominique Clévenot, Professeur des Universités en Arts plastiques et Sciences de l’art, Université
de Toulouse II Le Mirail/Laboratoire LLA-Créatis.
Le regard des reliques
Si la vénération des reliques peut apparaître dans certaines cultures comme une pratique marginale (une survivance ?), elle
constitue chez certains peuples d’Afrique équatoriale l’élément central et indispensable du culte des ancêtres. L’attention
portera plus particulièrement sur la structure duelle des reliquaires fang et kota (Cameroun, Gabon), qui articule un
réceptacle et une figure sculptée, c’est-à-dire, une boîte close qui recèle la chose et le visible qui, sur cette chose cachée,
veille.
16h15-16h45 : Sabÿn Soulard, Prag au département Arts Plastiques-Arts Appliqués de l’Université Toulouse II
Le Mirail/Chercheuse associée au Laboratoire LLA-Créatis.
Ce qui reste/ce qui ne peut advenir....
Sera ici questionné le statut paradoxal des reliques dans mon travail artistique. Minutieusement récoltées – qu’il s’agisse de
fragments hétéroclites prélevés lors de mes errances ou de souillures organiques, ces dernières, conservées avec délicatesse,
reposent dès lors au ventre de l’atelier. Leur agencement par substantialisation relève d’un imaginaire anthropologique du
corps où prédomine l’enjeu névralgique des enveloppes comme de ce qui est contenu ; c’est là « bricoler » de vraies fausses reliques.
Cependant, quelle que soit leur matérialité ostensible, elles me semblent constituer le creuset fluide où s’élaborent d’étranges
fictions lacunaires, hantées, empruntant à la mythobiographie la porosité des interstices – ou comment entrelacer résidus
mythiques et « présent réminiscent » (Pierre Fedida) d’une intime mémoire, embuée… Ne serait-ce alors toucher à
l’absence originaire – ce qui ne peut advenir ? Plus que combler ce manque, il s’agirait plutôt de l’animer : faire œuvre de
sépulture, sans doute, mais aussi, plus indicible – du moins est-ce là une Fiction en laquelle je veux bien croire –, faire danser
la mort…
16h45 : discussion et table ronde
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