D’après le documentaire de Marc Jampolsky Préface de Georges Pernoud BÉATRICE GAMBA / SYLVAIN PASCAUD Éditions de La Martinière D LE D-DAY A COMMENCÉ BIEN AVANT LE D-DAY DAY ILS ONT INVENTÉ LE DÉBARQUEMENT 6 Lorsqu’en mai 1943, à Washington, les Alliés décidèrent d’organiser l’opération Overlord – nom de code du Débarquement et de la reconquête de l’Europe qui s’ensuivrait –, la domination allemande sur le continent n’était déjà plus ce qu’elle avait été. Mise en difficulté par les Russes sur le front de l’Est, l’armée du Reich avait perdu de sa superbe. Le Débarquement allait devoir lui porter le coup de grâce ; l’enjeu était de taille. Depuis 1941, les Alliés envisageaient un débarquement sur les côtes françaises. Un débarquement avait déjà eu lieu en Afrique du Nord en novembre 1942 (opération Torch), un autre se déroulerait en Sicile en juillet 1943. La décision finale, cependant, ne fut prise qu’en décembre 1943, à la conférence de Téhéran : il restait six mois pour mettre en œuvre dans ses moindres détails cette opération militaire d’une ampleur et d’une complexité sans précédent. L’idée d’un débarquement sur les côtes françaises avait était impensable de parcourir une si grande distance depuis été défendue par le général américain Dwight Eisenhower, les ports du sud de l’Angleterre. La traversée maritime devait commandant en chef des forces alliées en Europe. Winston être courte, car alors les forces armées étaient particulière- Churchill, le Premier ministre britannique, n’y était guère ment vulnérables : sur chaque bateau seraient regroupés favorable dans un premier temps, car il craignait des pertes des milliers d’hommes et des tonnes de matériel, qui pour- humaines trop lourdes, et aurait préféré concentrer ses raient être perdus du fait d’une seule torpille ennemie… La forces en Méditerranée en attendant que l’Armée rouge Normandie avait donc l’avantage d’être proche, mais pas ait réellement pris l’avantage sur le front de l’Est. L’organi- assez pour que les Allemands y concentrent leurs défenses. sation du Débarquement fut donc le fruit d’un compromis Quant aux plages choisies pour l’assaut (de Quinéville à entre Eisenhower et Churchill – rien d’étonnant, par exemple, Ouistreham), elles se situaient entre Cherbourg et Le Havre, à ce que l’idée d’un port artificiel en pièces détachées ait hors de portée des canons postés dans ces deux ports. été à l’initiative de ce dernier, car la prise d’un port aurait Cependant, les Allemands devaient continuer à croire pu être très meurtrière. que l’attaque aurait lieu dans le Pas-de-Calais. Ils s’atten- Par ailleurs, si, lors du Débarquement, toutes les forces daient à un débarquement allié, mais il était vital de navales, terrestres et aériennes étaient placées sous le détourner leur attention des préparatifs véritables. Les commandement du général Eisenhower, chacune était services secrets britanniques mirent donc sur pied l’opédirigée par un officier britannique : le commandant en chef ration Fortitude, consistant à entretenir l’illusion d’une de la flotte alliée était l’amiral Ramsay, les forces terrestres invasion alliée à venir sur les côtes du nord de la France : étaient sous la responsabilité du général Montgomery, et une armée, sous le commandement du général Patton, l’aviation sous celle du commandant Leigh-Mallory. était censément basée dans l’est de l’A ngleterre. Ce Le choix du lieu de débarquement fut lui aussi l’objet d’un simulacre fonctionna tellement bien que les Allemands compromis. Les côtes du Pas-de-Calais étaient les plus tardèrent à déplacer leurs troupes postées dans le Pasproches de la Grande-Bretagne, mais elles étaient aussi de-Calais, même après le 6 juin. les plus fortement défendues par les Allemands. À l’inverse, Quant à l’heure choisie pour l’assaut, elle fut un compromis le golfe de Gascogne aurait été facile à attaquer, mais il entre l’aviation, la marine et l’infanterie : pour la marine, Ω Une réunion d’état-major allié. D DAY LE D-DAY A COMMENCÉ BIEN AVANT LE D-DAY 7 ≈ Dwight Eisenhower l’effet de surprise était primordial, et l’obscurité pouvait et Winston Churchill passent jouer un grand rôle dans la réussite ; cependant les avions Par ailleurs, les destroyers et torpilleurs qui croisaient dans en revue les troupes de devaient avoir suffisamment de visibilité pour bombarder la Manche restaient redoutables. C’est pourquoi, dans les la 101e division aéroportée avec précision, il devait donc faire jour ; quant à l’infanterie, semaines et les mois qui précédèrent le Débarquement, américaine. elle devait mettre pied à terre au plus près des lignes courait sur toute la côte atlantique, serait difficile à prendre. les défenses allemandes furent systématiquement bom- ennemies, donc à marée haute, mais alors la mer recou- bardées, et des bâtiments allemands coulés. vrirait les dangereux obstacles placés sur les plages… Enfin, il s’agissait de prévoir également les semaines et les Ces contraintes contradictoires aboutirent au choix du mois qui suivraient le Débarquement, ce qui supposait petit matin, un jour de marée montante et où la lune une énorme préparation logistique. Comme l’explique dispenserait assez de lumière pour les premières l’historien Olivier Wieviorka (Histoire du débarquement en opérations aéroportées… Normandie), « les aspects économiques et logistiques […] Pour la préparation tactique de l’opération Overlord, une conditionnèrent largement le succès du Débarquement. énorme masse de renseignements fut rassemblée, par le L’entreprise dépendait bien entendu de la capacité alliée biais de photographies aériennes, mais surtout grâce à à fournir les troupes et les matériels nécessaires […]. Mais toutes les personnes qui travaillaient pour l’Intelligence elle dépendait tout autant de leur aptitude à les transporter, Service. Comme nul ne devait savoir quel lieu de débar- en temps et en heure, sur le théâtre d’opérations. » quement avait été choisi, des informations étaient collectées Malgré les victimes – l’évaluation de leur nombre demeure sur toute la côte atlantique. Le rôle de la Résistance française conflictuelle et varie selon les sources –, la réussite du fut capital : par cette collecte d’informations très précises, Débarquement fut indéniable. Elle impliqua une intelli- mais aussi parce qu’elle se préparait à détruire méthodi- gence stratégique hors du commun, un remarquable quement les moyens de communication (voies de chemin engagement des troupes et, ne l’oublions pas, beaucoup de fer, lignes télégraphiques) dès le déclenchement du de chance. Elle s’appuya aussi sur l’inventivité d’ingénieurs Débarquement, pour ralentir les renforts allemands. qui mirent leur talent au service de la victoire des Alliés. Les Alliés avaient conscience que le mur de l’Atlantique Cet aspect des choses avait relativement peu été mis en mis en place par les Allemands, cette ligne fortifiée qui valeur jusqu’ici. D DAY ILS ONT INVENTÉ LE DÉBARQUEMENT 8 LA PLUS GRANDE ARMADA DE TOUS LES TEMPS OPÉRATION NEPTUNE : C’EST AINSI QUE FUT DÉSIGNÉE LA PHASE D’ASSAUT AMPHIBIE DE L’OPÉRATION OVERLORD. ELLE IMPLIQUAIT LES FORCES NAVALES AMÉRICAINES ET BRITANNIQUES, MAIS AUSSI L’INFANTERIE, L’AVIATION, LES FORCES AÉROPORTÉES. D DAY ILS ONT INVENTÉ LE DÉBARQUEMENT 12 L’exceptionnelle mobilisation de l’industrie et des chantiers navals Entre 1942 et 1945, les États-Unis fabriquèrent 170 000 avions, 90 000 chars, 65 000 bateaux de débarquement, 1 200 bâtiments de guerre, 320 000 pièces d’artillerie. La situation économique était plus difficile au Royaume-Uni : une partie du matériel militaire dut être fournie par les Américains – notamment les chars Sherman –, mais la mobilisation économique y fut également considérable. L’implication de la main-d’œuvre féminine notamment, des deux côtés de l’Atlantique, fut déterminante. Dès 1941, le Royaume-Uni instaura un enregistrement obligatoire des femmes de 19 à 40 ans. Aux États-Unis, le recrutement fut plutôt fondé sur la propagande : Rosie la Riveteuse, héroïne d’une chanson populaire de 1942 puis des affiches dessinées par Norman Rockwell, représentait les 2 millions de femmes travaillant dans l’industrie lourde (aéronautique, chantiers navals, automobile, armement). Les Liberty ships devinrent le symbole de l’effort de guerre américain. Plus de 2 700 de ces cargos polyvalents, destinés à convoyer troupes et ravitaillement vers l’Angleterre, puis vers la Normandie après le Débarquement, furent construits par les chantiers navals américains et canadiens pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces navires de 135 mètres de long, transportant jusqu’à 10 000 tonnes, étaient produits en série en un temps record, à partir d’une structure simple et en partie préfabriquée en usine. Les bateaux de débarquement furent également fabriqués en quantité. Il en existait des dizaines de types différents, des petits LCVP (Landing Craft, Vehicle, Personnel) aux énormes LSI (Landing Ship, Infantry) de 10 000 tonnes. Certains étaient destinés au transport de troupes, d’autres de véhicules, de chars ou de matériel. L’utilité des LCT (Landing Craft, Tanks) et des LST (Landing Ship, Tanks) était apparue lors de l’évacuation des soldats britanniques à Dunkerque, en mai 1940 : faute de bateaux de ce genre, ils avaient dû abandonner sur place leur armement, chars et pièces d’artillerie. Cependant, la production restait insuffisante par rapport aux objectifs fixés. Ainsi, en décembre 1943, le général Marshall déclara que « le grand problème pour les Alliés occidentaux en Europe, ce n’étaient pas les troupes ou le matériel, mais les navires et les chalands de débarquement […]. La pénurie de navires de débarquement était particulièrement grave et ce dont nous avions le plus besoin, c’était de LST transportant chacun 40 chars » (cité par Winston Churchill dans La Deuxième Guerre mondiale). Le retard pris dans la constitution de l’armada nécessaire à la réussite du Débarquement fut la principale cause du report en juin de la date choisie : les armées alliées n’étaient pas suffisamment prêtes pour un débarquement en mai. D DAY LA PLUS GRANDE ARMADA DE TOUS LES TEMPS 13 μ Les chantiers navals américains Ω À bord d’un LST, les troupes et britanniques tournent à plein régime attendent le déclenchement pour construire les bateaux qui du Débarquement. prendront part à l’opération Neptune.