LA PREVENTION SPECIALISEE OUTILS, METHODES, PRATIQUES DE TERRAIN Du même auteur La voie du karaté, une technique Imprimerie Durand, 1997. éducative, Chartres, Le karaté de maître Kamohara, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1998. Sur une voie de l'intégration des limites, Chartres, Comité Départemental de Karaté d'Eure-et-Loir, 1999. Le Karaté, sport de combat ou art martial, Chartres, Comité Départemental de Karaté d'Eure-et-Loir, 1999. Les jeunes, les drogues et leurs représentations, L'Harmattan, 2000. Paris, Le karatéka et sa tribu, mythes et réalités, Paris, L'Harmattan, 2001. Prévenir la violence, Paris, L'Harmattan, 2001. Drogues et société, Paris, L'Harmattan, 2001. Pascal LE REST LA PREVENTION SPECIALISEE OUTILS, METHODES, PRATIQUES DE TERRAIN Préface de Daniel LECOMPTE L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALlE COUVERTURE: huile de Cathy BETOUX. A l'ensemble des professionnels de la Prévention Spécialisée d'Eure-et-Loir dont le travail quotidien, pertinent et invisible, contribue à aider les hommes, les femmes et les enfants en difficulté. COLLECTION Educateurs et Préventions Dirigée par Pascal LE REST Les éducateurs travaillent dans l'ombre et contribuent dans le quotidien à la résoluôon de situations complexes, souvent dramatiques et douloureuses. Ils interviennent dans des internats pour enfants, pour adolescents et pour adultes, dans des institutions pour déficients visuels ou auditifs, en direction des personnes handicapées physiquement ou mentalement. Dans la rue, ils travaillent, sans mandat et dans le respect de l'anonymat, à restaurer des liens affectifs, sociaux, psychologiques. Ils sont missionnés par la justice pour accompagner des enfants en difficultés ou sont présents en milieu carcéral pour aider les détenus à la réinsertion sociale et professionnelle. Tous, avec courage et détermination, ils luttent à l'aide d'outils spécifiques, de méthodes et de pratiques de terrain élaborées pour améliorer les conditions de vie des usagers et de leurs familles, et prévenir des risques de récidive, d'inadaptation, de désaffiliaôon, de rupture scolaire ou familiale. La collection veut donner la parole aux éducateurs pour mettre en lumière leur rmesse d'intervention, les lignes de force qui sous-tendent l'étayage des préventions et transmettre la mémoire des pratiques. Titres parus ou à paraître: Paroles d'éducateurs de Prévention Spécialisée De la complexité en Prévention Spécialisée Je remercie le Président, M TANTER Joseph, et le Directeur Général, M MATELET Christian de l'ADSEA 28 ainsi que les membres du Bureau et du Conseil d'Administration, d'avoir témoigné leur confiance et d'avoir soutenu l'ambition de ce proJ.et. Je remercie le directeur du service de Prévention Spécialisée M LECOMPTE Daniel pour son accompagnement chaleureux, son esprit dynamique et son aide permanente. Je remercie Florence GAUTHIER, secrétaire de la Prévention Spécialisée de Chartres, attachée à la direction du service, pour son aide technique et son soutien efficace tout au long de l'élaboration de ce livre. J'adresse mes compliments aux éducateurs qui ont participé, peu ou prou, à l'élaboration de ce travail et salue en particulier Christine CE, Jean-Lou PAPIN, Christine GOARANT, Saidou M'BOH, Jacqueline MOUTASSI, Ahmed ATMANI, Robert LORENZO, Antoine ORRIERE, Emilie GUICHARD. @L'Hannattan,2001 ISBN: 2-7475-1354-8 SOMMAIRE 1. Préface page Il 2. Quelques éléments d'introduction page 15 3. Méthodologie page 33 4. Spécificité de l'action de Prévention Spécialisée page 49 5. Le registre d'intervention des professionnels de la Prévention Spécialisée sur les quartiers 6. Etude d'implantation page 53 d'une équipe de Prévention Spécialisée sur le Plateau Nord de Dreux page 59 7. Etude d'implantation d'une équipe de Prévention Spécialisée sur le quartier des Rochelles de Dreux page 143 8. Projet d'intervention de l'équipe éducative pour la commune de VernouiUet page 227 9. Projet d'intervention de l'équipe éducative pour le quartier de Beaulieu à Chartres 10. Projet d'intervention page 257 de l'équipe éducative pour la commune de Mainvilliers Bibliographie page 297 page 333 Annexes page 341 1. PREFACE par Daniel LECOMPTE, directeur des Services de Prévention Spécialisée de la Sauvegarde d'Eure-et-Loir 1972-2002 : la perspective du trentième anniversaire des textes constitutifs de la Prévention Spécialiséel nous a donné l'idée de réunir quelques travaux réalisés au sein des services de la Sauvegarde de l'Enfance d'Eure-et-Loir et de les sownettre au regard des multiples acteurs (bénévoles, politiques, professionnels) qui concourent à rétablir, là où il fait défaut, du lien social. A I'heure où apparaissent des difficultés de recrutement dans le secteur sanitaire, social et médico-social, où des départs massifs en retraite sont annoncés pour les quinze ans à venir, les équipes de Prévention Spécialisée sont confrontées depuis longtemps aux questions des postes à pourvoir et de la qualification des personnels. A I'heure où les centres de formation de travailleurs sociaux sont invités à augmenter leur capacité d'accueil, à prendre en compte la nécessaire évolution des pratiques pour répondre aux besoins sociaux nouveaux, nous souhaitons que cet ouvrage contribue à éclairer une pratique singulière d'action sociale, voire suscite l'engouement de jeunes professionnels. Si l'identification des différents opérateurs du processus de transformation sociale et de leur mission est relativement facile, la mission de la Prévention Spécialisée comme mode d'intervention sociale global, transversal à plusieurs problématiques des quartiers, empêche qu'on la situe sur un segment d'activité bien défmi : de par sa 1 Arrêté interministériel du 4 juillet 1972 et ses 8 circulaires d'application. culture originelle, ses textes fondateurs, sa pratique ancienne, les équipes de Prévention Spécialisée travaillent sur la cohésion sociale et l'insertion dans presque tous leurs aspects, aux moyens d'activités multiples et polymorphes qui parasitent son image. La nébuleuse d'objectifs et d'actions qui découlent de cette réalité fait de la Prévention Spécialisée un objet complexe et mouvant, en équilibre instable, sensible aux moindres perturbations dans la diversité des champs dans lesquels elle intervient. Créé en 1972, le service de Dreux a traversé toutes les tendances qui ont marqué et agité les acteurs de la Prévention Spécialisée et l'histoire de cette pratique singulière de l'action sociale: le militantisme post soixante-huitard réalise un mariage heureux avec les principes fondateurs de l'Arrêté du 4 juillet 1972 tels la libre adhésion, l'anonymat, l'absence de mandat et le partenariat; le militantisme et les principes fondateurs donnent naissance à des actions innovantes qui mêlent travail social et mobilisation des habitants pour produire des changements remarquables dans les quartiers; la participation des habitants devient le mythe de l'intervention sociale publique sur les grands ensembles qui agitera tous les dispositifs intenninistériels de 1977 (Habitat et Vie Sociale) à nos jours (Contrats de ville); la loi 86-17 du 6 janvier 1986, qui adapte la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétence en matière d'aide sociale et de santé, place la Prévention Spécialisée au sein d'un ensemble de mesures cOITespondant à une redéfmition de l'Aide Sociale à l'Enfance que cette même loi entreprend; contrôlée par les élus du conseil général et parfois des communes, agissant sur des teITitoires où s'exercent la politique de la ville conduite par l'Etat, la Prévention Spécialisée est placée peu à peu comme une action sectorielle dans une action globale, confrontée à des attentes légitimes d'explicitation de ses pratiques, à des exigences de lisibilité auxquelles les acteurs sont mal préparés. Les équipes de Dreux, de Chartres et de Châteaudun se sont alternativement, en fonction des époques, des réalités rencontrées sur le teITain, des volontés politiques en place et des alliances conjoncturelles, soit engagées dans la diversification des modes 12 d'intervention (en saisissant l'opportunité de financements multiples), soit repliées dans des pratiques plus orthodoxes d'immersion dans le milieu et d'accompagnement des jeunes. Quoiqu'il en soit, si les politiques sociales transversales ont prouvé qu'elles n'étaient pas une panacée universelle, les quartiers sont aujourd'hui mieux équipés et les élus locaux se sont aguerris à la gestion du social. La Prévention Spécialisée, immergée dans un ensemble de mesures nées à la fois de la décentralisation et des politiques sociales transversales, se trouve prise dans des enjeux politiques locaux, des logiques sécuritaires, une recherche de paix sociale. Alors que les dispositifs se multiplient, se surajoutent, se recouvrent parfois, l'ensemble des acteurs réclame la transparence des missions, les élus veulent savoir qui fait quoi, où, quand comment, pour qui et à quel prix. Pascal Le Rest est conseiller technique des services de Prévention Spécialisée de la Sauvegarde d' Eure-et-Loir. Il produit des diagnostics sur les quartiers, propose des projets d'intervention, en prévoit l'évaluation, participe à l'analyse des pratiques qui pennettra les réajustements. Ces travaux sont soumis à un circuit de validations par la direction du service, l'association, le conseil général et les communes. Ils témoignent d'une volonté technique, associative et politique d'appréhender au mieux une démarche spécifique d'action sociale au regard des difficultés à traiter et de l'ensemble des ressources identifiées qui participeront à la production de changements. 13 2. QUELQUES ELEMENTS D'INTRODUCTION Les éducs de rue et la Prévention Spécialisée Dans le travail social en France, l'éducation spécialisée jouit d'une place particulière. Des ouvrages, des collections2, des médiatisations diverses ont favorisé sa connaissance et sa reconnaissance par le grand public3, ce qui ne signifie pas qu'elle occupe les positions qu'elle cherche à investir, tant dans les représentations collectives et individuelles, que dans le jeu institutionnel et politique. Dans le champ de l'éducation spécialisée, il y a la Prévention Spécialisée qui, panni toutes les fonnes d'intervention, est, en revanche, méconnue. Les éducateurs qui travaillent en Prévention Spécialisée sont habituellement appelés les éducs de rue. Cette fonnule lapidaire est à l'image de ce que l'on connaît de cette fonne d'intervention sociale, c'est-à-dire infmiment peu de choses. Les rares livres qui parlent de Prévention Spécialisée sont écrits par des personnes qui se trouvent en marge de ce qui constitue les lignes de force de cette intervention ou par des professionnels qui développent des aspects très pointus de l'intervention, ne favorisant 2 Collection L'éducation spécialisée au quotidien dirigée par Joseph Rouzel, chez Erès. Par exemple Parole d'éduc de Rouzel. 1995. = Collections Logiques sociales et Emergence chez L' Hannatlan. Par exemple: Daniel Roquefort. Le rôle de l'éducateur. 1996. Collection Actions sociale / Société chez ESF éditeur. Par exemple: Etre éducateur dans une société en crise. Philippe Gaberan. 1998. Collection Pédagogie psychosociale chez Fleurus. Par exemple: Cette prévention dite spécialisée. Victor Girard, Jean-Marie Petitclerc, Jean Royer. 1988. 3 Cette médiatisation se réalise ponctuellement et dans des champs très particuliers, l'autisme, par exemple. La maladie mentale, en général, est une question plus investie par les médias que le handicap physique. On y parle plus facilement du rôle de l'éducateur et de son intervention auprès de l'enfant qui souffie. A l'époque où l'hôpital de jour de Bonneuil était dirigé par Maud Mannoni, le rôle de l'éducateur était médiatisé. pas la lisibilité en dehors du champ. Dans le premier cas, on peut citer Guy Gilbert qui symbolise pour beaucoup de Français le travail de l'éduc de rue. C'est sans doute l'auteur le plus médiatique, celui qui a permis qu'une représentation mythifiée du travail de rue s'échafaude. Le curé en blouson noir qui revendique la droite évangélique comme support éducatif et qui traîne la nuit dans les lumières de la ville n'est pas représentatif du travail de Prévention Spécialisée. En disant cela, je ne prétends pas que l'action qu'il mène ne soit pas intéressante, pertinente ou efficace. Cependant, elle doit être distinguée de celle d'un éducateur de prévention. Le missel dans une main et la violence dans l'autre, le regard angélique dans un œil et l'enfer dans l'autre, contribuent, certes, à produire une image séduisante, attractive chez un homme dans lequel se déchaînent tour à tour le diable et le bon Dieu. Dans le second cas, des ouvrages tels que celui de Monique Besse et Annick Prigent, Prévention Spécialisée et formation, publié en 1997 chez Erès, ne s'adressent qu'à des spécialistes, ce qui ne retire rien à la qualité du travail. L'objectif de ce livre est donc de rétablir les lignes de force de l'intervention de Prévention Spécialisée, en défendant un regard, une spécificité, liés à l'auteur, de révéler ce que sont les pratiques éducatives des professionnels, de montrer les méthodes et techniques d'intervention, de donner une lisibilité sur les projets d'intervention des équipes sur une aire géographique donnée, en l'occurrence sur le département de l'Eure-et-Loir. Restitution des études sur les quartiers Pour réaliser cet objectif: j'ai fait le choix de restituer cinq travaux que j'ai personnellement conduits, en qualité de Conseiller Technique pour la Prévention Spécialisée de la Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte d' Eure-et-Loir. Il s'agit de deux études d'implantation et de trois projets d'intervention. Dans une étude d'implantation d'une équipe de Prévention Spécialisée sur un territoire donné, il s'agit de penser les actions à conduire en 16 fonction des problématiques repérées, des difficultés du telTain, d'un diagnostic social effectué qui tient compte de données socio-démographiques et d'entretiens réalisés auprès de professionnels et d'habitants. Un projet d'intervention s'écrit après qu'une étude d'implantation ait été réalisée. Il s'agit de restituer ce qu'ont été les pratiques éducatives, de donner de la lisibilité sur les actions conduites et de penser les actions futures. Les études d'implantation d'équipes de Prévention Spécialisée ont concerné le Plateau Nord de Dreux et un quartier de Dreux, appelé Les Rochelles. Les projets d'intervention d'équipes déjà en place sont ceux d'un quartier de Chartres, Beaulieu, d'une ville de l'agglomération chartraine, Mainvilliers, et de la ville de Vernouillet, de l'agglomération drouaise. Les travaux ont été élaborés avec la participation des équipes concernées. Ces cinq travaux devraient pennettre de comprendre quelques aspects de ce qu'est la Prévention Spécialisée, les objectifs qu'elle poursuit, les actions qu'elle entreprend, les méthodes qu'elle emploie. Au-delà, ils favoriseront la compréhension de la transférabilité : le lecteur retrouvera, d'un texte à l'autre, des passages communs, la méthodologie employée, des tableaux aux variables communes, une tonalité et une exigence, rendre compte de la réalité du telTain et des pratiques de telTain. Sans doute, les cinq textes qui sont présentés dans cet ouvrage ne suffIront pas à tout dire de la Prévention Spécialisée. En outre, j'ai choisi, dans l'écriture même de ces travaux, de prendre une posture, celle qui consiste à rendre compte de l'expertise des professionnels et non de justifier des positionnements, c'est-à-dire de se situer dans une démarche défensive, comme c'est souvent le cas dans ce champ précis de l'intervention sociale. 17 Angles méthodologiques Une chose doit être explicitée. J'ai été recruté sur ce poste de Conseiller Technique pour un certain nombre de raisons, qui tiennent d'une part à mon parcours professionneI4 et d'autre part à mon cursus universitaire. Le fait que je sois détenteur d'un DESS en ethnométhodologie et d'un doctorat en ethnologie n'est pas étranger à ce recrutement. En effet, dans un certain nombre de textes importants de la Prévention Spécialisée, nous trouvons la référence à des concepts méthodologiques spécifiques et particulièrement rattachés à l'ethnologie et l'ethnométhodologie. C'est le cas des textes du CTPS (Conseil Technique des clubs et équipes de Prévention Spécialisée), du CNLAPS (Comité National de Liaison des Associations de Prévention Spécialisée) ou de Infonnations Sociales que je présenterai ci-dessous. On les trouve également mentionnés dans des ouvrages de référence comme celui de Maurice Capul et de Michel Lemay, de l'éducation spécialisée. Des mémoires et des travaux de troisième cycle universitaire lient ces concepts à la Prévention Spécialisée. Ces concepts seront définis dans le chapitre suivant, consacré à la méthodologie, ayant présidé par ailleurs à la réalisation des études d'implantation des nouvelles équipes de Prévention Spécialisée et des projets d'intervention des équipes éducatives déjà en place. En général, ces concepts ne sont jamais explicités et sont présentés tels des implicites fondamentaux. Pourtant, ils ont contribué à forger la Prévention Spécialisée et à la rendre telle qu'elle est. Autrement dit, les éducateurs qui travaillent en Prévention Spécialisée manipulent des techniques et des outils dont ils ne connaissent généralement ni l'origine ni la valeur. Il était par conséquent nécessaire d'apporter quelques éléments de réponse, rapides mais précis, aux questions suivantes: 4 J'ai commencé par enseigner les mathématiques en secondaire pendant de nombreuses années avant d'être responsable de la prévention en alcoologie et en toxicomanie sur la moitié sud du département de l'Eure-et-Loir. Dans ce cadre, j'étais chargé de la fonnation et de l'infoImation. 18 D'où viennent les concepts méthodologiques qui sous-tendent la Prévention Spécialisée? Qu'est-ce que l'ethnométhodologie et qu'est-ce que l'ethnologie? Pourquoi les concepts méthodologiques issus de ces deux derniers champs se sont-ils imposés à la Prévention Spécialisée? Comment expliquer la plus grande attraction de la Prévention Spécialisée pour la micro sociologie ? Références à l'ethnologie au travers de textes Au regard de certains textes qui figurent comme des références pour le champ de la Prévention Spécialisée, il ne fait nul doute que l'ethnologie est la discipline qui offre la plus grande similitude avec la pratique de terrain. Cela est si vrai que dans un texte de mars 1998, sous le contrôle du CNLAPS (Comité National de Liaison des Associations de Prévention Spécialisée), intitulé La Prévention Spécialisée en France, et dont le sous-titre était Une action éducative en direction des jeunes fondée sur le travail de rue, on lit en page cinq, dans le paragraphe c : « Travailler dans la rue, c'est être disponible pour écouter, observer sans insistance et avec discrétion, sans intention autre que d'aller à la rencontre. Proposer trop vite des solutions aux problèmes énoncés, sans connaissance des personnes et du milieu, se révèle souvent être une erreur. Il faut arriver à faire partie du paysage et avoir intégré les codes, les rituels autour desquels s'organise la vie des jeunes sur le quartier. L'éducateur est pratiquement en position d'ethnologue dans le milieu qu'il pénètre. Il se doit d'accepter l'existence de modes de fonctionnement sociaux dont il est le témoin préalablement à toute réaction visant une transformation des comportements. Cette position de réserve et de discrétion peut durer des semaines, voire des mois, avant de faire place à plus d'engagement et de prises de position. La solidité de la relation établie est à ce prix. » 19 Les choses peuvent difficilement être plus clairement exprimées: l'éducateur est pratiquement en position d'ethnologue dans le milieu qu'il pénètre. S'il est dans une telle position, c'est qu'il manipule des techniques, des savoir-s'y-prendre, des méthodes, qui sont comparables à ceux de l'ethnologue. Cependant des différences se laissent rapidement trahir puisque dans le paragraphe suivant, le d, les buts poursuivis sont déclinés de la façon suivante: Etablir des liens Connaître et être connu Etablir des relations de confiance Etre repéré en tant qu'éducateur Ecouter et observer Evaluer les dysfonctionnements, les manques ou les besoins Etc On évalue la nuance introduite par le terme pratiquement, utilisé pour différencier ce qui distingue les positions de l'éducateur et celles de l'ethnologue. Cela signifie que si l'éducateur peut s'identifier à l'ethnologue, qui est dans la rencontre d'une autre culture ou d'un groupe, son travail comporte d'autres aspects qui ne peuvent pas se limiter aux positions ethnologiques. L'éducateur accompagne des jeunes et travaille avec eux aux changements dans le quartier ou dans le centre ville, cherche à favoriser les conditions d'une modification des comportements. Ainsi, si des méthodes de l'ethnologie peuvent être investies, c'est au service d'une autre dimension, que la simple mise en relation avec des groupes, celle d'une métamorphose sociale. Dans un autre texte, du CTPS (Conseil Technique des clubs et équipes de Prévention Spécialisée), intitulé Note technique sur le travail de rue, daté du 18 mai 1993, on retrouve des analogies avec le document précédent, sans toutefois rencontrer la mention de l'ethnologie. Je cite quelques passages pour signifier ces ressemblances: «La Charte nationale d'objectifs adoptée au Congrès du CNLAPS de Strasbourg (4 juillet 1992) rappelle que ce ne sont pas ses objectifs généraux (de la Prévention Spécialisée) qui distinguent son 20