Assemblée générale de l`AICESIS - (pdf 167.2 KB)

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Organisation internationale du Travail
Bureau du Directeur général
Discours 2004
Allocution d’ouverture de Juan Somavia
Directeur général du Bureau international du Travail
à l’Assemblée générale de l’Association internationale des
Conseils économiques et sociaux et Institutions similaires (AICESIS)
(Genève, 27 mai 2004)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Chers amis,
I.
Je suis très heureux de participer à l’inauguration de vos travaux et de vous souhaiter la bienvenue
à l’Organisation internationale du Travail. Je me réjouis que vous ayez pu accepter mon
invitation.
C’est un plaisir de vous retrouver, cher Président Dermagne, après nos échanges de décembre
2001 à Paris et de mai 2003 ici à Genève.
Je salue aussi vos prédécesseurs à la direction de l’AICESIS, les Présidents Wijffels du Conseil
économique et social des Pays-Bas et Salah Mentouri du Conseil économique et social de
l’Algérie.
Je suis heureux également de retrouver nos amis François (Perigot) et Guy (Ryder), représentant
des millions d’entreprises et de travailleurs organisés dans le monde.
Permettez-moi enfin de saluer cordialement le Secrétaire exécutif de votre Association,
Bertrand Duruflé.
C’est à la fois un honneur et un plaisir de vous accueillir dans cette Maison. Il s’agit là d’une
première !
D’une certaine manière, cette Maison, vous le savez, est aussi la vôtre.
Notre philosophie, nos objectifs et nos structures même ont, en effet, tant en commun!
Une même philosophie et des objectifs communs
Ecoute, échange, dialogue et concertation d’une part; recherche inlassable de la justice sociale et
souci du bien commun et de l’intérêt général de l’autre.
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La création de l’OIT en 1919 et celle, plus tard, des Conseils économiques et sociaux, s’inscrit
dans un même courant d’idée, favorable à une représentation organisée des forces économiques et
sociales:
Représentants des employeurs et des travailleurs pour l’OIT; autour d’eux, représentation souvent
plus large dans les Conseils économiques et sociaux ou les institutions similaires, selon les
circonstances nationales.
Vous connaissez à cet égard l’importance que nous accordons, au sein de l’OIT, au dialogue
social et au tripartisme qui sont les véritables fondements de notre action. La Conférence
internationale du Travail a d’ailleurs tenu à en rappeler l’importance en adoptant une résolution il
y a deux ans; une résolution qui appelle à un renforcement du tripartisme et du dialogue social, à
la fois en tant qu’objectif stratégique de cette Maison et outil pour réaliser tous ces objectifs.
Tout comme l’OIT, par votre action, vous vous faites les ardents défenseurs d’une certaine
«philosophie sociale de la paix». Il n’est donc pas étonnant de constater que bien de vos membres
ont joué et jouent encore, un rôle éminent au sein de notre Organisation.
Je pense bien sûr en premier lieu à Léon Jouhaux, à qui vous avez rendu hommage, Monsieur le
Président, il y a quelques semaines à Paris, à l’occasion du 50ème Anniversaire de sa disparition.
Ce n’est pas un hasard non plus si M. Jouhaux en 1951 et l’OIT en 1969, ont tous deux obtenu le
Prix Nobel de la Paix. Par cette recherche constante de dialogue entre les principaux acteurs
économiques et sociaux, vous jouez, nous jouons tous ensemble, j’en suis convaincu, un rôle
considérable dans la promotion et la préservation de la stabilité sociale et de la paix.
II.
A cet égard, je suis convaincu qu’aujourd’hui, l’un des enjeux majeurs pour la stabilité sociale et
politique, ainsi que pour la sécurité est la recherche d’une mondialisation juste, créant des
opportunités pour tous. Il en va selon moi de l’avenir de nos sociétés, si nous les souhaitons
ouvertes et pacifiques.
Une véritable conscience universelle est en train d’émerger autour de cette conviction.
Pour éviter que les lignes de fracture ne deviennent des gouffres, un objectif: la justice sociale;
une méthode: encore et toujours le dialogue.
C’est pourquoi je me réjouis de constater que vous avez souhaité placer à l’ordre du jour de votre
Assemblée deux sujets qui sont à la fois au cœur de l’action de l’OIT mais aussi au coeur des
enjeux auxquels le monde est confronté: (i) la dimension sociale de la mondialisation et (ii) le
développement du dialogue social dans le monde.
Je les aborderai ensemble tant il me semble qu’ils sont liés.
Comme vous le savez, ce thème de la mondialisation a suscité, au-delà de l’OIT, un débat très
large, entraînant de nombreuses polémiques.
Constatant que la mondialisation n’avait pas apporté les changements attendus, en particulier en
terme de richesse partagée et d’emplois créés, une partie de l’opinion publique au Nord comme au
Sud s’est retournée contre le fonctionnement des marchés mondiaux. Les populations ont
commencé à remettre en question l’action des États et de certaines institutions internationales,
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ainsi que la gouvernance politique elle-même. Au niveau international et également au niveau
national au travers des élections.
Le débat sur la mondialisation a tourné à la confrontation et s’est polarisé.
Nous nous sommes alors retrouvés face à un dialogue de sourd, mais également face à de vrais
problèmes à résoudre.
Au sein du système multilatéral, même les plus récalcitrants ont fini par admettre que les
politiques façonnant le processus de mondialisation devaient être analysées à la lumière de leur
impact sur la réduction de la pauvreté, la création d’emplois, la réalisation des valeurs
universelles et le développement humain. Et que l’implication du système multilatéral dans cet
effort serait essentielle.
Notre Conseil d’administration a donc pris l’initiative et a ouvert un nouvel espace pour la
recherche de solution, avec pour instrument ce dont nous nous servons tous ici présents, depuis
longtemps: le dialogue.
A bien des égards, il était logique que l’OIT propose et prenne la tête de cette initiative puisqu’il
s’agit de la seule Organisation internationale au sein de laquelle sont représentés les acteurs
principaux de l’économie réelle (les travailleurs et les employeurs). L’OIT est également le seul
endroit où les gouvernements peuvent rencontrer à la fois les intérêts représentés à Davos (Forum
économique mondial) et ceux représentés à Porto Alegre (Forum social mondial).
La tâche que nous avons confiée à cette Commission mondiale sur la dimension sociale de la
mondialisation a néanmoins constitué pour nous une grande innovation dans nos méthodes de
travail.
Il s’agissait d’une Commission d’un type différent – d’une Commission pour la première fois
présidée par deux Chefs d’Etat en exercice, l’un originaire du Nord et l’autre du Sud, une femme
(la Présidente de la Finlande, Mme Halonen) et un homme (le Président de la Tanzanie,
M. Mkapa). Ils dirigeaient un groupe constitué de parlementaires, d’un lauréat du Prix Nobel
d’économie, de chefs d’entreprise, d’universitaires, de dirigeants syndicaux et de membres de la
société civile.
Mais surtout, nous avons, de manière délibérée, rassemblé un groupe représentant des avis très
différents et des intérêts très divers en vue de trouver un terrain d’entente. C’était cela le sens
principal de cette initiative.
Le résultat était donc incertain et les risques très réels.
III.
La Commission est partie de l’idée simple mais forte que, si nous voulons que la mondialisation
profite à plus de monde, nous devons nous mettre à la place des femmes et des hommes dans leur
vie de tous les jours.
Ainsi, cette Commission a considéré le défi en mettant au centre l’humain – en élargissant le
champ, en se mettant à l’écoute des opinions, des perceptions et des espoirs des gens.
Après donc un processus d’écoute et d’analyse qui a duré deux ans, le rapport de la Commission,
intitulé «Une mondialisation juste – Créer des opportunités pour tous», balise un chemin
possible:
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«Une mondialisation juste» est un rapport critique. Il cerne les incertitudes et les insécurités
actuelles. Il reconnaît les bienfaits de la mondialisation, mais les membres de la Commission ont
également constaté que le fonctionnement actuel de l’économie mondiale souffre de déséquilibres
profondément ancrés et persistants qui sont «inacceptables sur le plan éthique et intenables sur le
plan politique». Le caractère volatil de la mondialisation est une menace, aussi bien pour les
riches que pour les pauvres.
«Une mondialisation juste» est un rapport constructif. Il reconnaît que le potentiel est immense –
la mondialisation favorise l’ouverture des sociétés et des économies, multiplie les opportunités et
permet un échange plus libre des biens, des connaissances et des idées – et montre ce que nous
pouvons faire ensemble pour que la mondialisation soit plus équitable.
En dépit de leurs perspectives et de leurs opinions très différentes, les membres de la Commission
sont parvenus à s’entendre sur l’idée que le principal problème n’est pas la mondialisation ellemême mais les règles et le système de gouvernance qui en régissent le fonctionnement ainsi que
la façon dont ces règles sont appliquées.
Ces règles et ce système pourraient et devraient être modifiés pour qu’un plus grand nombre de
personnes profite des avantages de la mondialisation.
Le message de la Commission à cet égard est clair: cela est possible, ce n’est pas un rêve.
«Une mondialisation juste» est un rapport réaliste. Les approches qu’il adopte et les propositions
qu’il formule tiennent du bon sens. Il n’y a pas de solution miracle, mais nous pouvons nous
appuyer sur un socle de valeurs communes, d’idées concrètes et de solutions équilibrées pour
développer le potentiel de la mondialisation et limiter les risques qu’elle présente.
La Commission n’a pas essayé de réinventer le monde. En formulant ses recommandations, elle a
examiné beaucoup d’idées et de propositions prometteuses en cours de discussion ou de
négociation dans d’autres organisations et dans d’autres instances.
Le rapport de la Commission n’est bien sûr pas le dernier mot sur la mondialisation, mais je pense
que nous pouvons le considérer comme le premier véritable effort international pour parvenir à un
terrain commun par le dialogue, sur un sujet qui préoccupe les gens car il affecte leur vie de tous
les jours.
C’est avant tout en cela que ce rapport est remarquable.
Il confirme une fois de plus que ce vous savez déjà au sein des Conseils économiques et
sociaux, pour le pratiquer tous les jours, à savoir que le dialogue entre des personnes ayant des
avis divergents voire des intérêts opposés, peut déboucher sur le consensus.
J’ai partagé ce sentiment, il y a deux jours, avec le Président Chirac qui a tenu à apporter son
soutien le plus fort aux recommandations du rapport. D’autres chefs d’Etat ont également
accueilli très favorablement ce rapport.
IV.
La Commission recommande qu’une action d’ensemble soit entreprise. Elle porte essentiellement
sur quatre points. Ce sont des propositions parfois difficiles à mettre en durée mais réalisables:
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Premièrement, il faut commencer au niveau local. On a beaucoup fait pour faciliter les finances,
le commerce et les investissements au niveau mondial, mais très peu pour renforcer les
communautés et les marchés locaux, où vivent les gens et où ils souhaitent rester s’ils en ont la
possibilité. Il ne saurait y avoir de mondialisation réussie sans «localisation» réussie.
Ce sont les Etats et les sociétés qui, en premier lieu, doivent faire en sorte que la mondialisation
soit équitable, à la fois au Nord et au Sud. Les politiques nationales et locales favorisent
l’intégration d’un pays dans l’économie mondiale, et multiplient les avantages que sa population
peut tirer de l’intégration. C’est le rôle de la démocratie sociale.
J’ai le sentiment que cette approche par le niveau local devrait toucher particulièrement votre
sensibilité. Les Conseils économiques et sociaux et les institutions similaires sont en effet, par
nature, ancrés profondément dans les réalités locales des pays où ils se trouvent.
Deuxièmement, il faut viser à assurer l’équité. Les déséquilibres de l’investissement, du
commerce et des marchés du travail sont des causes essentielles des turbulences politiques
actuelles. Au Sud, la plupart de l’investissement direct étranger se concentre dans seulement 12
pays. Au Nord, de nombreuses personnes perçoivent l’investissement à l’étranger comme
exportateur d’emplois et donc source de chômage.
Partout dans le monde, les personnes au travail ont souvent le sentiment que les droits du capital
sont mieux protégés que ceux des travailleurs.
Nous avons besoin de règles équitables pour le commerce, les flux de capitaux et le cours des
matières premières ainsi qu’un meilleur accès aux marchés, afin de fournir aux pays en voie de
développement, surtout les moins développés d’entre eux, une plus grande marge de manœuvre.
Nous avons aussi besoin de pouvoir compter sur une protection sociale de base et sur le respect
des normes du travail fondamentales, sujets qui sont au cœur du mandat de l’OIT.
Là aussi, il me semble que ces préoccupations rejoignent les vôtres.
Troisièmement, il faut repenser la gouvernance mondiale. Les marchés mondiaux évoluent très
vite. Les institutions économiques et sociales ne sont souvent plus adaptées, ce qui empêche le
système multilatéral de relever un grand nombre de défis. Beaucoup trop souvent, les mandats des
institutions internationales se rejoignent et leurs politiques interagissent sans réelle coordination,
créant un risque constant de chevauchement dans leurs activités.
L’approche cloisonnée de la résolution des problèmes mondiaux doit céder le pas à ce que
j’appelle «la pensée intégrée», c’est-à-dire un cadre analytique favorisant avant tout la
compréhension de l’interdépendance stratégique entre les variables économique, sociale,
environnementale et autres, ainsi que la recherche de solutions politiques intégrées et cohérentes.
Le rapport recommande d’ailleurs le lancement d’initiatives de cohérence des politiques au plan
international et mentionne en priorité une première initiative autour des questions de croissance,
d’investissement et d’emploi. Nous avons eu hier, ici même, une première réunion avec quelques
partenaires du système multilatéral (FMI, Banque mondiale, OMC, Secrétariat des Nations unies,
FAO, ONUDI, FIDA) et allons poursuivre cet effort très important.
La raison de cette proposition est que la relation entre croissance et emploi se trouve au centre des
préoccupations et au cœur des solutions possibles.
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Cette recherche de cohérence ne doit pas se limiter au seul plan international, loin de là. Elle est
également indispensable à l’échelon national. A cet égard, le rapport de la Commission souligne
que les Conseils économiques et sociaux peuvent jouer un rôle particulièrement utile dans ce
processus.
Quatrièmement et surtout, nous devons faire du travail décent un objectif mondial. Le travail
est l’axe autour duquel s’organise la vie des personnes. Peu importe où ils vivent et ce qu’ils font,
les femmes et les hommes voient dans l’emploi le test de vérité déterminant le succès ou l’échec
de la mondialisation.
Le travail est source de dignité, de stabilité, de paix, mais aussi de crédibilité des gouvernements
et du système économique. La création d’emplois allant de pair avec le développement des
entreprises, elle est la base de l’initiative privée et de l’investissement.
La réduction des déficits de travail décent est indispensable à celle des tensions qui sont à
l’origine de tant de menaces contre la sécurité; elle permettra de réduire les défis sociaux comme
les migrations, le chômage massif des jeunes, l’inégalité entre hommes et femmes et de réaliser
les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
Là à nouveau, je sais que nous partageons la même analyse sur l’importance d’un travail décent
pour tous.
La conclusion du rapport est claire: la tendance actuelle de la mondialisation peut et doit changer.
Beaucoup de ses règles sont injustes, ses résultats sont déséquilibrés, son avenir est incertain, et
pourtant son potentiel est intact.
Le changement de cap est possible. Le bon sens l’exige.
V.
L’OIT entend assumer sa part dans le suivi des recommandations du rapport et répondre aux défis
qui se posent à elle. Je présenterai, dans quelques jours, un rapport à la Conférence internationale
du Travail dans ce sens.
Dans ce rapport, qui sera mis à votre disposition, j’insiste sur le fait que les recommandations de
la Commission ouvrent de nouveaux horizons à la mobilisation du tripartisme. Cela suppose un
effort énergique de tous nos mandants pour créer des partenariats plus solides avec les autres
acteurs de cette nouvelle «communauté globale» en formation qui peuvent favoriser le
changement et mieux sensibiliser l’opinion.
Car soyons clairs, à elle seule, l’OIT ne pourra donner suite à l’ensemble des recommandations.
Au-delà de l’OIT, la Commission invite en effet les gouvernements, les parlements, les
organisations internationales et tous les autres acteurs pertinents de la société à examiner et, le cas
échéant, à donner suite aux différentes recommandations.
Pour ces deux tâches, quel plus beau concours que celui les Conseils économiques et sociaux et
des institutions similaires, en tant que tels, et que celui de l’Association internationale (AICESIS)
elle-même?
Vos structures étroitement adaptées aux réalités politiques et sociales nationales offrent, selon les
cas, des «formats» différents de la participation des acteurs du dialogue social. Dans certains cas,
concentrés autour des partenaires traditionnels, ceux de l’activité productive; dans d’autres,
élargis jusqu’aux limites de la vie associative.
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Vous faites le lien entre la démocratie sociale et les acteurs de la démocratie politique.
C’est pourquoi, reprenant le soutien exprimé par les membres de la Commission dans leur
rapport, j’appelle au renforcement de vos institutions et à la création de Conseils dans les pays,
encore trop nombreux, où cet acteur incontournable de la démocratie est encore absent.
Cette diversité dans votre composition reflète également la philosophie de l’OIT, à savoir qu’il ne
saurait y avoir de modèle universel pour les Conseils économiques et sociaux: ce dialogue peut
être bipartite ou tripartite; il peut inclure des experts indépendants, des associations ou bien des
organisations non gouvernementales; il peut se fonder sur la Loi ou bien résulter d’un autre
niveau de décision. Nous savons bien que ces structures différentes répondent à des réalités
nationales souvent distinctes.
Ce rapport de la Commission mondiale est donc à présent sur la table, on pourrait dire sur la table
de cette communauté mondiale à laquelle vous appartenez de plein droit.
Vous allez, je l’espère, vous en emparer.
Je vais à présent être attentif à nos échanges, Cher Président Dermagne.
Permettez-moi de conclure en soulignant à nouveau l’engagement de l’OIT à vous soutenir de
toutes les manières possibles.
Je vous remercie de votre attention.
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