Des miroirs à neutrons, pour quoi faire ? réflexion totale, mais aussi dans une direction Pour effectuer des expériences de physique avec les supplémentaire (diffraction de Bragg) seulement neutrons il faut pouvoir les guider vers les échantillons fonction de la distance de répétition des couches (le à étudier et les concentrer. Accroître l'intensité des pas) (fig. 2). Le pouvoir réflecteur, lui, dépend du faisceaux permet en effet d'aborder des problèmes de contraste entre couches (matériaux choisis) et de leur plus en plus difficiles. nombre. Développée et perfectionnée à l'ILL depuis 15 ans, ©1995 - Institut Laue-Langevin la technologie des miroirs multicouches et supermiroirs permet des gains de plusieurs ordres de grandeur pour Réfléchir et polariser les neutrons: Miroirs et Supermiroirs l'étude des polymères et du magnétisme de la matière (domaine où le neutron est roi), ainsi que pour la recherche fondamentale sur le neutron lui-même. Réfléchir les neutrons. Le neutron, l'une des trois particules constitutives des atomes avec l'électron et le proton, possède une onde associée. Celle des neutrons produits à l'ILL est Figure 2. Principe d’un miroir multicouche. principalement dans la gamme 0.7 à 100 Å. Certaines surfaces métalliques réfléchissent ces neutrons comme Par exemple, 15 couches de titane (non la surface de l'eau réfléchit la lumière rasante, mais sous réfléchissantes) et 15 de nickel (angle de réflexion des angles d'incidence inférieurs au degré, trop petits totale proche de 1°) alternées au pas de 0,008 microns pour un usage commode en tant que miroirs. offrent une réflectivité de presque 100% vers 2°, mais La technologie ILL pour augmenter cet angle est basée sur l'empilement de couches alternées très fines Figure 1. Evaporateur automatique pour la fabrication de supermiroirs à neutrons. une réflectivité plus faible entre cette valeur et l'angle de réflexion totale du mélange nickel-titane (fig. 3). de deux matériaux différents du point de vue des Pour combler ce ‘trou‘ de réflectivité et avoir un neutrons: une couche très réfléchissante, une couche miroir efficace de 0 à 2°, il suffit d'empiler des peu réfléchissante (angle de réflexion totale presque multicouches de périodes croissantes et judicieusement nul). Avec un nombre suffisant de couches, le choisies (fig. 3). Ces composites appelés ‘supermiroirs multicouche se comporte comme un cristal d'un à neutrons’ permettent d'atteindre des angles de matériau qui n'existe pas dans la nature et qui réfléchit réflexion totale de plusieurs degrés. les neutrons, non seulement dans le domaine de Comment fabrique-t-on un supermiroir ? Polariser les neutrons. magnétique sont seuls transmis par réflexion sur les On utilise la technique de l'évaporation sous vide. Pour cela, on choisit un matériau magnétique miroirs et le faisceau en sortie a une épaisseur de l'ordre L'ILL possède deux évaporateurs automatisés (fig. 1) (cobalt) pour les couches les plus réfléchissantes, un qui produisent 6 miroirs par jour depuis quinze ans. Il a matériau non magnétique (titane) pour les autres, et on Dernier problème, il faut piéger les neutrons de donc fallu une grande patience pour réaliser les 10.000 optimise certains paramètres de fabrication. Un tel polarisation inverse à ceux réfléchis par les miroirs. miroirs qui équipent maintenant des instruments de supermiroir, placé dans un champ magnétique, réfléchit S’ils les traversent, ou sont réfléchis par le substrat en l'ILL et ceux d'autres centres de recherche ! la quasi totalité des neutrons de spin d'orientation verre de chaque supermiroir, ils risquent de se retrouver opposée à celle du champ magnétique et laisse passer plus ou moins mélangés avec les ‘bons’ neutrons à la les autres. Cette technique très performante permet sortie. Pour séparer le bon grain de l'ivraie on intercale d'atteindre des taux de polarisation proches de 100%. donc, entre supermiroir et verre, un matériau absorbant de celle de l'empilement. bien les neutrons sans les réfléchir. Ceci garantit en sortie des neutrons de polarisation unique. Supermiroirs et physique fondamentale. Les physiciens travaillent à une théorie d'unification des forces fondamentale (gravitation, électromagnétique, électro-forte, électro-faible) et ceci suppose une bonne connaissance de certaines constantes physiques. L'ILL participe à cette recherche en mesurant, par exemple, la façon dont le neutron libre Figure 3. Réflectivités d’un multicouche et d’un supermiroir. se désintègre spontanément. Les supermiroirs polarisants ont permis d'accroître d'un facteur 75.000 la sensibilité de l'une des méthodes de mesure. Polariser les neutrons, pourquoi ? Le neutron tourne sur lui-même (spin) et se Figure 4. Schéma d’un collimateur polarisant constitué d’un ensemble de supermiroirs courbés. comporte comme un aimant 100.000 fois plus petit Les supermiroirs polarisants ont aussi permis l'étude de phénomènes difficiles à observer tels que : la violation de parité de la désintégration ß du neutron, la qu'un atome. Cette minuscule boussole est une sonde Avec un seul supermiroir on n'obtiendrait qu'un très sensible pour étudier le magnétisme de la matière, faisceau polarisé très fin car l'angle de réflexion totale type d'atome par type d'atome. Encore faut-il orienter est, malgré tout, assez faible. On empile donc plusieurs dans la même direction tous les spins (tous les axes de supermiroirs puis on courbe le tout (fig. 4). Les boussoles) du faisceau de neutrons. neutrons de polarisation anti-parallèle au champ phase de Berry, la rotation de spin des neutrons traversant certains matériaux, la recherche de l'antiferromagnétisme nucléaire du cuivre, le comportement des neutrons ‘habillés‘, etc. ❄❆❄