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03/02/13 17:24
Le redressement productif sera local ou ne sera
pas
Sandra Moatti
Alternatives Economiques n° 321 - février 2013
En transférant de nouvelles compétences économiques aux régions, l'Etat reconnaît que les territoires sont
les mieux placés pour favoriser l'innovation. Les élus de terrain ont aussi un rôle à jouer. Exemple.
A l'heure où les multinationales déplacent leurs implantations comme des pions sur un échiquier, les élus
locaux ont-ils encore la main sur le développement économique de leur territoire ? L'action des
collectivités dans ce domaine se réduit souvent à napper les abords de ville de zones d'activités et à attirer
les entreprises à coup de subventions. Les territoires ne sont alors que des réserves de ressources en
concurrence les unes avec les autres, dans lesquelles les entreprises nomades viennent puiser. Avec
l'engouement pour la nouvelle économie, les élus ont cru qu'il suffisait d'offrir des hôtels d'entreprises et
quelques services mutualisés pour voir éclore les jeunes pousses. Mais le terreau n'est fertile que si on le
cultive activement. C'est ce que fait Epinal qui, grâce à la détermination de son maire, est depuis trois ans
le siège d'une expérience exemplaire.
Cette agglomération des Vosges touchée successivement par la crise du textile et celle de l'automobile se
cherchait un projet économique fédérateur. L'éco-construction s'est imposée comme un secteur porteur
pour lequel il existait localement un potentiel trop peu valorisé : une forêt abondante, une longue tradition
locale de travail du bois, une formation unique en France avec l'Ecole nationale supérieure des
technologies et industries du bois et la présence à Epinal du pôle de compétitivité Fibres.
Ce territoire accueille en outre le papetier norvégien Norske Skog, qui a là la plus grosse usine de papier
journal d'Europe, mais fait face à un marché en déclin. Pour que cette unité de production reste rentable,
elle doit donc se diversifier.
Faire éclore les idées
Le maire rassemble alors autour du papetier une dizaine d'industriels du secteur des isolants, le pôle de
compétitivité et l'école du bois. Ce petit groupe - quinze personnes tout au plus - sélectionne une dizaine
d'idées susceptibles d'aboutir à des produits commercialisés dans les trois ans. Objectif : atteindre à cet
horizon les 100 millions de chiffres d'affaires qui permettent à une entreprise de se projeter à
l'international - cette frontière que tant de PME françaises ne parviennent pas à franchir… Pour appuyer
cette stratégie, la communauté de communes crée une société d'économie mixte : celle-ci amorce les
projets, en finançant des études de marché par exemple, puis participe à leur financement en entrant au
capital des entreprises. Norske Skog, qui cherche à optimiser son site industriel, met à disposition des
locaux, assure l'approvisionnement en matière première et entre aussi dans le tour de table financier.
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NrGaia est la première société à voir le jour, en 2009, sur le site même du papetier ; elle produit de la
ouate de cellulose, un isolant tiré du papier journal. Elle emploie aujourd'hui une vingtaine de personnes et
s'est imposée comme le leader français dans son secteur. Suivront deux autres implantations avant que, en
2011, la société suisse Pavatex, spécialiste des systèmes d'isolation en fibre de bois, choisisse ce site et y
réalise un investissement important (60 millions d'euros), avec à la clé la création d'une cinquantaine
d'emplois.
La réunion de ces sociétés (sous la forme d'une coopérative d'entreprises) permet de mutualiser les
moyens. La possibilité pour les jeunes entreprises de bénéficier des infrastructures du papetier (sa
chaudière notamment) et de sa puissance d'achat, dope leur rentabilité. Le regroupement des activités
permet aussi de mettre en oeuvre les principes de l'écologie industrielle (*) : ainsi la chaleur dégagée par
la papeterie est utilisée par Patavex pour défibrer le bois en vue de fabriquer une laine isolante.
Innovation de marché
Aujourd'hui, la collectivité est donc en passe de réussir son pari. Pour Marc Desforges, consultant à CMIstratégies, qui a accompagné le projet, cette expérience est exemplaire de ce que pourrait être un
développement économique impulsé par les territoires. Car, argumente-t-il, les processus d'innovation ont
changé. "La création de valeur n'est plus uniquement la résultante de l'innovation technologique,
prioritairement captée par les grands groupes. La plupart des innovations sont aujourd'hui des
innovations de marché, en prise directe sur les besoins, les désirs ou les usages". Les idées de marché, ce
sont les petites entreprises qui les ont. Dans ce contexte, "l'enjeu des politiques publiques est de créer les
conditions locales de l'innovation". Et le rôle des élus de terrain, notamment des maires ou des présidents
d'intercommunalité, est décisif pour rassembler les acteurs et organiser un éco-système local dynamique et
collaboratif.
Si la politique des pôles de compétitivité impulsée par l'Etat a globalement permis de mieux coordonner la
recherche publique et privée autour de projets innovants, elle n'a pas répondu aux attentes en termes
d'activités économiques rentables et génératrices d'emplois. Pour transformer des innovations
technologiques en produits trouvant leur marché, c'est à l'échelle des territoires que les acteurs doivent
s'organiser. Le rapport Gallois recommandait ainsi de confier aux régions le pilotage des pôles de
compétitivité qui n'ont pas de dimension mondiale. Cette préconisation a été reprise dans l'avant-projet de
loi de décentralisation, qui affirme plus généralement le rôle de chefs de file des régions en matière de
développement économique. Les régions, qui ont obtenu la délégation de la gestion des fonds structurels
européens et une place importante au sein de la nouvelle Banque publique d'investissement, associeront
leurs moyens avec ceux de l'Etat et de l'Europe en un guichet unique, afin d'assurer la cohérence des
actions de soutien aux entreprises. Elles ont enfin la possibilité d'entrer au capital des entreprises sans
passer par un décret du Conseil d'Etat.
Signe que les modalités d'aides financières des collectivités évoluent : les élus locaux préfèrent de plus en
plus la formule de la participation en capital à celle de la subvention publique. Pour trois raisons au
moins : si le projet réussi, les collectivités peuvent récupérer leur mise pour la réinvestir dans d'autres
initiatives ; elles sont mieux informées et associées aux décisions ; enfin, elles soutiennent un capital
risque défaillant en France.
Des ratages aussi
Mais si le projet échoue, les collectivités consolident les pertes. Or, les élus locaux ne sont pas des
capitaines d'industrie ni des investisseurs toujours avisés… Au bilan de leur action économique, il n'y a
pas que des réussites. Certaines collectivités ont englouti des millions dans des projets fantomatiques.
Exemples ? Pour la reconversion de l'ancienne base militaire de Chambley (en Meurthe et Moselle) en
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pôle aéronautique, la région Lorraine a lourdement soutenu (à hauteur de 21 millions d'euros) un projet
d'avion à bas coût qui n'a jamais vu le jour. Le conseil régional de Poitou-Charentes a pris 31 % des parts
dans une entreprise de production de voitures électriques qui ne parvient pas à atteindre son point mort…
"Le rôle des élus est de mobiliser les acteurs, pas de décider", explique Marc Desforges. C'est pourquoi il
estime que les collectivités doivent rester minoritaires dans la décision et le financement. "Pour un euro
d'argent public, il faut que les acteurs privés en amènent au moins quatre."
Moyennant une approche adaptée et une forte mobilisation des élus, tous les territoires ont leur chance,
estime le consultant. Un postulat résolument optimiste, auquel il faudra bien s'accrocher dans les années à
venir. La rigueur budgétaire risque en effet de mettre à mal les mécanismes redistributifs (retraites, emploi
public, transferts sociaux) qui ont permis jusqu'à présent d'atténuer la fracture territoriale [1]. Les
territoires les moins productifs, dont les revenus ont été jusqu'ici préservés par les transferts, risquent donc
de souffrir s'ils ne se réinventent pas un projet économique.
* Ecologie industrielle : possibilité d'utiliser les déchets d'une industrie comme matière première
d'une autre entreprise.
Article issu du dossier Décentralisation, le remède anticrise ?
Sandra Moatti
Alternatives Economiques n° 321 - février 2013
Notes
(1) Voir le dernier livre de Laurent Davezies, La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale,
La République des idées-Le Seuil, 2012.
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