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La conférence de Berlin (1884 – 1885)
Auréolé par la victoire remportée en 1870-1871 sur la France, Bismarck, le « Chancelier de
fer » allemand organise dans la capitale du jeune IIème Reich une conférence internationale
destinée à régler les différends coloniaux opposant les puissances européennes qui se
partagent alors le « gâteau africain » (l’expression est de Bismarck). La France, le Portugal,
l’Italie, l’empire turc ottoman, l’Angleterre, les USA, l’Allemagne, notamment, essayent
d’éviter l’aggravation des rivalités coloniales susceptibles d’entraîner un conflit généralisé…
La Belgique, présente au Congo, est invitée à cette conférence. Léopold II, roi des Belges, tire
alors les marrons du feu en faisant reconnaître l’Association Internationale du Congo, lequel
sera théoriquement indépendant de 1885 à 1908, mais sous l’autorité du souverain de
Belgique.
Un intérêt tardif pour l’Afrique ?
Selon une opinion communément admise, les puissances européennes ne se seraient vraiment
intéressées au continent africain que vers 1875, après les expéditions de Livingstone et de
Stanley. C’est oublier le rôle d’un pape controversé et celui des navigateurs portugais.
L’héritage empoisonné d’un Borgia
Dès 1493, un an après la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb, le pape
espagnol Alexandre VI Borgia attribue au Portugal et à l’Espagne toutes les terres « trouvées
ou à trouver, reconnues ou à reconnaître ». Ces terres sont départagées par une ligne de
démarcation : le « méridien d’Alexandre VI »…A l’ouest de cette ligne, les Espagnols
pourront « trouver et reconnaître » des terres, tandis que les Portugais feront de même, mais à
l’est du méridien.
Le traité de Tordesillas (1494)
Mais un an plus tard, la ligne de partage sera déplacée vers l’ouest, ce qui permettra au
Portugais Pedro Cabral de « découvrir » le Brésil en 1500… Ses compatriotes pourront
continuer leur périple autour de l’Afrique, concrétisant de la sorte les ambitions du prince
Henri le Navigateur.
Dans le sillage de Henri le Navigateur et de Vasco de Gama – la pénétration portugaise
en Afrique à la fin du moyen âge : des escales vers « les Indes »
Fils de Jean 1er de Portugal, l’ « Infant » Henri organise, dès 1416, une série d’expéditions
vers l’Afrique. Il s’agit de poursuivre la « reconquête » contre les musulmans, d’évangéliser
des peuplades païennes, d’approfondir les découvertes scientifiques et géographiques, et de
trouver une route vers les Indes en contournant l’Afrique ! En 1491, déjà, les Portugais
convertissent le roi du Congo au catholicisme. Son petit-fils sera un évêque sacré à Rome ! Le
premier catéchisme en langue congolaise, œuvre de franciscains lusitaniens, date de 1555.
Mais l’évangélisation entreprise par les missionnaires portugais en Angola souffrira de la
brutalité pratiquée par leurs compatriotes marchands et/ou esclavagistes.
En 1500, le Portugal contrôle la plupart des îles de l’Atlantique face à l’Afrique, à l’exception
des Canaries qui sont espagnoles.
Les expéditions portugaises se succèderont le long de la côte africaine : Diego Cao reconnaît
l’embouchure du fleuve Congo en 1483, Bartolomeo Diaz double, en 1488, le Cap des
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Tempêtes, rebaptisé Cap de Bonne-Espérance et Vasco de Gama longe les côtes orientales de
l’Afrique pour atteindre Calicut, en Inde, en 1498.
La prise de Constantinople par les Turcs Ottomans en 1453 avait amorcé un déclin du trafic
en Méditerranée, déclin aggravé par l’arrivée en Inde des Portugais… Ceux-ci avaient abordé
les côtes de Guinée et d’Angola dès la fin du 15ème siècle… Plus tard, la mainmise espagnole
sur le Portugal, entre 1580 et 1640, causera l’intensification de l’effort colonial portugais vers
le Brésil. C’est au 19ème siècle que le royaume lusitanien se réinteréssera davantage à
l’Afrique.
Timides tentatives espagnoles
Peu avant l’unification ibérique en 1492, les Espagnols s’étaient implantés dans les Canaries
en 1479, mais avaient échoué en Afrique du Nord. La prise d’Oran (1509), de Tripoli (1510)
et de Tunis (1535) resta sans lendemain.
Premières implantations françaises au 17ème siècle
Dans une démarche semblable aux efforts portugais, le royaume français installe, sur la côte
africaine, des « étapes » vers les Indes (« comptoir » de Pondichéry en 1674)… Dès 1642,
l’établissement de Fort-Dauphin est créé à Madagascar, et celui de Saint-Louis du Sénégal
date de 1659… Des objectifs esclavagistes ne sont pas absents lors des implantations
françaises. Conçu par Colbert, ministre de Louis XIV, le « code noir » paraît en 1685, 200 ans
avant la conférence de Berlin.
Incursions hollandaises en Afrique
Dès 1652, les « Provinces-Unies » fondent la colonie du Cap, s’assurant une étape vers les
« Indes néerlandaises » (l’Indonésie). Et, en 1717, les Hollandais achètent l’établissement
prussien de Gross Friedrichsbourg, fondé dans le golfe de Guinée en 1681.
Victoires, défaites et expansions anglaises
Très soucieux de consolider ses possessions canadiennes et indiennes, le royaume britannique
triomphe dans les conflits l’opposant au royaume de France. La guerre de sept ans assure ainsi
la prédominance coloniale anglaise consacrée par le traité de Paris en 1763. Les Anglais
s’emparent du Canada et consolident leurs implantations indiennes d’Asie, ne permettant aux
Français que de conserver quelques comptoirs en Afrique et en Inde.
Défaite dans la « guerre d’indépendance » des Etats-Unis d’Amérique (1776-1783),
l’Angleterre doit renoncer à ses 13 colonies (le berceau des USA), mais ses conflits avec la
France monarchique, puis républicaine, puis impériale (Napoléon 1er) lui démontrent
l’importance de ses possessions coloniales, y compris en Afrique. Possédant Gibraltar depuis
1704, les Anglais s’installent en Sierra Leone dès 1787, occupent le Cap au détriment des
Hollandais en 1815. Six ans plus tard, les voilà en Côte de l’Or (1), avant d’atteindre le Natal
(1843).
Et l’esclavage ?... dans la perspective de la conférence de Berlin
Les « Idées nouvelles » des philosophes du 18ème siècle embarrassent et enthousiasment
simultanément les colons… Emancipation, certes, mais qu’en est-il de la production à bas prix
assurée par l’esclavage ? Toutefois, des théories opposées, telles que le mercantilisme et la
physiocratie, de même qu’un humanisme philanthropique bouleversent les « philosophies »
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économiques ainsi que les consciences, du moins en Angleterre. Ainsi,Wilberforce obtient
l’abolition de la traite des esclaves noirs en 1807, et celle de l’esclavage en 1833/34… dans
les possessions anglaises.
Quant à la France, Victor Schoelcher joue un rôle considérable dans le débat relatif à
l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, décrétée en 1848, sous la IIème
République.
Après 1815
Une expansion française consolatrice
La chute de Napoléon 1er provoque une grande restriction des ambitions françaises en Europe.
De là un intérêt croissant pour les terres plus ou moins lointaines, sous la restauration des
Bourbons à Paris. René Caillé « découvre » Tombouctou en 1828, tandis que les règnes de
Charles X puis de Louis-Philippe sont marqués par la conquête de l’Algérie (1830 – 1847)…
La pénétration française s’accentue aussi dans le golfe de Guinée, et atteint la côte des
Somalis en 1862, sept ans avant l’ouverture du canal de Suez.
Les grandes ambitions de « Napoléon le petit » (Napoléon III)
Voulant assurer des débouchés et des matières premières pour les industries françaises,
l’empereur désire aussi renforcer son prestige et celui du catholicisme missionnaire… C’est
le cas en Algérie, ce le fut aussi au Sénégal (fondation de Dakar en 1857).
Le contexte de la conférence de Berlin : l’impérialisme colonial
(1870 – 1914)
Quelques déclarations révélatrices
En 1902, l’anglais J.A. Hobson (2) écrit : « (l’impérialisme) : l’effort des grands maîtres de
l’industrie pour faciliter l’écoulement de leur excédent de richesse, en cherchant à vendre ou
à placer à l’étranger les marchandises ou les capitaux que le marché intérieur ne peut
absorber ».
En 1885, le français Jules Ferry (3), à la Chambre des députés : « …les nations au temps où
nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent… Rayonner sans agir,
sans se mêler aux affaires du monde, …c’est abdiquer et, dans un temps plus court que vous
ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième ».
En 1911, le nationaliste italien Corradini, peu avant la conquête de la Libye : « L’émigration
signifie du travail italien abandonné à soi-même de par le monde ; la conquête des colonies
signifie au contraire que le travail italien est accompagné dans le monde par les autres forces
de la nation italienne et par la nation elle-même ».
Selon E. Clémentel, le colonisateur européen doit « réveiller les races de leur torpeur
séculaire ».
Un collaborateur de la revue anglaise Nineteenth Century en 1897 : « A nous – à nous et non
aux autres – un certain devoir précis a été assigné. Porter la lumière et la civilisation dans
les endroits les plus sombres du monde ; éveiller l’âme de l’Asie et de l’Afrique aux idées
morales de l’Europe ; donner à des millions d’hommes, qui autrement ne connaîtraient ni la
paix ni la sécurité, ces conditions premières du progrès humain ».
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Karl Marx, dans un article du New York Times, 1853 : « La véritable question, la voici :
l’humanité peut-elle satisfaire à sa destination sans une révolution fondamentale dans l’état
social de l’Asie ? Si elle ne le peut, alors l’Angleterre quels qu’aient été ses crimes, a été, en
réalisant cette révolution, l’instrument inconscient de l’histoire ».
Principes et facteurs d’explication : les impérialismes
A la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Russie,
les USA et… le Japon sont les grandes puissances « impérialistes »… Mais des pays
« moyens » comme le Portugal, ou « petits » comme la Belgique ne sont pas en reste…et
n’oublions pas l’Italie, unifiée en 1860 seulement mais qui affiche rapidement ses ambitions
expansionnistes.
Capitalisme et expansion.
Grands, moyens ou petits, les pays industrialisés ont besoin de débouchés et de matières
premières… Paradoxalement, la concurrence devrait accentuer le libre-échange entre les
puissances « modernes », mais cette concurrence engendre aussi le protectionnisme et la
course à la recherche de minerais, notamment en Afrique où les explorateurs sont
« sponsorisés » par les gouvernements ou les souverains des nations industrielles. Pensons à
Stanley, Brazza, Cameron, autres.
Nationalismes divers
En général, les raisons évoquées soulignent la mission civilisatrice des pays colonisateurs,
dont le prestige est ainsi accru, sans menacer la paix européenne, puisque les enjeux sont
ailleurs… Conception fragile et encore fragilisée lorsque les intérêts coloniaux opposeront les
puissances qui s’engageront dans des alliances internationales précédant la Première Guerre
mondiale.
La surpopulation dans les pays industrialisés ou en passe de l’être
L’accroissement démographique européen (de 180 à près de 430 millions d’habitants entre
1800 et 1914) concerne surtout l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie. Celle-ci ne peut fournir
du travail à sa nombreuse main-d’œuvre, car son développement industriel est encore
embryonnaire. Si les Allemands émigrent principalement en Amérique, les Italiens
s’orienteront vers l’Afrique toute proche, notamment en Libye.
L’humanitarisme
Avant les tueries de masse des deux guerres mondiales, l’Européen et l’Américain (surtout
blanc) sont convaincus, non seulement de leur supériorité industrielle, intellectuelle et
militaire, mais aussi du devoir, de la mission qui leur incombe, de civiliser la partie de
l’humanité qui ne bénéficie pas encore du modernisme des pays du nord. Il faut y ajouter
l’évangélisme protestant, de même que l’ambition missionnaire catholique, ce qui n’est pas
sans engendrer une certaine émulation concurrente, elle aussi…. Sans oublier le prosélytisme
laïque particulièrement actif dans la IIIème République française… Les lumières de la raison
sont simultanément complémentaires et adversaires de l’illumination divine propagée dans les
peuples colonisés… L’enseignement, l’hygiène et la science, passés au crible des diverses
philosophies et obédiences, franchissent les mers et affranchissent, croit-on, les peuples.
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Léopold II de Saxe-Cobourg-Gotha (1835 – 1909), deuxième roi des Belges
(1865 – 1909)
Une jeunesse itinérante
Fils de Léopold 1er et de Louise-Marie d’Orléans, le prince Léopold épouse, en 1853,
l’archiduchesse d’Autriche Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine… C’est le « mariage d’un
palefrenier (Marie-Henriette est passionnée d’équitation) et d’une religieuse » (le jeune
prince Léopold passait alors pour être timide et renfermé).
N’empêche qu’il a de la suite dans les idées… Sénateur de plein droit dès ses 18 ans, Léopold
insiste sur la nécessité d’agrandir les perspectives de développement de la Belgique, mais en
vain. En 1860, il il ramène une plaque de marbre trouvée à Athènes, sur laquelle il avait fait
graver : « Il faut à la Belgique une colonie » ; 28 ans plus tard, il écrit à son frère, le comte de
Flandre : « la patrie doit être forte, prospère, par conséquent posséder des débouchés à elle,
belle et calme ». Une autre déclaration est aussi révélatrice : « Il ne s’agit pas de nous établir.
Nos regards doivent embrasser de plus vastes horizons ». Il dira aussi : « La mer baigne nos
côtes, l’univers est devant nous »…Plus tard, il affirmera sa volonté de « planter
définitivement l’étendard de la civilisation sur le sol de l’Afrique centrale ».
Amateur de paysages nouveaux dès son adolescence, Léopold envisage des colonies pour la
Belgique, partout où c’est possible. Il a forcément la bougeotte, ce qui l’amène vers des
destinations diverses : le Portugal,Gibraltar, l’Afrique, les Indes, l’Indochine, Ceylan, la
Crète, la Chine, Alexandrie, l’Asie Mineure, la Grèce, la Sicile, l’Italie, la Suisse…au point
que l’ambassadeur d’Autriche disait que Léopold ne boitait qu’à Bruxelles… Précisons que
ses visées colonialistes s’intéressaient à l’Asie Mineure, aux îles Fidji et Salomon, à
l’Amérique, à l’île de Formose, aux Philippines et à la Chine.
L’indifférence de l’opinion belge à propos de la question coloniale
Avant et après l’avènement de Léopold II en 1865, le public, dans sa grande majorité, est
indifférent, voire hostile aux ambitions coloniales… Il faut préciser que la menace de
reconquête hollandaise pèse sur la jeune nation belge jusque 1839, et que les problèmes
sociaux et politiques sont considérables : fin de l’unionisme, le droit de vote, la misère
ouvrière, la revendication des « 8 heures », etc…sans oublier les visées expansionnistes de
Napoléon III.
Un rappel : l’ « African Association » 1788
En 1788, l « African Association » se crée à Londres. Il s’agit alors de coordonner les
explorations « modernes » du continent africain… Jusqu’alors, ces explorations étaient
intermittentes, sans méthode mains non sans buts : débouchés, étapes vers les Indes, traite des
Noirs, évangélisation… Le « commerce de la peau d’ébène », selon l’expression consacrée
pour désigner les esclaves noirs, était pratiqué, non seulement par les Européens, mais aussi
par certains musulmans esclavagistes, et par certains potentats africains n’hésitant pas à
vendre leurs compatriotes…C’était particulièrement le cas dans le Bas-Congo, et en Afrique
orientale : Soudan, Zanzibar… On sait que l’anglais Wilberforce, en 1807, et le français
Schoelcher, en 1848, avaient pu obtenir l’abolition de la traite des Noirs, déjà condamnée par
les Congrès de Vienne en 1815.
Il faut également insister sur le commerce de l’ivoire, qui aiguisait aussi certains intérêts peu
philanthropiques, alors que l’ « African Association », pénétrée de l’esprit des « Lumières »
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du 18ème siècle, affichait des ambitions plus nobles. Les guerres franco-anglaises mettront ces
ambitions sous l’éteignoir jusque Waterloo en 1815.
Le rôle des explorateurs « occidentaux » en Afrique
Nous avons déjà évoqué le français René Caillé, « découvreur » de Tombouctou en 1828.
Mais les noms de Cameron, de Livingstone, de Stanley et de Brazza, entre autres, sont restés
célèbres.
Explorations et colonisations
Entre 1860 et 1880, l’allemand G.Rolfs parcourt le Maghreb, la Libye, l’Egypte, la Guinée et
l’Abyssinie. De 1869 à 1884, son compatriote G Nachtigal traverse le Sahara pour atteindre le
Soudan, avant de faire du Togo et du Cameroun des colonies allemandes. En 1770 déjà,
l’anglais James Bruce découvre une des sources du Nil (Lac Tana), ce qui inspirera Stanley.
Vers 1860, le Haut Nil, La Haute Nubie, l’Est africain sont ainsi connus des explorateurs. Le
lac Tanganyka est atteint en 1858…
« Sir Livingstone, I presume » Ujiji, 10 novembre 1871
C’est par ces mots que Stanley se serait présenté à Livingstone, sur les bords du lac
Tanganyka, alors qu’ils étaient les seuls « blancs » sur place. David Livingstone, pasteur
anglican écossais a, si j’ose dire, « roulé sa pierre » au Betchuanaland, avant d’explorer le
Zambèze, les chutes Victoria, les sources du Nil, tout en développant son apostolat
évangélique, notamment dans la lutte contre l’esclavagisme, ce qui lui a valu la sympathie des
populations locales, tout cela entre 1840 et 1873. John Rowlands Stanley, « Sir Henry
Morton », gallois naturalisé citoyen des USA, militaire, journaliste, a été chargé par le New
York Herald de retrouver Livingstone, disparu depuis 1866. Parti de Zanzibar en 1871, il
retrouve le missionnaire écossais sur les bords du lac Tanganyka. De 1874 à 1877, Stanley
traverse l’Afrique d’est en ouest jusqu’aux bouches du Congo à Boma… Suite à l’invitation
de Léopold II, il remonte, pour le Comité d’études du Haut-Congo, le cours du fleuve entre
1879 et 1884… Sa rivalité avec le français Brazza est restée célèbre.
Deux visionnaires beges : Emile Banning et François Auguste Lambermont
Avant l’avènement de Léopold II, quelques timides tentatives de colonisation menées par la
Belgique avaient échoué au Brésil, au Guatemala et dans les Philippines (4).
Emile Banning (1836-1898)
Journaliste, observateur politique, collaborateur de la Bibliothèque Royale, Emile Banning est
en 1876 archiviste-bibliothécaire aux Affaires étrangères belges. Ses trois articles parus dans
L’Echo du Parlement en 1876 convainquent Léopold II de convoquer à Bruxelles une
Conférence géographique internationale. Plus tard, cet idéaliste antiesclavagiste sera déçu par
la politique colonialiste du souverain belge.
François Auguste Lambermont (1819-1905)
Juriste, le baron Lambermont a été Secrétaire général du Ministère belge des Affaires
étrangères. Soucieux du statut international de la Belgique, il obtient en 1863 la levée du droit
de péage hollandais sur l’Escaut. Surtout, en représentant son pays à la conférence de Berlin,
il aidera Léopold II à créer l’Etat indépendant du Congo
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Vers la Conférence de Berlin et l’Etat indépendant du Congo :
-la Conférence géographique internationale de Bruxelles, 12/14 septembre 1876
Due à l’influence de Banning, cette conférence réunit des explorateurs célèbres ( Nachtigal,
Rohlfs, Cameron), des géographes, ainsi que des officiers de 7 pays différents. Présidée par
Léopold II, la conférence prévoit l’établissement de postes hospitaliers et scientifiques, la
détermination du territoire « explorable », et la création d’un Comité international
coordonnant des comités nationaux. Elle décide en outre la fondation d’une association
internationale africaine.
-l’Association internationale Africaine (l’A.I.A.), 1876
Destinée à étudier le centre de l’Afrique et à préparer la lutte contre la traite des Noirs, elle
servira à Léopold II de couverture ou d’alibi pour contrôler le Congo. Des comités nationaux
sont institués en Belgique (sous la présidence du frère du roi), en Angleterre, en France (sous
la présidence de Ferdinand de Lesseps), en Allemagne, en Hongrie, en Autriche, en Suisse
( ?), en Italie, en Espagne, en Russie, aux USA. Ephémère et peu efficace, l’A.I.A. disparaît
vers 1880…C’est à cette époque que le drapeau bleu avec l’étoile d’or est adopté, Stanley
affirmant que c’était l’emblème de l’ancien Etat du Congo.
Stanley, « débauché » puis « embauché » par Léopold II, 1878
Déçu, comme d’autres explorateurs britanniques, par l’indifférence du gouvernement anglais
vis-à-vis de ses expéditions, Stanley se résout finalement à accepter les offres de service du
souverain belge qui l’avait contacté à Marseille dès 1877. L’entremise de Henry Sanford,
ancien représentant des USA à Bruxelles, est alors efficace. En 1878, le « découvreur » de
Livingstone explique, à Bruxelles, son programme : un chemin de fer le long de la partie non
navigable du Congo, et des stations avec bateaux sur la partie navigable.
-le Comité d’études du Haut-Congo 1878
Ces projets nécessitent des fond importants, internationaux et belges (la banque Lambert), et
royaux de Léopold II… D’où la création de ce Comité d’études aux buts ambitieux,
philanthropiques, scientifiques, économiques, antiesclavagistes, mais apolitiques, dit-on. : des
communications entre Haut et Bas Congo, des relations commerciales, le défraiement des
investisseurs… D’où également le départ de Stanley vers Zanzibar pour une expédition qui,
de 1879 à 1882, l’amènera à créer Léopoldville, face à Brazzaville et aux ambitions
françaises, et portugaises sur les bouches du Congo.
Objectifs politiques quand même : obtenir des concessions de territoires des chefs locaux,
emplois de subalternes africains « libres », confédération d’Etats « nègres » aux ordres d’un
président choisi par Léopold II, ce que refuse Stanley.
Le Comité devient caduc, suite au manque de subsides internationaux, coïncidant avec
l’autoritarisme du roi des Belges, seul sponsor d’une entreprise de plus en plus politique.
-l’Association internationale du Congo 1882 (l’A.I.C.)
La mainmise du souverain, la concession aux Français de stations sur le Congo, en échange
d’un droit de passage, aboutissent à la création, sous l’égide personnelle de Léopold II, à la
fondation de l’A.I.C. Reparti en Afrique, Stanley traite avec 400 chefs locaux, et, respectant la
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volonté royale d’obtenir les droits de souveraineté sur tout le territoire du fleuve, il devance
les Français dans la vallée du Kwilu.
En fait, l’A.I.C. n’est qu’un subterfuge juridique, face aux antagonismes français et portugais,
afin de justifier la confédération des tribus le long du fleuve…sous l’autorité personnelle du
roi des Belges. Jouant habilement sur l’échiquier des grandes puissances, Léopold II obtient la
reconnaissance de l’A.I.C. par les USA et par l’Allemagne, en utilisant la rivalité francoanglaise en Afrique, et en faisant miroiter à Bismarck la liberté de commerce pour les
nationaux allemands, alors que l’A.I.C. détient le monopole de ce commerce.
La conférence de Berlin (novembre 1884 – février 1885)
Léopold II souverain « personnel » de l’Etat indépendant du Congo
Rq : il ne faut pas confondre cette conférence .avec le Congrès de Berlin (juin – juillet 1878).
Ce Congrès, réuni à la demande de l’Angleterre et de l’Autriche-Hongrie, comprenait aussi
les délégués allemands, russes, italiens, turcs et français. Il s’agissait alors de démembrer
l’Empire turc ottoman en Europe. C’est alors que Bismarck, le « chancelier de fer » allemand,
doit se résigner à l’échec de sa politique visant à réaliser « l’entente des Trois Empereurs »
respectivement souverains de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie et de la Russie.
Les participants à la conférence de Berlin
Les gouvernements de 14 pays y ont envoyé leurs délégués : les gouvernements allemand,
austro-hongrois, belge, danois, espagnol, américain (USA), français, britannique, italien,
hollandais, portugais, russe, suédois et turc. Le fait qu’elle se réunisse dans la capitale du
IIème Reich allemand montre la place primordiale de l’Allemagne impériale, gouvernée par
Bismarck…Celui-ci tente aussi, en ménageant la France amputée de l’Alasce-Lorraine, de se
réconcilier avec celle-ci, en lui accordant des « facilités coloniales ». La Belgique est
représentée par le baron Lambermont, et par Léopold II, mais officiellement, l’A.I.C. ne
participe pas aux débats.
Stipulations de la conférence
« L’acte général » (23 février 1885) reconnaît la liberté de navigation sur le Niger et sur le
Congo, ainsi que la liberté de commerce dans le bassin du Congo, mais les frontières entre
possessions en Afrique n’ont pas d’existence officielle !
Une puissance européenne établie sur une côte africaine pourra agrandir son implantation
dans l’arrière-pays jusqu’au moment où elle touchera à une autre zone d’implantation
installée par une autre puissance européenne. Cette autorisation sera subordonnée, non
seulement à une occupation réelle du terrain , mais aussi à une notification immédiate aux
autres pays colonisateurs des traités conclus avec les peuples locaux ou leurs chefs :
occupation, annexion, colonisation et partage.
Ambitions, collaborations et oppositions nationales européennes
L’A.I.C., « inexistante » diplomatiquement reçoit l’appui de l’Angleterre (face aux entreprises
françaises) et de l’Allemagne (qui nourrit des ambitions commerciales et …aussi coloniales
en Afrique)…Par contre, l’A.I.C. est en butte à l’hostilité française (rivalité sur le Congo) et
portugaise (le problème des bouches du Congo et des enclaves portugaises)…
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Négociations sur quatre points :
-la liberté de commerce : la « libre concurrence « internationale.
-l’Acte de navigation du Congo : la volonté royale belge de réserver à la puissance
possédant le plus grand territoire le long du Congo le droit de construire le chemin de fer,
même au-delà des frontières… Seuls les Belges y avaient intérêt.
-la neutralité : Banning convainc les participants à la conférence d’accepter le droit des Etats
ou colonies à établir dans le bassin du Congo, de se déclarer neutres (5)
-la reconnaissance internationale : Les représentants de la Belgique parviennent à
convaincre les autres pays participants à reconnaître l’A.I.C . Léopold II devient souverain à
titre personnel – et non comme roi des Belges - de l’Etat indépendant du Congo.
La signature de l’Acte final de Berlin date du 26 février 1885.
Conclusion : quelques brèves réflexions pour une autre histoire
- Le Congo, un héritage discutable et discuté par et pour la Belgique : Souverain de l’Etat
indépendant du Congo, Léopold II publie en 1889 le testament qui cède le Congo à la
Belgique. C’est seulement en 1908 que la « loi de reprise » sera votée par les parlementaires
belges (par 83 voix contre 54, 9 abstentions, à la Chambre et par 53 voix contre 24 au Sénat,
11 abstentions).
- A la fin du 19ème siècle, la partage du gâteau africain est terminé. Seule l’Abyssinie est
indépendante, et le Liberia aura un statut particulier
- Les rivalités coloniales et stratégiques auront un impact certain sur les crises et les
alliances internationales avant 1914, et donc sur certaines causes de la Première Guerre
mondiale : crise franco-anglaise de Fachoda dans le Haut Nil en 1898, incident francoallemand d’Agadir au Maroc en 1911, rivalités franco-anglo-italiennes dans la corne de
l’Afrique, etc… La création de la Triple Entente entre la France, l’Angleterre et la Russie en
1907, et celle de la Triple Alliance entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie en 1882,
ne sont pas étrangères aux problèmes coloniaux
-Impérialisme, colonisation et décolonisation : les premières à être consultées auraient du
être les populations locales… On sait ce qu’il advint. Toute colonisation entraîne une
décolonisation, celle de l’Afrique et de l’Asie sera longue et sanglante, après 1945, alors que
les nations d’Amérique Latine s’étaient, pour la plupart, libérées de leurs colonisateurs
européens au 19ème siècle.
Notes
(1) Signalons la présence d’autres colons européens dans cette région correspondant au
Ghana ; il y aura ainsi une Côte de l’Or danoise, hollandaise et prussienne… En 1871, les
diverses Côtes de l’Or seront réunies sous l’autorité anglaise.
(2) HOBSON J A., Imperialism, a study 1902.
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(3) Jules Ferry (1832-1893) fut Ministre de l’Instruction publique et président du Conseil des
ministres de la IIIème République…Son nom reste attaché à l’école publique, laïque, et
gratuite en France… Il inaugure aussi la grande politique coloniale française.
(4) En 1722, Charles VI, souverain des Pays-bas autrichiens (la Belgique et le Luxembourg
actuels, sauf la principauté de Liège), avait créé la Compagnie d’Ostende afin de monopoliser
le commerce vers l’Afrique et les Indes. Des comptoirs avaient été installés sur les côtes
indiennes. Mais, en 1727, Charles VI devra supprimer cette Compagnie pour satisfaire les
exigences de l’Angleterre et de la Hollande qui faisaient de cette suppression une condition
incontournable de reconnaissance de la « Pragmatique Sanction », qui réglait la succession de
Charles VI au profit de sa fille Marie-Thérèse.
(5) L’empire turc ottoman ne ratifiera l’Acte de Berlin qu’en décembre 1885, car ses
représentants étaient embarrassés par le fait que les esclavagistes arabes sont, comme les
Turcs, musulmans.
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