Résumé détaillé de la thèse Le panafricanisme contemporain : Dynamiques émancipatrices dans les diasporas noires aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne (1966-2014) Cheikh NGUIRANE DIRECTEURS DE THÈSE Mme le Professeur Susan FINDING et M. le Professeur André MAGORD MEMBRES DU JURY Mme Susan FINDING Professeur à l’Université de Poitiers M. André MAGORD Professeur à l’Université de Poitiers Mme Françoise LE JEUNE Professeur à l’Université de Nantes Mme. Marie-Jeanne ROSSIGNOL Professeur à l’Université Paris Diderot Mme Sarah FILA-BAKABADIO Maitre de Conférences à l’Université de Cergy-Pontoise M. Berny SEBE Senior Lecturer, University of Birmingham Thèse préparée au Laboratoire MIMMOC (EA 3812), Université de Poitiers, Maison des Sciences de l’Homme et de la Société, 5 rue Théodore Lefebvre, 86 079 Poitiers Cedex 9 1 Résumé détaillé de la thèse Le panafricanisme loin d’être un ensemble uniforme de théories et de pratiques, est un mouvement « très complexe dès son origine » et « multiple, aussi bien dans ses argumentaires, dans ses pôles géographiques que dans ses options politiques et ses partisans1». Son histoire laisse apparaitre plusieurs phases. L’idée panafricaine a émergé en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle, d’abord dans le cadre d’un débat opposant intégrationnistes et émigrationnistes et ensuite face au triomphe du « racisme scientifique » qui s’appuyait sur les écrits de théoriciens de l’anthropologie physique. Cependant, l’idée d’une solidarité internationale des peuples noirs aux fins de s’émanciper de toutes formes de domination coloniale remonte véritablement en 1900 avec la conférence de Londres. Au cours de cette phase, le panafricanisme apparaît comme une idéologie de lutte contre les puissances coloniales et impérialistes. Au sortir de la Première Guerre Mondiale, précisément de 1919 à 1945, se succèdent cinq congrès panafricains sous l’initiative de William E. B. Du Bois. Durant cette période triomphait également le panafricanisme de Marcus Garvey qui reposait sur des considérations essentiellement raciales. Une dernière phase s’ouvre de 1945 à 1966. Ce fut le temps du panafricanisme continental autour de Kwame Nkrumah. Cependant, après l’éviction de Kwame Nkrumah en 1966, on assiste à une orientation du panafricanisme vers de nouvelles perspectives moins territoriales et plus identitaires, à un glissement vers les États-Unis d’abord, puis vers des pays comme le Canada et la GrandeBretagne. Le mouvement était mobilisé dans une action politique globale moins concertée, un mouvement étalé sur deux continents où la supposée solidarité entre les peuples noirs devait composer avec des réalités différentes. Cette mouvance panafricaine prônait le retour aux sources africaines, mais aussi lançait un appel à réexaminer les bases de la vision eurocentriste du monde et à restaurer l’image du rôle des peuples noirs dans l’histoire mondiale. Il se manifeste alors par un nouveau souffle du nationalisme noir, que ses chantres nommaient désormais « Black Power » plutôt que panafricanisme. Stokely Carmichael se Elikia M’Bokolo, « George Padmore, Kwamé Nkrumah, Cyril L. James et l’idéologie de la lutte panafricaine », Congrès du CODESRIA, Accra, 17-19 septembre, 2003, p.6. 1 2 trouvait à l’avant garde de ce nouveau mouvement panafricain international d’autodétermination et d’affirmation de l’identité africaine. Si Carmichael se revendique de l’œuvre des pères fondateurs du panafricanisme, il s’éloigne toutefois légèrement de leur stratégie jugée passive en s’enfermant dans une attitude défensive voire séparatiste. Son appel à l’émancipation avait gagné une grande partie du monde noir en quête d’un changement immédiat. L’idéologie panafricaine s’était alors retrouvée sous une forme plus ou moins élaborée à travers des mouvements noirs ayant émergé à partir du milieu des années 1960. C’est cette transformation du champ de la cause panafricaine qui a débuté en 1966 qui a constitué notre hypothèse de départ. Nous sommes partis de l’idée que le panafricanisme s’est orienté, à partir de cette période, vers de nouvelles perspectives essentiellement identitaires. Le panafricanisme étant un terme qu’on utilise fréquemment sans toujours préciser le caractère exact des phénomènes auxquels on l’applique, cette thèse s’est proposé de le repenser en étudiant des dynamiques émancipatrices à l’œuvre dans les diasporas noires aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne de 1966 à 2014. Il s’agit d’une réflexion à partir de l’histoire complexe du panafricanisme, nourrie par des recherches dans les pays respectifs entre 2013 et 2016. Pour cela, la démarche adoptée vise à déplacer l’angle d’observation en cherchant d’abord à identifier les mutations du panafricanisme et ensuite à montrer que le Black Power et ses suites sont redevable, en effet, d’héritages idéologiques et intellectuels qui remontent au XIXe siècle. Nous avons mené notre réflexion à partir de l’histoire du panafricanisme car se limiter uniquement à l’étude des mouvements politiques, culturels et intellectuels noirs ayant émergé à partir de 1966 présente quelques inconvénients : d’une part, cela nous expose à négliger la profondeur historique du sujet, et d’autre part cela ne permet pas d’apporter un éclairage sur les formes prises par le panafricanisme au cours des années 1960. Ainsi, le choix de 1966 s’est imposé pour deux raisons principales : tout d’abord, cette date marque un tournant important dans l’histoire du panafricanisme avec la chute de Kwame Nkrumah, ensuite elle correspond à l’année durant laquelle le mouvement Black Power a émergé aux États-Unis. Dans cette thèse, le panafricanisme est abordé dans une perspective qui n’est pas circonscrite aux cadres d’analyses classiques, à savoir les études qui l’abordent uniquement comme un mouvement politique qui vise à unifier l’Afrique ou à encourager un sentiment de solidarité entre les Africains et les afrodescendants. Le panafricanisme contemporain étudié 3 ici ne désigne pas le mouvement des congrès, ni le mouvement d’intégration continentale mais plutôt un ensemble de mouvements politiques, culturels et intellectuels qui ont enclenché, au fil des années, des formes de mobilisations aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne. Le terme mouvement fait ici référence à tout groupement ou organisation noire qui mène dans les pays respectifs des actions collectives en vue d’influencer le changement de l’ordre socio-politique. Au-delà de l’approche historique qui constitue l’arrière-plan de cette thèse, les trois contextes étudiés contribuent à la singularité de notre recherche, en ce sens qu’ils permettront de comprendre les différentes articulations du panafricanisme contemporain, et ainsi d’intégrer le Canada qui a toujours été exclu des études sur la question. Pour mener à bien cette étude, nous avons adopté une démarche qui s’articule autour de deux grands axes : l’un évolutif et l’autre croisé. Le premier axe nous a permis d’étudier d’abord les fondements historiques du panafricanisme et ensuite de s’interroger sur ses développements postérieurs, précisément de 1966 à 2014. Cette approche a aussi permis de démontrer comment cette évolution historique aura été à l’origine d’un panafricanisme contemporain. À travers l’axe croisé, nous avons relevé les différentes manières et les stratégies déployées par les divers mouvements noirs situés dans les contextes respectifs. L’intérêt de ce regard croisé sur les dynamiques émancipatrices dans les diasporas noires aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne se trouve dans les similitudes d’expériences historiques fondamentales et les positions sociales dans leurs États-nations respectifs. Cette thèse s’est construite à partir d’un corpus documentaire qui comprend majoritairement des sources écrites (ouvrages, articles, rapports) et des références webographiques. Notre recherche a d’abord été orientée vers une lecture des travaux axés principalement sur les questions liées aux diasporas noires, au panafricanisme tant dans le contexte nord-americain qu’européen. D’autres sources sur lesquelles repose cette thèse comprennent des ouvrages et articles sur le multiculturalisme, l’afrocentrisme et les théories critiques de la « race », du racisme, et les recherches touchant la question de l’éducation des enfants noirs. Enfin, la thèse s’est nourrie de recherches de terrain effectuées au Canada (2013 et 2015), aux États-Unis (2013) et en Grande-Bretagne (2016). Il s’agissait d’observer et d’interroger quelques activistes dans les contextes respectifs, et des universitaires travaillant sur des questions liées à notre problématique. 4 Plan de la thèse La première partie est constituée de deux chapitres. Le premier chapitre porte sur la formation des diasporas noires, processus qui précède la naissance du panafricanisme, et qui intervient encore dans leurs mobilisations collectives. L’accent est mis sur la migration forcée ainsi que sur les mouvements migratoires contemporains depuis les Caraïbes vers les ÉtatsUnis, le Canada et la Grande-Bretagne qui ont contribué à la formation d’une « deuxième strate de la diaspora2 ». Le second chapitre de la première partie est donc organisé selon une trame chronologique qui nous permet de suivre la trajectoire historique du panafricanisme, et de démontrer que, au fil du temps, ce mouvement a pris d’autres formes. C’est en référence à ces événements fondateurs qu’il nous sera possible de comprendre les formes que prendront par la suite les mouvements contemporains d’inspiration panafricaine. La deuxième partie se compose de deux chapitres. Le premier chapitre porte sur la nouvelle dynamique panafricaine à l’œuvre à partir de 1966. Cette période est caractérisée par l’émergence du Black Power qui marque un décentrement de l’action revendicative classique – celle promue par les mouvements des droits civiques – vers de nouveaux enjeux comme la contestation des inégalités raciales. Sont également exposées dans ce chapitre l’appropriation de l’idéologie du Black Power et ses articulations sur les plans politique, culturelle et intellectuelle au sein diasporas noires à l’étude. Le second chapitre de cette partie revient sur les politiques publiques de reconnaissances, les mesures compensatoires ou antidiscriminatoires mises en œuvre dans les pays respectifs au cours des décennies 1960-1970 – des décennies marquées par l’apparition, dans les champs politiques américain, canadien et britannique, de nouveaux concepts tels que la discrimination positive ou le multiculturalisme, et des lois sur les relations raciales. Ce chapitre expose enfin les bouleversements politiques du début des années 1980 – la politique d’indifférence à la couleur de l’administration Ronald Reagan, l’impasse des politiques du multiculturalisme canadien, la croisade contre l’Étatprovidence entreprise sous le gouvernement Margaret Thatcher – qui eurent des conséquences sur les politiques d’intégration. La troisième et dernière partie porte successivement sur le tournant paradigmatique des années 1980-1990 et sur l’éducation comme espace de mobilisation et de contestation. 2 Christine Chivallon, La diaspora noire des Amériques : Expériences et théories à partir de la Caraïbe, Paris, Editions du CNRS, 2004, p.95. 5 Dans le premier chapitre, nous avons tour à tour abordé l’émergence de l’afrocentrisme, l’avènement des théories critiques de la « race » et de la « Blanchitude », et enfin la révolution des Cultural Studies. Les dynamiques émancipatrices enclenchées par les divers mouvements noirs à partir de la fin des années 1980, et qui occupent une place importante dans cette thèse, s’articulent essentiellement dans le domaine de l’éducation. Vers la fin des années 1980, les diasporas noires respectives se sont engagées d’abord dans une entreprise de déconstruction des dynamiques néocoloniales qui façonnaient les programmes scolaires ensuite dans le développement de projet éducatifs distincts. Les diasporas noires en question mettent aussi la pression sur leurs États-nations respectifs afin de les pousser à enclencher de réformes profondes par lesquelles, ils renforceront, en retour, leur position au sein de leurs sociétés respectives. Résultats Après avoir exposé l’histoire de la formation des diasporas aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne, processus qui précède la naissance du panafricanisme, nous avons démontré dans la première partie de la thèse que l’analyse historique du panafricanisme s’organise autour de différentes phases marquées par des continuités et des ruptures. Au regard de l’histoire, le panafricanisme varie entre un concept philosophique né avec les mouvements émigrationnistes de la seconde moitié du XVIIIe siècle, un mouvement sociopolitique développé par des afrodescendants à partir de la fin du XIXe siècle, ou une doctrine politique formulée par des nationalistes africains dans le cadre de la décolonisation. Après W. E. B. Du Bois et Kwame Nkrumah, le panafricanisme prit des directions toutes différentes de celles des phases antérieures dominées par les Congrès et tentatives d’unification des peuples noirs. Une nouvelle génération de militants et d’universitaires a émergé, au milieu des années 1960, laquelle affichait l’expression d’un désir d’appartenance et d’autonomie liée à une volonté d’intégration insatisfaite. Émerge alors une nouvelle dynamique identitaire panafricaine sceptique à toute idée d’intégration. En faisant le constat du manque de pouvoir économique et de la position inférieure des Noirs, Stokely Carmichael visait à son tour à stimuler un changement radical de l’ordre sociopolitique aux États-Unis. Il pensait que pour se libérer de la domination et bénéficier pleinement de leur émancipation, les peuples noirs devaient développer leur propre vision du monde par la création d’institutions séparées. La notion d’émancipation est donc 6 consubstantielle à la résistance du mouvement Black Power. Le mouvement avait pour finalité l’émancipation complète des peuples noirs dans le monde. Dès son émergence, on a assisté à une phase d’internationalisation de l’idéologie, à l’image du panafricanisme duboisien, et à son appropriation par bon nombre militants noirs au sein des diasporas noires respectives. Cependant, le mot d’ordre lancé par Carmichael traduisait une réalité différente puisque les mouvements nés de ce processus revêtaient des formes différentes, les uns s’exprimant dans un réformisme modéré, à savoir l’égalité entre Noirs et Blancs, les autres prônant un retour à la terre ancestrale, l’Afrique, par des pratiques culturelles. Au-delà de ses visées séparatistes, se posait le problème concret de la conquête du pouvoir politique et économique. Le défi majeur qui se posait au mouvement initial, résumé par le mot d’ordre Black Power, était d’affranchir les peuples noirs de leur dépendance vis à vis du pouvoir blanc, d’accroître leur pouvoir indépendamment des politiques nationales. Malgré la forte prise de conscience stimulée par le Black Power dans les contextes respectifs, il n’avait pas suscité une agitation à grande échelle, mais plutôt l’émergence de mouvements noirs locaux liés aux contextes respectifs. Il avait inspiré des intellectuels, des artistes, des activistes, et des mouvements d’étudiants dans les pays respectifs. Des formes d’expressions culturelles avaient émergé dans les divers contextes à travers la fondation d’institutions indépendantes (des maisons d’éditions, des écoles, des théâtres). Plus que politique, la résonance de cette nouvelle mouvance panafricaine dans les diasporas noires respectives a été essentiellement culturelle. La plupart des mouvements que nous avons évoqués dans les contextes du Canada, particulièrement à Halifax et à Toronto, et de la Grande-Bretagne ont essayé de développer une forme moins radicale de militantisme en privilégiant des activités communautaires et des projets culturels et éducatifs. Aux États-Unis, des universitaires et étudiants noirs s’approprièrent le mot d’ordre Black Power pour exiger une réforme profonde de l’université américaine pour que celle-ci réponde à leurs besoins académiques, sociaux et culturels. Les différentes factions réunies autour du Black Power adoptaient alors des positions idéologiques opposées quant à l’orientation du mouvement de libération noir. Le fossé idéologique qui existait entre les nationalistes politiques et les nationalistes culturels et les universitaires noirs n’avait pas permis son ancrage en tant que projet politique panafricain. 7 Les politiques de reconnaissance et de promotion de la diversité, enclenchées parallèlement dans les décennies 1960-1970 avaient aussi contribué à contenir les mouvements contestataires, et, par conséquent, tenir les militants radicaux à l’écart de tout pouvoir économique et politique. L’intervention croissante des gouvernements respectifs, à travers la politique du multiculturalisme, avait généré des gains substantiels, particulièrement dans le domaine de l’éducation. Au cours de ces décennies, la question de l’échec scolaire dans les pays respectifs était perçue comme un problème social dans le cadre du modèle libéral, c’est à dire que l’on pensait pouvoir y remédier par le développement de programmes de promotion de la diversité culturelle. Cependant, la perspective d’une culture commune transmise par les établissements scolaires n’était pas sans difficultés. La conception libérale du multiculturalisme – qui exigeait la transformation à la fois des groupes dominants et des groupes historiquement subordonnés, notamment pour assurer une forme de réparation historique – fut largement remise en cause dans les pays respectifs. Au nom des valeurs de la société dominante, les conservateurs l’accusaient d’avoir encouragé les groupes minoritaires, dans notre cas les diasporas noires, à rester enfermés dans un univers culturel passéiste et indifférent aux valeurs considérées comme universelles. Ainsi, nous avons constaté que les acquis des années 1960-1970 furent menacés au tout début des années 1980 par des bouleversements politiques dans les pays respectifs : d’une part les politiques de laisser-faire, de neutralité à la couleur sous les gouvernements de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, et d’autre part les limites supposées des politiques du multiculturalisme canadien. Ce tournant politique des années 1980 avait entrainé des transformations profondes particulièrement dans le domaine éducatif qui touche de près la question identitaire, et semble avoir replacé la question raciale au cœur des débats intellectuels contemporains. La dernière partie de la thèse s’est essentiellement concentrée sur les courants intellectuels contemporains ayant émergé à partir du début des années 1980 et l’assaut lancé par différents mouvements noirs aux systèmes éducatifs de leurs pays respectifs. Les courants intellectuels – l’afrocentrisme, les théories critiques de la « race » et de la « Blanchitude », la révolution des Cultural Studies – proposent une relecture de la société postmoderne en rapport avec la situation des diasporas noires. Ces théories impliquent la critique des politiques 8 libérales et néoconservatrices, de la domination, de l’eurocentrisme, proposent une relecture de la source des inégalités et des formes contemporaines du racisme (plus subtiles). Même si ces théories – hormis l’afrocentrisme – ne sont pas directement liées à l’idéologie du panafricanisme, elles ont toutes cherché à interpréter les processus de domination voire à proposer une démarche à visée émancipatrice. Un examen des diverses critiques attire l’attention sur les formes contemporaines du racisme, l’eurocentrisme et l’échec des approches libérales et multiculturelles à remettre en cause la nature hégémonique des programmes classiques et de leur transmission comme source d’oppression. Ainsi, elles ont été mobilisées dans le domaine de l’éducation par les diasporas noires respectives dans différentes situations sociales. À partir de la fin des années 1980, des activistes, éducateurs et parents noirs déclenchent des revendications plus poussées sur le plan éducatif, cherchant principalement à développer ou à proposer un système alternatif d’apprentissage : l’affirmation des traditions, des histoires, des expériences et des visions des peuples africains. Cela s’est traduit, dans les différents contextes à l’étude, par des pratiques éducatives et des stratégies de représentations à visée émancipatrice. Les luttes menées par les mouvements noirs au cours de cette période sont orientées vers une démarche plus séparatiste qu’inclusive, puisqu’à leurs yeux les modèles multiculturel et antiraciste ont montré leurs limites. Les nouveaux mouvements noirs – composés d’universitaires, d’éducateurs et de parents – ayant émergé dans ce contexte comportent une forte dimension contestataire qu’on retrouvait dans le Black Power porté par Stokely Carmichael. Partant du constat que l’éducation multiculturelle ou antiraciste promue par les cercles libéraux a échoué, ils s’attaquent aux systèmes éducatifs, au curricula jugés « eurocentristes », et au-delà, revendiquent ou fondent des institutions alternatives qui exerceraient leurs activités en marge des systèmes éducatifs nationaux. Les revendications des diasporas noires dans le domaine éducatif ne portent plus seulement sur l’introduction quelques personnages historiques ou sur des récits jugés exotiques mais sur la décolonisation des savoirs au fondement des programmes. Si ce type de militantisme débouche le plus souvent sur des réformes curriculaires, il se traduit aussi par une volonté de rompre avec les institutions dominantes supposées être hiérarchiques et inégalitaires. 9 Aux États-Unis, les revendications pour l’introduction de l’histoire et culture africaine et afro-américaine dans les programmes scolaires des écoles publiques sont de plus en plus abandonnées au profit de la création d’écoles monoculturelles dont les fondements culturels, principes directeurs, et approches pédagogiques sont basés sur les postulats de l’afrocentrisme. Au Canada et en Grande-Bretagne, les parents et éducateurs noirs militent plus pour une profonde réforme curriculaire – qui fait place à l’histoire et à la culture des peuples noirs. C’est, en fait, la volonté de pallier au décrochage scolaire et de renforcer le sentiment de fierté des élèves noirs qui sont à la base de leurs revendications éducatives. La tradition des écoles séparées inaugurée aux États-Unis commence toutefois à prendre forme dans ces deux pays depuis ces dernières décennies. Enfin, les valeurs accordées à l’unité, à la fierté associée à l’appartenance « raciale », à une culture noire spécifique sont partagées par tous les mouvements que nous avons cités en exemple. La question du décentrement constitue le noyau de leurs revendications qui, sont basées sur l’appropriation du passé et la fierté identitaire. La plupart des mouvements engagés dans ce cadre ont décidé de revenir aux fondamentaux de l’histoire et de la culture africaine. Ils puisent dans leurs références historiques et culturelles des éléments de justification de pratiques éducatives qui, en effet, ont une visée émancipatrice. En s’appuyant principalement sur l’histoire du panafricanisme et des diasporas noires, il nous est ainsi apparu possible de nuancer l’approche classique du panafricanisme en s’interrogeant sur ses formes contemporaines. L’étude du panafricanisme implique, en effet, une plus grande prise en compte des dimensions politiques, culturelles et intellectuelles. Dans ce cadre, il est possible de parler de panafricanisme contemporain pour désigner une pléthore de mouvements récents qui, en effet, intègrent les idéologies panafricanistes et racialistes élaborées depuis la fin du XIXe siècle. Bien que les mouvements étudiés se soient adressés à des forces sociales différentes et aient défendu des stratégies différentes pour contester l’ordre établi, tous reflétaient l’évolution de ce processus de lutte inauguré depuis cette période. 10