Les quatre facettes de l`économie

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PROSPECTIVE | COMITE DE VEILLE | NOTE D’ANALYSE
Les quatre facettes de l’économie
aurait permis l’expansion très rapide de
l’économie.
L’internationalisation des échanges a boosté
l’économie mondiale, ce qui a permis aux pays
émergents de devenir des acteurs économiques
à part entière et à des continents entiers d’entrer
dans des ères de croissance économique. Mais
l’interdépendance constatée des économies a
conduit à amplifier la diffusion des crises (cf.
celle des subprimes de 2008) et à fragiliser les
pays « vieillissants » comme ceux de l’Europe.
La prise de conscience des limites de la planète
à faire vivre une population de 9 milliards
entraîne avec elle une réflexion sur les
problématiques écologiques.
Auteur : Christian Lemaignan
La crise économique actuelle serait une crise de
transition, le passage d’un modèle de croissance
forte à un autre modèle de développement à la
croissance incertaine. Peut-on en qualifier les
contours ? Nous pensons que plusieurs
directions se dégagent qui semblent plutôt
devoir à l’avenir coexister entre elles plus que
de s’affronter. Nous en déduirons les possibles
conséquences sur le travail et les associations.
Rappels historiques
Les évolutions récentes de nos sociétés ont
produit des transformations profondes. La
majorité des gens vit désormais en milieu
urbain ou péri-urbain et a une occupation
professionnelle dans le cadre d’une division du
travail très segmentée. Une minorité peut
produire l’alimentation nécessaire à l’ensemble
de la population. On se déplace beaucoup, en
voiture, en avion, en transports en commun,
pour des raisons professionnelles ou de loisirs.
Le système éducatif est développé ; on passe
aisément une vingtaine d’années de sa vie en
formation. La promotion des règles d’hygiène et
le développement de la médecine moderne ont
entraîné une importante réduction de la
mortalité, notamment infantile, et l’espérance
de vie à la naissance s’est fortement allongée.
De fait, la fécondité s’est réduite, permettant
aux femmes d’accéder au travail rémunéré et
entraînant du même coup une redéfinition des
rapports homme/femme.
Apparaît donc aujourd’hui l’idée qu’à côté de la
révolution numérique en cours, une troisième
révolution ou transition, « verte » pour
l’occasion, commencerait maintenant et devrait
permettre au minimum la stabilisation du PIB
voire sa progression, rendant le fonctionnement
de la société soutenable d’un point de vue
écologique. Sur ce terrain s’affrontent les
tenants de la décroissance et ceux d’une
croissance renouvelée.
Dans ce contexte, une réflexion portant sur la
transition économique est pertinente car elle
permet de dépasser le concept même de
croissance économique qui, en se focalisant sur
la seconde phase de la révolution industrielle
ne permet pas de comprendre la phase dans
laquelle nous entrons. Nos analyses de la
littérature économique nous permettent
d’essayer de qualifier quatre facettes du
système économique en marche.
Cet état de nos sociétés serait selon les
approches classiques souvent retenues la
conséquence de ce qu’on a appelé les deux
premières révolutions industrielles :
- la première, celle du charbon et de la machine
à vapeur, aurait été celle de l’amorçage de cette
révolution industrielle, avec un PIB en
croissance lente ;
- la seconde à laquelle on associe l’électricité,
les hydrocarbures et le moteur à explosion,
L’économie de marché
dans le brouillard
La première facette est celle où l’économie
capitaliste se transforme par régulation
spontanée. Elle s’illustre par le discours des
grands patrons français sur leur stratégie
d’entreprise. Dans un entretien avec L’Usine
digitale, Jean-Paul Agon, PDG du groupe
l’Oréal, explique vouloir s’adapter à ce qu’il
1
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identifie comme étant les trois grandes
tendances de transformation du monde : la
globalisation,
la
digitalisation
et
la
1
responsabilisation .
adaptation de celui-ci. Partant du constat que
« la crise actuelle résulte de dérives
malheureuses, […] il suffit en quelque sorte de
« moraliser le capitalisme » pour faire repartir
la machine et retrouver un régime de
croissance » 3. Cette approche, si elle peut
prôner une transformation de nos systèmes,
n’en remet pas en cause les principes
fondamentaux, notamment la recherche d’une
croissance continue. Sa limite tient alors à ce
qu’elle ne « tient pas compte d’autres grands
bouleversements en cours », et reste aveugle
aux conséquences néfastes que ce modèle
dominant entraîne, en termes notamment de
croissance des inégalités.
Selon Christophe Jourdain, « avec la
globalisation, il s’agit d’aller chercher la
croissance là où elle est, de capter le ou les
milliards de consommateurs supplémentaires
issus de la classe moyenne émergente de Chine,
du Brésil, d’Indonésie ou d’ailleurs. L’enjeu
essentiel est de déployer sa marque, de la
rendre désirable sur d’immenses marchés où les
attentes et les motivations d’achats sont
souvent spécifiques. Un des leviers est alors
l’innovation « frugale » : le lancement de
nouveaux produits avec pour contrainte de
limiter au strict minimum le prix de vente
unitaire pour pouvoir s’adresser au plus grand
nombre. » 2
Ainsi que l’a rappelé l’ONG Oxfam 4, les richesses
dans le monde se concentrent de plus en plus
aux mains d'une petite élite fortunée. 1 % les
plus riches possède 48 % des richesses et parmi
les 99 % autres, 20 % d’entre eux capitalisent la
plus grosse partie des richesses restante. Il reste
5,5 % pour 80 % de la population (5,6
milliards). Thomas Piketty a indiqué que l’on se
retrouve dans la situation de 1920, alors
qu’après la crise de 1929, les inégalités avaient
baissé pour finalement augmenter à partir de
1980. Depuis cette date, le management
supérieur s’est aligné sur les actionnaires,
donnant à la finance un poids prépondérant
qu’elle n’avait pas auparavant.
La priorité des entreprises reste donc
l’optimisation de leur production, notamment
en limitant les gaspillages. Mais elles ne
remettent pas en cause, dans leur grande
majorité, leur modèle économique, qui repose
toujours sur la vente de biens neufs, dont la
durée de vie et la « réparabilité » sont limitées
afin de garantir leur renouvellement fréquent.
Par ailleurs, dans un contexte de croissance
économique molle dans les pays européens,
malgré
l’augmentation
des
dépenses
contraintes des individus, leur consommation
de biens neufs demeure une dimension
structurante des modes de vie en tant que
source de plaisir, de loisirs et de distinction. Le
renouvellement fréquent de biens neufs restent
la norme bien que de nouvelles pratiques de
consommation (y compris collaborative)
apparaissent, en réponse à l’évolution des
attentes, des contraintes et des valeurs.
Vers l’économie « verte »,
la transition écologique
La seconde facette est celle de la transition
« verte » ou écologique Elle est caractérisée par
la recherche d’une régulation de maintien.
Plusieurs écoles existent qui n’ont pas la même
démarche : l’écologie industrielle, l’écologie
culturelle, l’écologie urbaine, l’écologie rurale.
La dynamique ici n’est pas celle d’une remise en
cause du modèle dominant, mais plutôt d’une
« Jean-Paul Agon : "Google ne peut pas tuer L'Oréal,
au contraire !" », L’Usine digitale (entretien),
http://www.usine-digitale.fr/article/jean-paul-agongoogle-ne-peut-pas-tuer-l-oreal-au-contraire.N285733
2 Christophe Jourdain, « Quelle place pour le digital
parmi les grandes dynamiques de transformation ? »,
https://siecledigital.fr/2014/11/27/quelle-place-pour-ledigital-parmi-les-grandes-dynamiques-detransformation/
1
Jean Chamel, « Et si la croissance ne revenait pas ? »,
http://www.pauljorion.com/blog/2010/02/23/et-si-lacroissance-ne-revenait-pas-par-jean-chamel/
4 « Insatiable richesse : toujours plus pour ceux qui ont
déjà tout », rapport thématique d’Oxfam, 2015
3
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L’économie
de la connaissance
La nouveauté de ce modèle est l’abolition de la
frontière entre travail et temps libre,
production, duplication et consommation. Dans
ces conditions, l’entreprise de demain doit faire
l’objet de nouvelles formes d’organisation. Pour
répondre aux nouvelles attentes des individus
notamment en termes de conciliation entre vie
privée et vie professionnelle, contrer les cas de
souffrance au travail, et sortir du « brouillard »
dans lequel, selon les mots de François Dupuy 7,
ils se trouvent, les managers sont sommés de
penser des nouvelles formes de relations entre
employeurs et salariés. Plusieurs pistes existent
à ce niveau, et sans aller jusqu’à la disparition
du contrat de travail – que certains envisagent
– on observe un dépassement des limites de
l’espace physique de l’entreprise, rendu possible
par le numérique, avec le développement du
télétravail et l’émergence de tiers-lieux, espaces
dédiés au « coworking ».
La troisième facette est liée à ce que d’aucuns
appellent l’économie de la connaissance ou le
capitalisme cognitif, très fortement liée au
développement du numérique.
Christophe Jourdain souligne que « le digital
pousse les entreprises à revoir l’intégralité de
leur chaîne de valeur. Il fait émerger de
nouveaux marchés, de nouveaux acteurs, de
nouveaux business modèles et redistribue
complètement les cartes dans certains secteurs.
De façon transverse, c’est un moyen pour les
entreprises d’accroître leur efficacité à tous les
niveaux – dans l’innovation, la production, la
distribution, la vente, etc. –, de développer leur
dimension de service et de déployer avec les
consommateurs une relation beaucoup plus
proche : en contact continu, sans intermédiaire,
personnalisée. » 5
Apparition de
l’économie collaborative
Pour Gilles Babinet, évoquant le rôle croissant
du big data dans les années à venir, il est à peu
près certain que « cette forme d'intelligence
artificielle va entraîner une nouvelle révolution
industrielle qui fera passer l'humanité à une
nouvelle ère » 6. Va-t-on alors vers une
disparition du travail ? Telle est l’inquiétude
actuelle concomitante avec la croissance molle
de l’Europe et le fort chômage de certains de ses
pays dont la France. Les études disponibles
aujourd’hui sont contradictoires. Même Jeremy
Rifkin qui avait supputé « La fin du travail » dès
1999 est revenu sur cette idée prospective.
Cependant on sait d’ores et déjà que tous les
métiers et tous les secteurs vont être touchés
par la robotisation. Avec quelle force ? Dans
quels délais ? Certains y pressentent la
disparition du travail et prônent d’ouvrir une
réflexion sur un nouveau modèle de fiscalité et
de redistribution avec, par exemple, un revenu
de base assuré à chacun.
Christophe Jourdain, art. cit.
Gilles Babinet. «Un monde numérique invisible, très
puissant, est en train de naître», Le Télégramme
http://www.letelegramme.fr/bretagne/gilles-babinetun-monde-numerique-invisible-tres-puissant-est-entrain-de-naitre-28-03-201510574022.php#q4ii8o92XbCC01Jb.99
La quatrième facette est celle de l’économie
collaborative, laquelle se signale et se renforce
autour de trois grandes tendances : les
nouvelles formes d’organisation du travail au
sein des entreprises ; le développement de
nouvelles formes d’organisation de l’économie
et de la société qu’entraîne avec elle la
révolution digitale ; la multiplication des
logiques de pair à pair.
Le co-working est aujourd’hui un phénomène en
extension, qui consiste en la création de lieux de
travail collaboratifs où peuvent se regrouper
les travailleurs indépendants, lesquels se sont
ouverts également aux salariés en déplacement
ou nomades, en vue par exemple les
déplacements entre domicile et lieux de travail.
Avec le développement du télétravail et le
coworking, Fanny Bachelet souligne le fait que
« l’entreprise voit son espace spatio-temporel
traditionnel disparaître progressivement » 8.
5
6
François Dupuy « Les managers sont dans le
brouillard », L’Echo,
http://www.lecho.be/agora/general/Les_managers_so
nt_dans_le_brouillard.9590028-7775.art?ckc=1
8 Fanny Bachelet, « Et si finalement les DRH se
trompaient de combat », Les Echos
7
3
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Pour Pierre-Yves Gomez, « ces nouvelles formes
d’organisation bouleversent la gouvernance des
entreprises »9. En effet, télétravail et co-working
soulignent la volonté d’une meilleure prise en
compte des besoins des salariés, pour leur
permettre un plus grand épanouissement au
travail – et par conséquent une meilleure
productivité. La gouvernance ne peut alors se
limiter aux seules attentes des détenteurs de
capitaux : « Nous entrons dans l’ère du
management du travail réel, qui mise sur les
compétences spécifiques, les savoir-faire
autonomes et les ̎tours de main̎ des
employés, plutôt que sur les normes générales
prescrites par la hiérarchie. » 10
compétences, sans s’inscrire dans des cadres
traditionnels. La question étant alors soulevée
de savoir si ce modèle conduit à une nouvelle
révolution industrielle. Il se caractérise en tous
les cas par « [l’émergence d’]une nouvelle façon
d’agir, d’entreprendre et de consommer, qui
rejoint (et doit certainement le faire plus encore)
la logique du partage et de l’accessibilité à tous
de l’économie collaborative et inclusive » 12.
Les pratiques collaboratives s’appuient sur des
logiques de mises en relation. Comme le
souligne Monique Dagnaud, « plus de 7 500
plateformes de par le monde organisent ces
mises en relation, favorisant des externalités
environnementales et sociales : co-voiturage,
logement chez l’habitant, échanges de
service… » 13. Tous ces nouveaux acteurs
soulèvent
des
questions
importantes,
notamment quant à la mesure et à la
répartition de la valeur qu’ils produisent,
faisant de leur régulation un sujet d’actualité
parlementaire.
Le management du travail conduit à une plus
grande fluidité dans les organisations,
lesquelles vont davantage se structurer autour
de projets et de réseaux créatifs qu’en fonction
de la hiérarchie. L’enjeu est bien de créer de
l’engagement des salariés dans un contexte
d’incertitude, en leur donnant un droit à
l’initiative, ce que signale le récent phénomène
des
« intrapreneurs
sociaux »,
lesquels
inventent des activités nouvelles au sein de leur
entreprise pour « transformer "de l'intérieur" les
comportements et les métiers de l'entreprise
vers une meilleure prise en compte de son
impact social ou environnemental » 11.
Il importe au demeurant de distinguer les
acteurs type Uber ou Airbnb, qui se contentent
de capter la valeur produite par les usagers
sans investir dans les outils de production, et les
véritables dynamiques de pairs à pairs, qui
fonctionnent sur la mise en commun, la
création collective de valeurs et le partage des
ressources, tels Wikipedia ou Linux.
La révolution digitale entraîne donc avec elle
des nouveaux rapports au travail, mais plus
largement encore, elle conduit à de nouvelles
formes d’organisation de l’économie et de la
société.
Pour les associations, cette tendance vers la
production collaborative invite à réfléchir sur la
nécessité de développer des gouvernances plus
souples, de manière à ce que chaque bénévole
puisse engager des coopérations et intégrer au
mieux ses compétences nouvelles qui ne sont
pas encore très courantes et faire cohabiter des
personnes qui ne vivent pas le même type de
management au travail. Cela les incite
également à réfléchir à la mise en place de
coopérations interassociatives, s’appuyant sur
d’authentiques dynamiques de pairs à pairs.
Chris Anderson évoque ainsi dans Makers. La
nouvelle révolution industrielle l’émergence
d’un nouveau modèle de production, porté par
les fab-labs, espace où le rassemblement
d’outils technologiques (imprimantes 3D,
découpeuses lasers…) et de plans en open
source, permettent à chacun de produire ses
objets. La production est ainsi le résultat de
rassemblements entre individus, qui mettent en
commun leurs connaissances, outils et
Pierre-Yves Gomez, « La gouvernance en mutation »,
Le Monde
10 Ibid.
11 « L’intrapreneur social, le mouton à cinq pattes du
monde de l’entreprise ? », L’Express
Octobre 2015
9
« Fabriquer son futur : les nouvelles tendances de
l’innovation numérique et sociale », L’Express
13 Monique Dagnaud, « Economie collaborative : un
programme politique pour la jeunesse rebelle ? », Telos
12
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