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De la fleur à la graine : une aventure
Aline Raynal-Roques, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle
Résumé
Les plantes à fleurs, l’ambiguïté
d’un succès
On sait que les plantes se reproduisent par voies
végétative et sexuelle. La multiplication végétative
donne une descendance nombreuse et efficace,
mais très homogène et à faible potentialité évolutive ; elle donne des clones.
La reproduction sexuée implique la fusion de deux
gamètes ; les caractères génétiques se trouvent
assemblés d’une manière originale : chaque graine
contient un individu-embryon unique ; chaque
embryon est génétiquement différent de tous les
autres. La diversité concerne toutes les potentialités, morphogénétiques, biologiques, écologiques et
surtout adaptatives.
rité des sexes, la disjonction spatiale, l’hétérostylie,
les divers modes d’auto-incompatibilité. Le mutualisme végétal-animal est apparu dès la première
grande diversification des plantes à fleurs, qui s’est
accompagnée d’une diversification concomitante
du monde des insectes.
Le succès des plantes à fleurs, indiscutable, est
fondé sur une ambiguïté qui date de leur apparition : elles sont hermaphrodites, et pourtant leur
diversité est une conséquence de l’allogamie. Elles
ont développé de multiples stratégies qui mènent
à l’allogamie, et donc favorisent l’évolution à long
terme ; mais la plupart des plantes à fleurs savent
toujours jouer de l’herma-phrodisme, qui mène à
l’autogamie, et donc au succès à court terme.
La coexistence de l’autogamie et de l’allogamie
serait-elle la clé du succès des plantes supérieures ?
Hermaphrodisme
L’apparition des plantes à fleurs (environ -200 Ma)
s’est accompagnée de celle de l’hermaphrodisme :
les sexes, mâle et femelle, sont juxtaposés dans
la même fleur, ou portés par le même individu.
Aujourd’hui, environ 96 % des espèces sont hermaphrodites, et plus de 90 % des espèces ont des
fleurs hermaphrodites.
La présence des deux sexes favoriserait-elle l’autogamie, c’est-à-dire la pollinisation d’une fleur par
son propre pollen ? Non : près de 90 % des espèces
pratiquent l’allogamie, même si la plupart d’entre
elles pourraient être autofécondes.
Autogamie et allogamie
- Autogamie : les gamètes mâles et femelles proviennent de la même plante ; en conséquence, la
diversité génétique sera faible.
- Allogamie : les gamètes mâles et femelles sont
issus d’individus génétiquement différents ; en
conséquence, la descendance sera très diversifiée ;
or la diversité élargit les possibilités d’adaptation,
donc d’évolution.
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Les plantes à fleurs hermaphrodites ont recours
à de multiples stratégies pour éviter l’autogamie,
telles que la disjonction chronologique de la matu-
Deux modes de reproduction
Les plantes peuvent se reproduire soit végétativement,
soit sexuellement ; elles assurent ainsi la survie de
l’espèce par une capacité d’adaptation accrue, par une
apparition de formes nouvelles mieux adaptées et par
une colonisation efficace de l’espace, donc de biotopes
nouveaux. Ces deux modes de reproduction sont-ils
complémentaires et contribuent-ils à assurer le succès
biologique de l’espèce ? Qu’est-ce que le succès biologique ? On peut proposer deux réponses.
Pour assurer le succès biologique de l’espèce,
il convient de :
1- produire une descendance viable, nombreuse et
variée, porteuse de potentialités d’adaptation/évolution ; la solution est la reproduction sexuée ;
2- produire une descendance viable et nombreuse,
semblable à l’individu initial, capable de coloniser des
espaces ; la solution est la multiplication végétative.
La multiplication végétative
Elle conduit à la production rapide d’une très nombreuse descendance, qui va coloniser efficacement l’espace ; la descendance va se diversifier en populations
clonales, homogènes, sans grandes capacités d’adaptation ; la multiplication végétative assure la survie de
l’espèce à relativement court terme. Qu’est-ce qu’un
clone ? C’est l’ensemble des individus qui ont le même
patrimoine génétique, son origine pouvant être naturelle ou horticole. Les stolons d’un individu de fraisier
sauvage (Fragaria vesca) produisent naturellement un
clone ; un groseillier bouturé produit aussi un clone.
Chacun sait qu’un verger planté de cerisiers du même
clone produira beaucoup de fleurs mais peu de fruits ;
en revanche, si l’on suspend, dans l’un de ces arbres, une
branche fleurie d’une autre variété, la récolte sera bonne !
La reproduction sexuée
Elle fait intervenir deux individus dotés de gènes différents mais compatibles ; elle donne une descendance
variée, dotée de capacités de résistance et d’adaptation
à des conditions diverses, voire nouvelles.
La diversité génétique favorise l’adaptation au changement. La diversification des espèces se traduit, en
termes d’évolution, comme une réponse à la pression
de l’environnement. La reproduction sexuée est le
moteur majeur de la capacité d’évolution ; les relations
réciproques avec les animaux y contribuent.
La reproduction implique une fécondation ; la sexualité en est le moteur. La fécondation est la fusion de
deux cellules sexuelles (gamètes) en une seule cellule
(œuf), qui se multipliera pour donner un individu nouveau, génétiquement original, unique.
La course à l’efficacité
Fondamentalement, l’épisode sexuel résulte de la
fusion de 2 gamètes à n chromosomes (haploïdes)
génétiquement différents, au terme de laquelle se
développe un individu à 2n chromosomes (diploïde).
Un tel mode de reproduction existe chez les algues
depuis plus de 1,2 milliard d’années…
À l’apparition des ancêtres des fougères, vers -400 Ma
(fin cambrien), les cellules sexuelles femelles sont
protégées par un tissu, même s’il est encore fragile ;
mais les spermatozoïdes, nageurs, doivent toujours se
déplacer dans l’eau. Chez les fougères, apparaîtront les
racines nourricières et les vaisseaux transporteurs de
sève, grâce auxquels les végétaux terrestres acquièrent
de grandes tailles : leur territoire devient alors tridimensionnel, ils conquièrent l’espace aérien, se libèrent
des contraintes de voisinage et accèdent à la lumière.
Au dévonien, avant -360 Ma, apparaît l’ovule, nouvelle
structure protectrice de la cellule sexuelle femelle :
la fine enveloppe du gamète femelle des fougères, l’archégone, est désormais intégrée dans un organe complexe. Les spermatozoïdes, encore nageurs et presque
libres chez le ginkgo, sont désormais de mieux en
mieux protégés dans des grains de pollen que le vent
transporte ; les anthères productrices de pollen sont à
l’écart des ovules. Chez ces plantes, la fécondation est
la simple fusion d’une cellule femelle et d’un sperma-
tozoïde ; l’œuf qui en résulte se développe en embryon
nourri par les tissus maternels (périsperme) que l’ovule
contient. Les ovules, après fécondation, deviennent des
graines abritant les jeunes ; en revanche, ces graines
ne disposent d’aucune protection, elles sont nues ; ces
plantes « à graines nues » sont les gymnospermes.
Ce sont des arbres, caractérisés par un tronc susceptible de s’accroître en diamètre, ce qui augmente leur
capacité de transport de sève nourricière, autorise
le développement d’une large ramure et optimise
la conquête de l’espace aérien.
Au trias (-200 Ma) apparaissent les fleurs. Les organes
mâles (étamines qui portent les anthères productrices
de pollen) et les organes femelles (ovules) y sont réunis : les plantes ont désormais des fleurs hermaphrodites ; c’est toujours le cas chez les plantes actuelles :
on sait que moins de 15 % des espèces ont des fleurs
unisexuées, portées ou non par le même individu.
Les ovules ne sont plus nus, mais contenus dans une
enveloppe close (l’ovaire). Après fécondation, les
ovules deviendront des graines, contenues dans un
fruit : les plantes à fleurs ont donc « des graines dans
un récipient » ; ce sont des angiospermes.
L’apparition de l’hermaphrodisme et du fruit s’accompagne d’autres nouveautés, citons :
- Les interrelations avec les animaux.
Avant l’apparition des angiospermes, les relations
plantes/animaux étaient du domaine de la prédation.
Chez les angiospermes, ces relations se nouent à bénéfice mutuel ; elles facilitent, en particulier, la pollinisation-fécondation et la dispersion des graines.
- La double fécondation.
On sait que la fécondation qui résulte de la fusion
de 2 cellules à n chromosomes (haploïdes) est à l’origine de l’embryon. Au sein d’un seul et même ovule,
intervient une seconde fécondation dans laquelle
fusionnent deux cellules femelles haploïdes et un spermatozoïde : il en résulte un embryon triploïde inorganisé, l’albumen, dont se nourrira l’embryon diploïde.
- Les plantes herbacées, creuset de l’évolution.
Ce sont des plantes de petite taille et souvent à vie
courte, qui ne développent pas de tronc. Chez ces
plantes, la durée d’une génération est courte, souvent
bien inférieure à une année ; les plantes herbacées
seraient-elles issues de formes néoténiques, capables
de fleurir à un stade juvénile ? Le renouvellement
rapide des populations par la sexualité a accru les
potentialités évolutives : l’apparition des angiospermes
herbacées est encore aujourd’hui un moteur majeur
de la diversification des plantes modernes.
- Les plantes herbacées et leur capacité d’adaptation.
Leur taille réduite, leurs bourgeons généralement souterrains, leurs abondantes et fréquentes productions
de graines, confèrent aux plantes herbacées résistance
à des conditions défavorables et adaptation à des
conditions nouvelles.
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- La multiplication végétative et les plantes
herbacées.
La multiplication végétative a pris des formes différentes, rhizomes ou caïeux, production de fausses
graines par apomixie, semblables aux vraies, mais
issues d’un simple bourgeonnement végétatif d’un
tissu maternel ; ces multiplications végétatives ont
favorisé l’expansion des plantes herbacées. Elles se
montrent remarquablement efficaces pour coloniser
de grandes surfaces, en peu de temps.
Fleurs hermaphrodites et fécondation croisée, un paradoxe
L’autogamie facultative en cas d’absence
de pollinisation efficace
En l’absence de pollinisateurs, en limite d’aire écologique, les plantes pratiquent souvent l’autopollinisation. Dans le nord de son aire de répartition, Ophrys
apifera est devenu autogame par carence de son pollinisateur ; plus au sud, cet Ophrys est généralement
pollinisé par l’insecte mais, si les conditions météorologiques sont défavorables, il s’autopollinise alors.
La présence des deux sexes chez une même plante s’est
répandue si bien, qu’aujourd’hui au moins 95 % des
espèces sont hermaphrodites. L’apparition de l’hermaphrodisme est corrélée à l’explosion de la diversité des plantes, c’est un succès biologique. Ce succès
résulte-t-il de la présence des deux sexes dans la fleur ?
Les fleurs hermaphrodites auraient-elles la capacité
de s’autoféconder ?
Dans la fleur de Malva sylvestris, les nombreuses
anthères en bouquet mûrissent avant les stigmates
(protandrie), ce qui favorise l’allopollinisation ; mais
lorsque la fleur vieillit sans avoir été pollinisée, les
stigmates s’inclinent vers les anthères où subsistent
des grains de pollen ; cette autopollinisation tardive
semble produire peu de graines.
L’autogamie
L’autogamie exclusive :
les fleurs cléistogames
L’hermaphrodisme semble impliquer l’autogamie ;
est-il conciliable avec le maintien de la biodiversité ?
La présence des deux sexes, chez un même individu,
garantit-elle le succès biologique de sa descendance ?
Il y a autogamie si le pollen produit par une fleur est
déposé sur le stigmate de la même fleur, ou si le pollen
est transporté d’une fleur à une autre sur un même
individu, ou encore s’il est transporté entre des fleurs
portées par des pieds différents d’un même clone.
L’autogamie entraîne un brassage génétique réduit :
la plupart des caractères des individus initiaux sont
conservés dans leur descendance.
L’autogamie exclusive est le mode de reproduction
le plus simple et le plus efficace pour le nombre de
graines produites, et pourtant peu de plantes y ont
recours, pourquoi ? Elle est très minoritaire, mais
elle assure la continuité et la stabilité de l’espèce, au
prix toutefois d’une perte de capacités adaptatives des
plantes et de leurs facultés de résistance à des pathogènes nouveaux.
La transmission voulue des caractères à la descendance justifie l’obtention de céréales autogames telles
que le blé, l’orge, l’avoine, le sorgho ; de nombreux
arbres fruitiers, les haricots, les pois, les tomates sont
aussi autogames.
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mouvement des étamines dont les anthères viennent
heurter les stigmates ; il est déclenché par le contact
d’un insecte. Cette relation fleur/insecte serait-elle
une réminiscence d’une ancienne entomophilie ?
Dans la nature, l’autogamie exclusive est répandue, par
exemple chez :
- Vicia sp., même si l’aspect de la fleur évoque une fleur
entomophile ;
- Berberis vulgaris : l’autopollinisation résulte d’un
Ce sont des fleurs qui restent à l’état de petits boutons et qui ne s’épanouissent jamais. Le pollen est
déjà au contact du stigmate, la fécondation produit
des graines abondantes qui donneront une descendance homogène. Chez certaines plantes, le pollen est
déposé sur le stigmate avant l’épanouissement de la
fleur qui s’ouvre… trop tard ; c’est le cas chez Lobelia
dortmanna ou Epipactis phyllanthes. Les plantes dont
on ne connaît que des fleurs cléistogames ou fécondées prématurément sont rares, on considère qu’elles
appartiennent à des espèces sans grand avenir à long
terme dans la nature.
Autogamie/allogamie :
une cléistogamie opportuniste
Certaines plantes présentent, chez un même individu,
des fleurs cléistogames et d’autres chasmogames ; ces
deux types de fleurs y sont produits simultanément ou
successivement.
Une cléistogamie adaptative s’exprime généralement
en réponse à des conditions écologiques ; Impatiens
noli-tangere, Impatiens balfouri, produisent des fleurs
chasmogames pendant la belle saison, mais leurs dernières fleurs seront cléistogames à la fin de l’été. Les
fleurs de printemps de Viola riviniana, chasmogames,
et bien que d’apparence entomophiles ne donnent à
peu près jamais de graines, tandis que les fleurs d’été,
cléistogames, produisent des graines en abondance.
Dans un certain nombre de familles caractérisées par
des fleurs hautement adaptées à l’entomophilie, les
gesnériacées, les scrophulariacées, les lentibulariacées
par exemple, on connaît des espèces chez lesquelles
coexistent ces deux sortes de fleurs ; généralement
les fleurs chasmogames sont peu ou pas fertiles,
alors que les fleurs cléistogames sont très prolifiques.
Pourrait-on considérer que, dans le cadre de l’allogamie, chez ces plantes avancées, certaines espèces
auraient secondairement opté pour l’autogamie ?
On observe une cléistogamie architecturale chez certaines espèces : les deux types de fleurs sont régulièrement produits simultanément sur un même individu,
à des emplacements précis. Par exemple Utricularia
hydrocarpa produit des fleurs cléistogames à la base
submergée de la hampe florale et des fleurs chasmogames, espacées, à son sommet émergé.
Allogamie versus hermaphrodisme :
le paradoxe
Il y a une ambiguïté car l’hermaphrodisme, présent
chez plus de 95 % des espèces de plantes à fleurs, ne
mène pas directement à l’allogamie, mais à l’autogamie. Pourtant, l’allogamie, efficacité oblige, est très
largement répandue : 90 % des espèces la pratiquent…
Voici quatre exemples qui illustrent l’importance et la
fréquence paradoxales de l’allogamie :
- L’une des interrelations plantes/animaux apparues
avec l’hermaphrodisme est liée à l’attraction qu’exercent les fleurs à l’égard des insectes ; odeurs, nectars
et autres nourritures, ces attracteurs ont rapidement
établi une interdépendance fleurs/insectes.
- L’allogamie ouvre la porte à l’hybridation entre
espèces voisines ; l’hybridation est à l’origine de formes
nouvelles, souvent plus robustes que leurs parents, et
joue un rôle important dans l’évolution des végétaux.
- Aujourd’hui, moins de 10 % des espèces sont dioïques :
elles sont représentées par des individus mâles et des
individus femelles distincts. Pour la plupart, les plantes
dioïques conservent, dans leurs fleurs, des vestiges des
organes de l’autre sexe ; ces vestiges rappellent un état
hermaphrodite antérieur : ces plantes auraient donc
acquis secondairement l’état dioïque. Chez le houx
(Ilex aquifolium), la fleur mâle porte en son centre une
minuscule protubérance, vestige d’un pistil atrophié ;
chez Hechtia rosea (broméliacées), la fleur d’un individu mâle porte 6 étamines fertiles et, en son centre,
un petit vestige de pistil ; chez la même espèce, la fleur
d’un individu femelle porte 6 petits fi lets d’étamines
stériles et un pistil fertile.
- Les angiospermes ont développé des dispositifs
d’auto-incompatibilité qui aboutissent à interdire le
succès d’une fécondation d’un individu par son propre
pollen. On évalue à 40 % le nombre d’espèces autoincompatibles. Ces dispositifs d’auto-incompatibilité
font intervenir : soit un système de reconnaissance
d’allèles de gènes, la pollinisation n’aboutit alors que si
les allèles sont différents ; soit un système de blocage
du développement embryonnaire, l’embryon s’initie
mais meurt.
Contourner l’hermaphrodisme
par des disjonctions
fonctionnelles des sexes
Les disjonctions temporelles
Les deux sexes, contenus dans une même fleur, sont
exposés mais ne sont pas simultanément fonctionnels. On observe deux cas :
- La protandrie : les étamines mûrissent avant le pistil ; les anthères libèrent le pollen alors que les stigmates n’ont pas terminé leur développement et sont
inaptes à accueillir du pollen. C’est le cas de Geranium
phaeum, de Silene acaulis, de Campanula barbata et
de très nombreuses autres espèces.
Chez les Clerodendron (verbénacées), les étamines se
dressent dès l’épanouissement de la fleur et libèrent
leur pollen ; le lendemain, leurs filets s’enroulent tandis que le style se dresse à son tour et que les stigmates
deviennent récepteurs.
La fleur de Parnassia palustris a 5 étamines qui
mûrissent successivement, tandis que le stigmate est
encore juvénile ; chaque jour une étamine expose son
pollen en se dressant vers le stigmate, puis se rabat
sur le pétale ; quand les 5 étamines seront rabattues
(leurs anthères sont vides) le stigmate se développera,
il deviendra fécondable.
- La protogynie : les stigmates sont fonctionnellement mûrs et reçoivent du pollen d’une autre fleur,
qui s’achemine vers les ovules, alors que les étamines
sont encore courtes, et les anthères fermées. Le lendemain, les stigmates sont fanés et les étamines, enfin
mûres, libèrent leur pollen. On peut citer Luzula
pilosa (joncacées), Magnolia grandiflora, les espèces
des genres Helleborus et Scrophularia, la plupart des
espèces de cypéracées. Les espèces protogynes sont
beaucoup moins nombreuses que les protandres.
- Chez l’avocatier (Persea gratissima), on distingue
deux catégories d’individus qui tous ont des fleurs
semblables, hermaphrodites ; ils sont tous autostériles ; ils se distinguent par le fait que les uns sont
protandres, les autres protogynes. Les individus A, protandres, libèrent leur pollen le matin et épanouissent
leurs stigmates le soir ; les individus B, protogynes,
épanouissent leurs stigmates le matin et libèrent leur
pollen le soir, leur cycle circadien est inversé. Matin
et soir, des colibris se nourrissent de nectar et transportent du pollen. La fécondation croisée, entre les
deux types, est de règle.
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Les disjonctions spatiales
La disjonction de contact.
Les deux sexes peuvent être contenus dans une même
fleur, ou chacun d’eux dans des fleurs différentes mais
portées par la même plante.
Chez des plumbaginacées (Armeria maritima), il y a
deux types d’individus : l’un à pollen orné et stigmate
papilleux ; l’autre à pollen presque lisse et stigmate
lisse. Seule la rencontre d’un pollen lisse et d’un stigmate papilleux, ou d’un pollen orné et d’un stigmate
lisse, aboutira à une fécondation.
Si les deux sexes, contenus dans une même fleur,
sont exposés et simultanément fonctionnels, ils sont
disposés de telle sorte que le pollinisateur ne puisse
les toucher successivement que dans un ordre imposé
par la morphologie de la fleur.
Chez de nombreuses espèces, le style, beaucoup plus
long que les étamines, se termine par des stigmates
dont la face réceptrice est ouverte vers le haut ; l’insecte porteur de pollen qui ressort de la fleur ne peut
pas toucher la face réceptrice, il déposera donc le pollen lorsqu’il visitera une autre fleur : Pedicularis sp. pl.,
Salvia sp. pl. etc.
Les plantes monoïques portent des fleurs unisexuées,
les deux sexes étant réunis sur une même plante :
les chances d’autopollinisation sont réduites, mais
cette disposition ne s’oppose pas à l’autogamie.
Le maïs est un exemple de plante monoïque qui se
reproduit à la fois par allogamie et autogamie.
Si la disjonction temporelle et la disjonction spatiale
ne sont pas accompagnées d’une auto-incompatibilité,
l’allogamie sera favorisée mais ne pourra être stricte.
Le cas particulier de disjonction
spatiale, l’hétérostylie.
L’exemple classique est celui des primevères (Primula
vulgaris, P. veris…) qui présentent des individus à fleurs
longistyles (à stigmate situé au-dessus des anthères) et
d’autres, à fleurs brévistyles (à stigmate situé au-dessous des anthères). La pollinisation, pour être efficace,
doit intervenir entre des individus porteurs de fleurs
de types différents ; notons que, rarement, la pollinisation entre deux individus porteurs du même type
floral est fécondante.
On observe deux types morphologiques de fleurs, ou
trois chez certaines espèces ; un individu génétique
n’en présente qu’un seul ; la fécondation n’intervient
qu’entre deux individus distincts, donc entre deux
types de fleurs distincts.
La salicaire (Lythrum salicaria), ou la jacinthe d’eau
(Eichhornia crassipes), présentent trois types d’individus : à fleurs à style long, court ou moyen.
On observe l’hétérostylie dans des familles diverses
telles que les rubiacées (Cephaelis amoena), les thyméléacées (Pimelea rosea), les polygonacées (le sarrasin,
Fagopyrum esculentum)…
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De la fleur à la graine,
les moyens pour réussir
L’apparition des plantes à fleurs s’est accompagnée,
entre autres, de celle de l’hermaphrodisme, des relations avec les animaux, des plantes herbacées, etc.
Auparavant, les plantes, ligneuses, formaient des
forêts, leurs appareils reproducteurs étaient unisexués,
l’allogamie était répandue. Les fleurs hermaphrodites
ont facilité la fécondation, qui n’était plus soumise
aux aléas du vent. Une part des terres émergées étant
impropre à l’extension de forêts, les plantes herbacées
ont pu s’y implanter. L’autogamie, conséquence de
l’hermaphrodisme, a aidé ces nouveaux conquérants à
coloniser rapidement de grandes étendues.
Mais les milieux étaient divers, ils subissaient les
à-coups de changements climatiques drastiques à
l’échelle de la planète. L’autogamie, efficace pour
l’extension rapide des plantes, n’offrait guère de possibilités de diversification. Sous l’effet de la pression de
sélection, les plantes ont été contraintes de revenir à
l’allogamie, qui permet une meilleure capacité d’adaptation et limite l’impact des dérives génétiques.
Comment les fleurs hermaphrodites peuvent-elles
assurer une pollinisation croisée ? Les angiospermes
ont alors mis au point diverses stratégies qui leur
permettent de surmonter les inconvénients que leur
pose l’hermaphrodisme des fleurs. Elles conservent les
avantages liés à l’hermaphrodisme, et peuvent néanmoins se reproduire par allogamie. Les angiospermes
ont développé des structures et des fonctions spécialisées qui leur permettent de bénéficier au mieux de
leurs associés animaux. Les angiospermes, remarquablement diversifiées, doivent leur efficacité biologique
à l’autogamie et à l’allogamie associées.
La multiplication végétative et en particulier sous
la forme de l’apomixie, bien que peu favorable à la
diversification, contribue au succès actuel des angiospermes ; représentées par environ 240 000 à 250 000
espèces, elles occupent actuellement tous les biotopes
terrestres et marins, à l’exception des zones gelées en
permanence et des régions les plus arides de quelques
déserts.
Les voies de la reproduction des plantes sont nombreuses, parfois paradoxales, mais ont prouvé leur efficacité pour la conquête de la planète.
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