Savant désordre

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Savant désordre
Mémoire de fin d’études, Master théorie et projet 2011-2012
Auteurs : Joffrey Marchois, Steve Theys
Sous la direction de Jacques Lucan
École d’architecture de la ville
& des territoire a Marne-la-Vallée
12 avenue Blaise-Pascal
Champs-sur-Marne
77447 Marne-la-Vallée Cedex 2
www.marnelavallee.archi.fr
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Joffrey Marchois | Steve Theys
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Sommaire
Avant-propos
5–8
Introduction
11 – 14
Composition désordonnée
17 – 38
Collection
Assemblage, collage
Approche systémique
40 – 57
Intéractions
Disposition
Indécision
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58 – 77
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Similarité
Nusée, empilement
Épilogue
79 – 81
Bibliographie
83 – 88
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Avant-propos
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De prime abord, la notion de « savant désordre »
est difficile à appréhender. En effet, le titre de cet ouvrage
rassemble deux termes apparemment antagonistes. Il
est assez difficile à un architecte, étant un « savant », de
concevoir qu’une construction puisse être « désordonnée ».
Le recours d’un architecte à la composition pour penser
et ordonnancer son bâtiment est, somme toute, omniprésente et profondément ancrée dans sa culture. La notion
de désordre est donc possiblement étrangère au langage de
l’architecte.
Nous avons cependant bien conscience que, depuis
le début du XXe siècle, les architectes n’ont eu de cesse de se
défaire d’une composition classique qui ne cherche que hiérarchie et symétrie. C’est, par ailleurs, ce qui est développé
dans l’ouvrage Composition, non-composition : « qu’un dispositif veuille être neutre et non plus hiérarchisé, qu’il soit le
résultat d’un processus agrégatif et non plus d’une mise en
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Il ne s’agit pas, ici, de retracer une histoire dans
laquelle les architectes se sont peu à peu défait de la composition classique mais d’observé, à travers un corpus de
bâtiment très précis, les processus visant à produire un apparent désordre. Bon nombre de bâtiments, si l’on observe
la production architecturale contemporaine, renvoient une
image de chaos incontrôlé.
Chercher pourquoi les architectes en arrivent à une
séparation progressive avec les procédures de composition,
qu’ils ressentent comme n’étant plus une réponse adéquate,
n’est pas notre objet. Cependant, nous sommes à même de
nous demander si l’apparent chaos des bâtiments que nous
observerons ne répond pas au chaos des villes. Tel que nous
l’expose Shinohara : « Le chaos constitue la forme d’existence
de la ville d’aujourd’hui » ; Les bâtiments en seraient donc
affectés et en renverrait l’image ?
La dualité mise en place par le titre peut s’apparenter à celle qui existe entre architecture savante et architecture vernaculaire. Simplement dans le premier cas elle
est faite par une personne ayant des savoirs et des savoirs
faire et dans l’autre pas. L’une est planifiée, pensée avant la
construction, et l’autre construite sans pensée d’ensemble,
par ajouts successifs au gré des besoins. Ne peut-on imaginer une architecture qui, bien que planifiée (savante), ne
soit pas ordonnée et mime des ajouts successifs ? Ce type
d’architecture est ce sur quoi nous porterons notre intérêt.
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équilibre, qu’il soit la conséquence d’opérations “objectives”,
ce sont autant de tentatives de dépassement des principes
compositionnels. »1
1. LUCAN (Jacques), Composition, non composition, Architecture et
théories, XIXe-XXe siècles, Presses polytechniques et universitaires
romandes, Lausanne, 2009, p. 7.
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Figure 1 (en haut) : Schéma de Sou Fujimoto, Children Center.
Figure 2 (en bas) : Schéma de l’auteur, Children Center orthogonalisé.
Une architecture savante, mais en apparence désordonnée.
Au lieu de donner une liste de bâtiments faussement exhaustive attachons nous, tout d’abord, à définir le « désordre »
(ce que nous entendons par ce terme). Le dictionnaire
peut constituer un premier élément de réponse :
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DÉSORDRE, subst. masc.
Domaine de la vie phys. ou psychique des pers. Manque d’ordre; défaut de rangement, de disposi-
tion fonctionnelle ou esthétique.
[Le désordre affecte la disposition régulière et nor-
malement attendue des choses]
[État qui affecte un inanimé concr., notamment un lieu] Absence de régularité dans le rangement, dans
l’ordonnance, qui fait qu’on ne s’y retrouve pas. 2
2. Le trésor de la Langue Française.
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Le trésor de la Langue Française commence par
définir le terme en le décortiquant étymologiquement ;
le dés-ordres est donc assez simplement l’absence d’ordre.
Définir un terme par son contraire nous avance assez peu,
cependant la définition met le doigt sur une caractéristique
essentielle du désordre qui est celle de la régularité (et en
l’occurrence son absence).
En architecture, le désordre n’est pas simplement
une question de non-orthogonalité. Un bâtiment peu tout
à fait être orthogonal et désordonné. A contrario, un bâtiment peut être non-orthogonal et tout à fait ordonné (figure 1 et 2). On conçoit, avec apriori, plus facilement que
l’absence d’orthogonalité soit une marque de manque d’ordonnancement et donc de désordre.
Si l’on observe nombre de plans, étudiés ci-après,
on remarque que l’on ressent un désordre lorsque le tout n’a
pas une cohérence d’ensemble, lorsque l’on ne retrouve plus
de règles d’alignement ou que les vides ne sont plus équivalents. La nuée, que nous développerons dans la troisième
partie de cet ouvrage, est une des modalités du désordre.
Adrien Besson développe à ce propos que : « La nuée fait
référence aux oiseaux qui volent ensemble, selon des règles
locales entre chacun d’entre eux. Les oiseaux génèrent un
tout sans qu’il n’y ait jamais de règles pour définir la totalité. »3 . Ainsi le désordre, tel qu’on l’entend ici, n’est pas
une absence totale d’ordre, mais une apparence derrière
laquelle se cache un ordre. Ce dernier n’est pas manifeste,
mais comme le défend Yona Friedman « Le désordre n’existe
pas. N’existe que l’ordre compliqué. » 4
3. BESSON (Adrien), « Architecture et indétermination », Matières, n°8,
Presse polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, p. 66.
4. FRIEDMAN (Yona), L’ordre compliqué et autres fragments, Eds
L’éclat, Paris-Tel Aviv, 2008.
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Introduction
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L’ordre est un thème récurrent dans l’histoire de
l’architecture ; dès l’antiquité, les questions de symétries
et de proportions sont prépondérantes dans la conception
d’un bâtiment. La question de l’ordre sera largement théorisée à travers les grands traités d’architecture. Ainsi, dans De
Re Aedificatoria, Leon-Battista Alberti explique dès 1452
que « La beauté est l’harmonie, réglée par une proportion
déterminée, qui règne entre l’ensemble des parties du tout auquel elles appartiennent, à telle enseigne, que rien ne puisse
être ajouté, retranché ou changé sans la rendre moins digne
d’approbation »1 . D’après lui, une architecture est alors
composée de plusieurs « parties », que nous nommerons
pièces, réglées par une certaine « harmonie », un ordre qui
n’est pas explicitement vu et remarqué mais que l’on ressent.
1. ALBERTI (Leon-Battista), De Re Aedificatoria, trad. Pierre Caye
et Françoise Choay, Éd. Seuil, Paris, 2004, Livre VI, pp. 278-279.
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1 Composition: Processus itératif
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2 Approche systémique : Processus linéaire
3 Indécision: Arrêt sur image dans le processus
Figure 1 : Illustration des différents processus de projet.
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La question de l’ordre pourrait être reposée aujourd’hui avec l’émergence de nombreux projets à l’apparence désordonnée. Il est évident qu’un architecte est une
personne savante, qui laissera toujours une part d’ordre
dans un bâtiment paraissant désordonné. Quels processus
projectif permettent de produire un bâtiment savamment
désordonné ?
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On pourrait alors se demander : « Concevoir un projet comme un processus signifie-t-il s’éloigner de procédures
qui composent ou assemblent des parties distinctes les unes
aux autres pour fabriquer un tout ? Un processus établit-il
une nouvelle relation entre le tout et les parties, la forme du
tout pouvant souvent “précéder” celles des parties, ou parties
elles-mêmes ne pouvant plus être à la fin distinguées. »2 La
2. LUCAN (Jacques), « Editorial », Matières, n°8, Presse polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, p. 5.
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conception même du projet en serait alors bouleversée. En
effet la complexité d’un bâtiment désordonné fait que « […]
la forme [du] bâtiment peut ne plus être appréhendée par
étapes, avec des moments successifs de “correction”, à chacun
desquels il est nécessaire de faire des choix. Au contraire, la
forme d’un bâtiment peut être le résultat d’un processus, son
étape finale ou bien comme un “arrêt sur image” »3 . Ces trois
modes de conception (la manière itérative, l’étape finale
d’un processus ou l’arrêt sur image) pourraient être rapprochés, dans le domaine de l’art, à ceux énoncés par François
Morellet dans son recueil Mais comment taire mes commentaires où il propose trois processus de création d’œuvre d’art
contemporaine : « Le choix réfléchi et conscient », « Le choix
de la cybernétique », « Le choix inconscient et intuitif »4 (figure 1).
Plus précisément, la première de ces trois manières
d’appréhender une œuvre serait l’Œuvre d’art, au sens classique, où chaque décision est réfléchie et remise en cause
à la suite d’une période de réflexion, c’est également la manière de composer l’architecture classique avec la symétrie
et la justesse des proportions. Ce n’est pas sans rappeler la
« Compositional Form » (figure 2) qu’expose Fumihiko
Maki dans Investigation in Collective Form5, dans lequel
l’image utilisée montre un certain désordre visuel : loin
de la grande composition classique c’est un équilibre de
masses, où le tout dépend de chacun des éléments.
La seconde serait une œuvre produite grâce aux
machines et aux ordinateurs, qui avec une matière objec-
3. Ibid. p. 4.
4. MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires,
ENSBA, Paris, 1999, pp. 21-22.
5. MAKI (Fumihiko), Investigation in collective form, Washington
University, Saint-Louis, 1964.
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Figure 2, 3, 4 (respectivement de gauche à droite) : Forme compositionnelle, Mégaforme, Forme de groupe, Fumihiko Maki, 1964.
tive produirait une œuvre à travers un système préétabli.
Certains architectes contemporains, après les villes-bâtiments, « Megaform » (figure 3) et autre bâtiments complexes, se servent du programme comme données de base
et les analysent, les confrontent pour créer un bâtiment.
Les éléments dialoguent les uns avec les autres car le programme les relie.
Le dernier mode de conception est quant à lui un
non-choix, l’œuvre d’art comme le projet d’architecture
se produirait intuitivement, inconsciemment presque de
manière automatique. Le vernaculaire, proposé par Maki
à travers son « Group Form » (figure 4), en est un exemple,
tout comme certains processus utilisant le hasard.
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Cet ouvrage ne sera pas un catalogue ou une histoire d’exemples de savants désordres mais une étude de
ces processus de projets. Cette étude, nous permettant de
comprendre pourquoi et comment certains architectes réalisent aujourd’hui, à contre-courant des idéaux des grandes
compositions, des bâtiments apparemment désordonnés.
Cet ouvrage pourrait aussi, pourquoi pas, être un « outil »
pour la pratique et la création de projets savamments désordonnés.
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Composition désordonnée
COMPOSER, verbe.
« Former un tout par assemblage ou combinaison de divers éléments. »1
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La notion de « composition désordonnée » est, au
premier contact, presque aussi étrange que l’antagonisme
présent dans le titre de cet ouvrage. Qu’est-ce qu’une composition désordonnée ?
Regardons simplement la définition de « composer » ; elle ne stipule nullement une question d’ordre entre
les parties mais simplement un assemblage de celles-ci. Ne
peut-on imaginer de combiner des éléments sans les mettre
en ordre ?
En effet, lorsqu’on pense en termes de composition,
on pense en termes d’ordonnancement des parties d’un tout,
à une hiérarchisation des éléments et une mise en forme qui
1. Le trésor de la Langue Française.
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Figure 1 : Sir John Soane, Banque d’Angleterre, Plan.
répond à des critères esthétiques. Le désordre est, quant à
lui, perçu comme l’absence de ces qualités, comme quelque
chose de résultant et d’indésiré. Si les grandes compositions
classiques cherchent un ordonnancement, une hiérarchisation, une symétrisation des parties, d’autres diffèrent de ces
problématiques et n’en restent pas moins des compositions.
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Un des architectes qui a notamment cherché à introduire de l’irrégularité dans la composition de ses édifices est Sir John Soane. C’est en 1788, qu’il se voit confier
la rénovation et l’agrandissement de la Banque d’Angleterre, un bâtiment déjà très complexe. Pendant les quarante
ans où Soane travailla sur ce bâtiment, il ne chercha pas à
réimposer un schéma classique de composition, mais exploitera la juxtaposition des édifices pour renforcer l’ordre
irrégulier. Bien que chaque pièce de ce bâtiment soit très
composée et symétrisée, l’édifice n’en reste pas moins un
assemblage irrégulier et apparemment désordonné (figure
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1). « À la Banque d’Angleterre, les différentes parties forment
comme un patchwork et ne se subordonnent pas à un ordre
dominant, comme c’est par exemple le cas pour l’ensembles
du Palais de Justice de Paris transformé par Duc » 2. Soane
explique lui-même que « pour plaire un bâtiment doit produire différentes sensations à partir de chaque point de vue
différent » 3. Sa préoccupation est donc, par l’irrégularité
et le désordre, de créer un sorte de paysage ou l’on ne découvre pas tout au premier regard ; a contrario des composition Beaux-Arts qui vous laisse tout percevoir et tout
comprendre d’une seule et même perspective. Le bâtiment
de Soane, avec l’irrégularité mis en place dans sa composition, « ne peut s’appréhender comme un tout homogène » 4.
L’hétérogénéité, l’irrégularité ou le désordre qui, à
priori, n’étaient pas des caractéristiques conciliables avec la
notion de composition ne sont pourtant pas incompatibles.
Richard Payne Knight, une des influence de Soane, écrira à
propos d’un de ses édifices qu’il a « l’avantage d’être capable
d’altérations et d’additions dans presque toutes les directions,
sans injure pour son caractère sincère et original » .5 Cette remarque, que l’on pourrait appliquer à Soane, met en valeur
le fait que l’irrégularité permet d’apporter de la richesse à
un édifice et n’altère en rien la notion de composition et
l’intégrité de ces pièces constitutives. Remarquons, pour
finir sur Soane, que Middleton « n’hésite pas à rapprocher
Soane des cubistes, dadaïstes et autres surréalistes, faisant
2. LUCAN (Jacques), Composition, non composition, Architecture et
théories, XIXe-XXe siècles, Presses polytechniques et universitaires
romandes, Lausanne, 2009, p. 327.
3. SOANE (Sir John), Lectures on Architecture, Arthur Bolton éd.,
Londres, 1929, lectures XI-Decoration and Composition, p.175.
4. LUCAN (Jacques), Composition, non composition, op. cit., p.328.
5. KNIGHT (Richard Payn), An Analytical Inquiry into the Principles
of Taste (1805), Londres, 1808 (4e édition) p.223.
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Figure 2 : La Villa d’Hadrien, plan.
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ainsi de lui un précurseur du collage »6. Les procédures de
collage ou d’assemblage sont essentielles à la composition.
Les collages cubistes mettent en jeu une question d’équilibre, et notamment d’équilibre instable, qui est essentiel
à toute composition n’étant plus construite sur la simple
symétrie bilatérale (qui met naturellement en équilibre :
équilibre statique). Les tableaux De Stijl de Mondrian, dont
la majorité nommée à juste titre « composition », ne jouerons que sur ces question d’équilibre instable.
Remarquons cependant que le collage en architecture n’a rien de contemporain et actuel mais existe depuis l’antiquité. La Villa d’Hadrien en est l’exemple le plus
représentatif (figure 2). En effet, cette dernière, est faite
d’un assemblage de paysages et de monuments classiques
qui avaient, au cours de ses voyages, marqué l’empereur
Hadrien. Ces monuments ont été compilés et reconstruits
(assemblés, accolés) en pleine campagne de Tivoli, près de
Rome. Ungers parlera même de « collection de lieux » et
ajoutera que « c’est la première preuve d’une architecture de
6. LUCAN (Jacques), Composition, non composition, op. cit., p.328.
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la mémoire, rassemblant des morceaux de l’histoire qui avait
laissé des traces dans l’esprit d’Hadrien. »7
La villa nous informe sur deux notions d’une
« composition désordonnée ». La première, que nous venons
tout juste de soulever est la question de la collection.
Effectivement, les pièces d’un assemblage ou d’un collage préexistent à celui-ci ; elles sont dessinées ou prisent
« as-found » avant de penser à leur combinaison. La
seconde notion est donc le moment de cette combinaison :
l’assemblage ou le collage. C’est à ce moment que l’architecte met en ordre, ou en désordre les éléments constitutifs
du bâtiment. Que l’architecte fasse le choix de l’ordre ou
du désordre, son bâtiment n’en demeurera pas moins une
composition s’il est fait de l’assemblage d’une collection de
pièces. Il est important de souligner que dans toutes compositions (ordonnées ou pas), l’architecte fait des choix à
chaque instant du projet. Même dans le cas de la Villa, où
les bâtiments sont « tel que trouvés », leur choix est déjà
très subjectif et appartiennent à l’imaginaire et aux goûts
d’Hadrien.
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La question du choix est inhérente dans une procédure de composition. Le premier des trois processus de
projets que Morellet expose dans Mais comment taire mes
commentaires est « Le choix réfléchi et conscient » 8. Il explique que « la décision vient à la suite d’une période de réflexion où sont imaginés les déroulements possibles d’actions
qu’entraînera cette décision. Ce choix correspond à la concep-
7. UNGERS (Oswald Mathias), « Architecture de la mémoire collective, Introduction au catalogue infini des formes urbaines », Lotus
International, n°24, 1979.
8. MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires,
ENSBA, Paris, 1999, p. 21.
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tion classique de l’intelligence rationnelle » 9. Ainsi avec ce
processus de composition l’architecte maitrise chaque point
du projet, tout est décider. Il n’y a aucun non-choix, rien
n’est laissé au hasard, l’architecte ne laisse pas part à des
automatismes. Équilibre instable et choix de chaque instant
dans l’assemblage font de l’œuvre un objet très subjectif et
très lié à son auteur.
Collection
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COLLECTION, subst. fém.
P. méton. Ce qui a été réuni, recueilli.
- Ce qui est réuni est considéré comme un tout […]
- [Ce qui est réuni est constitué d’éléments juxtaposés,
conservant leur individualité] Ensemble d’éléments
groupés en raison de certains points communs.
Ensemble non fini (le plus souvent classé) d’objets réunis par un amateur, en raison de leur valeur scientifique, artistique, esthétique, documentaire, affective ou vénale. […] 10
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La collection suggère premièrement qu’il y a plusieurs éléments qui constituent, une fois rassemblé, un tout :
« ce qui est réuni est considéré comme un tout » 11. Ce pluralisme a une condition bien particulière : toutes les pièces
d’une collection doivent répondre à une caractéristique
9. Ibid.
10. Le trésor de la Langue Française.
11. Le trésor de la Langue Française.
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Figure 3 : La Villa d’Hadrien, collection de bâtiments et plan.
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précise qui les relient toutes. La collection est un « ensemble
d’éléments groupés en raison de certains points communs » 12.
Cette caractéristique fait de l’ensemble une unité et légitime la collection. Remarquons qu’ensuite toutes les constituantes de chaque pièce peuvent différer. Prenons l’exemple
cité ci-avant d’Hadrien ; tous les éléments constitutifs de sa
Villa ont une caractéristique commune : ils sont tous des
bâtiments trouvés dans ses voyages autour de son empire
12. Ibid.
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(figure 3). Ensuite, toutes les pièces de cette collection sont
différentes. Il est presque inutile de souligné que la différence entre les pièces est patente, car sans cette dernière
la collection n’a pas lieu d’être. On ne collectionne pas des
choses en tout point identiques.
La réunion, le recueil des éléments d’une collection,
nous venons de le souligner avec Hadrien, est très subjective
et liée à la personne qui « collectionne ». L’empereur n’aurait
pas compilé et fait reconstruire des bâtiments croisés au
cours de ses campagnes, s’ils n’avaient pas une valeur particulière aux yeux de leur collectionneur. Il leurs trouvait,
sans nul doute, des qualités esthétiques et les voyait comme
des pièces indispensables au « tout » de sa collection. C’est
bien une caractéristique inaliénable de la collection, un
« ensemble […] d’objets réunis par un amateur, en raison de
leur valeur scientifique, artistique, esthétique, documentaire,
affective ou vénale. » 13
Une autre des caractéristiques essentielles de la collection, est que chaque pièce a son autonomie et peut exister seule. En effet, « ce qui est réuni est constitué d’éléments
juxtaposés, conservant leur individualité »14. Revenons sur la
Villa d’Hadrien que nous avons vu précédemment. Ungers
souligne qu’elle résulte d’« un concept pluraliste ou chaque
bâtiment était situé, conçu et construit selon ses règles et
ordres propres » 15. En effet, chaque pièce de cette collection
a été assemblée mais existait seule dans un autre contexte.
Les pièces participent du tout dans une collection, mais ont
leur logique et leur légitimité propre.
13. Le trésor de la Langue Française.
14. Ibid.
15. UNGERS (Oswald Mathias), « Architecture de la mémoire collective, Introduction au catalogue infini des formes urbaines », Lotus
International, n°24, 1979.
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Figure 4 : Louis I Kahn, Le Couvent Dominicain, plan definitif, 1968.
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Pluralité et autonomie posent inéluctablement
des questions esthétiques. Effectivement, si l’édifice est
construit avec des éléments qui peuvent exister seuls, on
imagine que ce dernier donnera, bien que réuni dans un
tout, la lecture de chaque fragment. Si l’ordre s’imagine aisément dans un bâtiment unitaire on imagine mal ressentir
un désordre avec un seul élément. L’esthétique en sera donc
très fragmentaire.
La villa d’Hadrien fait figure d’exception car on
imagine mal faire, aujourd’hui, un projet en reprenant
« tel que trouvés » des bâtiments que nous apprécions. Tournons-nous donc vers un exemple qui met en œuvre la question de la collection dans son processus sans pour autant
rassembler des pièces « as-found ». Existe-t-il des projets où
l’assemblage ne se fait qu’a posteriori du dessin des pièces ?
Ou les fragments existent avant le tout ?
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Louis I. Kahn, pour Le Couvent Dominicain à Media en Pennsylvanie (figure 4), qui ne trouva malheureusement pas de réalité construite, explorait ces questions de
pièces dessinées avant l’ensemble. Que ce soit dans des bâtiments très composés (ce qui constitue la majeur partie de
son œuvre), ou des compositions a-hiérarchiques comme
cet exemple, Kahn a toujours considéré que la pièce devait
constituer le point de départ de l’architecture. En ses mots,
Kahn « pense que pour tenter de comprendre l’architecture, il
n’y a pas de meilleure source d’inspiration que de considérer
que la pièce, la simple pièce est à l’origine de l’architecture » 16.
En 1971, il disait plus simplement que « la pièce est le commencement de l’architecture » 17. La différence notable entre
les bâtiments ordonnés et les bâtiments a-hiérarchiques réside dans le caractère de la pièce. Si dans les compositions
classiques, la pièce conserve une définition stricto sensu,
elle change de nature dans les compositions désordonnées.
Comme nous avons pu le voir précédemment dans la définition de la notion de collection, il est question d’autonomie des éléments. Cette autonomie est permise à partir du
moment où une pièce ne dépend pas d’une autre pour fonctionner. Kahn parle de « pièces-bâtiments ». Si l’on observe
les premiers croquis de Kahn pour la maison mère Dominicaine, on remarque qu’il dessine des petits bâtiments
dédiés chacun à une fonction (figure 5), mais sans dessiner
la relation entre un élément et un autre. En fait, Kahn dessine sa collection de bâtiment dont il ne verra qu’après leur
assemblage.
16. KAHN (Louis I.), « I love beginnings », 1972, in LATOUR (Alessandra), Louis I. Kahn: Writings, Lectures, Interviews, New-York,
Rizzoli, 1991, p. 291.
17. KAHN (Louis I.), Silence et Lumière, éds.du Linteau, Paris, 1996.
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Figure 5 : Louis I Kahn, Le Couvent Dominicain, plan des « piècesbâtiment ».
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Assemblage, collage
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« La composition se rapporte aux éléments, et le projet
consiste à travailler avec eux afin d’atteindre la perfection. »
Louis I. Kahn
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Composer, nous l’avons vu précédemment, c’est
avant tout « Former un tout par assemblage ou combinaison
de divers éléments ». L’intérêt de la composition est donc
que toutes les parties concourent à la qualité du tout. Revenons brièvement sur la Villa d’Hadrien. Ungers explique
que « chaque partie de la ville ménage une découverte, elle est
conçue comme un lieu unique, un assemblage d’évènements,
de morceaux et de fragments mis en conflit, interagissant
en se complétant ; une condensation du contexte urbain »18.
Ce dernier emploie bien le terme d’assemblage et explique
que tous les fragments se « complètent ». Il va même jusqu’à
employer le terme de « ville » et d’« urbain » pour bien appuyer qu’ensembles, les bâtiments ne créent pas seulement
une villa mais une ville avec de vraies qualités. L’assemblage
permet donc de magnifier autant les parties que le tout.
18. UNGERS (Oswald Mathias), « Architecture de la mémoire
collective, Introduction au catalogue infini des formes urbaines »,
op. cit.
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Lorsque Louis I. Kahn assemble ces « pièces-bâtiment » dont nous parlions précédemment, il cherche à
mettre en symbiose ces dernières pour créer un tout. Au
lieu de parler d’assemblage, Kahn préfère parler de « société
de pièces » (society of rooms)19. « Je pense que pour tenter
de comprendre l’architecture, il n’y a pas de meilleure source
d’inspiration que de considérer que la pièce, la simple pièce
est à l’origine de l’architecture […] je pense que le plan est une
société de pièces. » dit-il. Cela montre à quel point il avait
compris que l’assemblage ne devait pas seulement être une
juxtaposition, une adjonction de parties mais devait créer
quelque chose en plus. Le terme de société est fort car il
montre que toutes les parties fonctionnent ensemble et pas
seulement par des relations de proche en proche. Dans une
société, toutes les parties, à leur place donnée et organisées,
concourent au bon fonctionnement de l’ensemble. Le but
d’un architecte est donc de créer une société de pièces la
plus efficiente possible et essayer « d’atteindre la perfection »
(si tenter qu’elle existe).
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La composition classique n’aura eu de cesse d’exposer que la beauté et la qualité d’un édifice repose dans son
caractère « fini ». Selon Andrea Palladio, « la beauté découlera de la belle forme, à savoir de la correspondance du tout
aux parties, des parties entres elles et de celles-ci au tout :
si bien que les édifices apparaissent un corps entier et bien
fini, ou chaque membre convient à l’autre »20. La « finitude »,
que préconise la tradition classique, dépend donc du fait
qu’on ne puisse ajouter ou retrancher un élément sans remettre en cause l’équilibre d’ensemble. Alberti avait bien
19. McCARTER (Robert), Louis I. Kahn, Paris, Phaidon, 2007, p 22.
20. PALLADIO (Andrea), I Quattro Libri dell’architettura, Venise,
1570, I, pp. 6-7.
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Figure 6 : Louis I Kahn, Le Couvent Dominicain, collage des pièces
en papier.
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compris cette absolue nécessité lorsqu’il écrivit, dans son
traité d’architecture, que « La beauté est l’harmonie, réglée
par une proportion déterminée, qui règne entre l’ensemble
des parties du tout auquel elles appartiennent, à telle enseigne, que rien ne puisse être ajouté, retranché ou changé
sans la rendre moins digne d’approbation » 21. Au début du
XXe siècle, Auguste Perret, encore empreint de culture classique, adoptait un propos similaire lorsqu’il reconnaissait
« qu’un édifice est bien composé à ce qu’il ne sera pas possible
d’y retrancher ni d’y ajouter quoi que ce soit sans le mutiler »22.
L’harmonie d’un édifice résulte de l’équilibre entre les parties. Pour assurer cet équilibre, l’assemblage est régi par des
règles de hiérarchie, de proportion, de symétrie, d’axialité,
le tout mis en œuvre avec des tracés régulateurs.
21. ALBERTI (Leon-Battista), L’art d’édifier, trad. Pierre Caye et
Françoise Choay, Éd. Seuil, Paris, 2004, Livre VI. pp. 278-279.
22. PERRET (Auguste), « Les besoins collectifs et l’architecture »,
Encyclopédie française, Tome XVI, partie 68, Paris, 1935.
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Figure 7 : Louis I Kahn, Le Couvent Dominicain, evolution du plan
couvent entre 1966 et 1968.
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Si la composition classique est un ordre fermé et re
pose sur un équilibre statique, la « composition désordonnée »,
tel que nous l’avons nommée, repose sur un équilibre bien
différent : un équilibre que nous nommerons instable. Si,
comme le disait Middleton, Soane eut été un « précurseur
du collage » 23, c’est au début du XXe siècle avec les cubistes
notamment, qu’on a vu fleurir le principe de collage. C’est
justement à cette période, que sont apparues ces questions
23. LUCAN (Jacques), Composition, non composition, op. cit., p.328.
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d’équilibre instable.
Reprenons l’exemple du Couvent Dominicain de
Kahn. Ce dernier est littéralement un collage (figure 6) car
« à un certain stade du projet, les éléments publics ou ‘‘piècesbâtiments’’ de l’institution acquirent un tel degré d’indépendance dans l’esprit de Kahn, qu’au lieu de les redessiner
indéfiniment selon les différentes configurations du plan de
l’ensemble, il découpa leurs plans carrés et s’en servit comme
élément d’un collage, pouvant ainsi modifier librement la
composition et imaginer des combinaisons possibles »24
Des combinaisons, Kahn en a fait une multitude ; combinaisons qui ont, par ailleurs, été compilées par Michael
Merrill dans son ouvrage sur le Couvent(figure 7). Cette
multiplicité d’assemblage pose encore une fois cette question d’équilibre. Dans une « composition désordonnée »
peut-on ajouter ou retrancher des pièces sans remettre en
question l’ensemble ? Le fait de refaire le collage comme
l’a fait Kahn pourrait suggérer qu’il est nécessaire de revoir
l’ensemble à chaque retouche sur une partie. Soulignons
que Kahn est tout à fait conscient que l’intégrité du tout
dépend de l’harmonie des parties lorsqu’il affirme que
« la forme est ce qui s’intéresse au caractère inséparable des
parties. Si vous soustrayez une chose, vous ne pouvez pas
avoir un tout. » 25
L’équilibre des « compositions désordonnées » n’est
plus statique, et s’en est ici tout l’intérêt. C’est ce à quoi des
peintres comme Mondrian se sont attelés : si dans une de
ses « compositions » (finies), vous rajoutiez une touche de
24. McCARTER (Robert), op. cit., p 289.
25. « Form is that which deals with inseparable parts. If you take
one thing away, you can’t have the whole thing. “ Louis I. Kahn in
WURMAN (Richard Saul), What will be has always been: the world
of Louis I. Kahn, New York, Rizzoli,1986, p.257.
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Figure 8 : Piet Mondrian, Composition en rouge, jaune et bleu, 1930.
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couleur à un endroit, vous devriez rééquilibrer à un autre
endroit, avec une autre couleur (figure 8). Il en va de même
en architecture, avec les « compositions désordonnées »,
vous pouvez les retoucher à condition que, par quelques
biais que ce soit, vous retrouviez un équilibre.
Si dans la partie précédente nous avions éludé le
fait que la collection soit un ensemble « non fini », la question se pose ici. En architecture, le nombre de parties est
forcément « fini » car le programme lui-même présente un
nombre fini de surfaces et d’usages. Le fait que la collection
pose cette question est néanmoins intéressant, car cela pose
par exemple la question de l’extension. Si une « composition désordonnée » se fait à partir d’une « collection » de
pièces fini à l’instant « t » de la construction et est donc «
considéré comme un tout »26 elle peut, contrairement à la
composition classique accepter la modification. Il est potentiellement possible d’ajouter des parties à l’édifice sans le
« mutiler » comme soulignait Alberti pour la composition
26. « Extrait de la définition de collection » in Le trésor de la Langue
Française.
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Figure 8 : Giovanni Battista Piranesi, Champs de Mars, plan.
classique.
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Nous l’auront maintenant bien compris, ce que
Kahn cherche avant tout avec le Couvent Dominicain, c’est
de sortir de la composition classique. Mais comment en
arriver à un plan si « peu catholique » ? Merrill, dans son
ouvrage sur le couvent, avance une piste selon laquelle les
Sœurs Dominicaines « pourraient avoir senti, dans la germination du plan, une tentative de faire un manifeste spatial
de l’équilibre appelé par leur idéal d’ordre de la vie spirituelle
»27 en rapport avec un écrit d’un Frère définissant que « ce
27. « [..]they may have sensed in the germinating plan an attempt
to make spatially manifest the equilibrium called by their order’s
ideal of spiritual life » in MERRILL (Michael), Louis Kahn : on the
thoughtful making of spaces, the Dominican Motherhouse and the
modern culture of space, Bâles, Switzerland, Lars Muller Publisher,
p. 69.
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qui caractérise le frère Dominicain (ou la sœur) est la fusion, la synthèse harmonieuse, des vertus, apparenté à son
plus grand contraire » 28. Le Couvent Dominicain en serait
donc une image : un assemblage harmonieux des parties,
une composition équilibrée, dans son apparent plus grand
contraire, le désordre.
Si nous trouvons là, une explication très spirituelle
de la raison du désordre apparent, il est sans doute plus
sûr que Kahn eut été influencé par Piranèse et son plan du
Champs de Mars (figure 9). Pour sûr, Kahn devait y trouver
une harmonie différente de celle des grandes compositions,
permise pas un système aggloméré et apparemment noncomposé.
Pourquoi avoir recours à une géométrie irrégulière ?
Merrill avance que c’est avec la maison Mère Dominicaine
que Kahn expérimente le principe d’« indépendance et
inflexion »29 que Venturi présente dans Complexity and
contradiction in architecture. Revenons succinctement sur
la collection. L’une des caractéristiques prépondérantes
était l’autonomie et l’identité forte de chaque élément. « Les
pièces se rapportent les unes aux autres afin de renforcer leur
caractère propre et unique » 30 assure Kahn. L’assemblage
doit donc à la fois être une harmonie du tout mais aussi
donner une lecture de chaque partie. Kahn explicite que «
28. « That which characterizes the Dominican Brother [Sister] is
the concord, the harmonious synthesis, of virtues, apparently to the
most contrary [...]. » in HINNEBUSCH (William A.), Dominican
Spirituality : Principles and Practice, Dominicana Publications ,
1983, p.123.
29. « Independence and inflection » in VENTURI (Robert), Complexity and contradiction in architecture, op. cit., pp. 88-89.
30. « The rooms relate to each other to strengthen their own unique
nature », Louis Kahn, « The Room, the Street, and Human Agreement. », 1971, in TWOMBLY (Robert), Louis Kahn - Essential Texts,
W. W. Norton & Company, New York, p. 264.
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Figure 11 : Louis I. Kahn, Fisher House, photographie et plan.
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la géométrie irrégulière souligne en outre l’indépendance de
chaque fragment - s’éloigner du sérialisme vers un caractère
individuel de pièces » 31. Cela renvoi donc directement à ce
que Venturi soutenait : « l’inflexion en architecture est la
manière dont l’ensemble est sous-entendu par l’exploitation
de la nature des pièces individuelles, plutôt que de leur position ou leur nombre. [...] L’inflexion est un moyen de distinguer diverses parties tout en impliquant la continuité. Elle
implique l’art du fragment. »32 La différence étant que là ou
Venturi démontre ce principe pour la façade, chez Kahn ce
principe est plus actif en plans. Dans la partie que Mc Carter écrit sur le Couvent Dominicain, dans sa monographie
sur Louis I. Kahn, il nous parle de « composition d’éléments
indépendants ». La lecture des fragments dans le tout est
une condition sine qua non à toute composition (désor31. « The irregular geometry additionally underscores the independence of each fragment – moving away from serialism toward an
individual character of parts » in MERRILL (Michael), Louis Kahn :
on the thoughtful making of spaces, op. cit., p. 53.
32. « Inflexion in architecture is the way in which the whole is
implied by exploiting the nature of the individual parts, rather than
their position or number. […] Inflexion is means of distinguishing
diverse part while implying continuity. It involves the art of fragment. », ibid.
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Figure 12 : Louis I. Kahn, Day Camp du Jewish Community Center,
photographie et plan.
donnée) harmonieuse.
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Par ailleurs, Mc Carter souligne que la Maison mère
dominicaine n’est pas le seul bâtiment ou Kahn a exploré un
type de plan a-hiérarchique. En effet, lorsqu’il parle de la
maison Fisher (figure 11) il met en exergue que « le plan
indique clairement que le passage spectaculaire aux formes
géométriques indépendantes de la Maison mère Dominicaine
n’était pas un épisode isolé dans l’évolution de Kahn ». Cette
habitation se constitue de deux volumes cubiques, l’un à
plan carré et sur deux niveaux abrite la partie chambre
et l’autre à plan rectangulaire contient le séjour en double
hauteur. Nous n’avons pas là deux volumes jetés au hasard
sur une parcelle mais bien au contraire une réelle composition. Les deux volumes sont positionnés sur la ligne de
rupture de pente du terrain, le bloc carré est orienté exactement selon les points cardinaux et le second, est tourné à
exactement 45°. La rencontre entre les deux blocs est faite
de telle sorte qu’elle laisse un passage de 1,20 mètre de largeur.
Le Day Camp du Jewish Community Center (figure
12) est un autre exemple d’expérimentation de composition
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désordonnée faite par Kahn. Les quatre petits pavillons
(simples toiture plates sur deux séries de colonnes), qui
composent ce bâtiment, sont posés apparemment librement sur une dalle de forme circulaire. Ces derniers ne
sont pas pour autant posés n’importe comment. Les quatre
volumes sont disposés en croix, de telle sorte qu’ils créent
un espace au centre. La croix et le cercle adoptés, respectivement pour l’implantation et le socle, sont des figures géométriques non directionnelles. À la manière d’un tableau
cubiste on sent bien la volonté d’équilibre recherchée dans
la composition des quatre volumes. Les duos de volumes
rectangulaires et de volumes carrés sont disposés de telle
sorte qu’ils se fassent mutuellement contrepoids.
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Figure 1 (en haut): Gordon Pask «Organizational plan as program»,
1965, Diagramme systémique pour le Fun Palace de Cedric Price.
Figure 2 (en bas): Diagramme pour le Fun Palace de Cedric Price.
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Approche systémique
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Une des manières de projeter l’architecture peut
être l’approche systémique. L’histoire de la pensée systémique est fortement liée à l’invention et au développement
de la cybernétique. En pleine seconde guerre mondiale,
Norbert Wiener va développer un nouveau système de
défense contre les aéronefs et il s’interroge sur le moyen
de prévoir le comportement du pilote d’un avion ennemi.
La guerre froide va ensuite intensifier l’importance de la
cybernétique militaire afin de coordonner les systèmes
d’armes. Comment la cybernétique, science parfaitement
militaire, a pu se voir transposée à l’architecture ? Antoine
Picon explique que l’on allait voir « l’émergence d’un programme de recherche conduisant aux tentatives d’aprèsguerre de transposition des concepts de la cybernétique à
l’architecture »1. Cette transposition c’est conclu par la créa1. PICON (Antoine), Culture numérique et architecture, une introduction, Birkhaüser, Bâle, 2010, p. 33.
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tion d’abris antiaériens grâce à l’étude du comportement
des pilotes d’aéronefs. A travers cette phobie d’une guerre
nucléaire, Robert Conway va réfléchir sur l’impact d’une
explosion nucléaire en plein cœur de Manhattan et transpose la cybernétique sur la ville. Il va ainsi réfléchir sur la
manière de se remettre de la destruction de ces centres économiques tout en conservant les télécommunications, les
transports et en secourant les populations. La cybernétique
glisse donc doucement du domaine de la stratégie militaire
à la stratégie urbaine (urban planning) pour ensuite s’appliquer à l’architecture.
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Durant les années 1960, le projet du Fun Palace,
centre destiné aux arts du spectacle, va être élaboré grâce
à la pensée cybernétique. Cédric Price cherche à offrir au
bâtiment une structure flexible afin de créer « un théâtre
cybernétique permettant au public et aux acteurs d’interagir
constamment. »2 Cédric Price va alors collaborer avec Gordon Pask, un cybernéticien anglais s’intéressant à l’architecture, afin de créer un diagramme systémique pour le projet.
On peut comparer ce diagramme systémique neutre et abstrait (figure 1), au diagramme réalisé par Cédric Price mettant réellement en scène le bâtiment autour du programme
(figure 2). « Les réflexions et les expérimentations
concernant l’utilisation de la cybernétique en architecture se développent à beaucoup plus grande
échelle »3 que le simple bâtiment, l’approche systémique
sera alors très employée pour les mégastructures comme le
Fun Palace. Ce type de bâtiments est souvent constitué d’un
programme riche et complexe qui ne peut être appréhen2. PICON (Antoine), Culture numérique et architecture, une introduction, op. cit., p. 37.
3. Ibid., p. 33.
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Figure 3 (en haut), Figure
4 (en bas) : Moshe Safdie,
Habitat 67 pour l’expo 67,
exposition universelle à
Montréal
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dé que par des relations systémiques via des diagrammes.
« Entendues au sens de projets fondés sur le brouillage de
la distinction entre ville et architecture, les mégastructures
accordent davantage d’importance aux circulations qu’aux
composants spatiaux élémentaires, une priorité qui n’est
pas sans rappeler l’approche cybernétique de la complexité
en termes de connexions entre des éléments relativement
simples. »4
4. Ibid., p. 38.
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Le Fun Palace est un exemple de projet mégastructurel utopique non réalisé, pourtant un projet de ce type
a vu le jour lors de l’Exposition International de 1967 :
Habitat 67 (figure 3). Hubert Beringer, historien de l’art,
explique que « La ville-système semble s’être matérialisée
à Montréal. Tout y est, ou presque : modularité, indétermination, infinitude, transparence structurelle, usine de composants et engins de levages intégrés, apparente trivialité
des opérations d’adjonction de cellules et parfois même système de transport intermodal intégré. Voilà qui correspond
terme à terme au menu proposé par la Plug-in City d’Archigram. Pourtant, dans le cas d’Habitat 67, le principe n’est
pas de brancher et de débrancher à loisir des unités architecturales [...] mais bien d’empiler et de liaisonner [...] selon
un schéma rigoureusement prédéterminé et parfaitement
immuable. »5.
Avec Habitat 67 on comprend donc deux principes
fondateurs de l’approche systémique. Dans un premier
temps, le fait que l’échelle du projet et la complexité programmatique ou technologique nécessite de faire appel à
de nouveaux outils. Le projet repose sur un système strict,
mis en place dès le départ du projet, à partir duquel tout se
développe. Dans un second temps, le fait qu’à partir du système préalablement établi tous les éléments sont disposés
(figure 4 : « empiler », « liaisonner », etc).
5. BERINGER (Hubert), « Dit, non-dit, contredit et discrédit de
l’iconographie du chantier d’Habitat 67 », Globe : revue internationale d’études québécoises, Volume 5, numéro 1, 2002, pp. 35-52.
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Figure 5 : François Morellet, Weeping neonly n°3, 2003, tubes de néon
blancs, Paris, Centre Pompidou Musée national d’Art moderne, vue
de l’installation.
Interactions
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L’approche systémique, on l’a vu précédemment,
provient de réflexions appliquées à la ville. Ensuite, réadaptée à des mégastructures, ce processus de projet est difficilement adaptable à des programmes simples ou projets
de petite échelle et s’applique donc plus à des programmes
riches et complexes. Gérer la complexité est l’essence même
de la cybernétique. Le système vient de la cybernétique,
qui cherchait à comprendre le comportement des êtres humains et à en prévoir les actions. Le système est prévisionnel. Dans un bâtiment, il cherche à organiser les espaces en
fonction des actions potentielles du visiteur. Comment ces
derniers vont-ils réagir dans le bâtiment, comment vont -ils
l’appréhender ?
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Dans le domaine de l’art contemporain François
Morellet 6 décrit une situation similaire. Les artistes tout
comme les architectes, pourraient pour leurs œuvres envisager toutes les différentes possibilités et ne conserver que
la plus pertinente. Il parle entre autre de « choix de la cybernétique [où] les machines grâce à leur mémoire et à leur faculté d’envisager différentes possibilités, décident du choix. »7
A priori, avec cette approche, la seule intervention
de l’architecte dans le processus consisterait à mettre en place
le système. Le bâtiment pourrait presque se réaliser tout
seul. L’architecte ne modifierait que les paramètres de bases
et la machine produirait le bâtiment (architecture paramétrique). Par ailleurs, Morellet dit à propos de la cybernétique que « Ce choix n’a donc plus besoin pour se réaliser que
de machines approvisionnées d’une manière théoriquement
objective. »8. L’objectivité est sûrement la caractéristique principale recherchée avec l’approche systémique.
Le système résulte de l’application d’un algorithme, son
résultat provient donc d’une logique objective quasi-incontestable. Toujours dans le domaine de l’art Morellet
nous parle de cette recherche d’objectivité. « On voit des
artistes de plus en plus nombreux qui refusent dans la fabrication des œuvres d’art ce choix arbitraire de chaque instant, alors qu’au même moment apparaissent des machines,
cerveaux électroniques de plus en plus perfectionnés, qui
6. François MORELLET (Figure 5) est un artiste français et un des
acteurs majeurs de l’abstraction géométrique de la seconde moitié
du XXe siècle. Ces œuvres sont construites sur la base d’équations et
de systèmes numériques. Il cherche à sortir de la composition artistique par l’utilisation de processus, justifiant chacun de ses choix par
un principe établi au préalable.
7. MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires,
ENSBA, Paris, 1999, p.22.
8. Ibid., p.22.
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Figure 6 : Rem Koolhaas, Diagramme programmatique de la Seattle
Central Library, Seattle, 1998-2004.
pourraient remplacer l’artiste dans une grande partie de ses
démarches. »9
Tout comme Morellet, les architectes cherchent
sûrement à diminuer le nombre d’actions subjectives en
s’appuyant sur les possibilités offertes par l’informatique.
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Dans sa mise en œuvre, l’approche systémique se
fait par des diagrammes. La première étape de l’élaboration
de ces schémas passe par une représentation des surfaces
de chaque élément programmatique. L’architecte découpe
ensuite le programme en entités et le système, quant à lui,
définit les interactions entre chaque entité. Avec l’approche
systémique, l’architecture est donc pensée à partir du programme (c’est une architecture programmatique).
Si l’on observe les diagrammes conceptuels de la
bibliothèque de Seattle, ils nous fournissent un exemple
très explicite de la démarche décrite ci-dessus. Rem Koolhaas prend le programme comme donnée, puis regroupe
les éléments qui doivent l’être (regroupement par type).
Les éléments sont ensuite réorganisés par le système. OMA
9. Ibid., p.21.
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explique que « [leur] première opération était de “peigner”
et de consolider la prolifération apparemment incontrôlable
du programme et des médias de la bibliothèque. En combinant ce qui est comparable, [ils ont] identifié un ensemble de
grappes programmatiques – cinq de stabilité, quatre d’instabilité. »10 La seule intervention subjective dans le processus
est le moment où Koolhaas décide de la taille des entités
en scindant la bande programmatique (figure 6 : dernier
diagramme de la série avec les décalages).
La création du schéma systémique, si elle n’est pas
forcément faite par une machine est néanmoins systématique. En effet, si nous ne pouvons affirmer absolument
que les architectes utilisent des algorithmes dans leurs processus de projet, les interactions entre chaque entité sont
néanmoins induites et presque intrinsèques au programme.
Il y a déjà un siècle Guadet définissait qu’« un programme architectural énumère l’ensemble des travaux à exécuter ; il indique les rapports qu’ils entretiennent, mais ne
renseignent ni sur leur association ni sur leur importance
relative »11.
Les rapports qu’entretiennent les entités programmatiques sont fréquemment une simple question de bon
sens. On peut aisément comprendre cela avec un exemple
tout simple : un espace d’accueil ou un point information
d’un bâtiment public doit nécessairement se situer dans la
proximité immédiate du hall d’entrée. Parfois les rapports
entre entités sont une question de culture ou d’époque. À
10. « Our first operation was to “comb” and consolidate the library’s
apparently ungovernable proliferation of program and media. By
combining like with like, we identified a set of programmatic clusters – five of stability, four of instability. » Rem Koolhaas in PRAT
(Ramon), Seattle public library, Actar, Barcelone, 2005, p. 19.
11. GUADET (Julien), Éléments et théorie de l’architecture, Paris,
1909.
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Figure 7 : Herzog & de Meuron, Diagramme programmatique et systémique pour le Barranca museum, Mexico, 2009.
l’architecte donc de définir le contexte culturel dans lequel
il travail. Les rapports entre élément sont donc relativement objectifs dans un contexte donné.
L’importance relative entre les éléments dont parle
Guadet est, quant à elle, beaucoup plus subjective. On a
déjà pu remarquer cela avec l’exemple de la bibliothèque de
Koolhaas ; le seul moment du processus où il intervient est
la redistribution du programme en entités distinctes.
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Dans sa définition du système, Adrien Besson explique qu’« un système définit des relations entre différents
éléments constituant un tout sans que ceux-ci ne soient dans
un état d’équilibre hiérarchique à l’image d’une composition.
Il est généralement représenté par un schéma qui décrit les
positions relatives, qui par définition ne sont ni formelles ni
géométriques. »12
12. BESSON (Adrien), Stratégie versus composition, thèse, EPFL,
2009.
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Les schémas pour le musée d’art contemporain de
Barranca (figure 7) sont assez représentatifs sur la détermination des positions relatives dont parle Besson. Les
différentes entités sont liées entre elles par un système de
flèches qui décrivent leurs relations. Le schéma d’Herzog
et de Meuron pour Barranca ne suppose absolument pas
une disposition des éléments mais crée simplement, par les
flèches, une organisation de proche en proche à observer.
Le système se veut donc une règle du jeu très précise, ne définissant, comme l’explique Adrien Besson, absolument pas une disposition des éléments.
Disposition
DISPOSER, verbe.
Arranger, mettre dans un certain ordre ou d’une
certaine manière.13
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La disposition consiste en un simple arrangement
d’éléments posés selon l’ordre le plus convenable. Cet ordre
étant défini par le système préalablement établi (cf. 1- Interactions). À l’inverse, la composition cherche à « Former
un tout par assemblage ou combinaison de divers éléments.
»14 . La disposition sous-entend une action plus neutre que
la composition, plus engagée et déterminée par l’architecte.
Le premier se veut objectif, comme obéissant à une règle ;
le second, subjectif, défini sa règle.
13. Le trésor de la Langue Française
14. Ibid.
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Une fois le système établi par l’architecte, tous des
éléments du programme sont liés entre eux. La disposition
des pièces est alors induite par les relations de proche en
proche définies par le système. On pourrait alors parler
d’une disposition systématique. François Morellet explique
que « Pour [lui] un système c’est une sorte de règle du jeu
très concise qui existe avant l’œuvre et détermine précisément
son développement et donc son exécution. […] Le système
permet de diminuer le nombre de décisions subjectives et de
laisser l’œuvre se faire elle-même […]. »15
L’œuvre se fait elle-même en ce sens que le système
étant lancé, le concepteur, si l’on peut encore l’appeler ainsi,
ne donne plus son avis mais exécute. Cette autoproduction
de l’œuvre pourrait aller plus loin grâce à l’informatique :
un système complexe pourrait engager des algorithmes
paramétriques produisant eux-mêmes l’œuvre, sans aucune
autre intervention du concepteur que la création du système. Dans un cas comme dans l’autre, l’œuvre n’appartient
presque plus à son concepteur car il n’agit plus que pour
créer le système.
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Malgré cet idéal d’un système régissant et dictant
entièrement le projet sans aucune intervention de l’architecte, plusieurs choix peuvent encore être pris. Ainsi
l’objectivité recherchée16 ne serait-elle pas une illusion ?
Lorsqu’il définit le système, Morellet se contredit presque
en expliquant qu’il y a une « règle simple et arbitraire régissant une œuvre ou une série d’œuvres. Toute peinture systé-
15. MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires,
op. cit., p. 72.
16. « Depuis trente ans, une de mes grandes préoccupations est en
effet de réduire au minimum mes décisions subjectives. », MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires, op.cit, p. 122
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Figure 8 : Herzog & de Meuron, Diagramme systémique du Barranca
museum of modern and contemporary art, Mexico, 2009.
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matique comporte cependant un choix arbitraire (comme le
choix du matériau). » 17 L’architecte peut alors dessiner la
pièce et détailler sa matérialité, sa forme, ses proportions à
sa guise. L’atmosphère intérieure n’est nullement régie par
le système mais doit s’y tenir.
Au-delà du simple dessin de la pièce, il est important de préciser que l’architecte est également libre de disposer les pièces comme il l’entend, tant qu’il respecte le
système. Ce dernier induit seulement une relation entre
ces pièces et non une disposition stricto sensu. L’architecte
peut alors les superposer, les juxtaposer, les agglomérer…
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Pour le Barranca Museum of Modern and Contemporary Art, Herzog et de Meuron ont dessinés les pièces en
reprenant le diagramme systémique (figure 8). Ces pièces
sont de nature similaire : des pavés droits d’une même matérialité. Herzog et de Meuron agglomèrent ensuite ces pièces
17. MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires,
op. cit., p. 64.
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Figure 9 (à gauche) : Herzog & de Meuron, Disposition des éléments
selon le diagramme systémique du Barranca museum of modern
and contemporary art, Mexico, 2009.
Figure 10 (à droite) : Schéma de circulation.
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à la manière d’un « pueblo mexicain »18 (figure 9). La disposition de ces pièces est totalement subjective, les architectes
auraient pu tout aussi bien les répartir sur une grille orthogonale ou les superposer, etc. Malgré une disposition définissant un désordre apparent se cache l’ordre induit par le
système : cette relation de proche en proche liant toutes les
pièces. Ce projet d’équipement muséal implique également
la création d’un parcours en boucle fermée, cette donnée
programmatique devient alors presque complémentaire au
système, d’où la création d’un document spécifique afin de
le représenter (figure 10).
Lorsque l’on compare le diagramme avec le plan du
Musée de Barranca, on ne remarque aucune ressemblance
18. « The fragmented structure is organised in a grid, similar to a
“pueblo mexicano”. » in HERZOG (Pierre), De MEURON (Jacques),
El Croquis. Herzog & de Meuron 2005-2010. Programme, Monument,
Landscape. Programa, Monumento, Paisaje, n° 152/153, Madrid,
2010.
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Figure 11 : Rem Koolhaas, Diagramme de la Seattle Central Library.
Figure 12 : Coupe schématique.
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formelle. Herzog et de Meuron ne prédéterminent pas le
plan à travers leur diagramme. A contrario, le diagramme
de Rem Koolhaas pour la Seattle Library préfigure la coupe
du bâtiment (figure 11 et 12). Tous les éléments rejetés à
gauche deviennent des pièces. L’architecte explique que
« Chacune des cinq plates-formes “stables” est une grappe
programmatique qui est architecturalement définit et équipée
pour le maximum de la performance dédié. Parce que chaque
plate-forme est conçue dans un but différent, leur taille, la souplesse, la circulation, la structure et les matériaux varient. »19
Les éléments sur la droite deviennent quant à eux des espaces interstitiels « instables »20. Les pièces ne se touchent
19. « Each of the five “stable” platforms is a programmatic cluster
that is architecturally defines and equipped for maximum, dedicated performance. Because each platform is designed for a different
purpose, their size, flexibility, circulation, structure and materials
vary. » Rem Koolhaas in PRAT (Ramon), Seattle public library,
Actar, Barcelone, 2005, p.22.
20. Rem Koolhaas in PRAT (Ramon), Seattle public library, op. cit.,
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Figure 13 : Rem Koolhaas, Maquette de la Seattle Central Library,
Seattle, 1998-2004.
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pas et sont disposées de manière désordonnée. Le vide résultant est équivalent au plein, une fonction lui est alors
assignée. Afin de mieux définir le vide, Koolhaas enveloppe
son bâtiment dans une résille qu’il tend avec les pleins (figure 13). Cette enveloppe est-elle indispensable au projet ?
Il explique lui même qu’« À première vue, il est facile de
ne pas comprendre la logique de la résille cuivrée du bâtiment. »21 On pourrait supposer que les espaces interstitiels
sont assez définis par les planchers hauts et bas, l’enveloppe
n’étant qu’une clôture réglant les problèmes climatiques,
acoustiques… Cette dernière ne change pas la pratique de
l’espace mais modifie l’image renvoyée par le bâtiment, passant d’un bâtiment fragmenté à un bâtiment unitaire.
La disposition proposée par Koolhaas pourrait
sembler parfaitement objective du fait qu’il transpose litp.26.
21. « At first glance, it is easy to miss the logic of this coppery crisscross of a building » Rem Koolhaas in PRAT (Ramon), Seattle public
library, 2005, p. 66.
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téralement son diagramme en coupe. Afin de prouver l’objectivité du processus, il cherche à montrer qu’il n’y avait
qu’un résultat possible. Koolhaas sous-tend ainsi qu’il a
développé un processus parfaitement linéaire.
La linéarité est une des caratéristiques essentielles
de la pensée systémique. Elle est vue comme moins décisionnelle et donc comme un moyen d’être plus objectif.
Herzog et de Meuron expliquent qu’« indubitablement,
la pression de la prise de décisions a trop souvent conduit
à des projets qui sont inadéquates, vain et encombré. »22
Cette critique sous-entend qu’à chaque prise de décision,
lorsque l’on compose, le projet peut s’altérer et perd de sa
substance. Le projet, peut même, à force d’intervention et
de retouches aller jusqu’au contre-sens. Le processus compositionnel est itératif et donc totalement subjectif.
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La linéarité, perçue comme un moyen de parvenir
à un projet objectif, une réponse évidente au concept de
base, ne l’est peut-être pas totalement. Revenons sur le diagramme de Rem Koolhaas et sa transposition obvie ; bien
qu’ils semblent parfaitement liés, la mise en forme aurait
pu être différente. Ne sommes-nous donc pas face à un subterfuge ? Nous sommes à même de nous demander si Koolhaas n’a pas redessiné le diagramme après la coupe afin de
prouver la linéarité et l’objectivité de son processus. Ou si
le choix de disposition était déjà prévu dès le diagramme,
la coupe n’étant qu’une résultante. L’un comme l’autre remettent en question l’objectivité défendue. Qu’il soit pensé
22. « Undoubtedly, the pressure of making decisions has all too
often led to projects that are inadequate, vain and cluttered. » in
HERZOG (Pierre), De MEURON (Jacques), El Croquis. Herzog & de
Meuron 2005-2010. Programme, Monument, Landscape. Programa,
Monumento, Paisaje, n° 152/153, Madrid, 2010.
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Les interactions et la disposition soulèvent toute
deux la question de l’objectivité. François Morellet se définit lui-même comme « [ayant] développé depuis 1952 tout
un programme de système aussi rigoureux qu’absurdes. »23
Il avoue donc que le choix de la cybernétique peut tendre
vers l’absurde. Architectes et artistes mettent un système en
place mais, de par leur nature de concepteur, ne peuvent
se résoudre à laisser le système projeter à leur place. L’approche systémique est donc un moyen de parvenir à une
certaine objectivité, mais pas une objectivité absolue.
Cette recherche d’objectivité absolue ne conduiraitelle pas les architectes à élaborer d’autres processus ?
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ou dessiné, l’aller-retour entre diagramme et coupe est manifeste, le processus n’est donc pas parfaitement linéaire.
23. MORELLET (François), « Réduire à une phrase trente-cinq ans
de travail », Mais comment taire mes commentaires, ENSBA, Paris,
1999, p. 151.
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Figure 1 : Claude Levi-Strauss, plan et analyse du village des Bororo.
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Indécision
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L’intérêt pour les cultures archaïques commence
avec Claude Lévi-Strauss, qui dès les années 1930 fait un
voyage en Amazonie à la rencontre des habitants. Il rassembla alors ces notes et divers articles dans l’ouvrage
Anthropologie structurale dans lequel il traite des cultures
moins avancées technologiquement ainsi qu’à leur mode de
vie et à la structure de leurs villages (figure 1).
Les architectes s’intéresseront également à ce sujet,
mais « il n’existe pas encore une discipline clairement définie et spécialisée pour l’étude des logements ou une grande
partie de l’architecture vernaculaire. Si une telle discipline
émergeait, elle serait probablement celle qui combine certains éléments de l’architecture et de l’anthropologie avec les
aspects de l’histoire et la géographie. »1 Ainsi dès 1947 Aldo
1. “As yet there is no clearly defined and specialized discipline for
the study of dwellings or the larger compass of vernacular architecture. If such a discipline were to emerge it would probably be one
that combines some of the elements of both architecture and anthropology with aspects of history and geography” in OLIVER (Paul),
Dwellings, Phaidon, pp. 13-14.
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Figure 2 : Photographies de Aldo Van Eyck, « Vers une ‘‘casbah’’ organisée », forum, n°7, 1959.
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Van Eyck part voyager autour du globe à la découverte
de civilisations archaïques. Ce voyage anthropologique et
ethnologique lui permettra de photographier et d’analyser ces cultures alors méconnues. Aldo Van Eyck dirigea
en 1959 la revue hollandaise Forum dans laquelle il présente certaines photographies de son voyage (figure 2). De
nombreuses revues internationales démocratiseront alors
le débat sur l’architecture vernaculaire, elle a largement
été médiatisée et discutée par les membres de Team X.
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Figure 3 : Photographies de Bernard Rudofsky, Architecture Without
Architects, unm press, Albuquerque, 1987.
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Ce regain d’intérêt pour le vernaculaire continue
avec l’exposition Architecture Without Architects : A Short
Introduction to Non-pedigreed Architecture que Bernard
Rudofsky organise en 1964 et dans laquelle il présente des
photographies de villages vernaculaires comme les villages
italiens ou dogons (figure 3). Plus qu’un simple regain d’intérêt, Bernard Rudofsky est le premier à utiliser le terme de
vernaculaire dans le domaine de l’architecture. Il explique
que « Faute d’une appellation générique, nous le nommerons
vernaculaire, anonyme, spontané, indigène, rurales, selon
le cas. »2 La même année, Fumihiko Maki publie Investigation in Collective Form. Parmi les trois paradigmes
de formes collectives traitées dans l’ouvrage, la dernière
approche, les « Group-Form », utilise des « exemples histo2. « For want of a generic label we shall call it vernacular, anonymous, spontaneous, indigenous, rural, as the case may be. » in
RUDOFSKY (Bernard), Architecture Without Architects : A Short
Introduction to Non-Pedigreed Architecture, unm press, Albuquerque,
1987, p. 58.
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Figure 4 : Photographie du village grec.
riques de bâtiments urbains »3 . Malgré l’utilisation du terme
« group-form », les exemples qu’il utilise sont vernaculaires
(village soudanais et grec (figure 4)). Il poursuit en expliquant que dans de telles formes de groupes « Une unité peut
être ajouté sans changer la structure de base du village »4
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Ces diverses études ont permis une réinterprétation savante du vernaculaire. Mais comment créer de manière savante et volontaire un bâtiment vernaculaire alors
qu’il est par définition « un bâtiment conçu par un amateur
sans aucune formation dans la conception, l’individu aura
été guidé par une série de conventions construit dans sa localité. »5 ?
3. « Historical examples of town buildings » in MAKI (Fumihiko),
Investigation in collective form, Washington University, Saint-Louis,
1964, p. 14.
4. « A unit can be added without changing the basic structure of the
village. » in MAKI (Fumihiko), op. cit., p. 18.
5. « A building designed by an amateur without any training in
design; the individual will have been guided by a series of conventions built up in his locality » in BRUNSKILL (Ronald), Illustrated
Handbook of Vernacular Architecture (4e éd.), Faber and Faber,
Londres, 2000, pp. 27-28.
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Maki qualifiait les méthodes de construction de ces
villages de « spontanées »6 ; François Morellet, dans la même
optique, offre une réponse grâce à un processus de création
d’œuvre d’art qu’il nomme « Le choix inconscient et intuitif. »7
Il explique ensuite que « La décision est prise sans que la
conscience du sujet agisse. Cette décision inconsciente ne serait pas le fruit du hasard mais répondrait aux inclinations
profondes du sujet. Cette aptitude à prendre des décisions, à
choisir sans que la conscience agisse, serait la qualité principale des grands artistes et même des grands scientifiques
d’après la conception traditionnelle, issue du romantisme. »8 .
En restant sur le thème de l’art, on suppose que le processus
se fait principalement lors que la mise en forme de l’œuvre.
La matière restant de la peinture pour une toile, de l’argile, de la pierre ou du métal pour une sculpture, soit une
matière utilisée couramment dans l’art. Dans le domaine
de l’architecture, cette matière serait alors banale, presque
elle-même vernaculaire, et sa mise en œuvre serait alors
spontanée, intuitive et sans prise de décision consciente.
6. « Consistent use of basic materials and construction methods as
well as spontaneous, but minor, variations in physical expression »
in MAKI (Fumihiko), op. cit., p. 16.
7. MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires,
ENSBA, Paris, 1999, p. 21.
8. Ibid., pp. 21-22.
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Lorsqu’un projet est constitué de diverses pièces, le
dessin de celles-ci est primordial comme dans les compositions. Comment peut-on préalablement dessiner des pièces
alors que l’on ne décidera pas de leur disposition et de leurs
interrelations ?
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Similarité
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Le choix d’un élément de base, pouvant servir à tous
les programmes du projet, devient alors nécessaire. Robert
Venturi explique d’ailleurs dans de l’ambiguïté en architecture que « La pièce à fonctions multiples est probablement
la meilleure réponse au souci de flexibilité des architectes. »9
L’architecte doit alors dessiner des « pièces à fonction multiple » qu’il pourra ensuite disposer inconsciemment. Ces
pièces sont parentes, semblables car elles ne sont pas assujettis au programme : ce sont des pièces pensées ex nihilo. Ces pièces sont ainsi les plus neutres possibles afin de
pouvoir être utilisées dans la plupart des cas. Ces pièces
neutres pourraient être opposées aux formes techniques et
complexes de certains architectes comme Zaha Hadid. On
retrouve deux types de pièces neutres : les archétypes (toits
à double pan) et les formes géométriques simples (cubes ou
pavés droits).
9. VENTURI (Robert), « Niveaux contradictoires (suite) : L’élément
à double fonction », De l’Ambiguïté en architecture, Bordas, Paris,
1976.
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Figure 5 : Les différentes maisons, éléments composant la VitraHaus,
extrait de «Architectures» : la VitraHaus.
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Le premier type de pièces, l’archétype, est une
forme, qui dans notre esprit, est associée au vernaculaire.
Herzog et de Meuron utilise une maison à deux pans afin
de réaliser la VitraHaus, showroom présentant la collection
de mobilier Vitra. Jacques Herzog explique que « c’est une
forme intime, une forme de maison individuelle et pas d’un
immeuble de bureau, d’un musée ou d’un espace public dans
le sens classique donc quelque chose qui est plus “inform” plus
modeste […], c’est aussi un peu une référence à l’architecture
de l’agglomération dans ce quartier allemand de la ville de
Bâle. »10 La forme de cet archétype fait directement référence à des conventions liées au territoire. Les maisons sont
toutes semblables mais toutes différentes, autant par leur
forme, l’inclinaison du toit ou leur dimension (figure 5).
Néanmoins, elles sont parentes : toit à deux pans, pignons
vitrées, plan libre intérieur, revêtement gris…
10. Retranscription de Jacques Herzog in COPANS (Richard),
« Architectures » : la VitraHaus. ARTE France, Centre Pompidou,
2011, 26 min.
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Figure 6 : Répertoire de 90 toitures par Junya Ishigami.
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Figure 7 : Maquettes de matérialité et de couleur pour le Tokyo Apartment de Sou Fujimoto.
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Dans son projet de Tokyo Apartment, Sou Fujimoto procède de la même manière avec des pièces en forme
de maisons à toit à deux pentes. Un travail en maquette
sera réalisé afin de savoir la matérialité et la couleur des
différentes unités : différentes couleurs, une couleur unie,
une image unissant toutes les pièces… (figure 7) Ce sont au
final les pièces blanches, solution la plus neutre, qui a été
choisie.
Junya Ishigami crée également un répertoire de toitures (figure 6) qu’il liste et numérote jusqu’à 200. Ces photos de maquettes, telles des photos de maisons prises dans
la rue, sont toutes différentes mais similaires. En plan, la
plupart sont rectangulaires mis à part quelques exceptions
en angles. En volume, ce sont des simples toitures posées
sur quatre ou six poteaux, à simple ou double pentes.
Un deuxième type de pièces, les formes géométriques simples peuvent être employées pour ce type de
projets. On comprend que les archétypes sont simplement
issus du territoire du projet, mais pourquoi, pour son
Centre Infantile pour la Réhabilitation Psychiatrique, Sou
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Figure 8 : Maquette du Children
Center constitués de cubes blancs.
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Fujimoto utilise des cubes blancs ? On pourrait trouver une
première réponse chez Kahn qui explique pour ses projets :
« J’utilise le carré pour commencer mes solutions parce que
le carré est un véritable non-choix. Au cours du développement, je recherche des forces qui réfuteraient ce carré »11.
Louis I. Kahn, comme Sou Fujimoto, commence par un
non-choix, une réponse presque conventionnelle et préétablie. Mais là où les deux hommes s’oppose, c’est que Kahn
compose, de ce fait il va modifier, détériorer son carré pour
en faire un élément d’architecture au sens noble ; Sou Fujimoto quant à lui, va conserver son carré blanc idéal (figure
8). Le Children Center se compose de cubes, ils n’ont pas
de côté plus grand qu’un autre : la hauteur est identique
à la largeur et à la profondeur. La pièce n’a donc aucune
direction qui l’orienterait, c’est un objet neutre et abstrait :
la maquette devient le projet.
11. « I use the square to begin my solutions because the square is a
non-choice, really. In the course of development, I search for forces
that would disprove the square.” Louis I. Kahn in RONNER (Heinz),
JHAVERI (Sharad), Louis I. Kahn : Complete Work 1935-1974, BäleBoston, p 209.
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Figure 9 : Jackson Pollock en train de réaliser des œuvres.
Nuée, empilement
La forme et le type de pièce étant choisi, il faut les
disposer. Mais comment s’approprier le hasard ou le vernaculaire et le rendre plus noble, plus savant ?
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Dans le domaine de l’art, Jackson Pollock a élevé
l’indécision au rang d’un savoir-faire grâce aux techniques
de dripping et de pouring (figure 9). Ses œuvres sont néanmoins dirigé par un certain ordre, en effet, « une analyse
assistée par ordinateur des peintures de Pollock révèlent que
l’artiste construit des couches de peinture dans une technique
soigneusement élaborée qui a créé un réseau dense des fractales. »12 Cela montre qu’à travers le désordre apparent, on
12. « Computer-assisted analysis of Pollock’s paintings reveals that
the artist built up layers of paint in a carefully developed technique
that created a dense web of fractals» in TAYLOR (Richard P.), «
order in Pollock’s chaos », Scientific American, n°28, Décembre
2002, p. 119.
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Figure 10 : Photographie
avec annotations d’une
maquette du Children’s
Center, Sou Fujimoto.
retrouve une forme de similarité et d’ordre. L’analyse est
complétée en expliquant que pour chaque toile, le noir représente précisément 36% de la zone étudiée. Ces œuvres
sont des all-over homogènes où chaque partie de l’œuvre
est similaire.
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En architecture, on pourrait rapprocher le Children Center de Sou Fujimoto à l’œuvre de Jackson Pollock.
En effet, le Centre Infantile est composé de pièces cubiques
semblables à des dés, Sou foujimoto jette alors ses cubes à
la manière d’un lancer de dés afin de former un all-over.
Vingt-quatre cubes sont découpés en mousse blanche, ils
sont ensuite lancés et dispersés au hasard puis collés et photographiés. Les photographies sont alors annotées, textuellement et graphiquement ; ces schémas permettant ainsi
d’analyser les rapports entre les unités ou les circulations.
Vingt-quatre autres cubes sont redécoupés et replacés de
la même manière sauf un, puis de nouveau collés, photographiés et annotés (figure 10). Cette opération est répétée plusieurs fois jusqu’à trouver la photographie annotée
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Figure 11 : Une note de musique (noire) réprésentant le plein et un
silence (soupir) représentant le vide, Sou Fujimoto.
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idéalement, la disposition idéale. A ce moment le processus
est stoppé tel un « arrêt sur image »13, alors qu’il aurait pu
continuer indéfiniment.
À la manière d’un vol d’oiseaux, le résultat est une
nuée ; comme le lancer de dés, ces dernières « se forment
à la limite du contrôle. »14 Adrien Besson explique la nuée
comme « un phénomène définit par des conditions locales
précises et simples, et relativement indifférentes de la forme
et de l’étendue de l’ensemble. »15 En effet, comme cette définition l’appui, la disposition n’est pas choisie pour l’ensemble mais pour les rapports que chacun des cubes entretient avec ces semblables. La disposition choisie devra alors
répondre à des questions d’équilibre et de rapport entre les
cubes mais aussi dans le rapport avec les vides résultants.
Le vide a d’ailleurs la même valeur que le plein et devient
une pièce en soi ; Fujimoto le symbolise par une note de
musique (plein) juxtaposée à un silence (vide) (figure 11).
13. LUCAN (Jacques), Editorial, Matières, n°8, Presse polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p. 4.
14. BESSON (Adrien), Architecture et indétermination, Matières,
n°8, Presse polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, p.
67.
15. Ibid. p. 67.
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Figure 12 : Notes without Staves (Notes sans Portée), Sou Fujimoto.
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Figure 13 : À gauche, premier croquis de la VitraHaus ; à droite, photographie du bâtiment construit, Jacques Herzog et Pierre de Meuron.
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Extrait de leur contexte et de leurs annotations, les
cubes seuls sont comme des « notes sans portées »16 (figure
12). Nonobstant des éléments disposés sans ordre apparent
à la manière de notes flottant sans partition, un ordre sousjacent lie les pièces. Sou Fujimoto va jusqu’à parler d’un
« ordre de relations locales. »17 Cela montre ainsi que malgré
l’utilisation du hasard et donc à partir d’un principe d’indécision, il réussit à créer un ensemble rationnel grâce à une
seule décision qui est le choix d’arrêter le processus.
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Jacques Herzog et Pierre de Meuron, pour la VitraHaus ne lancent pas de dés mais adoptent une attitude
assez similaire : « sans que la conscience agisse »18. Les deux
architectes ont dès le départ une idée très précise du projet, l’un des premiers croquis représente en effet une « pile
of houses » (pile de maisons) (figure 13). Après réalisation
du bâtiment, lors d’une interview, Jacques Herzog explique
qu’« En superposant une forme sur l’autre, on ajoute un autre
élément, un autre geste que nous avons utilisé dans notre
projet. C’est-à-dire un geste aussi banal que de mettre une
16. FUJIMOTO (Sou), Primitive Future, INAX, Tokyo, 2008, pp.
26-27.
17. Ibid.
18. MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires,
op. cit., pp. 21-22.
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Figure 14 : À gauche, croquis conceptuel Tokyo Apartment ; à droite,
photographie du bâtiment construit, Sou Fujimoto.
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chose sur l’autre. C’est un geste que l’on retrouve déjà chez
les enfants […][qui mettent] une chose sur l’autre tout simplement dans un geste normal, naturel, qui n’a pas besoin
d’explication intellectuelle, et qui a quelque chose d’innocent
et de très stratégique. Cela parait “random”, aléatoire mais
en fait c’est très calculé, c’est calculé à travers l’observation,
car l’on fait ce “stack”, cette superposition d’une manière à
ce que ça nous permette de créer des espaces à l’intérieur et
à l’extérieur qui fonctionnent bien. »19 On comprend ainsi
que le projet s’est constitué par lui-même, presque automatiquement, sans que les deux architectes n’y aient réfléchis.
Ils ont simplement superposé des maisons les unes sur les
autres sans penser à une quelconque composition.
Les pièces ne sont pas seulement posées les unes
sur les autres comme au Tokyo Apartment de Sou Fujimoto
(figure 14) mais elles s’encastrent les unes dans les autres.
Cela permet entre autre de résoudre des problèmes structurels, mais le plus intéressant est l’interrelation physique
et visuelle qui se produit à l’intérieur. Il est important de
noter que Jacques Herzog et Pierre de Meuron avait préa19. Retranscription de Jacques Herzog in COPANS (Richard),
«Architectures» : la VitraHaus. ARTE France, Centre Pompidou,
2011, 26 min.
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Figure 15 : Analyse des interactions spatiales à chaque jonction,
Jacques Herzog et Pierre de Meuron.
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lablement étudié chaque interaction possible à la jonction
de deux pièces aussi bien en plan qu’en coupe (figure 15).
En plan ils tournent une pièce tous les dix degrés pour voir
l’espace résultant du croisement. Ils procèdent de la même
manière en coupe où ils regardent même l’espace produit
avec une maison couchée.
Durant leur allocution à la remise du Pritzker Prize,
ils expliquent que « Les éléments sculpturaux et même apparemment accidentels, le figuratif et le chaotique, qui sont depuis peu apparus dans [leur] travail, sont la conséquence de
stratégies conceptuelles, comme l’était [leur] langage formel
du début, et non le résultat d’un geste artistique singulier. »20
Le choix de l’automatisme est donc une réelle « stratégie ».
Les deux architectes opposent cette stratégie au « geste artistique » de leur début de carrière que l’on pouvait plus
apparenter à une composition. On comprend ainsi qu’ils
positionnent leur récent travail du côté d’une « non-composition ». Cette superposition (à opposer à composition),
peut alors être modifiée, retouchée jusqu’à l’arrêt sur image.
Encore une fois, la seule décision est le moment d’arrêter le
processus d’empilement.
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Dans Junkspace, Rem Koolhaas explique que de
plus en plus l’architecture d’aujourd’hui « substitue l’accumulation à la hiérarchie, l’addition à la composition. »21 Le
dernier chapitre sur l’indécision ne présente donc pas des
épisodes isolés de l’histoire de l’architecture mais bien un
nouveau paradigme qui serait de penser l’architecture de
manière accumulative et non-composée.
20. HERZOG (Jacques), De MEURON (Pierre), « The Pritzker Prize
2001 », El Croquis, n° 109-110, Madrid, 2002, pp. 8-14.
21. KOOLHAAS (Rem), « Junkspace », Mutations, Barcelone-Bordeaux, Actar / Arc-en-rêve centre d’architecture, 2000, p. 744.
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Épilogue
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Alors que la composition est une méthode de création de projet classique, que l’on retrouve depuis l’antiquité,
les deux autres processus mettent en retrait l’architecte et
recherche une certaine neutralité. François Morellet, qui
développe l’approche systémique dans son œuvre, explique
qu’ « [il a] toujours cherché à réduire au minimum [ses]
décisions subjectives et [son] intervention artisanale pour
laisser agir librement [ses] systèmes simples, évidents et de
préférence absurdes. »1 Dans le domaine de l’architecture,
plus que de réduire la subjectivité de l’œuvre, la question est
surtout la rationalité.
On peut noter que les trois processus de création de
projet présentés dans cet ouvrage produisent des bâtiments
visuellement très similaires. Le bâtiment résultant peut en
effet être identique malgré des processus différents. Sans
connaitre de processus de projet du Barranca Museum of
1. MORELLET (François), Mais comment taire mes commentaires,
ENSBA, Paris, 1999, p. 21.
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Modern and Contemporary Art, on pourrait penser que les
pièces sont agglomérées de manière intuitive. Ce bâtiment
est un exemple où l’on n’appréhende pas, de visu, le processus de projet.
D’ailleurs, les deux derniers processus (systémique
et indécision) font croire que l’architecte n’intervient plus.
Le discours de Rem Koolhaas pour la Seattle Library est
intéressant car on pourrait croire qu’il n’avait pas le choix
et que son projet était l’unique réponse alors que certains
choix étaient possibles. De même que l’indécision où
l’« arrêt sur image » est un choix délibéré et volontaire.
Pour le musée à Kanazawa de SANAA, nous
sommes à même de nous demander si Sejima et Nishizawa
ont réalisé leur plan intuitivement ou l’on composé. La vidéo de « Recent Projects » (figure 1) laisse à penser à un
automatisme (indécision). Cependant, on se doute que la
vidéo a été réalisée une fois le plan dessiné. Les pièces sont
dessinées préalablement ; sont-elles simplement disposées
ou réellement assemblées sur la grille de fond ? Le plan final
parrait harmonieux et réfléchi à l’instar d’une composition
(bien loin d’un lancé de dés de Fujimoto).
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Le diagramme de Rem Koolhaas pour la Seattle Library préfigurant la coupe, tout comme la vidéo de SANAA
sont sans-doute réalisés après-coup. Cela nous pose la
question de la place de l’architecte qui cherche à justifier
son projet comme s’il était la seule et l’unique réponse.
Rem Koolhaas fait aujourd’hui figure d’exception, il est un des rares architectes publiant encore beaucoup de textes théoriques. A contrario, Kazuyo Sejima et
Ryue Nishizawa s’exprime et écrivent peu, laissant l’œuvre
construite parler à leur place.
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Figure 1 : Kazuyo Sejima + Ryue Nishizawa / SANAA, Musée d’art
contemporain, Kanazawa, 1999-2004, extrait du film « Recent Projects ».
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Bibliographie
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Ouvrages
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Vidéo
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Savant désordre
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Comment les architectes peuvent-ils créer un bâtiment
volontaire désordonné ? S’ils existent encore, quels ordres sousjacents régissent alors ces bâtiments ? Voici quelques questions
que cet ouvrage essaiera de soulever à travers divers exemples.
Observant des bâtiments de Louis I. Kahn à Rem Koolhaas,
en passant par Sou Fujimoto et Herzog et de Meuron, cette
étude cherchera à analyser les processus de création de projets
savamment désordonnés.
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Depuis le début du 21e siècle, nous voyons émerger de plus en
plus un nouveau paradigme : le savant désordre.
École d’architecture de la ville
& des territoire a Marne-la-Vallée
12 avenue Blaise-Pascal
Champs-sur-Marne
77447 Marne-la-Vallée Cedex 2
www.marnelavallee.archi.fr
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