The Four Seasons Restaurant CASTELLUCCI SOCÌETAS RAFFAELLO SANZIO ROMEO mise en scène, décor, costumes & lumières ROMEO CASTELLUCCI musique SCOTT GIBBONS avec CHIARA CAUSA, SILVIA COSTA, LAURA DONDOLI, IRENE PETRIS EN ITALIEN SURTITRÉ EN FRANÇAIS DU 17 AU 27 AVRIL 2013 © Fedel THÉÂTRE { AU THÉÂTRE DE LA VILLE } Dossier pédagogique SAISON 2012 I 2013 ROMEO CASTELLUCCI SOCÌETAS RAFFAELLO SANZO The Four Seasons Restaurant DU CYCLE CRÉATION Le Voile noir du Pasteur MISE EN SCÈNE, DÉCOR MUSIQUE & COSTUMES Romeo Castellucci Scott Gibbons Silvia Costa Piersandra Di Matteo DIRECTION À LA CONSTRUCTION DU DÉCOR Massimiliano Peyrone ACCESSOIRES Carmen Castellucci ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE COLLABORATION À LA DRAMATURGIE Chiara Causa, Silvia Costa, Laura Dondoli, Irene Petris AVEC Socìetas Raffaello Sanzio Theater der Welt 2010 – Théâtre National de Bretagne, Rennes – deSingel international arts campus, Anvers – The National Theatre, Oslo – Barbican London – SPILL Festival of Performance Chekhov International Theatre Festival, Moscou – Holland Festiva, Amsterdam – Athens Festival GREC 2011 – Festival de Barcelona – Festival d’Avignon – International Theatre Festival DIALOG Wroclaw, Pologne – BITEF (Belgrade International Theatre Festival) – Foreign Affairs I Berliner Festspiele 2011 – Théâtre de la Ville – Paris – Romaeuropa Festival 2011 – Theatre festival SPIELART Munich (Spielmotor München e.V.) – Le Maillon, Théâtre de Strasbourg, scène européenne – TAP Théâtre Auditorium de Poitiers, scène nationale – Peak Performances @ Montclair State-USA PRODUCTION EXÉCUTIVE © Berthelot COPRODUCTION Socìetas Raffaello Sanzio est subventionnée par Ministero per i Beni e le Attività Culturali ; Regione Emilia Romagna ; Comune di Cesena/Emilia Romagna Teatro Fondazione. L’IMAGE, SON MYSTÈRE Pourquoi nul ne peut maîtriser l’effroi qui le saisit, face à une image qui pourrait être la sienne, face à des yeux qui regardent au-delà de lui. La saison dernière, Romeo Castellucci adaptait un roman de Nathaniel Hawthorne, Le Voile noir du Pasteur, sur la peur qui s’empare de l’homme devant une image familière soudain étrangère. Peu avant, il développait une performance sur le même thème, Sur le concept du visage du fils de Dieu. Visage qui n’est plus voilé de noir, mais domine la scène en un tableau d’Antonello de Messine, devant lequel un homme et son père tentent en vain de museler la nature, et qui se désagrège. On se souvient des scandales provoqués par des intégristes fort politisés. Mais ce n’est pas la provocation qui intéresse Castellucci, c’est le défi de pouvoir « montrer une disparition ». À nouveau, il invoque un peintre, Mark Rothko, à qui, en 1958, le Four Seasons restaurant de New York offre ses murs. Et qui, par rejet de cette société qui vient se goinfrer là, décide d’enlever ses tableaux. « Le thème fondamental reste le même, le tourment d’un homme face à son image, son visage », dit Castellucci, fabuleux magicien de l’image théâtrale. Colette Godard 2 © Raynaud De Lage SOMMAIRE L’Obsession du regard I Colette Godard p. 4 Conversation p. 5 BIOGRAPHIES Empédocle Friedrich Hölderlin Romeo Castellucci p. 8 p. 9 p. 10 À écouter p. 11 3 L’OBSESSION DU REGARD © Raynaud De Lage L’impérialisme de l’image, l’importance du regard, la solitude de l’artiste : thèmes familiers à Romeo Castellucci emportés dans la fureur du ciel. Les comédiennes surgissent du néant, de ce fragment d’espace indéfini, indéfinissable et tonitruant que les experts nomment « point noir ». Elles sont dix, blanches et belles, gracieuses, comme rêvées par Botticelli. Tout en charmeuse délicatesse, elles se mutilent, des chiens se gavent. Et puis ensemble, elles racontent le poème de Hölderlin, La Mort d’Empédocle. Cet homme de science et philosophe qui d’abord vénéré, se vit rejeté, considéré comme hérétique, accusé de blasphème, et finit par se jeter dans le feu de l’Etna. En lui, Romeo Castellucci reconnaît le destin, la solitude de l’artiste, écartelé entre ses exigences et les malentendus qu’il provoque. D’où le titre du spectacle : The Four Seasons Restaurant. Luxueux restaurant new yorkais qui, pour orner ses murs, avait commandé une série de tableaux au peintre Mark Rothko. Né en Lituanie en 1903, lui aussi s’est suicidé, à New York en 1970. Et plutôt que de livrer son œuvre, son âme, aux regards de clients venus là pour consommer, se nourrir, il a préféré enlever ses tableaux, laisser les murs vides. En lui, en son histoire, Romeo Castellucci rencontre sa propre obsession du regard, son propre refus de se laisser utiliser par l’image. Plutôt le vide, plutôt la mort. Mais que devient un monde sans art ? Alors l’espace de la scène se transforme par l’effet de rideaux, qui vont et viennent, dévoilent un cheval couché, un homme blessé, un visage féminin aux yeux fermés, projeté en gros plan… Rien ne dure, l’espace se défait, s’engloutit dans une apocalypse de cauchemar, dans le tourbillon terrifiant d’une fureur céleste, assourdissante. Le noir, le bruit fracassant, le rien. La splendeur picturale pour se défaire de l’ordinaire. Difficile de ne pas être atteint. Colette Godard 4 CONVERSATION ENTRE CHRISTINA TILMANN DU BERLINER FESTSPIELE & ROMEO CASTELLUCCI The Four Seasons Restaurant commence avec une ouverture : les sons que la NASA a enregistrés dans les trous noirs de l’univers. Pourquoi ? ROMEO CASTELLUCCI : C’est le son réel d’un trou noir super- C’est un geste volontaire ? R. C. : Oui, c’est un geste volontaire : pour la vie. Ce désir de disparaître qui surgit constamment dans votre œuvre n’est pas une chose négative mais semble en revanche un acte héroïque. C’est bien cela ? R. C. : Je ne sais pas s’il est héroïque, je ne sais pas non massif, un des plus grands de l’univers connu. C’est un document de la NASA, un objet trouvé, qui fonctionne comme une ouverture. C’est comme entrer dans l’esprit du spectacle à travers un trou noir, à travers quelque chose qui fait précipiter les choses et les fait disparaître – c’est une attention totalement différente à la réalité des phénomènes. La lumière elle-même est absorbée, c’est un effondrement, une éclipse de lumière. La raison en est que l’esprit du travail est inscrit dans la philosophie de la dissimulation. C’est la philosophie qui est la structure qui construit la portée dramatique de ce travail. plus s’il s’agit d’un acte de résistance par rapport à ce monde. Disons qu’il s’agit surtout d’une façon de concevoir l’art, de concevoir l’affirmation des figures de manière différente. Tout cela est en relation avec Mark Rothko, le titre The Four Seasons est seulement une référence, une référence lointaine mais précise. Rothko aussi avait ce problème. Il avait compris, au début des années soixante et principalement aux États-Unis, qu’une conception des images très proche de la consommation s’imposait peu à peu, une sorte de boulimie hystérique. Rothko a réagi à cette attitude et a refusé que ses tableaux soient exposés dans ce célèbre restaurant. Le peintre a refusé l’idée de consommation, de boulimie de marchandises. De la même manière et à la même époque, Andy Warhol se rend compte de cette nouvelle attitude de la société face aux images. À ceci près que Warhol a sauté dans le train en marche et dit : « Je vais faire encore plus. Je vais en faire mon affaire ». Aussi bien l’un que l’autre dépasse le problème du style et de l’artiste comme personne. Derrière, il n’y a personne, c’est du moins ce qui semble arriver. Après cette ouverture, il y a une scène au cours de laquelle les actrices, toutes des femmes, se coupent la langue. Pourquoi ? R. C. : L’amputation est accomplie comme un acte de vo- lonté : couper la langue, l’exclure. Le caractère extrême de ce geste semble être indispensable à la création de cette communauté. Les dix jeunes femmes se prennent par la main et forment un cercle. Dans un deuxième temps, arrive le chien qui mange les morceaux de langue abandonnés par terre. Dès lors, il est trop tard : on ne peut plus récupérer la langue, elle est d’abord dénoncée comme une partie animale et, ensuite, elle doit retourner aux animaux. Le paradoxe sur lequel se fonde cette scène consiste dans le retour à la parole des femmes mutilées. Mais désormais, elles le font avec une « autre langue », la langue de la poésie qui n’a pas de rapport avec le réel. C’est la langue de Hölderlin – tirée de son drame La Mort d’Empédocle, un texte philosophique qui décrit le processus adopté par Empédocle pour disparaître. Le suicide qui est raconté n’est pas un suicide existentiel : c’est un suicide de type esthétique, comme un enseignement, un geste accompli au sein de la communauté et pour elle. Mais cette critique de la boulimie d’images est-elle encore valable aujourd’hui ? R. C. : Le comportement de la société américaine de ces années-là se prolonge à l’évidence encore aujourd’hui, alors que nous sommes plongés dans un flux continu d’images toute la journée. Il s’agit d’images qui ne disent absolument rien, qui n’ont pas de signification profonde pour nous et qui n’ont rien à voir avec les actes de notre résistance. Alors, quelle est l’image juste ? Si nous devons choisir, quel est le bon choix ? Culture aujourd’hui signifie choisir. Ce n’est pas une chose négative, ce noir, cette soustraction de couleur, les derniers tableaux de Rothko sont presque noirs. Ce n’est pas un noir négatif, c’est un noir de commencement, du principe des choses. Un noir qui promet un monde à venir. Ce n’est pas le noir de l’Apocalypse, c’est le noir de la Genèse. 5 Jusqu’à quel point peut-on croire dans les images ? Jusqu’à quel point une image peut-elle nous aider à nous libérer des images ? Une image devient une expérience, pas seulement quelque chose à voir. Rothko, Empédocle ou Hölderlin échappent à l’image, laquelle devient le fond d’une représentation d’elle-même, comme pure apparition. Cette fragile apparence devient le miroir de la condition existentielle du spectateur. Le spectateur est abandonné devant une image. Cette solitude est pourtant un bien précieux qui est partagé par les autres spectateurs. Pensez-vous que ces réactions soient plus fortes au théâtre que dans les arts visuels ? Et pourquoi ? R. C. : Dans tous les domaines de l’expression, il y a tou- jours ce danger de tomber dans l’illustration, dans le figuratif, comme consolation stéréotypée et condescendante envers le public. Il a y beaucoup de cinéma, beaucoup de théâtre, beaucoup de littérature qui n’est pas de l’art mais de la pure illustration. La nature profonde de l’art est l’hérésie. Il y a toujours une déchirure. C’est cela le scandale de l’art – skandalon au sens grec – si on marche sur une route, qu’il y a une pierre, un obstacle et qu’on perd l’équilibre pendant un instant. C’est cela le skandalon. Quelque chose qui oblige à changer de parcours. Je vois un cœur hérétique dans l’art occidental et les grands artistes ont été des hérétiques. Rothko ne voulait pas qu’on regarde ses tableaux de loin. Il voulait que le spectateur s’approche pour être plongé dans la sensation de la couleur. R. C. : Dans un tableau de Rothko, pour moi, en un cer- tain sens, il n’y a rien à voir. L’image nous libère de la nécessité de voir. Ce qui compte, ce n’est pas l’image, ce n’est pas le spectateur, mais c’est une chose qui existe entre eux, c’est une troisième chose entre le spectateur et le tableau. C’est la rencontre, le contact, une expérience ; je peux donc affirmer que le tableau me regarde. L’idée de la tragédie grecque a été centrale pour des artistes comme Rothko, ou Hölderlin ou vous-même. Pourquoi ? R. C. : Pour moi, la tragédie grecque n’est pas quelque Comme le tableau d’Antonello da Messina que vous aviez utilisé dans Sur le concept du visage du fils de Dieu. C’était un tableau énorme et qui regardait le spectateur. R. C.: Exactement. Ce tableau dit : « Je suis moi, œuvre chose qui appartient au passé mais c’est l’étoile polaire, le point fixe nécessaire pour s’orienter. Il n’y a rien de plus beau, de plus fort, de plus scandaleux, de plus hérétique qu’une tragédie grecque. C’est le modèle absolu de l’esthétique et de la philosophie occidentale. Il y a beaucoup de choses à la fois. La force de la tragédie grecque ne consiste pas à montrer une chose tragique, c’est le regard qui rend tout tragique. Le regard qui devient tragique. Stratégique. d’art, moi, modèle, moi, peinture, moi, tableau, moi, spectacle, qui te regarde. Je te regarde et tu me regardes. Si en revanche nous voyons le théâtre ou l’art comme un objet, il n’y a pas contact, il n’y a pas de drame. » Il n’y a pas de progression dramatique. Qu’est-ce que le drame pour vous ? R. C. : Le drame n’est pas seulement une forme d’antago- Parlons de la beauté : la langue de Hölderlin est très belle mais c’est aussi un texte difficile… R. C. : La poésie de Hölderlin peut être – et elle l’est au- nisme qui existerait entre deux personnages sur la scène. Le drame est entre la scène et le spectateur. C’est cela le sens du drame grec. Le drame est entre le citoyen et l’acteur. Et la critique est la scène de la crise. Ce n’est pas simple d’accepter cette confrontation dramatique : une image peut révéler des choses désagréables. Cela peut être difficile, cela peut être insupportable lorsqu’il affronte certains arguments ou touche des points sensibles. jourd’hui – un geste transgressif. Elle est violente, de cette violence capable de produire des idées comme quelque chose d’hérétique. C’est le contraire de l’équilibre, il n’y a rien d’équilibré dans sa poésie. Il en résulte un geste politiquement radical, une attitude « hard core ». Derrière cette façade parfaite, il y a de nombreuses contradictions. Par exemple on ne peut pas, socialement parlant, accepter une idée comme le suicide. C’est la rupture définitive du contrat social : on ne peut pas se suicider. Hölderlin confirme, avec une incroyable beauté formelle, tout ce qu’il veut, même les idées les plus anarchiques, parce qu’il est protégé par cette beauté qui devient arme, exosquelette armé qui peut être dangereux. Je trouve que la beauté de Hölderlin consiste précisément dans ce danger. Travailler avec Hölderlin, c’est comme manipuler de la dynamite. Elle peut exploser dans vos mains. Même au prix d’un scandale, comme cela a été le cas pour votre spectacle Sur le concept du visage du fils de Dieu ? Vous aimez ces réactions fortes ou violentes ? R. C. : Je ne peux pas dire que je les aime mais il est juste qu’elles aient lieu. Je n’ai pas de contrôle sur cela parce que ce n’est pas mon métier. Mais si cela arrive, cela signifie qu’il y a eu une interrogation profonde, quelque chose a été touché. 6 © Raynaud De Lage La rupture du contrat social est aussi présente dans le récit Le Voile noir du Pasteur de Hawthorne, qui donnait son titre à l’étape précédente. Qu’est-ce que signifie ce récit pour vous ? R. C. : Il y a divers sujets : Hölderlin, Rothko, Hawthorne, Cela vaut aussi pour votre théâtre. Vous parlez de trou noir et montrez des images grandioses… R. C. : Il faut trouver une image pour exprimer l’idée du manque d’image. Un autre philosophe allemand, Franz Rosenzweig, dans Der Stern der Erlösung, parle de la tragédie grecque et dit quelque chose que je trouve magnifique. Il dit que la tragédie grecque est « l’art du silence ». Et la chose extraordinaire, c’est que le héros tragique en parlant, produit le silence. Le héros de la tragédie de Hölderlin, Empédocle, veut atteindre le zéro, le néant. Mais ce zéro n’est pas le zéro zen. C’est une zéro conflictuel, un zéro à haute densité dramatique. le trou noir. Mais tous ceux-ci sont dotés d’une structure. Plusieurs noms, plusieurs sujets et une structure qui prend forme en une sorte de constellation. Tout cela parle de la même chose. Il s’agit d’une rencontre fortuite, d’une révélation, mais c’est aussi peut-être parce que, en ce moment, je suis attiré par un certain type de philosophie de l’image. Tout est né de la lecture du récit Le Voile noir du Pasteur de Hawthorne. Un récit d’une puissance absolue. C’est une brève nouvelle, mais il y a quelque chose en elle qui est capable de regarder dans les yeux notre époque. Le pasteur décide de ne plus laisser voir son visage. Le geste encore plus radical serait de ne plus rien faire, de ne plus travailler, comme fait Bartleby le scribe, le personnage du récit de Herman Melville. C’est un paradoxe dont Hofmannsthal et Rimbaud ont parlé. Ce choix du non-dire, du non-faire, il faut qu’il s’exprime à travers le dire et le faire et c’est là qu’est la contradiction. De même lorsque Mark Rothko détache ses toiles des murs du restaurant Four Seasons, le geste d’enlever devient un geste esthétique. Il a fait quelque chose. Vous aviez commencé à monter Le Voile noir du Pasteur et puis vous l’avez abandonné. Pourquoi ? R. C. : Je n’étais pas satisfait de la forme. Je crois que le sujet d’Hawthorne est très dense et qu’on ne peut pas l’affronter directement. Mais ce n’est pas fini. Je pense que je reviendrai à ce récit. Il m’a totalement envahi, il me possède. Duisburg, 15 août 2012 Copyright Berliner Festspiele/Foreign Affairs 7 EMPÉDOCLE Philosophe présocratique de l’école de Pythagore et médecin. Personnage excentrique, figure politique et ardent défenseur de la démocratie, il fut banni d’Agrigente, sa ville natale. Il termina sa vie dans le Péloponnèse. Selon la légende, il aurait remporté une victoire aux jeux olympiques et se serait jeté dans les cratères de l’Etna laissant au bord une de ses chaussures comme preuve de sa mort. D’après une autre version, il erra une nuit aux alentours de l’Etna et disparut à jamais. À l’aube, le volcan vomit ses sandales de bronze. Ainsi, selon Lacan, il « laisse à jamais présent dans la mémoire des hommes cet acte symbolique de son être pour la mort. » (Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 320). Empédocle s’est montré capable dune action « unique et formidable » (Deleuze), © X. DR « trop grande pour lui » : il se précipite dans le chaos pour que de son moi se dissolvant naisse un monde nouveau. « Car c’est mourir que je veux. C’est mon droit. », fait dire Höldelin à Empédocle dont la chute volontaire dans l’Etna, telle qu’en elle : « La pesanteur tombe, tombe, et la vie, Ether limpide, s’épanouit par-dessus. » (Hölderlin, Empédocle, troisième version, dans œuvres, trad. fr. R. Rovini, Paris Gallimard, 1967, p. 573, cité par J.-C. Goddard, Violence et subjectivité. Derrida, Deleuze et Maldimey, Paris, J. Vrin, « Moments philosophiques », 2008, p.14) L’obsession d’Empédocle pour le feu de l’Etna a donné naissance en psychanalyse au « complexe d’Empédocle ». Bachelard met cette attirance du feu en rapport avec la rêverie éveillée devant le feu, phénomène observé universellement chez les humains : « Elle amplifie le destin humain ; elle relie le petit au grand, le foyer au volcan, la vie d’une bûche et la vie d’un monde. L’être fasciné entend l’appel du bûcher. Pour lui la destruction est plus qu’un changement, c’est un renouvellement. Cette rêverie très spéciale et pourtant très générale détermine un véritable complexe où s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct de vivre et l’instinct de mourir ». (Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 1949) Empédocle semble avoir cru dans la métempsycose permettant aux âmes l’expiation des « Si jamais l’une des âmes a souillé criminellement ses mains de sang, ou a suivi la haine et s’est parjurée, elle doit errer trois fois dix mille ans loin des demeures des bienheureux, naissant dans le cours du temps sous toutes sortes de formes mortelles, et changeant un pénible sentier de vie contre un autre. » http://174.142.61.76/thematiques/mort.nsf/Documents/Empedocle 8 FRIEDRICH HÖLDERLIN Né le 20 Mars 1770 à Lauffen, mort le 7 Juin 1843 à Tübingen. Élevé pieusement par sa mère, Friedrich Hölderlin entre à dix-huit ans au séminaire pour étudier la théologie où il a pour camarade Hegel et Schelling. D’un caractère sensible, tourmenté et mystique, il s’oriente vers la poésie qu’il conçoit comme un hymne et un chant. En 1796, grâce à Hegel, il trouve un emploi de précepteur, mais tombe amoureux de la mère de son élève, qu’il décrira dans ses poèmes sous le nom de Diotima. Il quitte cet emploi, ébranlé par son amour malheureux. Dès lors, de plus en plus inquiet et solitaire, à la recherche d’une communion extatique avec le divin, Hölderlin sombre lentement dans la folie. Il est interné en 1806 dans une clinique, puis accueilli par un menuisier, il vécut dans une tour qui donne sur le Neckar. ŒUVRES PRINCIPALES → Hypérion (1797) → La Mort d’Empédocle (1798) → Hymnes (1796-1804) → Remarques sur Sophocle (1804) http://www.evene.fr/ « » © Wikimedia Commons Que sont toutes les actions et les pensées des hommes durant des siècles contre un seul instant de l’amour ? Nous ne sommes rien. Ce que nous cherchons est tout. Sauvage est la proximité du sacré. 9 MARK ROTHKO LES PREMIÈRES ANNÉES ET LE GROUPE DES "DIX" © 2013 A+E Networks. All rights reserved. Arrivé aux États-Unis en 1913, Mark Rothko a fait ses études à l’Université de Yale avant de suivre les cours de Max Weber à l’Art Students League de New York à partir de 1925. Il apprend beaucoup de ses visites des musées et de ses rencontres avec d’autres artistes. En 1929 il obtient un poste d’enseignant d’art à la Center Academy de Brooklyn. C’est aussi l’année où ses toiles sont exposées pour la première fois dans une galerie. Rothko peint alors des paysages, des portraits et des nus. Sa première exposition personnelle date de 1933. En 1935, Rothko fonde entre autres avec Adolph Gottlieb le Groupe des “Dix” (The Ten). Influencés par l’Expressionnisme, ils s’opposent au Conservatisme et organiseront plusieurs expositions y compris en Europe. DU SURRÉALISME À L’ABSTRACTION À partir des années 1940, Rothko se rapproche du surréalisme européen en fréquentant notamment la galerie “Art of This Century” tenue par Peggy Guggenheim. C’est là que seront exposées les toiles les plus surréalistes de Rothko. Influencé alors par Max Ernst, André Masson ou encore Arshile Gorky, il peint des toiles très inspirées par la mythologie et les symboles. Vers 1947-1948, ses toiles jusque-là encore figuratives basculent vers l’abstraction. Les formes sont moins définies et deviennent floues. Peu à peu les seules formes représentées deviennent géométriques ; des rectangles de couleurs différentes qui annoncent les toiles qui rendront Mark Rothko célèbre. 10 LA COULEUR COMME MOYEN D’EXPRESSION À partir de 1950, les tableaux de Rothko vont prendre des dimensions considérables. Leur composition en deux ou trois rectangles de couleur est caractéristique de l’œuvre de Rothko. En jouant sur l’épaisseur des couches de peinture, il fait varier le degré de luminosité de ses tableaux, ce qui avec la variété des couleurs utilisées, lui permet de suggérer une multitude d’atmosphères et d’humeurs. On peut rapprocher le style de Rothko de la technique dite du “Color field painting” (champ de couleur) bien que Rothko ait toujours refusé d’y être apparenté, tout comme il refusait d’être classé parmi les expressionnistes abstraits. Au fil des années, la peinture de Mark Rothko s’assombrit. En 1958, il réalise des fresques murales pour le restaurant Four Seasons à New York. De 1964 à 1967, il réalise une série de 14 peintures pour la chapelle qui portera son nom : The Rothko Chapel. Souffrant d’un cancer, il se suicide en 1970. http://www.nouvellesimages.fr/Mark-Rothko_id~artistes_aut~AUT001812 ŒUVRES Orange and Yellow, 1956 Red, white and brown, 1957 Black on Maroon, 1958 © X. DR © David Sillitoe for the Guardian En 1958, les architectes de la toute nouvelle tour Seagram avaient commandé ces tableaux pouvant mesurer jusqu’à 2,66 m sur 4,57 m pour décorer les murs du luxueux restaurant Four Seasons au rez-de-chaussée de ce gratte-ciel situé au cœur de Manhattan. Mais Rothko, pour une raison qui reste toujours mystérieuse, avait finalement décidé d’annuler cette commande, avait restitué les sommes perçues et avait fait don, notamment à la Tate, des toiles déjà réalisées. Les œuvres offertes étaient arrivées à Londres le 25 février 1970, le jour-même où l’artiste, alors âgé de 66 ans, s’est suicidé. La Tate détient, avec le MoMA (Museum of Modern Art) de New York, le plus grand nombre d’œuvres de Rothko. 11 ROMEO CASTELLUCCI En quelques années, le nom de Romeo Castellucci s’est imposé comme l’une des références de l’art théâtral européen. C’est en 1981 qu’il fonde la Socìetas Raffaello Sanzio, une compagnie basée à Cesena (Émilie-Romagne), considérée comme « expérimentale » dans l’Italie des années 90. Sous sa signature, déclinée à la mise en scène, à la scénographie, à l’adaptation, aux lumières et aux costumes, l’ancien diplômé des Beaux-Arts de Bologne n’a cessé de passer la scène au crible de références picturales entre passé et présent, de Piero della Francesca à Warhol, ou, cette année, Antonello da Messina à Manzoni. © X. DR L’étonnante plasticité de ses images, la sobriété de la présence humaine ou animale, la rigueur des gestes et déplacements, l’importance du texte projeté ou murmuré, la place occupée par des machineries de type nouveau, l’ampleur de l’investissement sonore (due à son association avec Scott Gibbons) montrent la capacité de Romeo Castellucci d’absorber tous les langages au service du théâtre. Nourri d’une italianité profonde, enraciné dans l’enfance, dans la langue latine et le théâtre grec, puisant dans la linguistique et les recherches expérimentales, dans la philosophie et la théologie, son travail donne corps à une expérience intérieure au cours de laquelle le verbe vacille. Les pièces qu’il crée forment un seul faisceau de paraboles dont le décryptage est livré à l’imagination du spectateur. Au Festival d’Avignon, Romeo Castellucci vient pour la première fois en 1998 avec Giulio Cesare d’après Shakespeare. Suivent Voyage au bout de la nuit, un « concerto » d’après Céline, en 1999, et Genesi, en 2000. Par la suite, le Festival accueille la Tragedia Endogonidia avec A.#02 Avignon en 2001, avant de diffuser les épisodes B.#03 Berlin et BR.#04 Bruxelles en 2005, tout en déployant ses Crescite XII et XIII. En 2007, Romeo Castellucci présente Hey Girl ! avant de devenir, aux côtés de Valérie Dréville, l’un des deux artistes associés de l’édition 2008 et de créer trois pièces inspirées par La Divine comédie de Dante : Inferno, Purgatorio et Paradiso. La même année, il crée une performance, Storia dell’Africa contemporanea vol. 3 et en 2011, Sur le concept du visage du fils de Dieu, présenté au Festival d’Avignon 2011, puis à l’automne au Théâtre de la Ville-Paris. Jean-Louis Perrier pour le Festival d’Avignon 2011 12 © Berthelot → À ÉCOUTER cliquez sur l’adresse suivante : http://www.franceinter.fr/emission-le-grand-journal-des-festivals-the-four-season-restaurant 13 EMPÉDOCLE Elles parleront à ma place quand je serai loin les fleurs du ciel, astres fleuris et celles qui par milliers bourgeonnent de la terre, la Nature divinement présente n’a pas besoin de discours ; et jamais plus elle ne vous laissera solitaires, où Une fois elle vous aura approchés, car ineffable est son instant ; et victorieux œuvre à travers tous les temps en animant vers le bas, son feu céleste. Quand alors les heureux jours de Saturne, les nouveaux, plus virils, seront venus, alors pensez au temps passé, alors que revive réchauffé par le génie le dire des pères ! Que monte à la fête, comme s’élevant du chant de la lumière printanière, le monde oublié des héros hors du royaume des ombres, et qu’avec le doré nuage d’affliction se dépose le souvenir, vous joyeux, autour de vous – Ils étaient ! La Mort d’Empédocle, F. Hölderlin, Éd. Ombres, 1987