romeo castellucci - Theatre de la Ville

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The Four Seasons
Restaurant
CASTELLUCCI
SOCÌETAS RAFFAELLO SANZIO
ROMEO
mise en scène, décor,
costumes & lumières
ROMEO CASTELLUCCI
musique SCOTT GIBBONS
avec
CHIARA CAUSA,
SILVIA COSTA,
LAURA DONDOLI,
IRENE PETRIS
EN ITALIEN SURTITRÉ EN FRANÇAIS
DU 17 AU 27 AVRIL 2013
© Fedel
THÉÂTRE { AU THÉÂTRE DE LA VILLE }
Dossier pédagogique
SAISON 2012 I 2013
ROMEO CASTELLUCCI
SOCÌETAS RAFFAELLO SANZO
The Four Seasons Restaurant
DU CYCLE
CRÉATION
Le Voile noir du Pasteur
MISE EN SCÈNE, DÉCOR
MUSIQUE
&
COSTUMES
Romeo Castellucci
Scott Gibbons
Silvia Costa
Piersandra Di Matteo
DIRECTION À LA CONSTRUCTION DU DÉCOR Massimiliano Peyrone
ACCESSOIRES Carmen Castellucci
ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE
COLLABORATION À LA DRAMATURGIE
Chiara Causa, Silvia Costa,
Laura Dondoli, Irene Petris
AVEC
Socìetas Raffaello Sanzio
Theater der Welt 2010 – Théâtre National de Bretagne,
Rennes – deSingel international arts campus, Anvers – The National
Theatre, Oslo – Barbican London – SPILL Festival of Performance
Chekhov International Theatre Festival, Moscou – Holland Festiva,
Amsterdam – Athens Festival GREC 2011 – Festival de Barcelona –
Festival d’Avignon – International Theatre Festival DIALOG Wroclaw,
Pologne – BITEF (Belgrade International Theatre Festival) – Foreign
Affairs I Berliner Festspiele 2011 – Théâtre de la Ville – Paris –
Romaeuropa Festival 2011 – Theatre festival SPIELART Munich
(Spielmotor München e.V.) – Le Maillon, Théâtre de Strasbourg,
scène européenne – TAP Théâtre Auditorium de Poitiers, scène
nationale – Peak Performances @ Montclair State-USA
PRODUCTION EXÉCUTIVE
© Berthelot
COPRODUCTION
Socìetas Raffaello Sanzio est subventionnée par Ministero per i Beni
e le Attività Culturali ; Regione Emilia Romagna ; Comune di
Cesena/Emilia Romagna Teatro Fondazione.
L’IMAGE, SON MYSTÈRE
Pourquoi nul ne peut maîtriser l’effroi qui le saisit, face
à une image qui pourrait être la sienne, face à des yeux
qui regardent au-delà de lui.
La saison dernière, Romeo Castellucci adaptait un roman de Nathaniel Hawthorne, Le
Voile noir du Pasteur, sur la peur qui s’empare de l’homme devant une image familière soudain étrangère. Peu avant, il développait une performance sur le même
thème, Sur le concept du visage du fils de Dieu. Visage qui n’est plus voilé de noir, mais
domine la scène en un tableau d’Antonello de Messine, devant lequel un homme et
son père tentent en vain de museler la nature, et qui se désagrège. On se souvient des
scandales provoqués par des intégristes fort politisés. Mais ce n’est pas la provocation
qui intéresse Castellucci, c’est le défi de pouvoir « montrer une disparition ». À nouveau, il invoque un peintre, Mark Rothko, à qui, en 1958, le Four Seasons restaurant
de New York offre ses murs. Et qui, par rejet de cette société qui vient se goinfrer là,
décide d’enlever ses tableaux. « Le thème fondamental reste le même, le tourment d’un
homme face à son image, son visage », dit Castellucci, fabuleux magicien de l’image
théâtrale.
Colette Godard
2
© Raynaud De Lage
SOMMAIRE
L’Obsession du regard I Colette Godard
p.
4
Conversation
p.
5
BIOGRAPHIES
Empédocle
Friedrich Hölderlin
Romeo Castellucci
p. 8
p. 9
p. 10
À écouter
p. 11
3
L’OBSESSION DU REGARD
© Raynaud De Lage
L’impérialisme de l’image, l’importance du regard, la solitude de l’artiste :
thèmes familiers à Romeo Castellucci emportés dans la fureur du ciel.
Les comédiennes surgissent du néant, de ce fragment d’espace indéfini, indéfinissable et tonitruant que les experts
nomment « point noir ». Elles sont dix, blanches et belles, gracieuses, comme rêvées par Botticelli. Tout en charmeuse délicatesse, elles se mutilent, des chiens se gavent.
Et puis ensemble, elles racontent le poème de Hölderlin, La Mort d’Empédocle. Cet homme de science et philosophe
qui d’abord vénéré, se vit rejeté, considéré comme hérétique, accusé de blasphème, et finit par se jeter dans le feu
de l’Etna. En lui, Romeo Castellucci reconnaît le destin, la solitude de l’artiste, écartelé entre ses exigences et les
malentendus qu’il provoque.
D’où le titre du spectacle : The Four Seasons Restaurant. Luxueux restaurant new yorkais qui, pour orner ses murs,
avait commandé une série de tableaux au peintre Mark Rothko. Né en Lituanie en 1903, lui aussi s’est suicidé, à
New York en 1970. Et plutôt que de livrer son œuvre, son âme, aux regards de clients venus là pour consommer,
se nourrir, il a préféré enlever ses tableaux, laisser les murs vides.
En lui, en son histoire, Romeo Castellucci rencontre sa propre obsession du regard, son propre refus de se laisser
utiliser par l’image. Plutôt le vide, plutôt la mort.
Mais que devient un monde sans art ?
Alors l’espace de la scène se transforme par l’effet de rideaux, qui vont et viennent, dévoilent un cheval couché, un
homme blessé, un visage féminin aux yeux fermés, projeté en gros plan… Rien ne dure, l’espace se défait, s’engloutit dans une apocalypse de cauchemar, dans le tourbillon terrifiant d’une fureur céleste, assourdissante.
Le noir, le bruit fracassant, le rien. La splendeur picturale pour se défaire de l’ordinaire. Difficile de ne pas être
atteint.
Colette Godard
4
CONVERSATION
ENTRE CHRISTINA TILMANN DU BERLINER FESTSPIELE & ROMEO CASTELLUCCI
The Four Seasons Restaurant commence avec une ouverture :
les sons que la NASA a enregistrés dans les trous noirs de l’univers. Pourquoi ?
ROMEO CASTELLUCCI : C’est le son réel d’un trou noir super-
C’est un geste volontaire ?
R. C. : Oui, c’est un geste volontaire : pour
la vie.
Ce désir de disparaître qui surgit constamment dans votre
œuvre n’est pas une chose négative mais semble en revanche
un acte héroïque. C’est bien cela ?
R. C. : Je ne sais pas s’il est héroïque, je ne sais pas non
massif, un des plus grands de l’univers connu. C’est un
document de la NASA, un objet trouvé, qui fonctionne
comme une ouverture. C’est comme entrer dans l’esprit
du spectacle à travers un trou noir, à travers quelque
chose qui fait précipiter les choses et les fait disparaître
– c’est une attention totalement différente à la réalité
des phénomènes. La lumière elle-même est absorbée, c’est
un effondrement, une éclipse de lumière. La raison en
est que l’esprit du travail est inscrit dans la philosophie
de la dissimulation. C’est la philosophie qui est la structure qui construit la portée dramatique de ce travail.
plus s’il s’agit d’un acte de résistance par rapport à ce
monde. Disons qu’il s’agit surtout d’une façon de concevoir l’art, de concevoir l’affirmation des figures de manière
différente. Tout cela est en relation avec Mark Rothko, le
titre The Four Seasons est seulement une référence, une référence lointaine mais précise. Rothko aussi avait ce problème. Il avait compris, au début des années soixante et
principalement aux États-Unis, qu’une conception des
images très proche de la consommation s’imposait peu
à peu, une sorte de boulimie hystérique. Rothko a réagi
à cette attitude et a refusé que ses tableaux soient exposés
dans ce célèbre restaurant. Le peintre a refusé l’idée de
consommation, de boulimie de marchandises. De la même
manière et à la même époque, Andy Warhol se rend
compte de cette nouvelle attitude de la société face aux
images. À ceci près que Warhol a sauté dans le train en
marche et dit : « Je vais faire encore plus. Je vais en faire
mon affaire ». Aussi bien l’un que l’autre dépasse le problème du style et de l’artiste comme personne. Derrière,
il n’y a personne, c’est du moins ce qui semble arriver.
Après cette ouverture, il y a une scène au cours de laquelle
les actrices, toutes des femmes, se coupent la langue.
Pourquoi ?
R. C. : L’amputation est accomplie comme un acte de vo-
lonté : couper la langue, l’exclure. Le caractère extrême
de ce geste semble être indispensable à la création de cette
communauté. Les dix jeunes femmes se prennent par la
main et forment un cercle. Dans un deuxième temps,
arrive le chien qui mange les morceaux de langue abandonnés par terre. Dès lors, il est trop tard : on ne peut
plus récupérer la langue, elle est d’abord dénoncée
comme une partie animale et, ensuite, elle doit retourner aux animaux. Le paradoxe sur lequel se fonde cette
scène consiste dans le retour à la parole des femmes
mutilées. Mais désormais, elles le font avec une « autre
langue », la langue de la poésie qui n’a pas de rapport
avec le réel. C’est la langue de Hölderlin – tirée de son
drame La Mort d’Empédocle, un texte philosophique qui
décrit le processus adopté par Empédocle pour disparaître. Le suicide qui est raconté n’est pas un suicide
existentiel : c’est un suicide de type esthétique, comme
un enseignement, un geste accompli au sein de la communauté et pour elle.
Mais cette critique de la boulimie d’images est-elle encore
valable aujourd’hui ?
R. C. : Le comportement de la société américaine de ces
années-là se prolonge à l’évidence encore aujourd’hui,
alors que nous sommes plongés dans un flux continu
d’images toute la journée. Il s’agit d’images qui ne
disent absolument rien, qui n’ont pas de signification
profonde pour nous et qui n’ont rien à voir avec les actes
de notre résistance. Alors, quelle est l’image juste ? Si
nous devons choisir, quel est le bon choix ? Culture
aujourd’hui signifie choisir. Ce n’est pas une chose
négative, ce noir, cette soustraction de couleur, les derniers tableaux de Rothko sont presque noirs. Ce n’est
pas un noir négatif, c’est un noir de commencement, du
principe des choses. Un noir qui promet un monde à
venir. Ce n’est pas le noir de l’Apocalypse, c’est le noir de
la Genèse.
5
Jusqu’à quel point peut-on croire dans les images ?
Jusqu’à quel point une image peut-elle nous aider à
nous libérer des images ? Une image devient une expérience, pas seulement quelque chose à voir. Rothko,
Empédocle ou Hölderlin échappent à l’image, laquelle
devient le fond d’une représentation d’elle-même, comme
pure apparition. Cette fragile apparence devient le miroir
de la condition existentielle du spectateur. Le spectateur est abandonné devant une image. Cette solitude est
pourtant un bien précieux qui est partagé par les autres
spectateurs.
Pensez-vous que ces réactions soient plus fortes au théâtre
que dans les arts visuels ? Et pourquoi ?
R. C. : Dans tous les domaines de l’expression, il y a tou-
jours ce danger de tomber dans l’illustration, dans le
figuratif, comme consolation stéréotypée et condescendante envers le public. Il a y beaucoup de cinéma, beaucoup de théâtre, beaucoup de littérature qui n’est pas de
l’art mais de la pure illustration. La nature profonde de
l’art est l’hérésie. Il y a toujours une déchirure. C’est cela
le scandale de l’art – skandalon au sens grec – si on
marche sur une route, qu’il y a une pierre, un obstacle
et qu’on perd l’équilibre pendant un instant.
C’est cela le skandalon. Quelque chose qui oblige à changer de parcours. Je vois un cœur hérétique dans l’art
occidental et les grands artistes ont été des hérétiques.
Rothko ne voulait pas qu’on regarde ses tableaux de loin. Il
voulait que le spectateur s’approche pour être plongé dans
la sensation de la couleur.
R. C. : Dans un tableau de Rothko, pour moi, en un cer-
tain sens, il n’y a rien à voir. L’image nous libère de la
nécessité de voir. Ce qui compte, ce n’est pas l’image, ce
n’est pas le spectateur, mais c’est une chose qui existe
entre eux, c’est une troisième chose entre le spectateur et
le tableau. C’est la rencontre, le contact, une expérience ;
je peux donc affirmer que le tableau me regarde.
L’idée de la tragédie grecque a été centrale pour des artistes
comme Rothko, ou Hölderlin ou vous-même. Pourquoi ?
R. C. : Pour moi, la tragédie grecque n’est pas quelque
Comme le tableau d’Antonello da Messina que vous aviez
utilisé dans Sur le concept du visage du fils de Dieu. C’était
un tableau énorme et qui regardait le spectateur.
R. C.: Exactement. Ce tableau dit : « Je suis moi, œuvre
chose qui appartient au passé mais c’est l’étoile polaire,
le point fixe nécessaire pour s’orienter. Il n’y a rien de
plus beau, de plus fort, de plus scandaleux, de plus
hérétique qu’une tragédie grecque. C’est le modèle
absolu de l’esthétique et de la philosophie occidentale.
Il y a beaucoup de choses à la fois. La force de la tragédie grecque ne consiste pas à montrer une chose tragique, c’est le regard qui rend tout tragique. Le regard
qui devient tragique. Stratégique.
d’art, moi, modèle, moi, peinture, moi, tableau, moi, spectacle, qui te regarde. Je te regarde et tu me regardes. Si en
revanche nous voyons le théâtre ou l’art comme un objet, il
n’y a pas contact, il n’y a pas de drame. »
Il n’y a pas de progression dramatique.
Qu’est-ce que le drame pour vous ?
R. C. : Le drame n’est pas seulement une forme d’antago-
Parlons de la beauté : la langue de Hölderlin est très belle
mais c’est aussi un texte difficile…
R. C. : La poésie de Hölderlin peut être – et elle l’est au-
nisme qui existerait entre deux personnages sur la scène.
Le drame est entre la scène et le spectateur. C’est cela le
sens du drame grec. Le drame est entre le citoyen et
l’acteur. Et la critique est la scène de la crise. Ce n’est pas
simple d’accepter cette confrontation dramatique : une
image peut révéler des choses désagréables. Cela peut être
difficile, cela peut être insupportable lorsqu’il affronte
certains arguments ou touche des points sensibles.
jourd’hui – un geste transgressif. Elle est violente, de
cette violence capable de produire des idées comme
quelque chose d’hérétique. C’est le contraire de l’équilibre,
il n’y a rien d’équilibré dans sa poésie. Il en résulte un
geste politiquement radical, une attitude « hard core ».
Derrière cette façade parfaite, il y a de nombreuses contradictions. Par exemple on ne peut pas, socialement parlant, accepter une idée comme le suicide. C’est la rupture définitive du contrat social : on ne peut pas se suicider. Hölderlin confirme, avec une incroyable beauté
formelle, tout ce qu’il veut, même les idées les plus
anarchiques, parce qu’il est protégé par cette beauté qui
devient arme, exosquelette armé qui peut être dangereux. Je trouve que la beauté de Hölderlin consiste précisément dans ce danger. Travailler avec Hölderlin, c’est
comme manipuler de la dynamite. Elle peut exploser
dans vos mains.
Même au prix d’un scandale, comme cela a été le cas
pour votre spectacle Sur le concept du visage du fils de
Dieu ? Vous aimez ces réactions fortes ou violentes ?
R. C. : Je ne peux pas dire que je les aime mais il est juste
qu’elles aient lieu. Je n’ai pas de contrôle sur cela parce
que ce n’est pas mon métier. Mais si cela arrive, cela
signifie qu’il y a eu une interrogation profonde, quelque
chose a été touché.
6
© Raynaud De Lage
La rupture du contrat social est aussi présente dans le récit
Le Voile noir du Pasteur de Hawthorne, qui donnait son titre
à l’étape précédente. Qu’est-ce que signifie ce récit pour
vous ?
R. C. : Il y a divers sujets : Hölderlin, Rothko, Hawthorne,
Cela vaut aussi pour votre théâtre. Vous parlez de trou noir
et montrez des images grandioses…
R. C. : Il faut trouver une image pour exprimer l’idée du
manque d’image. Un autre philosophe allemand, Franz
Rosenzweig, dans Der Stern der Erlösung, parle de la
tragédie grecque et dit quelque chose que je trouve
magnifique. Il dit que la tragédie grecque est « l’art du
silence ». Et la chose extraordinaire, c’est que le héros
tragique en parlant, produit le silence. Le héros de la
tragédie de Hölderlin, Empédocle, veut atteindre le zéro,
le néant. Mais ce zéro n’est pas le zéro zen. C’est une
zéro conflictuel, un zéro à haute densité dramatique.
le trou noir. Mais tous ceux-ci sont dotés d’une structure. Plusieurs noms, plusieurs sujets et une structure
qui prend forme en une sorte de constellation. Tout cela
parle de la même chose. Il s’agit d’une rencontre fortuite, d’une révélation, mais c’est aussi peut-être parce
que, en ce moment, je suis attiré par un certain type de
philosophie de l’image. Tout est né de la lecture du récit
Le Voile noir du Pasteur de Hawthorne. Un récit d’une
puissance absolue. C’est une brève nouvelle, mais il y a
quelque chose en elle qui est capable de regarder dans
les yeux notre époque.
Le pasteur décide de ne plus laisser voir son visage. Le
geste encore plus radical serait de ne plus rien faire, de
ne plus travailler, comme fait Bartleby le scribe, le personnage du récit de Herman Melville.
C’est un paradoxe dont Hofmannsthal et Rimbaud ont
parlé. Ce choix du non-dire, du non-faire, il faut qu’il
s’exprime à travers le dire et le faire et c’est là qu’est la
contradiction. De même lorsque Mark Rothko détache
ses toiles des murs du restaurant Four Seasons, le geste
d’enlever devient un geste esthétique. Il a fait quelque
chose.
Vous aviez commencé à monter Le Voile noir du Pasteur et
puis vous l’avez abandonné. Pourquoi ?
R. C. : Je n’étais pas satisfait de la forme. Je crois que le
sujet d’Hawthorne est très dense et qu’on ne peut pas
l’affronter directement. Mais ce n’est pas fini. Je pense
que je reviendrai à ce récit. Il m’a totalement envahi, il
me possède.
Duisburg, 15 août 2012
Copyright Berliner Festspiele/Foreign Affairs
7
EMPÉDOCLE
Philosophe présocratique de l’école de Pythagore et médecin. Personnage excentrique,
figure politique et ardent défenseur de la démocratie, il fut banni d’Agrigente, sa ville
natale. Il termina sa vie dans le Péloponnèse.
Selon la légende, il aurait remporté une victoire aux jeux olympiques et se serait jeté
dans les cratères de l’Etna laissant au bord une de ses chaussures comme preuve de
sa mort. D’après une autre version, il erra une nuit aux alentours de l’Etna et disparut
à jamais. À l’aube, le volcan vomit ses sandales de bronze. Ainsi, selon Lacan, il « laisse
à jamais présent dans la mémoire des hommes cet acte symbolique de son être pour la
mort. » (Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 320).
Empédocle s’est montré capable dune action « unique et formidable » (Deleuze),
© X. DR
« trop grande pour lui » : il se précipite dans le chaos pour que de son moi se dissolvant naisse un monde nouveau. « Car c’est mourir que je veux. C’est mon droit. », fait
dire Höldelin à Empédocle dont la chute volontaire dans l’Etna, telle qu’en elle : « La
pesanteur tombe, tombe, et la vie, Ether limpide, s’épanouit par-dessus. » (Hölderlin,
Empédocle, troisième version, dans œuvres, trad. fr. R. Rovini, Paris Gallimard, 1967, p. 573, cité par J.-C. Goddard, Violence
et subjectivité. Derrida, Deleuze et Maldimey, Paris, J. Vrin, « Moments philosophiques », 2008, p.14)
L’obsession d’Empédocle pour le feu de l’Etna a donné naissance en psychanalyse au « complexe d’Empédocle ».
Bachelard met cette attirance du feu en rapport avec la
rêverie éveillée devant le feu, phénomène observé universellement chez les humains : « Elle amplifie le destin
humain ; elle relie le petit au grand, le foyer au volcan, la vie
d’une bûche et la vie d’un monde. L’être fasciné entend l’appel du bûcher. Pour lui la destruction est plus qu’un changement, c’est un renouvellement. Cette rêverie très spéciale et
pourtant très générale détermine un véritable complexe où
s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct de vivre et
l’instinct de mourir ». (Gaston Bachelard, La Psychanalyse
du feu, Paris, Gallimard, 1949)
Empédocle semble avoir cru dans la métempsycose permettant aux âmes l’expiation des « Si jamais l’une des âmes a
souillé criminellement ses mains de sang, ou a suivi la haine et s’est parjurée, elle doit errer trois fois dix mille ans loin
des demeures des bienheureux, naissant dans le cours du temps sous toutes sortes de formes mortelles, et changeant un
pénible sentier de vie contre un autre. »
http://174.142.61.76/thematiques/mort.nsf/Documents/Empedocle
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FRIEDRICH HÖLDERLIN
Né le 20 Mars 1770 à Lauffen, mort le 7 Juin 1843 à
Tübingen.
Élevé pieusement par sa mère, Friedrich Hölderlin entre à
dix-huit ans au séminaire pour étudier la théologie où il a
pour camarade Hegel et Schelling. D’un caractère sensible,
tourmenté et mystique, il s’oriente vers la poésie qu’il conçoit
comme un hymne et un chant.
En 1796, grâce à Hegel, il trouve un emploi de précepteur,
mais tombe amoureux de la mère de son élève, qu’il décrira
dans ses poèmes sous le nom de Diotima. Il quitte cet
emploi, ébranlé par son amour malheureux. Dès lors, de
plus en plus inquiet et solitaire, à la recherche d’une communion extatique avec le divin, Hölderlin sombre lentement
dans la folie. Il est interné en 1806 dans une clinique, puis
accueilli par un menuisier, il vécut dans une tour qui donne
sur le Neckar.
ŒUVRES PRINCIPALES
→ Hypérion (1797)
→ La Mort d’Empédocle (1798)
→ Hymnes (1796-1804)
→ Remarques sur Sophocle (1804)
http://www.evene.fr/
« »
© Wikimedia Commons
Que sont toutes les actions et les pensées
des hommes durant des siècles
contre un seul instant de l’amour ?
Nous ne sommes rien.
Ce que nous cherchons est tout.
Sauvage est la proximité du sacré.
9
MARK ROTHKO
LES PREMIÈRES ANNÉES
ET LE GROUPE
DES "DIX"
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Arrivé aux États-Unis en
1913, Mark Rothko a fait
ses études à l’Université de
Yale avant de suivre les
cours de Max Weber à l’Art
Students League de New
York à partir de 1925. Il
apprend beaucoup de ses
visites des musées et de ses
rencontres avec d’autres
artistes. En 1929 il obtient
un poste d’enseignant d’art
à la Center Academy de
Brooklyn. C’est aussi l’année où ses toiles sont exposées pour la première fois
dans une galerie. Rothko
peint alors des paysages,
des portraits et des nus. Sa
première exposition personnelle date de 1933. En
1935, Rothko fonde entre
autres avec Adolph Gottlieb
le Groupe des “Dix” (The
Ten). Influencés par l’Expressionnisme, ils s’opposent
au Conservatisme et organiseront plusieurs expositions
y compris en Europe.
DU SURRÉALISME À L’ABSTRACTION
À partir des années 1940, Rothko se rapproche du surréalisme européen en fréquentant notamment la galerie “Art of
This Century” tenue par Peggy Guggenheim. C’est là que seront exposées les toiles les plus surréalistes de Rothko.
Influencé alors par Max Ernst, André Masson ou encore Arshile Gorky, il peint des toiles très inspirées par la mythologie et les symboles. Vers 1947-1948, ses toiles jusque-là encore figuratives basculent vers l’abstraction. Les formes sont
moins définies et deviennent floues. Peu à peu les seules formes représentées deviennent géométriques ; des rectangles
de couleurs différentes qui annoncent les toiles qui rendront Mark Rothko célèbre.
10
LA COULEUR COMME MOYEN D’EXPRESSION
À partir de 1950, les tableaux de Rothko vont prendre des dimensions considérables. Leur composition en deux ou trois
rectangles de couleur est caractéristique de l’œuvre de Rothko. En jouant sur l’épaisseur des couches de peinture, il fait
varier le degré de luminosité de ses tableaux, ce qui avec la variété des couleurs utilisées, lui permet de suggérer une multitude d’atmosphères et d’humeurs. On peut rapprocher le style de Rothko de la technique dite du “Color field painting”
(champ de couleur) bien que Rothko ait toujours refusé d’y être apparenté, tout comme il refusait d’être classé parmi les
expressionnistes abstraits.
Au fil des années, la peinture de Mark Rothko s’assombrit. En 1958, il réalise des fresques murales pour le restaurant
Four Seasons à New York. De 1964 à 1967, il réalise une série de 14 peintures pour la chapelle qui portera son nom : The
Rothko Chapel. Souffrant d’un cancer, il se suicide en 1970.
http://www.nouvellesimages.fr/Mark-Rothko_id~artistes_aut~AUT001812
ŒUVRES
Orange and Yellow, 1956
Red, white and brown, 1957
Black on Maroon, 1958
© X. DR
© David Sillitoe for the Guardian
En 1958, les architectes de la toute nouvelle tour
Seagram avaient commandé ces tableaux pouvant
mesurer jusqu’à 2,66 m sur 4,57 m pour décorer les
murs du luxueux restaurant Four Seasons
au rez-de-chaussée de ce gratte-ciel situé au cœur
de Manhattan. Mais Rothko, pour une raison qui reste
toujours mystérieuse, avait finalement décidé d’annuler
cette commande, avait restitué les sommes perçues
et avait fait don, notamment à la Tate, des toiles
déjà réalisées. Les œuvres offertes étaient arrivées
à Londres le 25 février 1970, le jour-même où l’artiste,
alors âgé de 66 ans, s’est suicidé. La Tate détient,
avec le MoMA (Museum of Modern Art) de New York,
le plus grand nombre d’œuvres de Rothko.
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ROMEO CASTELLUCCI
En quelques années, le nom de Romeo Castellucci s’est
imposé comme l’une des références de l’art théâtral européen. C’est en 1981 qu’il fonde la Socìetas Raffaello Sanzio,
une compagnie basée à Cesena (Émilie-Romagne), considérée comme « expérimentale » dans l’Italie des années
90. Sous sa signature, déclinée à la mise en scène, à la
scénographie, à l’adaptation, aux lumières et aux costumes, l’ancien diplômé des Beaux-Arts de Bologne n’a
cessé de passer la scène au crible de références picturales
entre passé et présent, de Piero della Francesca à Warhol,
ou, cette année, Antonello da Messina à Manzoni.
© X. DR
L’étonnante plasticité de ses images, la sobriété de la présence
humaine ou animale, la rigueur des gestes et déplacements,
l’importance du texte projeté ou murmuré, la place occupée
par des machineries de type nouveau, l’ampleur de l’investissement sonore (due à son association avec Scott Gibbons)
montrent la capacité de Romeo Castellucci d’absorber tous
les langages au service du théâtre.
Nourri d’une italianité profonde, enraciné dans l’enfance,
dans la langue latine et le théâtre grec, puisant dans la linguistique et les recherches expérimentales, dans la philosophie et la théologie, son travail donne corps à une expérience
intérieure au cours de laquelle le verbe vacille. Les pièces
qu’il crée forment un seul faisceau de paraboles dont le
décryptage est livré à l’imagination du spectateur. Au
Festival d’Avignon, Romeo Castellucci vient pour la première fois en 1998 avec Giulio Cesare d’après Shakespeare.
Suivent Voyage au bout de la nuit, un « concerto » d’après
Céline, en 1999, et Genesi, en 2000.
Par la suite, le Festival accueille la Tragedia Endogonidia avec A.#02 Avignon en 2001, avant de diffuser les épisodes B.#03
Berlin et BR.#04 Bruxelles en 2005, tout en déployant ses Crescite XII et XIII.
En 2007, Romeo Castellucci présente Hey Girl ! avant de devenir, aux côtés de Valérie Dréville, l’un des deux artistes associés de l’édition 2008 et de créer trois pièces inspirées par La Divine comédie de Dante : Inferno, Purgatorio et Paradiso.
La même année, il crée une performance, Storia dell’Africa contemporanea vol. 3 et en 2011, Sur le concept du visage du
fils de Dieu, présenté au Festival d’Avignon 2011, puis à l’automne au Théâtre de la Ville-Paris.
Jean-Louis Perrier pour le Festival d’Avignon 2011
12
© Berthelot
→ À ÉCOUTER
cliquez sur l’adresse suivante :
http://www.franceinter.fr/emission-le-grand-journal-des-festivals-the-four-season-restaurant
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EMPÉDOCLE
Elles parleront à ma place quand je serai loin
les fleurs du ciel, astres fleuris
et celles qui par milliers bourgeonnent de la terre,
la Nature divinement présente
n’a pas besoin de discours ; et jamais plus
elle ne vous laissera solitaires, où Une fois
elle vous aura approchés,
car ineffable est son instant ;
et victorieux œuvre à travers tous les temps
en animant vers le bas, son feu céleste.
Quand alors les heureux jours de Saturne,
les nouveaux, plus virils, seront venus,
alors pensez au temps passé, alors que revive
réchauffé par le génie le dire des pères !
Que monte à la fête, comme s’élevant
du chant de la lumière printanière, le monde
oublié des héros hors du royaume des ombres,
et qu’avec le doré nuage d’affliction se dépose
le souvenir, vous joyeux, autour de vous –
Ils étaient !
La Mort d’Empédocle, F. Hölderlin, Éd. Ombres, 1987
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