CULTURE GENERALE THEME N°1 : L’INDIVIDUALISME L’individualisme dans la culture ancienne L’individualisme est une problématique moderne, et en même temps une problématique de la société occidentale contemporaine. Il faut partir de la définition du terme. Le terme « individualisme » a été introduit dans la langue française assez tardivement, en 1825. Le dictionnaire Robert donne de l’individualisme la définition suivante : « Théorie ou tendance à voir dans l’individu une valeur suprême, et ce dans 3 domaines : économique, politique et moral. ». C’est une notion qui se place constamment en opposition avec des systèmes de pensée qui se définissent comme l’exact contraire de l’individualisme, comme le communisme ou le collectivisme. Sur un plan contemporain, l’individualisme est en tension avec le communautarisme. Aux alentours des années 1825, le 1er à avoir donné une définition de l’individualisme est Tocqueville : « L’individualisme est une expression récente qu’une idée nouvelle a fait naître. Nos pères ne connaissaient que l’égoïsme. ». Tocqueville (1805-1859), De la Démocratie en Amérique (1835), c’est en étudiant la démocratie américaine que Tocqueville a conceptualisé la notion d’individualisme. L’individualisme est défini comme une notion récente, ce qui présuppose que l’individualisme est profondément lié au développement de la démocratie, ce qui présuppose qu’avant il n’y avait que l’égoïsme. Il faut quand même aborder les arrières plans culturels qui conduisent à la notion de l’individualisme au début du XIXème siècle. Chez les grecs et les latins, on peut parler d’une notion que les historiens ont défini comme le contraire de l’individualisme, c’est la société holiste, qui signifie que l’individu forme un tout avec la société. Dans La République de Platon, soumission de chaque individu à la loi commune. Le christianisme, par la volonté de spiritualité qu’il exige, va développer une vie intérieure, donnant une certaine forme d’autonomie à l’individualisme. La vie intérieure orientée vers Dieu c’est le détachement de l’homme de la Cité (cf. film « Des hommes et des Dieux »). La création du mouvement protestant (1517 : écrits de Luther qui proclament une critique de l’Église catholique) explique également l’individualisme. Luther dit qu’il ne faut plus d’intermédiaire entre les hommes et Dieu. Luther ajoute que c’est à l’homme de modifier son environnement, c'est-à-dire que l’individu doit cultiver une prospérité matérielle, et sa richesse personnelle, individuelle, est un signe d’élection. Cela explique le fait que l’on dise que la religion protestante est liée au capitalisme et au libéralisme. Cette idée là va fleurir en Suisse, en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis. C’est là que l’on retrouve Tocqueville. Tocqueville va aux USA pour étudier le système de prison, ce qui est un prétexte pour étudier la démocratie. Dans son œuvre, plusieurs chapitres parlent de l’individualisme. Avec la Réforme, se met en place une volonté d’élargir la pensée individuelle. Dans Le Tiers livre (1546) de Rabelais, Pantagruel dit : « Il faut être le libre interprète de sa propre entreprise. ». Benjamin Constant a écrit un roman qui s’appelle Adolph (1816), et fait partie de ces intellectuels qui ont à la fois une dimension politique et littéraire. Il réfléchit à la liberté individuelle. Dans un discours de 1819, il dit : « La liberté individuelle, je le répète, voilà la véritable liberté moderne. Les gouvernements qui partent d’une source légitime ont de moins qu’autrefois le droit d’exercer sur les individus une suprématie arbitraire. ». Autrement dit, Benjamin Constant prône l’individualisme moral et politique. Pour lui, l’ordre politique doit être enraciné dans la liberté inhérente à chaque individu. Autrement dit, il fait partie de ces penseurs politiques qui, au XIXème siècle, considèrent que l’individu doit être au centre de toutes les décisions et que l’État doit avoir une action limitée. Bien entendu, tout ceci est lié à la Révolution industrielle et au fait que l’économie a besoin d’initiatives privées individuelles pour se développer. Tocqueville, dans De la Démocratie en Amérique, va fortement nuancer ce point de vue. Au moment de la Révolution, Emmanuel Kant, philosophe allemand, a écrit Critiques de la raison pure (1787), et il a écrit Critiques de la raison pratique (1788). Il considère que l’individu doit avoir une forme d’autonomie, mais surtout il doit être responsable. Rousseau, dans Du contrat social (1762), considère que l’individu est complètement au service de la société, que la société est au service de l’individu, dans une harmonie idéale. On va lui opposer le fait que les hommes ne sont pas forcément enclins à tout mettre en commun. Lui, en réponse, va inventer la religion de l’être suprême qui consiste à apprendre à aimer son prochain. Robespierre, avec la Terreur, va notamment reprendre les idées de Rousseau. Tocqueville, dans son ouvrage, montre les limites de la démocratie. En 1830, aux États-Unis, la religion est une limite par exemple. La métaphore des anneaux de Tocqueville : « L’aristocratie avait fait de tous les citoyens une longue chaîne qui remontait du paysan au roi ; la démocratie brise la chaîne et met chaque anneau à part. ». Donc la démocratie a tendance à mettre les individus à part. Le principal danger de l’individualisme dans une démocratie c’est que l’individu ne s’intéresse qu’à lui, se replie vers une forme d’égoïsme et néglige la question du politique et du social. Dans ce cas, la démocratie ne peut plus fonctionner. Donc Tocqueville dit que la démocratie produit elle-même son propre poison. Tocqueville est également un moraliste. L’individualisme dans la culture moderne Il y a un philosophe contemporain qui a beaucoup réfléchi à la question de l’individualisme, c’est Emmanuel Lévinas, Totalité et infini (1974). Il fonde une partie de sa philosophie sur la définition de l’individualisme. Il a une très belle métaphore qui est le ravissement du visage. Il dit que « Les meurtriers ont du mal à regarder leur victime en face, car ils sont pris par leur ravissement du visage. ». Il fait la distinction entre 2 formes d’individualisme : « l’individualisme de l’être » et « l’individualisme éthique ». L’individualisme de l’être est l’individualisme matérialiste : l’individu est plongé dans la prolifération des biens matériels et dans la satisfaction égocentrique de soi. C’est l’individualisme de l’être qui définit l’homme occidental dans sa modernité. En revanche, l’individualisme éthique est un concept positif. Lévinas part de l’idée que le pouvoir politique peut toujours exercer une violence. Dès lors, l’individu doit en appeler à la vigilance de sa conscience individuelle, l’individualisme éthique étant une forme de résistance face à l’oppression politique. Gilles Lipovetsky, L’ère du vide (1983), Les temps hypermodernes (2004). Il se définit comme un disciple de Tocqueville. Il est considéré comme un grand spécialiste de l’individualisme. Il a exploré tous les champs de l’individualisme contemporain. Dans L’ère du vide, il dénonce la désertion des valeurs, c'est-à-dire du politique, du syndicalisme. Autrement dit, l’individu contemporain n’adhère plus. Il explique que dans les années 80, on assiste à un surinvestissement de l’espace privé au détriment de la vie sociale et politique. L’individu se détache de la Cité et se replie sur sa sphère personnelle. Dès lors, la société contemporaine connaît une dérive individualiste, c'est-à-dire que l’individu contemporain met au point des processus de dérivation de l’intérêt politique et social vers des intérêts purement privés et exclusifs. Il donne comme exemple les films de Woody Allen. Cet individualisme est-il forcément négatif ? Non, car ainsi il y a un épanouissement personnel. Le plus grand philosophe français contemporain, Michel Foucault (1926-1984) a écrit Surveiller et punir (1975). Il dit que la société moderne développe le libéralisme, mais elle développe au bout du compte un univers disciplinaire, car les individus sont enfermés dans des normes et sont en permanence surveillés. Il appelle ça « l’univers disciplinaire ». Dès lors, l’individu, pour sortir de cet univers, a comme ressource sa propre fantaisie. Exemple : la mode. La définition de la société hypermoderne entend l’exagération. La société hypermoderne est marquée par le royaume de la dérégulation, car tout explose (les actions financières et boursières par exemple). On est dans une société hypermoderne, car on est dans une société hyperbolique, c'est-à-dire une société de l’exagération. Évidemment on assiste à un hyper-individualisme, car l’individu a toujours voulu s’adapter au rythme de la société, et souvent par une débauche d’individualisme. La référence littéraire de l’homme pressé : L’homme pressé (1941), Morand. L’hyper-individualisme prend la forme du narcissisme, c’est le narcissisme contemporain. Ce narcissisme contemporain s’appuie sur le développement de soi (yoga, psychologie). Il y a notamment l’obsession narcissique de la santé (chirurgie esthétique, marché et obsession de la longévité, le fait de manger sain, faire du sport). Dès lors, on connait un surinvestissement dans l’estime de soi. De même, nous connaissons, à l’heure actuelle, une hyper-jouissance, la jouissance étant l’un des moteurs de l’individualisme. On va essayer de travailler cette hyper-jouissance de manière symbolique (les phénomènes de célébrité, les traders). Easton Ellis, American psycho (1991) : l’hyper-jouissance conduit à la délinquance. Le carpe diem : c’est la jouissance du présent. L’individualiste veut profiter du présent. Aujourd’hui, nous connaissons tout de même un carpe diem inquiet, car les gens sont inquiets de l’avenir. Cet hyper-individualisme moderne procure-t-il le bonheur ? Non, car il entraîne une insatisfaction au quotidien, un manque de confiance en soi et le fait de ne pas penser aux autres entraîne la solitude. Cf. Extension du domaine de la lutte (1994), Houellebecq : il décrit la souffrance contemporaine qui vient de l’individualisme. L’individu hypermoderne a aussi une conscience éthique, un ethos, c'est-à-dire qu’on peut très bien être individualiste, mais se soucier des autres en même temps. Au départ, on connaît une grande expression de la liberté, de la jouissance individuelle, mais en même temps on a besoin d’ordre et de régulation. En fait, on cherche un nouvel équilibre. La politique du care est issue d’une sociologue, Y. Tronto, Un monde vulnérable pour une politique du care : il s’agit de redéfinir les frontières entre la vie publique et la vie privée. THEME N°2 : LA OCCIDENTALE FAMILLE COMME PILIER DE LA CIVILISATION _ Naissance de la famille moderne (1977), Édouard Shorter, édition « Le seuil ». _ L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1973), Philippe Ariès, édition « Le seuil ». _ La révolution de l’amour pour une spiritualité laïque (2010), Luc Ferry. _ Le mariage d’amour a-t-il échoué ? Pascal Bruckner, édition « Grasset ». Il faut noter l’importance des représentations littéraires et artistiques en ce domaine. C’est la littérature qui révèle les grands traits de l’évolution familiale. D’abord d’un point de vue littéraire, philosophique et anthropologique, la famille entre en résonnance avec l’histoire du sentiment amoureux. Cf. thèse de « L’amour et l’Occident » (1939), Denis Rougemont. La question qui est posée dans cette thèse est de savoir si cet amour est un sentiment naturel ou une construction culturelle. On peut faire dériver cette question du côté de la famille. Des chefs d’œuvre de littérature ont présenté une vision de la famille qui a permis une évolution. D’un point de vue sociologique, la pièce « Le jeu de l’amour et du hasard » est le triomphe du sentiment amoureux dans le mariage. Shorter dit que c’est l’amour romantique qui a changé les choses en matière de famille parce que le couple a désormais la possibilité de créer ses propres formes de tendresse et d’affection, et puis il y a l’empathie qui entre en ligne de compte, c'est-à-dire que les conjoints se mettent à la place de l’autre pour comprendre ses problèmes et ses souffrances. La révolution romantique a changé les mœurs. Le choix du conjoint, à la naissance de la famille, dépend dans une certaine mesure d’un conditionnement culturel. Au XIXème siècle, ce conditionnement vient du romantisme. Cf. La nouvelle Héloïse, Rousseau. Dans l’ouvrage de Shorter, on parle de « l’aventure amoureuse de l’humanité ». C’est la fonction de la littérature de porter l’aventure amoureuse de l’humanité, pour le meilleur (cf. tous les romans d’amour) et pour le pire (cf. la nouvelle « Aux champs », Guy de Maupassant). En quoi la nouvelle « Aux champs » est-elle toujours actuelle ? Il y a le jugement des enfants, le regard des enfants, vis-à-vis de leurs parents. C’est le problème du sentiment de l’enfant. L’amour paternel ou maternel est-il acquis ou naturel ? C’est également la problématique de l’adoption. C’est la question de l’Arche de Zoé, novembre 2007, qui propose des adoptions contre de l’argent, mais ces orphelins n’étaient pas orphelins. Quel est le prix de l’adoption ? Il y a surtout le capital affectif. I. De la famille traditionnelle à la famille moderne A. Une institution conservatrice Le pater familias à Rome est le modèle familial qui se construit et qui constitue la base. Cette structure, au fils des siècles, a été perçue comme un cadre de rigidité. Si cette structure s’est inscrite durablement dans le paysage social occidental, le mariage en lui-même n’allait pas de soi. Ariès affirme que l’Église catholique considérait le mariage comme une concession faite à la sexualité. Le mariage, au Moyen-âge, ne se faisait pas à l’intérieur de l’Église, mais sur le porche de l’Église. Ariès pointe aussi du doigt le fait que les enfants du mariage, pour l’Église catholique, étaient reçus avec une certaine méfiance parce qu’ils étaient l’œuvre de la chair. Cette tradition perdure encore lors de la célébration actuelle du mariage catholique puisqu’il y a ensuite un passage sur le porche. Ce modèle a suscité révolte et contestation. Ce foyer de contestation par rapport à la famille est porté par la littérature. Cf. Les nourritures terrestres (1895), André Gide : « Famille je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur. ». André Gide a ouvert le mouvement littéraire de la contestation familiale. Cf. François Mauriac. Cf. Vipère au poing (1948), Hervé Bazin (1911-1996) : c’est l’œuvre la plus marquante concernant la contestation familiale. Durant le XXème siècle, la contestation de l’autorité familiale était si forte qu’on a mis en place des modèles alternatifs à la famille. Ex : la création des appartements communautaires lors de la Révolution bolchévique. Autre ex : les communautés hippies. La famille, pendant des siècles, a été considérée comme une unité de production, elle était ramenée à sa fonction économique. Les enfants avaient un rôle particulier, soit ils étaient considérés comme une source de prospérité économique et ils prenaient dans ce cas le relais de l’entreprise familiale dans les milieux bourgeois, soit ils étaient également perçus comme une forme de prospérité, cf. travail des enfants. Dans les milieux populaires, le développement de la famille par les enfants était aussi perçu comme une fatalité et comme un poids. Selon Philippe Ariès, la famille placée dans cet environnement économique conditionne l’expression du sentiment amoureux, c'est-à-dire que l’intérêt économique, pratiquement jusqu’à la 1ère moitié du XIXème siècle, prime sur le sentiment. Les paysans, par ex sous l’AR, accompagnaient le mariage des enfants de manœuvres calculatrices. Le fils que l’on mariait c’était un champ supplémentaire. Dans un sens large, c’était le règne du mariage arrangé. Le théâtre de Molière présente des scènes de dépit amoureux. Ces scènes ont pour cause les parents qui arrangent le mariage pour des questions de rentabilité, sans tenir compte du sentiment amoureux des enfants. Si bien que ces situations économiques ne sont pas sans conséquence sur l’amour que l’on accorde aux enfants. Quand les parents ne sont pas unis par le sentiment, peuvent-ils encore aimer leurs enfants ? Cela renvoie à la question de savoir si l’amour maternel est vraiment un instinct. Elizabeth Badinter, dans L’amour en plus, a réfléchi à la question. Celleci dit : « L’amour maternel n’est pas un instinct qui procèderait d’une action féminine, et donc il n’est pas naturel ou inné, il relève d’un comportement social variable selon les époques et les mœurs. ». Elle établit sa thèse à partir du constat suivant : pendant le XVIème, le XVIIème et le XVIIIème siècle, on plaçait les enfants en nourrice et on ne les élevait pas directement. Cela interroge l’instinct maternel. Rousseau dénonce la pratique des nourrices dans Émile ou de l’éducation (1762). Il retrace les grandes lignes de l’affection et de la tendresse que l’on doit prodiguer à l’enfant, ce qui suppose la suppression de la pratique des nourrices. Il conteste cette pratique, et ce malgré tout le paradoxe que représente Rousseau puisqu’il a abandonné ses enfants à l’assistance publique. Dans ces conditions de rigidité familiale, apparaît le problème de l’endogamie ou homogamie. Cette rigidité joue aussi dans le choix du conjoint, selon la règle « Qui se ressemble s’assemble. ». On trouve une réponse chez Zola qui a écrit un cycle romanesque, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le 2nd Empire, d’une 20ène de volumes, avec les mêmes personnages que l’on retrouve d’un roman à l’autre. Toute la thèse de Zola est de montrer que l’une des rigidités de la structure familiale traditionnelle passe par ce que l’on appelle le déterminisme social. Cf. L’assommoir, Zola. A l’époque de Zola et de la Révolution industrielle, on prend conscience du rôle de la famille. La famille devient très vite un enjeu d’un rouage politique. Vont se mettre en place de nouvelles politiques d’État consacrées à la famille. En 1792, une loi révolutionnaire va autoriser le divorce. En 1804, Napoléon va consacrer de nombreux articles qui garantissent l’ordre social de la famille. En 1816, on abolit la loi précédente, car on considère que la déconstruction de la famille contribue à la déconstruction de la société. Ce clivage politique ne cessera de se développer au cours des périodes suivantes. Toujours à l’époque de la Révolution industrielle, on commence à assister à la naissance de la famille moderne, avec le développement du capitalisme, et donc de l’exode rural. La logique du capitalisme, à l’époque, ne coïncide pas avec les intérêts de la famille puisque le marché oblige à la poursuite d’intérêts particuliers : libre détermination de l’individu sur le marché qui crée une tension avec le foyer familial. Toujours à cette époque, en raison de l’affaiblissement du religieux chrétien, la famille a tendance à se désacraliser. Ensuite, la famille moderne se construit comme un cadre d’épanouissement, avec moins de haine et moins de rigidité. B. L’évolution de la famille moderne Il y a un point qui a contribué à l’apparition du modèle familial moderne qui est l’invention de la psychanalyse : Trois essais sur la vie sexuelle (1905), Freud. Il fait apparaître des structures familiales qui sont assez inquiétantes. C’est l’invention du complexe d’Œdipe. Freud démontre que le désir amoureux de l’enfant est déterminé par le cadre familial. Le déterminisme de Zola est remplacé par un déterminisme du désir. Freud théorise une notion qu’il appelle la libido. La libido c’est le foyer du désir chez l’individu. Cela est fabriqué dans les relations de l’enfant à la mère et au père. Freud montre qu’il y a, à partir de la famille, toute une série de dérèglements érotiques qui se produisent chez l’individu et qui sont dus aux relations familiales. Dès lors, la psychanalyse se donne pour tâche au XXème siècle de libérer les individus des dérèglements de la libido. Selon Freud, si l’individu a un traumatisme, il va reproduire le même traumatisme sur ses enfants. Sur un autre plan, interviennent des actions de l’État. Il y a des actions de l’État dans le domaine de la gestion de la procréation. 1956 : mouvement français pour le planning familial. 1967 : vente de la pilule contraceptive. 1974 : suppression de l’autorisation parentale pour la délivrance de la pilule contraceptive aux mineurs. 1975 : IVG. C’est le sentiment amoureux qui va vraiment gouverner la famille. La famille est programmée sur l’idée d’un bonheur inventé. Le couple parental s’édifie sur des bases égalitaires. A partir du moment où la femme a le pouvoir de réguler et de gérer, comme elle le souhaite, les naissances, elle s’affirme d’avantage dans la société. La révolution familiale apparait dans la construction de ce modèle égalitaire, car on assiste à une décroissance de la fonction du père. Cette parité familiale engage une nouvelle image du père, on a appelé ça les nouveaux pères, et depuis les années 1970, la publicité, le cinéma, en Europe occidentale, ne se lassent pas de montrer l’image du nouveau père. L’une des dernières avancées en ce domaine est le droit à un congé de paternité. Cf. loi de la parité de 1999. Si l’État légifère dans le domaine de la procréation, il va légiférer dans le domaine social. C’est là qu’il faut se poser la question de l’État providence. Depuis des décennies, l’État providence a fonctionné au profit des familles, malgré sa crise actuelle. 1918 : version de l’allocation aux fonctionnaires. 1932 : les allocations familiales sont généralisées auprès de la population. Dans les années 1930 : mise en place du Code de la famille. Le régime de Pétain va intensifier cette politique familiale. La mère est mise à l’honneur : il y a des allocations pour les femmes mariées décidant de rester femmes au foyer. La mère est mise à l’honneur puisque la fête des mères a été créée sous le régime de Pétain. L’État prend à sa charge certains devoirs familiaux, donc il allège la charge des familles. L’État providence à destination des familles est confronté à 2 écueils : 1. Jusqu’où doit aller l’interventionnisme familial ? Il ne faut pas tomber dans un univers totalitaire. 2. L’État providence à l’égard des familles, mais pourquoi faire ? Pourquoi l’État providence se mêle à ce point de la famille et pourquoi financer les familles ? Il y a l’idée selon laquelle la famille doit vivre dans le bonheur. Les actions de l’État modifient la vie familiale. Cf. La famille (2007), Nicolas Jonas : c’est une enquête sur la famille moderne. Dans cette enquête, il y a un exemple de l’influence que peut avoir l’État sur le fonctionnement conjugal avec l’allocation parentale d’éducation. Dans ce cadre, et grâce à l’État providence, la famille moderne devient un lieu d’épanouissement, un lieu de refuge, par rapport aux agressions du monde contemporain (agressions économiques par ex). La famille moderne constitue en elle-même une idéologie, c’est un cadre de sécurité matérielle. A partir du moment où l’État providence est en crise, la famille devient un espace de solidarité qui se substitue à l’État providence. Dès lors, les jeunes adultes restent beaucoup plus longtemps au foyer. II. Les débats que suscite la famille contemporaine A. La pluralité des modèles familiaux et les questions que ces modèles suscitent La femme a bien des difficultés à assumer toutes les charges qui lui reviennent (charges familiales et charges professionnelles). Par ailleurs, la famille est considérée comme un espace privé qui tend à se sacraliser, ce qui signifie en même temps que la famille serait, dans notre monde contemporain, l’une des sources les plus importantes de la spiritualité. Cf. La révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque, Luc Ferry. Mais cela pose un problème, car la famille a tendance à devenir une cellule excluante. Elle a tendance à protéger, et donc à séparer de la société. Ce problème est secondaire par rapport à la pluralité des modèles familiaux qui se développent de plus en plus dans notre société contemporaine. En plus, il y a un phénomène d’éclatement des familles, avec l’émergence de la famille monoparentale et l’émergence de la famille recomposée. La question que nous devons donc nous poser est la suivante : pourquoi assistons-nous à l’éclatement des familles ? Il y a à peu près 300 000 mariages par an et 100 000 divorces par an, soit 1/3. Pourquoi ? Il y a une logique individualiste, une logique de plaisir et il y a un principe d’éducation, issu en grande partie des années 1960, et plus particulièrement de l’idéal de 1968. Cela signifie que les individus sont programmés pour vivre un épanouissement amoureux constant. L’amour et le désir maintiennent heureux, sont indissociables du bonheur. Dès lors, au sein des familles, les conjoints sont tentés de « trouver mieux ailleurs ». La société, dans une certaine mesure, favorise cette tendance à vivre ses désirs et ses sentiments jusqu’au bout. Dès qu’on est malheureux, on n’hésite pas à rompre le lien familial, car le lien familial peut être source de frustration. C’est une des conséquences du mariage d’amour. A partir du moment où la famille est fondée sur l’amour, s’il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de famille. Luc Ferry disait que le mariage d’amour était une grande avancée pour l’humanité. Mais, pour cette cause de l’amour, certains individus n’hésitent pas à sacrifier les liens familiaux. La littérature, durant tout le XIXème siècle et le XXème siècle, s’est faite l’écho de ces trajectoires amoureuses au sein des familles. De l’amour (1830), Stendhal : l’intérêt de ce livre est que Stendhal différencie l’amour et la passion. L’amour est ce qui rend heureux, l’amour peut stabiliser le couple et l’amour peut durer dès qu’il se transmue en amitié amoureuse. En revanche, la passion c’est l’amour noir, c’est la destruction de l’être, la transformation. C’est souvent la passion qui est à l’origine de la destruction des familles. Un amour de Swann, Proust : Swann est vraiment la personne qui est habité par sa passion pour une femme qui répond au prénom d’Odette. Durant tout le livre, on voit les ravages de cette passion et on voit le moment où cette passion s’arrête. Il y a un début, un développement et une fin. La fin de livre, à cet égard, est vraiment significative du caractère éphémère de la passion et de ses ravages. En effet, à la fin, Swann dit : « Et dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, pour une femme qui n’était pas mon genre. ». Se développe de plus en plus la famille recomposée. Cette famille recomposée fait partie du nouveau discours familial. On remarque que la famille recomposée est en train d’être célébrée par la société. La famille recomposée est en passe de devenir un mythe familial. Cf. publicité pour les voitures familiales. On avait l’impression que la société glorifiait ce modèle familial. Dans cette famille recomposée, c’est vraiment l’aboutissement de l’idéal de 1968. Dans la famille recomposée, le mari comme la femme sont des « Don Juan au ralenti ». Pourquoi notre société, et plus particulièrement la publicité, célèbrent ce mythe de la famille recomposée ? Si les médias, la société française dans son ensemble, glorifient le modèle de la famille recomposée, c’est parce que ce modèle familial favorise la consommation. Le changement pousse à la consommation. En même temps, apparaît le phénomène des responsabilités, car on peut facilement parler de responsabilité familiale. On est père de famille, on est mère de famille, on a des responsabilités familiales. En revanche, y a-t-il des responsabilités sentimentales ? On voit bien que le sentiment est quelque chose de difficile à dompter, à canaliser, dans le cadre de la construction familiale. Les familles recomposées agrandissent le domaine de la responsabilité. Le problème philosophique qui pourrait se poser est le suivant : le modèle monoparental et le modèle de la famille recomposée sont loin d’être sources de bonheur. Dans le cadre de ces 2 modèles, pour les enfants, les moteurs de tendresse et d’affection, qui sont les piliers de l’éducation, se trouvent fortement perturbés. Dans certains modèles familiaux modernes, on peut assister à une perturbation fatale des sources de tendresse et d’affection pour l’enfant. Il y a toute une série de pathologies : rejet de la cellule familiale, instabilité psychologique, les cas de maltraitance, les fugues, le suicide, …etc. Dans ces cas là, la famille a effacé les repères. B. Le rôle de l’État L’État et la famille, quelles politiques sont à prendre ? L’État est dans une situation double, et même l’État est dans une situation schizophrène. Quand les problèmes de l’enfance apparaissent dus aux déséquilibres engendrés par les familles recomposées et monoparentales, l’État vient secourir ; mais en même temps dans quelle mesure l’État n’est-il pas aussi responsable de ces problèmes ? En effet, puisqu’après tout, le législateur a fortement favorisé le divorce (1975 : loi qui favorise le divorce, 2004 : divorce pour faute largement atténué). En même temps, l’évolution des familles problématise la politique de l’État : l’État doit-il anticiper l’évolution des familles ou l’État doit-il simplement se contenter de suivre et d’accompagner ces évolutions ? Pour ex, il y a les PACS créés en 1999. Là, l’État suivait une évolution de la société. L’État prend simplement acte. Il y a un autre ex : l’adoption. En effet, l’adoption est une tendance qui se généralise. Dans ce cas là, l’État ne fait que suivre et accompagner. Ici, c’est une politique suiviste. Ce fait divers s’est transformé en affaire politique puisque le Président a décidé de créer une commission sur l’adoption. Ensuite, l’État se trouve confronté au dilemme suivant : ne pas intervenir dans les familles et ne pas créer de politiques familiales est négatif, mais si l’État intervient, il risque d’intervenir trop, et au nom de quelles valeurs peut-il intervenir ? L’État peut très bien normaliser au nom de valeurs traditionnelles. La limite de l’intervention de l’État c’est le passé avec le régime de Pétain. Ainsi, on voit qu’il est difficile pour l’État de faire rentrer l’évolution des familles dans le domaine du droit. Soit il serait taxé d’irresponsabilité, soit il serait taxé d’ingérence normalisatrice dans le domaine de la sphère privée. Cependant, il faut protéger les conjoints ou les enfants victimes des bouleversements familiaux. Dans ce domaine, il faut créer tout un maillage juridique. L’un des axes qui doit guider l’invention de ce maillage juridique c’est que la famille, bien que ce soit le domaine absolu du privé, fait quand même partie de la res publica. C’est pourquoi un juge doit veiller en permanence sur l’évolution des familles. Les juges doivent tenir compte des nouvelles libertés familiales qui ont été créées pour inventer de nouvelles sécurités familiales. Conclusion : comment faire pour endiguer le phénomène de destruction des couples, et par conséquent des familles ? La loi est-elle seule en mesure de répondre à ce défit ? La loi n’est pas suffisante pour stabiliser les choses. La justice est-elle la seule alternative ? Il faut étudier les sources du problème qui poussent l’individu à un changement permanent, à une surenchère. L’individu n’a peut-être pas suffisamment conscience des trésors de spiritualité que peuvent apporter à la fois un couple qui dure et une famille qui résiste. Il s’agit de la croyance en un bonheur durable au sein des familles. La spiritualité ne se décrète pas. Quand le navire… (1930), Jules Romains : ce sont 3 romans qui constituent un cycle de réflexion de la construction de la vie conjugale – Lucienne, Le Dieu des corps et Quand le navire. THEME N°3 : LA PSYCHANALYSE La psychanalyse, de nos jours, est très contestée. Le crépuscule d’une idole (2010), Michel Onfray : critique très violente de Freud. Élisabeth Roudinesco a interprété l’évolution des familles en fonction des thèses de la psychanalyse. La psychanalyse a été créée par Freud à la fin du XIXème siècle, mais c’est dans le courant du XXème siècle que les notions de psychanalyse se sont répandues, et elles ont eu, pour le meilleur et pour le pire, énormément de succès. Il faut dire aussi que la psychanalyse est en même temps une philosophie, et les propos de Freud ont été largement provocateurs. La psychanalyse a heurté beaucoup de gens, car les théories de la psychanalyse se fondent sur 2 notions : l’inconscient avec la théorie du lapsus et la libido. La libido vient du terme latin qui signifie désir, envie, aspiration, et elle est définie comme une énergie reliée à la sexualité, et cette libido se manifeste dans la vie psychique, mais souvent sous une forme dissimulée. Les théories de la libido chez Freud se fondent à partir du complexe d’Œdipe. Ce n’est pas pour rien si la psychanalyse intervient au moment où le modèle familial est en crise, au moment où le mariage d’amour devient le modèle dominant. Dès lors, la psychanalyse se fixe pour but de libérer l’humain, de favoriser son épanouissement. Le complexe d’Œdipe, c’est en lui que se fabrique la libido, c’est l’amour de l’enfant pour le parent du sexe opposé, et en même temps une hostilité pour l’autre parent. Dès lors, se constitue le trio infernal que l’on va retrouver dans le triangle adultère. Mais le passage au stage œdipien est un passage tout à fait normal puisque cela permet à l’enfant d’affirmer ses positions hétérosexuelles. L’enfant aura une libido normale lorsqu’il aura connu une résolution normale du complexe d’Œdipe puisque l’enfant va connaître la loi. La psychanalyse de Freud vise à normaliser. Mais la psychanalyse entre en œuvre à partir du moment où il y a résolution difficile, résolution négative, du complexe d’Œdipe. Dans ce cas, le traumatisme intervenu dans le déroulement du complexe d’Œdipe va être refoulé, intériorisé, assimilé par l’inconscient. Le refoulement va être parfois la cause de certaines perversions, défaillances et c’est ce refoulement qui sera la cause des névroses et de toutes sortes de dérèglements. Le dérèglement le plus connu, que la littérature et le cinéma ont constamment mis en scène, c’est ce que Freud appelle « le rabaissement de l’objet amoureux ». C’est ce que le cinéma et la littérature ont appelé « l’amour de la prostituée ». Dans un complexe d’Œdipe non résolu, l’enfant aura toujours tendance à sacraliser l’image de sa mère. Et dans son couple, sa propre femme sera un reflet sacré de sa mère qu’il a sacralisé. Dès lors, cette sacralisation perturbera l’épanouissement sexuel, d’où l’attirance pour la personne opposée, soit la prostituée. Dès qu’il y a un traumatisme, des mécanismes de défense se mettent en place chez l’individu. Il y a le refoulement. Il y a également le déni de la réalité. Il y a aussi la sublimation : c’est le désir sexuel d’un individu qui se trouve refoulé et sublimé. Ce désir sexuel va se transformer et va se recycler en une énergie psychique. Il va se reporter essentiellement dans le domaine de la création artistique, de la recherche, des travaux de l’esprit en général. Freud étudie le cas de Léonard De Vinci. Freud montre que le désir sexuel a été refoulé à partir d’un traumatisme d’enfance, et ce refoulement a porté à la création, avec un point culminant qui est la sacralisation de la femme. « Dans la sublimation, la libido nourrit de son ardeur animale les grands travaux de l’esprit. ». Pour être convaincant, Freud explique que dans la sublimation le désir de la connaissance, le désir des choses de l’esprit, imite le désir sexuel. La pulsion sexuelle se transforme en pulsion de connaissance. La théorie de l’inconscient : tout se fonde sur le lapsus et l’acte manqué. Quand on fait un lapsus, on pense que c’est purement accidentel. Mais Freud dit que c’est totalement significatif. Ce sont des actes qui échappent au contrôle du Moi pour signaler qu’un désir, par ex, n’a pas été assimilé. Il y aurait une part ténébreuse, maudite, et celle-ci se manifesterait par des lapsus et par des actes manqués. Si bien qu’on a pu considérer que la psychanalyse était une activité de moraliste. Autrement dit, le psychanalyste chercherait la vrai vérité de l’homme, c'est-à-dire que le conscient, l’apparence de l’individu, cacherait un être secret qu’il faudrait mettre à jour. Le lapsus et l’acte manqué témoignent une inquiétante étrangeté qui se manifeste de temps en temps. Notre civilisation et notre éducation feraient de nous des hypocrites puisqu’on ferait tout pour cacher cette inquiétante étrangeté qui se révèle à l’occasion des lapsus et des actes manqués. Émanant de l’inconscient qui structure de manière souterraine les manques liés au désir, se crée la pulsion. La pulsion est quelque chose contre laquelle on ne peut pas lutter, c’est l’inconscient qui parle. La psychanalyse est une cure faite pour libérer le patient. Le psychanalyste ne parle pas, c’est au patient de parler jusqu’à atteindre, par lui-même, les sources du traumatisme. C’est la parole qui devient libératoire. La parole fait surgir le traumatisme, et de l’inconscient on passe au conscient. A partir du moment où le patient a conscience de son traumatisme, il est guéri. Évidemment, la cure psychanalytique est quelque chose de très long. De nos jours, la psychanalyse se trouve très contestée. D’abord, on lui reproche une pensée trop rigide, une pensée trop dogmatique. Ensuite, on lui reproche le silence du psychanalyste. Cela heurte une certaine conception de la médecine qui doit être active. Ensuite, la psychanalyse, actuellement, se trouve concurrencée par la psychologie cognitive et les neurosciences qui sont les traitements qui agissent sur le comportement cérébral. Les névroses, pour les neurosciences, relèvent d’un mécanisme cérébral. Ainsi, il faut les traiter par un traitement médical qui passe par les neurosciences. Cependant, rien ne remplacera le soulagement que procure la parole du patient dans les séances de psychanalyse, d’autant qu’on peut maintenant observer ce soulagement grâce à l’imagerie du cerveau. Cet inconscient qui est en nous, cette part maudite, c’est aussi quelque chose qui peut nous enfermer dans une prison, ce peut être une tyrannie. Jules Romains a mis en perspective l’interrogatoire policier et l’interrogatoire de la psychanalyse, tous deux cherchant à susciter l’aveu « délicieux ». THEME N°4 : LE SPORT DANS LES SOCIETES CONTEMPORAINES Le système de la nature, D’Holbach : ce texte date du XVIIIème siècle et de la philosophie des Lumières. Son auteur, D’Holbach était un philosophe des Lumières tout à fait actif dans l’élaboration de l’Encyclopédie. L’auteur plaide pour une société matérialiste : « Des âmes physiques et des besoins physiques demandent un bonheur physique et des objets réels… ». Le bonheur de l’individu passe par son équilibre physique. C’est une conception novatrice au XVIIIème siècle. « Mens sana in corpore sano » = « Un esprit sain dans un corps sain » : cette citation vient de Juvénal. Comment peut-on problématiser le rôle du sport dans nos sociétés contemporaines ? L’auteur établit un rapport entre le bien-être du corps et la société. Cela signifie que des individus soucieux de leur équilibre physique, qui sont sains physiquement, sont des individus en mesure de soutenir une République saine.Comment le sport (= la pratique du sport, les succès et les échecs du sport) est-il le reflet de notre société ? La pratique du sport s’inscrit dans la tradition humaniste depuis l’Antiquité.Peut-on dire que dans nos sociétés actuelles le sport s’inscrit toujours dans un programme humaniste (= quelque chose de centré sur l’équilibre de l’homme, le développement harmonieux de l’homme par la connaissance entre autres) ? Le sport ce n’est pas simplement la pratique individuelle et collective, le sport c’est aussi le spectacle, le stade depuis les jeux olympiques avec les grecs.Le symbole que représente le stade est-il toujours conservé à notre époque ? Quelles mutations la société contemporaine a-t-elle fait subir au sport ? Encyclopédie de la Pléiade, Jeux et Sports (1967), Roger Caillois : définition du sport : « C’est une activité de loisir dont la dominante est la recherche de la prouesse physique, participant du jeu et du travail, comportant des règlements et des institutions spécifiques, et susceptible de se transformer en activité professionnelle. ».Cette définition a-t-elle muté à notre époque ? I. Les valeurs humanistes du sport issues de la tradition Juvénal est un poète satirique de la fin du Ier siècle. La citation exacte : « Orandum est, ut sit mens sana in corpore sano » = « Il faut prier afin d’obtenir un corps sain dans un esprit sain ». Cela signifie que l’homme est sage qu’à condition d’avoir la santé de l’âme et la santé du corps. A. L’idéal antique : l’ordre antique du sport Le terme « sport » a été inventé au XIXème siècle en Angleterre. Chez les grecs, on parlait d’athlétisme, d’athlètes. En grec, « athlos » = « combat ». Chaque cité grecque avait un gymnase. Le gymnase participait de la vie de la cité. L’athlétisme avait une haute vocation spirituelle et pas uniquement une valeur matérielle. L’athlétisme relevait d’un langage du corps mais aussi d’un langage de l’âme. La meilleure synthèse de cela c’est les jeux olympiques créés à Olympie (= ce n’est pas une cité, mais un temple). Les jeux olympiques étaient là pour rendre hommage à Zeus. Quelles sont les valeurs portées par l’athlète grec à l’époque antique ? L’athlète a été glorifié par la statutaire. Les statues grecques reflètent les valeurs de la société, l’équilibre de la société. Par ailleurs, l’athlétisme portait en lui le culte de la victoire. Nous sommes dans la perspective grecque où l’homme est sous la dépendance de l’Olympe. Si les athlètes remportaient la victoire, ce n’était pas seulement une victoire individuelle, mais une victoire des Dieux. Chez les grecs, l’athlétisme signifiait une harmonie totale, une fusion, entre le corps et l’esprit. Celui qui entraînait son corps entraînait également son esprit. Il n’y avait pas de clivage entre le corps et l’esprit alors qu’à notre époque moderne il y a un clivage entre le corps et l’esprit. En effet, pendant des années, à notre époque, il y a eu un grand dédain des intellectuels pour le sport. C’est le christianisme qui a modifié très durablement la conception du corps, le corps qui était perçu comme une source de pêchés. Chez les grecs, il n’y avait pas de fracture corporelle. Il y a également des valeurs philosophiques liées à l’athlétisme. Tout d’abord, le culte du corps débouchait sur une conception de la beauté. Pour les grecs, la beauté devait imiter la nature. Dès lors, le corps de l’athlète se présente comme un horizon indépassable de beauté, de perfection esthétique, et le corps de l’athlète est à comparer aux colonnes des temples grecs. Ensuite, le corps est différent de la chair, de l’érotisme. La chair c’est lorsque le corps est investi par la passion. Si l’athlétisme était associé aux Dieux, c’est que l’athlétisme demandait un dépassement de soi. L’athlétisme était une discipline qui privilégiait une sorte d’esthétique dans l’effort avec la recherche d’une évaluation, une grande précision dans le contrôle de soi. Les grecs ont forgé les valeurs éternelles du sport. La pratique du sport chez les grecs imposait 2 paradigmes : le paradigme de la réussite, de la victoire et le paradigme de l’échec. Première olympiade (1927), Henri de Montherlant (XXème siècle) : Montherlant glorifie les valeurs du sport à son époque et il montre comment ces valeurs se réfèrent à l’idéal grec du sport. Selon lui, un corps qui s’entraîne est un corps relié à la connaissance de soi. C’est la performance dirigée sur la connaissance de soi, d’où cet idéal de qualité. C’est une mesure des performances humaines. Le corps atteint sa dignité par le sport. Le corps c’est du côté de la puissance et la chair c’est du côté de la faiblesse. Le sport c’est la valorisation de l’effort et de la discipline, le sport c’est la conquête sur soi. On valorise l’entraînement, car c’est une conquête sur soi. Il y a une recherche de la pureté dans l’économie du corps. Il y a aussi une valeur morale : le corps doit épurer les mœurs. Le sport hérité des valeurs grecques fait ressortir un langage qui est le langage du corps. C’est un langage pleinement organique qui est le 1er par rapport au langage de la parole. L’une des premières fonctions de ce langage du corps est une fonction sociale, car ce langage du corps s’articule à la société et il permet de rentrer en contact avec l’autre. Oppression et liberté, Simone Veil : « Le sport permet de donner au corps humain cette souplesse et, comme dit Hegel, cette fluidité qui le rend pénétrable à la pensée et permet d’entrer directement en contact avec les choses et avec le monde. ». Le corps animé d’un tel idéal offre un système de valeurs qui demande à être partagé. B. Le sport dans la cité Il faut se référer aux valeurs ludiques et au spectacle. Le caractère ludique du sport entre dans une sphère que l’on a appelé « homo ludes » = « l’homme qui joue ». Ce spectacle de l’homme qui joue procède d’une racine grecque. Encyclopédie de la Pléiade, Jeux et Sports (1967), Roger Caillois : « catharsis » = purger les passions. Cela vient du théâtre : pour les grecs, voir des meurtres sur scène les débarrassait de leurs pulsions de meurtres, d’où purgation des passions. Les spectateurs et les joueurs ont en commun la connaissance des règles. Le stade, aussi bien chez les grecs que chez nous, est une métaphore de la communauté. On va connaître une dégradation de l’événement sportif à l’intérieur de la cité avec les gladiateurs. On a ici une déformation cruelle de l’évènement sportif. A notre époque, l’événement sportif présente des valeurs qui transcendent. Ces événements sportifs à notre époque contemporaine scandent la vie de la cité.Quels sont les événements sportifs en France depuis ces 30 dernières années ? Ex : Yannick Noah qui gagne Rolland Garros en 1983. Ces événements sportifs glorifient la cité, c'est-à-dire qu’ils font vivre la nation sur le mode de l’épopée, de l’héroïsme. Ex : le cyclisme, le tour de France, est l’exemple sportif qui se prête le plus à l’épopée. Il y a un gros plan sur le muscle qui travaille avec la télévision. Parfois, la valeur épique du sport rejoint d’autres valeurs, et évidemment des valeurs politiques. Le sport est une métaphore de la réussite politique. Dans ces moments d’enthousiasme épique démesuré, les conséquences sont terribles. Le sport a une fonction sociale. En effet, le sportif, d’un point de vue individuel, va créer autour de lui des liens puissants de sociabilité. Il va s’inscrire, au sens fort du terme, dans une structure sociale, un club. Il va éprouver le besoin de se confronter à l’autre, mais dans des règles, dont la 1ère est la loyauté. Mais il peut y avoir des dérives, avec le communautarisme sportif. Cette fonction sociale interroge aussi l’activité professionnelle, le métier. Le métier n’est pas forcément choisi, il peut être imposé par les circonstances. En revanche, l’activité sportive est toujours l’objet d’un choix d’une personne déterminée et motivée. Ensuite, l’activité sportive dans nos sociétés est une zone assez difficile à évaluer.Est-ce un loisir ? Oui, mais ce n’est pas un loisir sauvage, mais un loisir minutieusement organisé. Le sport est dans une zone intermédiaire, entre la vie professionnelle et la vie privée. Quoi qu’il en soit, c’est toujours une activité positive parce que l’individu redéfinit son rapport aux autres, retrouve son unité, il recherche son épanouissement parce qu’il y a production d’une créativité purement personnelle. Mais cela n’est pas sans poser certains problèmes. Le 1er problème est que le sport n’est pas une activité gratuite. Surveiller et punir (1975), Michel Foucault : l’auteur affirme que nous sommes dans une société disciplinaire.Concernant le sport, peut-on mettre en relation le sport avec l’univers disciplinaire décrit par Foucault ? Foucault n’a pas parlé du sport dans son livre, mais s’il en avait parlé, il aurait sûrement dit qu’il s’agit d’un univers disciplinaire. Le sport dans les cités, dans les milieux défavorisés, dans les quartiers, dans les banlieues, fait triompher les valeurs éducatives. Le sport est un facteur d’insertion, car il y a des règles très précises et les partenaires doivent être respectés. Le sport permet une présentation ludique des règles. Ex : Zidane est un modèle d’insertion. Au Brésil, dans les favélas, le sport contribue à la régulation. C’est un facteur de rééducation sociale. Qu’apporte la pratique du sport à l’individu dans la société ? Le sport a une fonction culturelle. Le sport est culturel, car il transforme son rapport à soi-même et il transforme son rapport aux autres. Donc la pratique du sport apporte quelque chose à la société, car il a une fonction culturelle qui est une fonction de transformation. La dimension culturelle est dans la connexion d’une mythologie : le sport, par sa gestuelle, inscrit une esthétique qui est dans la mythologie. Rolland Barthes (1915-1980) (le plus grand philosophe ! A connaître inévitablement !) : il a énormément développé le structuralisme en France. Mythologies (1957) : il prend des objets de la société de la vie quotidienne et montre comment ces objets deviennent un mythe. Il parle notamment du tour de France. Il aborde la thématique du dopage. II. Les crises du sport dans les sociétés contemporaines A. Le culte de la performance et ses dérives Le sport suit l’évolution de la société. Quand le sport est malade, la société est malade. La pratique du sport suit toujours les mouvements de la société. Années 1950 : économie de marché, société de consommation : on demande alors au corps une rentabilité accrue. Les sportifs ont été amenés à consommer de plus en plus de substances dopantes, et cela contribue à briser le mythe. Le 13 juillet 1967, avec une étape du Tour de France, le dopage brise le mythe. En effet, un cycliste a pris des amphétamines, et lors de l’ascension du Ventoux, il tombe et meurt. Années 1980 : on vante l’initiative personnelle. C’est à cette époque qu’on réhabilite l’image de l’entreprise en France, donc l’initiative personnelle. Le sport est devenu une pratique purement individuelle. A cette époque, le sport sort des clubs, le sport est dans la rue. Il y a un aspect beaucoup plus libéral du sport alors qu’avant le sport était institutionnel, règlementé. Les entreprises elles-mêmes récupèrent le sport. Au fur et à mesure que le sport individuel se développe, un phénomène de masse se développe aussi, il s’agissait des succès toujours plus grands que remportaient les matchs de foot. Mais le 29 mai 1985, il y a 39 morts dans un stade. Il y a des hordes d’hooligans qui cassent et déchaînent une violente inédite. Cf. Dans la foule, Mauvignier : il raconte qu’il a vu basculer le sport dans quelque chose d’autre, dans le malaise social, dans une pulsion de nationalisme qui était refoulée et qui ressurgit comme si l’absence de guerre en Europe avait refoulé cette pulsion de nationalisme. Ensuite, le sport va être soumis à la logique du marché. Le sport va s’inscrire dans le mouvement général de la mondialisation. Cette mondialisation entraîne une dérégulation des marchés sportifs. En effet, c’est le toujours plus qui l’emporte, il n’y a plus de mesure, on demande toujours plus aux sportifs en échange de primes exorbitantes. D’ailleurs, il y a une expression de journaliste tout à fait significative : on parle de « mercato » lorsqu’il y a un transfert. C’est une marchandisation du sport et des joueurs. Il y a un culte de la performance sans limite, il est l’objet d’excès. On sent pointer un esprit malsain de domination. Il y a un esprit de compétition marqué par une agressivité. Plusieurs auteurs du monde contemporain ont donné une analyse marxiste du sport. Il s’agit de Christian Bronberger qui a écrit un article dans « Manière de voir » en mai 1987 : il affirme que le foot est une victime de l’avenir radieux du capitalisme planétaire. B. La politisation du sport Le sport a été l’objet d’une politisation, un instrument politique, une vitrine de la vitalité et de la santé des nations. Il a été un instrument de propagande. Ex : en 1919, les JO sont devenus les jeux interalliés. Le sport a des valeurs négatives de propagande. Le théâtre devient le lieu privilégié de la pulsion nationaliste. Ex : Mein Kampf, Hithler : « Des millions de corps entraînés au sport, imprégnés d’amour pour la patrie, pourraient se transformer en l’espace de 2 ans en une armée. ». Dans nos sociétés occidentales modernes, dans les colonies, le sport servait à imposer le modèle occidental. Autres ex : les satellites de Moscou. Dans les pays de l’Est, les athlètes devaient montrer la force du socialisme rayonnant. On embrigadait les jeunes et on les dopait. Entre américains et soviétiques, le sport était une arme durant la guerre froide. A notre époque, le sport, et notamment le football, est absolument inséparable de l’idée de nationalisme. C’est dans le foot que les problèmes du nationalisme se nouent. Il y a les anciens pays de l’Est qui sont devenus indépendants et ils ont créé une équipe de foot. L’équipe de foot donne une représentation de la nation sur la scène mondiale. Dès lors, à notre époque, on peut parler d’une géopolitique du sport, et notamment d’une géopolitique du football. Article « Géopolitique du football » dans « Manière de voir » de Pascal Boniface : il explique que le foot a une fonction identitaire. Conclusion : à notre époque, on est contraint de moraliser le sport alors que normalement c’est le sport qui doit moraliser la société. Sur le plan économique, la vision marxiste considère que le football est un produit dérivé du capitalisme planétaire. Il faudrait organiser des États généraux du sport pour trouver pleinement des règles d’interdiction du dopage efficaces, pour renforcer la sécurité dans les stades d’une manière impitoyable et il faudrait moraliser les pratiques financières du sport. Il faudrait dépassionner le football, il faudrait le couper du poison nationalisme. Le sport individuel c’est quand même une source d’éthique, c’est quand même une façon d’exprimer sa liberté individuelle. Maul Morand : « Le sport est la meilleure façon de lutter contre l’immobilisme et la mort. ». THEME N°5 : LES MEDIAS Introduction Les interrogations sur le rôle des médias ne sont pas récentes. On s’interroge sur le rôle politique des médias. Simplement, les évolutions techniques se sont développées depuis les années 1972, et conduisent à une interrogation sur le caractère renouvelé des médias. Il faut s’interroger sur les rapports entre le rôle des médias et la démocratie et sur le rôle des médias dans la démocratie. L’impact que peuvent avoir les médias en démocratie est très actuel. Ex : l’affaire Betancourt. Les médias aujourd’hui assument un rôle de contrôle du pouvoir politique. Il y a un constat évident : les médias au sens large sont devenus l’une des principales forces, l’un des principaux acteurs, qui déterminent le fonctionnent et les transformations des démocraties politiques. C’est parce que l’on a pris conscience du rôle des médias que l’on parle aujourd’hui de société d’information. Cette société d’information montre bien que l’information diffusée par les médias détermine le fonctionnement de notre société dans une certaine mesure. Le sentiment général que l’on peut avoir c’est que les médias peuvent expliquer certains mécanismes sociaux, collectifs, en fonction du rôle des divers médias. Ex : les mouvements citoyens qui existent grâce à Internet. Ce sont des mouvements peu constitués, mais grâce aux médias, ils apparaissent. Internet a une influence et un impact sur le fonctionnement de la démocratie politique. Sur ce constat, tout le monde s’accorde. C’est en revanche sur l’interprétation des effets du pouvoir des médias que tout le monde n’est pas d’accord, et une question en particulier c’est de savoir comment caractériser et définir l’influence des médias sur l’exercice du pouvoir politique. Il faudra notamment s’interroger sur l’existence d’un 4ème pouvoir : est-ce que les médias constituent un 4ème pouvoir ? A ce titre là, on devra s’interroger sur la manière dont ce pouvoir interagit avec les autres formes constituées. Une autre question doit être posée : les médias, tous, mêlent information et divertissement. On s’aperçoit que ces 2 aspects déterminent les comportements politiques. C’est ce que l’on appelle la peopolisation de la politique. Ces 2 aspects contribuent aussi à influencer le comportement politique des responsables. Par ex, aujourd’hui, l’action politique, quelle qu’elle soit, doit nécessairement s’accompagner d’un dispositif de communication. Partant de ce constat, on peut supposer que les médias ne sont pas des simples relais de la réalité. Ils sont vecteurs d’une certaine conception des rapports sociaux. Ils sont porteurs d’une idéologie et ils exercent à ce titre un droit spirituel ou intellectuel. Ce pouvoir là leur donne une capacité d’influence comme le faisaient en leur temps les intellectuels. C’est un rôle d’influence des masses, de porte-voix. Les rapports entre les médias et le pouvoir politique : quelle est la nature de ces rapports ? Les médias disposent d’un pouvoir politique propre. Le pouvoir politique au sens strict peut être tenté d’utiliser les médias à des fins politiques. Ce sont des influences réciproques, croisées, c'est-à-dire entre les médias et le pouvoir politique. I. Le pouvoir politique des médias La presse a un rôle de diffuseur d’informations, c'est-à-dire que c’est un outil, un instrument de communication qui établit des liens entre les divers acteurs de la société civile. Mais les médias ne sont pas que cela, ils ont aussi une volonté propre, donc ils ont un impact sur le fonctionnement du système politique. On peut s’interroger sur l’avenir des médias aujourd’hui du point de vue de l’impact sur le pouvoir politique. A. Le rôle des médias dans le système politique démocratique La question qui se pose ici est une question de nature : comment qualifier le pouvoir exercé par les médias dans le champ politique ? On a coutume de dire que les médias exercent un 4ème pouvoir et, qu’à ce titre, ils participent à la formation de la volonté générale et au contrôle des gouvernants. Est-ce que cette analyse, cette idée, est fondée ? Les médias exercent-ils un vrai pouvoir politique à l’égal des autres ? Si oui, en quoi consiste-t-il ce 4ème pouvoir ? Les médias constituent-ils un 4ème pouvoir ? Les médias exercent un pouvoir à proprement parlé politique. Il faut admettre initialement qu’il est délicat d’analyser les médias avec les outils conceptuels, les notions, que l’on utilise généralement pour analyser les pouvoirs politiques. Notamment on peut difficilement utiliser la grille de lecture que nous donne le droit constitutionnel pour analyser les médias.Edmund Burke, 1787. En réalité, l’expression « 4ème pouvoir » est assez floue. Elle se prête quand même à certains fantasmes justement parce que cette expression est floue. Pour autant, on peut s’interroger sur la pertinence de cette qualification et essayer de voir si elle est pertinente. On peut démontrer les arguments contraires. Par ex, on peut dire que le pouvoir des médias est un pouvoir dispersé, atomisé, ce qui est un obstacle au fait qu’on puisse qualifier les médias de pouvoir. Certes, les organes médiatiques sont politiques, mais la fonction qu’ils assurent est relativement unitaire et homogène. Donc on peut dire que les médias constituent un pouvoir identifiable et à peu près homogène. Ensuite, le pouvoir médiatique est assuré avant tout par des acteurs privés. Or, le but de ces acteurs privés c’est la réussite commerciale, et cet objectif là est antinomique de l’exercice d’un pouvoir politique qui est, par définition, désintéressé. Cet argument n’est pas un obstacle à la qualification des médias de 4ème pouvoir, car ce but lucratif n’est pas exclusif d’autres objectifs. Il n’est pas exclusif par ex de la promotion d’une certaine idéologie. De plus, la vraie question c’est celle de la légitimité. Les médias n’ont certes pas cette légitimité là, mais ils ont une autre légitimité qui est technique : ce sont des analystes experts de la chose publique. Donc, nonobstant leur but lucratif, ils sont légitimes. Ensuite, les médias ne disposent pas d’un pouvoir de contrainte. Les 3 pouvoirs d’Etat sont caractérisés par un pouvoir de contrainte. Puisqu’ils n’ont pas de pouvoir, les médias ne sont pas un 4ème pouvoir. Mais cette objection ne tient pas, car les médias n’ont certes pas de pouvoir de contrainte au sens juridique du terme, mais ils ont un pouvoir autrement efficace qui est un pouvoir d’influence qui permet de déterminer les conduites et les choix des gouvernants. Donc c’est un pouvoir non pas de droit mais de fait. Conclusion : tout en étant à la marge des pouvoirs politiques, le pouvoir des médias s’inscrit dans le système politique. Certes ce pouvoir n’obéit pas à une classification juridique classique, mais le pouvoir politique au sens propre ne se conçoit pas sans le pouvoir des médias. En quoi consiste ce pouvoir politique ? Les médias à travers la notion de contrepouvoir. Les médias ne constituent pas un pouvoir au sens classique du terme, donc ils n’en ont pas non plus les attributs. Donc on peut aborder les médias à travers la notion de contrepouvoir. La démocratie, la démocratie représentative surtout, suppose certes une représentation par les professionnels, par les élus, mais elle suppose aussi une représentation permanente des citoyens, de la société. Au-delà des intermittences que font naître les suffrages électoraux, la société ne doit pas s’exprimer seulement au moment du vote, la société représentative suppose une représentation de la société indépendante du pouvoir des élus. En d’autres termes, les médias permettent au peuple de maintenir sa puissance, sa présence dans les intervalles de sa manifestation, c'est-à-dire dans les intervalles réalisés entre 2 scrutins électoraux. C’est une manière simplifiée de répondre à une critique qui avait été formée par Rousseau dans Du contrat social : « Le peuple anglais pense être libre ; il se trouve fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlements. Sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. ». Le rôle des médias vient à corriger cet angle-mort de la société représentative. C’est ce que l’on appelle la démocratie permanente. Le peuple s’exprime constamment. Concrètement, les médias assurent une information éclairée des citoyens, et en particulier une information sur l’offre politique qui leur est proposée sur les candidats aux élections, sur leur programme. C’est assez cohérent, car l’acte de voter est le résultat d’une délibération, c'est-à-dire d’un choix rationnel, d’un bilan. Or, pour faire ce choix rationnel, il faut disposer d’une information sur les doctrines des candidats, sur les opinions, sur les programmes, car cela est la condition d’un choix éclairé, d’un choix rationnel. En dehors des périodes des élections, les médias apparaissent aussi comme un espace public animé par un personnel spécialisé (les journalistes, les analystes) qui est à égale distance des responsables politiques et des citoyens. En cours de mandat, les médias permettent aux citoyens d’exercer leur esprit critique et de juger en connaissance de cause l’action des gouvernants. Cela suppose des médias indépendants, équitables, neutres, mais surtout soucieux de critiquer des programmes politiques en action politique. Conclusion : les médias assurent la lisibilité, l’intelligibilité, des choix publics, des propositions publiques, à l’intention des citoyens. Donc ils complètent utilement le mécanisme représentatif, le mécanisme purement juridique de la démocratie représentative. Donc c’est pour cela qu’on peut dire que les médias exercent un contre-pouvoir, car en effet les médias n’imposent rien, ils n’ont pas de prérogatives positives, mais ils ont une puissance politique puisque les médias permettent au peuple de peser sur le processus politique, car grâce à eux, l’exercice du pouvoir devient public, c'est-à-dire que les médias assurent un dialogue constant entre les gouvernants et les gouvernés, car les médias informent les citoyens et les mettent en mesure de juger constamment l’action des pouvoirs publics. Donc les médias limitent le pouvoir politique mais de l’extérieur, c’est en cela que les médias constituent un pouvoir politique. Cela signifie qu’ils ne sont pas techniquement et juridiquement inclus au pouvoir politique. Cela explique que le pouvoir politique s’est développé en même temps que s’est développé le principe de démocratie. Il n’y a pas de vraie démocratie sans liberté de la presse. B. L’avenir des pouvoirs médiatiques Cette question se pose parce que le système démocratie a changé. La pratique du système démocratique a changé. Le schéma décrit précédemment s’est mis en place de manière très progressive. L’âge d’or de ce schéma c’est avant la 1ère GM. A cette époque, la presse joue très exactement le rôle décrit précédemment. Après la 1ère GM, se développe la presse de masse et la presse de propagande. Après la 2nde GM, c’est l’essor des médias audiovisuels. La question qui se pose est de savoir si cette évolution des médias eux-mêmes couplée à l’évolution du système démocratique autorise à affirmer que le rôle des médias est inchangé. La démocratie représentative a été modifiée dans sa structure depuis une 30ène d’années. Elle a vu apparaître 2 acteurs nouveaux : un acteur institutionnel qui est le juge, et un acteur extra-institutionnel qui est l’opinion publique. On a considéré que l’apparition de ces 2 acteurs a contribué à l’achèvement de la démocratie représentative. Cela consiste à dire que la démocratie représentative suppose que soit assurée une relation continue entre les élus et le peuple, sans toutefois que soit remis en cause le principe de la démocratie représentative. Le système de démocratie moderne repose sur une démocratie de contrôle. Donc quelle est la conséquence de cette démocratie sur les médias ? L’impact est plutôt positif puisque les médias ont bénéficié de cette évolution du système démocratique puisque cette évolution vers le contrôle continu permet d’accroître l’écho dont ils bénéficient, car les médias sont le vecteur principal de l’opinion publique. D’autant plus d’ailleurs que se développe la pratique de contrôle des sondages d’opinion publique par les médias. Donc ce développement de la démocratie de contrôle a accru le rôle des médias puisque la demande politique des citoyens, y compris entre les élections, a démultiplié le rôle des médias comme relais de l’opinion. L’information dans cette démocratie est une fonction politique majeure, voire un magistère (= fonction morale) assuré par les médias. Mais même dans cette perspective là, les médias demeurent un contrepouvoir et non un pouvoir, car tout ce qu’ils peuvent faire c’est empêcher les autres pouvoirs, ils ne peuvent pas positivement dire aux pouvoirs publics politiques ce qu’ils doivent faire. Les médias ne sont pas une force de proposition ni même de suggestion. Les médias dans cette démocratie de contrôle assument une fonction principale, ils sont un relais d’opinion, car ils synthétisent l’état de l’opinion publique à destination des responsables politiques. Mais à ce titre là les médias perdent en quelque sorte de leur autonomie parce qu’ils cessent d’être des initiateurs d’opinions, ils ne sont plus que des vecteurs d’opinions préexistantes. Par ex, la presse d’opinions en France aujourd’hui n’existe presque plus. Ce n’est pas une dénaturation, mais c’est une perte d’identité. Les déviances qui peuvent affecter le pouvoir politique des médias. Ce rôle accru des médias dans le système politique ne va pas sans poser quelques difficultés. Il y en a 3. Les médias ne sont plus que des répercuteurs d’informations. Le problème c’est qu’il peut leur arriver aussi de répercuter de fausses informations. Cela est problématique, car les politiques déterminent leur choix en fonction de ces informations. Les médias peuvent peu à peu s’autonomiser par rapport à l’opinion publique, et du coup peut-être subir une certaine déconnection avec le sentiment majoritaire. Le personnel médiatique est une élite comme une autre, et le travers de toute élite c’est de développer sa propre vision de la société déconnectée de l’opinion majoritaire. Ex : le projet de Constitution européenne rejeté par l’opinion publique alors qu’il était majoritairement soutenu par les médias. Donc la professionnalisation du monde des médias peut entraîner une déconnection. Le risque résultant de la constitution de grands groupes multimédias. Le journalisme, la presse, sont des entreprises comme les autres, sans responsabilité sociale particulière ou sans fonction civique à assumer. Or, la loi du marché économique n’est pas la plus pertinente dans ce domaine là puisque cette loi économique a une tendance par ex à gommer le pluralisme. Conclusion : les médias peuvent être victimes d’une certaine déviance. Un autre problème se pose lié au développement des nouvelles technologies, et une en particulier qui est Internet. En effet, Internet se développe à la faveur de 2 tendances sociales : Internet se développe sur la base de l’individualisme et du communautarisme. Dans les 2 cas, le phénomène favorise une attitude consumériste, car le vice d’Internet c’est que chacun se constitue seul son stock d’informations. En cela, Internet peut signifier la fin du journalisme classique, c'est-à-dire du journalisme objectif qui s’adresse à une masse de lecteurs ou d’auditeurs indéterminés. Finalement, le journalisme classique s’adresserait à une certaine élite socioculturelle. Donc le développement d’Internet menace l’existence d’un espace public – la presse – à peu près homogène dans lequel les médias jouent un rôle collectif. II. L’utilisation des médias par le pouvoir politique Des atteintes pures et simples à la liberté des médias. La liberté des médias, la liberté d’expression, est en indice du caractère démocratique du régime. Toute atteinte à cette liberté est une atteinte au caractère démocratique du régime. Cela est vrai lorsque ces atteintes sont injustifiées, c'est-à-dire à la convenance personnelle d’un dirigeant politique. Hypothèse dans laquelle le pouvoir politique utilise le pouvoir médiatique à des fins politiques ou électorales. Il ne nie pas le pouvoir des médias, mais l’instrumentalise à son propre profit. C’est la question de la manipulation du pouvoir médiatique par les gouvernants. C’est une hypothèse beaucoup plus subtile que la précédente, mais elle est donc plus insidieuse et plus problématique. A. Perspective historique : la propagande La propagande d’Etat est une expression souvent utilisée pour désigner les tentatives de modelage des régimes mis en œuvre par les régimes totalitaires. Il en existe 2 : le régime nazi et le régime stalinien. La propagande c’était de diffuser l’idéologie officielle du pouvoir. Le totalitarisme va beaucoup plus loin : il envisage un maintien des pouvoirs en place, mais aussi que le peuple adhère à une idéologie spécifique. Pourtant, cette pratique de la propagande se rencontre aussi dans les systèmes démocratiques. Mais elle a un autre sens. La propagande politique moderne dans un cadre démocratique est née au cours de la 1ère GM. A partir de cette époque, elle se développe constamment et elle consiste pour le pouvoir à utiliser des techniques de communication fondées sur la socio-psychologie et qui a pour objectif d’assurer une communication de masse destinée à venter les mérites d’une action publique. Après 1945 notamment, la propagande n’est pas suspectée de nuire à la démocratie, car elle éclaire, elle informe, et donc elle est lue. Cela signifie qu’elle est une condition du progrès social puisque « la propagande c’est l’école du peuple », c'est-à-dire qu’en réalité si elle a ces vertus c’est parce la propagande apparaît à cette époque comme un simple vecteur neutre qui assure la transparence et la publicité de l’action politique. Dans cette perspective, la propagande s’adresse à la raison, donc elle est positive, elle contribue même à la démocratie, et c’est une croyance qui se perpétuera jusqu’aux années 1990. Il existait jusqu’à cette époque un ministère de l’information qui n’avait pas pour rôle de contrôler la presse, mais d’assurer la propagande de l’action publique. Ces caractères là que l’on prêtait à la propagande conduit à une définition assez différente de la propagande. Dans cette perspective, la propagande c’est l’ensemble des moyens utilisés par le pouvoir politique pour porter à la connaissance du peuple dont il a reçu mandat les objectifs et les résultats de son action. Définie comme cela, la propagande est une activité acceptable, mais dès lors qu’elle est raisonnée, désintéressée, neutre, et surtout elle n’a d’autre ambition que d’informer les citoyens. Jusqu’aux années 1950, la propagande est une condition de l’information citoyenne. C’est à partir des années 1950 que des critiques apparaissent. D’abord sur un plan théorique, des critiques apparaissent peu à peu et consistent à affirmer que la propagande est par essence totalitaire. Viol des foules par la propagande politique, Serges Tchakhotine : critique théorique et critique pratique qui consiste à dire cela. Il y a une critique pratique qui découle de l’expérience : la vision positive de la propagande souffre des dérives du pouvoir de police et de son monopôle sur les médias audiovisuels notamment. C’est à partir de cette époque là que la propagande cesse d’être neutre, d’être strictement informative, pour devenir partisane, politicienne. Elle devient donc inapte à éduquer les masses. Elle n’est plus au service de la nation, mais au service du pouvoir. Elle est décrédibilisée. Les années 1980 marquent la fin de la main mise de l’Etat sur les instruments de communication, et donc sur les instruments de la propagande. Pour autant, l’envie de louer les vertus de l’action politique n’a pas disparu. Simplement les moyens de promouvoir cette action changent. Au cours des années 1980, on quitte l’ère de la propagande pour entrer dans l’ère de la communication. B. La communication politique La communication a un sens précis : c’est un ensemble de techniques empruntées à la publicité, au marketing, et adaptées au domaine politique. Il s’agit de techniques de maîtrise des médias, de mesure de l’opinion, qui ont pour but d’adapter le discours politique. La communication politique s’est développée à partir des années 1980 en raison des excès de la propagande. Mais l’apparition de la communication est liée à une modification de la société civile puisqu’on est passé au cours de la 2nde moitié du XXème siècle à une société comportant des masses indistinctes. Donc on est passé à une société qui recèle une opinion publique caractérisée par le fait qu’il n’y a entre les individus et les gouvernants plus d’obstacle, plus de filtre. Ainsi, il y a un lien direct qui s’établit entre l’individu et les gouvernants. En effet, le pouvoir politique doit se doter de techniques qui lui permettent de mesurer les mouvements d’opinions. Il doit aussi bâtir des stratégies électorales inspirées par les techniques de la publicité. Par ailleurs, il doit assurer la diffusion de ses choix politiques par le biais des mêmes techniques. Ici le citoyen est individualisé, et donc il est analysé comme un consommateur qui a une demande. L’action publique se conçoit comme une offre qui doit se conformer à la demande. La propagande s’exerce en sens unique, elle exprime un rapport unilatéral dans lequel les citoyens sont des acteurs passifs qui reçoivent un message. La communication, quant à elle, repose sur une logique interactive puisque les décisions et actions publiques dépendent des réactions et des attentes des citoyens. Donc la communication est assez positive, car elle permet d’établir un lien entre le pouvoir et une opinion composée d’individus dont on connaît les attentes grâce aux sondages et avec laquelle en quelque sorte on conclut un contrat. Elle repose sur le dialogue, sur l’écoute, donc sur ce qui est à la base du système démocratique. En cela, la communication politique permet de satisfaire l’objectif d’éducation qu’on accordait à la propagande politique jusqu’aux années 1950. Le vice de la communication politique c’est qu’elle crée une sorte de déterminisme sur les choix politiques, car elle fait dépendre ces choix de l’état de l’opinion que l’on peut supposer inconstante, irrationnelle. Ex : la peine de mort. Donc elle obère la capacité d’action des pouvoirs publics puisque tout choix politique tranché est impossible parce qu’il serait impopulaire. THEME N°6 : LA FRANCOPHONIE La francophonie est liée aux valeurs culturelles fortes. La francophonie est une grande institution internationale qui s’est créée progressivement et qui s’est créée à partir d’une langue que nombres de pays ont en partage. Si bien que la francophonie désigne une aire linguistique, mais cette aire linguistique ne correspond pas à une communauté culturelle homogène. On voit déjà la tension qui est à l’œuvre. C’est l’un des héritages de cette entreprise controversée, la colonisation. Dès lors, à l’intérieur de cette aire linguistique, l’ambition est de construire des valeurs communes. Cela revient à poser la question de l’identité francophone. La francophonie est une institution internationale. En conséquence, elle doit se positionner sur la scène internationale. Par rapport à cet axe, on peut se poser la question de la géopolitique, c'est-à-dire la question de savoir si la francophonie met en œuvre une géopolitique. Encore faut-il s’entendre sur ce terme de géopolitique. La géopolitique est un terme que l’on lit quotidiennement. La géopolitique c’est un pays ou un groupe de pays qui établit une zone d’influence qui implique des rapports de force avec d’autres zones d’influence. C’est un concept né au XIXème siècle. Ainsi, la francophonie est néanmoins porteuse d’une nouvelle politique de civilisation. Cf. Pour une politique de civilisation, Edgard Morin. En quoi l’organisation internationale de la francophonie (OIF) participe de la construction d’un modèle juridique international fondé sur la défense des droits de l’Homme ? Je vais m’intéresser à la francophonie institutionnelle et les débats qu’elle suscite avant de m’intéresser aux enjeux internationaux de la francophonie. I. La francophonie institutionnelle en débat A. Les institutions par elles-mêmes La francophonie, au sens large, c’est d’abord le processus de promotion de la langue française, sans considération des pays dans lesquels la langue française se pratique. La Francophonie, au sens institutionnel, désigne l’organisation qui regroupe 63 États qui ont le français en partage. Elle a été conçue officiellement en 1970. Cette conception s’est faite dans un contexte un peu douloureux, dans un contexte psychologique particulier. En effet, la Francophonie est liée à la colonisation, mais aussi à la décolonisation. (En ce moment, nous fêtons le cinquantenaire des indépendants des pays africains.) La France dans les années 1960 a favorisé l’indépendance des pays colonisés pour se replier sur la construction européenne. A l’époque, il n’était pas à l’ordre du jour d’instituer une communauté de la Francophonie parce que les autorités françaises culturelles de l’époque ont jugé qu’il n’était pas opportun que la France se lance dans une initiative de regroupement, car cette initiative aurait pu être perçue comme du néocolonialisme et la France avait mauvaise conscience. Cette mauvaise conscience perdure toujours dans les rapports de la France avec ses anciennes colonies. Donc il n’y avait pas d’initiative, sauf peut-être André Malraux. L’initiative est venue des pays anciennement colonisés et nouvellement libérés. Cambodgiens, libanais, sénégalais, se sont dit qu’il serait dommage de laisser en friche ce patrimoine culturel énorme sous prétexte que la France a mauvaise conscience. C’est de cette initiative qu’est née la Francophonie. Elle s’est définie sur les bases suivantes : Les critères d’appartenance linguistique : le français doit occuper dans le pays une place prépondérante. Soit c’est la langue officielle, soit beaucoup de gens parlent le français, soit il y a tellement d’engouement pour le français que beaucoup de gens apprennent le français. Le critère d’ordre éthique : il fallait adhérer à un idéal. Ce sont des valeurs universelles fondées sur la fraternité, la tolérance et les droits de l’Homme. A partir de là, on a créé une structure qui s’est révélée au grand jour en 1986 avec le 1er sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Versailles. Ensuite, il y a le Conseil permanent de la Francophonie constitué par les représentants personnels des Chefs d’Etat. Ensuite, il y a plusieurs organismes qui sont placés sous la responsabilité de ces instances politiques, appelées opérateurs : l’agence universitaire de la Francophonie, l’association internationale des Maires et responsables des métropoles francophones, les jeux de la Francophonie. En 1997, on a voulu donner une dimension politique plus importante à la Francophonie. Si bien qu’il y a un élu à la tête de la Francophonie qui est Boutros Ghali. En 2002, Boutros Ghali est remplacé par Abdoul Diouf qui vient d’être réélu au sommet de Montreux. Le poids de la Francophonie dans le monde représente le tiers des pays dans le monde (soit 11% de la population mondiale), 15% du commerce international, 800 millions d’individus. Il y a 200 millions de personnes qui parlent français. Le français est la 9 ème langue du monde. La principale tâche de la Francophonie c’est la promotion de la diversité culturelle. C’est un enjeu qui s’est affiné au fil des décennies, surtout à partir de 1980 (= mise en place de la mondialisation). Dès lors, la mondialisation implique souterrainement la pensée unique et la langue unique. La Francophonie implique un dialogue entre les civilisations. La France s’est dotée en interne de structures qui vont accompagner la Francophonie. Ces structures appartiennent au Ministère des affaires étrangères. Il y a le service des affaires francophones, le Conseil supérieur de la langue française et la délégation générale à la langue française. Il y a la semaine de la Francophonie tous les ans au mois de Mars. Une loi très importante a été promulguée dans ce contexte d’élaboration croissante de la Francophonie : c’est la loi du 4 août 1994, loi « Toubon ». Jacques Toubon a été Ministre de la Francophonie et garde des sceaux. Cette loi a 3 objectifs : enrichissement de la langue française, obligation d’utiliser la langue française dans certaines circonstances et défense du français en tant que langue de la République. Cette loi faisait suite à une modification de la Constitution du 25 juin 1992. On a ajouté l’alinéa suivant à l’article 2 C : « La langue de la République est le français. ». L’objectif de cette loi était de protéger la pureté de la langue française face à un fort anglicisme dans les entreprises notamment. C’est un peu inhérent à toute construction internationale, mais on assiste à un empilement des structures et à une bureaucratisation des institutions. B. La question des valeurs de la langue et de la littérature La Francophonie va connaître une vive critique émanant des milieux culturels euxmêmes, et plus particulièrement littéraires. Les choses vont prendre un tel court que la Francophonie, dans sa dimension culturelle et littéraire, va devenir un enjeu politique, et un enjeu de la campagne présidentielle de 2007. Quelle est la politique de la langue du Gouvernement français ? Le français est largement enseigné dans le monde et il a une large réputation. Le français est une grande langue de civilisation. A l’ONU, il y a 2 langues de travail officielles : le français et l’anglais. Le Gouvernement fait-il des efforts pour diffuser cette langue ? Au niveau de l’U-E, des crédits sont développés. Mais la politique internationale n’est pas à la hauteur des enjeux. D’autant que les États qui ont une géopolitique réelle considèrent la langue comme un instrument d’expansion. Les pays importants, et même les pays émergents, ont tous une institution de référence pour diffuser la langue. Que fait la France par rapport à ça ? La France a le 1er réseau culturel du monde. Mais le Ministère des affaires étrangères a fait une réforme considérable. Désormais, les centres culturels français se nomment les instituts français, et maintenant il y a une agence au Ministère pour ces instituts. La contestation est venue du côté des littéraires. En 2006, il y a eu de nombreux écrivains francophones qui ont eu les prix littéraires en France. Un écrivain francophone est un écrivain qui écrit en français, mais qui n’est pas de nationalité française. En 2007, il y a eu « le manifeste des 44 » : ce sont des écrivains français et francophones qui signent une pétition demandant la mort de la Francophonie. Ils voulaient remplacer le terme « Francophonie » par le terme « littérature-monde ». Ils disaient qu’il y avait une ségrégation envers les écrivains francophones et qu’on considérait que les vrais écrivains étaient les écrivains français.Argument culturel. Ils disaient aussi que la Francophonie était un paravent institutionnel qui cache la faiblesse des crédits engagés par la France et les autres pays pour défendre la langue française.Argument institutionnel. Cf. « La littérature-monde en français : un bien commun en danger », Alain Mabanckou : « Mais vous me permettrez de vous faire irrespectueusement remarquer, mesdames et messieurs les écrivains, que vous contribuez dans ce manifeste, avec toute l’autorité que votre talent confère à votre parole, à entretenir le plus grave des contresens sur la francophonie, en confondant francocentrisme et francophonie, en confondant exception culturelle et diversité culturelle. ». Sarkozy intervient dans « Le Figaro » pour répliquer en affirmant « La francophonie n’est pas morte… ». II. Les enjeux internationaux de la francophonie Il suffit de lire les ordres du jour des différents sommets de la Francophonie au fil des années pour envisager les objectifs que se fixent les sommets de la Francophonie. Cf. le discours d’Abdoul Diouf : « C’est une mondialisation qui ne refuse pas d’ouvrir les yeux sur la dimension humaine du progrès et de la croissance… ». A. Les enjeux économiques et politiques Enjeux économiques : enjeux économiques par rapport aux pays du Sud. La Francophonie favorise le développement durable. Enjeux politiques : une 10ène de pays de l’Est se sont retrouvés progressivement indépendants. Au départ, ils se sont précipités vers « le géant américain » et se sont tournés vers la Francophonie parce qu’elle propose une voie médiane et est respectueuse de l’identité de chaque pays. Pour ces nouveaux pays de l’Est, c’était une manière pour eux de se positionner sur la scène internationale tout en s’affranchissant du bloc soviétique. On a mis ces pays dans la Francophonie avec un statut d’observateurs. B. Le projet humaniste de la Francophonie C’est dans ce contexte qu’Abdoul Diouf donne à la Francophonie un projet humaniste, c'est-à-dire lutter contre la mondialisation culturelle qui écrase tout et faire en sorte que la richesse culturelle ne soit pas traitée comme les autres marchandises. La France protège son cinéma, la France protège sa production de livres. Si on laisse seulement le marché culturel agir, il n’y a plus de production française. Ce projet se double d’un modèle juridique international. En effet, dans l’espace francophone, des Commissions de répression visent l’approfondissement de la démocratie et vise la formation de magistrats et la surveillance des processus électoraux. Conclusion : « L’Afrique sauve la Francophonie », « Le Figaro », 22 octobre 2010. La Francophonie reste tout de même la seule grande institution internationale qui propose un projet cohérent, économique, linguistique, culturel, en phase avec les enjeux communautaires, et surtout relié, appuyé sur une véritable dimension humaniste, généreuse. Cf. Demain j’aurais vingt ans, Alain Mabanckou : la littérature renouvèle en profondeur les thèmes de la littérature française et la langue elle-même. On assiste là à une nouvelle littérature. THEME N°7 : LA CONTESTATION Que reste-t-il de Mai 1968 ? En quoi la contestation est-elle nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie ? Le cynisme Définition : c’est un courant de pensée contestataire autour de la personnalité d’Antisthène (444 av J-C/365 av J-C). C’était des philosophes qui exprimaient leur mode de vie par le rejet des conventions sociales, avec beaucoup de provocations. Étymologie : cynique vient du grec « kunikos » = tout ce qui réfère au chien.Ils rejetaient les conventions sociales, et la 1ère convention rejetée c’était le fait d’être habillé, d’où le fait qu’ils vivaient comme des chiens. Cynique le plus célèbre : Diogène : c’était par contestation des conventions sociales que Diogène vivait dans une jarre. Il était également entouré de chiens. Anecdote connue : le roi Alexandre est venu le voir pour lui porter secours, et il a répondu : « Écarte toi de mon soleil, tu me fais de l’ombre. ». Diogène était célébré pour sa force d’indépendance (d’esprit), et une grande distance par rapport à la société. L’épicurisme Épicurien le plus connu : Épicure (6ème siècle av J-C). Définition : l’épicurisme est une philosophie qui prête le retrait de la cité. Ce n’est pas un retrait provocateur comme le cynisme, mais un retrait sur leur plaisir. C’est un retrait qui offre la sérénité et la tranquillité. Ils avaient pour idéal l’ataraxie = moment où l’esprit vit dans une sérénité parfaite, où il ne connaît absolument pas le trouble. Le stoïcisme Fondateur : Zénon (300 av J-C). Définition : cette philosophie fait le trie entre plusieurs choses et établit la distinction fondamentale entre ce qui nous est infligé par les autres et ce qui dépend directement de notre propre volonté, c'est-à-dire que lorsque je subis une épreuve extrêmement difficile, je ne suis pas obligé de répondre à l’agression par une dépression ou un sentiment de malheur, car il n’appartient qu’à moi d’être calme et heureux dans toutes les circonstances. Donc, quel que soit la violence que l’on exerce sur nous, on peut résister avec notre volonté. Légende du taureau de Phalaris : Phalaris était un tyran. Pour les gens de l’Antiquité, le taureau de Phalaris représentait la référence absolue en matière de terreur, d’effroi, de douleur, …etc. Phalaris avait demandé qu’on lui fabrique un taureau en Érin. Au-dessous de ce taureau, il y avait un feu dans lequel on mettait les gens qui déplaisaient. Ces gens criaient, et ces cris actionnaient les naseaux du taureau qui jouaient alors de la musique. Cette philosophie a pu être exploitée lors du XXème siècle. L’humanisme (XVIème siècle) Il y a beaucoup de choses dans la philosophie des Lumières. Il y a aussi le courant utopiste de la fin du XIXème siècle. Félicité Lamennais à l’époque de la RI a construit un système utopique de redistribution des richesses. L’anarchie (fin du XIXème siècle) Définition : c’est un courant philosophique qui a conduit à une attitude sociale. Théoricien : Joseph Proudhon (1809-1865). Pour Proudhon, l’individu dans la société doit reposer sur un ordre naturel et vivant. L’anarchie est un paradoxe : elle a pour idéal le rejet des lois, car elles construisent l’autorité, mais en même temps c’est un système très organisé. C’est un rejet de l’économie, c'est-à-dire du capital ; du politique, c'est-à-dire de l’Etat ; et de la morale, c'est-à-dire de la religion. L’anarchie avait en quelque sorte un ancêtre, avec Gargantua (1546), Rabelais : il invente une utopie à l’intérieur d’un bâtiment qui est l’abbaye de Thélème : « Fais ce que voudras. ». Sauf que dans cette société utopique, la volonté de l’individu est en parfait accord avec la société. L’affaire Dreyfus (fin du XIXème siècle) A la fin du XIXème siècle, la notion de contestation va se cristalliser autour d’un événement pour la France qui fut fondateur : l’affaire Dreyfus. En 1894, Dreyfus était un capitaine de l’armée française accusé d’espionnage. Il faisait parti de l’élite de l’Etat major. Il a été condamné au bagne alors qu’il était innocent. L’Etat major, en liaison avec l’Etat, n’a pas voulu reconnaître l’innocence de Dreyfus. Il y a eu un nouveau procès, mais le Président du Conseil a décidé de gracier Dreyfus, car la justice et l’armée ont trouvé ce moyen pour calmer la contestation de l’opinion publique. C’est la force de l’opinion publique qui conteste, avec Émile Zola qui écrit en 1898 « J’accuse », lettre ouverte au Président du Conseil. Les écrivains vont monter au créneau, Anatole France par ex. En 1906, Dreyfus sera réhabilité sans possibilité de renvoi auprès de la C. de cas. Les intellectuels A partir de ces années là, est née l’expression intellectuelle. Ce sont les journalistes qui ont forgé une expression qui désigne les intellectuels. L’affirmation des intellectuels a donné une nouvelle impulsion à la contestation, mais aussi un cadre plus formel. Historiquement, lorsque le régime de Pétain s’est installé à Vichy pendant la 2nde GM, les idées de ce régime étaient les idées des gens qui étaient contre Dreyfus, c'est-à-dire que c’était une France réactionnaire qui s’appuyait sur des valeurs nationalistes. Les intellectuels se sont développés au milieu du XXème siècle en France, et s’est précisée l’idée d’engagement des intellectuels. La trahison des clercs, Julien Benda : il avait soutenu Dreyfus. C’est un livre sur les intellectuels et sur la fonction des intellectuels. Julien Benda dit que les intellectuels ne doivent pas trahir leur vocation qui est de s’engager pour la justice et pour la vérité. Cet engagement de l’intellectuel relève d’une vocation religieuse, d’où le mot clerc. A cette époque, il y a une grande figure de la contestation qui est André Malraux. La condition humaine (1933), André Malraux : à la fois il conteste et dénonce l’oppression que font subir les intérêts financiers des occidentaux sur les pays vulnérables. Il prend pour ex la Chine. Sartres et Camus Les années 1950 connaissent un regain d’activité intellectuelle du côté de la contestation. En effet, se mettent en place de véritables systèmes philosophiques qui ont pour racine une contestation radicale du mode de vie occidental. Il y a Sartres avec sa philosophie de l’existentialisme et Camus avec sa philosophie de l’absurde. Philosophie de Camus (1913-1960) : il considère que notre mode de vie routinier est absurde, car il amoindrit les possibilités créatrices de l’individu. Donc l’individu contemporain vivrait dans une structure qui répète le même à longueur de temps. Camus prend pour ex le mythe de Sisyphe : c’est un personnage de l’Antiquité qui roule son rocher jusqu’en haut de la montagne, le fait redescendre et recommence. L’univers de l’absurde garde l’idée de repères spirituels. Philosophie de Sartres : l’existentialisme est une philosophie de la liberté, c'est-à-dire que l’individu doit se considérer intrinsèquement comme un être libre et il doit lutter contre sa mauvaise foi. Comme dans l’univers de Camus, l’individu de Sartres vit dans une société de la répétition, du geste mécanique, mais pour se justifier à lui-même, cet individu se dit qu’il ne peut pas faire autrement, autrement dit il est de mauvaise foi. Ces 2 systèmes philosophiques aboutis et cohérents sont des philosophies tout à fait subversives, car elles remettent en cause le mode de vie occidental. Il faut ajouter que Sartres surtout adossait son système philosophique et sa critique littéraire sur le soutien à l’idéologie socialiste créée par Moscou et mise en application en Union soviétique. Camus a pris ses distances vis-à-vis de la position de Sartres, car il disait qu’il fallait œuvrer pour la liberté et lutter contre les dictatures. D’ailleurs, les 2 sont fâchés. Sartres a créé l’intellectuel de gauche, de contestation. Le fonctionnement de la contestation en France Chaque contestation en France avait en quelque sorte son antithèse. Il y avait un philosophe dans les années 1950 qui comptait autant que Camus et que Sartres : Raymond Aron. Il a écrit L’opium des intellectuels (1955). Il était de la même formation que Sartres et défendait de manière ardente le libéralisme politique et économique, dans la tradition de Voltaire et de Tocqueville. Il y avait un antagonisme très puissant à l’époque entre les intellectuels de gauche et la pensée de Raymond Aron. Dans son œuvre, Aron nous dit que les intellectuels en France sont complètement aveuglés par les régimes communistes de l’Europe de l’Est, et cela devient une forme d’opium, ils ne plus en mesure d’avoir une pensée juste et équilibrée. Il vante évidemment les vertus du libéralisme. Dans les années 1960, la contestation était conceptualisée. L’homme unidimensionnel, Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée (1964), Herbert Marcus. Ce livre a été traduit en France en 1968. Marcus fait le constat que l’individu de son époque vit dans des sociétés dans lesquelles le modèle d’organisation est une source d’aliénation. La bureaucratisation non seulement aliène l’individu, mais construit aussi un pouvoir qui a pour politique générale la manipulation des consciences. En revanche, Marcus fait une analyse très virulente contre le système de l’économie occidentale, car nous nous définissons comme le monde libre. Il considère que le monde occidental est unidimensionnel, car il est conditionné par le marché et c’est un consommateur qui est programmé à acheter et à assouvir des besoins et des désirs totalement superficiels. Selon lui, la publicité joue un rôle moteur dans l’affaire, car elle manipule les consciences avec un modèle dominant qui est de consommer. La liberté propre de l’individu est remise en cause, car dès qu’il s’écarte du schéma de la consommation, il est marginalisé. Cependant, grâce à cela, les classes sociales s’estompent. Mais à la fois c’est la classe supérieure qui donne le pouvoir d’achat aux classes inférieures pour pouvoir consommer. Il donne une réponse qui est « le grand refus ». C’est une pensée qui va se vulgariser et se populariser. A cette époque, c’était l’élite intellectuelle qui contestait en fonction d’un idéal de la société. La thèse de Marcus est tout de même réductrice. Tocqueville montre que la démocratie est devenue un commerce. Il écrit que le commerce rend libre. Voltaire et Tocqueville établissent un lien direct entre la démocratie, le commerce et l’individu, car quand l’individu crée une entreprise, elle repose sur l’initiative privée qui repose sur un besoin de liberté s’élargissant à l’ensemble de la société. La contre-culture La contre-culture a ses formes et ses manifestations. Mais nous vivons dans un monde rationnel où tout est pensé, où tout est intellectualisé, comme si l’esprit cartésien s’étendait à toutes les manifestations de la société. La contre-culture a un théoricien : Vers une contre-culture (1970), Théodore Roszak. La contre-culture est le comportement d’un groupe culturel qui fonde son développement sur une opposition quasi-systématique au modèle culturel dominant. Les mouvements symptomatiques de la contre-culture ne manquent pas. Ex : le phénomène hippie dans les années 1960/1970, l’extrême gauche en France et le groupe des maoïstes, le féminisme. Mai 1968, en tant que contre-culture, produit une presse qui se positionne par rapport à la presse traditionnelle. Ex : « Libération ». Dans la contre-culture, il est question d’un mouvement de contestation qui se transforme en esthétique particulière. 1er ex : au musée d’arts modernes, il y a une exposition sur le peintre américain JeanMichel Basquiat. On peut facilement identifier ses toiles, car elles s’inspirent du graffiti. Son œuvre et son influence n’ont cessé de grandir. Ses toiles représentent des sujets liés à la contestation. Ex : le malaise urbain. 2ème ex : à la fin des années 1970/début des années 1980, en Angleterre, il y a les initiatives libérales de Margaret Thatcher. A cette époque, l’Angleterre était sous l’influence des syndicats, donc dans une orientation socialisante. Margaret Thatcher risque tout dans la confrontation avec les syndicats. C’est un bras de fer entre le Gouvernement et les syndicats. Elle revient avec son Gouvernement sur les acquis de l’Etat providence. Il y a donc un malaise social très prononcé, de nombreux licenciements. Donc de nombreuses personnes se retrouvent sur le marché du travail sans emploi et sans formation. De ce malaise, naît le mouvement punk. Sous les apparences chaotiques, c’est un mouvement presque culturel. Mais cette contre-culture, dans le sens où elle conteste l’organisation sociale du pays et où elle conteste la culture populaire des familles, établit ce qui montre le passage à la contestation sociale. Les années de prospérité qui ont suivi, nt avec Tony Blair, ont été la conséquence de cette politique Thatcher. Le mouvement punk fait désormais parti de la culture anglaise. La contre-culture est intéressante, car elle s’oppose à la culture officielle. La culture officielle est la culture reconnue par les institutions d’un pays. Ex : le prix Goncourt est une manière de présenter une sorte de culture officielle. Sous cet angle, le parcours de Houellebecq est tout à fait représentatif, car, au départ, dans les années 1990, lorsqu’il a publié Extension du domaine de la lutte, c’était un auteur qui revendiquait l’existence d’une autre culture, et c’était le 1er à fustiger la littérature officielle. Sur le plan du mécanisme même de la contestation, on s’aperçoit que la société, dans ses valeurs dominantes, est prise entre 2 feux. Le 1er feu est la contre-culture et le 2ème feu vient de ce que l’on appelle la pensée réactionnaire qui est opposée à la contre-culture. La pensée réactionnaire se définit par un commentaire et à une tentation de retour vers les valeurs fondatrices de l’idéal occidental, de l’idéal européen. Les ex ne manquent pas, surtout en France. Cet état de fait est particulièrement perceptible en France. 1er ex : L’état culturel (1992), Marc Fumaroli. L’auteur est un académicien et l’un des grands intellectuels de notre modernité. La contre-culture en France, surtout depuis les années 1968, est largement subventionnée par l’Etat, et l’art interroge en France la relation entre l’art et la culture. Marc Fumaroli se positionne non pas contre la contre-culture, mais dénonce dans son livre les interventions de l’Etat dans le domaine de la culture, avec une question qui ne va pas de soit : pourquoi l’Etat doit-il subventionner la culture ? Il nous met sur la voie de la réflexion qui consiste à remettre en question l’existence même d’un ministère de la culture, car un ministère de la culture est une spécialité française. Ce qui signifie que, par ce biais de ce ministère, l’Etat dirige plus ou moins la culture. Marc Fumaroli s’en réfère au modèle anglo-saxon où la culture ne vient pas de l’Etat, mais des citoyens. Il a donc ce qu’on pourrait appeler une pensée réactionnaire. Mais il n’est pas le plus représentatif. 2ème ex : Le rappel à l’ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires (2001), Daniel Lindenberg : c’est un ouvrage qui va marquer les esprits et va souligner une forme de la contestation réactionnaire en France. Ce livre établissait les gens qui étaient réactionnaires. Tout d’abord, il y avait La défaite de la pensée, Alain Finkielkraut : certains aspects de la contre-culture qui n’ont pas beaucoup d’intérêt, par idéologie, sont élevés à des valeurs proches de la vraie culture. A ce titre là, il a été qualifié de nouveau réactionnaire. Ensuite, il y a Nicolas Baverez : il est agrégé d’économie, docteur en histoire, a fait sa thèse sur Raymond Aron, est également économiste et est un disciple de Tocqueville. Il va se mettre à publier toute une série d’ouvrages économiques qui considère que le modèle social français est un modèle qui éloigne notre pays de la production légale, et selon lui, l’économie administrée telle qu’elle est pratiquée en France n’est pas en mesure de porter haut les couleurs de la France dans la mondialisation. C’est une pensée contestataire, voire réactionnaire, car elle conteste le modèle économique et social français. En bon disciple de Raymond Aron, il écrit : « L’antilibéralisme est un fléau qui se trouve au principe du déclin et de la régression en France. ». Il va écrire La France qui tombe (2003). A partir de là, certains auteurs vont être taxés par la culture officielle de déclinologues. La politique de Jacques Chirac a été considérée par celui-ci comme une politique d’immobilisme. En 2002, Jacques Chirac nomme Jean-Pierre Raffarin 1er Ministre, et aux yeux de Nicolas Baverez, ce Ministre perpétue l’immobilisme. Il signe un éditorial Raf ne fait rien. Lorsque Daniel Lindenberg dressait le portrait des nouveaux réactionnaires, il y a ajouté un romancier qui était Houellebecq. Certains ont considéré que l’univers romanesque de Houellebecq était un peu la traduction des thèses de Nicolas Baverez. Les romans de Houellebecq se définissent comme une contestation radicale. Houellebecq dit que tout le malheur de la société française contemporaine vient de Mai 68. Son ouvrage des années 2005 s’ouvre sur une scène de viol, car il dit que toutes ces violences viennent du fait que Mai 68 a ruiné l’idée d’autorité. Houellebecq dit que ce malheur de l’être seul vient du malaise de 68 qui a célébré l’épanouissement individuel. Extension du domaine de la lutte : l’homme doit lutter pour avoir un travail et le maintenir, mais doit aussi lutter sur le marché du sexe et des sentiments. Daniel Lindenberg pointait aussi parmi les réactionnaires Philippe Muray : On ferme. Il n’a pas cessé de produire des ouvrages et des articles qui fustigent la contre-culture et le politiquement correct. Il désigne les personnes faisant les grèves comme « les mutins de panurge » (expression de Rabelais). De l’éthique de la discussion (1990), Jürgen Habernas : 6 points caractérisent la désobéissance civile : une infraction consciente et intentionnelle, un acte public, un mouvement à relation cognitive, pacifique, but inique : la modification de la loi, engager l’action au nom de principes supérieurs. Ceci entre dans l’intermondialisme avec José Bové avec l’ONG ATTAC (association pour la taxation des transactions pour l’aide aux citoyens). Les ONG œuvrent à la constitution d’un autre monde. Elles ont des valeurs économiques et sociales prêtes à remplacer les valeurs capitalistes. Tout a pris une tournure visible en janvier 2001 avec ce qui s’est passé au Brésil à Porto Allègre avec un sommet altermondialiste qui se veut la République d’un sommet capitaliste se tenant à Davos. Les valeurs de ce monde altermondialiste : aide à son prochain, tolérance, don de soi, ouverture spirituelle vers l’autre, développement durable, annulation de la dette des pays pauvres, revalorisation du citoyen en le considérant beaucoup plus qu’un simple consommateur. C’est très structuré, cela se transforme en Gouvernement. Claude Lévi Strauss : pensée qui est l’ouverture à l’autre et l’enrichissement spirituel par d’autres civilisations. Contestationrésistance, délinquance. THEME N°8 : LA CULTURE ET LES ARTS La culture dans son sens anthropologique : cf. Lévi Strauss, les manières de faire, de sentir, de penser, propres à une collectivité humaine. La culture permet l’évolution des sociétés humaines, des groupes humains, qui n’est pas uniquement déterminée par des facteurs instinctifs ou biologiques. La culture complète la nature pour décrire l’environnement dans lequel se développent les comportements humains. La culture dans son sens commun : sens du cours, l’ensemble des connaissances scientifiques, artistiques et littéraires. On peut transposer cette définition au niveau du groupe. Il s’agit du patrimoine des œuvres intellectuel et artistique.La culture et les arts. Les 2 cultures sont souvent alliées l’une à l’autre, car la culture dominante, au sens anthropologique, au sens ethnologique, repose sur un patrimoine littéraire et artistique qui la légitime, qui permet de retracer son histoire et qui permet de définir ses valeurs cardinales. Ce patrimoine intellectuel et artistique classique donne de la matière à la culture au sens ethnologique du terme. L’art au sens étymologique : vient du latin et grec « techne », toutes les connaissances théoriques et pratiques nécessaires à la réussite d’un acte ou à la production d’une œuvre. Le terme d’art est employé dans 2 perspectives se sont succédées dans le temps : Sens originel : l’art désigne la forme de production dans la société artisanale. L’artisan produit souvent seul l’ensemble des activités nécessaires à la réalisation d’un objet. Cet objet est le fruit d’un travail intellectuel qui exprime les qualités de son auteur. Dans ce contexte là, l’art naît de ce que l’artisan détermine une conception générale de ses actes à partir des divers cas empiriques qu’il a eu à traiter. Il dégage, du fait de sa pratique, une expérience, expérience qu’il pourra éventuellement transmettre. L’art est lié à la technique, c'est-à-dire que l’art présente une perspective utilitaire.Vision utilitaire. L’art est une fin en soi : la démarche artistique n’est jamais motivée par la recherche du gain, la perfection du geste ou du savoir-faire. L’artisan, en réalité, travaille, alors que l’artiste est celui qui exerce une activité qui, en elle-même, est agréable et qui tend à la recherche de l’esthétique et au beau. C’est à partir du XVIIIème siècle qu’en philosophique l’art, en tant que recherche esthétique, s’établit comme un domaine autonome de réflexion, car c’est au XVIIIème siècle qu’apparaît l’esthétique. L’esthétique est une théorie du sensible, une réflexion philosophique sur l’art. Critique de la faculté de juger (1790), Emmanuel Kant : Kant se propose d’analyser le jugement de finalité, c'est-à-dire l’appropriation des moyens aux fins. Il analyse 2 facultés humaines : la faculté de juger esthétique et la faculté de juger téléologique. Ce que constate Kant c’est que dans l’expérience de la beauté, l’individu est incité à rapprocher l’ordre nature des choses, la nature, et les finalités qu’il s’assigne. Cela signifie que dans le beau, dans la recherche esthétique, dans la recherche artistique, l’homme peut prendre conscience qu’il appartient à la fois à la nature mais aussi à un ordre qui ne se réduit pas à l’empirisme, c'est-à- dire que la situation de l’individu ne se limite pas à l’expérience, car il a la possibilité précisément de créer, de juger, en termes d’esthétique. Aujourd’hui, on éprouve quelques difficultés à déterminer les vrais critères de l’art. Tout d’abord, car le monde de l’art est caractérisé par l’intervention de multiples acteurs : les fonctionnaires de l’Etat, les critiques et les collectionneurs. Cette multiplication des acteurs démultiplie elle-même les critères d’identification et de valeur. Les grilles de lecture diffèrent souvent et se contredisent parfois. Donc on peine à déterminer aujourd’hui à identifier la valeur artistique d’une œuvre. Finalement, toute tentative de définition de l’art suppose en réalité de dépasser les discours artistiques et se limiter à la notion d’esthétique. Il faut se questionner sur le sens de l’art et non sur la valeur de l’œuvre. En toute hypothèse, l’art apparaît comme le vecteur d’une culture au sens 2nd. 2 points méritent attention et sont liés à une problématique de type politique : la plupart des interventions publiques en matière culturelle sont justifiées par l’idée qu’il faut favoriser l’accès à la culture pour le plus grand nombre. Cette volonté conduit à se poser la question suivante : pourquoi l’intervention de l’Etat dans le domaine de la culture ? La nature des relations entre les pouvoirs publics et la culture et les arts ? I. La démocratisation de la culture L’art et la culture, en tant que patrimoine, n’ont de sens que s’ils sont pratiqués par tous un chacun. C’est la logique qu’adopte par exemple l’art contemporain. L’art contemporain naît à la fin des années 1940 jusqu’à nos jours. L’art contemporain ne s’interroge pas sur la beauté, il est en rupture affirmée avec les canons esthétiques antérieurs, c'est-à-dire que le style n’importe plus alors que dans l’art classique le style permet d’identifier, donc de juger, un artiste. Ex : l’art abstrait a recours de la représentation, de l’art classique, il se propose de faire réagir le spectateur qui doit s’efforcer de déceler l’intention de l’auteur, le sens de l’œuvre. Dans l’art abstrait, il n’y a pas de spectacle identifiable, il n’y a pas d’image figurative. Puisque cela ne représente rien, il faut s’interroger non pas sur ce qu’elle montre mais sur ce qu’elle dit, sur la signification. La démarche de l’art contemporain est une démarche qui fait intervenir le spectateur. Donc la logique de l’art contemporain c’est de faire réagir le spectateur. Ex type de l’art contemporain : « L’urinoir » de Duchamp présenté en 1917 au Salon des indépendants. Dans cette perspective là de l’art contemporain, chacun est potentiellement artiste, chacun est artiste et chacun peut revendiquer le droit de s’exprimer sur une œuvre. L’artiste n’est plus une autorité. Donc il n’y a pas de hiérarchie entre le spectateur et l’artiste. Dans cette perspective, les œuvres de l’art contemporain ont un objectif c’est qu’elles sont liées au progrès démocratique. Les statistiques nous disent que la consommation de biens culturels augmente de manière continue. Cela semble suggérer l’idée qu’existe un intérêt universel pour la culture, et donc une véritable démocratisation de celle-ci. Existe-t-il une démocratisation de la culture ? A. L’hypothèse de la démocratisation Cette hypothèse est accréditée par des faits concrets, des faits tangibles. Cela permet de dire qu’il y a une massification de la consommation de biens culturels. Donc elle est accréditée par des faits. Cette démocratisation semble d’autant plus vérifiée qu’elle correspond à d’autres évolutions qui suggèrent un accroissement global du capital culturel des sociétés, quel que soit par ailleurs le niveau économique des sociétés. Le niveau des diplômes augmente de manière continue et on peut supposer qu’il existe un lien entre ce niveau scolaire et l’accès à la culture et/ou le goût pour l’art. Dans le même sens, le niveau de vie augmente. Or, puisque les biens culturels ne sont pas des expériences gratuites, la démarche artistique est gratuite. Ainsi, il est évident que dans la pyramide des besoins, le besoin de consommer des biens culturels est secondaire, accessoire. Il est d’autant plus facilement satisfait que les autres besoins le sont déjà. L’accroissement continu du temps de loisir dégage du temps pour la culture et la familiarisation avec les arts. Les promoteurs de la réduction du temps de travail insistaient sur le fait que la réduction du temps de travail était une occasion de se cultiver. D’autres facteurs plus conjoncturés jouent aussi dans le sens d’une démocratisation : la proximité géographique des lieux de culture, c'est-à-dire la distribution géographique des équipements culturels sur le territoire national qui est à peu près homogène. C’est une décentralisation culturelle qui rapproche les individus. Ex historique : en France, l’Etat s’intéresse à la démocratisation de la culture par le bais des équipements culturels à la fin des années 1930, et en réalité à partir de 1936. A cette époque, le Front populaire met en place des organismes et des institutions chargés d’aider les institutions en matière de loisirs culturels. Ex : le Secrétariat d’Etat aux loisirs (culturels) et au sport, le Ministère de la culture, les MJC (Maisons de la Jeunesse et de la Culture). Il existe un contexte favorable à la démocratisation de la culture. Elle semble d’autant plus réelle qu’elle correspond au sens de l’Histoire : plus de moyens, plus de temps, plus de diplômes ; cela conduit naturellement à une volonté de se cultiver. Donc l’hypothèse de la démocratisation semble vérifiée, établie. Mais, en réalité, cette démocratisation est beaucoup moins évidente qu’on peut le penser. B. La réalité de la démocratisation Le constat statistique est trompeur, car ce n’est qu’un constat global qui ne rend pas compte de la diversité des pratiques culturelles. En effet, on se rend compte, en réalité, qu’il y a d’autres facteurs qui aboutissent à une différenciation des pratiques culturelles de sorte que la démocratisation n’est pas d’un bloc. Toutes les formes de culture, toutes les formes d’art, ne sont pas à la portée de chacun. D’abord, l’augmentation globale de la fréquentation des lieux culturels est liée à un effet de structure : plus le niveau de vie augmente, plus la consommation de n’importe quel produit augmente. Mais dans le détail on constate que l’augmentation de la consommation de biens culturels est le fait de populations qui sont déjà largement consommatrices, c'est-à-dire par ex que la fréquentation des musées et des concerts de musique classique est le fait des mêmes catégories sociales. A supposer toutefois qu’un nouveau public soit capté, cette captation ne signifie pas démocratisation, car cela est souvent lié à l’augmentation sur le long terme de la population des cadres et diplômés. Par ailleurs, si un jeune public fréquente aussi les musées, les concerts, on s’aperçoit que bien avant c’est le résultat d’une politique conjoncturelle d’incitation. Il n’y a pas de mouvement de fond. Si globalement on peut parler de démocratisation, dans le détail on ne le peut pas, car les mêmes groupes sociaux en réalité consomment d’avantage. Cette massification de la consommation culturelle ne touche qu’une partie de la population. Elle s’explique assez facilement. D’abord, elle s’explique par un clivage assez net entre les citadins et les ruraux, car l’offre et la demande de biens culturels se concentrent dans les (grandes) agglomérations. Ensuite, le niveau du diplôme détermine largement la propension aux loisirs culturels. La propension augmente avec le revenu. En conséquence de cela, on constate une différenciation très nette et une pratique culturelle entre les groupes sociaux. Par ex : l’écoute quotidienne de la TV est d’autant plus importante que les revenus sont faibles. Et inversement, le temps d’écoute à la TV diminue a fur et à mesure que le revenu, le niveau de diplôme, le niveau culturel, augmente. Autre ex : les autres activités culturelles deviennent accessoires, c'est-à-dire qu’on constate une faible démocratisation des pratiques culturelles régulières les plus distinctives (ex : lecture de livres, lecture de presses d’information nationale, écoute de la musique classique). Ces pratiques ne se retrouvent que dans les milieux fortement dotés en capital culturel (= les valeurs, les normes de comportement et l’aptitude relative au savoir, il concerne les qualifications intellectuelles socialement sanctionnées, c'est-à-dire le diplôme, la filière scolaire, la maîtrise d’une culture classique). La massification ne concerne en réalité que ces catégories socioprofessionnelles là. Il apparaît en définitive que l’accès à l’art, à une certaine forme de culture socialement valorisée, suppose des compétences qui ne sont pas à la portée de chacun, car ces compétences dépendent de facteurs économiques, de facteurs culturels et de facteurs sociaux. Malgré les efforts déployés par les pouvoirs publics, il apparaît que ces compétences ne sont pas distribuées de manière égalitaire, car il y a des éléments objectifs qui rendent cette inégalité irrésistible : coût de la culture. Il faut évoquer l’existence d’un handicap symbolique qui creuse les inégalités : certaines personnes intériorisent un sentiment d’incompétence à l’égard de la culture, et donc en quelque sorte s’interdisent certaines pratiques culturelles. Tous ces facteurs se cumulent pour faire en sorte que la démocratisation de la culture est plus un vœu qu’une réalité. II. Pouvoirs publics et culture C’est la question de la politique culturelle de l’Etat. Cette intervention de l’Etat est souvent conçue en France comme la condition de la démocratisation de la culture, et cela est vrai surtout depuis la IIIème République. C’est cette République qui souhaite éduquer les enfants à l’art dès l’école. C’est le front populaire qui confirme cette condition en soutenant l’idée d’une culture populaire pour tous à travers l’accès à l’art. C’est après la 2nde GM que cette ambition là devient une constante de l’intervention de l’Etat. Cette ambition est partagée par tous les partis politiques. Une question politique est une question qui peut faire l’objet d’un choix. Or, la politique culturelle de l’Etat n’est pas débattue. Les modalités de cette politique varient mais les problèmes qu’elle pose non. A. Les modalités de la politique culturelle Sous l’AR, les rois sont des mécènes, c'est-à-dire que les commandes publiques sont essentielles. C’est au XVIIème siècle que des académies sont créées par Mazarin, nt le Collège de France, l’Académie française et l’Académie de peinture et de sculpture créée entre 1636 et 1648. L’objectif de ces institutions est de mettre l’art au service au du pouvoir, car la culture et les arts servent en quelque sorte de vitrine au pouvoir et sont au service de la grandeur. Donc l’art et la culture sont une source de légitimation du pouvoir. Après la Révolution, les institutions antérieures sont confirmées. Mais le propre de celleci est qu’elle républicanise les pratiques antérieures sans les gommer. L’art est encore une fois instrumentalisé par le pouvoir. Ex d’un artiste dont le talent a été instrumentalisé : David a, dans ses œuvres, figé les images de la Révolution et de l’Empire, c'est-à-dire qu’il a mis son art au service de l’Etat en devenant, entre 1799 et 1815, le peintre officiel de l’Empire (de Napoléon) et il a retracé les grandes étapes, les moments clefs du règne de Napoléon 1er. L’œuvre la plus connue est le sacre de Napoléon Ier du 2 décembre 1804. Après la 2nde GM, la culture et les arts sont pris en charge par un secrétaire d’Etat, puis par un Ministère de la culture. C’est André Malraux qui a figé la politique culturelle de l’Etat depuis 1950. Cette intervention de l’Etat dans le domaine de la culture peut être plus ou moins poussée, plus ou moins directe. Cette intervention de l’Etat doit concilier 2 exigences : être utile et respecter la liberté du créateur, c'est-à-dire qu’il ne doit pas y avoir d’art officiel. Dans ce contexte là, on peut se poser la question suivante : quels sont les objets de cette intervention culturelle de l’Etat ? On peut distinguer 2 phases qui se sont succédées. La phase des années 1950 aux années 1980 : l’intervention de la puissance publique se focalise sur de la culture légitime. On insiste sur les seules œuvres qui présentent des qualités intrinsèques. On voit que l’Etat soutient les formes de culture, les arts, qui correspondent le mieux aux valeurs qu’il souhaite voir promues. Les arts soutenus, les artistes soutenus, sont ceux qui correspondent le mieux à l’état des représentations dominantes. Donc la culture promue, objet de la politique de l’Etat, c’est la culture savante, classique. C’est cette culture là que les Gouvernements souhaitent favoriser et diffuser. Donc les interventions publiques se concentrent seulement sur quelques points. Ex : le musée, le théâtre, les archives. Donc cette politique de l’Etat s’appelle une politique patrimoniale : c’est une politique de conservation. Le but c’est de conserver l’existant. Le problème c’est que cette politique là est méfiante, peu accueillante à l’égard de la création et de l’avant-garde. La phase de rééquilibrage qui consiste en une politique de soutien à la création qui commence à se développer à la fin des années 1960. Au départ, cela consiste à développer les commandes publiques aux jeunes créateurs. C’est à cette époque que se développe aussi la sécurité sociale qui bénéficie aux artistes, car on a besoin d’eux. C’est une manière indirecte et efficace de soutenir la création contemporaine. Le point d’orgue est atteint avec la présidence de George Pompidou. Il développe, par goût personnel, l’intervention de l’Etat dans le domaine de l’art contemporain. Ce rééquilibrage n’a pas débouché sur une stabilisation, car la politique de l’Etat reste globalement plutôt patrimoniale. On peut en juger en évoquant les problèmes que cela pose. En effet, l’art contemporain n’est pas jugé selon un point de vue esthétique. Par conséquent, les choix publics en faveur de tel ou tel artiste contemporain suscite souvent des critiques. Ex : le palais royal à Paris avec les colonnes de Duren. D’autre part, les formes populaires d’art (le hip-hop, la BD et la danse de rue) ne sont pas soutenues par les pouvoirs publics ou très peu. Elles l’ont été un peu dans les années 1980 sous Jack Lang, car il semble que l’Etat souhaite demeurer élitiste, c'est-à-dire que l’Etat craint, s’il soutenait ces formes d’art, de se voir reprocher un certain relativisme culturel. Cela signifie qu’il soutient tout le monde, le balais comme le hip-hop, et il craint d’opérer un nivellement par le bas qui serait dommageable à tous et à la culture elle-même. La politique de l’Etat consiste plutôt à promouvoir la culture classique que les cultures. Ex : le centre Pompidou est intéressant, car c’est l’ex du problème identitaire. A l’origine, c’est un centre pluridisciplinaire : c’est à la fois un musée, une bibliothèque et un centre de création. Donc on crée, on apprend et on expose. Le but c’est de créer des liens entre les créateurs, les spectateurs et l’Etat. C’est un lieu de vie. Cette conception est dans l’air du temps, c'est-à-dire que les valeurs post-soixantehuitardes c’est de rejeter les dogmes, l’autorité, on souhaite au contraire de la convivialité, de la désacralisation. L’architecture même du centre Pompidou suit cette philosophie. Il se présente comme une machine ouverte faite de mouvements, de circulations. Le centre Pompidou est censé être à la fois un conservatoire et un lieu de création. Ce centre incarne les 2 tentations de la politique culturelle de l’Etat, c’est une synthèse. Ces 2 tentations ne s’opposent pas, mais elles se conjuguent. Le problème aujourd’hui c’es que le souci de conservation l’a emporté sur le soutien à la création, c'est-à-dire qu’en réalité un rapprochement avec le musée s’est opéré. Aujourd’hui, au centre Pompidou, il n’y a presque plus de création, au mieux il y a une juxtaposition d’activités artistiques, mais il n’y a pas cette interaction magique que l’on souhaitait. Donc le centre est la synthèse de la difficulté des politiques culturelles de l’Etat. B. Appréciation sur l’idée de politique culturelle Toute politique culturelle a un vice et une vertu : elle est à la fois une garantie et une menace. Vertu : surtout, elle est une garantie contre l’envahissement marchand. Les produits artistiques présentent des spécificités en matière de production, de diffusion et de réception. La logique c’est que les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Donc il est souhaitable que l’Etat assure une certaine protection, ex : fixer des quotas d’importation des œuvres étrangères, interdire les concentrations de l’entreprise dans le domaine de l’industrie culturelle, règlementer les prix des industries culturelles. Le but est de préserver le produit culturel de la logique du marché. Vice : c’est un risque avéré dans les États totalitaires, car l’art est un outil de propagande, de diffusion de l’idéologie du régime. Mais c’est un risque qui n’est pas non plus nul dans les États démocratiques. En effet, la création artistique est un espace de liberté dans lequel l’Etat ne saurait intervenir sans fausser la démarche, et donc sans fausser le résultat. On peut ainsi se demander si une simple politique de commande publique n’est pas de nature à fausser la démarche artistique, est-ce qu’elle n’est pas de nature à « donner naissance à une sorte d’art officiel » ? Dans ce domaine là, la position de l’Etat est très délicate. On doit faire un parallèle ici avec le domaine économique. Il existe dans les 2 domaines des institutions interventionnistes, des institutions d’encadrement. Dans les 2 cas, on considère que l’Etat doit jouer un rôle dans l’épanouissement des individus. Mais pour autant, il doit s’abstenir d’une intervention trop marquée. Par conséquent, en économie comme dans le domaine de la culture, l’intervention de l’Etat dans les 2 cas doit avant tout inciter, il doit jouer le rôle d’une force d’incitation, de proposition. Cela signifie finalement que l’Etat doit éduquer à l’art dans le domaine de la culture, et ce tout en laissant libres les individus de choisir l’art qui a leur faveur, et d’aimer ou pas l’art. Dans cette perspective, l’intervention de l’Etat repose sur une idée : il existe un droit à la culture dont il doit assurer le respect, dont il doit assurer le la réalisation, ce qui suppose qu’il doit demeurer en retrait. THEME N°9 : MÉMOIRE, HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE La question de la mémoire collective est devenue un problème au XXème siècle, car des événements politiques ont surgi et ont marqué la conscience collective. Il est apparu nécessaire, assez rapidement, d’organiser les rapports de notre société avec ce passé, avec cette mémoire. Dans son sens général, dans son sens biologique, la mémoire c’est le fait de conserver des informations diverses et le fait de les restituer dès lors qu’une sollicitation le commande. La mémoire collective est un système complexe composé de mémoires individuelles, de références historiques partagées par le plus grand nombre et qui ont une influence sur la perception qu’a chacun de sa propre histoire et de l’histoire de son groupe social. Ce qui intéressant ce sont les liens qu’entretiennent cette mémoire collective et l’histoire. L’histoire a 2 sens. Il s’agit soit d’une suite d’événements, la réalité des évolutions de la société jusqu’à nos jours, soit de l’étude de ce passé, auquel cas l’histoire est conçue comme une discipline scientifique. La problématique va porter sur l’histoire en tant que science aujourd’hui. Cette science aujourd’hui n’est plus marquée par l’historicisme : c’était une méthode du XIXème siècle qui était une prétention des historiens de formuler des lois du venir, c'est-à-dire de définir un principe unique d’évolution de l’humanité. Ex : Marx explique que le sens de l’histoire c’est un sens unique, c’est la mémoire du socialisme. Aujourd’hui, cette science là se veut plus objective, mais ce n’est pas une science neutre. La construction de l’histoire, en tant que science, repose pour partie sur une certaine subjectivité de l’historien. Parmi les éléments subjectifs qu’il prend en considération, figure la mémoire. La mémoire collective influence l’étude des faits historiques et l’écriture de l’histoire. Quels types de rapports entretiennent la mémoire et l’histoire ? A priori, mémoire et histoire s’opposent, mais en réalité ces 2 concepts se rencontrent et interagissent. I. Opposition A. La mémoire La mémoire est avant tout une faculté neurobiologique de l’individu, c’est la mémoire individuelle cela. Le plus intéressant c’est la mémoire collective. Ce système conjugue à la fois la mémoire individuelle et les références historiques partagées par le plus grand nombre qui donnent une certaine perception du passé. La mémoire est une représentation collective, partagée par la majorité des membres d’une société politique, du passé. Cette mémoire collective est le résultat d’interactions complexes. Cette mémoire collective se construit avant tout sur la base de souvenirs personnels ou individuels. Elle se construit également sur d’éventuels oublis volontaires, des périodes peu glorieuses. Elle se construit aussi sur la base de politiques délibérées des pouvoirs publics qui ont pour objet de former une mémoire nationale particulière en fonction d’enjeux et d’objectifs politiques prédéfinis. C’est ce que l’on appelle la politique mémorielle de l’Etat. Cela consiste par ex à mettre en place des commémorations, à organiser des célébrations, à organiser « un culte mémoriel », ex : le Panthéon. La mémoire individuelle entretient les liens avec la mémoire collective. La mémoire individuelle se forme à partir des sens, car ce sont des informations captées qui forment la matière de la mémoire. La mémorisation agit un peu comme un filtre, c'est-à-dire que le travail de mémorisation opère une catégorisation des informations. Cette catégorisation, cette sélection, dépend de la culture, de données sociales, ou plus précisément de l’histoire de la société dans laquelle on s’inscrit. Il apparaît que le lien entre la mémoire individuelle et la mémoire collective s’effectue à partir de ce stade, c'est-à-dire à partir du moment où un individu sélectionne des informations. Ce lien s’effectue à travers 2 modalités. Tout d’abord, la formation de la mémoire individuelle s’ajuste aux conditions socioculturelles dans lesquelles elle est effectuée. La mémoire du groupe social contribue à forger la mémoire de ses membres, c'est-à-dire qu’elle contribue nt à développer une certaine identité nationale fondée sur un passé collectif. Cette représentation symbolique du passé (grands événements par ex) a une incidence sur la construction de la mémoire de l’identité individuelle, car chaque individu se sent héritier de ce passé, de cette mémoire. Il y a un lien constant entre la mémoire individuelle et la conscience et le monde extérieur, c'est-à-dire la mémoire collective. Ce lien constant rejoint les conclusions de la phénoménologie. C’est un courant philosophique du XXème siècle qui peut être défini comme la science du phénomène de l’apparaître. La phénoménologie procède par étapes. Elle suppose préalablement une étude prescriptive du donné phénoménal. Ensuite, il faut déterminer les conditions générales de l’apparaître. L’objectif de cette étude c’est de déterminer l’essence du phénomène, c'est-à-dire de déterminer la dimension essentielle de l’être. On peut citer Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) : La structure du comportement (1942), Phénoménologie de la perception (1945). Dans ce dernier ouvrage, Merleau-Ponty étudie le corps et montre que le corps, et donc la mémoire, ce n’est pas qu’une fonction biologique ni même une fonction d’une donnée psychologique, c'est-à-dire que la mémoire se forme à partir d’un donné déjà mémorisé et se construit peu à peu selon l’intention du sujet, selon ses choix de vie. Selon l’auteur, la mémoire individuelle se construit toujours à partir d’un élément collectif extérieur à la volonté du sujet. Ensuite, il apparaît que la mémoire individuelle se construit avec la transmission des savoirs. Or, ces savoirs ont souvent eux-mêmes une dimension collective. Ex : les traditions familiales, les traditions culturelles, observées depuis des générations et qui toutes naissent et se perpétuent au sein d’un groupe. Ces traditions se transmettent et contribuent à forger les mémoires individuelles en situant l’individu dans une généalogie qui a donc une ascendance, un passé, et donc une mémoire. Cette transmission permet de légitimer la mémoire collective, c'est-à-dire que la tradition repose sur le culte du passé, sur la notion de patrimoine identitaire. En acceptant la tradition, l’individu se montre loyal à l’égard de son groupe d’appartenance, de la famille jusqu’à la nation, et se montre loyal à l’égard de la mémoire de ce groupe. Donc la mémoire individuelle et la mémoire collective sont 2 mémoires liées, l’une ne va pas sans l’autre. B. L’histoire L’histoire est polysémique, car elle est un contenu, une suite d’événements, mais aussi une discipline scientifique, ou encore une forme d’histoire collective. L’acception scientifique de l’histoire éloigne l’histoire de la mémoire. L’histoire en tant que science se propose de décrire les faits du passé d’une manière aussi proche que possible de la réalité alors que la mémoire ne repose que sur des représentations du passé. La mémoire collective ne comporte pas une représentation fidèle du passé, elle se représente le passé. On s’aperçoit qu’entre l’histoire et la mémoire, il y a une distorsion. L’historien décrit, le mémorialiste représente le passé. Ex : mythe de l’âge d’or, le « passé rose ». C’est une époque indéfinie où les hommes étaient heureux. Ce mythe est un élément du discours politique et de la construction de la conscience collective. Ce mythe se manifeste lorsque quelqu’un devient sympathique dès lors qu’il a disparu, dans le discours selon lequel la vie est chère. C’est un mécanisme de sélection systématique des faits, des souvenirs, des chiffres, dans un sens spécifique. Par ex, les festins font oublier les soupes claires. Il y a aussi une nécessité de conjurer le processus de vieillissement. En effet, l’homme âgé regrette le temps de sa jeunesse et, en quelque sorte, instruit la nouvelle génération en lui décrivant le passé sous des apparences flatteuses. L’historien doit, avant tout, établir des vérités, c'est-à-dire qu’il doit partir de l’analyse des faits, des archives, et être en permanence soucieux d’exactitude. On s’en aperçoit lorsqu’on étudie l’Histoire de l’Histoire, l’historicité. Ce souci d’exactitude est assez nouveau à l’échelle de l’Humanité, car il apparaît en Europe au cours du XVIIème siècle. A cette période, les historiens doivent s’assurer de la solidité et de la pertinence de leurs sources, ce qui, dans le même temps, les conduit à déterminer des méthodes, une procédure d’analyse, c'est-à-dire presqu’une déontologie professionnelle. On peut établir une constante : l’historien est guidé par la recherche de la vérité, c'est-àdire qu’il n’est pas chargé de forger une mémoire collective, ni même de faire état d’un passé susceptible de forger cette mémoire collective. Par ex, il ne doit pas faire état d’un passé simplement héroïque. En sens inverse, un historien ne doit pas non plus décrire une histoire qui s’attache seulement au sort des vaincus, des oubliés. Donc l’historien ne doit pas sélectionner, mais il doit rapporter des faits. Il y a des interactions entre la mémoire et l’Histoire. La discipline historique, l’Histoire en tant que science, la science de l’Histoire, présente, malgré toutes les précautions et les règles déontologiques dont on peut s’entourer, une dimension affective, humaine. Cette science n’est jamais totalement neutre et objective. Cela s’explique par le fait que l’Histoire opère une sélection, c'est-à-dire un tri, entre les événements qu’elle rapporte. Donc l’Histoire emprunte au processus qui conduit à la mémoire. D’ailleurs, l’Histoire, souvent, confère une signification, un sens, à des évènements qui n’en ont pas nécessairement pour les acteurs intéressés. Ex : la prise de la Bastille n’est pas vécue par ses acteurs comme le début de la Révolution. Les historiens sont souvent tentés de donner une rationalité à une période, à un siècle souvent. Ex : on dira du XIXème siècle que c’est le siècle d’une Révolution, du libéralisme, que la IIIème République est la République des libertés. Mais une période n’a jamais de sens construit. Or, la mémoire collective est la somme des souvenirs individuels confortée ou modelée par les politiques de la mémoire, par les commémorations. Donc la mémoire collective est le résultat d’une sélection entre divers évènements à qui on attache une signification particulière. Donc le fossé entre Histoire et mémoire est, pour partie, comblé, car il y a une sélection dans les 2 cas et une signification dans les 2 cas. Il n’y a pas d’Histoire neutre et il n’y a pas de mémoire complètement subjective. Il y a des interactions entre l’Histoire et la mémoire. L’Histoire s’appuie sur la mémoire pour se construire et, en sens inverse, la mémoire collective dépend de l’Histoire pour se former, car certains faits historiques seulement sont appelés à forger la mémoire collective. Au-delà de ce simple constat, le passé historique n’a pas de sens en lui-même, c'est-à-dire qu’il ne génère aucune valeur particulière. Donc le sens et la valeur d’un passé viennent des acteurs qui interrogent l’Histoire et la jugent. Un même fait historique peut recevoir des interprétations opposées, et peut servir de justification à des politiques qui se combattent. Ex : l’attitude des français pendant la guerre. 2 logiques expliquent ces interactions. Tout d’abord, l’Histoire peut être instrumentalisée pour forger la mémoire collective. Cela consiste en ce que la construction de la mémoire collective utilise des évènements historiques pour se forger. Donc une sélection s’opère entre les faits historiques pour orienter la mémoire collective dans tel ou tel sens. Ex : la France de Vichy. Ensuite, il y a une logique beaucoup plus particulière tirée du devoir de mémoire. II. Interaction A. L’Histoire au service de la mémoire L’Histoire est une science particulière, car elle se veut neutre, objective, mais dans les faits, elle ne peut pas l’être, car l’Histoire se forge à partir des faits, mais une sélection s’opère au sein de cette multitude de faits. C’est là que se loge cette part irréductible de subjectivité. Cette sélection peut s’effectuer soit de manière volontaire, soit de manière fortuite. 1. La sélection volontaire La sélection volontaire : les grandes batailles, l’idée que les gaulois sont les ancêtres des français. Cette sélection volontaire s’effectue souvent sous l’égide des autorités politiques, et c’est notamment vrai des régimes autoritaires qui n’hésitent pas à remodeler leur passé en fonction de leur crédo. Ex : l’histoire nazi qui consiste à démontrer que le Reich était composé d’aryens et que la décadence est due au métissage. Cette sélection existe aussi dans le champ républicain et démocratique. C’est notamment le cas en France sous la IIIème République, car les politiques ont construit « une Histoire nationale enchantée », c'est-à-dire seulement positive et qui n’a qu’un objet – souligner la grandeur historique de la nation française et la perfection des institutions du régime présent –. Ex : le culte des grands hommes qui est né avec la IIIème République. Avant, les grands hommes étaient les rois. Il y a aussi le mythe du peuple uni que formaient les gaulois. Pourquoi cette Histoire rêvée ? Pour forger une identité nationale, collective, créer un passé conformément à la définition subjective de la Nation. De fait, les Républicains s’accordent sur la nécessité de commémorer le passé, les grandes dates, car le passé doit fonder le présent sur un plan politique. Donc il importe aux yeux des autorités politiques de marquer la continuité de l’Histoire de France afin que chacun ressente le lien qui le rattache au passé. C’est pour cela qu’on a pu parler de roman continuiste de l’Histoire de France. Donc l’Histoire permet d’élaborer la conscience nationale, la mémoire collective, ce qui suppose de retenir les épisodes historiques les plus consensuels, les plus assimilables par le plus grand nombre. Ce processus a subi une crise, c'est-à-dire que cette Histoire de France, fondée sur une mémoire nationale héroïque, a cédé peu à peu, dès lors que le mythe national n’est effrité, et ce à l’occasion des guerres coloniales, de l’étude renouvelée de la collaboration. A ce moment, l’opinion publique s’est mise à douter de la pertinence de cette méthode historique. Malgré cette crise, cette remise en cause, cet effritement, l’instrumentalisation de l’Histoire n’a pas cessé pour autant. Ex : la multiplication des grandes commémorations en France depuis les années 1970. Ex : les lois mémorielles : c’est une utilisation politique de la mémoire pour construire l’Histoire. Ex : la loi Domira de 2001 fait de la traite et de l’esclavage des crimes contre l’Humanité. Ex : une loi de 2005 vise à exprimer la reconnaissance de la France envers les français rapatriés d’Afrique du Nord et souligne leur rôle positif en Afrique du Nord. Ex : une loi de 2003 reconnaît le génocide arménien. Ces lois ont une portée déclarative, symbolique, mais elles n’ont pas à proprement parlé de portée juridique, car elles ne sont pas porteuses d’une norme (on a pu parler d’un dévoiement de la loi : le législateur utilise la loi pour communiquer). On a pu souligner que ce sont des lois compassionnelles : leur objet est de signifier que la Nation a pris conscience des souffrances subies par certaines catégories de français par certaines catégories de personnes ; ce sont les oubliés de l’Histoire. Cette compassion est le moyen d’éviter un déni de mémoire à l’égard de ces personnes. C’est une conséquence du devoir de mémoire. Ce devoir de mémoire est tourné vers les victimes de l’Histoire. Ces lois sont une réponse à la volonté de certaines minorités d’affirmer leur mémoire collective propre au sein de la mémoire nationale. Il s’agit de souligner la mémoire et l’Histoire des humbles et des oubliés de la mémoire nationale. Il y a un travers constant ici qui est que dans cette perspective, l’Histoire de France peut être instrumentalisée par certains groupes sociaux afin de faire prévaloir leur propre lecture de l’Histoire. Cette reconnaissance d’une Histoire particulière à certains groupes sociaux permet à ces groupes d’affirmer une identité, une existence, au sein de la collectivité nationale et, assez mécaniquement, elle permet à ces groupes de mettre « en accusation » l’Histoire et la mémoire collective. Ex : la mémoire des peuples colonisés par la France : il est légitime qu’elle soit reconnue, mais elle conduit à des choix politiques qui marquent la mauvaise conscience de l’Etat. Ex : le refus de célébrer la victoire d’Austerlitz en raison des visées coloniales de Napoléon. Ex : la fixation de dates de célébration qui, en quelque sorte, sont d’ordre expiatoire. Comment expliquer ces lois mémorielles, compassionnelles ? Ces lois sont presque toutes liées au passé colonial de la France. La France, dans son entreprise de colonisation, prétendait à l’universalisme. Ces lois mémorielles sont la manifestation d’une mauvaise conscience à l’égard de cette prétention à l’universalisme et des actes que cette prétention a justifiés. La construction de l’Histoire repose sur une certaine sélection. Avant c’était le passé héroïque, maintenant c’est le passé honteux. Cette sélection volontaire est le fait des autorités politiques qui décident d’utiliser l’Histoire pour forger une Histoire particulière, mais les historiens eux-mêmes n’ont pas échappé à cette manière de concevoir l’Histoire, à cette instrumentalisation de l’Histoire. C’est ce que l’on a appelé l’Histoire événementielle : c’est une méthode historique qui a dominé la science au XIXème siècle et qui est l’Histoire des batailles et des grands hommes. Là le but des historiens n’est pas politique, c’est juste qu’ils insistent sur les grands événements, pour eux c’est une méthode. Cette méthode événementielle a été très critiquée dès le début du XXème siècle, c’est ce que l’on a appelé l’école des annales : c’est une méthode historique en rupture qui consiste pour l’historien à examiner les transformations des mœurs, les transformations démographiques, afin de décrire la véritable Histoire, l’Histoire du quotidien. Ce que reproche l’école des annales à la méthode événementielle c’est d’ignorer les individus qui, pourtant, constituent les Nations, c'est-à-dire les paysans, les ouvriers, les commerçants,…etc. 2 auteurs qui ont construit cette école : Marc Bloch, Lucien Febre, Fernand Braudel. Après 1945, cette école domine la recherche historique jusqu’aux années 1970 où d’autres méthodes historiques sont apparues. Le véritable travail de l’historien c’est de s’attacher au quotidien des individus et non pas aux grandes batailles, aux grands hommes. Il y a une instrumentalisation de l’Histoire au service de la mémoire. Cette instrumentalisation repose sur une sélection volontaire des faits historiques. 2. La sélection fortuite Cette sélection se constate dans le travail des historiens. Par ex, on sait que la connaissance du passé est le produit, pour partie, de l’expérience subjective de celui qui l’étudie, et elle est le reflet des préoccupations du temps présent. Par ex, le choix des sujets d’étude dépend souvent des préoccupations politiques du présent. Aujourd’hui peut-être plus qu’auparavant, l’Histoire, en tant que science, a besoin de la mémoire pour se construire et pour répondre à une demande politique et sociale de plus en plus forte. Ainsi, le travail d’écriture de l’Histoire est régi, pour partie, par la mémoire collective qui est devenue un pilier de la construction de l’identité nationale. Donc l’Histoire se construit, pour partie, par référence à la mémoire. Ex : depuis quelques années, en France, les historiens se penchent sur l’Histoire de la colonisation probablement car se pose aujourd’hui des problèmes d’intégration d’individus émigrés de pays jadis colonisés par la France. Ex : on a constaté, après la chute de l’empire soviétique, dans l’Europe de l’Est, une volonté de reconstruire une mémoire nationale et de construire une Histoire plus conforme à cette mémoire et à ces traditions qui avaient été gommées par l’empire soviétique. Ex : la multiplication des commémorations : la plupart d’entre elles sont attachées à des évènements peu glorieux de l’Histoire de France. Ex : « les lieux de mémoire » : c’est un projet scientifique conduit par l’historien Pierre Norin dont l’objectif est de regrouper tous les lieux matériels ou idéels dans lesquels la mémoire s’incarne. Ex : le Code civil. Ex : le développement d’une Histoire mémorielle qui s’attache souvent à des périodes troubles de l’Histoire de France (ex : Vichy, l’Algérie, le nazisme) et à l’Histoire de groupe sociaux ou de minorités oubliée par les historiens. Il y a un risque ici qui est que l’historien travaille sous l’influence d’une pression politique contextuelle, car l’Histoire n’est pas la mémoire collective. B. L’Histoire déterminant les politiques de la mémoire : l’exemple du devoir de mémoire L’expression « devoir de mémoire » est assez nouvelle, elle date d’une 15ène d’années. Le travail de l’historien est de décrire aussi fidèlement que possible les faits, c’est l’objet même de l’Histoire. Par conséquent, par principe, l’Histoire n’est pas au service d’un discours politique de quelque nature que ce soit. En un mot, l’Histoire ne se soucie pas d’éthique, elle ne se soucie pas d’être morale, qui relèvent, l’une comme l’autre, de la politique. Par conséquent, l’Histoire ne se soucie pas de la nécessité de valoriser certains souvenirs ou d’entretenir une mémoire particulière sur certains sujets. Le fait est qu’est apparue dans le discours politique, dans le discours commun, cette notion de devoir de mémoire. Le devoir de mémoire a remplacé (dans l’ordre d’importance) le droit au souvenir. Cette notion de droit au souvenir était aussi une notion du discours politique qui était apparue après la 1ère GM. Elle renvoie aux soldats morts pour la patrie. Ce droit au souvenir correspond à une volonté d’enraciner une idéologie nationale. L’hommage aux morts (en héros) permet de fonder des souvenirs partagés, le passé héroïque qu’évoquait Ernest Renan. Le droit au souvenir ce sont des dates, des monuments (aux morts notamment), qui fondent une certaine identité nationale. Le devoir de mémoire correspond à une toute autre logique. Contrairement au précédent, il place au centre du souvenir la victime (= l’esclave, le mutin, la victime de la politique antisémite). L’objet du devoir de mémoire est de développer la philosophie des droits de l’Homme. Cet hommage aux victimes génère une repentance de la collectivité. La collectivité n’honore pas seulement les victimes, elle expie une faute. Le droit au souvenir relève d’une logique seulement nationale alors que le devoir de mémoire relève d’une logique mondialisée. Il y a quand même un point commun : tous les 2 relèvent de la mémoire collective. Le droit au souvenir est plutôt axé sur une identité collective des périodes fondatrices. Il s’agit, avec le droit au souvenir, d’être fidèle à son passé et de ressentir une certaine fierté à l’égard de ce passé. Ce droit au souvenir est plutôt de nature optimiste, on honore une belle mémoire. Le devoir de mémoire est plutôt axé sur la nécessité de se remémorer des instants ou des périodes tragiques. Statistiquement, le devoir de mémoire concerne avant tout les grands crimes commis à travers l’Histoire. Sa raison d’être c’est de ne pas oublier les victimes de ces crimes. Donc c’est un rapport au passé plus sombre, moins enjoué, moins fier. Ce devoir de mémoire est une manière de s’assurer que les erreurs commises ne le seront plus à l’avenir. Donc, finalement, la vertu du devoir de mémoire c’est de construire une conscience pour l’avenir. Mais cette conscience pour l’avenir est fondée sur une culpabilité collective. Ex type : l’Allemagne d’aujourd’hui. Ce devoir de mémoire est rendu nécessaire par l’écoulement du temps et par la disparition des acteurs – victimes et bourreaux –. Par ailleurs, ce devoir de mémoire est aussi utile dans la construction du présent, car il constitue un principe d’action, c'est-à-dire que la mémoire des fautes commises est une manière de déterminer la bonne manière d’agir dans le présent. Cette idée même du devoir de mémoire est critiquable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le souvenir n’obéit pas à l’injonction, c'est-à-dire que l’identité collective ne peut pas se fonder sur une mémoire imposée. Ensuite, le devoir de mémoire a un fond culpabilisant. Or, une collectivité, quelle qu’elle soit, ne peut pas se passer d’un rapport positif à son Histoire. Un peuple ne se construit pas sur un champ de ruine. Ensuite, le fait de se remémorer un évènement au nom du devoir de mémoire peut avoir un effet pervers. En effet, quand ce devoir de mémoire est envisagé comme un hommage rendu aux victimes, ce qui est le cas la plupart du temps, la tentation peut être grande de comparer l’attention prêtée à ces victimes à l’inattention frappant d’autres victimes de l’Histoire. Ex : le livre noir du communisme qui comptabilise les morts de ce régime totalitaire en Union soviétique. Cela a engendré une question : pourquoi honore-on les victimes du nazisme et pas les victimes du communisme ? Enfin, cette mémorisation forcée peut être en décalage avec le présent, et donc ne pas aboutir à l’effet recherché – développer la philosophie des droits de l’Homme –. Il faut en effet que ce devoir de mémoire, cette « mémoire commandée », corresponde à un véritable effort de vigilance, de repentance ou de réconciliation. Ce devoir de mémoire doit être inscrit dans un enjeu politique beaucoup plus global, car cette mémoire n’est utile que si elle permet la construction d’un avenir collectif car, à défaut, ce devoir n’aurait qu’une dimension incantatoire. THEME N°10 : LES RAPPORTS EN FRANCE ENTRE L’ETAT ET LA CULTURE La France est l’un des rares pays au monde disposant d’un Ministère de la culture. Quelle est la fonction de ce Ministère ? Son existence est-elle vraiment justifiée ? Ce rapport de l’Etat et de la culture fait ressortir en France le poids de l’Etat dans la vie publique. On peut se demander si l’Etat n’est pas plus présent en France que dans les autres démocraties occidentales. A priori oui, car c’est en France que s’est forgé le concept de nation appuyé sur un Etat fort. 2 décrets fondateurs : décret de 1959 et décret de mai 1982. Document 1 : Il mondo nuovo, l’Etat culturel, Marc Fumaroli, 1991. Document 2 : Naissance d’une agence artistique, De la culture en Amérique, Frédéric Martel, 2006. Document 4 : La carte et le territoire, Michel Houellebecq, 2010. Document 5 : Le souci de la grandeur, Antoine Compagnon, 2008 : c’est une réaction face aux dossiers qu’un magazine américain (« Times », dossier « La mort de la culture française ») avait traités en 2006. Affaire en 2006 de la princesse de Clèves : un candidat à un concours s’en prenait à un symbole de la culture en France constitutif de l’identité nationale. Ensuite, cela posait la question de la culture générale dans les concours administratifs. Se dessinait une véritable rupture avec les présidents de la Vème République, et notamment avec Charles De Gaulle. Depuis, le candidat en question a fait machine arrière. Néanmoins, la question de la culture générale et de la culture littéraire s’est posée. Se pose ainsi la question des rapports entre l’Etat et la culture. I. La genèse du Ministère de la culture Le Ministère de la culture est une exception culturelle. En 1937, il y a la création du Front populaire qui va établir un programme culturel. Dans ces années là, comme ce qui se passait avant, c’est le Ministère de l’éducation nationale qui avait à sa charge les beaux arts. Il s’appelait le Ministère de l’éducation nationale et des beaux arts. Jean Zay, Ministre du Front populaire, va consolider l’association de l’éducation nationale et des beaux arts. Il va entreprendre une politique culturelle ambitieuse grâce à une politique de commandes. Il sera à l’initiative de la création du festival de Cannes. Le Front populaire avait comme devise concernant la culture « démocratisation, ouverture de la culture à tous ». Léo Lagrange, secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports, va œuvrer dans le sens de l’ouverture de la culture, notamment il va doter le pays d’un réseau de bibliothèques municipales. Ensuite, il y a la guerre. En 1948, Charles De Gaulle quitte le pouvoir et revient 10 ans après, puis il y a la naissance de la Vème République, Puis, intervient André Malraux. C’était une personnalité brillante et connue des français. De Gaulle avait compris que Malraux allait constituer une pièce considérable dans son dispositif gouvernemental. De Gaulle contacte Michel Debré et lui dit qu’il faut garder Malraux dans son gouvernement, car cela va donner du relief au gouvernement. Il lui demande donc d’essayer, par un regroupement de services, de lui créer un petit Ministère qui s’appellera les affaires culturelles. C’est là qu’il va arracher les beaux arts à l’éducation nationale. Mais Malraux ne va pas se cantonner dans les seconds rôles et va essayer de donner énormément d’importance à ce Ministère, en décidant de développer une politique culturelle très ambitieuse. Il va également s’arranger pour être nommé Ministre d’Etat. Il va reprendre, dans une certaine mesure, l’héritage du Front populaire. Sa politique culturelle va être lancée à partir d’un 1er décret fondateur du 3 février 1959. Dans ce décret, il y a un objectif de démocratisation : ouverture des chefs d’œuvre au plus grand nombre de français. Ensuite, il y a l’objectif de favoriser la création des œuvres d’art. Comment, d’un point de vue institutionnel, la politique de Malraux va-t-elle être mise en œuvre ? II. Les approches institutionnelles du monde de la culture en France Pendant les 30 glorieuses, la France devait son miracle économique à une économie administrée. On a pu parler de capitalisme d’Etat. En effet, le pays s’organisait en plans étatiques. En 1961, il y a l’ouverture de maisons de la culture ouvertes à tous. Le financement est novateur et va ouvrir le chemin à ce qui va se dérouler plus tard : la participation de l’Etat et des CT. L’Etat va créer, par exemple, les fameux centres dramatiques nationaux. Ce sont des organismes qui vont aider les compagnies théâtrales. Ce sont des subventions qu’on alloue aux jeunes compagnies théâtrales indépendantes. Ensuite, il y a un plan qui concerne les théâtres et les opéras. Ces plans sont rationnels et démontrent une volonté étatique d’agir. L’Etat établit un classement des orchestres et des théâtres lyriques. On considère qu’il y a 7 opéras de type A et 18 opéras de type B (car moins riches). On a une véritable planification des institutions culturelles. Cette politique d’intervention de l’Etat dans le domaine culturel, qui a été initiée par André Malraux, va connaître une dimension exacerbée dans les années 1980. En 1980, la gauche arrive au pouvoir avec la ferme intention de renforcer les rapports entre l’Etat et la société, mais aussi de renforcer les relations entre l’Etat et la culture en particulier. Est nommé au Ministère de la culture Jack Lang. Dans un 1er temps, il va donner beaucoup de liberté au domaine privé. Les choses vont être fixées dans un décret du 10 mai 1982. Dans ce décret, Jack Lang reprend l’héritage de Malraux, mais il ajoute le régional, mais aussi une culture orientée vers divers groupes sociaux. On va favoriser la culture venant de groupes sociaux marginaux ou dévalorisés. Donc il y a une ouverture aux autres civilisations, à savoir que la culture française doit dialoguer avec les autres cultures du monde. Dans l’esprit, il y a une volonté de créer une société multiculturelle (= la société qui élargit les produits culturels et extension du produit culturel). L’héritage de Malraux apparaît dans l’objectif de favoriser la création. Comment ? Par la subvention. Sous l’ère de Jack Lang, il y a la création de nombreuses institutions. Notamment il y a la création des scènes nationales qui sont des théâtres en région qui proposent une programmation financée à la fois par l’Etat et les CT, et les jeunes compagnies viennent dans cet espoir là. Les structures étatiques nouvellement établies se superposent à des cultures étatiques déjà existantes, avec notamment les fameuses Directions Régionales de l’Action Culturelle (DRAC). III. Commentaire critique de cette organisation étatique de la culture en France Est-ce que la subvention est un bon système pour favoriser la création artistique ? Est-ce que le système de la subvention développe la qualité des œuvres produites ? En 2003, le Festival d’Avignon est annulé, car il y a une grève des intermittents du spectacle qui subissent une crise. Cela interroge le système de la subvention. A la fin des années 1990 et au début des années 2000, on trouve qu’il y a beaucoup trop d’artistes subventionnés. Ensuite, une question de fond se pose. C’est toute la thèse de Marc Fumaroli : lorsque l’Etat prend en main la culture, subventionne, il y a peut-être une part de manipulation. Ex : la fête de la musique qui est une création étatique. Le monde de la culture n’est pas indépendant. Grâce au mécénat, on essaye de trouver une alternative à la subvention. Sauf que l’emprunte de l’Etat est tellement forte dans les mentalités qu’elle a conditionné le fonctionnement du mécénat et que les mécènes produisent des subventions (privées). Si l’Etat n’était pas intervenu d’une manière forte dans le domaine de la culture, où en serait notre civilisation ? En 1994, c’est l’Etat qui a créé l’exception culturelle pour les livres et pour les films. THEME N°11 : LA CITOYENNETE Le terme même de citoyen est issu de l’Antiquité grecque. Ce terme naît, avec le sens qu’on lui connaît aujourd’hui, sous la Révolution française. Quel est ce sens ? Il évoque le droit de cité, c'est-à-dire la jouissance de certains droits inhérents au fait d’appartenir à un groupe. Par extension, la citoyenneté c’est le fait de partager ces droits avec autrui. Selon une approche juridique, on définit la citoyenneté comme la qualité de la personne qui dispose de tous ses droits politiques, et notamment le droit de vote, dans l’Etat dont elle a la nationalité. Dans cette approche, on va retenir un sens très général : la citoyenneté définit un lien entre l’individu et une communauté politique. Fondamentalement, la citoyenneté exprime un lien de solidarité qui s’établit au sein d’un groupe social entre les individus et le groupe. Elle renvoie au lien social qui s’établit au sein d’une société politique. I. La citoyenneté dans l’Histoire La Grèce antique a développé le concept de polytehia qui exprime l’idée d’une communauté de valeurs entre individus et d’un espace au sein duquel se développe la discussion. Au sein de cet espace de discussion, les hommes sont régis par quelques principes de vie collective, de coexistence, qui s’appliquent à tous, qui sont les mêmes principes pour tous, quels que soient leurs particularismes. L’appartenance à cet espace confère la qualité de citoyenneté qui signifie l’égalité devant la loi et la participation égalitaire au pouvoir politique. C’est à cette époque là que se forge le concept de libertés politiques tel qu’il sera développé au XVIIIème siècle et au XIXème siècle et qui consiste à dire qu’est citoyen celui qui participe librement et consciemment à la préparation de la loi qui s’imposera à lui. Cette citoyenneté ne s’appliquait pas aux esclaves, aux femmes et aux non-athéniens. La Rome antique crée un concept de citoyenneté, mais selon une logique nouvelle. En effet, Rome n’est pas une démocratie. Ce n’est donc pas la participation au pouvoir qui définit la citoyenneté. La citoyenneté se définit plutôt comme une appartenance à la communauté de Rome, c'est-à-dire que la citoyenneté est un statut juridique (en latin : civis romanus). C’est un moyen d’organiser les rapports entre les sujets de droit à travers tout l’Empire. C’est pourquoi elle est attribuée, à l’origine, simplement aux hommes de l’élite sociale, puis, à partir de l’édit de 212, à l’ensemble des sujets. Cette appartenance est conçue comme un gage de protection, d’identité, mais ça n’est pas un titre de participation au pouvoir politique. Tout ce qu’elle est c’est un élément d’intégration au groupe, elle est un lien qui exprime la communauté de valeurs et donc l’attachement de tous à la res publica. Il y a un point commun entre la conception grecque et la conception romaine, car la citoyenneté est considérée comme un lien solidaire : la citoyenneté est l’expression d’une communauté de valeurs et elle a inspiré les conceptions plus modernes de la citoyenneté. Donc ces deux conceptions ne s’opposent pas, mais se complètent, car l’une est axée sur la communauté de valeurs alors que l’autre cherche avant tout à fonder le pouvoir (Grèce). Pendant tout le Moyen-âge, la citoyenneté est ignorée, car les individus sont définis simplement comme des sujets et le pouvoir réside uniquement dans la personne du Roi. On peut faire un parallèle entre les termes de nation et de patrie. En effet, au cours du Moyen-âge, le terme de patrie est préféré à celui de nation. A partir du XIème siècle notamment, le terme de patrie change de sens pour approcher le sens actuel de la nation. A partir de ce siècle, on définit la patrie comme étant liée au royaume, à la couronne, qui est le symbole d’une communauté unie et définie par des frontières qui se fixent peu à peu. La notion de patrie, peu à peu, évoque la communauté de valeurs, la communauté d’identité, que partagent les sujets du royaume. Il apparaît que la notion de citoyenneté est apparue à la fin du Moyen-âge à la faveur notamment du développement de cette notion de patrie. Donc c’est à la fin du Moyen-âge que sont posées les bases d’une redécouverte du concept de citoyenneté. Il s’agit du déclin du pouvoir royal. C’est aussi le développement des théories du contrat social à partir du XVIIème siècle auquel on peut ajouter l’autonomisation du pouvoir politique, c'est-à-dire que le fondement du pouvoir est recherché ailleurs que dans la pensée chrétienne (Machiavel, Jean Bodin). Cela conduit les penseurs et philosophes des Lumières à penser la société politique selon une logique qui lui est propre, qui n’est pas religieuse, ce qui signifie que les sociétés humaines doivent s’organiser selon leurs propres intérêts et non pas selon les enseignements bibliques. Donc le concept de citoyenneté, qui est forgé pour la 1ère fois par Rousseau dans sa doctrine du contrat social, permet de décrire le lien qui s’établit entre les individus et la communauté, sans égard pour des considérations religieuses. II. La citoyenneté au sens moderne Depuis 200 ans, dans la pensée politique, la citoyenneté est apparue, pendant très longtemps, comme étant en retrait par rapport à d’autres notions voisines, comme la nation, l’Etat ou la classe sociale. La DUDH de 1948 ne dit mot sur la question de la citoyenneté. C’est la Révolution française qui donne à ce mot son sens moderne. En France, en 1789, la vision de la nation s’appuie sur une conception égalitaire des individus. Le but est de garantir les mêmes droits à chacun dans l’espace public. Pour cette raison, les individus ne doivent pas pouvoir être identifiés, ils ne doivent pas pouvoir être singularisés, car on pense que la singularisation conduit à la différenciation et que la différenciation conduit à l’inégalité. Donc pour assurer l’égalité, on a recours à une fiction qui est la notion de citoyen. Cela veut dire que chaque citoyen est relié au corps politique par les mêmes droits et les mêmes devoirs, quelle que soit sa situation particulière (sexe, religion, race, …etc.). Par cette fiction là, le corps politique est homogène puisque ses membres ne sont identifiés que par les droits civiques dont ils jouissent. C’est pour cette raison que la nation n’est qu’un rassemblement de personnes juridique, un rassemblement d’atomes interchangeables, neutres et égaux en droit. C’est pour cette raison que l’on peut dire que le concept de citoyenneté naît en même temps que le concept de nation, et ce concept là est renversé par l’organisation du pouvoir, car la démocratie représentative, la souveraineté nationale, la République, la laïcité, sont autant de techniques politiques qui permettent d’élaborer dans l’espace public des valeurs communes. Donc ces éléments là sont en quelque sorte des éléments fédérateurs qui permettent de donner une consistance à la citoyenneté qui correspond à des valeurs partagées. Dans cette tradition, la citoyenneté a 3 dimensions. A. La citoyenneté est d’abord un statut La citoyenneté est une qualité juridique dont découle un régime juridique des droits et des obligations vis-à-vis de la société. Traditionnellement, la citoyenneté est fondée sur 4 facteurs : La filiation. Le lieu de naissance. La résidence. La volonté d’appartenir à un groupe, la nation par ex. En France, la citoyenneté est liée à la nationalité. Mais, de ce fait, les critères de la citoyenneté varient en fonction des besoins démographiques et de l’idéologie politique dominante. Par ex, le Code civil, à l’origine, prend la filiation comme critère principal de la nationalité. Désormais, en France, la nationalité est accordée à toute personne née en France, même de parents étrangers, à condition d’une part que cette personne réside en France à sa majorité, et à condition d’autre part que cette personne manifeste sa volonté de devenir français. En France, ce statut de citoyen crée des droits : Le droit à l’égalité : citoyenneté et égalité sont liés, car la citoyenneté est un vecteur d’indifférenciation, laquelle permet l’égalité. Les droits civils : ceux qui se ramènent à la liberté au sens moderne (c’est la liberté du XVIIIème siècle : droit d’autonomie, de jouir sans entraves). Les droits politiques : ceux qui se ramènent à la liberté des anciens (le droit de participer à la prise de décisions politiques). Le citoyen bénéficie désormais de droits nouveaux à l’égard de l’Etat. Le citoyen est créancier à l’égard de l’Etat. Il bénéficie de droits économiques et sociaux. Il suffit de constater le lien qui s’établit entre les situations d’exclusion sociale et la perte de la qualité de citoyen. On se rend compte que l’exclusion politique, c'est-à-dire la perte de la qualité de citoyen, peut être liée à l’exclusion sociale. La citoyenneté, puisqu’elle est un ensemble de droits politiques et de droits civils, arrive comme le facteur de l’intégration politique. Or, cette intégration politique, cette participation à la citoyenneté, suppose une certaine situation économique et sociale. Donc, l’exercice concret de la citoyenneté est conditionné par l’intégration sociale. La pauvreté et le chômage sont des facteurs d’exclusion sociale et politique, tout comme la précarité et le développement de l’assistance sociale. Par ex, les chômeurs votent moins que les salariés. Cela suggère que la citoyenneté est un statut juridique, mais que son plein exercice suppose un statut social et une intégration sociale. B. La citoyenneté est aussi l’expression d’une certaine implication dans la vie politique La citoyenneté ne suppose pas nécessairement une participation politique active. Mais elle implique au moins la compréhension et l’acceptation du rôle de l’Etat. Elle suppose aussi d’accepter l’idée que chacun a des droits certes, mais aussi des devoirs envers l’Etat et la collectivité à laquelle il appartient. Dans l’idéal, la citoyenneté suppose par ailleurs un certain goût pour les affaires publiques. Le vote est l’acte de citoyen par excellence, car c’est un rituel qui obéit à une mise en scène, il établit clairement un lien entre l’individu et le pouvoir, mais aussi entre l’individu et les autres individus. La citoyenneté se résume-t-elle au vote ? Dans les textes, il est évident que non, car la qualité de citoyen offre des droits beaucoup plus larges que le simple vote. Selon la DDHC, le citoyen peut participer à la formation de la volonté générale (article 6), il est l’égal des autres citoyens (article 6) et il participe aussi au constat de la nécessité de l’impôt (article 14). D’une manière générale, la qualité de citoyen fonde une série de droits fondamentaux. Pour éclairer ce postulat, on peut reprendre la distinction qu’opérait Benjamin Constant (1767-1830) entre la liberté des anciens et la liberté des modernes. Benjamin Constant est, avec Tocqueville, le théoricien du libéralisme à la française. Son principal objectif est de lutter contre le despotisme. C’est d’ailleurs en cette qualité qu’il est l’un des partisans du constitutionnalisme, car il pense que seule la Constitution garantit la liberté. Il essaie de concilier démocratie et liberté alors qu’à cette époque, au XIXème siècle, le libéralisme est une vertu qui doit avant tout bénéficier aux classes éclairées, pas à tous. Son ouvrage majeur en la matière : Principes de politique applicables à tous les gouvernements (1806) : selon lui, il faut opérer une distinction majeure entre la sphère privée et la sphère publique. Cette distinction là fonde la distinction entre la liberté des anciens et la liberté des modernes. La liberté des anciens est la liberté grecque. Dans l’Antiquité grecque, la liberté individuelle n’est pas séparée de la vie sociale. Donc les individus n’avaient pas de vie privée, ils étaient soumis à l’ensemble des citoyens. Pour les anciens, la liberté c’est le pouvoir de participer à la vie politique. Le problème c’est que cette conception de la liberté est inapplicable à la moderne, car la nation a remplacé les individus et les représentants ont remplacé les citoyens. Donc il faut imaginer une autre conception qui est la liberté des modernes. La liberté des modernes date de « la découverte de l’individu » au XVIIème siècle et au XVIIIème siècle qui devient une fin en soi. Donc son existence individuelle prime sur son existence sociale. La liberté est donc désormais liée à la protection de l’autonomie individuelle face à l’Etat, face à la société. C’est cette conception de la liberté qui s’est imposée à la Révolution française et qui doit servir de base aux Constitutions de l’Etat. Être citoyen c’est exercer les deux types de liberté : la liberté passive des modernes qui consiste simplement à disposer de droits protégés et la liberté active des anciens qui consiste à participer à la formation de la volonté générale. Selon Benjamin Constant, la vraie liberté c’est la liberté des modernes (Rousseau disait l’inverse), car la non participation électorale ne met pas en péril la démocratie. Cette analyse trouve un écho dans la société moderne, car souvent les citoyens manquent d’empathie dans leurs choix électoraux, c'est-à-dire qu’ils sont souvent guidés par des stratégies individuelles, des considérations égoïstes. Souvent, ce manque d’empathie se trouve très bien illustré par des taux de participation très faibles aux élections. C. La citoyenneté est enfin une qualité morale La citoyenneté regroupe un certain nombre de vertus qui sont nécessaires à la vie en collectivité, à la vie en commun. Il s’agit de la civilité, de l’égard pour autrui, du respect des différences, du respect de l’espace public. III. Les crises de la citoyenneté La 1ère critique de la part des auteurs contrerévolutionnaires : dès l’origine, c'est-à-dire dès le début du XIXème siècle, la notion moderne de citoyenneté a fait l’objet de critiques nombreuses. Par ex, elle a fait l’objet de critiques de la part des auteurs contrerévolutionnaires. Ces auteurs là et un en particulier, Edmond Burke, qui a publié Réflexions sur la Révolution française (1790), critique la Révolution française en soulignant son abstraction. Selon lui, le citoyen qui est promu par la DDHC est un être abstrait non situé. Or, selon lui, il est faux de croire que l’on peut créer artificiellement une communauté de valeurs par référence à des droits abstraits, à des valeurs nouvelles, qui ne sont pas issus de l’Histoire, de l’expérience, mais qui sont imposés au terme de la conclusion d’un hypothétique contrat social. Donc il pense que la citoyenneté révolutionnaire est une notion fausse, car contraire à l’Histoire. C’est une notion par ailleurs inutile, car elle remplace malheureusement d’autres facteurs d’intégration aussi efficaces (la religion par ex). Elle est même dangereuse, car elle coupe les individus de leurs véritables racines. La 2ème critique est la critique marxiste de la citoyenneté qui critique surtout la dimension égalitariste de la citoyenneté. Marx dit que c’est une erreur de croire que la citoyenneté emporte la réalisation d’une égalité réelle, parfaite. Au contraire même, cette citoyenneté de 1789, qui est issue d’une conception libérale de l’Etat, permet l’exploitation de certaines classes par d’autres, car il considère que l’inégalité de fait l’emportera sur l’égalité juridique. L’erreur c’est que la citoyenneté a une dimension économique que les révolutionnaires n’avaient pas envisagé. La 3ème critique vient des communautariens. Ils critiquent aussi le caractère abstrait de la citoyenneté puisque, selon eux, et notamment selon Mickael Sandel, la société n’est pas une somme d’individus autonomes et identiques et l’individu se construit toujours par référence à une culture. Et la société elle-même est multiculturelle, c’est une pluralité de cultures. Ce lien singularisé entre l’individu et la société n’existe pas selon lui, et donc le concept de citoyenneté est aussi faux, car il sous-estime l’appartenance des individus à des cultures. Ces critiques ne sont pas infondées, car c’est un fait : la citoyenneté traverse une série de crises. 1ère réflexion : la citoyenneté est un lien entre l’individu et son groupe politique. Or, il peut y avoir des dérèglements, des tensions, dans ce lien. La 1 ère crise de la citoyenneté est celle qui résulte de la crise de la démocratie, du fait de vivre ensemble malgré les différences. La citoyenneté moderne comporte 3 dimensions et chacune de ces dimensions est affectée. C’est d’abord la crise économique qui ne donne plus les moyens de satisfaire les aspirations individuelles, et donc qui ne permet plus la réalité de l’égalité. La crise est génératrice d’inégalités. Par ailleurs, la crise de la représentation est la critique de la démocratie, ce qui aboutit à un désintérêt massif pour la chose publique. Enfin, c’est la crise du sentiment d’identification collective, c'est-à-dire qu’on ne se sent plus l’égal de l’autre, solidaire de l’autre, et cette crise conduit aux incivilités. 2ème réflexion : la citoyenneté a toujours un fondement. Dans les sociétés modernes, et en France notamment, le fondement de la citoyenneté c’est la nation. Depuis la Révolution, citoyenneté et nation sont deux concepts consubstantiels, jumeaux. La nation est en crise et, par ricochet, la citoyenneté est elle-même sujet à controverses et est altérée. La nation ne peut plus décrire la réalité sociale, car la société est trop multiculturelle pour cela. La nation, par ailleurs, est concurrencée par d’autres acteurs qui proposent une autre logique d’appartenance, et donc une autre forme de citoyenneté qui ne serait plus nationale (ex : les mouvements autonomistes ; ex du cas de l’Espagne). Donc on voit apparaître une disjonction entre la nation et la citoyenneté. Il y a d’autres lieux de citoyenneté. Par ex, on entend parler de la notion de Net-citoyenneté qui consiste à dire que la fréquentation des forums de discussion, de forums divers, créerait une sorte de communauté de valeurs, une identité partagée. Cela est aussi vrai de la citoyenneté locale qui donne aux administrés le sentiment de trouver à ce niveau l’occasion, le moyen, de s’impliquer dans la vie publique. Des micro-espaces d’appartenance apparaissent et on peut les voir comme des lieux d’expression de la citoyenneté postmoderne ou post-nationale (expressions à mettre dans les copies !). Quelles sont les perspectives ? 1ère perspective : la logique multiculturalisme : elle consiste à accepter les différences culturelles au sein d’un même Etat et donc, puisque la citoyenneté abstraite, homogénéisante, agglomérante, a failli, le multiculturalisme peut apparaître comme une bonne synthèse, car il assure le respect des différences et un certain esprit partagé. L’auteur du multiculturalisme qu’il faut connaître : Charles Taylor (penseur du multiculturalisme, auteur américain) : il propose de déterminer non pas des valeurs partagées, mais des droits protégeant les identités sociales et culturelles et de déterminer en même temps un vivre ensemble pour les communautés. Comment caractériser une culture au sens du multiculturalisme ? La question à se poser est celle de savoir ce qui a du sens pour les individus : est-ce que c’est leur race, leur religion, leur ville, leur âge, …etc. ? Pour cette raison, il considère qu’il faut se poser cette question, car tous les éléments d’individualisation dans le groupe ne sont pas forcément fondateurs d’une culture. Une fois cet écueil là résolu, la seule manière de vivre ensemble c’est de définir des droits partagés. Le multiculturalisme efface le lien entre l’individu et l’Etat. Donc finalement la citoyenneté telle qu’on la conçoit n’existe plus. 2ème perceptive : elle consiste à déplacer le cadre de la nation : la nation est en crise, donc il faut envisager une citoyenneté post-nationale. L’auteur qui a le plus réfléchi sur cette question est Jürgen Habermas : il constate que la nation n’a pas réussi à dissoudre les identités culturelles. Donc la définition des droits des citoyens ne peut pas ignorer la diversité des communautés infranationales. Cet auteur nous dit que l’individu n’est pas seul face à l’Etat. S’ajoute à cela la mondialisation qui affaiblit les frontières nationales et donc le lien unissant le citoyen à sa nation. Il propose de fonder la citoyenneté non plus sur la nation, mais sur l’attachement aux droits de l’Homme, c'est-à-dire que la citoyenneté doit se fonder sur le ralliement à des principes abstraits, c'est-à-dire qu’il n’y a plus de sentiment national puisque la citoyenneté s’exprime par référence à des valeurs et plus par référence à l’Etat-nation. Cette manière de fonder la citoyenneté permet de dépasser le multiculturalisme puisque toutes les cultures cohabitent au sein d’une communauté plus grande encore formée par « tous les citoyens qui adhèrent aux grandes valeurs démocratiques ». Ce cercle est vertueux, car il est plus ouvert. Un ex donne peut-être raison à Habermas : c’est la construction européenne, car on peut se demander si la construction européenne qui comporte une certaine citoyenneté n’aboutit pas à l’apparition de cette citoyenneté post-nationale. Cette citoyenneté européenne a un but immédiat qui est d’établir un lien entre les ressortissants et l’Union et un but indirect qui est de créer une identité européenne et donc une véritable citoyenneté européenne. C’est en devenir actuellement. Examen : Dissertation de culture générale. Il faut introduire des références culturelles. Conseils : Sur des notions historiques, il faut hiérarchiser les penseurs. Les références culturelles ne doivent pas se transformer en catalogue, elles doivent être problématisées. Méthodologie introduction : Plan : il y a une possibilité de jouer sur « avant ». Ex : « Avant de nous intéresser aux crises du sport dans les sociétés contemporaines, nous évoquerons… ». Définir les notions, les termes. Éviter le terme « problématique ». Il y a la possibilité d’utiliser l’expression « nous avançons l’hypothèse ». Examen vendredi 26 novembre 2010 : Dissertation de culture générale sur le modèle des dossiers abordés. Sujet qui fait appel aux sujets traités. Répondre aux questions en s’appuyant sur les sujets traités en cours. Attentes : Un travail construit en 2 parties avec des sous-parties. Le sujet doit être problématisé et ce doit être une vraie réflexion personnelle. Introduction : Pas plus de 10 lignes !!! Présenter le sujet. Problématiser. Annonce du plan : pas « dans une 1ère partie, dans une 2nde partie » et pas « d’une part, d’autre part ». Annonce du plan avec une formule de rédaction souple et logique. Le plan ne doit pas être apparent !!! Mais il faut des transitions. Argumentations : Elles doivent être nourries de références culturelles, notamment Tocqueville. On peut exposer notre point de vue en utilisant le « je ». Conclusion : ouverture, aboutissement. Éviter les fautes d’orthographe et de syntaxe. Exposer son point de vue de manière autant objective que possible. Bibliographie : à lire pour le 2nd devoir : De la démocratie en Amérique, Tocqueville, 2ème volume, 1ère partie. Les temps hypermodernes, Gilles Lipovetsky. La défaite de la pensée, Alain Finkielkraut. Surveiller et punir, Michel Foucault. L’opium des intellectuels, Raymond Aron.