4ème Séminaire européen du SIDIIEF « Sécurité de soins: l’affaire de tous » La gestion des évènements indésirables à l’hôpital: de la théorie à la pratique Anne-Claire Raë Jeudi 28 avril 2016 – Nyon Suisse Plan Quelques éléments sur les concepts qualité et sécurité des soins Contexte HUG La gestion des évènements indésirables aux HUG Illustration de la démarche par un exemple Conclusion – Discussion Qualité des soins L’OMS définit la qualité des soins comme la capacité de « garantir à chaque patient l’assortiment d’actes thérapeutiques... lui assurant le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science, au meilleur coût pour le même résultat, au moindre risque iatrogénique, pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, résultats, contacts humains... ». Qualité des soins Le concept de qualité des soins comprend plusieurs dimensions: • Efficacité: fournir des prestations fondées sur des connaissances scientifiques à tous ceux qui pourraient en bénéficier (éviter la sur- / sous – utilisation • Efficience: éviter le gaspillage • Prendre en compte le patient (besoins, valeurs) • En temps utile: éviter les attentes (coordination…) • Equité: fournir des soins de même qualité à chaque patient quels que soient leur origine ethnique, leur religion… • Sécurité : éviter que les patients subissent des préjudices suite à une prise en charge thérapeutique La sécurité des soins « le fait d’éviter et de prévenir les résultats indésirables ou les préjudices consécutifs à la prise en charge thérapeutique et d’en atténuer les conséquences lorsqu’ils se produisent. » 1 LES ÉVÈNEMENTS INDÉSIRABLES LIÉS AUX SOINS « Un dommage involontaire causé par la gestion des soins davantage que par le processus de la maladie, de nature suffisamment grave pour entraîner une prolongation de l’hospitalisation et/ou causer au patient un trouble ou une incapacité temporaire ou durable au moment de sa sortie.» 2 1. 2. Vincent C., Patient safety, 2nd edn. Oxford: Wiley Blackwell; 2010) Brennan TA, Localio AR, Leape LL, Laird NM, Peterson L, Hiatt HH et al, Identification of adverse events occuring during hospitalization. A cross-sectionnal study of litigation, quality assurance and médical records of two teaching hospitals. Annals of internal Medicine, 1990; 112(3): 221-6. Evénements indésirables graves évitables non évitables Selon les études: 4 -17 % des patients (court séjour) dont 27 à 51 % évitables Au Etats-Unis les erreurs médicales constituent la 8ème cause de décès (entre 44 000 et 98 000 décès /an) Etude ENEIS1 71 établissements (chir, méd), 8 754 patients, 6.6 EIG pour 1000 journées d’hospitalisation, soit 120 000 à 190 000 EIG/ an liés à l’hospitalisation pourraient être évités en France En Suisse: on estime 39600 EIG dont 35% évitables. 0.2 décès associés à un EIG évitables /1000 journées = 2800 décès en CH 1. Qual Saf Health Care 2007;16:369-77 Deux modèles théoriques de l’erreur Approche individu versus Approche système • Infaillibilité et omniscience • Faillibilité, capacités cognitives limitées • Faute/culpabilité • Erreur/Victime • Silence • On en parle • Problème individuel • Problème collectif • Opportunité d’apprentissage collectif Sanctions Prévention Modèle de l’accident organisationnel Selon Reason* * C. Vincent. L’essentiel sur la sécurité des patients, publication sécurité des patients suise, no 4,2012 Rôle des acteurs et du système Acteurs La compétence des acteurs est une composante essentielle du système L’erreur des acteurs est néanmoins inévitable et doit être récupérée par le système Les acteurs produisent de la sécurité et peuvent récupérer les défaillances du système Système La fiabilité est une propriété du système Le système doit être conçu et maintenu pour prévenir et/ou récupérer les défaillances La déclaration des problèmes (incident, presqu’accident, événement indésirable grave) permet une réaliser une analyse des processus, un apprentissage individuel et collectif et une réduction des risques Contexte des HUG 8 sites (court et moyen séjours) 1800 lits 10500 collaborateurs (9000 ETP) 656 000 journées d’hospitalisation 26 000 interventions chirurgicales 4130 naissances DMS en soins aigus de 5.9 jours 12/05/2016 Contexte des HUG Organisation Direction générale Direction médicale Département Chirurgie Direction Ressources humaine Direction… Département Médecine interne Département de l’enfant Département…. Service chirurgie viscérale …. … … Service d’urologie …. …. … Service d’orthopédie … …. … …. 12/05/2016 Direction des soins Gestion des événements indésirables 1997 Gestion des incidents : nouveau concept en anesthésiologie 1998 1ère directive Fait grave HUG Orientation responsabilités civile, pénale, administrative Pas d’objectif affiché en termes d’amélioration de la qualité, seul le médecin chef de service peut déclarer 1999 Gestion des incidents: le concept se déploie dans plusieurs services : SMIG, Soins intensifs, Service d’accueil et d’urgence, Pédiatrie, Psychiatrie… Gestion des EI aux HUG /Historique 2004 Première directive HUG qui tente de concilier démarche EIG et recueil incidents • Cadre institutionnel • Concept commun d’analyse à visée qualité • Pour les incidents : • Confidentialité des déclarants garantie • Immunité disciplinaire : assurée selon la directive (sous réserve requalification en EIG) • Pour les EIG • Gérer aspects responsabilités (civile, administrative, pénale) • Gérer la communication (média…) Gestion des EI aux HUG /Historique 2011 Evolution de la directive HUG • • 2016 Gestion des EIG : Cellule de gestion des EIG & Groupe d’enquête et d’analyse (GEA) Gestion des incidents : l’immunité au plan disciplinaire est assurée aux collaborateurs concernés et au déclarant d’un incident, sous réserve d’une qualification ultérieure de l’incident en EIG, validée par la Cellule de gestion des EIG Révision de la directive en cours : Concepts du soutien au collaborateur et de l’information du patient et de ses proches plus développés Gestion des EIG et incidents aux HUG Définitions Evénement indésirable grave Incident Un événement inattendu qui n’est pas dû à l’évolution naturelle de la maladie du patient et qui a porté gravement préjudice à sa santé ou à son intégrité, comme par exemple un événement qui cause son décès, une invalidité ou une incapacité durable, prolonge son hospitalisation ou entraîne tout autre préjudice important. Revêt cette qualité tout autre événement inattendu ne correspondant pas à un EIG : Un EIG peut concerner aussi un collaborateur un visiteur ou un autre tiers le domaine technique et administratif. - qui a porté ou aurait pu porter préjudice à la santé ou à l’intégrité d’un patient, d’un collaborateur, d’un visiteur ou d’un autre tiers - qui a affecté ou aurait pu affecter un processus médico-soignant ou l’organisation d’un service médical ou infirmier qui a affecté ou aurait pu affecter la bonne marche ou l’organisation des services techniques ou administratifs - qui a donné lieu ou aurait pu donner lieu à un préjudice pour l’institution ou pour le matériel /équipement Gestion des EIG Déclaration obligatoire et nominative Gestion des incidents Tout collaborateur Déclaration volontaire et anonyme possible Direction générale Validation par Cellule EIG Cellule EIG (directions) Groupe enquête analyse (GEA) Analyse systémique Rapport Retour aux équipes Mise en place des recommandations Bilan annuel remis à la Commission qualité institutionnel Groupe incident du service Quand un EIG survient …. Gestion événement: stabiliser l’état du patient, atténuer le préjudice, éviter tout dommage supplémentaire Mettre de côté le matériel, appareil, médicaments, documents en relation avec l’évènement Apporter soutien et assistance au personnel Informer patient et proches Signaler l’évènement Analyser l’évènement selon l’approche systémique Réaliser un retour Exemple à partir d’une déclaration Déclaration par responsable d’unité de garde A 7h30, je suis appelée par l’infirmière A de l’unité. Elle demande à me voir pour me signaler une erreur d’administration de médicament qui a eu des conséquences graves pour le patient. Voici les faits tels qu’ils m’ont été racontés : L’infirmière A administre par erreur à M. X une dose de 120 mg de sirop de méthadone par voie veineuse centrale : Elle devait effectuer un prélèvement de sang par cette voie centrale. Elle prend son plateau préparé avec les tubes pour le prélèvement. Dans ce plateau se trouve une seringue de 20cc pleine. Elle injecte le produit contenu dans la seringue pour rincer la voie veineuse centrale, pensant que la seringue contient du Na Cl. Environ 30 minutes après, son collègue infirmier B, demande où se trouve la seringue de Méthadone qu’il avait préparée pour le patient Y. A ce moment, l’infirmière A se rend compte de son erreur, se précipite dans la chambre de M. X. Quelques secondes plus tard, celui-ci fait un arrêt respiratoire. Le bouton de réanimation est enclenché, le médecin de garde est appelé. Le patient est réanimé. Le médecin des soins intensifs décide de placer M. X aux soins intensifs pour surveillance. Exemple - Informer patient et proches Quand Avertie immédiatement par le médecin en charge du patient Réunion avec la famille 3 jours après l’événement Qui La compagne de M. X. La maman de M. X. Quoi Comment et pourquoi un tel événement ? Ce qui a été mis en place pour que cela ne se reproduise plus ? Quelles sont les séquelles physiques et psychiques pour le patient ? Qu’est ce que la personne « responsable » a dit ? Comment va le collaborateur ? Va-til continuer à travailler ? Le chef de service, l’interne du service, l’infirmière responsable d’unité Désir de transparence aussi bien envers la famille que les hiérarchies Des regrets Reprise de la situation en équipe Une analyse qualité avec des recommandations qui seront émises Informer patient et proches / recommandations1 Quand ? Tôt (<24h) Qui ? Membre(s) de l’équipe médico-soignante -Approche coordonnée Où ? endroit calme, confidentiel Quoi ? Communiquer seulement les incidents qui ont des conséquences pour le patient Expliquer ce qui s’est passé (les faits, pas les suppositions) Exprimer clairement son regret Expliquer les conséquences médicales Offrir la possibilité de changer d’équipe de soins Montrer comment le service tirera les conséquences de l’erreur Informer le patient sur les développements ultérieurs 1. Aide mémoire - Communication avec le patient et ses proches à la suite d'un incident, recommandations de Sécurité des patients suisse, 2007 2ème édition. Exemple - Apporter soutien et assistance au personnel Collaborateur Equipe Vue par l’IRU à la sortie de nuit. Reprise en équipe des évènements « Je me suis entretenue avec Brigitte pour comprendre l’enchainement des événements et, bien sûr, la soutenir car elle est bouleversée. » Pas de stigmatisation du collaborateur. « Brigitte a téléphoné plusieurs fois dans l’unité pour avoir des nouvelles du patient le jour de l’événement. » Discussion avec l’équipe au sujet du concept de l’erreur, de sa survenue et du potentiel d’apprentissage à en tirer. Revue le lendemain Suivi proposé Rôle des cadres1: faire preuve d’ouverture, éviter tout état d’esprit destructeur, créer des espaces de temps, identifier les émotions et besoins des collaborateurs, offrir un soutien interne et/ou externe, psychologique, professionnel Assurer le suivi du collaborateur et de l’équipe interprofessionnelle 1. A la fois auteur et victime, recommandations pour les cadres, les collègues et les personnes concernées, 2011, Sécurité des patients suisse Analyser l’événement Approche systémique / ALARM Method* Etablissement de la chronologie des événements Identification des problèmes de prise en charge Identification des facteurs contributifs au patient, à l'environnement de travail, matériel (instruments, outils, documents) au soignant, à la tâche ou à l'activité, à l'équipe, au contexte institutionnel / managérial Propositions d’actions correctives *Ch Vincent et al. How to investigate and analyse clinical incidents.BMJ 2000. 320:777-781 1. Etablir la chronologie des événements Objectiver les faits Revue du dossier des patients concernés Interview des deux infirmiers présents cette nuit-là Revue du matériel Visite dans l’unité 2. Identification des problèmes Erreur d’administration de médicament Erreur de sélection du produit Défaillance du contrôle 3. Identification des facteurs contributifs Facteurs contributifs en rapport avec l’erreur de sélection matériel (instruments, outils, documents) • • • • • A la tâche ou à l'activité Préparation anticipée du sirop Depuis 1 mois : deux infirmiers par nuit (avant 1 seul) : pas de formalisation du travail en équipe à l'équipe Méconnaissance des risques liés à l’administration des médicaments = utilisation d’une seringue IV pour médicament per os 120mg de méthadone (sirop à 1%) 12 ml Mesure difficile dans un gobelet gradué de 5 en 5 ml Utilisation de la seringue pour plus de précision Seringue intraveineuse utilisée + produit transparent A disposition, dans l’unité de seringues orange, Baxa de 2.5 ml et de 5 ml , mauvaise connaissance des dispositifs par les soignants et contenance non adaptée 3. Identification des facteurs contributifs Facteurs contributifs en rapport avec la défaillance du contrôle Au soignant • • • • A la tâche ou à l'activité Pas d’identification claire de la seringue préparée : pas d’éléments pour un contrôle fiable (Nom du produit, Dosage, Identification patient) Pas de contrôle réalisé Certitude Seringue + liquide clair = NaCl Méconnaissance des risques liés à l’administration des médicaments Banalisation du geste de rinçage en IV 4. Propositions d’actions correctives A partir des facteurs contributifs identifiés Recherche dans la littérature de l’état des connaissances sur les erreurs d’administration de médicaments les défaillances de contrôle les recommandations de bonnes pratiques en matière d’administration de médicaments 4. Propositions d’actions correctives Pour le secteur concerné Privilégier l’utilisation de godet pour l’administration des sirops auprès des patients qui peuvent boire. Systématiser l’utilisation des seringues per os pour toute administration par voie entérale. Lors de préparation anticipée de médicament, identifier le contenant avec la nature du produit, le dosage et le nom du patient. Sensibiliser l’ensemble de l’équipe médico-soignante aux risques liés à la dispensation des médicaments en définissant des procédures communes pour le processus d’administration des médicaments et pour les contrôles à effectuer. Revoir en équipe l’organisation des soins la nuit du fait du changement d’effectif. Au niveau institutionnel Favoriser une plus grande participation des collaborateurs au cours institutionnel sur la « sécurité de la dispensation des médicaments » Constitution d’un groupe de travail (pharmacie, soins infirmiers, qualité des soins) avec mandat d’ émettre des recommandations pour réduire le risque d'administration par voie i/v de produits destinés à d'autres voies d'administration et d’actualiser la procédure de soins Diffusion du rapport A qui ? Cadres médico-infirmiers des services médicaux concernés Version anonymisée Quality Officer, responsables des groupe incident des services concernés Proposition de feed-back oral à l’équipe soignante / service Colloque de service Revue Morbidité Mortalité (RMM) En conclusion… Les points forts de la démarche Concept connu et visible à travers une directive Ressources disponibles pour les analyses Analyse métier multidisciplinaire Implication des directions Méthodologie définie Légitimité sur le terrain de la démarche En conclusion… Les points à améliorer Définition des EIG - incidents Délais entre signalement et rapport… Suivi des actions Lien avec les groupes incidents Différence de culture selon les départements (Hiérarchie dépendante, Formation…) En conclusion… De la déclaration à la mesure d’amélioration Définir un concept institutionnel concernant tout le processus et le diffuser Développer des actions de formation de la direction jusque sur le terrain Privilégier les analyses multidisciplinaires Accorder de l’attention aux retours aux équipes Suivre les actions correctives mises en place QUESTIONS / DISCUSSION MERCI DE VOTRE ATTENTION