THEATRE JEAN-JACQUES MOREAU ET ALAIN Foulds DANS « L'ETOURDI » La vertu d'insolence Maîtres et valets Démontrer la supériorité des seconds sur les premiers : une tradition du théâtre classique TURCARET de Lesage. Festival du Marais. L'ETOURD I • de Molière. Théâtre de l'Est parisien ' Qui croirait que le XVIII° siècle a commencé sitôt? Louis XIV règne encore quand Lesage donne son • Turcaret » (en 1709) et il met déjà en scène des affairistes, des nouveaux riches, des nobles aux abois, des valets révoltés. La mutation qui transforme Sganarelle en Figaro est déjà amorcée. Le Frontin de « Turcaret » n'a peut-être pas la tête politique, il n'est pas aussi aventureux que le Trivelin de Marivaux dans e la Fausse Suivante », mais c'est lui qui roule tout le monde, et ce valet a déjà amassé assez de bien pour remplacer les nobles et même les financiers qu'il a servis. C'est lui le véritable héros de cette pièce dans laquelle Lesage ne prend pas parti : sauf ce valet vainqueur, tous les personnages sont la dupe de quelqu'un. Méfaits de l'improvisation Jouée autrefois au T.N.P., cette belle pièce, sèche et dure, n'a pas tenté depuis longtemps que je sache la Comédie-Française, qui remplit bien mal son rôle de « conservation » des classiques. Mais elle n'a pas tenté non plus les théâtres de la décentralisation — Vincent, Sobel, Planchon et les autres... —, pourtant à la recherche d'un théâtre politique, qui révèle les rouages d'une société. Est-ce parce qu'ici les problèmes sont exposés avec trop de clarté ? C'est donc au festival du Marais et à un metteur en scène peu connu', Jacques Davila, que revient le mérite d'avoir exhumé « Turcaret » et de l'avoir monté dans le décor naturel de la cour de l'Hôtel d'Aumont. La pièce est-elle toujours corrosive? Ce n'est pas sûr. Monté pour peu de jours, joué par des comédiens réunis pour l'occasion, ce genre de spectacle souffre d'être improvisé. De jolis costumes mais pas de mise en scène proprement dite. Les comédiens disent leur texte sans trop se soucier de ce qu'il peut signifier. Seul Gérard Lartigau, qui est passé par la Comédie-Française, s'en tire plus qu'honorablement. Les autres ? Prenez Micheline Presle, par exemple. Elle a peu fait de théâtre et, déjà, dans Feydeau, j'avais remarqué qu'elle ne savait pas bouger sur une scène. Ici, c'est pis. Pour jouer la coquette, elle se contorsionne avec raideur, se met de la poudre, boit des verres de porto (?), mais on voit qu'elle se demande tout le temps ce qu'elle pourrait bien faire et, comme on ne le lui a pas dit, elle reste en plan. Et qui a bien pu choisir ce Turcaret ? Ce rôle énorme est tenu par un comédien bonasse à barbe rousse, qui ne donne pas un instant l'idée du personnage, sur qui, pourtant, repose toute la pièce. Si je voulais être cruel, je dirais que c'est à cause de cette neutralité que « Turcaret » a été monté au festival du Marais. Mais enfin, les occasions de monter des classiques sont trop rares pour qu'on n'y apporte pas plus de soin et qu'on . ne confie pas ces pièces à de meilleurs metteurs en scène. « L'Etourdi » de Molière, donné au T.E.P. par le Théâtre national de Strasbourg, aurait très bien pu figurer au festival du Marais. Jean-Louis Thamin a monté là un vrai spectacle, un peu trop compliqué, un peu trop chargé toutefois, comme s'il avait peur de la pièce — la première de Molière. Il a voulu distraire le public en remplissant les intervalles par des numéros d'acrobates, fort plaisants mais qui privent cette comédie des erreurs de sa rigueur et de sa légèreté. L'insolent dialogue entre le jeune maître stupide et le valet intelligent perd de sa clarté. Et puis, pourquoi avoir habillé les personnages en costumes Directoire ? On pouvait ne pas adopter la mode de 1650 mais celle du Directoire était bien la dernière à choisir : « l'Etourdi » n'est pas une pièce post-révolutionnaire. Dernier défaut enfin, et le plus grave : les comédiens crient si fort que, pour des raisons - d'acoustique, on ne les entend presque pas. Ils « boulent » les vers — toujours par crainte de ne pas garder le public en haleine. Cela dit, c'est vrai que, dans le genre, Jean-Jacques Moreau est un Mascarille athlétique, qui se dépense avec une fougue incroyable, que son maître, Main Fourès, est un « distrait » très drôle et qu'il y a encôre deux ou trois comédiens qui font tout à fait l'affaire. Nous reprochions au « Turcaret » du Marais d'être bien pauvre en trouvailles. « L'Etourdi » de Strasbourg en a trop. Jean-Louis Thamin n'a pas fait confiance à Molière, à cet « imbroglio » qui, pour être dans le goût de la commedia dell'arte, n'en possède pas moins d'insolence, puisqu'il s'agit de démontrer (comme chez les Italiens, d'ailleurs) la supériorité du serviteur sur le maître : Beaumarchais sera fidèle à cette tradition-là. Une tâche pour Druon Encore un mot. J'ai déjà parlé du Théâtre national des Enfants, qui tient ses quartiers à Vincennes. De temps en temps, les adultes y sont conviés — pour voir des danses de cour du vieux Japon, ou, la semaine qui vient, pour voir des Indonésiens qui, juste retour des choses, se sont mis à l'école de l'Occident. Mais, ce que je voulais dire, c'est que c'est l'occasion ou jamais de découvrir, la nuit surtout, l'extraordinaire beauté du château de Vincennes. Si vous cherchez des spectacles inédits, il suffit d'entrer et de regarder cet étonnant mélange de Louis XIV et de gothique — le plus beau monument qu'on puisse voir. Sans discussion possible, beaucoup plus beau que Versailles. C'est l'armée qui y est installée. Aucun musée. Rien ou presque, rien n'y rappelle les grands souvenirs historiques et, en particulier, ceux des prisonniers politiques des xvme et xixe siècles, de Diderot à Blanqui... Les bâtiments ont été, semblet-il, bien restaurés mais, quand la saison du Théâtre national dés Enfants cessera, le château de Vincennes retournera au silence. Voici une tâche pour Maurice Druon, qui aime tant le passé : ôter le château de Vincennes à l'armée. C'est un lieu qui devrait être aussi populaire à Paris que la tour de Londres en GrandeBretagne. GUY DUMUR P.-S. — Après le Creusot, c'est Annecy qui subit les conséquences de l'arrivée de Maurice Druon aux Affaires culturelles. Le maire, Charles Bosson, vient de refuser de renouveler la subvention du Théâtre éclaté, une des meilleures troupes de province, à laquelle nous devions, entre autres, un remarquable « Procès de Burgos », tiré du livre de Gisèle Halimi. La commission culturelle de la ville, composée de notables, reproche au Théâtre éclaté d'être « soutenu par des groupes et des partis qui s'y intéressent dans la mesure où [il] peut créer une plate-forme d'opposition et non pour sa valeur culturelle. [Le Théâtre éclaté] s'attaque de plus en plus aux institutions culturelles établies, tout en essayant de les exploiter par une tactique de subversion plus ou moins consciente »... Le Nouvel Observateur 51