Dialogue avec un athée (1) - - Cher ami, tu veux vraiment savoir ce que je pense de Dieu ? Alors, sache que la liberté est pour moi une priorité ! Je te livre mon ressenti : Que de sang versé au nom de la religion ! On voit où mène la croyance en Dieu… Tu crois en Dieu : tu fais comme tu veux, moi pas ! Je suis contre ceux qui veulent imposer une croyance. J’ai le droit d’être libre de penser comme je le veux. Je suis contre l’obscurantisme. L’homme est le fruit du hasard, c’est tout. La religion est oppressante et culpabilisante. Je n’ai pas à être jugé sur ma vie. Je revendique ma liberté. Je veux profiter de l’instant qui passe. Je n’ai ni Dieu, ni maitre, et j’en suis heureux ! Cher ami, soyons clairs ! En tant que chrétien, je suis contre toute contrainte en matière de foi. La violence et l’intimidation sont étrangères à l’enseignement de Jésus. L’évangile souligne que le pardon de Dieu est libérateur. Je défends également la liberté de pensée et de religion. Je reconnais qu’au sein du christianisme la soif de pouvoir a conduit à des dérives dangereuses dans les siècles passés. Il faut aussi admettre que les idéologies matérialistes ont produit des régimes totalitaires, les camps de concentration, le goulag, et des massacres de masse. Je respecte ton ressenti. Tu dis être athée et heureux. Et cependant la pensée matérialiste n’incite plus guère à l’optimisme actuellement. David Brown, ancien président des Groupes Bibliques Universitaires en France, cite dans un ouvrage sur l’athéisme plusieurs intellectuels athées bien lucides sur les conséquences du matérialisme (1) : - Jean-Paul Sartre (1905-1980) qui écrit : « L’existentialisme, au contraire, pense qu’il est très gênant que Dieu n’existe pas, car avec lui disparaît toute possibilité de trouver des valeurs dans un ciel intelligible ; il ne peut plus y avoir de bien a priori, puisqu’il n’y a pas de conscience infinie et parfaite pour le penser(…). En effet, tout est permis si Dieu n’existe pas, et par conséquent, l’homme est délaissé parce qu’il ne trouve ni en lui ni hors de lui une possibilité de s’accrocher ». L’existentialisme est un humanisme (1946). - André Comte-Sponville, philosophe athée, qui écrit : « Bref, Pascal, Kant et Kierkegaard ont raison : un athée lucide ne peut échapper au désespoir ». L’esprit de l’athéisme (2006). Blaise Pascal (1623-1662) a vu juste en allant au fond du problème. Au 17ème siècle, il écrivait en effet : «Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de ces choses. Je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes membres, que mon âme ; et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout, ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’à un autre de toute l’éternité qui m’a précédé, et de toute celle qui me suit. Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée dans l’éternité précédente et suivante, le petit espace que je remplis, et même que je vois, abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là (…) Or quel avantage y a -t-il pour nous à ouïr dire à un homme qu’il a secoué le joug, qu’il ne croit pas qu’il y ait un Dieu qui veille sur ses actions, qu’il se considère comme seul maître de sa conduite, qu’il ne pense à n’en rendre compte qu’à soi-même ?(…) Pense-t-il nous avoir bien réjouis de nous dire qu’il doute si notre âme est autre chose qu’un peu de vent et de fumée, et encore de nous le dire d’un ton de voix fier et content ? (…) Est-ce donc une chose à dire gaiement ; et n’est-ce pas une chose à dire au contraire tristement, comme la chose du monde la plus triste ? » (2) « Pour Pascal, on a le droit, bien entendu de « secouer le joug » et de se proclamer athée et libre… mais c’est une chose à dire tristement, car, du coup, on renonce à tout ce qui donne un sens à notre existence » souligne David Brown. (1) La question se pose : peut-on être athée et joyeux ? Le philosophe Pascal va jusque-là… Il examine la condition humaine, le comportement des hommes et s’étonne de leur insouciance : « En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, et ces contrariétés étonnantes qui se découvrent dans sa nature, et regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, j’entre en effroi comme un homme que l’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans avoir aucun moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état. Je vois d’autres personnes auprès de moi de semblable nature. Je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi, et ils me disent que non. Et sur cela ces misérables égarés ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s’y sont donnés, et s’y sont attachés ». (2) Bien évidemment, il existe de bons moments dans la vie, où il est normal d’être joyeux. Le bonheur est-il de goûter simplement l’instant présent, le fameux carpe diem des philosophes antiques ? Luc Ferry, philosophe non croyant, constate que la pensée matérialiste reprend à son compte le « profite du jour présent » des Anciens, « la conviction que la seule vie qui vaille la peine d’être vécue se situe dans l’ici et le maintenant, dans la réconciliation avec le présent. (…) Les deux maux qui nous gâtent l’existence sont la nostalgie d’un passé qui n’est plus et l’attente d’un futur qui n’est pas encore, en quoi, au nom de ces deux néants, nous manquons absurdement la vie telle qu’elle est, la seule réalité qui vaille parce que la seule vraiment réelle : celle d’un instant qu’il nous faudrait enfin apprendre à aimer tel qu’il est. » (3) Mais Luc Ferry remarque avec justesse : « Il est clair qu’en ce sens, le matérialisme est bien une philosophie du bonheur et, lorsque tout va bien, qui ne serait volontiers porté à céder à ses charmes ? Une philosophie pour beau temps, en somme. Oui, mais voilà, quand la tempête se lève, pouvons-nous encore le suivre ? C‘est pourtant là qu’il nous serait de quelque secours, mais d’un coup, il se dérobe sous nos pieds – ce que, d’Epictète à Spinoza, les plus grands furent bien contraints de concéder(…) ». (3) En réalité, loin de goûter le présent beaucoup cherchent à s’évader de la grisaille, de la lourdeur du quotidien par toute sorte de moyens. Ceux qui expérimentent « la douleur des hommes » savent que la vie est difficile. Le matérialisme oblige à un questionnement : devant un monde vide de sens, qu’est- ce qui donne du sens ? Dans le « Mythe de Sisyphe (1942) et l’Homme révolté (1951), Albert Camus (1913-1960) s’interroge sur la place de l’homme face à l’absurde. Il pousse le matérialisme jusqu’au bout de sa logique et montre que le monde est sans espoir. Pour lui, L’absurde nait de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est, libre de dire non. Cette révolte semble occuper pour Camus le même rôle que « je pense, donc je suis » de Descartes. Elle extirpe l’homme de sa solitude, car elle est collective, elle l’incite à partager les luttes et le destin des autres. La littérature et la création artistique sont pour lui des moyens d’exprimer le courage de vivre sa vie face à l’absurdité du monde. Luc Ferry écrit pour sa part : « Si je me sens obligé de dépasser le matérialisme pour tenter d’aller plus loin, c’est parce que je le trouve, au sens propre, « impensable », trop empli de contradictions logiques pour que je puisse intellectuellement m’y installer. » (3) Luc Ferry propose donc « la pensée élargie », une «auto réflexion» qui dépasserait le scepticisme et le dogmatisme (3). Cet effort de la pensée traduit une quête de sens légitime mais illusoire. Le matérialisme n’a même plus aujourd’hui la perspective d’un avenir meilleur. Il a engendré une faille identitaire aux effets redoutables. La pensée matérialiste propose un monde sans espérance, « une culture de l’instant », un bonheur éphémère et incertain. Elle débouche sur l’absurde : rien de vraiment enthousiasmant… As-tu fait le bon choix ? 1- David Brown, L’athéisme, Edition Croire et lire 2014, 57. 2- Blaise Pascal, Les Pensées, Les Classiques de Poche, Edition de Philippe Sellier, 102, 471-472, 474-475. 3- Luc Ferry, Apprendre à vivre, Editions Plon 2006, 255-256, 260, 276 -276- 295. Jannick CORBEAU