La réhabilitation des quartiers spontanés

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Université de Provence Aix-Marseille 1
Département d’Anthropologie
Spécialité 4 - MASTER PROFESSIONNEL
« Anthropologie & Métiers du Développement durable »
ETH.R17
Mémoire bibliographique de spécialisation professionnelle
Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
DEBLOCK Elise
Directeur : Jacky BOUJU
2009 – 2010
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
Remerciements
Je remercie mon maître de mémoire, Monsieur Jacky Bouju, pour avoir su me conseiller dans
ce travail,
Je remercie également mon amie Elsa pour sa relecture avisée,
Ainsi que toutes les personnes ayant contribué à alimenter ma bibliographie.
« Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l‟auteur et ne sauraient en aucun cas
engager l‟Université de Provence, ni le directeur de mémoire ».
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DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
Sommaire
Introduction
1) La ville et ses marges comme objet de recherche
1) Les quartiers spontanés, un défi pour la ville en Projet
2) Définir le « quartier spontané » : quelques éléments incontournables
3) Le paradigme de la ségrégation en sciences sociales
2) Anthropologie de l’espace, anthropologie de l’habiter : notions pour appréhender
le quartier spontané
1) Espace bâti, espace vécu
2) Peut-on parler d‟un habiter bidonvillois ?
3) La prise en compte des usages dans la conception architecturale : « passer du vide
au sens »
3) Quelle place pour l’anthropologue praticien au sein d’un projet de réhabilitation ?
1) A quelles logiques les actions mises en place répondent-elles ?
2) La « participation populaire » au cœur des pratiques de réhabilitation
Conclusion
Bibliographie
Table des matières
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« Il en est de la compréhension des problèmes de la ville comme de la découverte d'un
paysage urbain, du haut d'un de ces buildings administratifs qui le dominent. » (J.
Bugnicourt, 1987 : p 3)
Comparaison poétique qui envoie immédiatement une image grandiose, celle d'une
mer urbaine étalant ses banlieues à l'horizon; si l'éloignement est poétique, constitue-t-il
effectivement une position stratégique pour appréhender les problèmes de la ville ? C'est à
partir de cette question que nous allons orienter notre réflexion, en choisissant de poser notre
regard sur l'une de ces formes que l'on distingue depuis le haut du building: le quartier
spontané.
Si l'on s'intéresse à la ville, c'est en effet l'ampleur du phénomène de croissance
urbaine qui attire l'attention; la « démesure » s'appuie sur des chiffres et statistiques, parmi les
plus marquants, ceux qui montrent que depuis 2006 environs, plus de la moitié de la
population planétaire habite en ville1. Si la croissance démographique de certains pays tend à
diminuer, la croissance urbaine, elle, est constante. Les colloques et sommets se multiplient
qui alertent sur l'urgence de gérer le phénomène, qui constitue un défi pour les Etats et
collectivités locales. Les périphéries en général, où l'on trouve les logements aux prix les plus
accessibles, cristallisent les difficultés posée par cette croissance exponentielle, et pour cela
constituent aujourd'hui une priorité pour la politique de la ville.
C'est donc dans le cadre de ces « métropoles tentaculaires » que nous allons nous
placer, mais plus précisément dans celles des pays du Sud, pour lesquels l'appellation « en
voie de développement » illustre la façon dont ils se sont engagés dans la voie de
l'industrialisation effrénée et de l'économie capitaliste à la suite des pays occidentaux et sous
l‟impulsion d‟institutions telles que la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International.
Dans ces pays, tout comme on a pu l‟observer en Europe au XIXème siècle, le phénomène
unilatéral de déplacement des campagnes vers les villes (communément appelé « exode
rural ») a donné naissance à des métropoles surpeuplées et non planifiées qui continuent de
grandir. Nous avons choisi de limiter notre étude au continent latino-américain, qui présente
une certaine uniformité en matière d'urbanisation, aussi bien en ce qui concerne l'organisation
des villes que la croissance démographique, suite à la colonisation qui a touché l'ensemble du
continent et y a inscrit une marque occidentale. Cependant, nous pourrons faire appel à des
exemples pris sur d'autres continents, à titre de comparaison, lorsque ceci nous semblera
pertinent.
1
UN Habitat
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Face à l'affluence de la population dans les villes et à l'incapacité des autorités de
fournir un accès au logement pour les plus pauvres, on observe une « taudification » de
l'habitat urbain, et souvent c'est une forme particulière d'habitat qui se développe, que l'on
connait « bien » aujourd'hui: le quartier spontané, dénomination cachant plusieurs réalités,
mais souvent désignées sous le nom englobant et stigmatisant de « bidonville »; celui-ci peut
avant tout se définir par la précarité des installations, aussi bien en terme de bâti que de
légalité, les modes d'appropriation ou de lotissement du sol échappant la plupart du temps au
monde légal. Nous chercherons au cours de notre réflexion à décrire et comprendre les réalités
complexes qui constituent ces quartiers. Toujours est-il que ces quartiers spontanés font l'objet
de diverses politiques, programmes et plans d' « intégration » (suite à une période qui a
privilégié les « déguerpissements » et expulsions), qui procèdent globalement de deux
logiques différentes mais souvent complémentaires (N. Mathieu, 1997 ; § 13):
-On peut chercher à intégrer un quartier par une approche sociale, qui se caractérise par une
volonté d'intégration des individus et des groupes à la vie économique, culturelle et sociale;
c'est notamment le travail des associations de quartier, des assistantes sociales, etc.
-On peut d'un autre côté travailler depuis une approche urbanistique, où l'on recherche nonplus l'intégration de l'individu, mais du quartier identifié par sa structure, ses besoins en
services de base (eau, électricité, assainissement...), son agencement, son accessibilité, son
architecture, ses espaces publics...
C'est sur cette dernière façon de penser l'intégration que nous allons nous interroger. Il
nous semble effectivement intéressant de nous pencher sur cette question, qui relève se place
à la charnière de la recherche et du développement. C‟est le rapport entre transformation des
formes et transformation sociale qui nous intéressera, celui-ci étant étudié de manière
fondamentale mais peu (pas ?) réinvestit dans les opérations d‟aménagement et d‟habilitation.
Un questionnement rapproche couramment sciences sociales et urbanisme autour du
paradigme de la ségrégation: s‟y rejoignent le territoire, la forme et l'exclusion. Comme nous
le verrons, on peut plus ou moins dater la première recherche sur la ségrégation urbaine aux
travaux réalisés de l'Ecole de Chicago, portant sur l'articulation socio-spatiale des quartiers
dans cette même ville. Si ces travaux font encore aujourd'hui référence, il nous semble que si
la prospective urbaine veut prendre un réel tournant qualitatif, l'anthropologie, et notamment
l'anthropologie de l'espace et de l'habitat, apportent un éclairage fondamental, en se
rapprochant du quartier, à l'opposée d'une conception englobante et spatialisante telle qu'elle
est généralement appliquée dans les plans d'aménagement et/ou d‟habilitation. En nous
rapprochant des habitants, de leur façon d'occuper l'espace et de proprement vivre cette ville
en marge, nous accédons à un degré de compréhension qui fournit des clés pour l'action et le
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changement. C'est ici la thèse que nous défendons: la légitimité de l'approche anthropologique
dans les opérations de réhabilitation des quartiers spontanés, aussi bien en termes d‟apports
scientifiques que de méthodologie à intégrer dans le cycle du projet. Nous tenons à souligner
la pertinence d'une telle position pour une anthropologie qui se veut « appliquée », c'est-à-dire
une anthropologie qui veut participer au changement, notamment lorsque l'on voit les
objectifs que se proposent des groupes tel que le PRUD (Programme de Recherche Urbaine
pour le Développement), qui s‟engage activement en faveur d‟une recherche visa nt à éclairer
les projets de développement.
Ce travail aura surtout pour but de faire le point sur différentes notions fondamentales
et d'exposer les théories qui jalonnent la problématique présentée. Dans un premier temps
nous esquisserons un état des lieux de ce qui a pu être dit autour des quartiers spontanés, de la
manière de conceptualiser ces espaces autour de théories dominantes. Cette étape nous semble
importante dans la mesure où la métropole et ses quartiers d‟exclusion sont un objet que se
partagent diverses disciplines universitaires, ce qui rend l‟objet « mouvant » et sinueux. Dans
un second temps, nous essaierons d'expliquer les paradigmes que l'anthropologie de l'espace
et de l'habiter peuvent invoquer pour comprendre en finesse ces quartiers et se démarquer des
logiques précédentes. Enfin, nous déplacerons notre regard, jusque là orienté sur le rapport
entre recherche et action, pour présenter une réflexion sur la place de l'anthropologue
praticien au sein des projets touchant à ces quartiers, face aux techniciens et décideurs.
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1-
La ville et ses marges comme objet de recherche
1-1- Les quartiers spontanés, un défi pour la ville en Projet
1-1-1 Une métropole entre individualisme et globalisation
La métropole est un fil rouge qui unit aujourd'hui les différents continents bien au delà
de leurs particularismes culturels. Habiter la ville, c'est observer un mode de vie qui nous
intègre au monde. Les auteurs qui s'intéressent à la ville la pensent d'ailleurs comme ce lieu
unique de la globalisation, globalisation en tant que mise en réseaux de l'économie, de la
culture, des individus (A. Bourdin, 2009 ; S. Sassen, 2004, 2002)... Cette ville « en réseaux »
est à la fois mouvement et points d'ancrages. Des flux la traversent, la mobilisent et la
construisent, en s'incarnant dans des lieux, lieux de pouvoir, d'échange, de consommation, etc.
La ville, fourmilière, fascine. Mais elle réveille aussi nombre de fantasmes et de peurs.
Pas seulement chez l‟arrivant perdu au milieu de la multitude, mais aussi dans le monde de la
recherche. Un article écrit à l‟occasion d‟une réflexion sur les positionnements de la Banque
Mondiale par J. Salomon Cavin (2009) fait une remarquable histoire de ce désamour dont est
victime la métropole, sentiment qualifié ainsi d‟ « urbaphobie ». L‟auteur remarque que les
discours alarmistes quant à l‟expansion insatiable de la ville s‟ancrent dans un imaginaire
collectif opposant une « grande ville mauvaise, ennemie de l‟homme et de la nature » à une
« campagne villageoise parée de toutes les vertus » (Salomon Cavin, 2005, Marchand, 2009).
En effet, la métropole est accusée de toutes parts, de privilégier l'individu face au groupe et au
« vivre-ensemble », proposant en échange des facsimilés agissant par et pour l'imaginaire des
citadins en perpétuelle recherche du fameux « lien social » égaré dans la grande ville, quête
donnant lieu au phénomène décrié de gentrification (S. Vermeersch, 2006). En contre-pied
d‟une telle remarque, on peut avancer que la ville est également objet d‟appropriation et
d‟identification par excellence : personnifiée, féminisée souvent, la ville est portée en
étendard , par exemple lors d‟une rencontre sportive . Cette appropriation est posée comme
primordiale par certains auteurs, ainsi A. Raulin explique : « Les citadins ne vivent-ils pas
comme les acteurs d'un même territoire urbain, ne se réfèrent-ils pas à « leur » ville sans
l'affubler d'une personnalité collective spécifique? » (2007 : p17).
Toujours dans l‟article de Salomon Cavin, un extrait d‟un article publié dans Le
Monde en 1996 vient illustrer, dans toute leur dimension poétique, les représentations
entourant la grande ville : « Lagos est un "monstre [...], le corps déformé de mille
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excroissances bizarres [...] avec une colonne vertébrale de voitures bloquées [...], une queue
fourchue de bidonvilles [...], un organisme couturé de cicatrices " » (cité par Monnet, 1997).
Selon l‟auteur, c‟est cette stigmatisation stérile qui a présidé à la pensée de la ville jusqu‟à
une période très récente. Les conférences Habitat I (Vancouver 1976) et II (Istanbul 1996)
auraient contribué à l‟atmosphère de catastrophisme, tout comme continuent de le faire
certains chercheurs qui insistent sur le danger humain et écologique que représente
l‟urbanisation, dont l‟ouvrage de Mike Davis « Le pire des mondes possibles, de l’explosion
urbaine au bidonville mondial » (2006) offre un exemple parlant. Il semblerait cependant que
les grandes institutions, Banque Mondiale en tête, aient récemment (rapport 2009) « retourné
leur veste » et choisi de considérer la ville comme une opportunité et un facteur possible de
développement. Nous aurons l‟occasion de nous pencher plus précisément sur les
programmes mis en œuvre par ces grands bailleurs en faveur des quartiers spontanés.
1-1-2 Pour un « Droit à la ville »
Le phénomène d'exode rural, mouvement des ruraux vers les villes observé partout
dans le monde, sans exception, associé au développement de l'industrie, révèle le pouvoir
d'attraction des villes fondé sur l'économie. Si la ville peut faire rêver par son foisonnement
culturel, elle est d'abord considérée comme un réservoir d'emplois. La métropole est le lieu
par excellence où doit fonctionner l' « ascenseur social ». Il existerait une ville « idéale », que
l'on peut retrouver partiellement selon les expériences individuelles, qui mettrait à disposition
le pouvoir économique, la vie sociale, la vie culturelle; une ville où les distinctions de race ou
de genre n'existeraient pas et où il « suffirait » de travailler pour faire partie de la société,
voire en grimper les échelons: c'est la ville de l'intégration, celle du melting-pot et du selfmade man américain.
a) L’intégration, fin et moyen
Cette « intégration » constitue une notion primordiale dans notre raisonnement. Mot
tellement usité, décliné sous toutes ses formes, qu'il semble nécessaire de faire le point sur ce
terme.
En nous référant au Dictionnaire critique de Géographie de R. Brunet (1993), on peut
en considérer une première acception: « l'intégration de personnes, d'immigrants, dans un
corps social, se marque par leur insertion dans le système productif ainsi que dans les lois et
7
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les coutumes du lieu. »: il s'agit alors de l'incorporation de parties à un tout, notamment de ces
personnes venues des campagnes, voire de par delà les frontières nationales, pour habiter la
ville considérée comme une entité cohérente. Ce facteur de l'immigration internationale est
prépondérant aujourd'hui lorsqu'on parle d'intégration (au Nord comme au Sud), cependant,
en ce qui concerne notre sujet d'investigation, nous le prendrons en compte, sans chercher à
saisir toutes ses implications car ceci mériterait un travail approfondi. A la suite, l'article
précise une seconde acception, qui vient régulièrement s'entremêler à la première lorsque l'on
pense la métropole: « on parle quelques fois d'intégration de services pour des systèmes ou
des lieux où se trouve une gamme complète de services en interaction. », ce qui revient à
prendre l'intégration comme un mode de fonctionnement. C'est ainsi que la ville, grâce à son
fonctionnement « intégré », c'est-à-dire interconnecté, permet l'intégration des individus à son
système formant un tout et dont les portes d'entrées se trouvent à différents niveaux: école, vie
professionnelle, associations, mais aussi lieux publics et culture commune.
b) Entre utopie et enjeux politiques
C'est cette métropole à visée holiste (tous les services et pour tous) qui est
perpétuellement mise en projet. Nous insistons sur cette idée du projet, voire du « Projet »
(comme le nuance M. Singleton2): cette ville moteur d'intégration semble bien relever d'un
idéal, que l'on cherche à atteindre par divers programmes et projets, formés autour de discours
et d'outils.
Pour Henri Lefebvre, grand précurseur en matière de sociologie urbaine, il ne peut
effectivement pas y avoir de construction de la ville sans recherche d‟un idéal. Il se posait
d'ailleurs lui-même en « utopien », mais pas en « utopiste », ce dernier faisant figure de doux
rêveur juste capable de nier la réalité. Henri Lefebvre, lui, voulait fonder sur les bases du réel,
un cadre et un rythme de vie « favorables au bonheur », en s'attaquant aux fondations
politiques des maux urbains ; c‟est une méthode qu‟il désignait sous le nom d‟ « utopie
expérimentale » (H. Lefebvre, 1968). Le droit à la ville d‟Henri Lefebvre, c‟est le « droit à la
vie urbaine », l‟affirmation du besoin fondamental de rencontre, de rassemblement, de
créativité ou encore de non-exclusion du centre et du mouvement (L. Costes, 2009 : p96).
En écho à cette œuvre pionnière, on trouve l‟affirmation d‟un Droit à la ville comme
fondation de textes juridiques internationaux. Celui-ci naît d‟une reconnaissance préalable du
Droit au logement dont on trouve l‟expression la Déclaration Universelle des Droits de
2 Le « Projet global » s‟apparenterait à une idéologie, mise en œuvre au travers de projets fondés sur des
objectifs et des moyens précis.
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DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
l‟Homme de 1948, dans la lignée du « droit à la vie digne », puis dans les forums mondiaux
Habitat I et II. Lors de la session de 1996, sur la base des Droits Economiques, Sociaux et
Culturels (DESC), est reconnu le « droit à un logement adéquat ». Qu‟est-ce donc qu‟un
« logement adéquat » ? Est reconnue comme telle l‟habitation disposant d‟espace et d‟intimité
suffisants, d‟une sécurité, d‟une stabilité juridique, d‟une solidité physique, de lumière,
chauffage et ventilation, accès à l‟eau et assainissement, accès au travail et aux services
basiques, le tout à un coût raisonnable 3( !). Ces conditions étant rarement réunies même pour
des personnes ayant une vie « aisée », il faut prendre cette définition non de manière
exhaustive mais plutôt comme un instrument de travail. Aujourd‟hui l‟on affirme que le droit
à la ville doit plutôt être entendu comme un « droit à la citoyenneté », valant pour tout un
chacun, un droit à profiter et participer à cette expérience commune de la vie urbaine4.
Par conséquent, il est intéressant de noter que le Projet pour la ville telle qu'elle se
caractérise aujourd'hui, prioritairement dans le champ politique, tend plus vers le soin ou la
logique de « survivance » selon le mot de M.Abélès5. Il s'agit de politiques de sauvetage
visant à enrayer des phénomènes non-contrôlés et des effets non-désirés, comme des
dysfonctionnements du modèle.
Ainsi, l'intégration qui serait l'un des projets devant participer à cette utopie possible,
prend plus fréquemment la forme de son corolaire en négatif, la « lutte contre l'exclusion ».
Le phénomène de croissance urbaine accélérée évoqué précédemment fait partie de ces
problèmes à affronter dans l'urgence; parmi ces problèmes, la gestion de l'habitat, notamment
de l'habitat spontané des périphéries. C'est ainsi que nous en venons à cette question de savoir
dans quelle mesure il est aujourd'hui possible de mettre en place une politique de la ville, et
plus particulièrement une action vers les quartiers spontanés, qui ne se contente pas de
prodiguer des « soins palliatifs ».
1-2- Définir le « quartier spontané » : quelques éléments
incontournables
Nous venons de souligner le défi que représente l'offre d'habitat urbain envers des
3
UN-Habitat, Bogotá, 2004, p. 42
UN-Habitat, Bogotá, 2009, p 139
5
Communication du séminaire Dispositifs transnationaux d’appui à la « bonne gouvernance » : nouveau lieu du
politique ?sous la direction de G. Blundo et B. Pétric, EHESS, Marseille, 26 Février 2010. –données
personnelles4
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DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
populations au pouvoir économique faible ou inexistant. Les « quartiers spontanés » font
partie des ressources trouvées par ces populations pour accéder au logement. Cependant, dans
le cadre de ces politiques de la ville, le vocabulaire est souvent interchangeable,
« bidonville », « taudis » et « quartiers précaires » sont employés sans grande distinction, et
c'est ici que nous allons chercher à identifier précisément cet objet que nous nous sommes
donné, le « quartier spontané », tout en essayant de remarquer ce qui fait la particularité de
ceux que l'on trouve en Amérique du Sud.
1-2-1 Une spontanéité à tempérer
Le terme générique que nous avons choisi pour désigner ces installations est celui de
« quartier spontané », car il nous semble souligner l'aspect le plus fondamental de celles-ci:
leur érection hors de toute planification et souvent, dans l'illégalité. On peut noter ici que
l'ONU préfère le terme trop neutre d' « établissement humain », ne révélant aucune réalité et
donc n'impliquant aucun engagement. Un autre terme souvent rencontré, notamment dans sa
traduction hispanophone, est celui d' « invasion ». Les invasions sont donc ces quartiers
apparaissant à la périphérie comme au centre de la ville, là où un espace est jugé libre, à juste
titre ou non. Ce terme nous semble particulièrement stigmatisant en ce qu'il renvoie d'une part
à la notion de conquête; une victoire face aux obstacles économiques et légaux, et d'autre part,
assimile les « squatters » à des parasites envahissant un espace qui n'est pas à prendre; dans
les deux cas, l' « invasion » recèle un rapport de force. D'autres auteurs étudiant les quartiers
spontanés préfèrent au terme de « squatteurs » celui d' « habitants bâtisseurs », qui révèle
cette même réalité d'auto-construction non-pas par son biais illégal, mais par celui de
l'appropriation de l'espace et par une nuance qui les intègre directement à la ville comme
habitants de celle-ci. Cette appellation a été proposée par Teolinda Bolivar (2005), chercheuse
Vénézuélienne en urbanisme et architecture, s'étant penchée sur les fameux ranchos jonchant
les collines de Caracas6.
La forme la plus répandue d'installation de ces logements est celle qui a été nommée
par Patrick Mc Auslan (1988) l' « infiltration »: une occupation lente, espacée, presque
individuelle de l'espace, sur le mode de l'auto-construction progressive, pouvant mener à la
création de véritables quartiers, voire de petites villes. En général, après l'installation d'un
premier noyau, si l'on constate que les autorités ne menacent pas d'expulsion, d‟autres suivent
6
Communication du Forum de Pékin , La gouvernance face à l’évolution des sciences et des technologies, IRG,
Juin 2005
10
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
dans un flux presque perpétuel, trouvant même toutes les ressources face au manque d'espace
(notamment en bâtissant sur plusieurs niveaux). Des études ont montré que les « squatteurs »
recherchent en priorité des terres de propriété publique ou à la limite incertaine, d'où il est
plus rare de se trouver délogé (A. M. Wagner de Reyna, 1986 : p 13)
Cependant, cette installation « spontanée » est à relativiser puisque l'on remarque bien
souvent en Amérique Latine notamment, une construction sociale préalable à l'installation du
noyau premier. L'un des exemples les plus repris de ce phénomène est celui de la ville de
Lima, où se sont constitués des quartiers tels que ceux de Villa Maria del Triunfo et de Villa el
Salvador sur la base d'organisations sociales. L'étude réalisée autour du quartier de Villa
Maria del Triunfo par Anna M. Wagner de Reyna, explique: « La notion d'organisation
sociale surgit du besoin légitime d'une communauté d'habitants qui, ne pouvant accéder au
marché officiel du logement, se structurent en organisations populaires ou associations afin
de résoudre les problèmes liés à l'habitat. L'acquisition ou la prise de possession d'un terrain
relevant d'une action collective, le système associatif est à l'origine des urbanisations
spontanées. » (Ibid.). Par ailleurs ces formes d'organisation permettent parfois de sortir de
l'illégalité, offrant une visibilité au mouvement, qui s'appuie sur la légitimité de leur action.
Ainsi Anna M. Wagner explique comment certains de ces groupes s'octroient l'appui, si ce
n'est du gouvernement ou de la municipalité, au moins d'un homme politique: « les futurs
habitants organisés en association, cherchent en général à obtenir un appui politique ou
même l'approbation du chef de l'état pour garantir le succès de leur entreprise, évitant de la
sorte les éventuelles confrontations violentes avec les services d'ordre qui défendent avec
acharnement la propriété foncière. A près repérage des terrains, ils formulent auprès des
autorités compétentes une demande de concession, s'assurant la sympathie d'un personnage
influent qui défendra, s'il y a lieu, leurs droits » (Ibid. p 15). Parfois, la constitution de ce type
de quartier coïncide avec les intérêts des propriétaires fonciers et des programmes politiques,
ce qui permet aux nouveaux habitants de contourner le problème légal. Des cas similaires de
« semi-spontanéité » ont été étudiés à Quito, où l'on a constaté que l'occupation illégale est en
réalité peu fréquente, et souvent orchestrée par des associations ou coopératives (M.Unda, ? ).
Nous reviendrons plus précisément sur ces organisations et participations populaires dans
notre dernière partie.
Nous voyons donc que la spontanéité de la création de ces quartiers, ainsi que leur
inscription dans le monde illégal, sont toutes relatives et qu'il est primordial de bien
déterminer pour chaque quartier quel a été son processus de construction. Cependant, cette
caractéristique de l'installation illégale et hors de toute planification reste prépondérante et
nous tenons à la souligner car elle fonde l'aspect précaire de ces quartiers et par là-même pose
11
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
une question qui doit sans cesse interpeller l'anthropologue: comment vit-on sans la certitude
d'avoir toujours un toit le lendemain? L'épée de Damoclès de l'éviction pesant en permanence
sur ces habitants constitue leur principale préoccupation, et donc leur principal combat. Ce
caractère précaire de leur situation légale pèse dans les choix et l'implication des habitants
face aux autres questions qui les occupent, notamment l'accès aux services de base.
1-2-2 Insalubrité et insécurité
Puisque les quartiers spontanés se définissent par leur exclusion de toute planification
et par cette recherche de place à occuper, ceux-ci se retrouvent souvent en périphérie de la
ville, dans des espaces non connectés aux réseaux et aux services, parfois sur des sites
dangereux.
En effet, les immigrants en mal de logement sont prêts à investir n'importe quel type
d'espace, même ceux que les plans directeurs ont déclarés comme inconstructibles; c'est ainsi
que l'on voit s'ériger des quartiers entiers au bord de lignes de chemin de fer, dans des
marécages ou sur des zones inondables; il a été estimé qu'en 1975 à Guayaquil (Equateur),
60% de la population vivait dans des quartiers érigés au dessus d'une eau boueuse et/ou
polluée, dans des huttes perchées sur pilotis et certaines d'entre elles se trouvant à plus de
quarante minutes de marche de la terre ferme (P. Mc Auslan, 1988 : p14). Il est également très
courant d'observer une colonisation des pans abrupts -pouvant être sujets à des glissements de
terrain- des montagnes au creux desquelles ont été bâties les villes, comme on l'observe de
manière très marquées dans des capitales andines telles que La Paz, Santigo du Chili ou
Caracas. Sur la problématique du site, on peut aussi remarquer des cas très spécifiques
d'installations qui s'étendent peu à peu vers des zones protégées (forêt tropicale), ce qui
complique d'une autre manière la gestion de ces quartiers. Ceci est en particulier le cas à Sao
Paulo, où les habitants occupent une « zone tampon » entre la ville et l' « aire protégée »; la
distinction est surtout importante au niveau juridique, au sujet de l'exploitation des ressources
naturelles (W. Costa Ribeiro, 2010)7.
L'éloignement et l'illégalité font qu'en règle générale, les quartiers spontanés manquent
de la plupart, voire de tous les services de base: eau courante, électricité, système
d'assainissement, voies d'accès. La plupart du temps, l'histoire a montré que les pouvoirs
publics amènent petit à petit ces services dans les quartiers, lorsqu'un délogement n'est plus
7 Communication du colloque Habitat précaire, exclusion sociale et politiques urbaines et environnementales
dans les mégapoles de l’Inde et du Brésil. Perspectives franciliennes, SETUP, Paris, 2 Février 2010 –données
personnelles-
12
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
envisageable, et surtout lorsque cela peut coïncider avec un enjeu électoral. L'habilitation des
« bidonvilles » est une géniale vitrine politique permettant de mener à bien un projet très
visible à court terme, accueilli de manière positive par l'ensemble des citadins, même par ceux
qui ne l'habitent pas mais pour qui ces zones inesthétiques, pauvres et potentiellement
dangereuses doivent rentrer au plus vite dans le cadre légal. Ainsi, on peut prendre encore
l'exemple du Brésil, pays où les « favelas » sont apparues dès le 19ème siècle et où les
promesses à l'encontre de ces quartiers se multiplient en période électorale, notamment celle
d'installer l'eau courante, ce qui a finit par être appelé populairement « la politique du
robinet » (R Gonçalves Soares, 2008 : p 148).
Par ailleurs, si ces quartiers spontanés ont pu être couramment appelés « bidonvilles »,
c'est en référence à leur processus d'auto-construction avec des matériaux de récupération.
Bidons dépliés, tôle ondulée, planches, etc, tout est bon pour forger un premier abris de
fortune. Cependant, il est réducteur de ne les envisager que sous cette forme, puisqu'elle n'est
que la première phase de tout un processus d'installation. La consolidation est progressive, et
peu à peu le bois, les briques de terre ou autres matériaux plus durables viennent remplacer
les premiers aménagements. C'est ici que le poids de l'illégalité se fait sentir, car les habitants
expriment généralement une envie de pérenniser ces constructions, mais la menace latente
d'une expulsion décourage et ne va pas en faveur d'un investissement en temps et en argent
(Ibid.) Toutefois, comme nous l'avons dit, il arrive que les pouvoirs publics acceptent de
manière tacite ou officielle ces installations, et dans ce cas, les habitants n‟hésitent plus à
construire leurs habitations en béton, ce qui peut donner un profil différent au quartier sans
pour autant l'assimiler à la ville aménagée. Enfin, on remarque que le thème de l'insécurité est
également très présent au sein de ces quartiers. La formation de bandes, voire de gangs qui
vivent de trafiques divers (drogues, armes, entre autres), est un élément transversal. On pense
notamment au Brésil où ceux-ci ont acquis une puissance écrasante au sein de leurs quartiers,
étant même capable de mettre en déroute des équipes de police, comme le montre
l‟événement du 17 octobre 2009, jour où un gang d‟une favela de Rio de Janeiro a réussi à
abattre un hélicoptère de la police en vol. Ce monde socio-économique parallèle et violent est
l'un des éléments qui contribuent à inscrire les quartiers spontanés dans l' « anti-monde ».
Cependant, si cette violence est réelle, les gangs peuvent également représenter pour les
habitants un facteur sécurisant, chacun protégeant son quartier. Nous nous attarderons sur
cette organisation sociale dans la dernière partie.
Pour conclure ce rapide inventaire descriptif, et pour nous replacer dans la perspective
d'une recherche-action, il nous semble important de souligner la diversité des situations:
13
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
certains quartiers s'apparentent à une accumulation de cabanes très précaires, où les
conditions d'hygiène sont déplorables et où la vie quotidienne relève de la « débrouille ».
Ceux-ci sont en général des quartiers « de passage » ou de transition, où les immigrants
attendent de trouver un autre logement. A l'opposée, on trouve des quartiers dont l'installation
n'a jamais été remise en question, où tous les services, jusqu'à la réfection de la voirie, la mise
en place de transports en communs, ont été apportés, et où des opérations de légalisation
(remise de titres de propriété) ont permis aux habitants d'en faire un véritable lieu de vie;
notamment, la perspective de pouvoir léguer un bien à ses enfants engendre une réelle
projection et un investissement au sein du quartier. Il est donc délicat d'englober sous un
même vocable ces quartiers aux processus et aux histoires distinctes, et il convient donc,
lorsque l'on met ces quartiers en projet, de considérer avec justesse ces différents critères qui
font qu'un quartier est plus ou moins investit, physiquement et sentimentalement, par ses
habitants.
1-3- Le paradigme de la ségrégation en sciences sociales
1-3-1 Brève histoire de la pensée urbaine en Amérique Latine
On peut commencer par remarquer que la recherche urbaine en Amérique Latine a été
engagée dans les années 1940 dans les pays les plus anciennement urbanisés (Brésil,
Mexique, Vénézuela, Pérou), principalement par des géographes, sociologues et architectes,
dans la lignée des études françaises et américaines, par le biais de partenariats interuniversitaires. On peut distinguer plusieurs mouvements, depuis les années cinquante
jusqu'aux quatre-vingt dix, qui montrent une évolution dans la mise en place de paradigmes
urbains. Le premier d'entre eux a été celui de la « sururbanisation », qui coïncide avec le
constat d'une ville ne pouvant plus remplir ses fonctions et accueillir tous les migrants ruraux.
A cette phase a succédé une idée de dualité ville-campagne, qui a progressivement glissé vers
les paradigmes de marginalité et de « spoliation urbaine », celle-ci ancrée dans le contexte de
la montée du marxisme -intégrant donc une forte dimension politique au phénomène
d'inégalité sociale- et incarnée dans des auteurs tels que Manuel Castells et Henri Lefevbre.
Cette analyse insistait sur la dimension politique de l'urbanisation tout comme elle soulignait
la « double spoliation » des classes populaires : en tant que main-d'oeuvre asservie au capital
et en tant que citadins soumis à la logique de l'expansion métropolitaine qui, de plus en plus,
14
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
refusait à la classe ouvrière l'accès aux services de consommation collectifs. Le thème de
l'appauvrissement continu des populations a pris de plus en plus de place, et par là,
l'importance de s'intéresser à « la base », au local, a émergé. A partir des années quatre-vingt
dix, c'est la question de la ségrégation socio-spatiale et de son rôle dans la reproduction des
classes qui sont interrogés. En parallèle, les notions de planification et de plan directeur
s'ancrent progressivement dans les modus operandi des pouvoirs locaux (L. Valladares et M.
Prates Coelho). Puisque la recherche sud-américaine est très liée à la recherche française, il
convient de noter également cette rupture dont beaucoup d'auteurs font état (M. Segaud, A.
Raulin), dans les années soixante-dix et dans le cadre de l'architecture urbaine: le
fonctionnalisme de Le Corbusier et la Chartes d'Athènes8, jusque là prédominant dans les
conceptions urbaines, est remis en question face à l'échec des grands ensembles des banlieues
françaises; c'est alors que la prospective urbaine prend un certain « tournant qualitatif ».
Il est assez difficile de synthétiser et même de classifier les courants de pensées qui
impriment leur marque à la ville, car celle-ci est un objet multi-disciplinaire -nous distinguons
ce terme de celui de « pluridisciplinaire » qui en serait la version efficace et fructueuse. A
l'inverse, la multi-disciplinarité sous-entend une superposition des approches autour d'un objet
défini d'autant de manières différentes-. Cependant, en ce qui concerne notre objet, les
quartiers spontanés, on constate la mise en exergue d'un paradigme transversal à ces
disciplines (qui vont de l'architecture à l'économie en passant par l'histoire et bien sûr les
sciences sociales), à savoir celui de la ségrégation.
1-3-2 La rencontre du lieu et de l'exclusion: la ségrégation
La ville est une entité avant tout construite; on peut la découper et identifier des
espaces, des quartiers, aux caractéristiques physiques et aux « fonctions » distinctes (centre,
périphérie, banlieue...). A travers le concept d'espace social, des recherches interrogent le
rapport entre spécificités de l'espace géographique intra-urbain et les identités sociales des
8 « La Charte d'Athènes a été étudiée lors du IVe Congrès des CIAM (Congrès international d'architecture
moderne) en 1993 à Athènes. Le thème de ce congrès a été « La ville fonctionnelle » où ont débattu urbanistes et
architectes sur l‟application d‟une extension rationnelle des quartiers modernes. Sous l‟égide de Le Corbusier, la
Charte d‟Athènes en a constitué l‟aboutissement de ce rassemblement. Cette charte, établissant 95 points d‟un
programme pour la planification et la construction des villes, porte sur des sujets comme les tours d‟habitation, la
séparation des zones résidentielles et les voies de transport ainsi que la préservation des quartiers historiques et
autres bâtiments préexistants. Le principal concept sous-jacent a été la création de zones indépendantes pour les
quatre « fonctions » : la vie, le travail, les loisirs et les infrastructures de transport. » Wikipedia, consulté le 25
Mars 2010
15
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
habitants. Cherchant à caractériser des catégories sociales, selon non-seulement les niveaux et
modes de vies des habitants mais aussi selon leur inscription dans l'espace, on pense alors la
ville selon une échelle d'intégration qui met en interdépendance le lieu et ses habitants. Les
premiers travaux ayant procédé de cette approche sont ceux, fondateurs, de l'Ecole de
Chicago. Ayant fait de cette ville un laboratoire à ciel ouvert, les chercheurs Park et Wirth,
notamment, se sont attachés à montrer la répartition de la population en anneaux
concentriques autour du centre-ville, zones différenciées notamment par des critères
d'appartenance ethniques et de classes socio-économiques. Une autre des théories de cette
Ecole est celle des « aires naturelles », qui montre comment des secteurs s'étant constitués
« naturellement » trient et filtrent les individus en fonction de critères d'appartenance.
L'impossibilité pour certaines populations d'accéder, matériellement ou socialement, à
l'ensemble de la ville, a introduit la notion de « ségrégation » dans la perception urbaine. La
figure la plus cristallisée de cette interdépendance entre espace et intégration à la vie sociale
est celle du ghetto. Ce terme désignait historiquement des quartiers dans les villes
européennes, nettement délimités dans l'espace, réservés aux Juifs et à leurs pratiques. Par
extension, on a dénommé ainsi des formes de quartiers réservés à une catégorie ethnique de la
population, notamment les Noirs dans l‟Afrique du Sud de l'Apartheid, dont l'exclusion d'une
bonne partie de l'espace physique de la ville était l'instrument premier de leur exclusion
sociale. Le ghetto est donc la forme la plus radicale de cette rencontre de l'exclusion et du
territoire, que l'on peut nommer « ségrégation ». Cette ségrégation, si elle ne prend plus -ou
rarement- aujourd'hui la forme claire du ghetto, est inhérente à la métropole qui nonseulement « échoue » à réaliser l'idéal de mixité sociale, mais qui, en opposition à celui-ci, se
construit sur des bases de distinction économiques et sociales entre groupes et individus. Cette
distinction s'observe principalement au sein des espaces résidentiels, les quartiers d'affaires ou
commerciaux étant des espaces publics plus indistincts. Ce sont bien les quartiers résidentiels
qui matérialisent l' « appartenance sociale », et on le voit bien avec des exemples aussi
éloignés que ceux des corons (habitat ouvrier du nord de la France) et des gated communities
(lotissement de résidences bourgeoises à accès restreint, souvent ceint d'un mur et gardé par
un vigile, apparu aux Etats-Unis et se développant beaucoup en Amérique Latine) qui
résultent d'une volonté de différentiation sociale par le bâti; le quartier, destiné à une certaine
catégorie de population, distingue celle-ci de la masse informe de la ville, causant une
« boucle de rétroaction », pour emprunter une image à la climatologie, ces formes
particulières d'implantation spatiale et de mode de vie augmentant la stigmatisation à l 'égard
des habitants du quartier. En effet, dans ces cas là, la forme d'occupation de l'espace devient
un critère de différenciation sociale qui stigmatise le groupe et donc aussi l'individu.
16
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
Toutefois, l'intérêt de la question de la ségrégation urbaine, celle qui occupe les
chercheurs, c'est bien celle de la tension entre l'exclusion sociale et l'appartenance territoriale;
tension, va-et-vient entre les déterminants socio-économiques et territoriaux qui se
rencontrent et se renforcent mutuellement. Il est réducteur de penser un lien déterminant entre
les deux facteurs, qui occulte les trajectoires et les rôles individuels. Pour comprendre la
multiplicité des situations de ségrégation, nous pouvons nous en référer aux travaux de
Thomas Schelling, économiste ayant mis à jour la « théorie des jeux »9. Celui-ci constate trois
processus essentiels de ségrégation: un premier relève d'une action organisée, volontaire, qui
peut être « subtile ou criante, directe ou indirecte, aimable ou malveillante, moraliste ou
pragmatique » (: par exemple le ghetto). Une seconde forme de ségrégation relève à l'inverse
de « simples inégalités produites par différenciation sociale », qui ne se manifestent pas que
dans le lieu de résidence, mais aussi à l'école, dans les loisirs, les relations amicales, etc (par
exemple la ségrégation raciale, menant à la création de « quartiers de Noirs », « quartiers
Chinois »...). Enfin, l'auteur souligne une troisième forme de ségrégation qui relève de la
combinaison de comportements individuels discriminatoires, comportements qui n'alimentent
pas nécessairement une volonté de ségrégation, mais qui la créent de fait par un « processus
en chaîne ».
La complexité de la question tient donc du fait que les murs érigés autour d'un quartier
peuvent être de bien d'autres types que physiques: notamment l'absence de transports, de
connexion avec le reste de la ville, est un facteur bien connu d'exclusion. La position sociale
et la position territoriale sont donc intimement liées dans une dialectique que les sciences
sociales ont largement étudiée. Pour P. Bourdieu, qui dans La misère du monde a pensé une
sociologie des classes et leurs mécanismes de reproduction, « L'espace habité fonctionne
comme une sorte de symbolisation de l'espace social » (P. Bourdieu, 1993 : p161)10. L'espace
investit culturellement est donc le support premier des rapports sociaux; c'est ainsi que pour
penser le remède aux maux de la ville, on s'intéresse à l'articulation de ses territoires. Comme
nous l'avons signalé, cette logique peut facilement se pervertir en une approche déterministe;
c'est là, il nous semble, l'intérêt de l'approche anthropologique, qui, considérant l'individu
avant le groupe, peut accéder au paradigme de la ségrégation par le biais des représentations,
ce qui semble aider à ne pas poser de déterminisme spatial.
9 Cité par J.M Stébé In Sociologie urbaine , 2007 : p 38
10Cité par N. Bernard, In « La pauvreté dans son rapport à l‟espace : l‟introuvable mixité sociale ? », 2007 : p52
17
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
1-3-3 De la marginalité urbaine
Ce paradigme de la ségrégation socio-spatiale presque omniprésent dans la pensée
urbaine induit une manière de penser les quartiers spontanés sur le mode de la « marge ». En
Amérique Latine, la théorie de la marginalité a suivi et hérité de celle du dualisme
(villes/campagnes), en essayant d'expliquer que les pauvres récemment urbanisés ne
s'intégraient pas dans la vie et l'économie urbaines. Le concept de marginalité avait
initialement un fondement géographique et économique, mais s'est vite étendu à la sociologie
et à la psychologie. Dans les années 1970, pour certains auteurs inscrit dans la pensée
marxiste, tel Milton Santos, la question de la spatialisation de l'habitat n'est qu'une
caractéristique parmi d'autres du phénomène de marginalité, généré par des questions d'accès
à l'emploi, à la protection sociale, etc. De même, sur d'autres continents, l'idée de
« bisonvillisation » est utilisée pour signifier la marginalisation spatiale comme traduction
physique d'une marginalisation socio-économique. Si le ghetto tendait à montrer l'incapacité
de la ville à réaliser une mixité sociale, la « bidonvillisation » montre ce même échec, mais
cette fois sur la base de l'incapacité du développement à faire rentrer dans le rapport salarial la
totalité de la population urbaine (B. Lautier, 2006).
Cette notion de marge provient en effet de conceptions géographiques: la marge
renvoie étymologiquement à l'idée de bord, d'extrémité. Les marges « existent par rapport à
un système englobant et à son espace dont elles constituent la périphérie. Elles se
caractérisent par l'atténuation des facteurs de cohérence qui définissent le système. Par
rapport au centre, cela engendre une atténuation des critères et du sentiment
d'appartenance. » (Michel Rochefort;Frédéric Giraut, 2006 : p 14). Ce système formé par la
ville articulé autour de centre et périphéries fait l'objet de théorisation dans le champ de la
recherche géographique, qui s'intéresse à la « spatialité des sociétés », et qui a partiellement
mis au point une théorie de l'analyse spatiale. Cette théorie se propose d'expliquer la
localisation et la distribution des activités humaines, à partir d'une analyse des comportements
et représentations dans l'espace. Cette discipline géographique a donc mis à jour des modèles
qui s'appliquent principalement à la ville, autour notamment des théories des lieux centraux,
de la polarisation, ou de la diffusion hiérarchique. L'utilisation des modèles tel quel que le
modèle gravitaire, par exemple, formulé par analogie avec la loi de gravitation universelle de
Newton, permet entre autres de faire des prévisions à moyen terme sur les flux de migrations
inter-urbaines ou sur les besoins en infrastructures de transport 11.
Jusqu'ici nous avons présenté la notion de marginalité comme une articulation entre
11 « Théories de l'analyse spatiale » et « Modèle gravitaire », consultés sur www.hypergeo.eu le 10 mars 2010.
18
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
centre et périphérie. Mais l'étude des marges s'est aussi placée à l'intérieur de celles-ci, pour
en produire une approche qualitative, s'intéressant à l'organisation des quartiers, à leurs codes,
aux récits de vies, aux représentations. C'est ainsi que le paradigme de la marge urbaine s'est
progressivement détourné des phénomènes de ségrégation et d'exclusion, pour mettre en
valeur le lien social, l'inventivité et la capacité créatrice des habitants des territoires
marginalisés. Cette entrée dans les quartiers marginalisés s'est doublée d'une atténuation de la
notion de territoire dans la problématique sociologique de l'exclusion, qui fait aujourd'hui une
large place aux trajectoires individuelles, à la connaissance de nouvelles catégories d'exclus,
etc. C'est ainsi que l'on a mis à jour des figures de riches entrepreneurs issus des quartiers
marginalisés, et de « pauvres » évoluant dans un milieu intégré (mendiants mais aussi
étudiants ou femmes seules avec enfants).
Il existe donc aujourd'hui une large part de la sociologie urbaine (tout comme de la
géographie ou de l'économie) qui s'attache à montrer la cohérence interne de ces quartiers,
notamment des quartiers spontanés, qui sont parmi les plus marginalisés. On peut en prendre
pour illustration un article de Sophie Blanchard (2006), chercheuse en géographie urbaine,
étudiant notamment la relation entre territoire et identité des migrants indiens en Bolivie. Ici,
il s'agit de montrer comme ces migrants venant de l'Altiplano (plaines en altitude sur la
Cordillère des Andes), descendus dans la région de Santa Cruz, vallées de prospérité
économique, se regroupent aux marges de la ville entre « indiens » migrants et rejetés pour
des raisons culturelles par une majeure partie des habitants de la vallée amazonienne.
L'auteure, après avoir décrit les difficultés d'insertion économique et les stigmatisations dont
sont victimes les migrants, met l'accent sur la différenciation entre ville normée et quartiers
spontanés, qui se marque par une nette coupure dans le paysage, les paysans indiens ayant
tendance à recréer en marge de la ville des modèles de maison en terre qui sont leur habitat
courant dans les montagnes andines; ces quartiers se distinguent par une « urbanisation du
manque, de l'inachevé, du provisoire ». Une fois expliquée cette articulation entre centre et
marge, l'auteure « entre » dans les quartiers et s'applique à distinguer des centres alternatifs,
des réseaux économiques parallèles, des ressources culturelles (centres sportifs). Montrant
également la violence et l'insécurité, elle souligne pour conclure des regroupements et une
organisation locale fondateurs, autour de rituels, fêtes et solidarité, qui recréeraient une
organisation villageoise, et où se jouerait, peut-être, la reconstruction culturelle nationale
bolivienne permettant de passer outre les virulents clivages entre « indiens » et « métissés ».
L'approche de l'auteure est donc intéressante en ce qu'elle permet de dépasser l'opposition
centre-périphérie et de se placer à l'intérieur des quartiers. Cependant, il y aurait là une autre
forme de « piège » épistémologique à éviter, qui consisterait à appliquer a priori le modèle
19
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
villageois au quartier, sur des indices tels que les lieux de vie et les manifestations publiques.
Ainsi remarque Michel Agier (1999 : p59) à propos d'un quartier de Guyane: « La « marge »,
la « séparation », sous des apparences de réalité, sont des notions qui relèvent déjà de
l'interprétation -une interprétation de type communautariste. Il n'y a en effet rien
d'exceptionnel en soi à ce qu'un quartier dispose d'un dispensaire, d'une maternité et d'une
école primaire. Nous ne savons pas si l'église ou le cimetière sont réservés aux seuls habitants
de l'Esmeralda, et la symbolique du mur n'est pas explicitée du point de vue des habitants. »
Pour conclure sur ce paradigme de la marge, il nous semble important de remarquer
que si le territoire est un facteur à prendre en compte dans les phénomènes d'exclusion, il ne
peut être considéré comme déterminant. On posera donc comme postulat que la qualité du
milieu de vie peut agir sur le sentiment d'exclusion des individus et des groupes, et c'est
pourquoi nous souhaitons montrer ce que l'anthropologie peut apporter comme analyse
qualitative de ces espaces de vie.
20
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
2-
Anthropologie de l’espace, anthropologie de l’habiter :
notions pour appréhender le quartier spontané
Nous souhaitons à présent montrer en quoi l‟anthropologie, par les objets qu‟elle se
donne et par sa méthodologie, peut contribuer à une compréhension fine de ces quartiers
spontanés, et, par conséquent, participer d‟une approche qualitative de leur renouvellement.
La notion de « renouvellement » est clairement posée comme un changement du cadre bâti.
On distingue donc bien ici la réhabilitation en tant que modification de l‟espace habité, de la
réhabilitation en tant que modification des conditions de vie en matière sanitaire et/ou légale.
Les opérations de réhabilitation auxquelles nous faisons référence sont celles qui, soit
modifient le parcellaire (voirie, lotissement…) à des degrés plus ou moins importants, soit
procèdent d‟un relogement complet.
Notre démarche consiste à qualifier ces lieux « en marge » en tant que systèmes cohérents
au sein desquels social et spatial sont intimement liés. Nous nous situons donc entre une
anthropologie de l‟espace qui explique le lieu comme une réalité en interaction avec
l‟individu, et une anthropologie de l‟habiter, fondée sur des descriptions ethnographiques
fines de différentes formes d‟habitat, qui montre la cohésion entre « chez-soi » et identité
sociale et personnelle.
2-1
Espace bâti, espace vécu
2-1-1 Un exemple pédagogique : l’habitat Bororo par Lévi Strauss
Pour ouvrir ce développement qui tend à montrer que l‟espace est à la fois producteur
et produit des organisations sociales, nous pouvons en appeler à un exemple emblématique
dans le champ anthropologique. C‟est dans ses « Tristes tropiques » (1955) que Claude LéviStrauss fournit une observation détaillée de la manière dont un village d‟Indiens Bororo est
organisé selon une disposition spatiale sphérique ; à cette disposition spatiale stricte
correspond une organisation sociale, qui se consolident mutuellement.
« Le village circulaire Kejara est tangent à la rive gauche du Rio Vermelho. Celui-ci
coule dans une direction approximative est-ouest. Un diamètre du village, théoriquement
parallèle au fleuve, partage la population en deux groupes : au nord les « cera », au sud les
« tugaré » […] la division est essentielle pour deux raisons : d’abord un individu appartient
21
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
toujours à la même moitié que sa mère ; ensuite, il ne peut épouser qu’un membre de l’autre
moitié […] au moment de son mariage un indigène masculin franchit le diamètre idéal qui
sépare les moitiés et s’en va résider de l’autre côté »12 On comprend à cette lecture comme
les relations sociales, hiérarchisées et ritualisées, prennent forme par le sol aménagé, pratiqué
et respecté.
Mais ce n‟est pas tout : l‟importance de cette organisation spatiale en tant que
participative de l‟identité des Bororo de Kejara est mise en évidence à la lumière d‟un
événement important, à savoir un renouvellement violent de l‟organisation spatiale de leur
habitat. Ce sont des missionnaires salésiens qui, voulant convertir ces populations, ont
regroupés les habitants du village dans une nouvelle structure : maisons communes à
plusieurs familles, disposées le long d‟une piste et se faisant face de chaque côté de cet axe.
La résultante de cette modification violente est décrite et interprétée par Lévi-Strauss :
« Désorientés par rapport aux points cardinaux, privés du plan qui fournit un argument à leur
savoir, les indigènes perdent rapidement le sens des traditions, comme si leurs systèmes social
et religieux étaient trop compliqués pour se passer du schéma rendu patent par le plan du
village et dont leurs gestes quotidiens rafraîchissent perpétuellement les contours. » (Ibid. p
111) On voit bien là comme non-seulement un schéma social « est rendu patent » par des
marqueurs spatiaux, mais aussi et surtout, comme la modification de ces référents engendre
une modification des représentations et habitus. Le pouvoir coercitif de l‟espace est mis en
évidence grâce à cette illustration.
2-1-2 Représentations et pratiques de l’espace : du corps humain
« Tout se rapporte au corps » ; concernant l‟espace, beaucoup d‟auteurs s‟accordent
sur cette assertion (ici R. Dragan, 1999 : p 281). D‟abord, les concepts qui fondent l‟espace se
fondent sur celui-ci : haut et bas, droite et gauche, la limite et l‟étendue, etc. Le corps semble
avoir été posé comme marqueur de l‟altérité (et donc de l‟identité) sociale et individuelle à
divers égards. Radu Dragan explique qu‟à la Renaissance, c‟est au corps humain que l‟on eut
recours pour établir un entre-deux entre l‟ici-bas et le monde divin ; il lui semble par ailleurs
que cette représentation date déjà des sociétés traditionnelles. De nombreux rites impliquent
le corps lorsqu‟il s‟agit de conjurer un passage vers l‟au-delà : passer sous un arche, faire
entrer ou sortir par une porte une femme menstruée, un nouveau-né,... Le corps de la femme,
le ventre, est l‟antre que l‟on quitte pour accéder à un dehors. Enfin, les flux que produit le
12
Cité par M. Segaud, In Anthropologie de l’espace, 2007 : p 110
22
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
corps sont indésirables et constitutifs d‟isolement et de tabous : « L’altérité n’est pas vécue
uniquement comme rapport à l’autre, mais aussi comme rapport à soi-même, en ce sens que
l’intérieur de son propre corps est tout aussi dangereux pour la société que l’étranger. Tous
les fluides qui sortent du corps sont dangereux (même si cela est parfois interprété de façon
contradictoire, comme pour le sperme et le lait) : les excréments, les crachats, le sang. Le
regard peut être lui aussi dangereux et souillant, ainsi que le rire, les toussotements ou tout
bruit « qui n’est pas à sa place » » (Ibid. p 290). Ce qui ressort ici, c‟est une liaison entre
emplacement, espace, et conventions sociales, liaison engendrée par « ce qu‟on ne peut pas
montrer », l‟intérieur du corps.
Invoquant l‟étymologie du mot « existence », Augustin Berque (2002) renvoie
également les modes d‟habiter au corps. Par « ex », on retrouve le mouvement vers le dehors,
rappelant les passages symboliques expliqués par R. Dragan. La seconde partie du mot en
latin, sistencia, vient du verbe sistere, qui signifie « se tenir », « se placer ». Ainsi, l‟être
humain est être au dehors de soi, déploiement vers l‟extérieur. Tout corps humain n‟est pas
que corps animal, mais corps médial ou corps social, composé pour moitié par le milieu.
L‟ensemble des relations de l‟humanité aux milieux forme l‟écoumène, la terre habitée,
résultante « du fait que notre monde est investi de notre corporéité, tandis que notre corps est
investi de notre mondanité. ». On peut rapprocher cette pensée de l‟école phénoménologique
qui explique d‟emblée qu‟être, venir au monde, c‟est avant tout être là, se situer dans une
localité et une communauté à un moment donné.
Le va-et-vient entre le corps et le monde est une idée que l‟on retrouve chez l‟un des
fondateurs de l‟anthropologie de l‟espace, Edward T. Hall. Dans son ouvrage « La dimension
cachée » (1966), il crée un néologisme pour désigner « l’ensemble des observations et
théories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel
spécifique » ( : p 13), qu‟il désigne donc sous le nom de proxémie. Le fondement de cette
pensée est que les hommes habitent des mondes sensoriels différents, façonnés par leurs
environnements ; c‟est ainsi qu‟en créant son monde, son « biotope », l‟homme détermine
l‟organisme qu‟il sera (il détermine la façon qu‟il aura d‟utiliser ses sens et donc d‟interpréter
le monde). Voilà pourquoi la notion de proxémie traduit le va-et-vient perpétuel entre le corps
de l‟homme et son environnement : « le rapport qui lie l’homme à la dimension culturelle se
caractérise par un façonnement réciproque » ( : p 17). L‟enjeu de cette posture est
immédiatement énoncé par Hall sous l‟angle qui nous intéresse : si les milieux forment
l‟homme, alors quels types d‟individus créent les hôpitaux psychiatriques, les prisons, les
taudis ? N‟y a-t-il pas un enjeu à la rénovation urbaine plus profond que celui de l‟intégration
23
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
économique de quartiers à la ville ?
Hall adopte une démarche comparative avec les recherches éthologiques, qui
présentent d‟importants avantages méthodologiques. Une première comparaison lui permet de
mettre en évidence la variation des besoins en espace de l‟homme selon son environnement ;
la notion de territorialité, notamment, fait partie du système de comportements communs aux
hommes et aux animaux. Il ressort des travaux éthologiques que le territoire doit remplir des
fonctions naturelles telles que fournir un terrain d‟apprentissage, de jeu, offrir la sécurité et
l‟intimité. C‟est ainsi que la territorialité coordonne les activités du groupe, assure sa cohésion
et régule la densité démographique. D‟autres notions sont interpellées à partir du
comportement animal, comme la « distance personnelle » (distance normale observée entre
deux membres d‟une même espèce, dont le franchissement entraîne un changement d‟attitude
entre les deux sujets), et la « distance sociale » (distance psychologique au-delà de laquelle la
séparation du groupe entraîne une anxiété). Hall remarque par exemple que les téléphones et
autres appareils de communication ont allongé la distance sociale de l‟homme.
Une idée nous intéresse particulièrement, celle du « cloaque comportemental ». Ce
terme est la traduction proposée par Hall de l‟anglais behavioural sink , terme de travail de
l‟éthologue John Calhoun étudiant les rats. Par cette expression, l‟éthologue désigne
l‟ensemble des aberrations grossières qui apparaissent dans le comportement des rats sous
certaines stimulations spatiales. Traçant un parallèle, Hall considère que l‟augmentation de la
densité démographique au-delà des limites naturelles dans des « enclaves » urbaines (ghettos,
banlieues…) mène à ce type de cloaque comportemental. Une solution existe, qui consiste à
« utiliser des artifices architectoniques pour contrecarrer les effets désastreux du cloaque
sans toutefois détruire l’enclave » ; c‟est à l‟empilement de l‟habitat qu‟il est ici fait
référence, et donc travaux d‟aménagement sous forme de tours et « barres » qui ont été
massivement développés aux Etats-Unis comme en France. Les travaux de Calhoun montrent
qu‟il suffit de placer les rats dans des boîtes séparées pour qu‟ils ne puissent se voir, de les
nourrir, pour pouvoir empiler indéfiniment les boîtes et donc augmenter la population en
évitant le phénomène de régulation naturelle (sujets qui s‟entre-tuent ou se « laissent »
mourir). Cependant, il ressort que les animaux enfermés de la sorte deviennent stupides. A
cette observation, Hall conclut : « La question qui se pose est donc de savoir jusqu’à quel
niveau de frustration sensorielle on est autorisé à descendre pour « caser » les humains. Nous
avons aujourd’hui un besoin désespéré de principes directeurs pour la conception d’espaces
susceptibles de maintenir une densité démographique satisfaisante, et d’assurer aux habitants
un taux de contacts et un niveau de participation convenables ainsi que le sentiment
permanent de leur identité ethnique » ( : p 206).
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DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
Si Hall a orienté cette œuvre vers une critique de l‟aménagement urbain aux EtatsUnis, et surtout sur la manière de « parquer » les minorités ethniques dans des immeubles
coercitifs non adaptés à leurs besoins en espace, il nous semble que la notion de proxémie
élaborée ici constitue une piste fiable pour l‟analyse des quartiers spontanés, et justifie par là
une approche anthropologique dans les opérations de réaménagement.
2-1-3 L’habiter
La notion d‟espace est directement liée à la perception spatiale de l‟homme. Celui-ci,
comme tout autre animal, a besoin d‟un lieu approprié, d‟un ancrage au monde, d‟un chez-soi.
Pour cela, l‟homme investit, structure, produit le lieu. L‟habiter recèle donc bien plus que
l‟acte de s‟abriter ou de se loger : c‟est une notion constitutive de la nature humaine.
La phénoménologie, que nous avons déjà évoquée, s‟intéresse donc à l‟acte d‟habiter
comme fondement de l‟être. Moles (1977) 13décrit l‟espace qui s‟étend autour du sujet comme
une série de « coquilles emboîtées », zones concentriques s‟éloignant progressivement du
corps vers le monde, différenciées par l‟individu selon ses représentations, son vécu, ses
expériences. En cela, occuper l‟espace suppose expression des émotions, du vécu,
extériorisation de l‟être, et particulièrement lorsqu‟il s‟agit du logement.
Perla Serfaty-Garzon (1999), qui s‟intéresse au chez-soi comme espace du quotidien,
définit l‟habiter selon trois étapes : l‟instauration d‟un dedans/dehors, la question de la
visibilité et du secret, et enfin l‟appropriation
• Le dedans/dehors : créer un lieu, c‟est d‟abord en poser les limites. Des frontières
internationales aux murs de la maison, les limites physiques distinguent une unité (le Moi)
face au « reste » du monde (le non-Moi). Cette séparation permet de concentrer l‟espace face
à l‟étendue, à l‟au-delà, et de créer autour de la personne, de la famille, un refuge, par un
mouvement de repli sur soi. Le dedans et le dehors ne sont pas opposés ou coupés de manière
imperméable ; c‟est une relation dialectique qui est établie par l‟habitant, qui peut choisir de
réguler son intimité au travers d‟espaces de contact, tels que sont la fenêtre et la porte
d‟entrée. Ceux-ci font du chez-soi le lieu depuis lequel on regarde le monde, mais aussi le lieu
de l‟hospitalité. La notion de seuil (l‟entrée de la maison) recèle à la fois les trois dimensions
spatiales, sociales et symboliques : disposition physique, il est à la fois statique et dynamique,
imposant un passage de l‟espace public à l‟espace privé, que l‟on accompagne de rituels (se
découvrir, se déchausser, etc) (Segaud ; 2007). Il permet de restreindre l‟accès à l‟espace
13
Moles, 1977, Philosophie de la centralité, cité par S. Vassart In « Habiter », 2006 : p. 9-19
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DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
privé, selon le statut du visiteur, grâce à des modulations ou aménagements. On peut ainsi
cantonner un visiteur dans une entrée, une véranda, un couloir, etc. Chaque culture produit sa
propre notion de seuil, imposant un franchissement plus ou moins ritualisé entre le dehors et
le dedans, et donc des dispositifs architecturaux tout aussi différents.
• Le caché et le visible : dans la continuité de la dialectique de l‟intérieur et de
l‟extérieur, se trouve celle du caché et du visible. La maison et ses habitants s‟exposent plus
ou moins au regard de la société ; elle permet de garder une part de secret, ou d‟extérioriser
son être, son mode de vie, ses revendications… Fermeture des portes, des fenêtres, des
armoires, puis cadenas que l‟on déverrouille à la faveur d‟une hospitalité grandissante.
• L‟appropriation de l‟espace : cette notion renvoie, d‟abord, à celle de territoire.
Celui-ci est l‟espace limité au sein duquel l‟intrus ne peut pénétrer sans violence (physique ou
symbolique). Par des actes de marquage, l‟individu s‟approprie matériellement et
psychologiquement le lieu ; le marquage est non-seulement la borne, la limite, mais aussi le
symbole qui va de la refonte de l‟espace (abattre un mur en emménageant dans un nouvel
appartement) jusqu‟au nom sur la boîte aux lettres, en passant par la décoration ou
l‟instauration de règles, explicites ou implicites, avec le voisinage. Il s‟agit donc d‟une
expression, d‟une extériorisation de soi, qui révèle la capacité de l‟habitant à l‟œuvre dans ses
gestes les plus humbles : entretenir, ranger, décorer, mettre en scène, cacher, etc. On parle ici
d‟une « syntaxe spatiale », engendrant l‟appropriation affective du lieu. Il nous apparaît
important de comprendre le processus qui transforme l‟espace bâti en lieu affectif, en chezsoi : selon Serfaty-Garzon, ce mouvement n‟a lieu qu‟à partir du moment où l‟individu crée
une intériorité, un for intérieur et, nourrissant une amitié à l‟égard de lui-même, cherche à
déployer ce « refuge intérieur » en une demeure objective : « Tant qu’un bâtiment est pur
abri, logement, tant qu’il est ustensile et instrument de protection contre les intempéries ou
les ennemis, réserve de nourriture ou espace fonctionnel, il n’a pas lieu comme demeure. Il ne
devient tel qu’après le mouvement d’attention et d’amitié de l’habitant envers lui-même.
Mouvement à partir duquel l’habitant peut agir sur le monde, adoucir ses rugosités, le
compartimenter par l’habitude en mondes familiers, répandre sur lui une douceur qui est
l’essence de l’habitabilité du monde et de l’appropriation de la demeure. » (P. SerfatyGarzon, 2003 : p 27). Par ailleurs, la relation affective et l‟appropriation sont également
fondées par la durée. Le temps constitue l‟une des modalités de l‟appropriation, témoignant
d‟une continuité. On y trouve une tension entre passé (ancêtres), présent et avenir
(descendance), le legs de la demeure familiale représentant une autre forme de passage.
C‟est ainsi que la légitimité de la propriété du chez-soi s‟établit de manière morale,
psychologique et affective, bien plus surement que par tout titre juridique. Ceci semble lié au
26
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
rapport profond entre appropriation et processus d‟humanisation : partant du travail de Marx,
P. Serfaty-Garzon explique que par l‟action sur la nature et la production d‟objets, l‟individu
transcende les savoirs et savoir-faire qui font de lui un être humain. Par ce travail, cette praxis,
l‟appropriation résulte d‟un accomplissement individuel et social. Enfin, l‟auteur souligne
que comme tout travail, l‟appropriation de l‟espace comporte le risque de l‟échec, et donc de
l‟aliénation (Ibid.). Nous insistons sur cette dernière observation, qui nous semble évoquer
les difficultés de la réhabilitation et du relogement.
2-2
Peut-on parler d’un habiter bidonvillois ?
2-2-1 L’enjeu d’établir une catégorie analytique fiable
Avant tout, nous tenons à préciser que l‟adjectif employé dans ce sous-titre l‟est par
défaut, puisque, comme nous l‟avons montré dans la première partie, le terme de
« bidonville » ne rassemble pas l‟ensemble des réalités que l‟on peut trouver dans le monde
de l‟habitat spontané ; cependant, le terme de « spontané » ayant aussi ses failles, nous avons
gardé l‟ « habitat bidonvillois » comme expression de référence, puisque celle-ci a déjà pu
être employée par certains auteurs (notamment dans le contexte marocain). Le terme est pour
nous un instrument de travail et non-pas une catégorie figée.
L‟anthropologie de l‟espace cherche donc à comprendre comment se crée le rapport de
l‟homme à l‟espace, en s‟appuyant pour partie sur des observations ethnographiques dans
diverses sociétés. Conduisant à l‟idée que l‟habiter est constitué d‟invariants tels que le genre,
la famille, le statut social, l‟orientation, l‟étude des différents modes d‟habiter révèle ce qu‟il
y a d‟universel dans ce rapport à l‟espace. Il faut remarquer que ces sociétés dans lesquelles
ont été étudiés ces invariants étaient considérées comme des systèmes complets et cohérents,
encore relativement résistants aux changements extérieurs, si bien qu‟il était possible de faire
de l‟espace quotidien un attribut spécifique de chacune de ces sociétés, pouvant les distinguer
les unes des autres ; on se trouvait au sein de sociétés « traditionnelles », prises comme des
entités relativement facile à déchiffrer, et où tout changement exogène relevait d‟une
perturbation violente dont les effets se laissaient interpréter. L‟exemple que nous avons cité du
réaménagement du village Bororo en est une parfaite illustration. En ce qui concerne nos
sociétés dites « modernes », selon Marion Segaud (2007 : p 89), seules quelques sociétés ont
fait l‟objet d‟une étude assez approfondie qui autorisent à parler d‟un habiter qui leur soit
27
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
propre : la société française, la société japonaise, la société maghrébine. Cependant, nous
sommes aujourd‟hui face à une nouvelle donne : la globalisation, et son expression dans le
mode de vie urbain, tendent à estomper les différences culturelles significatives, et à brouiller
les correspondances entre mode d‟habitat, configuration urbaine et types d‟usages. On
remarque que c‟est un phénomène qui arrive aussi bien « par le haut », par le biais
architectural voué au mythe de la modernité, que « par le bas », par l‟appropriation
quotidienne des habitants qui jouent entre normes et pratiques quotidiennes.
Voilà pourquoi l‟anthropologie de l‟habiter et de l‟espace doit aujourd‟hui s‟inscrire
dans une anthropologie de la modernité en mouvement et du changement. En effet, il est
impossible d‟appréhender une société comme une configuration permanente et figée. Sans
tomber dans le postulat d‟une « homogénéisation occidentale du monde » qui mènerait à une
impasse, ni en rester à une dichotomie tradition/modernité tout aussi stérile, il faut considérer
une tension entre uniformité et hétérogénéité, une rencontre en chaque société de résistances,
coexistences, transformations et emprunts. Marion Segaud propose donc, dans cette optique,
d‟orienter ce champ de recherche vers une anthropologie de l‟espace de l‟homme moderne,
dans une optique interculturelle et de regarder « les variétés des formes qui composent le
tout » (2007 : p152). En France, ce champ de recherche commence à s‟organiser sous les
notions de multiculturel, transculturel, métissage, hybridation, syncrétisme, entre-deux etc.
Cette piste nous semble la plus adaptée pour étudier les quartiers spontanés comme
objet anthropologique ; souvent qualifiés comme « non-lieux » sinon comme entre-deux
permanents, nous souhaiterons les montrer comme entités trouvant leur cohérence dans ce
métissage et ces reformulations permanentes.
2-2-2 Quels types de modèles culturels façonnent le quartier spontané?
A partir des pistes énoncées précédemment, nous allons nous intéresser à l‟espace et
ses représentations dans les quartiers spontanés, dont nous avons esquissé une ébauche dans la
première partie. Nous souhaitons toutefois prendre une double précaution : d‟une part, en
précisant que le propos ne prétend pas englober sous une vision unique et globale l‟ensemble
des situations et des modes d‟habiter que l‟on peut rencontrer dans le panorama des quartiers
spontanés, même réduit au continent latino-américain. D‟autre part, en avouant le caractère
quelque peu aventureux de ces propositions, puisqu‟aucune œuvre anthropologique n‟a pu
être invoquée sur ce thème précis qu‟est le rapport à l‟espace et à l‟habiter dans les quartiers
28
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
spontanés d‟Amérique Latine14. Nous nous appuierons donc sur trois études, pour les croiser
et essayer d‟en faire ressortir les convergences.
La première concerne l‟installation d‟immigrés Haïtiens autour de la ville de Cayenne,
en Guyane (Catherine Gorgeon ; 1985)15, la seconde, que nous avons déjà utilisée plus
haut, est celle de Sophie Blanchard sur les migrants andins dans la ville bolivienne de Santa
Cruz, et enfin, dans un contexte différent mais enrichissant dans cette triangulation, l‟étude de
Colette Pétonnet des bidonvilles parisiens (1985 : p15-54).
Face au « brouillage des pistes » que constitue le mode de vie urbain et moderne, nous
souhaitons nous tourner vers la notion de « modèle culturel », proposée par Henry Raymond
et Marion Segaud (2007). Celle-ci se rapproche de celle d‟ « habitus » développée par
Bourdieu (1972) : le modèle culturel indique les référents de l‟action qui sont incorporés dans
chaque individu, qui participe lui-même d‟une culture donnée. Ces référents, implicites ou
explicites, sont transmis à travers l‟éducation et guident nos pratiques et représentations. Ils
agissent sur les idées que nous nous faisons du rapport à l‟autre, des relations familiales, des
relations entre les genres, etc., et président au sens que nous donnons à chacun des espaces
domestiques et publics ainsi qu‟à leur relation. Les modèles culturels organisent donc la vie
quotidienne, individuelle et sociale : « Les transformations et les aménagements intérieurs
sont déterminés par les caractéristiques spatiales (formes, volumes, disposition…), qui
laissent plus ou moins de liberté à l’habitant pour modeler l’espace selon ses propres
critères, selon l’idée qu’il se fait de la vie de famille ou d’un espace privé. Ces pratiques de
réaménagement vont différer selon les individus dans la mesure où le sens qui est accordé à
l’espace varie en fonction du niveau social des individus, de leur âge, de leurs besoins, de la
particularité de leur itinéraire (naissance, divorce…), etc. » (N. Haumont, 1982-1986)16
La question est donc de savoir si l‟on peut parler d‟un « habiter bidonvillois »,
autrement dit, de voir quels sont les modèles culturels dominants qui entrent en jeu lorsqu‟il
s‟agit de renouveler ces quartiers. Pour mettre à jour ces modèles, qui diffèrent d‟un lieu à
l‟autre, l‟étude ethnographique nous semble indispensable. C‟est pour cela que nous avons
arrêté notre choix sur les trois études précédemment citées : la minutie des descriptions,
14
De nombreux travaux s‟intéressent à la vie sociale au sein de ces quartiers, d‟autres aux défis qu‟ils posent en
terme d‟insalubrité, de surpopulation et d‟insécurité, mais non aux représentations spatiales et modes d‟habiter. Il
est probable que ce type de recherche existe, notamment certaines thèses sur le continent latino-américain, mais
nous n‟avons pas pu y avoir accès.
15 15
Gorgeon Catherine, . Immigration clandestine et bidonvilles en Guyane, les Haïtiens à Cayenne. In: Revue
européenne de migrations internationales. Vol. 1 N°1. Septembre. pp. 143-158
16
Citée par S. Vassart, Ibid., p 9
29
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
embrassant à la fois installation physique et modes d‟organisation sociale, nous permet de
mettre à jour des constantes tout en discernant les particularités de chaque contexte. Il semble
ressortir deux dimensions principales que l‟on pourrait faire correspondre à des modèles
culturels plus ou moins efficients : d‟une part, la multiculturalité de ces bidonvilles, d‟autre
part, une situation d‟ « entre-deux » interminable. Ces deux facteurs agissent sur l‟espace en
le hiérarchisant et en venant jouer sur le processus d‟appropriation (l‟autorisant à des degrés
différenciés).
a) La multiculturalité :
Ce que nous entendons ici par « multiculturalité », c‟est le croisement des modèles
culturels. Croisement, puisque certains habitants arrivent d‟autres pays ou régions, mais aussi
puisque souvent, ce sont des habitants venant d‟un monde rural qui doivent apprivoiser la
ville. Ces différents « bagages culturels » concentrés en un lieu, en un espace qui va être
collectivement vécu, donnent naissance à un espace hybride, où se rencontrent les cultures et
les modes d‟habiter pour créer un « vivre ensemble » original.
Parfois, cette adaptation est difficile. L‟article de Sophie Blanchard nous en donne une
illustration parlante, en observant que les habitations construites par les migrants andins ne
sont pas adaptées au climat chaud et humide de la région de Santa Cruz. Elle y voit clairement
une persistance du modèle culturel de ces habitants, qui se démarque et du modèle local
traditionnel (un type de hutte rectangulaire au toit en feuilles de palmier), et du style colonial
dans lequel est bâtie Santa Cruz. Par ailleurs, on remarque également dans l‟article que ces
« migrants andins » ne constituent pas une unité puisqu‟on peut distinguer les Aymaras des
Quechuas ou encore des Ayoreos, autant de peuples indigènes aux cultures et aux langues
distinctes ; on regrette d‟ailleurs que l‟article n‟aille pas plus en profondeur dans l‟analyse de
cette rencontre (on ne sait pas s‟ils s‟installent en des lieux différents par exemple).
L‟article portant sur les bidonvilles de Cayenne nous apporte plus de précision sur
cette question du regroupement interethnique : les quartiers étudiés, répondant aux noms
d‟Eau-Lisette et Petit Bonhomme, sont constitués d‟habitants de nationalités diverses, à savoir
très peu de Français, des Saint-Luciens, des Guyanais, Antillais, Brésiliens et enfin des
Haïtiens. L‟auteur explique que la première image qui se dégage de ces quartiers, conforme à
celle que les habitants cherchent à en donner, est celle d‟une cohabitation interethnique
pacifique voire harmonieuse. On y insiste sur la dimension amicale, même si les relations
effectives entre différentes nationalités sont limitées ; on se salue, on se tolère, mais on ne
comprend pas bien l‟autre (les difficultés de langage sont souvent invoquées, ou tout
30
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
simplement la différence culturelle), donc on ne se mélange pas. Ainsi, au sein des quartiers,
les habitants se regroupent par identités ethniques ; les sous-groupes ainsi formés sont le lieu
d‟une solidarité répondant à l‟hostilité extérieure, celle de la ville. Pour reprendre alors l‟idée
des « coquilles emboitées» de Moles, formées par et autour de l‟individu selon son vécu et ses
représentations, il semble que le regroupement ethnique forme l‟une de ces coquilles, espace
intermédiaire spatialement délimité, entre l‟intimité (elle-même toute relative puisque
plusieurs familles peuvent vivre sous le même toit) de la baraque et le quartier formant une
autre limite (peu de visiteurs y pénètrent ; il est délimité physiquement, verbalement et
socialement par l‟imaginaire qu‟il véhicule), puis la ville comme « reste du monde ». Cette
coquille intermédiaire est le lieu où l‟on s‟entraide pour la construction d‟un logement, où les
femmes surveillent mutuellement leurs enfants, où l‟on partage les douches, moment intime
s‟il en est. Des espaces jouent le rôle de « nœuds », où l‟on se rencontre entre nationalités
différentes, pour jouer à la Borlète (sorte de Loto) ou pour se livrer à des activités
clandestines ; celles-ci (jeu, travail au noir, location immobilière frauduleuse), ayant leurs
propres exigences sociales, accommodent également l‟espace et les représentations : elles sont
« rejetées dans les endroits que l’on ne voit pas », mais semblent à la fois marquer une
rencontre privilégiée entre Haïtiens et Guyanais.
On retrouve exactement ces observations et interprétations dans l‟étude de Colette
Pétonnet : les habitants du bidonville sont de nationalités diverses (Espagnols, Marocains,
Gitans, Français venant du monde rural…) et vivent dans un équilibre entre regroupement
communautaire et organisation villageoise. C‟est que l‟auteure appelle une « répartition
rythmée », absolument nécessaire pour apprivoiser l‟hétérogénéité : « Son équilibre interne
[celui du bidonville] est basé sur le jeu des alliances et des rapports entre les hommes, le
groupe fondateur, même minoritaire, étant investi d’une légère autorité. Les regroupements de
villageois ne se juxtaposent pas, ils s’interpénètrent dans une sorte de rythme socio-spatial ;
Cette répartition, rythmée, autorise les individus, grâce à leur emplacement et à celui de leurs
alliés, à multiplier leurs trajets de manière à couvrir le territoire. Donc la répartition des
habitants, en favorisant les trajets, favorise les rencontres et engendre de nouvelles relations.
Non seulement elle rythme l’espace de points de repère mais elle rythme l’affectivité en
ouvrant l’éventail des rapports humains. Chacun pouvant se situer par rapport aux autres
dans un espace affectif, les différences sont respectées et une vie de quartier s’instaure.» (C.
Pétonnet, p : 51)
On voit donc que les modèles culturels agissent sur la pratique et l‟organisation sociospatiales ; on aimerait avoir plus de précision sur les constructions en elles-mêmes (sont-elles
différentes selon les groupes, ou les contraintes économiques modélisent-elles une
31
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
« habitation type » ?). Par ailleurs, si nous faisons le postulat que ce mode d‟habiter
multiculturel s‟instaure à son tour comme modèle culturel, c‟est que la plupart du temps, au
moment où ils ont les moyens de s‟installer « en ville », les habitants expriment un manque
quant à cette organisation (en opposition à la solitude ressentie notamment en appartement),
ou même, préfèrent consolider leur habitat, améliorer leurs conditions de vie dans le
bidonville même, plutôt que de le quitter. Ils invoquent alors ce besoin de solidarité de
voisinage. A l‟inverse, certains habitants expriment à un moment un sentiment d‟étouffement
par rapport à leur quartier, et un besoin de « partir vers la société plus lâche » (C. Pétonnet).
b) L’entre-deux :
Nous plaçons cette notion dans la continuité de la première. En effet, nous avons noté
les différentes appartenances culturelles des habitants, qui donnent lieu à une reconstruction
originale. Mais on peut aussi voir que les habitants sont dans un contexte de tiraillement (pas
nécessairement pris comme douloureux), entre une culture et une autre, ainsi qu‟entre un
passé et un « avenir meilleur », le présent étant sensé ne représenter qu‟une « étape de
transition ». Si certains utilisent le bidonville comme ce « sas d‟intégration » à la ville,
d‟autres érigent leurs quartiers avec l‟intention d‟y rester. Mais alors, les problèmes légaux et
la précarité économique et foncière viennent limiter l‟appropriation, et les maintiennent dans
un « entre-deux ». En quelques sortes, l‟entre-deux psychologique maintient les habitants
dans une appropriation socio-spatiale incomplète… et vice et versa.
On peut trouver un exemple de cet entre-deux qui se fonde et sur le rapport
passé/avenir, et sur le rapport appropriation/précarité dans l‟étude sur les bidonvilles de
Cayenne : l‟auteur explique que le premier groupe s‟étant installé en 1954 dans le quartier de
Petit Bonhomme a reçu l‟accord « amical » du propriétaire qui leur a permis de défricher et de
s‟installer. Ils ont même pu planter des arbres fruitiers et cultiver un jardin, tâche
d‟appropriation à la symbolique forte (rapport au sol, à sa fertilité, et au temps cyclique).
Progressivement sont arrivées des familles de Guyane et des Antilles françaises, puis des
Brésiliens et enfin des Haïtiens, jusqu‟à une importante « vague » d‟immigration de ces
derniers dans les années 1980 due à une crise particulièrement grave dans leur pays. Ainsi
l‟auteur observe une hiérarchie entre ces différents groupes, qui s‟incarne dans leur
installation spatiale et qui exprime leur sentiment d‟appartenance à la communauté : le groupe
des « Vieux habitants » composé par les pionniers, se marque par un retrait, des baraques
commodes et décorées, habitées d‟une seule famille. Le groupe des « immigrés en cours de
stabilisation » est formé de familles aux revenus satisfaisants, mais pas assez pour accéder à
32
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
un logement dans un autre quartier. Installés généralement depuis plus de cinq ans en Guyane,
ils considèrent leur immigration comme « quasi définitive ». Enfin, le groupe majoritaire est
celui des « jeunes immigrés célibataires », auquel peuvent être intégrés de jeunes ménages.
Leurs situations économiques sont variables, mais se rejoignent dans la précarité de leur
situation. Qu‟ils aient ou recherchent un emploi, ou soient dans l‟impossibilité de retourner
dans leur pays pour des raisons légales ou économiques, ils considèrent le quartier comme un
espace de transit. On remarque également que les habitants bâtisseurs sont relativement peu
nombreux, et que beaucoup se contentent de louer des baraquements ; une échelle
d‟intégration au quartier différencie donc également les propriétaires ayant bâti leur logement
des locataires, qui subissent des conditions de vie plus difficiles. Effectivement, lorsqu‟on
considère l‟habitat dans l‟ensemble de ses dimensions symboliques et affectives, telles que
nous avons pu le montrer précédemment, on comprend l‟enjeu qui se trouve entre location et
auto-construction. Eriger de ses propres mains permet déjà une expression physique, une
expression du Moi dans le monde, dont les locataires sont privés.
Selon Colette Pétonnet, l‟habitation recèle effectivement un art de vivre, une
adaptation du bâti à cette période d‟incertitude que vit l‟être « de passage » : « L’habitation
proprement dite est l’expression d’un mode d’être en mutation, et, comme telle, aussi variée
que les individus auxquels elle convient à un moment donné de leur histoire » (C. Pétonnet :
p 53). Y‟a-t-il alors un « type d‟habitat » exprimant la mutation ? On retrouve au sein des trois
articles cette même description d‟un habitat évolutif, constitué globalement d‟une pièce
simple et d‟adjonctions consécutives dans des matériaux divers et variés, consolidés si les
moyens le permettent. On peut citer l‟article décrivant l‟installation des migrants andins :
« Même si l’on observe des maisons faites de bric et de broc, elles ne sont le plus souvent que
la première étape d’une progressive consolidation de l’habitat. Les maisons ont une base en
dur, en général les murs de la pièce principale, et des extensions en matériaux plus précaires.
[…] Les maisons sont le plus souvent des bâtisses rectangulaires de plain-pied, parfois à un
étage, en briques et d’un seul tenant, avec un toit en tôle faiblement incliné. Elles sont de
taille réduite, une pièce le plus souvent au début, et les habitants les agrandissent petit à petit
en fonction de leurs rentrées d’argent. » (S. Blanchard : p 30). Le fait de retrouver ce
processus de construction dans tous les exemples étudiés peut vouloir montrer que le bâti
exprime l‟incertitude de leur établissement dans laquelle se trouvent les habitants
(conjointement aux difficultés économiques auxquelles ils sont confrontés) ; la prise de
possession du sol semblant tout aussi progressive que la création du sentiment
d‟appartenance. Sur ce thème, Perla Serfaty-Garzon, dans une réflexion sur « le chez-soi à
l‟épreuve des mobilités » (2006), met l‟accent sur ce mode d‟habiter qui recèle toujours en lui
33
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
premier mouvement de départ, ce départ qui a impliqué de quitter son système de référence
pour entrer dans une sorte de nomadisme ; sentiment de nomadisme qui se maintient au sein
du quartier spontané qui se dresse en regard de ville ancrée, forte, en regard du voisin qui
cultive son jardin et appartient au lieu. Elle souligne également le rôle très important des
émotions dans ce rapport au chez-soi mobile et incertain, et c‟est ainsi qu‟elle conclut, de
manière assez lyrique : « Mais le corps, le cœur et la raison, dans une configuration qui
change au cours du cycle de vie, sont, dans l’immigration et l’installation, toujours en
dialogue et en conflit. Ils tirent l’immigré d’un bord puis de l’autre, le faisant voir les choses
sous l’angle rationnel pour, l’instant d’après, lui faire ressentir des émotions obscures et
douloureuses, dont la source semblait pourtant tarie. C’est dans les fêlures et les failles entre
ces termes, dans cette triangulation que s’installe et s’exprime un sentiment du chez-soi à la
fois sûr de lui et incertain, hésitant et pourtant triomphant. » (P. Serfaty-Garzon, 2006 : p 32)
2-2-3 La réhabilitation : Une re-fondation ?
Nous avons abordé le rôle de l‟appropriation physique de l‟habitation comme une
expression nécessaire du Moi. Nous avons par ailleurs mis en évidence des caractéristiques
constantes du quartier spontané qui sont la multiculturalité et l‟entre-deux ; nous allons alors
essayer de voir comment ces donnés culturels jouent sur l‟appropriation, non-pas de la
maison, mais du quartier dans son ensemble, comme un tout cohérent.
Chacun s‟affirme par rapport à l‟autre : c‟est vrai lorsque l‟on parle d‟identité
personnelle tout comme dans le domaine plus particulier de l‟habiter, où l‟on crée sa « bulle »,
son foyer, comme une protection/expression au cœur de l‟altérité. C‟est ce paradoxe de la
limite « à double sens » qui va nous intéresser maintenant. Pour prendre possession d‟un
territoire, il faut d‟abord en tracer les limites : c‟est l‟un des premiers actes fondateurs. La
limite, loin d‟être uniquement matérielle, relève d‟une forte dimension symbolique. Radu
Dragan explique que la limite est la condition nécessaire pour rendre le rapport de classe
« possible et désirable », pour en faire un équilibre régulateur entre deux parties distinctes qui
s‟entretiennent. La limite serait un isolant spatial que l‟on édifie entre Moi et l‟autre ; cet
isolant, pour être approprié, doit relever d‟un effort, voire d‟un sacrifice : « Ainsi, la prise de
possession d’un territoire en l’encerclant a le même sens que le sacrifice de fondation :
l’énergie dépensée est l’équivalent de l’écoulement du sang. Dans les deux cas, il s’agit d’un
échange entre l’individu et l’espace, et le moyen terme de cet échange est son propre corps. »
(R. Dragan, 1999 : p 291). On retrouve ici le corps qui est médiateur, et ses flux, le sang,
34
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
assimilé à l‟énergie qui, si elle est offerte, légitime la propriété. Cette dimension de l‟effort
comme acte d‟appropriation peut être lu dans de nombreux récits d‟installation dans les
quartiers spontanés. On a déjà signalé le terme d‟ « habitants bâtisseurs » renfermant, pour
les auteurs qui l‟emploient, une légitimité et un respect qui s‟opposent au terme de
« squatteur », où l‟on verrait alors celui qui s‟approprie, qui usurpe en quelques sortes, sans
avoir produit l‟effort fondateur.
Un isolant doit dont être posé entre différentes classes, populations, ethnies, etc., pour
que chacun des groupes puisse affirmer son identité et occuper son espace dans un équilibre
avec l‟autre. Cependant, il est clair que la limite n‟est pas forcément nette et continue : elle
peut être poreuse, mouvante, ménager des entre-deux, des espaces intermédiaires… Elle peut
même ne pas avoir d‟expression spatiale. A ce titre, R. Dragan remarque qu‟en réalité, les
murailles les plus hautes sont celle dont le pouvoir est le plus faible. En effet, la raison d‟être
d‟une limite étant avant tout socio-psychologique, c‟est sur le plan moral qu‟elle trouve son
expression la plus forte. Pourquoi une haute muraille n‟a-t-elle aucun pouvoir ? Car elle
sépare des groupes qui n‟ont pas les mêmes valeurs, qui n‟habitent pas les mêmes mondes.
Alors, elle n‟est qu‟un obstacle physique dont on viendra à bout par un moyen ou un autre
(même la grande muraille de Chine a pu être franchie. Pour certains, elle avait plus vocation à
enserrer un territoire pour renforcer le sentiment de cohésion en son sein, qu‟à repousser une
quelconque attaque ennemie) (P. Picouet 2007). A contrario, une limite forgée au sein d‟un
ensemble culturel cohérent n‟a pas besoin de s‟exprimer physiquement pour être respectée,
car sa raison d‟être est comprise, intégrée. L‟enjeu représenté par son franchissement est bien
plus profond que celui d‟enjamber un mur : la violation de cette limite relève alors d‟une
violation grave, d‟ordre moral. Ou, si l‟on replace cette réflexion dans le cadre de nos
quartiers urbains, leurs limites avec le reste de la ville n‟est pas nécessairement physique,
mais les habitants des autres quartiers les connaissent; en les franchissant, ils ont conscience
de pénétrer un monde qui observe une hiérarchie, un mode de vie et un code de valeurs
différents des leurs, et savent qu‟ils s‟exposent à des dangers éventuels ; cette relation
suppose quand même des références communes et un monde partagé. Dans ce contexte, il
nous semble que l‟imaginaire collectif joue pour beaucoup ce rôle de frontière. Les discours,
politiques, médiatiques ou quotidiens, façonnent une imagerie et un vocabulaire communs
qui marquent des limites claires entre les quartiers spontanés et le reste de la ville. L‟intérêt de
certains habitants de ces quartiers de renforcer ces images parfois stigmatisantes, semble donc
de renforcer ces limites, pour affirmer l‟identité de leur quartier et donc leur propre
appartenance.
Ce que nous avons voulu faire ressortir, c‟est la symbolique forte qui se trouve dans
35
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
ces actes d‟habiter « en marge » dans des quartiers auto-construits. Ces quartiers sont les lieux
d‟une appropriation et d‟une identification intenses ; ils sont structurés spatialement et
socialement, et forment donc des entités « intégrées » en ce sens d‟un système interconnecté
entre dimensions sociales, morales, spatiales. C‟est d‟ailleurs pour cela que l‟on compare
généralement ces quartiers à des structures villageoises, en opposition à la métropole
individualiste produisant des identités collectives assez floues.
C‟est ainsi que nous en arrivons à ce questionnement sur la reformulation de ces
quartiers. Une reformulation telle que nous l‟entendons touche nécessairement à l‟un des
éléments qui forment cette cohérence : le bâti. Dans sa version la plus douce, la reformulation
va aménager le quartier en ouvrant et/ou goudronnant des voies, retracer le parcellaire en le
désengorgeant, etc. Dans sa version violente, la reformulation signifie tout simplement un
effacement du quartier, les habitants sont alors soit entièrement replacés sur un nouveau
terrain, soit placés dans des logements sociaux. Quoi qu‟il en soit, le système et l‟équilibre
créés sont modifiés. Le plus petit réaménagement porte en lui des bouleversements qu‟il
convient de prendre en compte : la création d‟une place publique relèvera d‟un nouvel espace
de rencontre qui, selon son emplacement, sa disposition, et bien d‟autres facteurs, pourra être
approprié de manière positive ou négative par le groupe (lieu de convivialité ou d‟activités
clandestines ? A quelles heures ? Qui en assure l‟entretien ? Etc.). De même, l‟ouverture
d‟une rue, voire d‟une avenue, ne ménageant pas de coins en retrait, laissant plonger le regard
de part en part, ouvrant des voies entre des groupes auparavant distingués, on le devine,
concoure à de profonds remaniements sociaux. Mais c‟est sur la question du déplacement que
nous souhaitons nous arrêter : puisque l‟acte de bâtir sa maison, de parcourir et d‟habiter le
quartier sont des moyens d‟appropriation non-seulement de cet espace mais aussi du monde
environnant, alors le déplacement semble incarner une réelle dépossession. C‟est pour cela
que l‟intégration des habitants au projet relève d‟un enjeu très important, pour pouvoir,
éventuellement, transformer cette perte en une re-fondation.
Plusieurs éléments nous guident vers cette possibilité d‟une re-fondation : d‟une part,
le rapport au sol vierge, et d‟autre part, l‟écriture de cette histoire par les habitants euxmêmes, pouvant faire figure de « mythe fondateur ». En effet, toute société se crée autour de
récits : contes, fables, mythes mettant en scène les divinités ou les ancêtres, sous diverses
symboliques qui forgent l‟identité de chaque société. A ce titre, Marion Segaud cite
régulièrement le mythe fondateur de Rome, dont les multiples versions ne recèlent pas l‟enjeu
narratif de savoir qui a fait quoi, mais bien celui de fonder Rome, autrement dit de donner au
récit le sens que l‟on veut donner à la cité. Le rôle du mythe est donc bien de créer une
36
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
identité collective, un référent, un commencement donnant sens au présent, par le biais de
personnages, de valeurs et de représentations communes.
Ce que nous avançons alors, c‟est que lors d‟une réhabilitation, d‟un déplacement,
l‟histoire commune a tout de l‟épopée. Le déplacement donne lieu à des aventures, des
batailles, qui sont dominées par des héros ; tout du moins, l‟aventure vécue par les habitants
fait nécessairement l‟objet d‟une « romantisation » par les récits du quotidien au coin de la rue
comme par ceux que relèguent les médias et/ou autres observateurs extérieurs. Si le
relogement fait l‟objet d‟une concertation avec les habitants, c‟est pour eux l‟occasion d‟être
les acteurs de ce récit, ce qui s‟inscrit dans l‟enjeu d‟appropriation. On peut peut-être alors
postuler que le « devenir imaginaire » du quartier se joue à ce moment, puisqu‟il s‟agit de
prendre possession d‟un lieu, il faut créer le récit de sa fondation, qui aura une influence
continue sur la perception d‟une identité commune ou non, d‟un lieu favorable ou non, d‟une
terre d‟accueil ou non.
2-3
La prise en compte des usages dans la conception
architecturale : « passer du vide au sens »
2-3-1 L’espace architectural est un espace euclidien et programmatique
Nous avons précédemment mis en avant le rapport interactif entre espace et habitant.
La question que nous souhaitons alors poser est celle du rôle des aménageurs et architectes
dans la création de l‟espace, puisqu‟ils sont les acteurs premiers de toute réhabilitation. Si
l‟anthropologue et le sociologue se tournent d‟emblée vers les dimensions implicites de
l‟habiter, les architectes ont une conception différente de l‟espace comme produit, que nous
allons ici essayer de décrire.
Comme nous l‟avons vu, le quartier spontané est entassement, désordre, accumulation.
Réhabiliter ces quartiers, quand il ne s‟agit pas de les déplacer, relève d‟une action de
réagencement qui commence par une reformulation du parcellaire. Agrandir les voies de
circulation, par exemple, fait partie de ces opérations qui s‟inscrivent dans une optique
d‟ordre pratique et sanitaire : on pense en référence aux travaux d‟Haussmann qui ont
retravaillé la structure parisienne en ouvrant de larges avenues au travers des ilots.
Particulièrement dans le cas de l‟Amérique Latine, la spatialité occidentale semble
dominer un peu partout dans le monde (Segaud 2007). Qu‟entendons-nous par « spatialité
occidentale » ? Celle-ci est construite sur une conception euclidienne de l‟espace, c„est-à-dire
37
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
rapportant celui-ci à une formule mathématique. L‟apothéose de cette conception se trouve
dans l‟œuvre de Le Corbusier et dans la Charte d‟Athènes qui promulgua en 1933 les
principes fondateurs de l‟architecture moderne. Les principes émis par Le Corbusier avaient
une ambition universelle ; selon lui, la géométrie devait permettre d‟appliquer les mêmes
principes en France, au Maroc ou au Brésil. Le tracé doit être régulateur et le bâtiment doit
exprimer la fonction. La ligne droite corrige, rectifie, là où « la rue courbe est l’effet du bon
plaisir, de la nonchalance, de la décontraction, de l’animalité »17. Un sociologue précurseur
dans le domaine de l‟architecture, Henry Raymond, définit l‟espace architectural ainsi conçu
par Le Corbusier en trois caractéristiques de base : c‟est un espace euclidien, ponctuel et
pragmatique.
•L‟espace euclidien : « objets géométriques simples, représentations perspectives
rigoureusement liées à la présentation globale de l’œuvre, impérialisme de la ligne droite »
(H. Raymond, 1973 : p 394-416)18 , tels en sont les préceptes fondateurs. Selon Le Corbusier,
les lignes claires et droites sont à l‟origine d‟un sentiment de bien-être, c‟est pourquoi il prône
« les joies de la géométrie » comme principe premier en architecture urbaine. Les architectes,
remarque Marion Segaud, apprennent à travailler sur des feuilles blanches, traçant des lignes
et des perspectives, faisant ainsi une abstraction maximum du contexte (physique mais aussi
historique et social) au sein duquel s‟érige le bâtiment. Si ces méthodes sont l‟apanage de
l‟école moderne, il semble que le processus continue d‟être enseigné et employé aujourd‟hui
(Segaud ; 2007 ; p 190).
•L‟espace ponctuel : l‟espace est envisagé comme un contenant peuplé de divers
événements architecturaux. Autrement dit, les éléments sont répartis dans l‟espace, sans
nécessité de continuité ou de cohérence que géométrique, ce qui est permis par une
« préparation » de l‟espace effaçant les particularités du site face à la trame transposée.
•L‟espace programmatique : on se trouve ici dans la conception temporelle du projet.
L‟espace est programmé selon un axe temporel, élément par élément, ce qui permet la
transposition en tout lieu d‟un même programme.
L‟œuvre de Le Corbusier était orientée vers un bien-être social universel, puisque ses
solutions architecturales visaient à offrir logements et « bonheur » dans la ligne et l‟angle
droit. Cependant, cette méthode de la tabula rasa, qui a été la méthode de réhabilitation et de
construction de nombreuses villes ou périphéries –on pense notamment à Brasilia-, relève
d‟une conception de l‟espace qui nie l‟habitant. On le voit lorsqu‟il parle des taudis : son
17
18
Le Corbusier, 1966, cité par M. Segaud, In Anthropologie de l’espace, 2007 : p 190
H. Raymond, 1973, cité par J.M Stébé ,In Architecture, urbanistique et société, 2002 : page 156
38
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
approche, qui se focalise sur les questions sanitaires, fait abstraction des personnes qui le
vivent comme un univers quotidien travaillé : « Le taudis est caractérisé par les signes
d’insuffisance de la surface habitable par personne, la médiocrité des ouvertures sur le
dehors, l’absence de soleil, la vétusté et la présence permanente de germes morbides,
l’absence ou l’insuffisance des installations sanitaires, la promiscuité provenant de
voisinages fâcheux. Le taudis est prolongé au dehors par l’étroitesse des rues sombres et le
manque total de ces espaces verts créateurs d’oxygène qui seraient si propices aux ébats des
enfants » (Le Corbusier, 1943)19. Ce qui semble ressortir d‟une telle conception, c‟est que tant
que ses besoins vitaux (logement, espace, lumière…) sont satisfaits, l‟homme peut s‟épanouir
pleinement. Or, nous pouvons rappeler ici la thèse de E.T Hall sur l‟environnement qui
façonne l‟être : puisque, des Etats-Unis au Maroc, des quartiers bourgeois à la campagne,
nous n‟habitons pas les mêmes mondes sensoriels, alors il est vain de tenter de répondre à des
« besoins » qui seraient « universaux ».
C‟est pourquoi, l‟aménagement urbain et l‟architecture, lorsqu‟ils imposent des tracés
et des formes, surtout au travers de la ligne droite et de la grille, expriment un fort pouvoir
coercitif sur les habitants pour qui ce mode d‟occupation de l‟espace n‟est pas
« culturellement spontané ». C‟est pourquoi ce type de transformation du territoire peut
donner lieu à une acculturation. On en a un exemple évident avec l‟utilisation du plan en
damier sur le sol Sud-américain lors de la colonisation, mais on peut également noter
qu‟auparavant, les Incas ont utilisé le même procédé pour assoir leur autorité sur le peuple
Aymara, en imposant une nouvelle orientation du territoire andin vers la capitale Inca, Cuzco.
De même on peut rappeler l‟exemple cité en entrée de l‟asservissement des Bororos au travers
de la reformulation de leur structure villageoise.
2-3-2 Les besoins et compétences des habitants
De quelle façon peut-on alors comprendre les besoins des habitants et inclure ces
besoins au projet architectural ?
Une méthode est proposée par certains techniciens qui s‟intitule « Analyse des besoins
des usagers »20 (ABU). Cette méthode doit rigoureusement employer des techniques de
collecte d‟information auprès d‟un échantillon d‟habitants, par le biais d‟entretiens et de
questionnaires. On s‟intéresse donc là aux désirs exprimés des personnes, dans un contexte
19
20
Le Corbusier, La Chartes d’Athènes, 1943, cité par J.Marc Stébé, Ibid.
Traduction de l‟américain « User Needs Analysis »
39
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
particulier, qui se distinguent des besoins déterminés par la recherche fondamentale.
Robert Sommer (2003), psychologue comportementaliste, dont les recherches sont à
placer dans le contexte de grands travaux urbains de la seconde moitié du XXème siècle,
principalement aux Etats-Unis, explique que cette rencontre première entre chercheurs et
techniciens était laborieuse : l‟information qui était fournie par les spécialistes (psychologues,
anthropologues, sociologues) aux praticiens nécessitait une traduction, qui limitait son
utilisation pratique (Sommer dénonce le recours à un « jargon » scientifique destiné à un
public avertit ; une communication de spécialiste à spécialiste, en cercle fermé). Par ailleurs,
un problème se posait entre eux sur la temporalité du projet, les architectes se plaignant de
réponses trop générales et trop tardives de la part des spécialistes, qui eux, reprochaient à
leurs collègues d‟attendre des réponses déterministes sur les schémas du comportement. Après
quelques temps de collaboration infructueuse, il semble que les chercheurs et techniciens
aient appris à poser des questions auxquelles l‟autre discipline pouvait répondre. Par ailleurs,
Sommer note que de nombreux architectes viennent puiser dans les sciences sociales pour se
forger une culture sur des théories générales telles que la perception, la vie sociale dans les
quartiers, etc.
La méthode ABU, quant à elle, se propose donc de se baser sur les « préférences
exprimées », et de recourir aux croquis et à la photographie pour simplifier le dialogue et
l‟expression par les habitants de ce qu‟ils désirent. Certaines écoles, comme la Urban
Development Corporation à New-York préconisent même aux architectes d‟habiter pour un
temps dans les lieux qu‟ils dessinent ou qu‟ils vont remodeler, dans le but d‟ « entrer en
contact direct avec les futurs occupants des lieux ». On se trouve là dans une démarche
anthropologique ; cependant les architectes semblent exprimer un certain désarmement face
au maniement de cette méthode. C‟est ce que l‟on comprend dans l‟expression de Neal Deasy,
qui vécut pendant une semaine sur un campus universitaire, lorsqu‟il dit s‟y être senti «aussi
visible qu’un animal imaginaire ». On trouve donc dans cette démarche ABU une profonde
dimension qualitative, mais qui ne saurait se passer pour autant de spécialistes des sciences
sociales.
Une fois que l‟on a mentionné la possibilité d‟une approche qualitative réunissant
techniciens et spécialistes, on n‟a rien dit du fond du problème, qui est celui de la traduction
en un projet, en une structure, des habitus et besoins d‟un groupe d‟individus.
En effet, un premier problème résulte du fait que l‟on travaille avec un groupe : celuici peut être unité mais aussi agglomération d‟individualités. Certaines questions amenées par
un projet mettent d‟ailleurs en lumière des conflits latents ou avérés entre différents groupes
40
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
d‟usagers. Un travail de médiation, d‟arbitrage est donc obligatoire, mais compliqué, pour
trouver un compromis, qui se situera dans le champ du « nécessaire commun », contournant
les désirs particuliers et donc controversés. A ce titre, Sommer précise qu‟il est primordial que
l‟usager interrogé aie foi en son pouvoir d‟influencer les décisions, sinon sa participation ne
serait que superficielle. Cependant, il faut faire attention à ne pas susciter de faux espoirs en
laissant croire aux enquêtés que leur participation aura valeur de « requête » ou de « bulletin
de vote ».
Partant, un champ d‟analyse se penche sur la distinction entre besoins et désirs, et le
compromis utilisé de façon pragmatique par les décideurs est celui de « besoins exprimés ».
On se trouve donc dans le domaine de la communication verbale et surtout de la compétence
verbale des habitants. La notion de compétence des habitants est la pierre angulaire des
projets fondés sur la participation. Cette compétence désigne la capacité des habitants à
produire et désigner leur espace, en puisant dans leurs modèles culturels. Nous avons abordé
plus haut cette notion, qui se rapporte à celle de l‟habitus entendue par Bourdieu, et reprend
cette idée que les besoins dits fondamentaux tels que manger, dormir, se reproduire, sont
universaux mais « se pratiquent » de manière différente au sein de chaque culture, et donc
s‟expriment dans des constructions et aménagements qui ne sont pas interchangeables ou
exportables. C‟est ainsi que, pour Henry Raymond, l‟architecte doit considérer l‟habitant nonpas comme un « être de besoins », mais bien comme un « être de pratiques » qui articule son
existence dans un espace hérité et en perpétuelle évolution. La compréhension de cet équilibre
est l‟enjeu pour l‟architecte : « L’architecte est, dans le domaine du logement, celui qui, à
partir de la connaissance des pratiques, interprète ces pratiques dans un espace de
représentation. C’est dire que sa tache est immense et périlleuse, car il ne s’agit pas de
reproduire des modèles « spontanés », qui du reste n’existent pas ou plus, mais d’interpréter
dans l’espace des pratiques virtuelles ; pour ne citer qu’un exemple : à quelles conditions
doit répondre un rebord de fenêtre s’il est situé au huitième étage ? (ce qui ne met pas en
cause le rebord mais la notion d’étage !) » (H. Raymond, 1974 : p50-53)21.
Pour revenir à notre réflexion sur la compétence des usagers, celle-ci est donc d‟abord
langagière, en ce qu‟elle s‟incarne dans la capacité de l‟individu à organiser la lisibilité de
l‟espace. Cette compétence s‟accompagne de la performance, puisque par le langage tout
comme par d‟autres biais comme la représentation graphique, l‟habitant peut définir
virtuellement l‟espace mais aussi le produire. Autrement dit, le « savoir dire » conditionne un
« art de faire » (M. de Certeau, 1980). C‟est à cette compétence des habitants que font appel
les projets participatifs ; cependant, la difficulté réside bien dans ce passage, cette
21
H. Raymond, 1974, cite par J-M Stébé, Ibid., p 221
41
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
transcendance d‟un signifié en un signifiant, qui doit amener à l‟érection d‟un bâtiment.
Henry Raymond propose deux notions pour passer du modèle culturel au bâtiment : la
commutation et la transmutation.
•La commutation : cette opération s‟appuie sur l‟existence de « types architecturaux »
qui se définissent par une structure de correspondance entre un espace construit et des valeurs
qui lui sont attribuées par le groupe social auquel cet espace est destiné (Devillers). Ainsi, le
mot « maison » est un commutateur servant de relais entre l‟habitant et l‟architecte ; ce
vocable désigne un ensemble de propriétés entendues entre interlocuteurs partageant un
système de valeurs.
•La transmutation : l‟étape suivante est l‟adjonction au bâti d‟éléments non signifiants,
et qui sont l‟œuvre de l‟architecte inscrivant sa réalisation dans le domaine de la Culture.
C‟est ce que H. Raymond appelle « la beauté du geste » ; l‟architecte, au travers du dessin,
assure le passage d‟éléments traditionnels à de « véritables standards diffusables ».
Une autre approche nous permet d‟aller plus loin dans la considération de la
compétence langagière des habitants. La limite de l‟approche d‟Henry Raymond, c‟est que le
« type » architectural ne fait sens qu‟entre acteurs partageant les mêmes modèles culturels, les
mêmes référents. Or, dans un projet d‟aménagement, et tout particulièrement dans un projet
de réhabilitation de quartier spontané qui peut être appuyé par des experts internationaux, les
interlocuteurs ne partagent pas nécessairement les mêmes référents culturels.
André-Frédéric Hoyaux (2003) propose une méthode s‟inscrivant dans une recherche
phénoménologique, qui paraît enrichissante pour notre sujet. En effet, ce qu‟il propose, c‟est
de reconnaître aux habitants, non-seulement la capacité à exprimer leur réalité par un
discours, mais aussi la capacité d‟expliciter eux-mêmes ce discours, rôle traditionnellement
impartit au chercheur. Selon A.F Hoyaux, l‟explication par le chercheur de ces discours, selon
ses propres cadres de représentation, mènerait à un hiatus herméneutique entre ce que
l’habitant dit et le sens de ce qu’il dit. Pour éviter ce hiatus, il faut donner l‟occasion à
l‟habitant de s‟expliquer, car le langage résulte en soi d‟une manière d’être au monde, et seul
le langage permet à une tierce personne d‟avoir accès à cette relation et au sens que chacun lui
donne. Il faut donc créer une méthode qui permette :
-d‟inviter l‟habitant à s‟exprimer sur le monde dans lequel il vit au quotidien dans sa
« banalité »
-de donner à l‟habitant la possibilité d‟expliquer lui-même, de lui-même et pour luimême cette relation au monde.
C‟est ainsi que le chercheur pourra comprendre les structures qui se mettent en place
42
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
chez l‟habitant pour « soutenir cette relation au monde », et surtout, en quoi ces structures
sont fondamentales pour la constitution même de cet être (« l‟être-là qui est au monde »,
comme le nomme exactement le champ phénoménologique).
.
Dans cette perspective, la méthode proposée par A.F Hoyaux est celle du double
entretien. Un premier entretien permet au chercheur de faire exprimer à l‟enquêté sa relation
au monde quotidien. Le second entretien permet au chercheur d‟exposer à son interlocuteur
les interprétations qu‟il a mises à jour a priori sur les significations que donne l‟habitant à son
univers, et ainsi d‟y apporter ensemble les modifications presque toujours nécessaires.
L‟auteur explique que cette démarche relève d‟une sorte de maïeutique permettant à l‟habitant
de remettre ses interprétations dans le contexte de son existence au monde et de sa vie en
général.
2-3-3 Peut-on envisager un « design social » ?
Cette dernière notion est une méthode de travail proposée par Robert Sommer (2003),
et relève d‟une tentative de croisement entre architecture et sciences du comportement.
Le premier trait caractéristique du design social est de faire participer les usagers (bien
distingués du client : par exemple une mairie ou une entreprise) à la planification et à la
gestion de l‟espace. Cette contribution de l‟usager doit être systématique pour que l‟on puisse
identifier un projet comme relevant du design social. Mais le concept ne s‟arrête pas à la
participation comme concertation ; il s‟agit de « développer une sensibilité à la beauté, un
sens des responsabilités par rapport à l’environnement de la planète et à d’autres créatures
vivantes », tout en compilant des informations sur les effets de l‟environnement bâti sur les
êtres humains. Ces objectifs ne peuvent être atteints qu‟avec le travail concerté de
professionnels de diverses disciplines, au sein d‟organisations de grande envergure.
Il s‟oppose donc au design formel sur plusieurs points fondamentaux : une approche
locale du bas vers le haut contre des références internationales, une approche tournée vers
l‟usager contre la seule prise en compte du propriétaire, le processus démocratique contre le
processus autoritaire… Ainsi Sommer inscrit le design dans un processus plus large
d‟activisme environnemental et de combat pour l‟application des Droits de l‟Homme. Il
relève même, selon l‟auteur, d‟un véritable mouvement idéologique dépassant les frontières
de l‟urbanisme, refusant ce système social où l‟argent fait loi (il s‟inscrit alors dans la période
des années 1970, mais il semble que le propos soit encore d‟actualité).
La définition du design social et son inscription dans un domaine plus vaste
43
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
d‟engagement pour la préservation des ressources naturelles, particulièrement les énergies
fossiles, nous rappelle deux moments fondamentaux que sont le Sommet de la Terre à Rio
(avec l‟adoption des Agenda 21) et la Charte d‟Aalborg. Celle-ci se présente comme une
« anti Charte d‟Athènes », puisqu‟elle prône une densité et une mixité des fonctions urbaines,
au service d‟un développement durable dont les villes entendent assumer la responsabilité22.
L‟Agenda 21 va dans le même sens mais à une échelle plus globale, puisque sa ratification est
internationale ; il s‟agit de rétablir un équilibre entre pays du Nord et pays du Sud, en
préservant les ressources naturelles et par une approche locale, redonnant aux collectivités une
certaine responsabilité.
Le design social s‟inscrit donc clairement dans cette veine (si l‟on peut dire, puisque
chronologiquement il a précédé ces deux traités) qui propose, à diverses échelles, de se
préoccuper du bien-être de chacun et des générations à venir.
22
Voir http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/agenda21/textes/aalborg.htm
44
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
3-
Quelle place pour l’anthropologue praticien au sein d’un
projet de réhabilitation ?
3-1- A quelles logiques les actions mises en place répondent-elles ?
Nous avons jusqu‟ici cherché à appréhender la question des quartiers spontanés de façon
assez théorique, en interrogeant les paradigmes de la ségrégation sociale puis de l‟habitat, qui
est la question clef de notre réflexion. Nous souhaitons à présent regarder du côté de l‟action,
nous intéresser aux modus operandi passés et en cours, en les mettant en perspective avec les
notions d‟habiter que l‟on a pu extraire.
Pour ce faire, il convient de tourner notre regard vers les acteurs des programmes et
projets, et de comprendre les raisons de leurs actions. Nous avons identifié deux
« entrées » menant à la réhabilitation des bidonvilles, qui sont l‟objectif de réduction de la
pauvreté, et la gestion urbaine où l‟on rassemble bonne gouvernance et développement urbain
durable.
3-1-1 L’entrée par la réduction de la pauvreté
La manière dont ont été traités les quartiers spontanés a beaucoup évolué à travers le
temps, et aujourd‟hui encore on trouve de nombreuses manières de faire. Dans un premier
temps, disons aux alentours des années 1950, même s‟il est délicat de dater de tels
phénomènes, l‟heure était plutôt à l‟ignorance. Beaucoup rappellent que ces quartiers
échappaient à la ville légale par le seul fait de ne pas apparaître sur les plans de la ville, ou
seulement comme des zones grisées indistinctes (fait noté entre autres par Virginie BabyCollin à propos des barrios de Caracas ; 2000). Cette négation de la réalité de ces quartiers
s‟appuyait sur une double argumentation : le phénomène était conjoncturel (dû à un exode
rural incontrôlé) et pouvait être régulé grâce à la croissance économique (UN Habitat).
Pendant ce temps, ce sont les idées de l‟architecture moderne édictées par Le Corbusier qui
dominent. Ainsi, alors que l‟on croit à la résorption spontanée des quartiers auto-construits,
des pays comme la Colombie, l‟Argentine ou Cuba expérimentent leurs premiers plans
d‟organisation spatiale, au travers des immeubles d‟habitation, du zonage fonctionnel…
(J. Lopez Pelaez, 2008)
45
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
Dans ce contexte d‟intensification de la planification et de forte croissance urbaine, la
Banque Mondiale commence à jouer un rôle prépondérant dans le traitement de l‟habitat
informel. On sait déjà l‟influence qu‟a cette institution en Amérique Centrale et Latine,
conjointement à d‟autres organisations « sœurs » comme le F.M.I ou l‟ONU. A partir de la fin
des années 1970, la Banque Mondiale émet des recommandations qui se fondent sur la
nécessité de réduire la pauvreté urbaine et d‟améliorer les conditions de vie des populations
les plus défavorisées, et donc notamment de tous les mal-logés. C‟est à cette période, sous
l‟égide de Mac Namara, Président de la B.M de 1968 à 1981, qu‟apparait la notion de
« satisfaction des besoins essentiels », qui doit aider la masse de population d‟un pays à
contribuer au développement économique national. Ainsi est prise en compte la nécessité pour
chacun de bénéficier d‟un logement. La politique alors mise en place par la B.M cherche à
offrir un parc de logements pour le plus grand nombre… Mais en adaptant son aide aux
ressources disponibles, au détriment de toute considération qualitative et sans même prendre
la juste mesure de ce que pouvait représenter cette question du logement des pauvres. Dans
une brochure éditée en 1975, les experts affirment que : « La seule façon de mettre un
logement adéquat à la portée d’un plus grand nombre en un laps de temps relativement court
est de réduire le coût de l’offre »23 ; il ne s‟agit donc pas là de trouver des solutions
techniques et architecturales adaptées à un logement souhaitable, mais bien d‟adapter le
logement aux ressources, ce qui n‟est possible qu‟en procédant à une réduction drastique des
normes de surface et de confort. Déjà largement critiquable en soi, cette doctrine n‟a pas
même atteint aux objectifs escomptés, puisque la production de ces parcs de logement a
finalement plus profité aux classes « moyennes basses », contribuant à renforcer le clivage
entre ville officielle et ville marginalisée (A. Osmont ; 1985).
On confirme cette information par l‟observation des politiques urbaines en Colombie,
où, à partir des années 1970, on retrouve cette entrée par la normalisation socio-économique.
De 1970 à 1974, un programme intitulé « Les quatre stratégies » centrait l‟effort sur la
production de logements sociaux et le renforcement du secteur de la construction,
conjointement à la création d‟un système de crédit pour l‟accès à la propriété.
Particulièrement, en 1971, un document intitulé « Normes minimales d‟urbanisation et
services publics et communautaires » oriente la question des quartiers spontanés vers la
construction de nouveaux logements et la normalisation des quartiers existants au travers de
standards minimaux, argumentant la nécessité, vraisemblablement à la suite des
23
Brochure Habitat. Politique sectorielle, éditée par la Banque mondiale en 1975, citée par A.Osmont
In « La banque mondiale et les politiques urbaines nationales », in Politique Africaine, Mars 1985,
n°17
46
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
recommandations de la B.M, de s‟adapter « aux possibilités et aux ressources d’un pays
pauvre ». Il semblerait que l‟ensemble de ces programmes, la normalisation du parcellaire,
accompagnée de l‟accès au crédit, ait contrebalancé le marché illégal en faveur des classes
populaires à revenu plus stable. Par ailleurs, ce type d‟action n‟a pas pu avoir une très large
portée, étant donné le faible nombre de terrains disponibles pour ces modes d‟organisation.
Avec le Sommet du Millénaire et la ratification des fameux Objectifs du Millénaire, le
contexte international des années 2000 remet à l‟ordre du jour la réhabilitation des quartiers
spontanés par le prisme de la lutte contre la pauvreté. La « cible 7.D » des O.M.D (Objectif
n°7 : Préserver l‟environnement) propose donc de « réduire sensiblement, d’ici à 2020, les
conditions de vie de 100 millions d’habitants des taudis ». Cet objectif peu significatif se base
sur un indicateur de la part d‟habitants urbains vivant dans un taudis, ceux-ci étant désignés
comme tels s‟ils répondent au moins à l‟une de ces conditions : Accès insuffisant à une source
d‟eau améliorée/ Accès insuffisant à des infrastructures d‟assainissement améliorées/
Surpeuplement (trois personnes par pièce)/ Habitations faites de matériaux non durables. On
peut remarquer d‟une part une définition faisant peu de place aux conditions locales (la notion
de surpeuplement n‟est manifestement pas la même en Asie qu‟en Europe ou en Afrique ;
qu‟est-ce qu‟un matériau durable et quelles sont les ressources usuelles ?...), ainsi qu‟un
objectif chiffré qui ne prend pas la juste mesure du phénomène. Cependant, cette conception
de la pauvreté urbaine comme phénomène à part entière dans la problématique du
développement donne naissance à de nouvelles politiques d‟action. La dépendance, la
vulnérabilité et l‟exclusion sociale sont des notions que l‟on prend en compte aux côtés des
problématiques plus connues de l‟accès à la santé, à l‟eau ou à l‟éducation (T. Paulais ; 2003).
Les bailleurs de fonds, dans leur jargon développementiste, fondamentalement anglophone,
promeuvent des projets sous la bannière de l’empowerment (insertion) de l‟urban poor,
termes parmi d‟autres invoqués autour de la problématique de la réhabilitation des quartiers
spontanés.
2-1-1 L’entrée par la gestion urbaine : vers la « bonne gouvernance » et le
développement urbain durable
On se place ici du côté de la production du système urbain. Peut-être moins
directement que par la lutte contre la pauvreté, le F.M.I et la Banque Mondiale ont influé sur
les manières de traiter les quartiers spontanés par leurs doctrines économiques :
déréglementation, privatisation, décentralisation, préservation des grands ensembles macroéconomiques, ont jalonné les années 1970 à 1990, jusqu‟à une remise en question de
47
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
l‟omnipotence du marché et une réaffirmation du rôle des Etats. Si nous prenons appui sur ces
doctrines, c‟est que leur influence sur les Etats du Sud et notamment d‟Amérique Latine a été
considérable, au point parfois de se substituer aux stratégies nationales. Prenant les
bidonvilles comme un « résidu » du développement économique, les mécanismes mis en
place devaient corriger ces « désajustements ». Les « thérapies » proposées en matière de
politique urbaines s‟appuyaient sur des fondamentaux tels que la réduction des interventions
publiques, le libre marché du logement, la limitation de l‟aide à la personne, la privatisation
du foncier et de l‟immobilier (V. Renard ; 2001)
Des outils sont imposés pour mener à bien les politiques urbaines, notamment la
planification urbaine, l‟aménagement du territoire ou la fiscalité foncière. L‟outil planification
n‟est pas anodin, en ce qu‟il recèle un certain mode de pensée, et ne peut porter ses fruits que
dans certaines conditions ; en Amérique Latine particulièrement, il semblerait que le plan
d‟urbanisme ne soit pas nécessairement considéré comme un moyen d‟action, oscillant parfois
entre « la simple explicitation visuelle d’une volonté politique et le pur exercice de
rhétorique » (V. Renard ; 2001). De même, les opérations de remembrement peuvent être
vécues comme une « dictature du parcellaire » ou inversement comme l‟expression de
l‟ « obligation sociale de propriété », selon les traditions et cultures politiques de chaque
nation ou localité. Un exemple patent est celui de la problématique qui oppose système
foncier moderne avec cadastre et titres de propriété, avec le système coutumier relevant de
traditions et de lois non écrites.
Pour reprendre notre exemple colombien, on remarque de nouveau une nette
adéquation des politiques mises en place avec les ordonnances des organismes internationaux.
Le contexte de décentralisation et de « démocratisation » des années 1980-1990 ont donné
lieu à l‟introduction en Colombie d‟une nouvelle politique de planification urbaine. Les
pouvoirs locaux (particulièrement les municipios : second niveau de division administrative)
se sont vus dotés d‟autonomie et de ressources financières et opérationnelles, et d‟autre part,
ont émergé à cette époque de nouvelles formes de démocratie participative, point essentiel
que nous allons détailler ci-après. En 1978, la « Loi organique de développement territorial »
comporte les principes généraux sur lesquels doivent s‟appuyer les municipios pour formuler
leur « Plan de développement » : atteindre l‟objectif de « conditions optimales dans le
domaine physique, économique, social et administratif » en se fondant sur les « techniques
modernes de planification urbaine et coordination urbaine régionale »24 . La nouvelle
Constitution de 1991 est clairement orientée vers l‟aménagement du territoire, la planification
et l‟intégration des objectifs environnementaux, le tout dirigé vers une occupation durable du
24
Loi 61 de 1978, Art. 3, cité epar Juanita López Peláez, Ibid.
48
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
territoire (J. Lopez Pelaez, 2008).
On a ici, dans les principes énoncés, tous les éléments qui président aujourd‟hui aux
politiques de la ville : équilibre social et développement durable. Ce revirement opéré par la
Banque Mondiale à la fin des années 1990 réintroduit le pouvoir de l‟Etat, la dimension
sociale et commence à prendre en compte une « durabilité » des infrastructures ; on peut
prendre pour marqueur le document édité par la B.M en 1999, intitulé « A strategic view of
urban and local governement issues : implications for the Bank », qui affirme tous ces
principes. En revenant du côté du social, de la société civile et de sa participation, on rejoint la
nécessité de s‟attaquer au phénomène des quartiers spontanés, mais par de nouvelles
méthodes qui impliquent participation et « bonne gouvernance ».
Ce terme de « bonne gouvernance » est primordial dans le monde développementiste
actuel ; il fait partie du jargon inévitable sous lequel on peut placer quantité de signifiés, et par
lequel on peut justifier quantité de projets, et l‟on en vient à substituer fréquemment ce terme
à celui de « démocratie ». C‟est le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD) qui a introduit ce vocable en 1997, par un document qui en proposait une définition à
but usuel pour les bailleurs internationaux. Le texte définit la « bonne gouvernance » par la
rencontre de l‟Etat, de la société civile et du privé, au sein de procédures incluant
participation, règle de droit, transparence, réactivité, équité, efficacité, efficience,
responsabilité (GEMDEV-AMODEV, 2008). La « bonne gouvernance » concerne donc
l‟exercice du pouvoir, économique, politique et administratif, auquel doivent participer toutes
les parties prenantes, et en premier lieu, les bénéficiaires des projets.
A ce titre, on peut remarquer en particulier la Déclaration de Caracas de 1991, qui a
édicté de grands principes pour le logement des plus pauvres, à savoir :
1. Connaître et reconnaître les dynamismes dont les quartiers populaires sont le siège
2. Consolider le statut des habitants
3. Rechercher des formes adaptées de représentation des habitants en complément de la
démocratie représentative
4. Transformer l‟action publique pour l‟amener à être plus globale, moins sectorisée
5. Subordonner les rythmes administratifs aux rythmes sociaux
6. Concevoir des financements adaptés aux moyens et préoccupations des habitants.
On voit donc que les années 1990 ont marqué l‟entrée dans une aire où participation
populaire et bonne gouvernance posent les grands principes de la gestion urbaine. C‟est sur
ces fondements que l‟on conçoit globalement les projets de réhabilitation urbaine aujourd‟hui,
même s‟il n‟y a pas de règle en la matière et que chaque projet relève d‟une articulation
particulière. Il est donc intéressant de prendre une certaine distance par rapport aux discours
49
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
des institutions, et de regarder ce qui est fait en pratique. A ce titre, on peut en référer à la
position de Téolinda Bolivar, connue pour son engagement personnel auprès des habitants des
barrios de Caracas. Celle-ci affirme la nécessité d‟une triangulation entre habitants
constructeurs, représentants du gouvernement et professionnels et/ou techniciens. Selon elle,
« Ce trio est indispensable au processus de production, de reproduction ou de transformation
de l’existant, pour garantir de bonnes conditions d’habitabilité. Omettre un seul de ses agents
sociaux implique que le résultat ne sera pas réalisable et n’atteindra pas le nécessaire
optimum. » (T. Bolivar, 2005) ; mais l‟originalité de sa position tient surtout en l‟affirmation
que les habitants seuls ne peuvent assurer un résultat matériel suffisant, ni garantir les services
et équipements nécessaires à l‟habitabilité d‟un territoire, et c‟est pourquoi les représentants
des pouvoirs publics doivent assurer aux habitants bâtisseurs le soutien de professionnels et
techniciens : elle s‟engage donc pour un appui des pouvoirs publics aux populations, non-pas
après-coup et dans une stratégie de « survie », mais bien auprès d‟eux au moment où ils en
ont besoin, au moins sur le plan technique pour éviter les désastres tels que la perte de vies
humaines dues à des installations précaires sur des terrains sujets à glissements.
3-1-3 Réhabilitation et best practices
En nous appuyant sur un bilan récent dressé par l‟UN Habitat 25 en matière de gestion
des bidonvilles, on constate que les pratiques « violentes » d‟éviction ou de déplacement ne
sont plus cautionnées, même si elles ont encore cours de manière sporadique. Pour autant, ces
procédés sont présentés comme acceptables si la démarche inclut une concertation avec les
habitants. Ainsi, les opérations de déplacement -resettlement- sont “au mieux, entreprises
avec l’accord et la coopération des ménages […]. Au pire, le déplacement est à peine mieux
qu’une éviction forcée, sans tentative de consultation ou de considération des conséquences
économiques et sociales du fait de déplacer des personnes vers des endroits distants, souvent
périphériques et sans accès aux infrastructures urbaines, aux services ou aux transports. »26.
D‟autres modes d‟opération, moins violents, ont donc été expérimentés, tel que
l‟amélioration progressive –in situ upgrading- qui se fonde plus sur la compréhension des
spécificités locales, notamment en matière d‟accès au foncier. Ce mode d‟opération agit sur
25
Brochure « The Challenge of slum : Global report on human settlement 2003 »
Traduction personelle de l‟anglais : « At best, relocation is undertaken with the agreement and cooperation of
the slum households involved […] At worst, resettlement is little better than forced eviction with no attempt at
consultation or consideration of the social and economic consequences of moving people to distant, often
peripheral, sites with no access to urban infrastructure,services or transport.”, Brochure UN Habitat p132
26
50
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
trois points, que sont la fourniture des services de base, l‟apport de politiques novatrices pour
l‟accès à la propriété, et l‟accès à de nouveaux systèmes de crédit. De tels projets avaient
l‟avantage d‟être peu couteux au regard d‟opérations comme le relogement, de montrer une
ample capacité d‟intervention (en termes quantitatifs), cependant, leurs limites ont été
montrées quant à la durabilité des effets, venant selon les experts d‟une rupture, d‟une noncommunication entre pouvoirs et population.
La « facilitation » -enabling policies- a été largement développée après la conférence
Habitat II de 1996, et s‟articulait entre les questions de sécurité foncière et de développement
économique, mais en mettant l‟accent sur le travail fondamental de partenariat avec les
populations aidées, non-seulement dans les processus d‟amélioration, mais aussi lors des
phases clés que sont les prises de décision et de conception du projet ; aujourd‟hui, cet accent
mis sur la mobilisation populaire est regardé comme un argument au désengagement des Etats
de la question de l‟habitat. Le rôle gouvernemental, au travers de délégations ou d‟agences,
était alors principalement d‟assurer qu‟un soutien était apporté aux opérations, mais dans la
pratique ce rôle a souvent été assumé par des associations locales ou des ONG internationales.
Aujourd‟hui, un modus operandi est proposé comme « best practice » dans le domaine
du traitement des quartiers spontanés, à savoir l‟ « amélioration participative » ; il est
considéré que plus la communauté est pauvre et enclavée, plus important devra être le
processus participatif. La participation n‟est pas demandée que sur le plan de la prise de
décision, mais également par une contribution financière, sensée assurer leur engagement et
leur « récompense »27. On se place ici dans une approche holiste qui cherche à considérer les
quartiers dans un ensemble de problématiques incluant la santé, l‟éducation, l‟habitat,
l‟environnement et le genre. De tels projets nécessitent une réelle cohésion entre les
différentes parties prenantes, notamment entre acteurs privés comme les associations et ONG,
Etat, et bénéficiaires.
Pour conclure cette revue, on remarquera forcément le manque sur la question de
l‟habitat : dans l‟ensemble des politiques que nous avons décrites, le logement est considéré
comme un « besoin essentiel », celui du toit, de l‟abri, ne prenant en compte que ses aspects
fonctionnels, occultant les principes de modes d’habiter, de modèles culturels et d‟intégration
à un monde médiatisée par le logement… Autrement dit, les dimensions qualitatives de
l‟habitat semblent largement occultées au profit d‟objectifs chiffrés. Comme le remarque
Annick Osmont, « les objets urbanistiques visent toujours à permettre l’accès d’une masse
croissante de population urbaine aux services urbains, notamment le logement, mais ils sont
27
« comitments and reward », dans le texte.
51
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
destinés avant tout à constituer les supports institutionnels, physiques, techniques et
financiers de la recherche d’une intégration économique plus satisfaisante des PVD à
l’échelle mondiale » ( 1985, p 9).
S‟il nous semble nécessaire de garder perpétuellement à l‟idée la prégnance de ces
logiques économiques, il faut par ailleurs remarquer que certaines expériences récentes se
distinguent justement par l‟attention apportée à l‟habitat ; nous en prendrons pour exemple le
programme Twize mené en Mauritanie par le GRET sur une période de dix ans, de 1998 à
2008. Ce programme comportait quatre volets, le principal étant la construction de logements,
accompagné
de
missions
de
microcrédit,
formation
et
appui
aux
activités
communautaires/projets de quartier. Le premier intérêt du programme est d‟avoir procédé par
une démarche participative et expérimentale, élargissant progressivement son champ d‟action
après apprentissage et validation sur un espace restreint. Cette démarche a été complétée par
une capitalisation qui semble assez exhaustive, prenant en compte l‟ensemble des impacts
amenés par le programme (mutations urbaines, socio-économiques, perceptions par les
habitants, attentes …) ; une attention particulière est notamment portée aux « modules »
(constructions simples pour les logements), à leur appropriation, à leurs défauts et à la
question de l‟amélioration de l‟habitat comme levier de réduction de la pauvreté. Les auteurs
se demandent ainsi si le programme s‟est contenté de construire des lotissements, ou s‟il est
parvenu à « faire de la ville », et si les bénéficiaires ont pu y créer du lien social et se projeter
dans leur quartier. Par ailleurs, les auteurs de la capitalisation font preuve d‟un réel sens
critique, lorsqu‟ils précisent la relativité des évaluations menées : « Nous émettons néanmoins
quelques réserves face à ces réponses sur l’amélioration des conditions d’hygiène, de santé et
de la sécurité car elles semblaient « toutes faites », formulées comme par habitude. Les
animateurs nous ont confié qu’ils n’avaient eu de cesse de répéter ces idées lors des journées
de sensibilisation. » (A. Choplin, 2009 : p 50).
Une telle approche nous semble non
seulement intéressante, mais surtout indispensable, et nous trouvons là une place de choix
pour l‟anthropologue praticien, ayant non-seulement des connaissances sur les principes de
l‟habiter mais aussi une capacité à poser un œil aiguisé sur l‟ensemble des parties prenantes
d‟un projet, du bénéficiaire au technicien, et à les mettre en perspective avec un contexte
donné (traditions, logique projet, poids des projets passés, etc.).
52
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
3-2- La « participation populaire » au cœur des pratiques de
réhabilitation
3-2-1 Articulation des projets autour du paradigme participatif
Le présupposé à toute « bonne gouvernance » est la participation de la société civile ;
il n‟y a plus un projet, tant dans le champ de l‟urbanisme que du développement, qui ne
fonctionne par processus participatif. Bien sûr, les « niveaux » de participation et leur
efficacité sont variables. Par ailleurs, il convient de remarquer que la participation de la
société civile dans de tels projets se distingue d‟une certaine méthodologie participative
inhérente aux projets de développement, employée dans un premier temps auprès des
populations rurales et étendue progressivement à divers types de projets. Cette méthodologie,
explicitement définie dans des manuels (méthode MARP, PIPO…)28, est un outil pour
comprendre l‟organisation, les représentations et les attentes d‟un groupe donné, parfois
divisé en « sous-catégories » séparant les femmes, les ménages à revenus faibles, moyens,
élevés, les notables, etc. Si ce type de méthodologie peut tout à fait être employé dans une
« approche quartier », généralement, la prise en compte de la société civile au sein de projets
urbains d‟une certaine ampleur passe plus par le dialogue avec des organisations déjà en
place ; c‟est très net notamment en Amérique Latine, où dans des pays comme le Brésil et le
Venezuela, les associations locales sont actives et efficaces. L‟agence des Nations Unies pour
l‟Habitat distingue ainsi d‟une part les associations dont le but est de promouvoir certains
droits, et plus généralement la démocratie, auprès de l‟Etat, et qui sont donc globalement les
grandes ONG, et d‟autre part les associations de quartier appelées dans le jargon
développementaliste les community-based organizations (CBO). Celles-ci, ancrées ou
occasionnelles, peuvent concerner aussi bien les loisirs qu‟un thème commun de
revendication, et sont prises en compte dans le sens où elles travaillent au développement de
leur communauté29. Ces CBO sont donc les interlocuteurs privilégiés des décideurs (Etat ou
coopération internationale), mais peuvent aussi constituer à eux seuls un levier de
développement local, lorsque le mouvement est assez solide et organisé.
On peut en prendre pour exemple une expérience brésilienne, située dans le quartier de
la Cité de Dieu à Rio de Janeiro, aujourd‟hui mondialement connu par le biais du film portant
le même nom. Dans ce quartier, la volonté populaire a permis de faire émerger une
organisation influente ayant mené à bien de nombreux projets pour les habitants. Le quartier
28
29
Pour plus de détail, se référer aux sites de la FAO, du Cota ou du GRET
Brochure UN Habitat p 148
53
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
regroupait depuis les années 1980 de nombreuses associations telles que groupes de samba,
ciné-clubs, églises actives, groupes de danse ou mouvement noir. C‟est en 2003 que,
cherchant à surmonter l‟isolement et les divisions qui opposaient certains groupes, les
associations ont donné naissance à un comité de quartier, appelé le Comité Communautaire de
Cité de Dieu. Dès 2004, le Comité a engagé deux projets de grande ampleur :
-Un relevé initial des demandes de la population locale incluant des thèmes comme le
travail, l‟emploi, l‟éducation, la santé, l‟environnement, le sport…
-L‟élaboration d‟un premier Plan pour le développement de Cité de Dieu, endossé par
un forum communautaire élargi, avec des directives tracées pour une période de cinq ans
(jusqu‟en 2009), comme instrument pour avancer vers l‟articulation de programmes, de
projets et d‟actions sociales à l‟œuvre dans le quartier, de même que vers la mise en place de
nouvelles initiatives au bénéfice de la communauté.
En 2006, le Comité a constitué sa forme juridique légale sous l‟appellation Agence
Cité de Dieu Développement Local, dont le principal but était la formation d‟un pouvoir
exécutif permettant de mener à bien les projets proposés. L‟Agence a pour associés et
dirigeants les organisations et associés liés au Comité, et elle a pu se former grâce au soutien
d‟un organe du gouvernement fédéral et de l‟Institut Brésilien d‟Analyses Sociales et
Economiques, ce qui atteste une certaine transparence et une efficacité communicationnelle.
On peut notamment remarquer parmi toutes les réalisations de l‟Agence, le projet de création
de logements sociaux pour 618 familles du quartier, qui reçoit le soutien de la Caisse
d‟Epargne Nationale et de la Municipalité de Rio de Janeiro. L‟intérêt particulier de ce projet
étant bien son impulsion par les habitants pour les habitants, par l‟intermédiaire du Forum
Communautaire dont les rencontres semestrielles réorientent les grandes lignes et priorités du
plan de développement local (C. Silveira, 2007). Ce cas est donc un parfait exemple de ce
que l‟on appelle un partenariat bottom-up, la société civile tirant à elle des soutiens
institutionnels, techniques et financiers pour réaliser un projet qu‟elle a elle-même élaboré.
Nous allons à présent montrer un exemple de participation au sein d‟un projet impulsé
par lune autorité et mettant en action toute une chaîne de « représentants », jusqu‟au plus petit
maillon, l‟habitant. Le contexte est toujours brésilien mais nous place à présent dans la ville
de Sao Paulo en 2002/2003. Il s‟agit d‟octroyer des titres de propriété à certains habitants
d‟un quartier ; cette action s‟insère dans un programme plus vaste appelé « Quartier Légal »,
développé par le Secrétariat Municipal au Logement (SEHAB). La chaîne organisationnelle
s‟articulait comme suit :
-La Coordination du programme appartint à la Superintendance de Logement
Populaire (HABI) qui fonctionne comme un département du Secrétariat au Logement et
54
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
Développement Urbain, organisme responsable du développement et de l‟implantation des
programmes et des projets d‟habitat, destinés à la population vivant en logement « sousnormal » (bidonvilles par exemple).
-HABI, quant à elle, est sous-divisée en trois départements. Cet organisme possède
une administration décentralisée dans diverses régions de Sao Paulo, qui sont dénommées
HABI- Régionales.
-Les HABI Régionales sont responsables de la réalisation du travail sur le terrain avec
l‟aide d‟entreprises recrutées.
-En plus de tous ces acteurs, pour la mise en place du programme, a été créé un groupe
de Régularisation, formé de juristes, sociologues, architectes et assistants sociaux.
Le projet avait l‟ambition de se fonder sur une forte dimension participative, cherchant
à favoriser un diagnostique collectif des problèmes du logement, et une participation active
des habitants dans le processus de légalisation. Ce processus participatif fut donc impulsé
localement par les HABI régionales. Celles-ci suivirent globalement la même méthode :
-Rencontre et dialogue avec les dirigeants des mouvements de lutte pour le logement
-Production de matériel didactique de divulgation du Programme (brochures,
dépliants, schémas…)
-Identification des meilleurs endroits dans la zone pour faire des réunions
-Journées de réunions et ateliers, pour la mobilisation autour des thèmes de
régularisation foncière
-identification de dirigeants (élection ou sélection de représentants faisant le lien avec
la population)
-Création d‟un Forum de discussion, avec pour objectif de « déclencher une
construction collective conjointement à la population organisée pour l’appropriation et la
discussion des concepts issus du nouveau jalon légal urbain » (K. Uzzo, 2005)
Nous n‟irons pas plus loin dans la description de ce programme, car la régularisation
foncière est un problème à part entière dans le contexte des quartiers spontanés, et il mériterait
d‟être traité spécifiquement. Ce que nous voulons retenir de cette expérience, c‟est la chaîne
descendante depuis l‟Etat (promulgation d‟une loi) vers les habitants. Deux points principaux
justifient la mise en œuvre de cette pyramide complexe : d‟une part, le fait que le changement
émane d‟un texte de loi, objet étranger et lointain, et d‟autre part, le fait qu‟une régularisation
soit un processus complexe, nécessitant un traitement au cas par cas, après analyse des
documents de chaque famille.
Cet exemple montre que ce qui est appelé « participation » au sein de projets urbains
peut relever d‟articulations complexes, non spontanées et donc surement biaisées.
55
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
3-2-2 La participation en question
Les processus participatifs font l‟objet d‟une analyse critique : depuis le champ de la
recherche à partir d‟études sur la gouvernance ou sur l‟aide au développement (Ph. LavigneDelville), mais aussi depuis le champ professionnel où certains praticiens n‟hésitent pas à
nuancer des méthodes devenues des « packs prêts à l‟emploi », en faveur d‟une analyse
approfondie des relations entre développeurs et habitants (L. Morlat).
Une première observation, qui peut être facilement lisible dans l‟exemple que nous
venons de détailler, tient à la légitimité des groupes de représentants mis en place autour d‟un
projet. Dans quelle mesure une population se reconnait-elle en un groupe créé ex nihilo par
une entité extérieure ? Les chercheurs du GEMDEV notent ainsi : «Les acteurs institués et
reconnus par les pouvoirs publics pour défendre les intérêts des habitants ne semblent pas
représentatifs du tissu social. Les organisations religieuses (et parfois maffieuses) implantées
dans certains quartiers marocains depuis longtemps ont plus de légitimité aux yeux des
habitants que des « amicales » créées de toutes pièces par les autorités » (GEMDEVAMODEV, 2008, p 17). Ce rapprochement des habitants à des groupes aux activités illégales
ou violentes est patent dans un pays comme le Brésil. Le chercheur Nicolas Bautès, qui étudie
de manière comparée la mobilisation dans les espaces de marge entre Inde et Brésil, explique
que ce rattachement spontané à des organisations mêmes mafieuses, plus qu‟à des groupes
« démocratiques » institués lors d‟un projet, tient d‟une logique d‟auto-protection. Les
rencontres ou « micro-mobilisations » des habitants sont continues dans l‟histoire d‟un
quartier ; elles engagent les habitants autour de leurs peurs quotidiennes communes (question
du logement notamment), mais sans nécessaire organisation. Ces « espaces de convictions »
sont pluriels et autonomes, et peuvent s‟inscrire dans une église mais aussi un gang. Au
moment du conflit, ces rencontres peuvent s‟intensifier pour créer des « espaces de
mobilisation » : c‟est bien la menace extérieure qui intensifie les liens. Les individus isolés se
rapprochent eux aussi de structures protectrices, et dans l‟espace de la favela brésilienne, il
semble ne s‟imposer que deux options aux habitants : les narcotrafiquants, ou le militantisme
(protection par le droit, par la société civile)30. Une telle lecture explique clairement pourquoi
des « espaces de participations » créés au moment du projet ne sont pas cohérents et peu
efficaces.
Une seconde observation, qui vient dans la continuité de la première, c‟est que la participation
n‟est pas mathématiquement égale ni à la transparence ni à l‟adhésion. Selon Ph. Lavigne30
Communication du Colloque SETUP du 2 février 2010, « Agir depuis les espaces de marge, mobilisations
individuelles et collectives, Inde-Brésil » -données personnelles-
56
DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
Delvigne (2005), le piège de la démarche participative résulte en trois grandes illusions :
l‟illusion de transparence, l‟illusion communautaire, et l‟illusion du consensus naturel. Il cite
Pottier (1991) pour expliquer le postulat sur lequel se fondent ces trois erreurs « tout ce que
vous avez à faire, c’est de demander. Ils savent et ils sont vos amis ». Si ces critiques de la
participation ont été formulées à partir de projets en milieu rural et principalement en Afrique,
elles restent tout aussi justes dans le contexte qui nous intéresse. En effet, un lieu commun
que nous avons évoqué dans la première partie, tend à coller au quartier une image villageoise
de cohésion, d‟identité culturelle et donc de système cohérent. Or, nous avons eu l‟occasion
de démontrer les systèmes de superpositions identitaires, les différents intérêts des habitants et
les logiques individuelles et collectives complexes : comme dans un village, il est « asociologique »
(Lavigne-Delvigne)
d‟appréhender
un
groupe
d‟habitants
de
manière
communautaire. Les illusions de transparence et de consensus tiennent donc à la complexité du
dialogue : un acteur articule différents rôles sociaux, qu‟il est en position d‟exprimer ou non face
à d‟autres acteurs qui tiennent une certaine place dans la hiérarchie locale ; à ces pressions il faut
ajouter le tempérament personnel, les ambitions, les stratégies, qui font qu‟un discours ne peut
être pris comme une vérité, et encore moins comme une caution à l‟action. Les chercheurs du
GEMDEV pointent donc du doigt cette manière de « fabriquer les décisions » et de légitimer, aux
yeux des habitants comme des praticiens, des décisions émanant « du haut » : « Ces différents
exemples illustrent deux tendances : d'une part, les mécanismes de la gouvernance tels qu’ils sont
édictés de manière technocratique par les institutions internationales correspondent à la mise en
oeuvre des politiques urbaines et des projets, sans que soient pris en compte la réalité concrète
des contextes (sociaux, économiques, culturels…) dans lesquels ils sont introduits. On constate
que souvent, à partir de questions techniques, les rouages politiques des gouvernements locaux et
nationaux sont déstabilisés ; ces derniers sont contraints de s’adapter à des normes importées et
mal appréhendées par la plupart des décideurs des Sud. D’autre part, si les modèles de
gouvernance prescrits « d’en haut » rencontrent des résultats mitigés (voire des échecs rompant
les équilibres sociaux et économiques établis par les gouvernements locaux et nationaux des pays
du Sud), les arrangements locaux et les systèmes hybrides développés à partir d’expériences
singulières montrent que des dispositifs de gouvernance tenant compte d’usages informels et
traditionnels sont porteurs d’efficacité et d’efficience à l’échelle municipale, même s’ils ne
répondent pas tout à fait aux normes internationales. » (GEMDEV-AMODEV, 2008 : p18)
Avant de proposer à l‟étude quelques-unes de ces alternatives, nous souhaitons souligner
que les écueils dans lesquels semble facilement tomber le processus participatif peuvent être
minimisés par une approche anthropologique pertinente, qui ne confonde pas les outils avec le
résultat (méthode MARP), qui s‟attache à décrypter les non-dits, les hiérarchies explicites mais
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DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
aussi sous-jacentes, les biais induits par la démarche projet, etc. Encore une fois, l‟anthropologue
praticien, ayant de solides connaissances dans son domaine d‟intervention, mais sachant
également être réactif « sur le terrain » face aux groupes sociaux et aux professionnels, peut
trouver une place de facilitateur et de « traducteur » qui serait peut-être l‟un des chaînons
manquants pour la réussite d‟un projet.
3-2-3 Alternatives Sud-Américaines pour le logement : l’exemple des
coopératives uruguayennes et brésiliennes
L‟Amérique du Sud est connue pour être un laboratoire d‟expérimentations sociales. Il
n‟est donc pas étonnant d‟y trouver développée une réponse alternative au problème de
l‟habitat des populations défavorisées. On retrouve une forme commune d‟organisation en
autogestion au Brésil et en Uruguay. Nous allons donc détailler ce fonctionnement émanent de
la société civile.
En Uruguay, ce mode d‟organisation en coopératives se dit « par aide mutuelle » (por
ayuda mutua). Les premières coopératives sont apparues en 1966, s‟appuyant sur une forte
tradition d‟auto-construction aidée par les proches (famille, amis). Dès 1968, l‟organisation en
coopératives pour la construction d‟habitations fut reconnue par la loi. C‟est ainsi que ce
mode d‟organisation commença à se développer dans le but d‟offrir les solutions les plus
économiques pour que les familles les plus modestes puissent accéder à un logement décent.
Cet aspect engagé est primordial dans ce monde coopératif ; en 1970 fut donc créée la
Fédération Uruguayenne de Coopératives de Logements par Aide Mutuelle (FUCVAM),
militant pour le droit des plus pauvres à une vie digne et se caractérisant par une forte
dimension solidaire et participative.
Le processus est celui-ci : à travers un regroupement en coopérative, les familles se
réunissent pour construire des logements et les services publics qui les entourent. Pour
l‟acquisition du terrain, les processus varient, et peuvent passer par une étape d‟occupation
illégale. Les financements pour l‟achat peuvent provenir d‟universités, de dons, d‟ONG… Les
familles réalisent bien sûr les travaux, mais discutent également chaque étape du travail par le
biais d‟une Assemblée. Elles choisissent le terrain, discutent avec les techniciens du projet
social (organisation, services communautaires), du projet urbanistique (espaces verts, locaux,
etc) et architectural (plan des maisons, chronogramme). Elles constituent la personne
juridique et portent leur projet devant l‟Etat (Ministère du logement). Toutes les familles sont
à la fois « entreprise, main d‟œuvre, administrateurs, destinataires et usagers ». Chaque
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DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
famille doit fournir au moins 21 heures de travail par semaine. Les maisons sont, à la fin,
attribuées aux familles par tirage au sort. Ainsi, la coopérative est fondée sur la solidarité,
l‟égalité, la participation, la propriété commune. Les tâches de direction et trésorerie sont
attribuée à des membres élus pour une période de deux ou trois ans.
Des recherches ont pu montrer les bienfaits de cette organisation en coopératives. Tout
d‟abord, assez évidemment, il y a un renforcement des liens de solidarité entre les membres
de la communauté. La communauté est perçue comme une ressource et renforce le sentiment
de sécurité ; partant, une progression de l‟idée de citoyenneté, une conscience de l‟acquisition
d‟un certain pouvoir collectif, le développement d‟un sens critique en politique. Enfin, ce type
d‟expérience est l‟occasion de révéler de réelles capacités à innover et à se confronter aux
difficultés, et permet l‟accès à un processus permanent d‟apprentissage et d‟éducation pour
tous les participants. On peut noter par ailleurs une réelle participation féminine dans la
réalisation du projet, par exemple sur des taches telles que l‟administration ou les services à la
personne.
Le même type de création en coopératives existe au Brésil „les coopératives y sont
nommées mutiroes), et les deux mouvements s‟alimentent l‟un l‟autre. Ils font partie d‟un
réseau mondial et particulièrement actif en Amérique Latine, où les expériences brésiliennes
et uruguayennes font figures de modèles en la matière. De nombreuses délégations
européennes ont visité ces coopératives… Pays-Bas, Allemagne, Angleterre, Italie
s‟intéressent de près à l‟expérience… mais pas la France (!). L‟initiative est également saluée
par l‟UN HABITAT qui a remis un prix spécial à la FUCVAM ; cependant, ces pratiques ne
semblent pas avoir inspiré de « good practices » dans les programmes des grands bailleurs (G.
Font).
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Conclusion
« L’urbanisme apparait ainsi comme une tentative sans cesse répétée, sans cesse mise
en échec, de corriger les contradictions entre la fragmentation spatiale et l’intégration
sociale. Ce qui explique pourquoi l’urbanisme n’est pas seulement une idéologie –comme on
a souvent tendance à croire- mais également une pratique : celle de la correction effective de
l’espace sans laquelle le fonctionnement urbain devient impossible » (J.M Stébé, 2002 :
p164)
J.M Stébé souligne ici l‟un des fils rouges de notre réflexion : l‟articulation complexe
entre pratique et idéologie. La spécificité du sujet des quartiers spontanés se trouve dans le
fait de se positionner entre deux mondes : d‟une part celui de l‟urbanisme, avec ses modes,
ses canons, sa rigidité, et d‟autre part, celui du développement. Les deux sont des systèmes
complets, avec leurs penseurs, leurs professionnels et leurs objectifs. Au milieu, on trouve les
habitants. Notre propos a été d‟essayer de montrer que la force de l‟anthropologie est de
s‟intéresser à l‟habitant, sans le réduire à une figure d‟usager ou de pauvre, au-delà des
paradigmes et des pratiques en cours. Un des points cruciaux de notre développement a été de
montrer qu‟au-delà de la forme ou des aspects matériels du logement proposé, c‟est
l‟appropriation des lieux par l‟habitant qui constitue la clé de la réussite d‟une opération de
réhabilitation ou de relogement. Certains habitants des quartiers sont prêts à accepter un
éloignement, des conditions de vies difficiles, si cela correspond à un choix de leur part. Une
étude menée auprès des déplacés de Brasilia par C. Aubertin et F. Pinton a bien montré que les
priorités des habitants ne sont pas toujours celles que l‟on imaginerait (accès aux services par
exemple), et que ces derniers
peuvent vivre tout à fait sereinement une opération de
relogement lorsqu‟ils participent de celle-ci. Par ailleurs, un exemple comme celui des
coopératives pour la construction de quartiers montre l‟efficacité et les bienfaits d‟un projet
mené de manière autonome ; toutes les politiques d‟empowerment menées par la communauté
internationale paraissent, en regard, artificielles et vaines.
La force de l‟anthropologue, dans de tels contextes, serait donc plus d‟arriver avec des
questions, à l‟inverse des urbanistes et développeurs qui arrivent avec des « solutions ». Pour
avoir des solutions, il faut présupposer un problème. Déterminer précisément ce problème,
selon les habitants, constitue à la fois l‟intérêt et l‟enjeu de la participation de
l‟anthropologue.
Ce travail ne fait qu‟ébaucher une approche du sujet. Bien des thèmes mériteraient une
réflexion plus approfondie, tels que ceux de l‟accès au foncier, des organisations locales, des
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techniques de projet urbain ou encore du nouveau paradigme urbanistique du
« développement urbain intégré ». De même, nous aurions souhaité aller plus en avant dans la
compréhension de l‟habitat et de l‟espace, et surtout, dans l‟articulation entre recherche et
action, qui constitue un point fondamental mais complexe. Il serait intéressant de voir à quels
moments et en quels lieux les idées deviennent pratiques, ou encore de suivre le parcours
d‟une série de « recommandations » formulées par un groupe de chercheurs auprès
d‟autorités…
Cependant, d‟un point de vue plus personnel, la réflexion a été fructueuse et constitue
une bonne base à une future expérience de terrain dont l‟objet sera de mener l‟évaluation d‟un
projet de relogement à petite échelle, dans une localité du Nicaragua. Les objectifs formulés
par l‟ONG étant d‟utiliser le logement comme « levier de développement humain »,
conformément aux Objectifs du Millénaire, l‟enquête sur ce sujet apportera, par la suite, un
matériel riche pour prolonger la réflexion amorcée ici.
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DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques
Table des matières
1- La ville et ses marges comme objet de recherche ............................................................. 6
1-1- Les quartiers spontanés, un défi pour la ville en Projet .................................................. 6
1-1-1
Une métropole entre individualisme et globalisation................................................ 6
1-1-2
Pour un « Droit à la ville » .......................................................................................... 7
1-2- Définir le « quartier spontané » : quelques éléments incontournables .......................... 9
1-2-1
Une spontanéité à tempérer ...................................................................................... 10
1-2-2
Insalubrité et insécurité ............................................................................................. 12
1-3- Le paradigme de la ségrégation en sciences sociales ...................................................... 14
1-3-1
Brève histoire de la pensée urbaine en Amérique Latine ....................................... 14
1-3-2
La rencontre du lieu et de l'exclusion: la ségrégation............................................. 15
1-3-3
De la marginalité urbaine.......................................................................................... 18
2- Anthropologie de l’espace, anthropologie de l’habiter : notions pour appréhender le
quartier spontané ...................................................................................................................... 21
2-1 Espace bâti, espace vécu ................................................................................................... 21
2-1-1
Un exemple pédagogique : l’habitat Bororo par Lévi Strauss............................... 21
2-1-2
Représentations et pratiques de l’espace : du corps humain ................................. 22
2-1-3
L’habiter ..................................................................................................................... 25
2-2 Peut-on parler d’un habiter bidonvillois ? ...................................................................... 27
2-2-1
L’enjeu d’établir une catégorie analytique fiable ................................................... 27
2-2-2
Quels types de modèles culturels façonnent le quartier spontané? ....................... 28
2-2-3
La réhabilitation : Une re-fondation ? ..................................................................... 34
2-3 La prise en compte des usages dans la conception architecturale : « passer du vide au
sens » .......................................................................................................................................... 37
2-3-1
L’espace architectural est un espace euclidien et programmatique ...................... 37
2-3-2
Les besoins et compétences des habitants ................................................................ 39
2-3-3
Peut-on envisager un « design social » ? .................................................................. 43
3- Quelle place pour l’anthropologue praticien au sein d’un projet de réhabilitation ? 45
3-1- A quelles logiques les actions mises en place répondent-elles ? .................................... 45
3-1-1
L’entrée par la réduction de la pauvreté.................................................................. 45
2-1-1
L’entrée par la gestion urbaine : vers la « bonne gouvernance » et le
développement urbain durable................................................................................................ 47
3-1-3
Réhabilitation et best practices .................................................................................. 50
3-2- La « participation populaire » au cœur des pratiques de réhabilitation ...................... 53
3-2-1
Articulation des projets autour du paradigme participatif ................................... 53
3-2-2
La participation en question ..................................................................................... 56
3-2-3
Alternatives Sud-Américaines pour le logement : l’exemple des coopératives
uruguayennes et brésiliennes ................................................................................................... 58
66
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