Université de Provence Aix-Marseille 1 Département d’Anthropologie Spécialité 4 - MASTER PROFESSIONNEL « Anthropologie & Métiers du Développement durable » ETH.R17 Mémoire bibliographique de spécialisation professionnelle Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques DEBLOCK Elise Directeur : Jacky BOUJU 2009 – 2010 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Remerciements Je remercie mon maître de mémoire, Monsieur Jacky Bouju, pour avoir su me conseiller dans ce travail, Je remercie également mon amie Elsa pour sa relecture avisée, Ainsi que toutes les personnes ayant contribué à alimenter ma bibliographie. « Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l‟auteur et ne sauraient en aucun cas engager l‟Université de Provence, ni le directeur de mémoire ». 1 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Sommaire Introduction 1) La ville et ses marges comme objet de recherche 1) Les quartiers spontanés, un défi pour la ville en Projet 2) Définir le « quartier spontané » : quelques éléments incontournables 3) Le paradigme de la ségrégation en sciences sociales 2) Anthropologie de l’espace, anthropologie de l’habiter : notions pour appréhender le quartier spontané 1) Espace bâti, espace vécu 2) Peut-on parler d‟un habiter bidonvillois ? 3) La prise en compte des usages dans la conception architecturale : « passer du vide au sens » 3) Quelle place pour l’anthropologue praticien au sein d’un projet de réhabilitation ? 1) A quelles logiques les actions mises en place répondent-elles ? 2) La « participation populaire » au cœur des pratiques de réhabilitation Conclusion Bibliographie Table des matières 2 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques « Il en est de la compréhension des problèmes de la ville comme de la découverte d'un paysage urbain, du haut d'un de ces buildings administratifs qui le dominent. » (J. Bugnicourt, 1987 : p 3) Comparaison poétique qui envoie immédiatement une image grandiose, celle d'une mer urbaine étalant ses banlieues à l'horizon; si l'éloignement est poétique, constitue-t-il effectivement une position stratégique pour appréhender les problèmes de la ville ? C'est à partir de cette question que nous allons orienter notre réflexion, en choisissant de poser notre regard sur l'une de ces formes que l'on distingue depuis le haut du building: le quartier spontané. Si l'on s'intéresse à la ville, c'est en effet l'ampleur du phénomène de croissance urbaine qui attire l'attention; la « démesure » s'appuie sur des chiffres et statistiques, parmi les plus marquants, ceux qui montrent que depuis 2006 environs, plus de la moitié de la population planétaire habite en ville1. Si la croissance démographique de certains pays tend à diminuer, la croissance urbaine, elle, est constante. Les colloques et sommets se multiplient qui alertent sur l'urgence de gérer le phénomène, qui constitue un défi pour les Etats et collectivités locales. Les périphéries en général, où l'on trouve les logements aux prix les plus accessibles, cristallisent les difficultés posée par cette croissance exponentielle, et pour cela constituent aujourd'hui une priorité pour la politique de la ville. C'est donc dans le cadre de ces « métropoles tentaculaires » que nous allons nous placer, mais plus précisément dans celles des pays du Sud, pour lesquels l'appellation « en voie de développement » illustre la façon dont ils se sont engagés dans la voie de l'industrialisation effrénée et de l'économie capitaliste à la suite des pays occidentaux et sous l‟impulsion d‟institutions telles que la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International. Dans ces pays, tout comme on a pu l‟observer en Europe au XIXème siècle, le phénomène unilatéral de déplacement des campagnes vers les villes (communément appelé « exode rural ») a donné naissance à des métropoles surpeuplées et non planifiées qui continuent de grandir. Nous avons choisi de limiter notre étude au continent latino-américain, qui présente une certaine uniformité en matière d'urbanisation, aussi bien en ce qui concerne l'organisation des villes que la croissance démographique, suite à la colonisation qui a touché l'ensemble du continent et y a inscrit une marque occidentale. Cependant, nous pourrons faire appel à des exemples pris sur d'autres continents, à titre de comparaison, lorsque ceci nous semblera pertinent. 1 UN Habitat 3 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Face à l'affluence de la population dans les villes et à l'incapacité des autorités de fournir un accès au logement pour les plus pauvres, on observe une « taudification » de l'habitat urbain, et souvent c'est une forme particulière d'habitat qui se développe, que l'on connait « bien » aujourd'hui: le quartier spontané, dénomination cachant plusieurs réalités, mais souvent désignées sous le nom englobant et stigmatisant de « bidonville »; celui-ci peut avant tout se définir par la précarité des installations, aussi bien en terme de bâti que de légalité, les modes d'appropriation ou de lotissement du sol échappant la plupart du temps au monde légal. Nous chercherons au cours de notre réflexion à décrire et comprendre les réalités complexes qui constituent ces quartiers. Toujours est-il que ces quartiers spontanés font l'objet de diverses politiques, programmes et plans d' « intégration » (suite à une période qui a privilégié les « déguerpissements » et expulsions), qui procèdent globalement de deux logiques différentes mais souvent complémentaires (N. Mathieu, 1997 ; § 13): -On peut chercher à intégrer un quartier par une approche sociale, qui se caractérise par une volonté d'intégration des individus et des groupes à la vie économique, culturelle et sociale; c'est notamment le travail des associations de quartier, des assistantes sociales, etc. -On peut d'un autre côté travailler depuis une approche urbanistique, où l'on recherche nonplus l'intégration de l'individu, mais du quartier identifié par sa structure, ses besoins en services de base (eau, électricité, assainissement...), son agencement, son accessibilité, son architecture, ses espaces publics... C'est sur cette dernière façon de penser l'intégration que nous allons nous interroger. Il nous semble effectivement intéressant de nous pencher sur cette question, qui relève se place à la charnière de la recherche et du développement. C‟est le rapport entre transformation des formes et transformation sociale qui nous intéressera, celui-ci étant étudié de manière fondamentale mais peu (pas ?) réinvestit dans les opérations d‟aménagement et d‟habilitation. Un questionnement rapproche couramment sciences sociales et urbanisme autour du paradigme de la ségrégation: s‟y rejoignent le territoire, la forme et l'exclusion. Comme nous le verrons, on peut plus ou moins dater la première recherche sur la ségrégation urbaine aux travaux réalisés de l'Ecole de Chicago, portant sur l'articulation socio-spatiale des quartiers dans cette même ville. Si ces travaux font encore aujourd'hui référence, il nous semble que si la prospective urbaine veut prendre un réel tournant qualitatif, l'anthropologie, et notamment l'anthropologie de l'espace et de l'habitat, apportent un éclairage fondamental, en se rapprochant du quartier, à l'opposée d'une conception englobante et spatialisante telle qu'elle est généralement appliquée dans les plans d'aménagement et/ou d‟habilitation. En nous rapprochant des habitants, de leur façon d'occuper l'espace et de proprement vivre cette ville en marge, nous accédons à un degré de compréhension qui fournit des clés pour l'action et le 4 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques changement. C'est ici la thèse que nous défendons: la légitimité de l'approche anthropologique dans les opérations de réhabilitation des quartiers spontanés, aussi bien en termes d‟apports scientifiques que de méthodologie à intégrer dans le cycle du projet. Nous tenons à souligner la pertinence d'une telle position pour une anthropologie qui se veut « appliquée », c'est-à-dire une anthropologie qui veut participer au changement, notamment lorsque l'on voit les objectifs que se proposent des groupes tel que le PRUD (Programme de Recherche Urbaine pour le Développement), qui s‟engage activement en faveur d‟une recherche visa nt à éclairer les projets de développement. Ce travail aura surtout pour but de faire le point sur différentes notions fondamentales et d'exposer les théories qui jalonnent la problématique présentée. Dans un premier temps nous esquisserons un état des lieux de ce qui a pu être dit autour des quartiers spontanés, de la manière de conceptualiser ces espaces autour de théories dominantes. Cette étape nous semble importante dans la mesure où la métropole et ses quartiers d‟exclusion sont un objet que se partagent diverses disciplines universitaires, ce qui rend l‟objet « mouvant » et sinueux. Dans un second temps, nous essaierons d'expliquer les paradigmes que l'anthropologie de l'espace et de l'habiter peuvent invoquer pour comprendre en finesse ces quartiers et se démarquer des logiques précédentes. Enfin, nous déplacerons notre regard, jusque là orienté sur le rapport entre recherche et action, pour présenter une réflexion sur la place de l'anthropologue praticien au sein des projets touchant à ces quartiers, face aux techniciens et décideurs. 5 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques 1- La ville et ses marges comme objet de recherche 1-1- Les quartiers spontanés, un défi pour la ville en Projet 1-1-1 Une métropole entre individualisme et globalisation La métropole est un fil rouge qui unit aujourd'hui les différents continents bien au delà de leurs particularismes culturels. Habiter la ville, c'est observer un mode de vie qui nous intègre au monde. Les auteurs qui s'intéressent à la ville la pensent d'ailleurs comme ce lieu unique de la globalisation, globalisation en tant que mise en réseaux de l'économie, de la culture, des individus (A. Bourdin, 2009 ; S. Sassen, 2004, 2002)... Cette ville « en réseaux » est à la fois mouvement et points d'ancrages. Des flux la traversent, la mobilisent et la construisent, en s'incarnant dans des lieux, lieux de pouvoir, d'échange, de consommation, etc. La ville, fourmilière, fascine. Mais elle réveille aussi nombre de fantasmes et de peurs. Pas seulement chez l‟arrivant perdu au milieu de la multitude, mais aussi dans le monde de la recherche. Un article écrit à l‟occasion d‟une réflexion sur les positionnements de la Banque Mondiale par J. Salomon Cavin (2009) fait une remarquable histoire de ce désamour dont est victime la métropole, sentiment qualifié ainsi d‟ « urbaphobie ». L‟auteur remarque que les discours alarmistes quant à l‟expansion insatiable de la ville s‟ancrent dans un imaginaire collectif opposant une « grande ville mauvaise, ennemie de l‟homme et de la nature » à une « campagne villageoise parée de toutes les vertus » (Salomon Cavin, 2005, Marchand, 2009). En effet, la métropole est accusée de toutes parts, de privilégier l'individu face au groupe et au « vivre-ensemble », proposant en échange des facsimilés agissant par et pour l'imaginaire des citadins en perpétuelle recherche du fameux « lien social » égaré dans la grande ville, quête donnant lieu au phénomène décrié de gentrification (S. Vermeersch, 2006). En contre-pied d‟une telle remarque, on peut avancer que la ville est également objet d‟appropriation et d‟identification par excellence : personnifiée, féminisée souvent, la ville est portée en étendard , par exemple lors d‟une rencontre sportive . Cette appropriation est posée comme primordiale par certains auteurs, ainsi A. Raulin explique : « Les citadins ne vivent-ils pas comme les acteurs d'un même territoire urbain, ne se réfèrent-ils pas à « leur » ville sans l'affubler d'une personnalité collective spécifique? » (2007 : p17). Toujours dans l‟article de Salomon Cavin, un extrait d‟un article publié dans Le Monde en 1996 vient illustrer, dans toute leur dimension poétique, les représentations entourant la grande ville : « Lagos est un "monstre [...], le corps déformé de mille 6 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques excroissances bizarres [...] avec une colonne vertébrale de voitures bloquées [...], une queue fourchue de bidonvilles [...], un organisme couturé de cicatrices " » (cité par Monnet, 1997). Selon l‟auteur, c‟est cette stigmatisation stérile qui a présidé à la pensée de la ville jusqu‟à une période très récente. Les conférences Habitat I (Vancouver 1976) et II (Istanbul 1996) auraient contribué à l‟atmosphère de catastrophisme, tout comme continuent de le faire certains chercheurs qui insistent sur le danger humain et écologique que représente l‟urbanisation, dont l‟ouvrage de Mike Davis « Le pire des mondes possibles, de l’explosion urbaine au bidonville mondial » (2006) offre un exemple parlant. Il semblerait cependant que les grandes institutions, Banque Mondiale en tête, aient récemment (rapport 2009) « retourné leur veste » et choisi de considérer la ville comme une opportunité et un facteur possible de développement. Nous aurons l‟occasion de nous pencher plus précisément sur les programmes mis en œuvre par ces grands bailleurs en faveur des quartiers spontanés. 1-1-2 Pour un « Droit à la ville » Le phénomène d'exode rural, mouvement des ruraux vers les villes observé partout dans le monde, sans exception, associé au développement de l'industrie, révèle le pouvoir d'attraction des villes fondé sur l'économie. Si la ville peut faire rêver par son foisonnement culturel, elle est d'abord considérée comme un réservoir d'emplois. La métropole est le lieu par excellence où doit fonctionner l' « ascenseur social ». Il existerait une ville « idéale », que l'on peut retrouver partiellement selon les expériences individuelles, qui mettrait à disposition le pouvoir économique, la vie sociale, la vie culturelle; une ville où les distinctions de race ou de genre n'existeraient pas et où il « suffirait » de travailler pour faire partie de la société, voire en grimper les échelons: c'est la ville de l'intégration, celle du melting-pot et du selfmade man américain. a) L’intégration, fin et moyen Cette « intégration » constitue une notion primordiale dans notre raisonnement. Mot tellement usité, décliné sous toutes ses formes, qu'il semble nécessaire de faire le point sur ce terme. En nous référant au Dictionnaire critique de Géographie de R. Brunet (1993), on peut en considérer une première acception: « l'intégration de personnes, d'immigrants, dans un corps social, se marque par leur insertion dans le système productif ainsi que dans les lois et 7 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques les coutumes du lieu. »: il s'agit alors de l'incorporation de parties à un tout, notamment de ces personnes venues des campagnes, voire de par delà les frontières nationales, pour habiter la ville considérée comme une entité cohérente. Ce facteur de l'immigration internationale est prépondérant aujourd'hui lorsqu'on parle d'intégration (au Nord comme au Sud), cependant, en ce qui concerne notre sujet d'investigation, nous le prendrons en compte, sans chercher à saisir toutes ses implications car ceci mériterait un travail approfondi. A la suite, l'article précise une seconde acception, qui vient régulièrement s'entremêler à la première lorsque l'on pense la métropole: « on parle quelques fois d'intégration de services pour des systèmes ou des lieux où se trouve une gamme complète de services en interaction. », ce qui revient à prendre l'intégration comme un mode de fonctionnement. C'est ainsi que la ville, grâce à son fonctionnement « intégré », c'est-à-dire interconnecté, permet l'intégration des individus à son système formant un tout et dont les portes d'entrées se trouvent à différents niveaux: école, vie professionnelle, associations, mais aussi lieux publics et culture commune. b) Entre utopie et enjeux politiques C'est cette métropole à visée holiste (tous les services et pour tous) qui est perpétuellement mise en projet. Nous insistons sur cette idée du projet, voire du « Projet » (comme le nuance M. Singleton2): cette ville moteur d'intégration semble bien relever d'un idéal, que l'on cherche à atteindre par divers programmes et projets, formés autour de discours et d'outils. Pour Henri Lefebvre, grand précurseur en matière de sociologie urbaine, il ne peut effectivement pas y avoir de construction de la ville sans recherche d‟un idéal. Il se posait d'ailleurs lui-même en « utopien », mais pas en « utopiste », ce dernier faisant figure de doux rêveur juste capable de nier la réalité. Henri Lefebvre, lui, voulait fonder sur les bases du réel, un cadre et un rythme de vie « favorables au bonheur », en s'attaquant aux fondations politiques des maux urbains ; c‟est une méthode qu‟il désignait sous le nom d‟ « utopie expérimentale » (H. Lefebvre, 1968). Le droit à la ville d‟Henri Lefebvre, c‟est le « droit à la vie urbaine », l‟affirmation du besoin fondamental de rencontre, de rassemblement, de créativité ou encore de non-exclusion du centre et du mouvement (L. Costes, 2009 : p96). En écho à cette œuvre pionnière, on trouve l‟affirmation d‟un Droit à la ville comme fondation de textes juridiques internationaux. Celui-ci naît d‟une reconnaissance préalable du Droit au logement dont on trouve l‟expression la Déclaration Universelle des Droits de 2 Le « Projet global » s‟apparenterait à une idéologie, mise en œuvre au travers de projets fondés sur des objectifs et des moyens précis. 8 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques l‟Homme de 1948, dans la lignée du « droit à la vie digne », puis dans les forums mondiaux Habitat I et II. Lors de la session de 1996, sur la base des Droits Economiques, Sociaux et Culturels (DESC), est reconnu le « droit à un logement adéquat ». Qu‟est-ce donc qu‟un « logement adéquat » ? Est reconnue comme telle l‟habitation disposant d‟espace et d‟intimité suffisants, d‟une sécurité, d‟une stabilité juridique, d‟une solidité physique, de lumière, chauffage et ventilation, accès à l‟eau et assainissement, accès au travail et aux services basiques, le tout à un coût raisonnable 3( !). Ces conditions étant rarement réunies même pour des personnes ayant une vie « aisée », il faut prendre cette définition non de manière exhaustive mais plutôt comme un instrument de travail. Aujourd‟hui l‟on affirme que le droit à la ville doit plutôt être entendu comme un « droit à la citoyenneté », valant pour tout un chacun, un droit à profiter et participer à cette expérience commune de la vie urbaine4. Par conséquent, il est intéressant de noter que le Projet pour la ville telle qu'elle se caractérise aujourd'hui, prioritairement dans le champ politique, tend plus vers le soin ou la logique de « survivance » selon le mot de M.Abélès5. Il s'agit de politiques de sauvetage visant à enrayer des phénomènes non-contrôlés et des effets non-désirés, comme des dysfonctionnements du modèle. Ainsi, l'intégration qui serait l'un des projets devant participer à cette utopie possible, prend plus fréquemment la forme de son corolaire en négatif, la « lutte contre l'exclusion ». Le phénomène de croissance urbaine accélérée évoqué précédemment fait partie de ces problèmes à affronter dans l'urgence; parmi ces problèmes, la gestion de l'habitat, notamment de l'habitat spontané des périphéries. C'est ainsi que nous en venons à cette question de savoir dans quelle mesure il est aujourd'hui possible de mettre en place une politique de la ville, et plus particulièrement une action vers les quartiers spontanés, qui ne se contente pas de prodiguer des « soins palliatifs ». 1-2- Définir le « quartier spontané » : quelques éléments incontournables Nous venons de souligner le défi que représente l'offre d'habitat urbain envers des 3 UN-Habitat, Bogotá, 2004, p. 42 UN-Habitat, Bogotá, 2009, p 139 5 Communication du séminaire Dispositifs transnationaux d’appui à la « bonne gouvernance » : nouveau lieu du politique ?sous la direction de G. Blundo et B. Pétric, EHESS, Marseille, 26 Février 2010. –données personnelles4 9 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques populations au pouvoir économique faible ou inexistant. Les « quartiers spontanés » font partie des ressources trouvées par ces populations pour accéder au logement. Cependant, dans le cadre de ces politiques de la ville, le vocabulaire est souvent interchangeable, « bidonville », « taudis » et « quartiers précaires » sont employés sans grande distinction, et c'est ici que nous allons chercher à identifier précisément cet objet que nous nous sommes donné, le « quartier spontané », tout en essayant de remarquer ce qui fait la particularité de ceux que l'on trouve en Amérique du Sud. 1-2-1 Une spontanéité à tempérer Le terme générique que nous avons choisi pour désigner ces installations est celui de « quartier spontané », car il nous semble souligner l'aspect le plus fondamental de celles-ci: leur érection hors de toute planification et souvent, dans l'illégalité. On peut noter ici que l'ONU préfère le terme trop neutre d' « établissement humain », ne révélant aucune réalité et donc n'impliquant aucun engagement. Un autre terme souvent rencontré, notamment dans sa traduction hispanophone, est celui d' « invasion ». Les invasions sont donc ces quartiers apparaissant à la périphérie comme au centre de la ville, là où un espace est jugé libre, à juste titre ou non. Ce terme nous semble particulièrement stigmatisant en ce qu'il renvoie d'une part à la notion de conquête; une victoire face aux obstacles économiques et légaux, et d'autre part, assimile les « squatters » à des parasites envahissant un espace qui n'est pas à prendre; dans les deux cas, l' « invasion » recèle un rapport de force. D'autres auteurs étudiant les quartiers spontanés préfèrent au terme de « squatteurs » celui d' « habitants bâtisseurs », qui révèle cette même réalité d'auto-construction non-pas par son biais illégal, mais par celui de l'appropriation de l'espace et par une nuance qui les intègre directement à la ville comme habitants de celle-ci. Cette appellation a été proposée par Teolinda Bolivar (2005), chercheuse Vénézuélienne en urbanisme et architecture, s'étant penchée sur les fameux ranchos jonchant les collines de Caracas6. La forme la plus répandue d'installation de ces logements est celle qui a été nommée par Patrick Mc Auslan (1988) l' « infiltration »: une occupation lente, espacée, presque individuelle de l'espace, sur le mode de l'auto-construction progressive, pouvant mener à la création de véritables quartiers, voire de petites villes. En général, après l'installation d'un premier noyau, si l'on constate que les autorités ne menacent pas d'expulsion, d‟autres suivent 6 Communication du Forum de Pékin , La gouvernance face à l’évolution des sciences et des technologies, IRG, Juin 2005 10 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques dans un flux presque perpétuel, trouvant même toutes les ressources face au manque d'espace (notamment en bâtissant sur plusieurs niveaux). Des études ont montré que les « squatteurs » recherchent en priorité des terres de propriété publique ou à la limite incertaine, d'où il est plus rare de se trouver délogé (A. M. Wagner de Reyna, 1986 : p 13) Cependant, cette installation « spontanée » est à relativiser puisque l'on remarque bien souvent en Amérique Latine notamment, une construction sociale préalable à l'installation du noyau premier. L'un des exemples les plus repris de ce phénomène est celui de la ville de Lima, où se sont constitués des quartiers tels que ceux de Villa Maria del Triunfo et de Villa el Salvador sur la base d'organisations sociales. L'étude réalisée autour du quartier de Villa Maria del Triunfo par Anna M. Wagner de Reyna, explique: « La notion d'organisation sociale surgit du besoin légitime d'une communauté d'habitants qui, ne pouvant accéder au marché officiel du logement, se structurent en organisations populaires ou associations afin de résoudre les problèmes liés à l'habitat. L'acquisition ou la prise de possession d'un terrain relevant d'une action collective, le système associatif est à l'origine des urbanisations spontanées. » (Ibid.). Par ailleurs ces formes d'organisation permettent parfois de sortir de l'illégalité, offrant une visibilité au mouvement, qui s'appuie sur la légitimité de leur action. Ainsi Anna M. Wagner explique comment certains de ces groupes s'octroient l'appui, si ce n'est du gouvernement ou de la municipalité, au moins d'un homme politique: « les futurs habitants organisés en association, cherchent en général à obtenir un appui politique ou même l'approbation du chef de l'état pour garantir le succès de leur entreprise, évitant de la sorte les éventuelles confrontations violentes avec les services d'ordre qui défendent avec acharnement la propriété foncière. A près repérage des terrains, ils formulent auprès des autorités compétentes une demande de concession, s'assurant la sympathie d'un personnage influent qui défendra, s'il y a lieu, leurs droits » (Ibid. p 15). Parfois, la constitution de ce type de quartier coïncide avec les intérêts des propriétaires fonciers et des programmes politiques, ce qui permet aux nouveaux habitants de contourner le problème légal. Des cas similaires de « semi-spontanéité » ont été étudiés à Quito, où l'on a constaté que l'occupation illégale est en réalité peu fréquente, et souvent orchestrée par des associations ou coopératives (M.Unda, ? ). Nous reviendrons plus précisément sur ces organisations et participations populaires dans notre dernière partie. Nous voyons donc que la spontanéité de la création de ces quartiers, ainsi que leur inscription dans le monde illégal, sont toutes relatives et qu'il est primordial de bien déterminer pour chaque quartier quel a été son processus de construction. Cependant, cette caractéristique de l'installation illégale et hors de toute planification reste prépondérante et nous tenons à la souligner car elle fonde l'aspect précaire de ces quartiers et par là-même pose 11 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques une question qui doit sans cesse interpeller l'anthropologue: comment vit-on sans la certitude d'avoir toujours un toit le lendemain? L'épée de Damoclès de l'éviction pesant en permanence sur ces habitants constitue leur principale préoccupation, et donc leur principal combat. Ce caractère précaire de leur situation légale pèse dans les choix et l'implication des habitants face aux autres questions qui les occupent, notamment l'accès aux services de base. 1-2-2 Insalubrité et insécurité Puisque les quartiers spontanés se définissent par leur exclusion de toute planification et par cette recherche de place à occuper, ceux-ci se retrouvent souvent en périphérie de la ville, dans des espaces non connectés aux réseaux et aux services, parfois sur des sites dangereux. En effet, les immigrants en mal de logement sont prêts à investir n'importe quel type d'espace, même ceux que les plans directeurs ont déclarés comme inconstructibles; c'est ainsi que l'on voit s'ériger des quartiers entiers au bord de lignes de chemin de fer, dans des marécages ou sur des zones inondables; il a été estimé qu'en 1975 à Guayaquil (Equateur), 60% de la population vivait dans des quartiers érigés au dessus d'une eau boueuse et/ou polluée, dans des huttes perchées sur pilotis et certaines d'entre elles se trouvant à plus de quarante minutes de marche de la terre ferme (P. Mc Auslan, 1988 : p14). Il est également très courant d'observer une colonisation des pans abrupts -pouvant être sujets à des glissements de terrain- des montagnes au creux desquelles ont été bâties les villes, comme on l'observe de manière très marquées dans des capitales andines telles que La Paz, Santigo du Chili ou Caracas. Sur la problématique du site, on peut aussi remarquer des cas très spécifiques d'installations qui s'étendent peu à peu vers des zones protégées (forêt tropicale), ce qui complique d'une autre manière la gestion de ces quartiers. Ceci est en particulier le cas à Sao Paulo, où les habitants occupent une « zone tampon » entre la ville et l' « aire protégée »; la distinction est surtout importante au niveau juridique, au sujet de l'exploitation des ressources naturelles (W. Costa Ribeiro, 2010)7. L'éloignement et l'illégalité font qu'en règle générale, les quartiers spontanés manquent de la plupart, voire de tous les services de base: eau courante, électricité, système d'assainissement, voies d'accès. La plupart du temps, l'histoire a montré que les pouvoirs publics amènent petit à petit ces services dans les quartiers, lorsqu'un délogement n'est plus 7 Communication du colloque Habitat précaire, exclusion sociale et politiques urbaines et environnementales dans les mégapoles de l’Inde et du Brésil. Perspectives franciliennes, SETUP, Paris, 2 Février 2010 –données personnelles- 12 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques envisageable, et surtout lorsque cela peut coïncider avec un enjeu électoral. L'habilitation des « bidonvilles » est une géniale vitrine politique permettant de mener à bien un projet très visible à court terme, accueilli de manière positive par l'ensemble des citadins, même par ceux qui ne l'habitent pas mais pour qui ces zones inesthétiques, pauvres et potentiellement dangereuses doivent rentrer au plus vite dans le cadre légal. Ainsi, on peut prendre encore l'exemple du Brésil, pays où les « favelas » sont apparues dès le 19ème siècle et où les promesses à l'encontre de ces quartiers se multiplient en période électorale, notamment celle d'installer l'eau courante, ce qui a finit par être appelé populairement « la politique du robinet » (R Gonçalves Soares, 2008 : p 148). Par ailleurs, si ces quartiers spontanés ont pu être couramment appelés « bidonvilles », c'est en référence à leur processus d'auto-construction avec des matériaux de récupération. Bidons dépliés, tôle ondulée, planches, etc, tout est bon pour forger un premier abris de fortune. Cependant, il est réducteur de ne les envisager que sous cette forme, puisqu'elle n'est que la première phase de tout un processus d'installation. La consolidation est progressive, et peu à peu le bois, les briques de terre ou autres matériaux plus durables viennent remplacer les premiers aménagements. C'est ici que le poids de l'illégalité se fait sentir, car les habitants expriment généralement une envie de pérenniser ces constructions, mais la menace latente d'une expulsion décourage et ne va pas en faveur d'un investissement en temps et en argent (Ibid.) Toutefois, comme nous l'avons dit, il arrive que les pouvoirs publics acceptent de manière tacite ou officielle ces installations, et dans ce cas, les habitants n‟hésitent plus à construire leurs habitations en béton, ce qui peut donner un profil différent au quartier sans pour autant l'assimiler à la ville aménagée. Enfin, on remarque que le thème de l'insécurité est également très présent au sein de ces quartiers. La formation de bandes, voire de gangs qui vivent de trafiques divers (drogues, armes, entre autres), est un élément transversal. On pense notamment au Brésil où ceux-ci ont acquis une puissance écrasante au sein de leurs quartiers, étant même capable de mettre en déroute des équipes de police, comme le montre l‟événement du 17 octobre 2009, jour où un gang d‟une favela de Rio de Janeiro a réussi à abattre un hélicoptère de la police en vol. Ce monde socio-économique parallèle et violent est l'un des éléments qui contribuent à inscrire les quartiers spontanés dans l' « anti-monde ». Cependant, si cette violence est réelle, les gangs peuvent également représenter pour les habitants un facteur sécurisant, chacun protégeant son quartier. Nous nous attarderons sur cette organisation sociale dans la dernière partie. Pour conclure ce rapide inventaire descriptif, et pour nous replacer dans la perspective d'une recherche-action, il nous semble important de souligner la diversité des situations: 13 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques certains quartiers s'apparentent à une accumulation de cabanes très précaires, où les conditions d'hygiène sont déplorables et où la vie quotidienne relève de la « débrouille ». Ceux-ci sont en général des quartiers « de passage » ou de transition, où les immigrants attendent de trouver un autre logement. A l'opposée, on trouve des quartiers dont l'installation n'a jamais été remise en question, où tous les services, jusqu'à la réfection de la voirie, la mise en place de transports en communs, ont été apportés, et où des opérations de légalisation (remise de titres de propriété) ont permis aux habitants d'en faire un véritable lieu de vie; notamment, la perspective de pouvoir léguer un bien à ses enfants engendre une réelle projection et un investissement au sein du quartier. Il est donc délicat d'englober sous un même vocable ces quartiers aux processus et aux histoires distinctes, et il convient donc, lorsque l'on met ces quartiers en projet, de considérer avec justesse ces différents critères qui font qu'un quartier est plus ou moins investit, physiquement et sentimentalement, par ses habitants. 1-3- Le paradigme de la ségrégation en sciences sociales 1-3-1 Brève histoire de la pensée urbaine en Amérique Latine On peut commencer par remarquer que la recherche urbaine en Amérique Latine a été engagée dans les années 1940 dans les pays les plus anciennement urbanisés (Brésil, Mexique, Vénézuela, Pérou), principalement par des géographes, sociologues et architectes, dans la lignée des études françaises et américaines, par le biais de partenariats interuniversitaires. On peut distinguer plusieurs mouvements, depuis les années cinquante jusqu'aux quatre-vingt dix, qui montrent une évolution dans la mise en place de paradigmes urbains. Le premier d'entre eux a été celui de la « sururbanisation », qui coïncide avec le constat d'une ville ne pouvant plus remplir ses fonctions et accueillir tous les migrants ruraux. A cette phase a succédé une idée de dualité ville-campagne, qui a progressivement glissé vers les paradigmes de marginalité et de « spoliation urbaine », celle-ci ancrée dans le contexte de la montée du marxisme -intégrant donc une forte dimension politique au phénomène d'inégalité sociale- et incarnée dans des auteurs tels que Manuel Castells et Henri Lefevbre. Cette analyse insistait sur la dimension politique de l'urbanisation tout comme elle soulignait la « double spoliation » des classes populaires : en tant que main-d'oeuvre asservie au capital et en tant que citadins soumis à la logique de l'expansion métropolitaine qui, de plus en plus, 14 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques refusait à la classe ouvrière l'accès aux services de consommation collectifs. Le thème de l'appauvrissement continu des populations a pris de plus en plus de place, et par là, l'importance de s'intéresser à « la base », au local, a émergé. A partir des années quatre-vingt dix, c'est la question de la ségrégation socio-spatiale et de son rôle dans la reproduction des classes qui sont interrogés. En parallèle, les notions de planification et de plan directeur s'ancrent progressivement dans les modus operandi des pouvoirs locaux (L. Valladares et M. Prates Coelho). Puisque la recherche sud-américaine est très liée à la recherche française, il convient de noter également cette rupture dont beaucoup d'auteurs font état (M. Segaud, A. Raulin), dans les années soixante-dix et dans le cadre de l'architecture urbaine: le fonctionnalisme de Le Corbusier et la Chartes d'Athènes8, jusque là prédominant dans les conceptions urbaines, est remis en question face à l'échec des grands ensembles des banlieues françaises; c'est alors que la prospective urbaine prend un certain « tournant qualitatif ». Il est assez difficile de synthétiser et même de classifier les courants de pensées qui impriment leur marque à la ville, car celle-ci est un objet multi-disciplinaire -nous distinguons ce terme de celui de « pluridisciplinaire » qui en serait la version efficace et fructueuse. A l'inverse, la multi-disciplinarité sous-entend une superposition des approches autour d'un objet défini d'autant de manières différentes-. Cependant, en ce qui concerne notre objet, les quartiers spontanés, on constate la mise en exergue d'un paradigme transversal à ces disciplines (qui vont de l'architecture à l'économie en passant par l'histoire et bien sûr les sciences sociales), à savoir celui de la ségrégation. 1-3-2 La rencontre du lieu et de l'exclusion: la ségrégation La ville est une entité avant tout construite; on peut la découper et identifier des espaces, des quartiers, aux caractéristiques physiques et aux « fonctions » distinctes (centre, périphérie, banlieue...). A travers le concept d'espace social, des recherches interrogent le rapport entre spécificités de l'espace géographique intra-urbain et les identités sociales des 8 « La Charte d'Athènes a été étudiée lors du IVe Congrès des CIAM (Congrès international d'architecture moderne) en 1993 à Athènes. Le thème de ce congrès a été « La ville fonctionnelle » où ont débattu urbanistes et architectes sur l‟application d‟une extension rationnelle des quartiers modernes. Sous l‟égide de Le Corbusier, la Charte d‟Athènes en a constitué l‟aboutissement de ce rassemblement. Cette charte, établissant 95 points d‟un programme pour la planification et la construction des villes, porte sur des sujets comme les tours d‟habitation, la séparation des zones résidentielles et les voies de transport ainsi que la préservation des quartiers historiques et autres bâtiments préexistants. Le principal concept sous-jacent a été la création de zones indépendantes pour les quatre « fonctions » : la vie, le travail, les loisirs et les infrastructures de transport. » Wikipedia, consulté le 25 Mars 2010 15 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques habitants. Cherchant à caractériser des catégories sociales, selon non-seulement les niveaux et modes de vies des habitants mais aussi selon leur inscription dans l'espace, on pense alors la ville selon une échelle d'intégration qui met en interdépendance le lieu et ses habitants. Les premiers travaux ayant procédé de cette approche sont ceux, fondateurs, de l'Ecole de Chicago. Ayant fait de cette ville un laboratoire à ciel ouvert, les chercheurs Park et Wirth, notamment, se sont attachés à montrer la répartition de la population en anneaux concentriques autour du centre-ville, zones différenciées notamment par des critères d'appartenance ethniques et de classes socio-économiques. Une autre des théories de cette Ecole est celle des « aires naturelles », qui montre comment des secteurs s'étant constitués « naturellement » trient et filtrent les individus en fonction de critères d'appartenance. L'impossibilité pour certaines populations d'accéder, matériellement ou socialement, à l'ensemble de la ville, a introduit la notion de « ségrégation » dans la perception urbaine. La figure la plus cristallisée de cette interdépendance entre espace et intégration à la vie sociale est celle du ghetto. Ce terme désignait historiquement des quartiers dans les villes européennes, nettement délimités dans l'espace, réservés aux Juifs et à leurs pratiques. Par extension, on a dénommé ainsi des formes de quartiers réservés à une catégorie ethnique de la population, notamment les Noirs dans l‟Afrique du Sud de l'Apartheid, dont l'exclusion d'une bonne partie de l'espace physique de la ville était l'instrument premier de leur exclusion sociale. Le ghetto est donc la forme la plus radicale de cette rencontre de l'exclusion et du territoire, que l'on peut nommer « ségrégation ». Cette ségrégation, si elle ne prend plus -ou rarement- aujourd'hui la forme claire du ghetto, est inhérente à la métropole qui nonseulement « échoue » à réaliser l'idéal de mixité sociale, mais qui, en opposition à celui-ci, se construit sur des bases de distinction économiques et sociales entre groupes et individus. Cette distinction s'observe principalement au sein des espaces résidentiels, les quartiers d'affaires ou commerciaux étant des espaces publics plus indistincts. Ce sont bien les quartiers résidentiels qui matérialisent l' « appartenance sociale », et on le voit bien avec des exemples aussi éloignés que ceux des corons (habitat ouvrier du nord de la France) et des gated communities (lotissement de résidences bourgeoises à accès restreint, souvent ceint d'un mur et gardé par un vigile, apparu aux Etats-Unis et se développant beaucoup en Amérique Latine) qui résultent d'une volonté de différentiation sociale par le bâti; le quartier, destiné à une certaine catégorie de population, distingue celle-ci de la masse informe de la ville, causant une « boucle de rétroaction », pour emprunter une image à la climatologie, ces formes particulières d'implantation spatiale et de mode de vie augmentant la stigmatisation à l 'égard des habitants du quartier. En effet, dans ces cas là, la forme d'occupation de l'espace devient un critère de différenciation sociale qui stigmatise le groupe et donc aussi l'individu. 16 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Toutefois, l'intérêt de la question de la ségrégation urbaine, celle qui occupe les chercheurs, c'est bien celle de la tension entre l'exclusion sociale et l'appartenance territoriale; tension, va-et-vient entre les déterminants socio-économiques et territoriaux qui se rencontrent et se renforcent mutuellement. Il est réducteur de penser un lien déterminant entre les deux facteurs, qui occulte les trajectoires et les rôles individuels. Pour comprendre la multiplicité des situations de ségrégation, nous pouvons nous en référer aux travaux de Thomas Schelling, économiste ayant mis à jour la « théorie des jeux »9. Celui-ci constate trois processus essentiels de ségrégation: un premier relève d'une action organisée, volontaire, qui peut être « subtile ou criante, directe ou indirecte, aimable ou malveillante, moraliste ou pragmatique » (: par exemple le ghetto). Une seconde forme de ségrégation relève à l'inverse de « simples inégalités produites par différenciation sociale », qui ne se manifestent pas que dans le lieu de résidence, mais aussi à l'école, dans les loisirs, les relations amicales, etc (par exemple la ségrégation raciale, menant à la création de « quartiers de Noirs », « quartiers Chinois »...). Enfin, l'auteur souligne une troisième forme de ségrégation qui relève de la combinaison de comportements individuels discriminatoires, comportements qui n'alimentent pas nécessairement une volonté de ségrégation, mais qui la créent de fait par un « processus en chaîne ». La complexité de la question tient donc du fait que les murs érigés autour d'un quartier peuvent être de bien d'autres types que physiques: notamment l'absence de transports, de connexion avec le reste de la ville, est un facteur bien connu d'exclusion. La position sociale et la position territoriale sont donc intimement liées dans une dialectique que les sciences sociales ont largement étudiée. Pour P. Bourdieu, qui dans La misère du monde a pensé une sociologie des classes et leurs mécanismes de reproduction, « L'espace habité fonctionne comme une sorte de symbolisation de l'espace social » (P. Bourdieu, 1993 : p161)10. L'espace investit culturellement est donc le support premier des rapports sociaux; c'est ainsi que pour penser le remède aux maux de la ville, on s'intéresse à l'articulation de ses territoires. Comme nous l'avons signalé, cette logique peut facilement se pervertir en une approche déterministe; c'est là, il nous semble, l'intérêt de l'approche anthropologique, qui, considérant l'individu avant le groupe, peut accéder au paradigme de la ségrégation par le biais des représentations, ce qui semble aider à ne pas poser de déterminisme spatial. 9 Cité par J.M Stébé In Sociologie urbaine , 2007 : p 38 10Cité par N. Bernard, In « La pauvreté dans son rapport à l‟espace : l‟introuvable mixité sociale ? », 2007 : p52 17 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques 1-3-3 De la marginalité urbaine Ce paradigme de la ségrégation socio-spatiale presque omniprésent dans la pensée urbaine induit une manière de penser les quartiers spontanés sur le mode de la « marge ». En Amérique Latine, la théorie de la marginalité a suivi et hérité de celle du dualisme (villes/campagnes), en essayant d'expliquer que les pauvres récemment urbanisés ne s'intégraient pas dans la vie et l'économie urbaines. Le concept de marginalité avait initialement un fondement géographique et économique, mais s'est vite étendu à la sociologie et à la psychologie. Dans les années 1970, pour certains auteurs inscrit dans la pensée marxiste, tel Milton Santos, la question de la spatialisation de l'habitat n'est qu'une caractéristique parmi d'autres du phénomène de marginalité, généré par des questions d'accès à l'emploi, à la protection sociale, etc. De même, sur d'autres continents, l'idée de « bisonvillisation » est utilisée pour signifier la marginalisation spatiale comme traduction physique d'une marginalisation socio-économique. Si le ghetto tendait à montrer l'incapacité de la ville à réaliser une mixité sociale, la « bidonvillisation » montre ce même échec, mais cette fois sur la base de l'incapacité du développement à faire rentrer dans le rapport salarial la totalité de la population urbaine (B. Lautier, 2006). Cette notion de marge provient en effet de conceptions géographiques: la marge renvoie étymologiquement à l'idée de bord, d'extrémité. Les marges « existent par rapport à un système englobant et à son espace dont elles constituent la périphérie. Elles se caractérisent par l'atténuation des facteurs de cohérence qui définissent le système. Par rapport au centre, cela engendre une atténuation des critères et du sentiment d'appartenance. » (Michel Rochefort;Frédéric Giraut, 2006 : p 14). Ce système formé par la ville articulé autour de centre et périphéries fait l'objet de théorisation dans le champ de la recherche géographique, qui s'intéresse à la « spatialité des sociétés », et qui a partiellement mis au point une théorie de l'analyse spatiale. Cette théorie se propose d'expliquer la localisation et la distribution des activités humaines, à partir d'une analyse des comportements et représentations dans l'espace. Cette discipline géographique a donc mis à jour des modèles qui s'appliquent principalement à la ville, autour notamment des théories des lieux centraux, de la polarisation, ou de la diffusion hiérarchique. L'utilisation des modèles tel quel que le modèle gravitaire, par exemple, formulé par analogie avec la loi de gravitation universelle de Newton, permet entre autres de faire des prévisions à moyen terme sur les flux de migrations inter-urbaines ou sur les besoins en infrastructures de transport 11. Jusqu'ici nous avons présenté la notion de marginalité comme une articulation entre 11 « Théories de l'analyse spatiale » et « Modèle gravitaire », consultés sur www.hypergeo.eu le 10 mars 2010. 18 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques centre et périphérie. Mais l'étude des marges s'est aussi placée à l'intérieur de celles-ci, pour en produire une approche qualitative, s'intéressant à l'organisation des quartiers, à leurs codes, aux récits de vies, aux représentations. C'est ainsi que le paradigme de la marge urbaine s'est progressivement détourné des phénomènes de ségrégation et d'exclusion, pour mettre en valeur le lien social, l'inventivité et la capacité créatrice des habitants des territoires marginalisés. Cette entrée dans les quartiers marginalisés s'est doublée d'une atténuation de la notion de territoire dans la problématique sociologique de l'exclusion, qui fait aujourd'hui une large place aux trajectoires individuelles, à la connaissance de nouvelles catégories d'exclus, etc. C'est ainsi que l'on a mis à jour des figures de riches entrepreneurs issus des quartiers marginalisés, et de « pauvres » évoluant dans un milieu intégré (mendiants mais aussi étudiants ou femmes seules avec enfants). Il existe donc aujourd'hui une large part de la sociologie urbaine (tout comme de la géographie ou de l'économie) qui s'attache à montrer la cohérence interne de ces quartiers, notamment des quartiers spontanés, qui sont parmi les plus marginalisés. On peut en prendre pour illustration un article de Sophie Blanchard (2006), chercheuse en géographie urbaine, étudiant notamment la relation entre territoire et identité des migrants indiens en Bolivie. Ici, il s'agit de montrer comme ces migrants venant de l'Altiplano (plaines en altitude sur la Cordillère des Andes), descendus dans la région de Santa Cruz, vallées de prospérité économique, se regroupent aux marges de la ville entre « indiens » migrants et rejetés pour des raisons culturelles par une majeure partie des habitants de la vallée amazonienne. L'auteure, après avoir décrit les difficultés d'insertion économique et les stigmatisations dont sont victimes les migrants, met l'accent sur la différenciation entre ville normée et quartiers spontanés, qui se marque par une nette coupure dans le paysage, les paysans indiens ayant tendance à recréer en marge de la ville des modèles de maison en terre qui sont leur habitat courant dans les montagnes andines; ces quartiers se distinguent par une « urbanisation du manque, de l'inachevé, du provisoire ». Une fois expliquée cette articulation entre centre et marge, l'auteure « entre » dans les quartiers et s'applique à distinguer des centres alternatifs, des réseaux économiques parallèles, des ressources culturelles (centres sportifs). Montrant également la violence et l'insécurité, elle souligne pour conclure des regroupements et une organisation locale fondateurs, autour de rituels, fêtes et solidarité, qui recréeraient une organisation villageoise, et où se jouerait, peut-être, la reconstruction culturelle nationale bolivienne permettant de passer outre les virulents clivages entre « indiens » et « métissés ». L'approche de l'auteure est donc intéressante en ce qu'elle permet de dépasser l'opposition centre-périphérie et de se placer à l'intérieur des quartiers. Cependant, il y aurait là une autre forme de « piège » épistémologique à éviter, qui consisterait à appliquer a priori le modèle 19 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques villageois au quartier, sur des indices tels que les lieux de vie et les manifestations publiques. Ainsi remarque Michel Agier (1999 : p59) à propos d'un quartier de Guyane: « La « marge », la « séparation », sous des apparences de réalité, sont des notions qui relèvent déjà de l'interprétation -une interprétation de type communautariste. Il n'y a en effet rien d'exceptionnel en soi à ce qu'un quartier dispose d'un dispensaire, d'une maternité et d'une école primaire. Nous ne savons pas si l'église ou le cimetière sont réservés aux seuls habitants de l'Esmeralda, et la symbolique du mur n'est pas explicitée du point de vue des habitants. » Pour conclure sur ce paradigme de la marge, il nous semble important de remarquer que si le territoire est un facteur à prendre en compte dans les phénomènes d'exclusion, il ne peut être considéré comme déterminant. On posera donc comme postulat que la qualité du milieu de vie peut agir sur le sentiment d'exclusion des individus et des groupes, et c'est pourquoi nous souhaitons montrer ce que l'anthropologie peut apporter comme analyse qualitative de ces espaces de vie. 20 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques 2- Anthropologie de l’espace, anthropologie de l’habiter : notions pour appréhender le quartier spontané Nous souhaitons à présent montrer en quoi l‟anthropologie, par les objets qu‟elle se donne et par sa méthodologie, peut contribuer à une compréhension fine de ces quartiers spontanés, et, par conséquent, participer d‟une approche qualitative de leur renouvellement. La notion de « renouvellement » est clairement posée comme un changement du cadre bâti. On distingue donc bien ici la réhabilitation en tant que modification de l‟espace habité, de la réhabilitation en tant que modification des conditions de vie en matière sanitaire et/ou légale. Les opérations de réhabilitation auxquelles nous faisons référence sont celles qui, soit modifient le parcellaire (voirie, lotissement…) à des degrés plus ou moins importants, soit procèdent d‟un relogement complet. Notre démarche consiste à qualifier ces lieux « en marge » en tant que systèmes cohérents au sein desquels social et spatial sont intimement liés. Nous nous situons donc entre une anthropologie de l‟espace qui explique le lieu comme une réalité en interaction avec l‟individu, et une anthropologie de l‟habiter, fondée sur des descriptions ethnographiques fines de différentes formes d‟habitat, qui montre la cohésion entre « chez-soi » et identité sociale et personnelle. 2-1 Espace bâti, espace vécu 2-1-1 Un exemple pédagogique : l’habitat Bororo par Lévi Strauss Pour ouvrir ce développement qui tend à montrer que l‟espace est à la fois producteur et produit des organisations sociales, nous pouvons en appeler à un exemple emblématique dans le champ anthropologique. C‟est dans ses « Tristes tropiques » (1955) que Claude LéviStrauss fournit une observation détaillée de la manière dont un village d‟Indiens Bororo est organisé selon une disposition spatiale sphérique ; à cette disposition spatiale stricte correspond une organisation sociale, qui se consolident mutuellement. « Le village circulaire Kejara est tangent à la rive gauche du Rio Vermelho. Celui-ci coule dans une direction approximative est-ouest. Un diamètre du village, théoriquement parallèle au fleuve, partage la population en deux groupes : au nord les « cera », au sud les « tugaré » […] la division est essentielle pour deux raisons : d’abord un individu appartient 21 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques toujours à la même moitié que sa mère ; ensuite, il ne peut épouser qu’un membre de l’autre moitié […] au moment de son mariage un indigène masculin franchit le diamètre idéal qui sépare les moitiés et s’en va résider de l’autre côté »12 On comprend à cette lecture comme les relations sociales, hiérarchisées et ritualisées, prennent forme par le sol aménagé, pratiqué et respecté. Mais ce n‟est pas tout : l‟importance de cette organisation spatiale en tant que participative de l‟identité des Bororo de Kejara est mise en évidence à la lumière d‟un événement important, à savoir un renouvellement violent de l‟organisation spatiale de leur habitat. Ce sont des missionnaires salésiens qui, voulant convertir ces populations, ont regroupés les habitants du village dans une nouvelle structure : maisons communes à plusieurs familles, disposées le long d‟une piste et se faisant face de chaque côté de cet axe. La résultante de cette modification violente est décrite et interprétée par Lévi-Strauss : « Désorientés par rapport aux points cardinaux, privés du plan qui fournit un argument à leur savoir, les indigènes perdent rapidement le sens des traditions, comme si leurs systèmes social et religieux étaient trop compliqués pour se passer du schéma rendu patent par le plan du village et dont leurs gestes quotidiens rafraîchissent perpétuellement les contours. » (Ibid. p 111) On voit bien là comme non-seulement un schéma social « est rendu patent » par des marqueurs spatiaux, mais aussi et surtout, comme la modification de ces référents engendre une modification des représentations et habitus. Le pouvoir coercitif de l‟espace est mis en évidence grâce à cette illustration. 2-1-2 Représentations et pratiques de l’espace : du corps humain « Tout se rapporte au corps » ; concernant l‟espace, beaucoup d‟auteurs s‟accordent sur cette assertion (ici R. Dragan, 1999 : p 281). D‟abord, les concepts qui fondent l‟espace se fondent sur celui-ci : haut et bas, droite et gauche, la limite et l‟étendue, etc. Le corps semble avoir été posé comme marqueur de l‟altérité (et donc de l‟identité) sociale et individuelle à divers égards. Radu Dragan explique qu‟à la Renaissance, c‟est au corps humain que l‟on eut recours pour établir un entre-deux entre l‟ici-bas et le monde divin ; il lui semble par ailleurs que cette représentation date déjà des sociétés traditionnelles. De nombreux rites impliquent le corps lorsqu‟il s‟agit de conjurer un passage vers l‟au-delà : passer sous un arche, faire entrer ou sortir par une porte une femme menstruée, un nouveau-né,... Le corps de la femme, le ventre, est l‟antre que l‟on quitte pour accéder à un dehors. Enfin, les flux que produit le 12 Cité par M. Segaud, In Anthropologie de l’espace, 2007 : p 110 22 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques corps sont indésirables et constitutifs d‟isolement et de tabous : « L’altérité n’est pas vécue uniquement comme rapport à l’autre, mais aussi comme rapport à soi-même, en ce sens que l’intérieur de son propre corps est tout aussi dangereux pour la société que l’étranger. Tous les fluides qui sortent du corps sont dangereux (même si cela est parfois interprété de façon contradictoire, comme pour le sperme et le lait) : les excréments, les crachats, le sang. Le regard peut être lui aussi dangereux et souillant, ainsi que le rire, les toussotements ou tout bruit « qui n’est pas à sa place » » (Ibid. p 290). Ce qui ressort ici, c‟est une liaison entre emplacement, espace, et conventions sociales, liaison engendrée par « ce qu‟on ne peut pas montrer », l‟intérieur du corps. Invoquant l‟étymologie du mot « existence », Augustin Berque (2002) renvoie également les modes d‟habiter au corps. Par « ex », on retrouve le mouvement vers le dehors, rappelant les passages symboliques expliqués par R. Dragan. La seconde partie du mot en latin, sistencia, vient du verbe sistere, qui signifie « se tenir », « se placer ». Ainsi, l‟être humain est être au dehors de soi, déploiement vers l‟extérieur. Tout corps humain n‟est pas que corps animal, mais corps médial ou corps social, composé pour moitié par le milieu. L‟ensemble des relations de l‟humanité aux milieux forme l‟écoumène, la terre habitée, résultante « du fait que notre monde est investi de notre corporéité, tandis que notre corps est investi de notre mondanité. ». On peut rapprocher cette pensée de l‟école phénoménologique qui explique d‟emblée qu‟être, venir au monde, c‟est avant tout être là, se situer dans une localité et une communauté à un moment donné. Le va-et-vient entre le corps et le monde est une idée que l‟on retrouve chez l‟un des fondateurs de l‟anthropologie de l‟espace, Edward T. Hall. Dans son ouvrage « La dimension cachée » (1966), il crée un néologisme pour désigner « l’ensemble des observations et théories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel spécifique » ( : p 13), qu‟il désigne donc sous le nom de proxémie. Le fondement de cette pensée est que les hommes habitent des mondes sensoriels différents, façonnés par leurs environnements ; c‟est ainsi qu‟en créant son monde, son « biotope », l‟homme détermine l‟organisme qu‟il sera (il détermine la façon qu‟il aura d‟utiliser ses sens et donc d‟interpréter le monde). Voilà pourquoi la notion de proxémie traduit le va-et-vient perpétuel entre le corps de l‟homme et son environnement : « le rapport qui lie l’homme à la dimension culturelle se caractérise par un façonnement réciproque » ( : p 17). L‟enjeu de cette posture est immédiatement énoncé par Hall sous l‟angle qui nous intéresse : si les milieux forment l‟homme, alors quels types d‟individus créent les hôpitaux psychiatriques, les prisons, les taudis ? N‟y a-t-il pas un enjeu à la rénovation urbaine plus profond que celui de l‟intégration 23 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques économique de quartiers à la ville ? Hall adopte une démarche comparative avec les recherches éthologiques, qui présentent d‟importants avantages méthodologiques. Une première comparaison lui permet de mettre en évidence la variation des besoins en espace de l‟homme selon son environnement ; la notion de territorialité, notamment, fait partie du système de comportements communs aux hommes et aux animaux. Il ressort des travaux éthologiques que le territoire doit remplir des fonctions naturelles telles que fournir un terrain d‟apprentissage, de jeu, offrir la sécurité et l‟intimité. C‟est ainsi que la territorialité coordonne les activités du groupe, assure sa cohésion et régule la densité démographique. D‟autres notions sont interpellées à partir du comportement animal, comme la « distance personnelle » (distance normale observée entre deux membres d‟une même espèce, dont le franchissement entraîne un changement d‟attitude entre les deux sujets), et la « distance sociale » (distance psychologique au-delà de laquelle la séparation du groupe entraîne une anxiété). Hall remarque par exemple que les téléphones et autres appareils de communication ont allongé la distance sociale de l‟homme. Une idée nous intéresse particulièrement, celle du « cloaque comportemental ». Ce terme est la traduction proposée par Hall de l‟anglais behavioural sink , terme de travail de l‟éthologue John Calhoun étudiant les rats. Par cette expression, l‟éthologue désigne l‟ensemble des aberrations grossières qui apparaissent dans le comportement des rats sous certaines stimulations spatiales. Traçant un parallèle, Hall considère que l‟augmentation de la densité démographique au-delà des limites naturelles dans des « enclaves » urbaines (ghettos, banlieues…) mène à ce type de cloaque comportemental. Une solution existe, qui consiste à « utiliser des artifices architectoniques pour contrecarrer les effets désastreux du cloaque sans toutefois détruire l’enclave » ; c‟est à l‟empilement de l‟habitat qu‟il est ici fait référence, et donc travaux d‟aménagement sous forme de tours et « barres » qui ont été massivement développés aux Etats-Unis comme en France. Les travaux de Calhoun montrent qu‟il suffit de placer les rats dans des boîtes séparées pour qu‟ils ne puissent se voir, de les nourrir, pour pouvoir empiler indéfiniment les boîtes et donc augmenter la population en évitant le phénomène de régulation naturelle (sujets qui s‟entre-tuent ou se « laissent » mourir). Cependant, il ressort que les animaux enfermés de la sorte deviennent stupides. A cette observation, Hall conclut : « La question qui se pose est donc de savoir jusqu’à quel niveau de frustration sensorielle on est autorisé à descendre pour « caser » les humains. Nous avons aujourd’hui un besoin désespéré de principes directeurs pour la conception d’espaces susceptibles de maintenir une densité démographique satisfaisante, et d’assurer aux habitants un taux de contacts et un niveau de participation convenables ainsi que le sentiment permanent de leur identité ethnique » ( : p 206). 24 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Si Hall a orienté cette œuvre vers une critique de l‟aménagement urbain aux EtatsUnis, et surtout sur la manière de « parquer » les minorités ethniques dans des immeubles coercitifs non adaptés à leurs besoins en espace, il nous semble que la notion de proxémie élaborée ici constitue une piste fiable pour l‟analyse des quartiers spontanés, et justifie par là une approche anthropologique dans les opérations de réaménagement. 2-1-3 L’habiter La notion d‟espace est directement liée à la perception spatiale de l‟homme. Celui-ci, comme tout autre animal, a besoin d‟un lieu approprié, d‟un ancrage au monde, d‟un chez-soi. Pour cela, l‟homme investit, structure, produit le lieu. L‟habiter recèle donc bien plus que l‟acte de s‟abriter ou de se loger : c‟est une notion constitutive de la nature humaine. La phénoménologie, que nous avons déjà évoquée, s‟intéresse donc à l‟acte d‟habiter comme fondement de l‟être. Moles (1977) 13décrit l‟espace qui s‟étend autour du sujet comme une série de « coquilles emboîtées », zones concentriques s‟éloignant progressivement du corps vers le monde, différenciées par l‟individu selon ses représentations, son vécu, ses expériences. En cela, occuper l‟espace suppose expression des émotions, du vécu, extériorisation de l‟être, et particulièrement lorsqu‟il s‟agit du logement. Perla Serfaty-Garzon (1999), qui s‟intéresse au chez-soi comme espace du quotidien, définit l‟habiter selon trois étapes : l‟instauration d‟un dedans/dehors, la question de la visibilité et du secret, et enfin l‟appropriation • Le dedans/dehors : créer un lieu, c‟est d‟abord en poser les limites. Des frontières internationales aux murs de la maison, les limites physiques distinguent une unité (le Moi) face au « reste » du monde (le non-Moi). Cette séparation permet de concentrer l‟espace face à l‟étendue, à l‟au-delà, et de créer autour de la personne, de la famille, un refuge, par un mouvement de repli sur soi. Le dedans et le dehors ne sont pas opposés ou coupés de manière imperméable ; c‟est une relation dialectique qui est établie par l‟habitant, qui peut choisir de réguler son intimité au travers d‟espaces de contact, tels que sont la fenêtre et la porte d‟entrée. Ceux-ci font du chez-soi le lieu depuis lequel on regarde le monde, mais aussi le lieu de l‟hospitalité. La notion de seuil (l‟entrée de la maison) recèle à la fois les trois dimensions spatiales, sociales et symboliques : disposition physique, il est à la fois statique et dynamique, imposant un passage de l‟espace public à l‟espace privé, que l‟on accompagne de rituels (se découvrir, se déchausser, etc) (Segaud ; 2007). Il permet de restreindre l‟accès à l‟espace 13 Moles, 1977, Philosophie de la centralité, cité par S. Vassart In « Habiter », 2006 : p. 9-19 25 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques privé, selon le statut du visiteur, grâce à des modulations ou aménagements. On peut ainsi cantonner un visiteur dans une entrée, une véranda, un couloir, etc. Chaque culture produit sa propre notion de seuil, imposant un franchissement plus ou moins ritualisé entre le dehors et le dedans, et donc des dispositifs architecturaux tout aussi différents. • Le caché et le visible : dans la continuité de la dialectique de l‟intérieur et de l‟extérieur, se trouve celle du caché et du visible. La maison et ses habitants s‟exposent plus ou moins au regard de la société ; elle permet de garder une part de secret, ou d‟extérioriser son être, son mode de vie, ses revendications… Fermeture des portes, des fenêtres, des armoires, puis cadenas que l‟on déverrouille à la faveur d‟une hospitalité grandissante. • L‟appropriation de l‟espace : cette notion renvoie, d‟abord, à celle de territoire. Celui-ci est l‟espace limité au sein duquel l‟intrus ne peut pénétrer sans violence (physique ou symbolique). Par des actes de marquage, l‟individu s‟approprie matériellement et psychologiquement le lieu ; le marquage est non-seulement la borne, la limite, mais aussi le symbole qui va de la refonte de l‟espace (abattre un mur en emménageant dans un nouvel appartement) jusqu‟au nom sur la boîte aux lettres, en passant par la décoration ou l‟instauration de règles, explicites ou implicites, avec le voisinage. Il s‟agit donc d‟une expression, d‟une extériorisation de soi, qui révèle la capacité de l‟habitant à l‟œuvre dans ses gestes les plus humbles : entretenir, ranger, décorer, mettre en scène, cacher, etc. On parle ici d‟une « syntaxe spatiale », engendrant l‟appropriation affective du lieu. Il nous apparaît important de comprendre le processus qui transforme l‟espace bâti en lieu affectif, en chezsoi : selon Serfaty-Garzon, ce mouvement n‟a lieu qu‟à partir du moment où l‟individu crée une intériorité, un for intérieur et, nourrissant une amitié à l‟égard de lui-même, cherche à déployer ce « refuge intérieur » en une demeure objective : « Tant qu’un bâtiment est pur abri, logement, tant qu’il est ustensile et instrument de protection contre les intempéries ou les ennemis, réserve de nourriture ou espace fonctionnel, il n’a pas lieu comme demeure. Il ne devient tel qu’après le mouvement d’attention et d’amitié de l’habitant envers lui-même. Mouvement à partir duquel l’habitant peut agir sur le monde, adoucir ses rugosités, le compartimenter par l’habitude en mondes familiers, répandre sur lui une douceur qui est l’essence de l’habitabilité du monde et de l’appropriation de la demeure. » (P. SerfatyGarzon, 2003 : p 27). Par ailleurs, la relation affective et l‟appropriation sont également fondées par la durée. Le temps constitue l‟une des modalités de l‟appropriation, témoignant d‟une continuité. On y trouve une tension entre passé (ancêtres), présent et avenir (descendance), le legs de la demeure familiale représentant une autre forme de passage. C‟est ainsi que la légitimité de la propriété du chez-soi s‟établit de manière morale, psychologique et affective, bien plus surement que par tout titre juridique. Ceci semble lié au 26 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques rapport profond entre appropriation et processus d‟humanisation : partant du travail de Marx, P. Serfaty-Garzon explique que par l‟action sur la nature et la production d‟objets, l‟individu transcende les savoirs et savoir-faire qui font de lui un être humain. Par ce travail, cette praxis, l‟appropriation résulte d‟un accomplissement individuel et social. Enfin, l‟auteur souligne que comme tout travail, l‟appropriation de l‟espace comporte le risque de l‟échec, et donc de l‟aliénation (Ibid.). Nous insistons sur cette dernière observation, qui nous semble évoquer les difficultés de la réhabilitation et du relogement. 2-2 Peut-on parler d’un habiter bidonvillois ? 2-2-1 L’enjeu d’établir une catégorie analytique fiable Avant tout, nous tenons à préciser que l‟adjectif employé dans ce sous-titre l‟est par défaut, puisque, comme nous l‟avons montré dans la première partie, le terme de « bidonville » ne rassemble pas l‟ensemble des réalités que l‟on peut trouver dans le monde de l‟habitat spontané ; cependant, le terme de « spontané » ayant aussi ses failles, nous avons gardé l‟ « habitat bidonvillois » comme expression de référence, puisque celle-ci a déjà pu être employée par certains auteurs (notamment dans le contexte marocain). Le terme est pour nous un instrument de travail et non-pas une catégorie figée. L‟anthropologie de l‟espace cherche donc à comprendre comment se crée le rapport de l‟homme à l‟espace, en s‟appuyant pour partie sur des observations ethnographiques dans diverses sociétés. Conduisant à l‟idée que l‟habiter est constitué d‟invariants tels que le genre, la famille, le statut social, l‟orientation, l‟étude des différents modes d‟habiter révèle ce qu‟il y a d‟universel dans ce rapport à l‟espace. Il faut remarquer que ces sociétés dans lesquelles ont été étudiés ces invariants étaient considérées comme des systèmes complets et cohérents, encore relativement résistants aux changements extérieurs, si bien qu‟il était possible de faire de l‟espace quotidien un attribut spécifique de chacune de ces sociétés, pouvant les distinguer les unes des autres ; on se trouvait au sein de sociétés « traditionnelles », prises comme des entités relativement facile à déchiffrer, et où tout changement exogène relevait d‟une perturbation violente dont les effets se laissaient interpréter. L‟exemple que nous avons cité du réaménagement du village Bororo en est une parfaite illustration. En ce qui concerne nos sociétés dites « modernes », selon Marion Segaud (2007 : p 89), seules quelques sociétés ont fait l‟objet d‟une étude assez approfondie qui autorisent à parler d‟un habiter qui leur soit 27 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques propre : la société française, la société japonaise, la société maghrébine. Cependant, nous sommes aujourd‟hui face à une nouvelle donne : la globalisation, et son expression dans le mode de vie urbain, tendent à estomper les différences culturelles significatives, et à brouiller les correspondances entre mode d‟habitat, configuration urbaine et types d‟usages. On remarque que c‟est un phénomène qui arrive aussi bien « par le haut », par le biais architectural voué au mythe de la modernité, que « par le bas », par l‟appropriation quotidienne des habitants qui jouent entre normes et pratiques quotidiennes. Voilà pourquoi l‟anthropologie de l‟habiter et de l‟espace doit aujourd‟hui s‟inscrire dans une anthropologie de la modernité en mouvement et du changement. En effet, il est impossible d‟appréhender une société comme une configuration permanente et figée. Sans tomber dans le postulat d‟une « homogénéisation occidentale du monde » qui mènerait à une impasse, ni en rester à une dichotomie tradition/modernité tout aussi stérile, il faut considérer une tension entre uniformité et hétérogénéité, une rencontre en chaque société de résistances, coexistences, transformations et emprunts. Marion Segaud propose donc, dans cette optique, d‟orienter ce champ de recherche vers une anthropologie de l‟espace de l‟homme moderne, dans une optique interculturelle et de regarder « les variétés des formes qui composent le tout » (2007 : p152). En France, ce champ de recherche commence à s‟organiser sous les notions de multiculturel, transculturel, métissage, hybridation, syncrétisme, entre-deux etc. Cette piste nous semble la plus adaptée pour étudier les quartiers spontanés comme objet anthropologique ; souvent qualifiés comme « non-lieux » sinon comme entre-deux permanents, nous souhaiterons les montrer comme entités trouvant leur cohérence dans ce métissage et ces reformulations permanentes. 2-2-2 Quels types de modèles culturels façonnent le quartier spontané? A partir des pistes énoncées précédemment, nous allons nous intéresser à l‟espace et ses représentations dans les quartiers spontanés, dont nous avons esquissé une ébauche dans la première partie. Nous souhaitons toutefois prendre une double précaution : d‟une part, en précisant que le propos ne prétend pas englober sous une vision unique et globale l‟ensemble des situations et des modes d‟habiter que l‟on peut rencontrer dans le panorama des quartiers spontanés, même réduit au continent latino-américain. D‟autre part, en avouant le caractère quelque peu aventureux de ces propositions, puisqu‟aucune œuvre anthropologique n‟a pu être invoquée sur ce thème précis qu‟est le rapport à l‟espace et à l‟habiter dans les quartiers 28 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques spontanés d‟Amérique Latine14. Nous nous appuierons donc sur trois études, pour les croiser et essayer d‟en faire ressortir les convergences. La première concerne l‟installation d‟immigrés Haïtiens autour de la ville de Cayenne, en Guyane (Catherine Gorgeon ; 1985)15, la seconde, que nous avons déjà utilisée plus haut, est celle de Sophie Blanchard sur les migrants andins dans la ville bolivienne de Santa Cruz, et enfin, dans un contexte différent mais enrichissant dans cette triangulation, l‟étude de Colette Pétonnet des bidonvilles parisiens (1985 : p15-54). Face au « brouillage des pistes » que constitue le mode de vie urbain et moderne, nous souhaitons nous tourner vers la notion de « modèle culturel », proposée par Henry Raymond et Marion Segaud (2007). Celle-ci se rapproche de celle d‟ « habitus » développée par Bourdieu (1972) : le modèle culturel indique les référents de l‟action qui sont incorporés dans chaque individu, qui participe lui-même d‟une culture donnée. Ces référents, implicites ou explicites, sont transmis à travers l‟éducation et guident nos pratiques et représentations. Ils agissent sur les idées que nous nous faisons du rapport à l‟autre, des relations familiales, des relations entre les genres, etc., et président au sens que nous donnons à chacun des espaces domestiques et publics ainsi qu‟à leur relation. Les modèles culturels organisent donc la vie quotidienne, individuelle et sociale : « Les transformations et les aménagements intérieurs sont déterminés par les caractéristiques spatiales (formes, volumes, disposition…), qui laissent plus ou moins de liberté à l’habitant pour modeler l’espace selon ses propres critères, selon l’idée qu’il se fait de la vie de famille ou d’un espace privé. Ces pratiques de réaménagement vont différer selon les individus dans la mesure où le sens qui est accordé à l’espace varie en fonction du niveau social des individus, de leur âge, de leurs besoins, de la particularité de leur itinéraire (naissance, divorce…), etc. » (N. Haumont, 1982-1986)16 La question est donc de savoir si l‟on peut parler d‟un « habiter bidonvillois », autrement dit, de voir quels sont les modèles culturels dominants qui entrent en jeu lorsqu‟il s‟agit de renouveler ces quartiers. Pour mettre à jour ces modèles, qui diffèrent d‟un lieu à l‟autre, l‟étude ethnographique nous semble indispensable. C‟est pour cela que nous avons arrêté notre choix sur les trois études précédemment citées : la minutie des descriptions, 14 De nombreux travaux s‟intéressent à la vie sociale au sein de ces quartiers, d‟autres aux défis qu‟ils posent en terme d‟insalubrité, de surpopulation et d‟insécurité, mais non aux représentations spatiales et modes d‟habiter. Il est probable que ce type de recherche existe, notamment certaines thèses sur le continent latino-américain, mais nous n‟avons pas pu y avoir accès. 15 15 Gorgeon Catherine, . Immigration clandestine et bidonvilles en Guyane, les Haïtiens à Cayenne. In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 1 N°1. Septembre. pp. 143-158 16 Citée par S. Vassart, Ibid., p 9 29 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques embrassant à la fois installation physique et modes d‟organisation sociale, nous permet de mettre à jour des constantes tout en discernant les particularités de chaque contexte. Il semble ressortir deux dimensions principales que l‟on pourrait faire correspondre à des modèles culturels plus ou moins efficients : d‟une part, la multiculturalité de ces bidonvilles, d‟autre part, une situation d‟ « entre-deux » interminable. Ces deux facteurs agissent sur l‟espace en le hiérarchisant et en venant jouer sur le processus d‟appropriation (l‟autorisant à des degrés différenciés). a) La multiculturalité : Ce que nous entendons ici par « multiculturalité », c‟est le croisement des modèles culturels. Croisement, puisque certains habitants arrivent d‟autres pays ou régions, mais aussi puisque souvent, ce sont des habitants venant d‟un monde rural qui doivent apprivoiser la ville. Ces différents « bagages culturels » concentrés en un lieu, en un espace qui va être collectivement vécu, donnent naissance à un espace hybride, où se rencontrent les cultures et les modes d‟habiter pour créer un « vivre ensemble » original. Parfois, cette adaptation est difficile. L‟article de Sophie Blanchard nous en donne une illustration parlante, en observant que les habitations construites par les migrants andins ne sont pas adaptées au climat chaud et humide de la région de Santa Cruz. Elle y voit clairement une persistance du modèle culturel de ces habitants, qui se démarque et du modèle local traditionnel (un type de hutte rectangulaire au toit en feuilles de palmier), et du style colonial dans lequel est bâtie Santa Cruz. Par ailleurs, on remarque également dans l‟article que ces « migrants andins » ne constituent pas une unité puisqu‟on peut distinguer les Aymaras des Quechuas ou encore des Ayoreos, autant de peuples indigènes aux cultures et aux langues distinctes ; on regrette d‟ailleurs que l‟article n‟aille pas plus en profondeur dans l‟analyse de cette rencontre (on ne sait pas s‟ils s‟installent en des lieux différents par exemple). L‟article portant sur les bidonvilles de Cayenne nous apporte plus de précision sur cette question du regroupement interethnique : les quartiers étudiés, répondant aux noms d‟Eau-Lisette et Petit Bonhomme, sont constitués d‟habitants de nationalités diverses, à savoir très peu de Français, des Saint-Luciens, des Guyanais, Antillais, Brésiliens et enfin des Haïtiens. L‟auteur explique que la première image qui se dégage de ces quartiers, conforme à celle que les habitants cherchent à en donner, est celle d‟une cohabitation interethnique pacifique voire harmonieuse. On y insiste sur la dimension amicale, même si les relations effectives entre différentes nationalités sont limitées ; on se salue, on se tolère, mais on ne comprend pas bien l‟autre (les difficultés de langage sont souvent invoquées, ou tout 30 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques simplement la différence culturelle), donc on ne se mélange pas. Ainsi, au sein des quartiers, les habitants se regroupent par identités ethniques ; les sous-groupes ainsi formés sont le lieu d‟une solidarité répondant à l‟hostilité extérieure, celle de la ville. Pour reprendre alors l‟idée des « coquilles emboitées» de Moles, formées par et autour de l‟individu selon son vécu et ses représentations, il semble que le regroupement ethnique forme l‟une de ces coquilles, espace intermédiaire spatialement délimité, entre l‟intimité (elle-même toute relative puisque plusieurs familles peuvent vivre sous le même toit) de la baraque et le quartier formant une autre limite (peu de visiteurs y pénètrent ; il est délimité physiquement, verbalement et socialement par l‟imaginaire qu‟il véhicule), puis la ville comme « reste du monde ». Cette coquille intermédiaire est le lieu où l‟on s‟entraide pour la construction d‟un logement, où les femmes surveillent mutuellement leurs enfants, où l‟on partage les douches, moment intime s‟il en est. Des espaces jouent le rôle de « nœuds », où l‟on se rencontre entre nationalités différentes, pour jouer à la Borlète (sorte de Loto) ou pour se livrer à des activités clandestines ; celles-ci (jeu, travail au noir, location immobilière frauduleuse), ayant leurs propres exigences sociales, accommodent également l‟espace et les représentations : elles sont « rejetées dans les endroits que l’on ne voit pas », mais semblent à la fois marquer une rencontre privilégiée entre Haïtiens et Guyanais. On retrouve exactement ces observations et interprétations dans l‟étude de Colette Pétonnet : les habitants du bidonville sont de nationalités diverses (Espagnols, Marocains, Gitans, Français venant du monde rural…) et vivent dans un équilibre entre regroupement communautaire et organisation villageoise. C‟est que l‟auteure appelle une « répartition rythmée », absolument nécessaire pour apprivoiser l‟hétérogénéité : « Son équilibre interne [celui du bidonville] est basé sur le jeu des alliances et des rapports entre les hommes, le groupe fondateur, même minoritaire, étant investi d’une légère autorité. Les regroupements de villageois ne se juxtaposent pas, ils s’interpénètrent dans une sorte de rythme socio-spatial ; Cette répartition, rythmée, autorise les individus, grâce à leur emplacement et à celui de leurs alliés, à multiplier leurs trajets de manière à couvrir le territoire. Donc la répartition des habitants, en favorisant les trajets, favorise les rencontres et engendre de nouvelles relations. Non seulement elle rythme l’espace de points de repère mais elle rythme l’affectivité en ouvrant l’éventail des rapports humains. Chacun pouvant se situer par rapport aux autres dans un espace affectif, les différences sont respectées et une vie de quartier s’instaure.» (C. Pétonnet, p : 51) On voit donc que les modèles culturels agissent sur la pratique et l‟organisation sociospatiales ; on aimerait avoir plus de précision sur les constructions en elles-mêmes (sont-elles différentes selon les groupes, ou les contraintes économiques modélisent-elles une 31 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques « habitation type » ?). Par ailleurs, si nous faisons le postulat que ce mode d‟habiter multiculturel s‟instaure à son tour comme modèle culturel, c‟est que la plupart du temps, au moment où ils ont les moyens de s‟installer « en ville », les habitants expriment un manque quant à cette organisation (en opposition à la solitude ressentie notamment en appartement), ou même, préfèrent consolider leur habitat, améliorer leurs conditions de vie dans le bidonville même, plutôt que de le quitter. Ils invoquent alors ce besoin de solidarité de voisinage. A l‟inverse, certains habitants expriment à un moment un sentiment d‟étouffement par rapport à leur quartier, et un besoin de « partir vers la société plus lâche » (C. Pétonnet). b) L’entre-deux : Nous plaçons cette notion dans la continuité de la première. En effet, nous avons noté les différentes appartenances culturelles des habitants, qui donnent lieu à une reconstruction originale. Mais on peut aussi voir que les habitants sont dans un contexte de tiraillement (pas nécessairement pris comme douloureux), entre une culture et une autre, ainsi qu‟entre un passé et un « avenir meilleur », le présent étant sensé ne représenter qu‟une « étape de transition ». Si certains utilisent le bidonville comme ce « sas d‟intégration » à la ville, d‟autres érigent leurs quartiers avec l‟intention d‟y rester. Mais alors, les problèmes légaux et la précarité économique et foncière viennent limiter l‟appropriation, et les maintiennent dans un « entre-deux ». En quelques sortes, l‟entre-deux psychologique maintient les habitants dans une appropriation socio-spatiale incomplète… et vice et versa. On peut trouver un exemple de cet entre-deux qui se fonde et sur le rapport passé/avenir, et sur le rapport appropriation/précarité dans l‟étude sur les bidonvilles de Cayenne : l‟auteur explique que le premier groupe s‟étant installé en 1954 dans le quartier de Petit Bonhomme a reçu l‟accord « amical » du propriétaire qui leur a permis de défricher et de s‟installer. Ils ont même pu planter des arbres fruitiers et cultiver un jardin, tâche d‟appropriation à la symbolique forte (rapport au sol, à sa fertilité, et au temps cyclique). Progressivement sont arrivées des familles de Guyane et des Antilles françaises, puis des Brésiliens et enfin des Haïtiens, jusqu‟à une importante « vague » d‟immigration de ces derniers dans les années 1980 due à une crise particulièrement grave dans leur pays. Ainsi l‟auteur observe une hiérarchie entre ces différents groupes, qui s‟incarne dans leur installation spatiale et qui exprime leur sentiment d‟appartenance à la communauté : le groupe des « Vieux habitants » composé par les pionniers, se marque par un retrait, des baraques commodes et décorées, habitées d‟une seule famille. Le groupe des « immigrés en cours de stabilisation » est formé de familles aux revenus satisfaisants, mais pas assez pour accéder à 32 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques un logement dans un autre quartier. Installés généralement depuis plus de cinq ans en Guyane, ils considèrent leur immigration comme « quasi définitive ». Enfin, le groupe majoritaire est celui des « jeunes immigrés célibataires », auquel peuvent être intégrés de jeunes ménages. Leurs situations économiques sont variables, mais se rejoignent dans la précarité de leur situation. Qu‟ils aient ou recherchent un emploi, ou soient dans l‟impossibilité de retourner dans leur pays pour des raisons légales ou économiques, ils considèrent le quartier comme un espace de transit. On remarque également que les habitants bâtisseurs sont relativement peu nombreux, et que beaucoup se contentent de louer des baraquements ; une échelle d‟intégration au quartier différencie donc également les propriétaires ayant bâti leur logement des locataires, qui subissent des conditions de vie plus difficiles. Effectivement, lorsqu‟on considère l‟habitat dans l‟ensemble de ses dimensions symboliques et affectives, telles que nous avons pu le montrer précédemment, on comprend l‟enjeu qui se trouve entre location et auto-construction. Eriger de ses propres mains permet déjà une expression physique, une expression du Moi dans le monde, dont les locataires sont privés. Selon Colette Pétonnet, l‟habitation recèle effectivement un art de vivre, une adaptation du bâti à cette période d‟incertitude que vit l‟être « de passage » : « L’habitation proprement dite est l’expression d’un mode d’être en mutation, et, comme telle, aussi variée que les individus auxquels elle convient à un moment donné de leur histoire » (C. Pétonnet : p 53). Y‟a-t-il alors un « type d‟habitat » exprimant la mutation ? On retrouve au sein des trois articles cette même description d‟un habitat évolutif, constitué globalement d‟une pièce simple et d‟adjonctions consécutives dans des matériaux divers et variés, consolidés si les moyens le permettent. On peut citer l‟article décrivant l‟installation des migrants andins : « Même si l’on observe des maisons faites de bric et de broc, elles ne sont le plus souvent que la première étape d’une progressive consolidation de l’habitat. Les maisons ont une base en dur, en général les murs de la pièce principale, et des extensions en matériaux plus précaires. […] Les maisons sont le plus souvent des bâtisses rectangulaires de plain-pied, parfois à un étage, en briques et d’un seul tenant, avec un toit en tôle faiblement incliné. Elles sont de taille réduite, une pièce le plus souvent au début, et les habitants les agrandissent petit à petit en fonction de leurs rentrées d’argent. » (S. Blanchard : p 30). Le fait de retrouver ce processus de construction dans tous les exemples étudiés peut vouloir montrer que le bâti exprime l‟incertitude de leur établissement dans laquelle se trouvent les habitants (conjointement aux difficultés économiques auxquelles ils sont confrontés) ; la prise de possession du sol semblant tout aussi progressive que la création du sentiment d‟appartenance. Sur ce thème, Perla Serfaty-Garzon, dans une réflexion sur « le chez-soi à l‟épreuve des mobilités » (2006), met l‟accent sur ce mode d‟habiter qui recèle toujours en lui 33 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques premier mouvement de départ, ce départ qui a impliqué de quitter son système de référence pour entrer dans une sorte de nomadisme ; sentiment de nomadisme qui se maintient au sein du quartier spontané qui se dresse en regard de ville ancrée, forte, en regard du voisin qui cultive son jardin et appartient au lieu. Elle souligne également le rôle très important des émotions dans ce rapport au chez-soi mobile et incertain, et c‟est ainsi qu‟elle conclut, de manière assez lyrique : « Mais le corps, le cœur et la raison, dans une configuration qui change au cours du cycle de vie, sont, dans l’immigration et l’installation, toujours en dialogue et en conflit. Ils tirent l’immigré d’un bord puis de l’autre, le faisant voir les choses sous l’angle rationnel pour, l’instant d’après, lui faire ressentir des émotions obscures et douloureuses, dont la source semblait pourtant tarie. C’est dans les fêlures et les failles entre ces termes, dans cette triangulation que s’installe et s’exprime un sentiment du chez-soi à la fois sûr de lui et incertain, hésitant et pourtant triomphant. » (P. Serfaty-Garzon, 2006 : p 32) 2-2-3 La réhabilitation : Une re-fondation ? Nous avons abordé le rôle de l‟appropriation physique de l‟habitation comme une expression nécessaire du Moi. Nous avons par ailleurs mis en évidence des caractéristiques constantes du quartier spontané qui sont la multiculturalité et l‟entre-deux ; nous allons alors essayer de voir comment ces donnés culturels jouent sur l‟appropriation, non-pas de la maison, mais du quartier dans son ensemble, comme un tout cohérent. Chacun s‟affirme par rapport à l‟autre : c‟est vrai lorsque l‟on parle d‟identité personnelle tout comme dans le domaine plus particulier de l‟habiter, où l‟on crée sa « bulle », son foyer, comme une protection/expression au cœur de l‟altérité. C‟est ce paradoxe de la limite « à double sens » qui va nous intéresser maintenant. Pour prendre possession d‟un territoire, il faut d‟abord en tracer les limites : c‟est l‟un des premiers actes fondateurs. La limite, loin d‟être uniquement matérielle, relève d‟une forte dimension symbolique. Radu Dragan explique que la limite est la condition nécessaire pour rendre le rapport de classe « possible et désirable », pour en faire un équilibre régulateur entre deux parties distinctes qui s‟entretiennent. La limite serait un isolant spatial que l‟on édifie entre Moi et l‟autre ; cet isolant, pour être approprié, doit relever d‟un effort, voire d‟un sacrifice : « Ainsi, la prise de possession d’un territoire en l’encerclant a le même sens que le sacrifice de fondation : l’énergie dépensée est l’équivalent de l’écoulement du sang. Dans les deux cas, il s’agit d’un échange entre l’individu et l’espace, et le moyen terme de cet échange est son propre corps. » (R. Dragan, 1999 : p 291). On retrouve ici le corps qui est médiateur, et ses flux, le sang, 34 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques assimilé à l‟énergie qui, si elle est offerte, légitime la propriété. Cette dimension de l‟effort comme acte d‟appropriation peut être lu dans de nombreux récits d‟installation dans les quartiers spontanés. On a déjà signalé le terme d‟ « habitants bâtisseurs » renfermant, pour les auteurs qui l‟emploient, une légitimité et un respect qui s‟opposent au terme de « squatteur », où l‟on verrait alors celui qui s‟approprie, qui usurpe en quelques sortes, sans avoir produit l‟effort fondateur. Un isolant doit dont être posé entre différentes classes, populations, ethnies, etc., pour que chacun des groupes puisse affirmer son identité et occuper son espace dans un équilibre avec l‟autre. Cependant, il est clair que la limite n‟est pas forcément nette et continue : elle peut être poreuse, mouvante, ménager des entre-deux, des espaces intermédiaires… Elle peut même ne pas avoir d‟expression spatiale. A ce titre, R. Dragan remarque qu‟en réalité, les murailles les plus hautes sont celle dont le pouvoir est le plus faible. En effet, la raison d‟être d‟une limite étant avant tout socio-psychologique, c‟est sur le plan moral qu‟elle trouve son expression la plus forte. Pourquoi une haute muraille n‟a-t-elle aucun pouvoir ? Car elle sépare des groupes qui n‟ont pas les mêmes valeurs, qui n‟habitent pas les mêmes mondes. Alors, elle n‟est qu‟un obstacle physique dont on viendra à bout par un moyen ou un autre (même la grande muraille de Chine a pu être franchie. Pour certains, elle avait plus vocation à enserrer un territoire pour renforcer le sentiment de cohésion en son sein, qu‟à repousser une quelconque attaque ennemie) (P. Picouet 2007). A contrario, une limite forgée au sein d‟un ensemble culturel cohérent n‟a pas besoin de s‟exprimer physiquement pour être respectée, car sa raison d‟être est comprise, intégrée. L‟enjeu représenté par son franchissement est bien plus profond que celui d‟enjamber un mur : la violation de cette limite relève alors d‟une violation grave, d‟ordre moral. Ou, si l‟on replace cette réflexion dans le cadre de nos quartiers urbains, leurs limites avec le reste de la ville n‟est pas nécessairement physique, mais les habitants des autres quartiers les connaissent; en les franchissant, ils ont conscience de pénétrer un monde qui observe une hiérarchie, un mode de vie et un code de valeurs différents des leurs, et savent qu‟ils s‟exposent à des dangers éventuels ; cette relation suppose quand même des références communes et un monde partagé. Dans ce contexte, il nous semble que l‟imaginaire collectif joue pour beaucoup ce rôle de frontière. Les discours, politiques, médiatiques ou quotidiens, façonnent une imagerie et un vocabulaire communs qui marquent des limites claires entre les quartiers spontanés et le reste de la ville. L‟intérêt de certains habitants de ces quartiers de renforcer ces images parfois stigmatisantes, semble donc de renforcer ces limites, pour affirmer l‟identité de leur quartier et donc leur propre appartenance. Ce que nous avons voulu faire ressortir, c‟est la symbolique forte qui se trouve dans 35 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques ces actes d‟habiter « en marge » dans des quartiers auto-construits. Ces quartiers sont les lieux d‟une appropriation et d‟une identification intenses ; ils sont structurés spatialement et socialement, et forment donc des entités « intégrées » en ce sens d‟un système interconnecté entre dimensions sociales, morales, spatiales. C‟est d‟ailleurs pour cela que l‟on compare généralement ces quartiers à des structures villageoises, en opposition à la métropole individualiste produisant des identités collectives assez floues. C‟est ainsi que nous en arrivons à ce questionnement sur la reformulation de ces quartiers. Une reformulation telle que nous l‟entendons touche nécessairement à l‟un des éléments qui forment cette cohérence : le bâti. Dans sa version la plus douce, la reformulation va aménager le quartier en ouvrant et/ou goudronnant des voies, retracer le parcellaire en le désengorgeant, etc. Dans sa version violente, la reformulation signifie tout simplement un effacement du quartier, les habitants sont alors soit entièrement replacés sur un nouveau terrain, soit placés dans des logements sociaux. Quoi qu‟il en soit, le système et l‟équilibre créés sont modifiés. Le plus petit réaménagement porte en lui des bouleversements qu‟il convient de prendre en compte : la création d‟une place publique relèvera d‟un nouvel espace de rencontre qui, selon son emplacement, sa disposition, et bien d‟autres facteurs, pourra être approprié de manière positive ou négative par le groupe (lieu de convivialité ou d‟activités clandestines ? A quelles heures ? Qui en assure l‟entretien ? Etc.). De même, l‟ouverture d‟une rue, voire d‟une avenue, ne ménageant pas de coins en retrait, laissant plonger le regard de part en part, ouvrant des voies entre des groupes auparavant distingués, on le devine, concoure à de profonds remaniements sociaux. Mais c‟est sur la question du déplacement que nous souhaitons nous arrêter : puisque l‟acte de bâtir sa maison, de parcourir et d‟habiter le quartier sont des moyens d‟appropriation non-seulement de cet espace mais aussi du monde environnant, alors le déplacement semble incarner une réelle dépossession. C‟est pour cela que l‟intégration des habitants au projet relève d‟un enjeu très important, pour pouvoir, éventuellement, transformer cette perte en une re-fondation. Plusieurs éléments nous guident vers cette possibilité d‟une re-fondation : d‟une part, le rapport au sol vierge, et d‟autre part, l‟écriture de cette histoire par les habitants euxmêmes, pouvant faire figure de « mythe fondateur ». En effet, toute société se crée autour de récits : contes, fables, mythes mettant en scène les divinités ou les ancêtres, sous diverses symboliques qui forgent l‟identité de chaque société. A ce titre, Marion Segaud cite régulièrement le mythe fondateur de Rome, dont les multiples versions ne recèlent pas l‟enjeu narratif de savoir qui a fait quoi, mais bien celui de fonder Rome, autrement dit de donner au récit le sens que l‟on veut donner à la cité. Le rôle du mythe est donc bien de créer une 36 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques identité collective, un référent, un commencement donnant sens au présent, par le biais de personnages, de valeurs et de représentations communes. Ce que nous avançons alors, c‟est que lors d‟une réhabilitation, d‟un déplacement, l‟histoire commune a tout de l‟épopée. Le déplacement donne lieu à des aventures, des batailles, qui sont dominées par des héros ; tout du moins, l‟aventure vécue par les habitants fait nécessairement l‟objet d‟une « romantisation » par les récits du quotidien au coin de la rue comme par ceux que relèguent les médias et/ou autres observateurs extérieurs. Si le relogement fait l‟objet d‟une concertation avec les habitants, c‟est pour eux l‟occasion d‟être les acteurs de ce récit, ce qui s‟inscrit dans l‟enjeu d‟appropriation. On peut peut-être alors postuler que le « devenir imaginaire » du quartier se joue à ce moment, puisqu‟il s‟agit de prendre possession d‟un lieu, il faut créer le récit de sa fondation, qui aura une influence continue sur la perception d‟une identité commune ou non, d‟un lieu favorable ou non, d‟une terre d‟accueil ou non. 2-3 La prise en compte des usages dans la conception architecturale : « passer du vide au sens » 2-3-1 L’espace architectural est un espace euclidien et programmatique Nous avons précédemment mis en avant le rapport interactif entre espace et habitant. La question que nous souhaitons alors poser est celle du rôle des aménageurs et architectes dans la création de l‟espace, puisqu‟ils sont les acteurs premiers de toute réhabilitation. Si l‟anthropologue et le sociologue se tournent d‟emblée vers les dimensions implicites de l‟habiter, les architectes ont une conception différente de l‟espace comme produit, que nous allons ici essayer de décrire. Comme nous l‟avons vu, le quartier spontané est entassement, désordre, accumulation. Réhabiliter ces quartiers, quand il ne s‟agit pas de les déplacer, relève d‟une action de réagencement qui commence par une reformulation du parcellaire. Agrandir les voies de circulation, par exemple, fait partie de ces opérations qui s‟inscrivent dans une optique d‟ordre pratique et sanitaire : on pense en référence aux travaux d‟Haussmann qui ont retravaillé la structure parisienne en ouvrant de larges avenues au travers des ilots. Particulièrement dans le cas de l‟Amérique Latine, la spatialité occidentale semble dominer un peu partout dans le monde (Segaud 2007). Qu‟entendons-nous par « spatialité occidentale » ? Celle-ci est construite sur une conception euclidienne de l‟espace, c„est-à-dire 37 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques rapportant celui-ci à une formule mathématique. L‟apothéose de cette conception se trouve dans l‟œuvre de Le Corbusier et dans la Charte d‟Athènes qui promulgua en 1933 les principes fondateurs de l‟architecture moderne. Les principes émis par Le Corbusier avaient une ambition universelle ; selon lui, la géométrie devait permettre d‟appliquer les mêmes principes en France, au Maroc ou au Brésil. Le tracé doit être régulateur et le bâtiment doit exprimer la fonction. La ligne droite corrige, rectifie, là où « la rue courbe est l’effet du bon plaisir, de la nonchalance, de la décontraction, de l’animalité »17. Un sociologue précurseur dans le domaine de l‟architecture, Henry Raymond, définit l‟espace architectural ainsi conçu par Le Corbusier en trois caractéristiques de base : c‟est un espace euclidien, ponctuel et pragmatique. •L‟espace euclidien : « objets géométriques simples, représentations perspectives rigoureusement liées à la présentation globale de l’œuvre, impérialisme de la ligne droite » (H. Raymond, 1973 : p 394-416)18 , tels en sont les préceptes fondateurs. Selon Le Corbusier, les lignes claires et droites sont à l‟origine d‟un sentiment de bien-être, c‟est pourquoi il prône « les joies de la géométrie » comme principe premier en architecture urbaine. Les architectes, remarque Marion Segaud, apprennent à travailler sur des feuilles blanches, traçant des lignes et des perspectives, faisant ainsi une abstraction maximum du contexte (physique mais aussi historique et social) au sein duquel s‟érige le bâtiment. Si ces méthodes sont l‟apanage de l‟école moderne, il semble que le processus continue d‟être enseigné et employé aujourd‟hui (Segaud ; 2007 ; p 190). •L‟espace ponctuel : l‟espace est envisagé comme un contenant peuplé de divers événements architecturaux. Autrement dit, les éléments sont répartis dans l‟espace, sans nécessité de continuité ou de cohérence que géométrique, ce qui est permis par une « préparation » de l‟espace effaçant les particularités du site face à la trame transposée. •L‟espace programmatique : on se trouve ici dans la conception temporelle du projet. L‟espace est programmé selon un axe temporel, élément par élément, ce qui permet la transposition en tout lieu d‟un même programme. L‟œuvre de Le Corbusier était orientée vers un bien-être social universel, puisque ses solutions architecturales visaient à offrir logements et « bonheur » dans la ligne et l‟angle droit. Cependant, cette méthode de la tabula rasa, qui a été la méthode de réhabilitation et de construction de nombreuses villes ou périphéries –on pense notamment à Brasilia-, relève d‟une conception de l‟espace qui nie l‟habitant. On le voit lorsqu‟il parle des taudis : son 17 18 Le Corbusier, 1966, cité par M. Segaud, In Anthropologie de l’espace, 2007 : p 190 H. Raymond, 1973, cité par J.M Stébé ,In Architecture, urbanistique et société, 2002 : page 156 38 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques approche, qui se focalise sur les questions sanitaires, fait abstraction des personnes qui le vivent comme un univers quotidien travaillé : « Le taudis est caractérisé par les signes d’insuffisance de la surface habitable par personne, la médiocrité des ouvertures sur le dehors, l’absence de soleil, la vétusté et la présence permanente de germes morbides, l’absence ou l’insuffisance des installations sanitaires, la promiscuité provenant de voisinages fâcheux. Le taudis est prolongé au dehors par l’étroitesse des rues sombres et le manque total de ces espaces verts créateurs d’oxygène qui seraient si propices aux ébats des enfants » (Le Corbusier, 1943)19. Ce qui semble ressortir d‟une telle conception, c‟est que tant que ses besoins vitaux (logement, espace, lumière…) sont satisfaits, l‟homme peut s‟épanouir pleinement. Or, nous pouvons rappeler ici la thèse de E.T Hall sur l‟environnement qui façonne l‟être : puisque, des Etats-Unis au Maroc, des quartiers bourgeois à la campagne, nous n‟habitons pas les mêmes mondes sensoriels, alors il est vain de tenter de répondre à des « besoins » qui seraient « universaux ». C‟est pourquoi, l‟aménagement urbain et l‟architecture, lorsqu‟ils imposent des tracés et des formes, surtout au travers de la ligne droite et de la grille, expriment un fort pouvoir coercitif sur les habitants pour qui ce mode d‟occupation de l‟espace n‟est pas « culturellement spontané ». C‟est pourquoi ce type de transformation du territoire peut donner lieu à une acculturation. On en a un exemple évident avec l‟utilisation du plan en damier sur le sol Sud-américain lors de la colonisation, mais on peut également noter qu‟auparavant, les Incas ont utilisé le même procédé pour assoir leur autorité sur le peuple Aymara, en imposant une nouvelle orientation du territoire andin vers la capitale Inca, Cuzco. De même on peut rappeler l‟exemple cité en entrée de l‟asservissement des Bororos au travers de la reformulation de leur structure villageoise. 2-3-2 Les besoins et compétences des habitants De quelle façon peut-on alors comprendre les besoins des habitants et inclure ces besoins au projet architectural ? Une méthode est proposée par certains techniciens qui s‟intitule « Analyse des besoins des usagers »20 (ABU). Cette méthode doit rigoureusement employer des techniques de collecte d‟information auprès d‟un échantillon d‟habitants, par le biais d‟entretiens et de questionnaires. On s‟intéresse donc là aux désirs exprimés des personnes, dans un contexte 19 20 Le Corbusier, La Chartes d’Athènes, 1943, cité par J.Marc Stébé, Ibid. Traduction de l‟américain « User Needs Analysis » 39 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques particulier, qui se distinguent des besoins déterminés par la recherche fondamentale. Robert Sommer (2003), psychologue comportementaliste, dont les recherches sont à placer dans le contexte de grands travaux urbains de la seconde moitié du XXème siècle, principalement aux Etats-Unis, explique que cette rencontre première entre chercheurs et techniciens était laborieuse : l‟information qui était fournie par les spécialistes (psychologues, anthropologues, sociologues) aux praticiens nécessitait une traduction, qui limitait son utilisation pratique (Sommer dénonce le recours à un « jargon » scientifique destiné à un public avertit ; une communication de spécialiste à spécialiste, en cercle fermé). Par ailleurs, un problème se posait entre eux sur la temporalité du projet, les architectes se plaignant de réponses trop générales et trop tardives de la part des spécialistes, qui eux, reprochaient à leurs collègues d‟attendre des réponses déterministes sur les schémas du comportement. Après quelques temps de collaboration infructueuse, il semble que les chercheurs et techniciens aient appris à poser des questions auxquelles l‟autre discipline pouvait répondre. Par ailleurs, Sommer note que de nombreux architectes viennent puiser dans les sciences sociales pour se forger une culture sur des théories générales telles que la perception, la vie sociale dans les quartiers, etc. La méthode ABU, quant à elle, se propose donc de se baser sur les « préférences exprimées », et de recourir aux croquis et à la photographie pour simplifier le dialogue et l‟expression par les habitants de ce qu‟ils désirent. Certaines écoles, comme la Urban Development Corporation à New-York préconisent même aux architectes d‟habiter pour un temps dans les lieux qu‟ils dessinent ou qu‟ils vont remodeler, dans le but d‟ « entrer en contact direct avec les futurs occupants des lieux ». On se trouve là dans une démarche anthropologique ; cependant les architectes semblent exprimer un certain désarmement face au maniement de cette méthode. C‟est ce que l‟on comprend dans l‟expression de Neal Deasy, qui vécut pendant une semaine sur un campus universitaire, lorsqu‟il dit s‟y être senti «aussi visible qu’un animal imaginaire ». On trouve donc dans cette démarche ABU une profonde dimension qualitative, mais qui ne saurait se passer pour autant de spécialistes des sciences sociales. Une fois que l‟on a mentionné la possibilité d‟une approche qualitative réunissant techniciens et spécialistes, on n‟a rien dit du fond du problème, qui est celui de la traduction en un projet, en une structure, des habitus et besoins d‟un groupe d‟individus. En effet, un premier problème résulte du fait que l‟on travaille avec un groupe : celuici peut être unité mais aussi agglomération d‟individualités. Certaines questions amenées par un projet mettent d‟ailleurs en lumière des conflits latents ou avérés entre différents groupes 40 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques d‟usagers. Un travail de médiation, d‟arbitrage est donc obligatoire, mais compliqué, pour trouver un compromis, qui se situera dans le champ du « nécessaire commun », contournant les désirs particuliers et donc controversés. A ce titre, Sommer précise qu‟il est primordial que l‟usager interrogé aie foi en son pouvoir d‟influencer les décisions, sinon sa participation ne serait que superficielle. Cependant, il faut faire attention à ne pas susciter de faux espoirs en laissant croire aux enquêtés que leur participation aura valeur de « requête » ou de « bulletin de vote ». Partant, un champ d‟analyse se penche sur la distinction entre besoins et désirs, et le compromis utilisé de façon pragmatique par les décideurs est celui de « besoins exprimés ». On se trouve donc dans le domaine de la communication verbale et surtout de la compétence verbale des habitants. La notion de compétence des habitants est la pierre angulaire des projets fondés sur la participation. Cette compétence désigne la capacité des habitants à produire et désigner leur espace, en puisant dans leurs modèles culturels. Nous avons abordé plus haut cette notion, qui se rapporte à celle de l‟habitus entendue par Bourdieu, et reprend cette idée que les besoins dits fondamentaux tels que manger, dormir, se reproduire, sont universaux mais « se pratiquent » de manière différente au sein de chaque culture, et donc s‟expriment dans des constructions et aménagements qui ne sont pas interchangeables ou exportables. C‟est ainsi que, pour Henry Raymond, l‟architecte doit considérer l‟habitant nonpas comme un « être de besoins », mais bien comme un « être de pratiques » qui articule son existence dans un espace hérité et en perpétuelle évolution. La compréhension de cet équilibre est l‟enjeu pour l‟architecte : « L’architecte est, dans le domaine du logement, celui qui, à partir de la connaissance des pratiques, interprète ces pratiques dans un espace de représentation. C’est dire que sa tache est immense et périlleuse, car il ne s’agit pas de reproduire des modèles « spontanés », qui du reste n’existent pas ou plus, mais d’interpréter dans l’espace des pratiques virtuelles ; pour ne citer qu’un exemple : à quelles conditions doit répondre un rebord de fenêtre s’il est situé au huitième étage ? (ce qui ne met pas en cause le rebord mais la notion d’étage !) » (H. Raymond, 1974 : p50-53)21. Pour revenir à notre réflexion sur la compétence des usagers, celle-ci est donc d‟abord langagière, en ce qu‟elle s‟incarne dans la capacité de l‟individu à organiser la lisibilité de l‟espace. Cette compétence s‟accompagne de la performance, puisque par le langage tout comme par d‟autres biais comme la représentation graphique, l‟habitant peut définir virtuellement l‟espace mais aussi le produire. Autrement dit, le « savoir dire » conditionne un « art de faire » (M. de Certeau, 1980). C‟est à cette compétence des habitants que font appel les projets participatifs ; cependant, la difficulté réside bien dans ce passage, cette 21 H. Raymond, 1974, cite par J-M Stébé, Ibid., p 221 41 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques transcendance d‟un signifié en un signifiant, qui doit amener à l‟érection d‟un bâtiment. Henry Raymond propose deux notions pour passer du modèle culturel au bâtiment : la commutation et la transmutation. •La commutation : cette opération s‟appuie sur l‟existence de « types architecturaux » qui se définissent par une structure de correspondance entre un espace construit et des valeurs qui lui sont attribuées par le groupe social auquel cet espace est destiné (Devillers). Ainsi, le mot « maison » est un commutateur servant de relais entre l‟habitant et l‟architecte ; ce vocable désigne un ensemble de propriétés entendues entre interlocuteurs partageant un système de valeurs. •La transmutation : l‟étape suivante est l‟adjonction au bâti d‟éléments non signifiants, et qui sont l‟œuvre de l‟architecte inscrivant sa réalisation dans le domaine de la Culture. C‟est ce que H. Raymond appelle « la beauté du geste » ; l‟architecte, au travers du dessin, assure le passage d‟éléments traditionnels à de « véritables standards diffusables ». Une autre approche nous permet d‟aller plus loin dans la considération de la compétence langagière des habitants. La limite de l‟approche d‟Henry Raymond, c‟est que le « type » architectural ne fait sens qu‟entre acteurs partageant les mêmes modèles culturels, les mêmes référents. Or, dans un projet d‟aménagement, et tout particulièrement dans un projet de réhabilitation de quartier spontané qui peut être appuyé par des experts internationaux, les interlocuteurs ne partagent pas nécessairement les mêmes référents culturels. André-Frédéric Hoyaux (2003) propose une méthode s‟inscrivant dans une recherche phénoménologique, qui paraît enrichissante pour notre sujet. En effet, ce qu‟il propose, c‟est de reconnaître aux habitants, non-seulement la capacité à exprimer leur réalité par un discours, mais aussi la capacité d‟expliciter eux-mêmes ce discours, rôle traditionnellement impartit au chercheur. Selon A.F Hoyaux, l‟explication par le chercheur de ces discours, selon ses propres cadres de représentation, mènerait à un hiatus herméneutique entre ce que l’habitant dit et le sens de ce qu’il dit. Pour éviter ce hiatus, il faut donner l‟occasion à l‟habitant de s‟expliquer, car le langage résulte en soi d‟une manière d’être au monde, et seul le langage permet à une tierce personne d‟avoir accès à cette relation et au sens que chacun lui donne. Il faut donc créer une méthode qui permette : -d‟inviter l‟habitant à s‟exprimer sur le monde dans lequel il vit au quotidien dans sa « banalité » -de donner à l‟habitant la possibilité d‟expliquer lui-même, de lui-même et pour luimême cette relation au monde. C‟est ainsi que le chercheur pourra comprendre les structures qui se mettent en place 42 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques chez l‟habitant pour « soutenir cette relation au monde », et surtout, en quoi ces structures sont fondamentales pour la constitution même de cet être (« l‟être-là qui est au monde », comme le nomme exactement le champ phénoménologique). . Dans cette perspective, la méthode proposée par A.F Hoyaux est celle du double entretien. Un premier entretien permet au chercheur de faire exprimer à l‟enquêté sa relation au monde quotidien. Le second entretien permet au chercheur d‟exposer à son interlocuteur les interprétations qu‟il a mises à jour a priori sur les significations que donne l‟habitant à son univers, et ainsi d‟y apporter ensemble les modifications presque toujours nécessaires. L‟auteur explique que cette démarche relève d‟une sorte de maïeutique permettant à l‟habitant de remettre ses interprétations dans le contexte de son existence au monde et de sa vie en général. 2-3-3 Peut-on envisager un « design social » ? Cette dernière notion est une méthode de travail proposée par Robert Sommer (2003), et relève d‟une tentative de croisement entre architecture et sciences du comportement. Le premier trait caractéristique du design social est de faire participer les usagers (bien distingués du client : par exemple une mairie ou une entreprise) à la planification et à la gestion de l‟espace. Cette contribution de l‟usager doit être systématique pour que l‟on puisse identifier un projet comme relevant du design social. Mais le concept ne s‟arrête pas à la participation comme concertation ; il s‟agit de « développer une sensibilité à la beauté, un sens des responsabilités par rapport à l’environnement de la planète et à d’autres créatures vivantes », tout en compilant des informations sur les effets de l‟environnement bâti sur les êtres humains. Ces objectifs ne peuvent être atteints qu‟avec le travail concerté de professionnels de diverses disciplines, au sein d‟organisations de grande envergure. Il s‟oppose donc au design formel sur plusieurs points fondamentaux : une approche locale du bas vers le haut contre des références internationales, une approche tournée vers l‟usager contre la seule prise en compte du propriétaire, le processus démocratique contre le processus autoritaire… Ainsi Sommer inscrit le design dans un processus plus large d‟activisme environnemental et de combat pour l‟application des Droits de l‟Homme. Il relève même, selon l‟auteur, d‟un véritable mouvement idéologique dépassant les frontières de l‟urbanisme, refusant ce système social où l‟argent fait loi (il s‟inscrit alors dans la période des années 1970, mais il semble que le propos soit encore d‟actualité). La définition du design social et son inscription dans un domaine plus vaste 43 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques d‟engagement pour la préservation des ressources naturelles, particulièrement les énergies fossiles, nous rappelle deux moments fondamentaux que sont le Sommet de la Terre à Rio (avec l‟adoption des Agenda 21) et la Charte d‟Aalborg. Celle-ci se présente comme une « anti Charte d‟Athènes », puisqu‟elle prône une densité et une mixité des fonctions urbaines, au service d‟un développement durable dont les villes entendent assumer la responsabilité22. L‟Agenda 21 va dans le même sens mais à une échelle plus globale, puisque sa ratification est internationale ; il s‟agit de rétablir un équilibre entre pays du Nord et pays du Sud, en préservant les ressources naturelles et par une approche locale, redonnant aux collectivités une certaine responsabilité. Le design social s‟inscrit donc clairement dans cette veine (si l‟on peut dire, puisque chronologiquement il a précédé ces deux traités) qui propose, à diverses échelles, de se préoccuper du bien-être de chacun et des générations à venir. 22 Voir http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/agenda21/textes/aalborg.htm 44 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques 3- Quelle place pour l’anthropologue praticien au sein d’un projet de réhabilitation ? 3-1- A quelles logiques les actions mises en place répondent-elles ? Nous avons jusqu‟ici cherché à appréhender la question des quartiers spontanés de façon assez théorique, en interrogeant les paradigmes de la ségrégation sociale puis de l‟habitat, qui est la question clef de notre réflexion. Nous souhaitons à présent regarder du côté de l‟action, nous intéresser aux modus operandi passés et en cours, en les mettant en perspective avec les notions d‟habiter que l‟on a pu extraire. Pour ce faire, il convient de tourner notre regard vers les acteurs des programmes et projets, et de comprendre les raisons de leurs actions. Nous avons identifié deux « entrées » menant à la réhabilitation des bidonvilles, qui sont l‟objectif de réduction de la pauvreté, et la gestion urbaine où l‟on rassemble bonne gouvernance et développement urbain durable. 3-1-1 L’entrée par la réduction de la pauvreté La manière dont ont été traités les quartiers spontanés a beaucoup évolué à travers le temps, et aujourd‟hui encore on trouve de nombreuses manières de faire. Dans un premier temps, disons aux alentours des années 1950, même s‟il est délicat de dater de tels phénomènes, l‟heure était plutôt à l‟ignorance. Beaucoup rappellent que ces quartiers échappaient à la ville légale par le seul fait de ne pas apparaître sur les plans de la ville, ou seulement comme des zones grisées indistinctes (fait noté entre autres par Virginie BabyCollin à propos des barrios de Caracas ; 2000). Cette négation de la réalité de ces quartiers s‟appuyait sur une double argumentation : le phénomène était conjoncturel (dû à un exode rural incontrôlé) et pouvait être régulé grâce à la croissance économique (UN Habitat). Pendant ce temps, ce sont les idées de l‟architecture moderne édictées par Le Corbusier qui dominent. Ainsi, alors que l‟on croit à la résorption spontanée des quartiers auto-construits, des pays comme la Colombie, l‟Argentine ou Cuba expérimentent leurs premiers plans d‟organisation spatiale, au travers des immeubles d‟habitation, du zonage fonctionnel… (J. Lopez Pelaez, 2008) 45 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Dans ce contexte d‟intensification de la planification et de forte croissance urbaine, la Banque Mondiale commence à jouer un rôle prépondérant dans le traitement de l‟habitat informel. On sait déjà l‟influence qu‟a cette institution en Amérique Centrale et Latine, conjointement à d‟autres organisations « sœurs » comme le F.M.I ou l‟ONU. A partir de la fin des années 1970, la Banque Mondiale émet des recommandations qui se fondent sur la nécessité de réduire la pauvreté urbaine et d‟améliorer les conditions de vie des populations les plus défavorisées, et donc notamment de tous les mal-logés. C‟est à cette période, sous l‟égide de Mac Namara, Président de la B.M de 1968 à 1981, qu‟apparait la notion de « satisfaction des besoins essentiels », qui doit aider la masse de population d‟un pays à contribuer au développement économique national. Ainsi est prise en compte la nécessité pour chacun de bénéficier d‟un logement. La politique alors mise en place par la B.M cherche à offrir un parc de logements pour le plus grand nombre… Mais en adaptant son aide aux ressources disponibles, au détriment de toute considération qualitative et sans même prendre la juste mesure de ce que pouvait représenter cette question du logement des pauvres. Dans une brochure éditée en 1975, les experts affirment que : « La seule façon de mettre un logement adéquat à la portée d’un plus grand nombre en un laps de temps relativement court est de réduire le coût de l’offre »23 ; il ne s‟agit donc pas là de trouver des solutions techniques et architecturales adaptées à un logement souhaitable, mais bien d‟adapter le logement aux ressources, ce qui n‟est possible qu‟en procédant à une réduction drastique des normes de surface et de confort. Déjà largement critiquable en soi, cette doctrine n‟a pas même atteint aux objectifs escomptés, puisque la production de ces parcs de logement a finalement plus profité aux classes « moyennes basses », contribuant à renforcer le clivage entre ville officielle et ville marginalisée (A. Osmont ; 1985). On confirme cette information par l‟observation des politiques urbaines en Colombie, où, à partir des années 1970, on retrouve cette entrée par la normalisation socio-économique. De 1970 à 1974, un programme intitulé « Les quatre stratégies » centrait l‟effort sur la production de logements sociaux et le renforcement du secteur de la construction, conjointement à la création d‟un système de crédit pour l‟accès à la propriété. Particulièrement, en 1971, un document intitulé « Normes minimales d‟urbanisation et services publics et communautaires » oriente la question des quartiers spontanés vers la construction de nouveaux logements et la normalisation des quartiers existants au travers de standards minimaux, argumentant la nécessité, vraisemblablement à la suite des 23 Brochure Habitat. Politique sectorielle, éditée par la Banque mondiale en 1975, citée par A.Osmont In « La banque mondiale et les politiques urbaines nationales », in Politique Africaine, Mars 1985, n°17 46 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques recommandations de la B.M, de s‟adapter « aux possibilités et aux ressources d’un pays pauvre ». Il semblerait que l‟ensemble de ces programmes, la normalisation du parcellaire, accompagnée de l‟accès au crédit, ait contrebalancé le marché illégal en faveur des classes populaires à revenu plus stable. Par ailleurs, ce type d‟action n‟a pas pu avoir une très large portée, étant donné le faible nombre de terrains disponibles pour ces modes d‟organisation. Avec le Sommet du Millénaire et la ratification des fameux Objectifs du Millénaire, le contexte international des années 2000 remet à l‟ordre du jour la réhabilitation des quartiers spontanés par le prisme de la lutte contre la pauvreté. La « cible 7.D » des O.M.D (Objectif n°7 : Préserver l‟environnement) propose donc de « réduire sensiblement, d’ici à 2020, les conditions de vie de 100 millions d’habitants des taudis ». Cet objectif peu significatif se base sur un indicateur de la part d‟habitants urbains vivant dans un taudis, ceux-ci étant désignés comme tels s‟ils répondent au moins à l‟une de ces conditions : Accès insuffisant à une source d‟eau améliorée/ Accès insuffisant à des infrastructures d‟assainissement améliorées/ Surpeuplement (trois personnes par pièce)/ Habitations faites de matériaux non durables. On peut remarquer d‟une part une définition faisant peu de place aux conditions locales (la notion de surpeuplement n‟est manifestement pas la même en Asie qu‟en Europe ou en Afrique ; qu‟est-ce qu‟un matériau durable et quelles sont les ressources usuelles ?...), ainsi qu‟un objectif chiffré qui ne prend pas la juste mesure du phénomène. Cependant, cette conception de la pauvreté urbaine comme phénomène à part entière dans la problématique du développement donne naissance à de nouvelles politiques d‟action. La dépendance, la vulnérabilité et l‟exclusion sociale sont des notions que l‟on prend en compte aux côtés des problématiques plus connues de l‟accès à la santé, à l‟eau ou à l‟éducation (T. Paulais ; 2003). Les bailleurs de fonds, dans leur jargon développementiste, fondamentalement anglophone, promeuvent des projets sous la bannière de l’empowerment (insertion) de l‟urban poor, termes parmi d‟autres invoqués autour de la problématique de la réhabilitation des quartiers spontanés. 2-1-1 L’entrée par la gestion urbaine : vers la « bonne gouvernance » et le développement urbain durable On se place ici du côté de la production du système urbain. Peut-être moins directement que par la lutte contre la pauvreté, le F.M.I et la Banque Mondiale ont influé sur les manières de traiter les quartiers spontanés par leurs doctrines économiques : déréglementation, privatisation, décentralisation, préservation des grands ensembles macroéconomiques, ont jalonné les années 1970 à 1990, jusqu‟à une remise en question de 47 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques l‟omnipotence du marché et une réaffirmation du rôle des Etats. Si nous prenons appui sur ces doctrines, c‟est que leur influence sur les Etats du Sud et notamment d‟Amérique Latine a été considérable, au point parfois de se substituer aux stratégies nationales. Prenant les bidonvilles comme un « résidu » du développement économique, les mécanismes mis en place devaient corriger ces « désajustements ». Les « thérapies » proposées en matière de politique urbaines s‟appuyaient sur des fondamentaux tels que la réduction des interventions publiques, le libre marché du logement, la limitation de l‟aide à la personne, la privatisation du foncier et de l‟immobilier (V. Renard ; 2001) Des outils sont imposés pour mener à bien les politiques urbaines, notamment la planification urbaine, l‟aménagement du territoire ou la fiscalité foncière. L‟outil planification n‟est pas anodin, en ce qu‟il recèle un certain mode de pensée, et ne peut porter ses fruits que dans certaines conditions ; en Amérique Latine particulièrement, il semblerait que le plan d‟urbanisme ne soit pas nécessairement considéré comme un moyen d‟action, oscillant parfois entre « la simple explicitation visuelle d’une volonté politique et le pur exercice de rhétorique » (V. Renard ; 2001). De même, les opérations de remembrement peuvent être vécues comme une « dictature du parcellaire » ou inversement comme l‟expression de l‟ « obligation sociale de propriété », selon les traditions et cultures politiques de chaque nation ou localité. Un exemple patent est celui de la problématique qui oppose système foncier moderne avec cadastre et titres de propriété, avec le système coutumier relevant de traditions et de lois non écrites. Pour reprendre notre exemple colombien, on remarque de nouveau une nette adéquation des politiques mises en place avec les ordonnances des organismes internationaux. Le contexte de décentralisation et de « démocratisation » des années 1980-1990 ont donné lieu à l‟introduction en Colombie d‟une nouvelle politique de planification urbaine. Les pouvoirs locaux (particulièrement les municipios : second niveau de division administrative) se sont vus dotés d‟autonomie et de ressources financières et opérationnelles, et d‟autre part, ont émergé à cette époque de nouvelles formes de démocratie participative, point essentiel que nous allons détailler ci-après. En 1978, la « Loi organique de développement territorial » comporte les principes généraux sur lesquels doivent s‟appuyer les municipios pour formuler leur « Plan de développement » : atteindre l‟objectif de « conditions optimales dans le domaine physique, économique, social et administratif » en se fondant sur les « techniques modernes de planification urbaine et coordination urbaine régionale »24 . La nouvelle Constitution de 1991 est clairement orientée vers l‟aménagement du territoire, la planification et l‟intégration des objectifs environnementaux, le tout dirigé vers une occupation durable du 24 Loi 61 de 1978, Art. 3, cité epar Juanita López Peláez, Ibid. 48 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques territoire (J. Lopez Pelaez, 2008). On a ici, dans les principes énoncés, tous les éléments qui président aujourd‟hui aux politiques de la ville : équilibre social et développement durable. Ce revirement opéré par la Banque Mondiale à la fin des années 1990 réintroduit le pouvoir de l‟Etat, la dimension sociale et commence à prendre en compte une « durabilité » des infrastructures ; on peut prendre pour marqueur le document édité par la B.M en 1999, intitulé « A strategic view of urban and local governement issues : implications for the Bank », qui affirme tous ces principes. En revenant du côté du social, de la société civile et de sa participation, on rejoint la nécessité de s‟attaquer au phénomène des quartiers spontanés, mais par de nouvelles méthodes qui impliquent participation et « bonne gouvernance ». Ce terme de « bonne gouvernance » est primordial dans le monde développementiste actuel ; il fait partie du jargon inévitable sous lequel on peut placer quantité de signifiés, et par lequel on peut justifier quantité de projets, et l‟on en vient à substituer fréquemment ce terme à celui de « démocratie ». C‟est le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qui a introduit ce vocable en 1997, par un document qui en proposait une définition à but usuel pour les bailleurs internationaux. Le texte définit la « bonne gouvernance » par la rencontre de l‟Etat, de la société civile et du privé, au sein de procédures incluant participation, règle de droit, transparence, réactivité, équité, efficacité, efficience, responsabilité (GEMDEV-AMODEV, 2008). La « bonne gouvernance » concerne donc l‟exercice du pouvoir, économique, politique et administratif, auquel doivent participer toutes les parties prenantes, et en premier lieu, les bénéficiaires des projets. A ce titre, on peut remarquer en particulier la Déclaration de Caracas de 1991, qui a édicté de grands principes pour le logement des plus pauvres, à savoir : 1. Connaître et reconnaître les dynamismes dont les quartiers populaires sont le siège 2. Consolider le statut des habitants 3. Rechercher des formes adaptées de représentation des habitants en complément de la démocratie représentative 4. Transformer l‟action publique pour l‟amener à être plus globale, moins sectorisée 5. Subordonner les rythmes administratifs aux rythmes sociaux 6. Concevoir des financements adaptés aux moyens et préoccupations des habitants. On voit donc que les années 1990 ont marqué l‟entrée dans une aire où participation populaire et bonne gouvernance posent les grands principes de la gestion urbaine. C‟est sur ces fondements que l‟on conçoit globalement les projets de réhabilitation urbaine aujourd‟hui, même s‟il n‟y a pas de règle en la matière et que chaque projet relève d‟une articulation particulière. Il est donc intéressant de prendre une certaine distance par rapport aux discours 49 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques des institutions, et de regarder ce qui est fait en pratique. A ce titre, on peut en référer à la position de Téolinda Bolivar, connue pour son engagement personnel auprès des habitants des barrios de Caracas. Celle-ci affirme la nécessité d‟une triangulation entre habitants constructeurs, représentants du gouvernement et professionnels et/ou techniciens. Selon elle, « Ce trio est indispensable au processus de production, de reproduction ou de transformation de l’existant, pour garantir de bonnes conditions d’habitabilité. Omettre un seul de ses agents sociaux implique que le résultat ne sera pas réalisable et n’atteindra pas le nécessaire optimum. » (T. Bolivar, 2005) ; mais l‟originalité de sa position tient surtout en l‟affirmation que les habitants seuls ne peuvent assurer un résultat matériel suffisant, ni garantir les services et équipements nécessaires à l‟habitabilité d‟un territoire, et c‟est pourquoi les représentants des pouvoirs publics doivent assurer aux habitants bâtisseurs le soutien de professionnels et techniciens : elle s‟engage donc pour un appui des pouvoirs publics aux populations, non-pas après-coup et dans une stratégie de « survie », mais bien auprès d‟eux au moment où ils en ont besoin, au moins sur le plan technique pour éviter les désastres tels que la perte de vies humaines dues à des installations précaires sur des terrains sujets à glissements. 3-1-3 Réhabilitation et best practices En nous appuyant sur un bilan récent dressé par l‟UN Habitat 25 en matière de gestion des bidonvilles, on constate que les pratiques « violentes » d‟éviction ou de déplacement ne sont plus cautionnées, même si elles ont encore cours de manière sporadique. Pour autant, ces procédés sont présentés comme acceptables si la démarche inclut une concertation avec les habitants. Ainsi, les opérations de déplacement -resettlement- sont “au mieux, entreprises avec l’accord et la coopération des ménages […]. Au pire, le déplacement est à peine mieux qu’une éviction forcée, sans tentative de consultation ou de considération des conséquences économiques et sociales du fait de déplacer des personnes vers des endroits distants, souvent périphériques et sans accès aux infrastructures urbaines, aux services ou aux transports. »26. D‟autres modes d‟opération, moins violents, ont donc été expérimentés, tel que l‟amélioration progressive –in situ upgrading- qui se fonde plus sur la compréhension des spécificités locales, notamment en matière d‟accès au foncier. Ce mode d‟opération agit sur 25 Brochure « The Challenge of slum : Global report on human settlement 2003 » Traduction personelle de l‟anglais : « At best, relocation is undertaken with the agreement and cooperation of the slum households involved […] At worst, resettlement is little better than forced eviction with no attempt at consultation or consideration of the social and economic consequences of moving people to distant, often peripheral, sites with no access to urban infrastructure,services or transport.”, Brochure UN Habitat p132 26 50 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques trois points, que sont la fourniture des services de base, l‟apport de politiques novatrices pour l‟accès à la propriété, et l‟accès à de nouveaux systèmes de crédit. De tels projets avaient l‟avantage d‟être peu couteux au regard d‟opérations comme le relogement, de montrer une ample capacité d‟intervention (en termes quantitatifs), cependant, leurs limites ont été montrées quant à la durabilité des effets, venant selon les experts d‟une rupture, d‟une noncommunication entre pouvoirs et population. La « facilitation » -enabling policies- a été largement développée après la conférence Habitat II de 1996, et s‟articulait entre les questions de sécurité foncière et de développement économique, mais en mettant l‟accent sur le travail fondamental de partenariat avec les populations aidées, non-seulement dans les processus d‟amélioration, mais aussi lors des phases clés que sont les prises de décision et de conception du projet ; aujourd‟hui, cet accent mis sur la mobilisation populaire est regardé comme un argument au désengagement des Etats de la question de l‟habitat. Le rôle gouvernemental, au travers de délégations ou d‟agences, était alors principalement d‟assurer qu‟un soutien était apporté aux opérations, mais dans la pratique ce rôle a souvent été assumé par des associations locales ou des ONG internationales. Aujourd‟hui, un modus operandi est proposé comme « best practice » dans le domaine du traitement des quartiers spontanés, à savoir l‟ « amélioration participative » ; il est considéré que plus la communauté est pauvre et enclavée, plus important devra être le processus participatif. La participation n‟est pas demandée que sur le plan de la prise de décision, mais également par une contribution financière, sensée assurer leur engagement et leur « récompense »27. On se place ici dans une approche holiste qui cherche à considérer les quartiers dans un ensemble de problématiques incluant la santé, l‟éducation, l‟habitat, l‟environnement et le genre. De tels projets nécessitent une réelle cohésion entre les différentes parties prenantes, notamment entre acteurs privés comme les associations et ONG, Etat, et bénéficiaires. Pour conclure cette revue, on remarquera forcément le manque sur la question de l‟habitat : dans l‟ensemble des politiques que nous avons décrites, le logement est considéré comme un « besoin essentiel », celui du toit, de l‟abri, ne prenant en compte que ses aspects fonctionnels, occultant les principes de modes d’habiter, de modèles culturels et d‟intégration à un monde médiatisée par le logement… Autrement dit, les dimensions qualitatives de l‟habitat semblent largement occultées au profit d‟objectifs chiffrés. Comme le remarque Annick Osmont, « les objets urbanistiques visent toujours à permettre l’accès d’une masse croissante de population urbaine aux services urbains, notamment le logement, mais ils sont 27 « comitments and reward », dans le texte. 51 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques destinés avant tout à constituer les supports institutionnels, physiques, techniques et financiers de la recherche d’une intégration économique plus satisfaisante des PVD à l’échelle mondiale » ( 1985, p 9). S‟il nous semble nécessaire de garder perpétuellement à l‟idée la prégnance de ces logiques économiques, il faut par ailleurs remarquer que certaines expériences récentes se distinguent justement par l‟attention apportée à l‟habitat ; nous en prendrons pour exemple le programme Twize mené en Mauritanie par le GRET sur une période de dix ans, de 1998 à 2008. Ce programme comportait quatre volets, le principal étant la construction de logements, accompagné de missions de microcrédit, formation et appui aux activités communautaires/projets de quartier. Le premier intérêt du programme est d‟avoir procédé par une démarche participative et expérimentale, élargissant progressivement son champ d‟action après apprentissage et validation sur un espace restreint. Cette démarche a été complétée par une capitalisation qui semble assez exhaustive, prenant en compte l‟ensemble des impacts amenés par le programme (mutations urbaines, socio-économiques, perceptions par les habitants, attentes …) ; une attention particulière est notamment portée aux « modules » (constructions simples pour les logements), à leur appropriation, à leurs défauts et à la question de l‟amélioration de l‟habitat comme levier de réduction de la pauvreté. Les auteurs se demandent ainsi si le programme s‟est contenté de construire des lotissements, ou s‟il est parvenu à « faire de la ville », et si les bénéficiaires ont pu y créer du lien social et se projeter dans leur quartier. Par ailleurs, les auteurs de la capitalisation font preuve d‟un réel sens critique, lorsqu‟ils précisent la relativité des évaluations menées : « Nous émettons néanmoins quelques réserves face à ces réponses sur l’amélioration des conditions d’hygiène, de santé et de la sécurité car elles semblaient « toutes faites », formulées comme par habitude. Les animateurs nous ont confié qu’ils n’avaient eu de cesse de répéter ces idées lors des journées de sensibilisation. » (A. Choplin, 2009 : p 50). Une telle approche nous semble non seulement intéressante, mais surtout indispensable, et nous trouvons là une place de choix pour l‟anthropologue praticien, ayant non-seulement des connaissances sur les principes de l‟habiter mais aussi une capacité à poser un œil aiguisé sur l‟ensemble des parties prenantes d‟un projet, du bénéficiaire au technicien, et à les mettre en perspective avec un contexte donné (traditions, logique projet, poids des projets passés, etc.). 52 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques 3-2- La « participation populaire » au cœur des pratiques de réhabilitation 3-2-1 Articulation des projets autour du paradigme participatif Le présupposé à toute « bonne gouvernance » est la participation de la société civile ; il n‟y a plus un projet, tant dans le champ de l‟urbanisme que du développement, qui ne fonctionne par processus participatif. Bien sûr, les « niveaux » de participation et leur efficacité sont variables. Par ailleurs, il convient de remarquer que la participation de la société civile dans de tels projets se distingue d‟une certaine méthodologie participative inhérente aux projets de développement, employée dans un premier temps auprès des populations rurales et étendue progressivement à divers types de projets. Cette méthodologie, explicitement définie dans des manuels (méthode MARP, PIPO…)28, est un outil pour comprendre l‟organisation, les représentations et les attentes d‟un groupe donné, parfois divisé en « sous-catégories » séparant les femmes, les ménages à revenus faibles, moyens, élevés, les notables, etc. Si ce type de méthodologie peut tout à fait être employé dans une « approche quartier », généralement, la prise en compte de la société civile au sein de projets urbains d‟une certaine ampleur passe plus par le dialogue avec des organisations déjà en place ; c‟est très net notamment en Amérique Latine, où dans des pays comme le Brésil et le Venezuela, les associations locales sont actives et efficaces. L‟agence des Nations Unies pour l‟Habitat distingue ainsi d‟une part les associations dont le but est de promouvoir certains droits, et plus généralement la démocratie, auprès de l‟Etat, et qui sont donc globalement les grandes ONG, et d‟autre part les associations de quartier appelées dans le jargon développementaliste les community-based organizations (CBO). Celles-ci, ancrées ou occasionnelles, peuvent concerner aussi bien les loisirs qu‟un thème commun de revendication, et sont prises en compte dans le sens où elles travaillent au développement de leur communauté29. Ces CBO sont donc les interlocuteurs privilégiés des décideurs (Etat ou coopération internationale), mais peuvent aussi constituer à eux seuls un levier de développement local, lorsque le mouvement est assez solide et organisé. On peut en prendre pour exemple une expérience brésilienne, située dans le quartier de la Cité de Dieu à Rio de Janeiro, aujourd‟hui mondialement connu par le biais du film portant le même nom. Dans ce quartier, la volonté populaire a permis de faire émerger une organisation influente ayant mené à bien de nombreux projets pour les habitants. Le quartier 28 29 Pour plus de détail, se référer aux sites de la FAO, du Cota ou du GRET Brochure UN Habitat p 148 53 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques regroupait depuis les années 1980 de nombreuses associations telles que groupes de samba, ciné-clubs, églises actives, groupes de danse ou mouvement noir. C‟est en 2003 que, cherchant à surmonter l‟isolement et les divisions qui opposaient certains groupes, les associations ont donné naissance à un comité de quartier, appelé le Comité Communautaire de Cité de Dieu. Dès 2004, le Comité a engagé deux projets de grande ampleur : -Un relevé initial des demandes de la population locale incluant des thèmes comme le travail, l‟emploi, l‟éducation, la santé, l‟environnement, le sport… -L‟élaboration d‟un premier Plan pour le développement de Cité de Dieu, endossé par un forum communautaire élargi, avec des directives tracées pour une période de cinq ans (jusqu‟en 2009), comme instrument pour avancer vers l‟articulation de programmes, de projets et d‟actions sociales à l‟œuvre dans le quartier, de même que vers la mise en place de nouvelles initiatives au bénéfice de la communauté. En 2006, le Comité a constitué sa forme juridique légale sous l‟appellation Agence Cité de Dieu Développement Local, dont le principal but était la formation d‟un pouvoir exécutif permettant de mener à bien les projets proposés. L‟Agence a pour associés et dirigeants les organisations et associés liés au Comité, et elle a pu se former grâce au soutien d‟un organe du gouvernement fédéral et de l‟Institut Brésilien d‟Analyses Sociales et Economiques, ce qui atteste une certaine transparence et une efficacité communicationnelle. On peut notamment remarquer parmi toutes les réalisations de l‟Agence, le projet de création de logements sociaux pour 618 familles du quartier, qui reçoit le soutien de la Caisse d‟Epargne Nationale et de la Municipalité de Rio de Janeiro. L‟intérêt particulier de ce projet étant bien son impulsion par les habitants pour les habitants, par l‟intermédiaire du Forum Communautaire dont les rencontres semestrielles réorientent les grandes lignes et priorités du plan de développement local (C. Silveira, 2007). Ce cas est donc un parfait exemple de ce que l‟on appelle un partenariat bottom-up, la société civile tirant à elle des soutiens institutionnels, techniques et financiers pour réaliser un projet qu‟elle a elle-même élaboré. Nous allons à présent montrer un exemple de participation au sein d‟un projet impulsé par lune autorité et mettant en action toute une chaîne de « représentants », jusqu‟au plus petit maillon, l‟habitant. Le contexte est toujours brésilien mais nous place à présent dans la ville de Sao Paulo en 2002/2003. Il s‟agit d‟octroyer des titres de propriété à certains habitants d‟un quartier ; cette action s‟insère dans un programme plus vaste appelé « Quartier Légal », développé par le Secrétariat Municipal au Logement (SEHAB). La chaîne organisationnelle s‟articulait comme suit : -La Coordination du programme appartint à la Superintendance de Logement Populaire (HABI) qui fonctionne comme un département du Secrétariat au Logement et 54 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Développement Urbain, organisme responsable du développement et de l‟implantation des programmes et des projets d‟habitat, destinés à la population vivant en logement « sousnormal » (bidonvilles par exemple). -HABI, quant à elle, est sous-divisée en trois départements. Cet organisme possède une administration décentralisée dans diverses régions de Sao Paulo, qui sont dénommées HABI- Régionales. -Les HABI Régionales sont responsables de la réalisation du travail sur le terrain avec l‟aide d‟entreprises recrutées. -En plus de tous ces acteurs, pour la mise en place du programme, a été créé un groupe de Régularisation, formé de juristes, sociologues, architectes et assistants sociaux. Le projet avait l‟ambition de se fonder sur une forte dimension participative, cherchant à favoriser un diagnostique collectif des problèmes du logement, et une participation active des habitants dans le processus de légalisation. Ce processus participatif fut donc impulsé localement par les HABI régionales. Celles-ci suivirent globalement la même méthode : -Rencontre et dialogue avec les dirigeants des mouvements de lutte pour le logement -Production de matériel didactique de divulgation du Programme (brochures, dépliants, schémas…) -Identification des meilleurs endroits dans la zone pour faire des réunions -Journées de réunions et ateliers, pour la mobilisation autour des thèmes de régularisation foncière -identification de dirigeants (élection ou sélection de représentants faisant le lien avec la population) -Création d‟un Forum de discussion, avec pour objectif de « déclencher une construction collective conjointement à la population organisée pour l’appropriation et la discussion des concepts issus du nouveau jalon légal urbain » (K. Uzzo, 2005) Nous n‟irons pas plus loin dans la description de ce programme, car la régularisation foncière est un problème à part entière dans le contexte des quartiers spontanés, et il mériterait d‟être traité spécifiquement. Ce que nous voulons retenir de cette expérience, c‟est la chaîne descendante depuis l‟Etat (promulgation d‟une loi) vers les habitants. Deux points principaux justifient la mise en œuvre de cette pyramide complexe : d‟une part, le fait que le changement émane d‟un texte de loi, objet étranger et lointain, et d‟autre part, le fait qu‟une régularisation soit un processus complexe, nécessitant un traitement au cas par cas, après analyse des documents de chaque famille. Cet exemple montre que ce qui est appelé « participation » au sein de projets urbains peut relever d‟articulations complexes, non spontanées et donc surement biaisées. 55 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques 3-2-2 La participation en question Les processus participatifs font l‟objet d‟une analyse critique : depuis le champ de la recherche à partir d‟études sur la gouvernance ou sur l‟aide au développement (Ph. LavigneDelville), mais aussi depuis le champ professionnel où certains praticiens n‟hésitent pas à nuancer des méthodes devenues des « packs prêts à l‟emploi », en faveur d‟une analyse approfondie des relations entre développeurs et habitants (L. Morlat). Une première observation, qui peut être facilement lisible dans l‟exemple que nous venons de détailler, tient à la légitimité des groupes de représentants mis en place autour d‟un projet. Dans quelle mesure une population se reconnait-elle en un groupe créé ex nihilo par une entité extérieure ? Les chercheurs du GEMDEV notent ainsi : «Les acteurs institués et reconnus par les pouvoirs publics pour défendre les intérêts des habitants ne semblent pas représentatifs du tissu social. Les organisations religieuses (et parfois maffieuses) implantées dans certains quartiers marocains depuis longtemps ont plus de légitimité aux yeux des habitants que des « amicales » créées de toutes pièces par les autorités » (GEMDEVAMODEV, 2008, p 17). Ce rapprochement des habitants à des groupes aux activités illégales ou violentes est patent dans un pays comme le Brésil. Le chercheur Nicolas Bautès, qui étudie de manière comparée la mobilisation dans les espaces de marge entre Inde et Brésil, explique que ce rattachement spontané à des organisations mêmes mafieuses, plus qu‟à des groupes « démocratiques » institués lors d‟un projet, tient d‟une logique d‟auto-protection. Les rencontres ou « micro-mobilisations » des habitants sont continues dans l‟histoire d‟un quartier ; elles engagent les habitants autour de leurs peurs quotidiennes communes (question du logement notamment), mais sans nécessaire organisation. Ces « espaces de convictions » sont pluriels et autonomes, et peuvent s‟inscrire dans une église mais aussi un gang. Au moment du conflit, ces rencontres peuvent s‟intensifier pour créer des « espaces de mobilisation » : c‟est bien la menace extérieure qui intensifie les liens. Les individus isolés se rapprochent eux aussi de structures protectrices, et dans l‟espace de la favela brésilienne, il semble ne s‟imposer que deux options aux habitants : les narcotrafiquants, ou le militantisme (protection par le droit, par la société civile)30. Une telle lecture explique clairement pourquoi des « espaces de participations » créés au moment du projet ne sont pas cohérents et peu efficaces. Une seconde observation, qui vient dans la continuité de la première, c‟est que la participation n‟est pas mathématiquement égale ni à la transparence ni à l‟adhésion. Selon Ph. Lavigne30 Communication du Colloque SETUP du 2 février 2010, « Agir depuis les espaces de marge, mobilisations individuelles et collectives, Inde-Brésil » -données personnelles- 56 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Delvigne (2005), le piège de la démarche participative résulte en trois grandes illusions : l‟illusion de transparence, l‟illusion communautaire, et l‟illusion du consensus naturel. Il cite Pottier (1991) pour expliquer le postulat sur lequel se fondent ces trois erreurs « tout ce que vous avez à faire, c’est de demander. Ils savent et ils sont vos amis ». Si ces critiques de la participation ont été formulées à partir de projets en milieu rural et principalement en Afrique, elles restent tout aussi justes dans le contexte qui nous intéresse. En effet, un lieu commun que nous avons évoqué dans la première partie, tend à coller au quartier une image villageoise de cohésion, d‟identité culturelle et donc de système cohérent. Or, nous avons eu l‟occasion de démontrer les systèmes de superpositions identitaires, les différents intérêts des habitants et les logiques individuelles et collectives complexes : comme dans un village, il est « asociologique » (Lavigne-Delvigne) d‟appréhender un groupe d‟habitants de manière communautaire. Les illusions de transparence et de consensus tiennent donc à la complexité du dialogue : un acteur articule différents rôles sociaux, qu‟il est en position d‟exprimer ou non face à d‟autres acteurs qui tiennent une certaine place dans la hiérarchie locale ; à ces pressions il faut ajouter le tempérament personnel, les ambitions, les stratégies, qui font qu‟un discours ne peut être pris comme une vérité, et encore moins comme une caution à l‟action. Les chercheurs du GEMDEV pointent donc du doigt cette manière de « fabriquer les décisions » et de légitimer, aux yeux des habitants comme des praticiens, des décisions émanant « du haut » : « Ces différents exemples illustrent deux tendances : d'une part, les mécanismes de la gouvernance tels qu’ils sont édictés de manière technocratique par les institutions internationales correspondent à la mise en oeuvre des politiques urbaines et des projets, sans que soient pris en compte la réalité concrète des contextes (sociaux, économiques, culturels…) dans lesquels ils sont introduits. On constate que souvent, à partir de questions techniques, les rouages politiques des gouvernements locaux et nationaux sont déstabilisés ; ces derniers sont contraints de s’adapter à des normes importées et mal appréhendées par la plupart des décideurs des Sud. D’autre part, si les modèles de gouvernance prescrits « d’en haut » rencontrent des résultats mitigés (voire des échecs rompant les équilibres sociaux et économiques établis par les gouvernements locaux et nationaux des pays du Sud), les arrangements locaux et les systèmes hybrides développés à partir d’expériences singulières montrent que des dispositifs de gouvernance tenant compte d’usages informels et traditionnels sont porteurs d’efficacité et d’efficience à l’échelle municipale, même s’ils ne répondent pas tout à fait aux normes internationales. » (GEMDEV-AMODEV, 2008 : p18) Avant de proposer à l‟étude quelques-unes de ces alternatives, nous souhaitons souligner que les écueils dans lesquels semble facilement tomber le processus participatif peuvent être minimisés par une approche anthropologique pertinente, qui ne confonde pas les outils avec le résultat (méthode MARP), qui s‟attache à décrypter les non-dits, les hiérarchies explicites mais 57 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques aussi sous-jacentes, les biais induits par la démarche projet, etc. Encore une fois, l‟anthropologue praticien, ayant de solides connaissances dans son domaine d‟intervention, mais sachant également être réactif « sur le terrain » face aux groupes sociaux et aux professionnels, peut trouver une place de facilitateur et de « traducteur » qui serait peut-être l‟un des chaînons manquants pour la réussite d‟un projet. 3-2-3 Alternatives Sud-Américaines pour le logement : l’exemple des coopératives uruguayennes et brésiliennes L‟Amérique du Sud est connue pour être un laboratoire d‟expérimentations sociales. Il n‟est donc pas étonnant d‟y trouver développée une réponse alternative au problème de l‟habitat des populations défavorisées. On retrouve une forme commune d‟organisation en autogestion au Brésil et en Uruguay. Nous allons donc détailler ce fonctionnement émanent de la société civile. En Uruguay, ce mode d‟organisation en coopératives se dit « par aide mutuelle » (por ayuda mutua). Les premières coopératives sont apparues en 1966, s‟appuyant sur une forte tradition d‟auto-construction aidée par les proches (famille, amis). Dès 1968, l‟organisation en coopératives pour la construction d‟habitations fut reconnue par la loi. C‟est ainsi que ce mode d‟organisation commença à se développer dans le but d‟offrir les solutions les plus économiques pour que les familles les plus modestes puissent accéder à un logement décent. Cet aspect engagé est primordial dans ce monde coopératif ; en 1970 fut donc créée la Fédération Uruguayenne de Coopératives de Logements par Aide Mutuelle (FUCVAM), militant pour le droit des plus pauvres à une vie digne et se caractérisant par une forte dimension solidaire et participative. Le processus est celui-ci : à travers un regroupement en coopérative, les familles se réunissent pour construire des logements et les services publics qui les entourent. Pour l‟acquisition du terrain, les processus varient, et peuvent passer par une étape d‟occupation illégale. Les financements pour l‟achat peuvent provenir d‟universités, de dons, d‟ONG… Les familles réalisent bien sûr les travaux, mais discutent également chaque étape du travail par le biais d‟une Assemblée. Elles choisissent le terrain, discutent avec les techniciens du projet social (organisation, services communautaires), du projet urbanistique (espaces verts, locaux, etc) et architectural (plan des maisons, chronogramme). Elles constituent la personne juridique et portent leur projet devant l‟Etat (Ministère du logement). Toutes les familles sont à la fois « entreprise, main d‟œuvre, administrateurs, destinataires et usagers ». Chaque 58 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques famille doit fournir au moins 21 heures de travail par semaine. Les maisons sont, à la fin, attribuées aux familles par tirage au sort. Ainsi, la coopérative est fondée sur la solidarité, l‟égalité, la participation, la propriété commune. Les tâches de direction et trésorerie sont attribuée à des membres élus pour une période de deux ou trois ans. Des recherches ont pu montrer les bienfaits de cette organisation en coopératives. Tout d‟abord, assez évidemment, il y a un renforcement des liens de solidarité entre les membres de la communauté. La communauté est perçue comme une ressource et renforce le sentiment de sécurité ; partant, une progression de l‟idée de citoyenneté, une conscience de l‟acquisition d‟un certain pouvoir collectif, le développement d‟un sens critique en politique. Enfin, ce type d‟expérience est l‟occasion de révéler de réelles capacités à innover et à se confronter aux difficultés, et permet l‟accès à un processus permanent d‟apprentissage et d‟éducation pour tous les participants. On peut noter par ailleurs une réelle participation féminine dans la réalisation du projet, par exemple sur des taches telles que l‟administration ou les services à la personne. Le même type de création en coopératives existe au Brésil „les coopératives y sont nommées mutiroes), et les deux mouvements s‟alimentent l‟un l‟autre. Ils font partie d‟un réseau mondial et particulièrement actif en Amérique Latine, où les expériences brésiliennes et uruguayennes font figures de modèles en la matière. De nombreuses délégations européennes ont visité ces coopératives… Pays-Bas, Allemagne, Angleterre, Italie s‟intéressent de près à l‟expérience… mais pas la France (!). L‟initiative est également saluée par l‟UN HABITAT qui a remis un prix spécial à la FUCVAM ; cependant, ces pratiques ne semblent pas avoir inspiré de « good practices » dans les programmes des grands bailleurs (G. Font). 59 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Conclusion « L’urbanisme apparait ainsi comme une tentative sans cesse répétée, sans cesse mise en échec, de corriger les contradictions entre la fragmentation spatiale et l’intégration sociale. Ce qui explique pourquoi l’urbanisme n’est pas seulement une idéologie –comme on a souvent tendance à croire- mais également une pratique : celle de la correction effective de l’espace sans laquelle le fonctionnement urbain devient impossible » (J.M Stébé, 2002 : p164) J.M Stébé souligne ici l‟un des fils rouges de notre réflexion : l‟articulation complexe entre pratique et idéologie. La spécificité du sujet des quartiers spontanés se trouve dans le fait de se positionner entre deux mondes : d‟une part celui de l‟urbanisme, avec ses modes, ses canons, sa rigidité, et d‟autre part, celui du développement. Les deux sont des systèmes complets, avec leurs penseurs, leurs professionnels et leurs objectifs. Au milieu, on trouve les habitants. Notre propos a été d‟essayer de montrer que la force de l‟anthropologie est de s‟intéresser à l‟habitant, sans le réduire à une figure d‟usager ou de pauvre, au-delà des paradigmes et des pratiques en cours. Un des points cruciaux de notre développement a été de montrer qu‟au-delà de la forme ou des aspects matériels du logement proposé, c‟est l‟appropriation des lieux par l‟habitant qui constitue la clé de la réussite d‟une opération de réhabilitation ou de relogement. Certains habitants des quartiers sont prêts à accepter un éloignement, des conditions de vies difficiles, si cela correspond à un choix de leur part. Une étude menée auprès des déplacés de Brasilia par C. Aubertin et F. Pinton a bien montré que les priorités des habitants ne sont pas toujours celles que l‟on imaginerait (accès aux services par exemple), et que ces derniers peuvent vivre tout à fait sereinement une opération de relogement lorsqu‟ils participent de celle-ci. Par ailleurs, un exemple comme celui des coopératives pour la construction de quartiers montre l‟efficacité et les bienfaits d‟un projet mené de manière autonome ; toutes les politiques d‟empowerment menées par la communauté internationale paraissent, en regard, artificielles et vaines. La force de l‟anthropologue, dans de tels contextes, serait donc plus d‟arriver avec des questions, à l‟inverse des urbanistes et développeurs qui arrivent avec des « solutions ». Pour avoir des solutions, il faut présupposer un problème. Déterminer précisément ce problème, selon les habitants, constitue à la fois l‟intérêt et l‟enjeu de la participation de l‟anthropologue. Ce travail ne fait qu‟ébaucher une approche du sujet. Bien des thèmes mériteraient une réflexion plus approfondie, tels que ceux de l‟accès au foncier, des organisations locales, des 60 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques techniques de projet urbain ou encore du nouveau paradigme urbanistique du « développement urbain intégré ». De même, nous aurions souhaité aller plus en avant dans la compréhension de l‟habitat et de l‟espace, et surtout, dans l‟articulation entre recherche et action, qui constitue un point fondamental mais complexe. Il serait intéressant de voir à quels moments et en quels lieux les idées deviennent pratiques, ou encore de suivre le parcours d‟une série de « recommandations » formulées par un groupe de chercheurs auprès d‟autorités… Cependant, d‟un point de vue plus personnel, la réflexion a été fructueuse et constitue une bonne base à une future expérience de terrain dont l‟objet sera de mener l‟évaluation d‟un projet de relogement à petite échelle, dans une localité du Nicaragua. Les objectifs formulés par l‟ONG étant d‟utiliser le logement comme « levier de développement humain », conformément aux Objectifs du Millénaire, l‟enquête sur ce sujet apportera, par la suite, un matériel riche pour prolonger la réflexion amorcée ici. 61 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Bibliographie Ouvrages AGIER Michel, 1999, L'invention de la ville: banlieues, townships, invasions et favelas, Editions des Archives Contemporaines : 176 p BRUNET .R, FERRAS. R, THERY. H, 2003, Les mots de la géographie, dictionnaire critique, Reclus-La documentation française COSTES Laurence, 2009, Henri Lefebvre, Le droit à la ville, vers la sociologie de l’urbain, Paris, éd. Ellipses, 159 p DRAGAN Radu, 1999, La représentation de l’espace dans les sociétés traditionnelles. Les mondes renversés. Paris, l'Harmattan : 367 p GONÇALVES SOARES Rafael, 2008, « Le droit, la politique et l‟évolution des favelas à Rio de Janeiro. La précarité juridique du discours officiel. » : 147-154. In Jérôme BOISSONADE, Ville visible, ville invisible, la jeune recherche urbaine en Europe, Paris, l'Harmattan : 188p HALL Edward, 1966, La dimension cachée, éd. du Seuil, 254 p LOPEZ PELAEZ Juanita, 2008, « La construction sociale du risque à Medellin (Colombie): Gouvernance locale et représentations », Paris; École des Hautes Études en Sciences Sociales, 453 p MC AUSLAN Patrick, 1988, Les mal logés du tiers-monde, Paris, l'Harmattan, 167 p PETONNET Colette, 1985, On est tous dans le brouillard, CTHS, 394 p RAULIN Anne, 2007, Anthropologie urbaine, Paris, Armand Colin, 211 p RENARD Vincent, « Recherche urbaine et coopération avec les pays en développement. A la recherche d‟un nouveau paradigme ? » In OSMONT Annick et GOLDBLUM Charles, Villes et citadins dans la mondialisation, éd. Karthala et GEMDEV SEGAUD Marion, 2007, Anthropologie de l’espace. Habiter, fonder, distribuer, transformer, Paris, Armand Colin : 222 p SINGLETON Michael, 2004, Critique de l’ethnocentrisme : du missionnaire anthropophage à l’anthropologue post-développementiste, L‟aventurine, 252 p SERFATY-GARZON Perla, 1999, Psychologie de la maison : une archéologie de l’intimité, Montréal, éditions du Méridien SERFATY-GARZON Perla, 2003, « Appropriation », In SEGAUD Marion, BRUN Jacques, Dictionnaire critique de l’habitat et du logement, Paris, Editions Armand Colin, p 27-30 SERFATY-GARZON Perla, 2006, « En mouvement Le chez-soi à l’épreuve des mobilités » In Un chez-soi chez les autres, éd. Bayard 62 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques STEBE Jean-Marc, MARCHAL Hervé, 2007, La sociologie urbaine, Paris, PUF, 127 p STEBE Jean-Marc, 2002, Architecture, urbanistique et société, Paris, L‟Harmattan, 311 p Articles de périodiques AUBERTIN Catherine, PINTON Florence, 1989, « Itinéraires urbains autour de Brasilia: entre le locatif et l‟invasion », In Cahiers des Amériques Latines, n°8 BABY-COLIN Virginie, 2000, « Les barrios de Caracas », In Cahiers des Amériques Latines n°35 BERNARD Nicolas, 2007, « La pauvreté dans son rapport à l‟espace : l‟introuvable mixité sociale ? », Pensée plurielle n°16 : p 51-58 BERQUE Augustin, 2002, « L‟habitat insoutenable Recherche sur l‟histoire de la désurbanité »,In Espace géographique, tome 31, p. 241-251 BLANCHARD Sophie, 2006, « Migration et marginalité. Les migrants andins dans les quartiers de Santa Cruz de la Sierra (Bolivie). » In: Tiers-Monde, n°185, pp. 23-38. FONT Guillermo, 2000, « Cooperativas de viviendas por ayuda mutua en Uruguay. Haciendo la ciudad entre todos » En ligne sur http://habitat.aq.upm.es/boletin/n13/agfon.html GIRAUT Frédéric, ROCHEFORT Michel, 2006, « La marginalité socio-spatiale : une notion à déconstruire dans le contexte des villes du sud ? ». In: Tiers-Monde n°185. pp. 14-16. GORGEON Catherine, 1985, « Immigration clandestine et bidonvilles en Guyane, les Haïtiens à Cayenne ». In: Revue européenne de migrations internationales. n °1, pp. 143-158 HOYAUX André frédéric, 2003, « Les constructions des mondes de l‟habitant : Eclairage pragmatique et herméneutique», In Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], document 232 LAUTIER Bruno, 2006, « Discussion (suite). Notes d'un sociologue sur l'usage de la notion de "marge" dans les sciences sociales du développement », In: Tiers-Monde. n°185 : p. 17-20 LAVIGNE DELVILLE Philippe, 2005, « Les diagnostics participatifs dans le cadre des projets de développement rural en Afrique de l‟Ouest : postulats, pratiques et effets sociaux des PRA/Marp » In : Neveu C. (dir.), Cultures et pratiques participatives : perspectives comparatives, Paris, L‟Harmattan, coll. Logiques Politiques, p. 313- 330 MATHIEU Nicole, 1997, « Pour une nouvelle approche spatiale de l´exclusion sociale », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne]: http://cybergeo.revues.org/index5432.html OSMONT Annick, 1985, « La banque mondiale et les politiques urbaines nationales », les politiques urbaines n°17, p58-73 63 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques PAULAIS Thierry, 2003, « Lutte contre la pauvreté dans les villes en développement Evolutions récentes, questions récurrentes », In Annales de la recherche urbaine, n°93 SALOMON CAVIN Joëlle, 2009, « Eloge de la concentration urbaine. Plaidoyer de la Banque mondiale en faveur de la grande ville. », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne] : http://cybergeo.revues.org/index22685.html SILVEIRA Caio, 2007, « Cité de Dieu à Rio de Janeiro, le défi du développement local lié à l‟action communautaire », Article en ligne sur www.base.d-p-h.info.fr UNDA Mario, “Mañana sera otro dia”, Centre de recherché CIUDAD, Quito UZZO Karina, 2005, « Programme de régularisation de bidonvilles de la Préfecture municipale de Sao Paulo, Application de la Concession Spéciale d‟Utilisation à des fins de Logement » Article en ligne sur www.base.d-p-h.info.fr VASSART Sabine, 2006, « Habiter », In Pensée plurielle, n°12 : p. 9-19 VERMEERSCH Stéphanie, 2006, « Liens territoriaux, liens sociaux. Le territoire, support ou prétexte ? », Espaces et Sociétés, n°126 WAGNER DE REYNA Ana Maria, 1986, Lima, quartiers spontanés : formes urbaines et facteur d’évolution. Le cas de Villa Maria del triunfo, UNESCO : 78p Rapports BUGNICOURT Jacques, 1987, Villes du tiers-monde : cauchemard ou espoir ?, ENDA TIERS MONDE, 17 p CHOPLIN A, 2009, « Répondre au défi de l‟habitat social dans les villes du Sud. L‟exemple du programme Twize en Mauritanie. » Coll. Études et Travaux, série en ligne n°23, Éditions du Gret, 121 p GIRALDO Fabio, GARCIA Jon, FERRARI Cesar, BATEMAN, 2009, Urbanización para el desarrollo humano. Políticas para un mundo de ciudades. UN-Habitat Bogotá : 504 p Gouverner les villes du Sud, défis pour la recherche et pour l’action, Actes du colloque international du PRUD (UNESCO 5-7 Mai 2004) Habitat. Politique sectorielle, éditée par la Banque mondiale en 1975, citée par OSMONT. A In « La banque mondiale et les politiques urbaines nationales », in Politique Africaine, Mars 1985, n°17 OSMONT Annick, GOLDBLUM Charles, (Dir), 2008, La gouvernance urbaine dans tous ses états. Rapport de synthèse pour la Sous-direction de la Gouvernance démocratique (Direction des politiques de Développement à la DgCiD), Ministère des Affaires Etrangères et Européennes, GEMDEV-AMODEV : 79p The challenge of slums: global report on human settlements, 2003, United Nations Human Settlements Programme. 64 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques VALLADARES Licia, PRATES COELHO Magda, La recherche urbaine en Amérique Latine, vers un programme de recherche, UNESCO, www.unesco.org/shs/most 65 DEBLOCK.E- ETH R17- Réhabilitation des quartiers spontanés : approches anthropologiques Table des matières 1- La ville et ses marges comme objet de recherche ............................................................. 6 1-1- Les quartiers spontanés, un défi pour la ville en Projet .................................................. 6 1-1-1 Une métropole entre individualisme et globalisation................................................ 6 1-1-2 Pour un « Droit à la ville » .......................................................................................... 7 1-2- Définir le « quartier spontané » : quelques éléments incontournables .......................... 9 1-2-1 Une spontanéité à tempérer ...................................................................................... 10 1-2-2 Insalubrité et insécurité ............................................................................................. 12 1-3- Le paradigme de la ségrégation en sciences sociales ...................................................... 14 1-3-1 Brève histoire de la pensée urbaine en Amérique Latine ....................................... 14 1-3-2 La rencontre du lieu et de l'exclusion: la ségrégation............................................. 15 1-3-3 De la marginalité urbaine.......................................................................................... 18 2- Anthropologie de l’espace, anthropologie de l’habiter : notions pour appréhender le quartier spontané ...................................................................................................................... 21 2-1 Espace bâti, espace vécu ................................................................................................... 21 2-1-1 Un exemple pédagogique : l’habitat Bororo par Lévi Strauss............................... 21 2-1-2 Représentations et pratiques de l’espace : du corps humain ................................. 22 2-1-3 L’habiter ..................................................................................................................... 25 2-2 Peut-on parler d’un habiter bidonvillois ? ...................................................................... 27 2-2-1 L’enjeu d’établir une catégorie analytique fiable ................................................... 27 2-2-2 Quels types de modèles culturels façonnent le quartier spontané? ....................... 28 2-2-3 La réhabilitation : Une re-fondation ? ..................................................................... 34 2-3 La prise en compte des usages dans la conception architecturale : « passer du vide au sens » .......................................................................................................................................... 37 2-3-1 L’espace architectural est un espace euclidien et programmatique ...................... 37 2-3-2 Les besoins et compétences des habitants ................................................................ 39 2-3-3 Peut-on envisager un « design social » ? .................................................................. 43 3- Quelle place pour l’anthropologue praticien au sein d’un projet de réhabilitation ? 45 3-1- A quelles logiques les actions mises en place répondent-elles ? .................................... 45 3-1-1 L’entrée par la réduction de la pauvreté.................................................................. 45 2-1-1 L’entrée par la gestion urbaine : vers la « bonne gouvernance » et le développement urbain durable................................................................................................ 47 3-1-3 Réhabilitation et best practices .................................................................................. 50 3-2- La « participation populaire » au cœur des pratiques de réhabilitation ...................... 53 3-2-1 Articulation des projets autour du paradigme participatif ................................... 53 3-2-2 La participation en question ..................................................................................... 56 3-2-3 Alternatives Sud-Américaines pour le logement : l’exemple des coopératives uruguayennes et brésiliennes ................................................................................................... 58 66