Processus de transition et réforme de l`Etat

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Processus de transition et réforme de l’Etat
Claske Dijkema et Karine Gatelier
Septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Sommaire
PROPOSITIONS POUR UNE GRILLE D’ANALYSE
1 – Origine de l’impulsion et intervention internationale
Tableau : Le déclenchement du début du processus de transition
Chronologie
A - Analyse de l’origine de l’impulsion des processus de transition
Facteurs externes
Une convergence d’intérêts fortuite?
Facteurs internes
Combinaison des deux facteurs
B - Accompagnement du processus de transition par la communauté
internationale : l’intervention internationale et sa légitimité
2 – La représentation du pouvoir
A – La relation au pouvoir
B – La quête de légitimité
La légitimité électorale
Tableau : La légitimité électorale
Les légitimités traditionnelles
La légitimité idéologique
La légitimité circonstancielle
p5
p6
p12
p14
p17
p18
3 – Vers un Etat
p22
A - L'émergence d'un pouvoir central
p23
Ou la transformation du conflit et son cantonnement dans l’espace politique
Diversité des acteurs en présence et leur représentation dans le gouvernement
L’exemple afghan
La difficile émergence de la démocratie
B – Les processus instituants
p29
La réconciliation
Une nation. Les identités nationales
Les identités supranationales
L’intégration régionale
4 - La société civile
p34
5 - L'économie
p35
INDEX DES FICHES PAR PAYS
p39
INDEX DES FICHES PAR ORDRE DE PRESENTATION
p41
PRESENTATION DES FICHES
p43
PROPOSITIONS D’ACTIONS
p145
QUELQUES AUTRES INITIATIVES SUR LE SUJET
p151
SOURCES
p159
ANNEXES
p163
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Propositions pour une grille d'analyse
Entre le calme ou le chaos apparent dans les 10 pays choisis pour être ici étudiés, qu’en est-il
des processus de transition ? L’Afghanistan, l’Afrique du Sud, la Bosnie-Herzégovine, le
Cambodge, la Chine, l’Ethiopie, l’Ouzbékistan, la Pologne, la Russie et le Salvador nous
aideront à rechercher derrière les apparences, les véritables enjeux pour dresser un bilan de
l’avancée de la démocratie, des explications de ses réussites et de ses écueils.
Nous avons choisi 5 problématiques pour cette étude : le déclenchement du processus de
transition, la représentation du pouvoir, la construction d’un Etat, la structuration de la société
civile et le développement économique.
1 – Origine de l’impulsion et intervention internationale
L’ouverture d’un processus de transition tient à un changement remarquable dans la vie
politique de l’Etat. Dans le cas d’un conflit armé comme d’une confrontation entre un pouvoir
dictatorial de type soviétique et une opposition, une modification des rapports de force
conduit les belligérants ou les groupes antagonistes à négocier. Nous chercherons à connaître
la nature de cette impulsion et son origine. Elle peut être donnée par des forces internes, et on
cherchera à savoir si la population est une force motrice de ce changement, ou au contraire
externes, et il s’agira de mesurer l’implication et les objectifs de la communauté
internationale. L’analyse de l’origine du processus de transition sera associée à l’existence ou
non d’une intervention internationale pour encadrer le processus de reconstruction et de
développement. Pour la réussite de la transition, la convergence d'intérêt entre les acteurs
internes et externes est indispensable.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Le déclenchement du début du processus de transition
Afghanistan
Afrique du Sud
Facteurs internes
Rencontres et
négociations du
Groupe de Rome, à
l’initiative de l’ancien
roi, avec les acteurs
de l’intérieur en vue
de l’organisation
d’une loya djirga.
Facteurs externes
Intervention militaire
d’une coalition
internationale, en
représailles des
attentats contre les
Etats Unis.
Nature du processus
Rencontres du
Groupe de Rome
depuis juin1999.
Octobre 2001:
Offensive contre le
régime en place des
Talibans menée par
une coalition
Processus de Bonn,
nomination d’un
internationale.
Objectif : les évincer
représentant spécial
du secrétaire général du pouvoir et
de l’ONU, conférence instaurer un pouvoir
démocratique et
de Paix.
pacifique.
Conférence de Bonn
en novembre 2001
donne un coup d’arrêt
au processus de
désintégration du
pays.
Situation économique Pression
1990
et sociale,
internationale sur le Ouverture des
négociations,
progression de
Gouvernement,
l’éducation,
ostracisme.
Commission Vérité et
urbanisation.
Fin du soutien de
Réconciliation.
Evolution des
l’URSS.
mentalités.
Changement des
acteurs politiques.
Deux personnalités :
de Klerk et Mandela
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Bosnie-Herzégovine Système en
déliquescence depuis
la mort de Tito,
incapacité à se
réformer.
Système
communautariste qui
entretient des
relations de boucsémissaires ; disparités
économiques et
inégalités sociales
traduites en problème
ethno-national.
Cambodge
Chine
Règlement des
conflits très
idéologisé, absence
de formes
institutionnalisées de
règlement des
conflits,
autoritarisme.
L’ancien roi,
Sihanouk, se pose en
promoteur des
négociations. Les
parties en conflits
sont soucieuses de
légitimité aux yeux
de la population en
vue des élections.
Démocratisation et
libéralisation dans les
Etats voisins et
indépendances
(républiques exsoviétiques et exyougoslaves).
Le soutien
idéologique et
financier (du Vietnam
et de la Chine) reçu
par les parties en
conflit au cours des
années 80 disparaît.
Pression de la part de
la communauté
internationale pour
une résolution
pacifique.
Réforme du système Rôle marginal mais
par les autorités.
réel des pressions
Processus cyclique de internationales.
périodes d’ouverture
et de retours
autoritaires.
Tendance à
l’enracinement des
réformes.
Intérêts politiques et
rivalités internes.
1995
Ouverture du
processus de paix,
après une guerre de 3
ans.
Fort encadrement
international pour la
reconstruction de
l’Etat, la conversion
de l’économie et la
bonne gouvernance.
1991
Accord de paix de
Paris conduit aux
élections organisées
par l’ONU en 1993.
La transition
démocratique est
menée sous les
auspices de l’ONU.
1989
Réformes
économiques
Hiatus entre
libéralisation
économique et
fermeture de l’espace
public.
Heurts entre la
population et les
forces de l’ordre.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Ethiopie / Erythrée
Résistance
éthiopienne et
érythréenne renverse
la dictature.
Ouzbékistan
Pologne
Russie
Création dès 1976 du
KOR (Comité de
défense des ouvriers),
base du 1er syndicat
libre Solidarnosc,
créé en août 1980.
“Etat de guerre”
proclamé en
décembre 1981,
suspension de la loi
martiale en 1983,
grèves massives au
printemps 1988 et
ouverture de la table
ronde en février
1989.
Rétrécissement de la
base du parti au
pouvoir.
Les réformes du
système conduisent à
sa disparition.
Déclaration
d’indépendance des
premières républiques
(Etats baltes).
Rupture de l’équilibre
des forces avec l’arrêt
du soutien
international.
Disparition de
l’URSS, déclaration
d’indépendance.
Rencontre entre
Jaruzelski et
Gorbatchev en 1986
encourage le pouvoir
polonais à tenter des
ouvertures.
1991
Résolution rapide du
conflit. Elections.
1991
Accès à
l’indépendance
Transition politique
et économique sous
l’égide des
organisations
internationales.
1989
Négociations de la
Table Ronde.
Transition
démocratique et
économique sous
l’égide des
organisations
internationales.
1991
Redéfinition de l’Etat
russe.
Transition politique
et économique sous
l’égide des
organisations
internationales.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Salvador
Equilibre des forces Disparition des
dans le conflit et
soutiens financiers
impasse militaire.
soviétiques.
Volonté politique des
deux parties au
conflit de négocier ;
appel à l’intervention
du Secrétaire Général
de l’ONU.
Désir de paix de la
population.
1992
Accords de paix.
Transition
démocratique.
Chronologie
Les processus de transition les plus précoces ont eu lieu en Europe centrale, dès l’automne
1989, suite à la mobilisation et aux manifestations de protestation de la population au cours de
l’été. Elles conduisent au renversement des régimes communistes en place : le Mur de Berlin
tombe le 9 novembre 1989. Ces manifestations des oppositions ont été rendues possibles par
la brèche ouverte dans le système totalitaire par le Premier secrétaire du Parti Communiste de
l’Union soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, quand il propose les réformes de la
glasnost (transparence) et de la perestroïka (reconstruction). L’URSS connaît alors une
évolution similaire avec un mouvement sécessionniste dans certaines républiques - les
républiques baltes sont les premières à déclarer leur indépendance entre mars et mai 1990 - et
des dirigeants de la république de Russie. L’URSS disparaît le 8 décembre 1991.
Ces événements, qui mettent un terme à la Guerre froide, ont un effet d’entraînement sur tous
les Etats alliés des Soviétiques. Cette perte du soutien soviétique a causé la déstabilisation de
régimes en place (Pologne, Ethiopie) et des mouvements de résistance (Salvador, Cambodge,
Afrique du Sud) et, dans certains cas, a provoqué des conflits armés (ex-Yougoslavie) ou les
ont prolongés (Afghanistan).
A - Analyse de l’origine de l’impulsion des processus de transition
Il serait abusif d’accorder aux facteurs déclenchants des caractères exclusivement externes ou
internes. Dans une mesure plus ou moins grande, ils se combinent les uns avec les autres.
Facteurs externes
Deux Etats, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan, présentent deux cas d’impulsion extérieure pour
le changement mais dans des situations très différentes.
L’Afghanistan était en état de guerre prolongée (résistance à l’invasion soviétique de 1979 à
1989 puis en guerre civile depuis). Le pouvoir taliban installé en 1996 avait amené un
semblant de paix mais leur autorité ne couvrait pas tout le pays, la résistance était toujours
active et les combats se poursuivaient. Parallèlement aux combats sur le terrain, depuis 1998,
un certain nombre d’acteurs politiques afghans se rencontraient pour tenter de mettre en place
les conditions de négociations de paix. Parmi eux se trouvaient des représentants de 2 camps :
les partisans de l’ancien roi, liés au mouvement de la loya djirga (démocrates, libéraux) et les
membres modérés du Front islamique uni (Alliance du Nord), en lutte contre les Talibans
depuis 1996. Ils représentent ce que l’on a appelé le “Groupe de Rome”. Les discussions
concernaient la crise et le retour à la paix, l’organisation de la loya djirga (assemblée) et
l’organisation des structures permanentes pour la rendre possible. Hamid Karzaï, futur
premier président afghan, faisait partie de la délégation de Rome. Il représente les intérêts ici
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
convergents entre l’Iran et les Etats Unis à qui il assure de tout faire pour éviter le retour de la
monarchie à Kaboul. Il est plutôt favorable au Front islamique uni. Une forte activité
diplomatique s’est donc développée à cette période autour de l’ancien roi et de ses
représentants, des Afghans de l’élite exilée, des représentants des Talibans, du Front
islamique uni. Des contacts ont également été pris avec les notables, les anciens
moudjahidins, les oulémas et surtout des Talibans dissidents. La dynamique de l’organisation
de la loya djirga menée par le groupe de Rome s’essouffle et se trouvait dans une impasse
quand les attentats du 11 septembre 2001 changent la donne et impulsent une nouvelle
dynamique. L’intervention militaire d’une coalition internationale dirigée par les Etats Unis à
l’automne 2001 précipite les événements : une conférence de paix s’ouvre à Bonn fin
décembre 2001 conduite par les Nations Unies, avec pour mission d’installer une gouvernance
des Nations Unies.
L’Ouzbékistan par contre était une république pacifique d’URSS et aurait pu le rester encore
longtemps si celle-ci n’avait pas disparu. C’est bien l’effondrement de l’URSS qui a provoqué
la rupture dans cette république, sans mouvement populaire pour une indépendance, à peine
des revendications d’autonomie politique et culturelle. Dans ces conditions, il n’a pas été très
difficile au pouvoir en place de se maintenir dans le nouvel Etat indépendant et de gouverner
avec les méthodes qu’il avait toujours pratiquées.
Dans ces deux cas très spécifiques, le changement est impulsé par l’extérieur même si la
conjoncture intérieure doit être favorable. Les Talibans qui avaient pacifié, dans une certaine
mesure, le pays exerçaient un autoritarisme brutal et parfois absurde. Si l’Ouzbékistan n’a pas
connu de revendication populaire pour l’indépendance, la fierté nationale de la population a
largement soutenu cette évolution.
Une convergence d’intérêts fortuite ?
L’intervention militaire de la coalition internationale en Afghanistan répondait à des besoins
de ces pays en matière de sécurité : la présence supposée des responsables des attentats de
Manhattan en septembre 2001 dans le pays, accueillis et protégés par le régime des Talibans.
Ces besoins rencontraient ceux de la résistance afghane qui cherchait à reprendre le pouvoir et
ceux de la population qui allait enfin être débarrassée des Talibans. Puis une nouvelle
convergence (fortuite ?) est apparue avec la population afghane, lasse des années de guerre et
qui ne fait plus confiance à l’élite dirigeante, fractionnée sur le territoire et incarnée par les
chefs de guerre. La personne de Hamid Karzaï, du fait de son statut extérieur au jeu politique
national, a été favorablement accueillie. Cependant les acteurs politiques sont nombreux et
n’ont pas les mêmes intérêts que la population, et les ambitions de la communauté
internationale en matière de construction d’Etat et de démocratisation sont très élevées.
De la convergence des intérêts de la communauté internationale et de la population peut
parfois apparaître une certaine interdépendance : les Etats Unis, et d’autres Etats occidentaux
qui craignent autant qu’eux le terrorisme islamiste, et le peuple afghan pour la pacification, la
réorganisation de l’Etat et la neutralisation des rivalités de pouvoir des chefs de guerre.
Par contre, dans certains domaines, notamment la politique sociale, les orientations de
l’intervention internationale peuvent nuire aux besoins de la population : à court terme,
lorsque les politiques sociales ne sont pas prioritaires et à long terme quand l’assistance ne
s’inscrit pas dans une perspective de transfert de responsabilités.
L’Ouzbékistan présente un cas typique d’absence de convergence entre les intérêts de la
communauté internationale qui veut libéraliser les sphères économiques et politiques et le
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
gouvernement en place qui n’applique pas les réformes dans une stratégie de maintien au
pouvoir. Cette situation donne lieu au déploiement d’une série de conditionnalités aux aides
pour exercer une pression sur l’application des recommandations des organisations et
institutions financières internationales.
Facteurs internes
Les processus de transition que nous étudions sont liés, de près ou de loin, à la fin de la
Guerre froide et à ce titre-là, ils ne peuvent pas être complètement étrangers à ce facteur
externe. La distinction entre facteurs internes et externes dans le cas de la Russie reste délicate
dans la mesure où cet Etat représente le cœur du système qui en s’effondrant a entraîné la
chute de quantité d’autres. C’est bien les réformes initiées par le premier secrétaire du PCUS,
Mikhaïl Gorbatchev, dès 1986 qui ont ouvert une brèche et permis les contestations de 1989
en Europe centrale. Dans un second temps, ces libéralisations ont encouragé les mouvements
indépendantistes au sein de l’URSS. Il est donc difficile de juger si ce retour d’influence des
oppositions d’Europe centrale sur le système soviétique sont internes ou externes, selon qu’on
se situe dans un système unique – monopartisme et économie planifiée – ou dans des Etats
indépendants, compte-tenu de l’intégration idéologique de l’ensemble.
Les facteurs internes comme impulsion au changement prévalent en Bosnie-Herzégovine, en
Pologne et au Salvador. Cependant sans leur conjonction avec un ou plusieurs facteurs
externes - modifications des relations avec les alliés, disparition du soutien financier,
démocratisation dans les Etats voisins - les dysfonctionnements d’un système politique
(Yougoslavie), la résistance d’un syndicat autonome (Pologne) et l’impasse militaire
(Salvador) auraient pu perdurer encore des années sans aboutir à un changement radical. Le
système politique yougoslave entre en délitement dès la mort de Tito en 1980, l’Etat
d’urgence est déclaré en Pologne en 1981 et les premières négociations au Salvador débutent
en 1984, pourtant il faut attendre entre 9 et 11 ans de statu quo, période de maturation des
résistances (Pologne) ou de pourrissement des relations entre républiques fédérées et entre
individus (Yougoslavie) : en août 1990, le gouvernement salvadorien et le FMLN signent un
accord de paix (Accord de Genève), en décembre 1990 le gouvernement polonais ouvre les
négociations avec les représentants de Solidarnosc (négociations de la Table Ronde) et au
printemps 1991 la Yougoslavie se délite sous le coup des déclarations d’indépendance de la
Slovénie et de la Croatie et entre en guerre. Ces lents processus étaient-il arrivés à leur terme
ou bien ont-ils trouvé le moment opportun ? La conjonction à l’échelle internationale de ces
bouleversements politiques semble opter pour la seconde hypothèse. Les exemples pourraient
être multipliés. La Chine apparaît comme le pays où les éléments déclenchants sont les plus
spécifiquement internes : les réformes sont initiées par les autorités elles-mêmes parfois pour
servir leurs intérêts politiques propres et mettre hors-jeu leurs rivaux. Pourtant ici encore la
période-clé 1989-1991 produit dans ce pays la manifestation la plus spectaculaire après une
décennie de timide libéralisation : le printemps de Tiananmen.
Combinaison des deux facteurs
Le succès de la transition vers la démocratie dépend en fait de la convergence des intérêts
entre les acteurs internes et externes. L’Afrique du Sud montre bien cette corrélation : les
manifestations de la minorité noire n’ont pas permis d’ouvrir des négociations que lorsque la
pression internationale a fait évoluer la mentalité des Blancs. Cette pression morale venue de
l’extérieur, en même temps, a rendu crédible l’action interne. Cette convergence a renforcé et
même accéléré le processus.
11
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Enfin, la disparition de l’URSS a mis un terme à l’assistance apportée à certains régimes et
certaines résistances armées. C’est le cas du régime éthiopien, rendu plus vulnérable face à
l’opposition en guerre, de même que les factions en guerre contre le régime cambodgien.
Dans ces deux cas, la fin de la Guerre froide a déstabilisé les rapports de force au point de
rendre possible un règlement politique des conflits. Cette option devient envisageable parce
que les protagonistes pensent désormais que c’est celle qui servira au mieux leurs intérêts
dans un contexte changé. La recherche d’un accord de paix est un processus long et
hautement politisé. L’accord de paix de Paris est signé en 1991 par 18 Etats et toutes les
parties cambodgiennes. Bien qu’au niveau national, l’ancien roi a joué un rôle important dans
la promotion d’une solution pacifiée, la coopération initiale entre les parties au conflit vole en
éclat quand les Khmers Rouges rompent le cessez-le-feu. Ces derniers ont pensé qu’ils ne
trouvaient plus suffisamment d’intérêt dans les élections, ne pouvant espérer remporter un fort
suffrage compte-tenu de leur passé violent. Le cas du Cambodge est exemplaire : la pression
internationale excessive lors des élections avait pour objectif d’en faire l’issue du processus
de paix mais en réalité elles sont devenues un instrument de conflit plus que de réconciliation.
B - Accompagnement du processus de transition par la communauté internationale :
l’intervention internationale et sa légitimité
Indépendamment de l’origine de l’impulsion des changements, la transition est souvent
encadrée par la communauté internationale, bien souvent par le biais des organisations et
institutions internationales. Son action porte sur la médiation, les négociations de paix et
l’organisation d’une conférence pour la signature de l’accord de paix, le maintien de la paix,
la construction de l’Etat, la conduite des réformes, le développement...
L’Afghanistan et la Bosnie-Herzégovine présentent les cas les plus lourds de l’intervention
internationale. En Afghanistan, on peut voir que la présence militaire étrangère est prise dans
un nœud de paradoxes : elle garantit l’administration au pouvoir mais à terme elle pourrait
remettre en cause la pacification en cours.
En effet, le courant djihadiste (dont l’influence s’est considérablement accrue au sein de
l’administration malgré sa mise à l’écart lors de la conférence de Bonn) conteste la légitimité
de la conférence de Bonn (ils n’y étaient pas présents) et n’admet la présence des forces
étrangères que dans des proportions réduites et pour une durée limitée. Ils prônent le retour à
un Etat islamique. Un tel retour au radicalisme comporte certains risques de retournement. Ils
peuvent brandir le flambeau d’un islam menacé (Fazelli : 116 1 ). La guerre contre le
terrorisme menée par les Etats Unis comporte un risque fort de produire les effets exactement
inverses à ceux recherchés, un renforcement du radicalisme islamique. Les Djihadistes
réagissent également contre :
- le personnel des Nations Unies et des ONG dont l’aide y compris et surtout dans les
villages éloignés rappelle l’ampleur des destructions et le souvenir douloureux de la
crise.
- les exilés de retour au pays qui jettent un regard critique sur les vues rétrogrades des
anciens djihadistes.
L’islam des Talibans a attiré les sympathies d’Afghans modérés parce qu’ils ont vu dans ce
courant des idées qui défendent leurs spécificités ethnico-nationales. La présence militaire
étrangère a été souhaitée car l’action militaire visait à chasser les Talibans et al-Qaeda. Au1
Kacem Fazelli, L’Afghanistan du provisoire au transitoire, L’Asiathèque, Paris, 2004.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
delà, une assistance à la sécurité est également perçue positivement pour mener au retour de la
vie constitutionnelle, comme stipulé dans les accords de Bonn, signés sous égide de ONU.
Enfin, la présence militaire étrangère est légitimante pour l’administration afghane : “Tous les
pronostics prédisent la chute du gouvernement si les forces internationales quittent le
terrain”(Fazelli 221). Mais l’Afghanistan n’est pas allié aux Etats Unis dans la guerre en Irak
(Karzaï s’est prononcé contre) et cette nouvelle situation retarde le retour de la paix en
Afghanistan.
En Bosnie-Herzégovine, la présence internationale dans les domaines sécuritaires et politiques
a développé une dynamique de dépendance dans laquelle à la fois l’inertie et l’aggravation de
la situation enferment le pays dans un cercle vicieux. La Bosnie-Herzégovine doit faire face à
une triple transition :
- d’un état de guerre à une paix durable : le processus est en cours mais par manque de
responsabilité des structures politiques locales, puisque la vie politique est dominée
par un Haut Représentant (Office of the High Representant, OHR) de nationalité
étrangère, il piétine. D’un autre côté, le processus pourrait être remis en cause en cas
de fin de soutien international.
- d’une aide d’urgence à une croissance stable : le pays est un des plus grands
bénéficiaires de l’aide internationale mais pour la population, cette aide a remplacé
l’Etat socialiste. Un changement de mentalité s’impose donc. L’initiative locale est
bloquée et la population comme les dirigeants sont trop passifs.
- d’une économie planifiée au libre marché et du monopole du politique à la démocratie
et à une société citoyenne. On retrouve dans ce domaine les mêmes freins.
Le développement de cette dépendance tient également à l’orientation de la politique des
donateurs : l’économie se développe de façon très inégalitaire qui produit de la pauvreté en
plus de celle héritée. L’action des organisations internationales est, dans certains domaines,
inadaptée et inefficace. La transition dans les pays de l’Est a été réduite à la question du
passage à l’économie de marché, l’approche de la politique de transition doit donc être
repensée ainsi que la méthode : l’introduction de l’économie de marché n’entraîne pas
automatiquement de nouvelles structures et institutions sociales, tout comme les élections
libres et le multipartisme ne mène pas à la démocratie. Seuls l’Etat de droit et la transparence
permettent le développement de l’économie et de la société civile.
L’intervention recherche, si elle n’en dispose pas naturellement, une certaine légitimité. La
pression internationale exercée en Afrique du Sud possédait la légitimité morale de la
restauration de l’égalité entre les individus et du respect des droits de l’Homme.
L’intervention dans les Etats dont le système reposait sur le parti unique et l’économie
planifiée bénéficiait de la légitimité du contexte de la fin de la Guerre froide et de la victoire
du système libéral. L’intervention s’est faite par l’intermédiaire des organisations et
institutions financières internationales. L’encadrement des négociations de paix et de la
reconstruction en Bosnie-Herzégovine a trouvé sa légitimité dans le contexte de malaise et de
culpabilité de n’avoir pu empêcher le chaos de la fin du régime. En revanche, l’intervention
en Afghanistan a nécessité une démarche plus volontariste pour la rendre légitime : les Etats
Unis ont formé une coalition d’Etats (mandat des Nations Unies ?) pour donner la dimension
d’un genre d’intérêt général international. De plus, ils ont fondé leur action sur le principe de
légitime défense. L’intervention internationale recherche également une légitimité interne en
s’appuyant sur une figure de pouvoir ; les monarques offrent cette possibilité car ils disposent
d’une légitimité traditionnelle, sont perçus comme les “pères de la nation”, ils symbolisent la
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
continuité et représentent la période de paix qui a précédé le conflit puisqu’en général ils
n’ont pas pris part au conflit.
2 – La représentation du pouvoir
A – La relation au pouvoir
L'histoire et l'ethnologie montrent que les modèles de pouvoir sont très stables, ils perdurent à
travers les siècles, en dépit des différentes formes d'organisation politique mises en place par
les Etats. Il s’agit ici d’étudier la représentation du pouvoir dans les différentes cultures des 10
Etats choisis. Or cette représentation résiste à l’habillage politique qu’il soit idéologique,
dynastique ou paternaliste et le modèle de pouvoir s'adapte aux systèmes politiques du
moment. Ainsi des systèmes politiques identiques peuvent prendre des formes très différentes
en fonction des relations et comportements politiques propres à chaque culture.
D’autre part, les modèles politiques en vigueur, ou en construction, sont souvent importés.
Deux phénomènes majeurs sont à l’origine de cette importation de modèle politique : la
colonisation et la mondialisation. L’ingénierie institutionnelle menée par les organisations
internationales dans les Etats en faillite relève de cette tendance. Or elle est animée de
mouvements contradictoires entre homogénéisation et permanences. La mondialisation dans
les domaines les plus variés tend à produire du semblable mais toutes les observations ciblées
dégagent des continuités. En effet ce vaste mouvement est sous-tendu d’emprunts dans un
processus de réappropriation, dans des objectifs très précis. Les particularismes ne sont par
conséquent pas effacés. Bertrand Badie fait un inventaire des “produits importés” et des
stratégies d’emprunts spécifiques 2 .
Ainsi les républiques d’Asie centrale ont été gouvernées durant une soixantaine d’années par
le modèle soviétique ce qui a supposé quantité de bouleversements dans la vie socio-politique
: depuis l’apparition d’un discours politique, la monopolisation de ce discours par une
idéologie, l’interdiction de toute pratique religieuse jusqu’à la réorganisation collectiviste de
l’agriculture. A l’arrivée des Bolcheviques, la société reposait sur plusieurs empires
dynastiques (émirats, khanat) fondés sur la foi musulmane – discriminant pour les autres
religions – et exerçant un pouvoir autoritaire, structurée par une identité lignagère. Ces deux
systèmes s’opposent sur des points fondamentaux : légitimation idéologique contre légitimité
héréditaire, laïcité contre légitimité religieuse, société égalitaire permettant l’ascension sociale
contre une structuration clanique hiérarchisée. Pourtant, les républiques d’Asie centrale ont su
rendre compatibles ces deux systèmes, l’un n’ayant pas balayés l’autre mais au contraire les
modes de légitimation et les représentations du système traditionnel se sont adaptés au
système soviétique.
L’autorité du chef repose sur le culte de l’aîné, le respect de celui qui a le plus de pouvoir.
Pourtant cette autorité s’équilibre dans une subtile alliance avec un réseau
d’interdépendances, tant au niveau local – au sein d’une famille et d’un village – qu’au niveau
national – entre le président et les gouverneurs dans les régions. L’Asie centrale n’a pas connu
de période démocratique mais le jeu des interdépendances (économiques donc politiques)
contraignaient les tenants de pouvoir, à tous les niveaux, à la négociation et au compromis.
Depuis les indépendances, les 5 républiques ex-soviétiques connaissent des évolutions
divergentes mais le pouvoir fait partout preuve d’autoritarisme. En Ouzbékistan, le jeu des
2
Bertrand Badie, L’Etat importé, Paris, Fayard 1992
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
interdépendances a tendance à s’estomper face au pouvoir autocratique duquel s’est emparé le
président Islam Karimov, ancien responsable de l’idéologie au sein du parti communiste
ouzbek, depuis l’indépendance. Il dirige sa nation en père autoritaire comme en témoigne par
exemple les amnisties qu’il décide plusieurs fois par an ; ces libérations périodiques de
prisonniers de droit commun se font au bon vouloir du prince. Dans ce système paternaliste, la
domination de l’homme est frappante à première vue pourtant elle doit être relativisée par le
rôle des femmes dans la vie économiques (de nombreux foyers survivent grâce aux activités
économiques des femmes) ainsi que dans la contestation (manifestations de femmes).
Dans ce contexte, le renouvellement des élites est très faible. On observe d’ailleurs une
corrélation très forte avec l’avancée des réformes économiques, et surtout de l’apparition d’un
secteur privée : le pouvoir est ainsi partagé entre élites politiques et économiques. C’est le cas
du Kirghizstan et du Kazakhstan.
Au Kirghizstan, le mode de représentation et d’identification repose, au niveau local, sur un
système lignager structuré en clans ou réseaux. A l’échelle de tout le pays, il existe une
grande permanence du pouvoir au sein des mêmes grandes familles (le président de
l’indépendance, Askar Akaïev, destitué par les troubles du printemps 2005 appartient à une
famille de khan qui ont régné depuis des siècles sur le Nord du pays). Un accord tacite
d’alternance entre les clans du Nord et ceux du Sud semble d’ailleurs en vigueur parmi les
acteurs politiques au sommet du pouvoir. Un tel mode de distribution héréditaire du pouvoir
laisse peu de place à un fonctionnement démocratique. Pourtant une brèche semble ouverte :
en rupture avec la politique du secret, instaurée par le pouvoir soviétique mais qui a trouvé un
terrain dans le paysage politique centrasiatique, la retransmission télévisée des séances
parlementaires rend public un lieu du pouvoir, une mise en scène du pouvoir. Elles sont très
regardées par les Kirghizes.
Cette représentation du pouvoir, dans toutes les républiques d’Asie centrale, pèse dans la
participation de la population à la vie politique. Les mobilisations des populations ont été
faibles et elles réclamaient une autonomie politique et culturelle et non l’indépendance.
L‘accession à l’indépendance s’est imposée avec la disparition de l’URSS et elle a été
complètement mise en oeuvre par les plus hautes sphères de l’Etat.
Ces développements sur la représentation traditionnelle du pouvoir en Asie centrale ne
viennent en aucun cas alimenter l’argument culturaliste qui veut que les populations
centrasiatiques ne sont pas adaptées à la démocratie. Cet argument est d’ailleurs très utilisé
par les dirigeants pour justifier la fermeture de l’espace politique et même la répression. Les
populations de ces républiques ex-soviétiques continuent d’apporter les preuves de leur
volonté de participation politique (contrairement à une idée reçue, même si elles n’ont pas
revendiqué l’indépendance par des manifestations populaires massives) et leur maturité
politique (création de partis populaires avant l’indépendance, manifestations de protestation).
Le mode de légitimation politique en Afghanistan peut être analysé dans des termes
comparables à celui d’Ouzbékistan : la légitimité politique repose sur une transmission
lignagère, un territoire ; la légitimité religieuse y joue un rôle essentiel. Pourtant ce pays se
distingue dans la région par une expérience démocratique (la monarchie parlementaire de
Mohammad Zaher Chah de 1964 à 1973) et une élite éduquée qui est restée fortement
attachée à cette idée. Cette élite s’est exilée durant les décennies de conflit, dans les pays
voisins (Pakistan pour les Pashtouns, Ouzbékistan, Tadjikistan ou Iran pour les autres ethnies)
ou en Occident. Ils ont soutenu l’ancien roi Mohammad Zaher Chah dans les négociations
15
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
pour la paix et la reconstruction de l’Etat afghan dès 1998, voire ont assisté à ces rencontres à
Francfort, Istanbul, Rome, Chypre et enfin Bonn pour la conférence de paix.
Aujourd’hui ce pays se trouve donc tiraillé entre deux tendances : un nationalisme afghan, de
type laïc, attaché à la notion d’Etat de droit, historiquement incarné par les constitutions de
1923 et de 1964 ; « la leçon constitutionnelle se voit ressuscitée, dans un contexte
international radicalement différent, dans le projet de reconstruction issu des accords de Bonn
en décembre 2001 » 3 . Ils doivent affronter les plus vives tendances islamistes. Se trouvent
donc face à face le nationalisme laïc et le messianisme religieux. Les tenants du nationalisme
ont pour eux la communauté internationale et les populations afghanes, lasses de la guerre et
qui ont perdu confiance dans leurs chefs belliqueux. Les défenseurs d’un islam
fondamentaliste bénéficient du prestige des années de guerre et de défense de la patrie et d’un
pouvoir réel sur le terrain (administration, milices armées, puissance économique, territoire).
Leurs atouts se trouvent aujourd’hui renforcés par les choix du premier président afghan,
Hamid Karzaï, qui, après avoir été porté au sommet par la communauté internationale (les
Etats Unis avant tout) et l’élite éduquée, y compris le roi, construit sa stratégie de pouvoir sur
la négociation avec les acteurs politiques en place : chefs de guerre et Talibans. Cette tradition
démocratique peut expliquer la maturité politique du peuple afghan, dont témoigne la
participation à l’élection présidentielle de juin 2005.
L’Afrique du Sud présente une situation singulière sous-tendue par deux tendances
contradictoires : la continuité de la démocratie et la nécessité d’intégrer un système
traditionnel. Leur compatibilité reste à prouver. La démocratie en effet a été élargie à partir de
1990 à la population noire. La transition politique de l’Afrique du Sud est donc servie et
facilitée par cette continuité démocratique. Avant 1990, la population noire était structurée,
dans les milieux ruraux, par un pouvoir de proximité multiséculaire tenu par des chefs
traditionnels, les amakhosi. Du temps de l’apartheid, ces chefs étaient reconnus comme tels,
ils bénéficiaient d’une instance de représentation au niveau national et provincial et ils étaient
rémunérés par l’Etat. Il s’agissait d’un gouvernement noir pour les Noirs. L’ANC militait
pour leur abolition considérant qu’il s’agissait d’une institution archaïque et antidémocratique. Ces chefs étaient en effet désignés par la famille royale de la tribu. Ce conflit
au sein de la population noire témoigne d’un clivage entre une élite éduquée (l’ANC) et les
forces traditionalistes derrière les chefs, à 70% illettrés. Depuis une loi de 2003, les chefferies
traditionnelles ont vu leur pouvoir (services publics, développement, gestion foncière)
disparaître au bénéfice des municipalités dont les dirigeants sont élus démocratiquement. Des
conseils locaux réunissant les chefs traditionnels ont été institués ; ils ont essentiellement un
rôle consultatif ; d’autre part la liberté est laissée aux municipalités de leur déléguer des
tâches. Le conflit ouvert entre l’Inkatha Freedom Party (IFP), parti à majorité zoulou et
l’ANC dans les années 80 s’est transformé en une opposition politique : l’IFP se revendique
de la tradition africaine, en position de monopole.
La Chine représente un des plus anciens Etats au monde, il est traditionnellement autoritaire,
appuyé sur une bureaucratie de lettrés. Il se dégage une forte continuité dans la mesure où la
dictature maoïste reprend cette forme de pouvoir au pouvoir impérial et la poursuit avec
quelques transformations : débarrassé des contraintes religieuses, il étend encore davantage
son pouvoir sur le peuple, aidé par les technologies modernes.
3
Kacem Fazelli, Op. Cit. 2004 : 10.
16
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Le Cambodge, depuis son indépendance en 1953, a été dirigé par une succession de
gouvernements qui se sont réclamés monarchistes, républicains, révolutionnaires, socialistes
et plus récemment démocratiques. Les orientations politiques de ces gouvernements ont
largement varié mais en dépit de ces changements, un aspect de la vie politique cambodgienne
demeure : le maintien du pouvoir entre les mains des élites 4 . Le régime de Pol Pot, en suivant
l’exemple chinois, a cherché à remplacer la culture traditionnelle par une nouvelle culture
associant les principes maoïstes et la mythologie de l’époque d’Angkor. Ce faisant, il a détruit
toutes les institutions étatiques – éducatives, financières et juridiques –, religieuses et
sociales 5 . Lorsque les Vietnamiens se sont emparé du pouvoir en 1979, plusieurs éléments de
la vie culturelle pré-Khmers rouges sont rétablis : le bouddhisme redevient la religion d’Etat
et en 1993, la monarchie est restaurée. Avec 95% de bouddhistes dans la population, la
religion reste un des principes de cohésion essentiel de la société, responsable de l’éducation
et de la culture, encourageant une forme d’acceptation parfois analysée comme une obédience
qui les empêche de se comporter en citoyens critiques, faisant des choix individuels.
Ces questions de relation au pouvoir mène à la problématique de la place de l’individu dans
ces sociétés. En Chine, l’individu est soumis au pouvoir, la société ne pense pas l’individu et
le pouvoir est méfiant face à toute expression individuelle. En Afghanistan, “l’être humain
n’est pas en mesure de concevoir l’ordre social. Seule l’œuvre divine apporte le salut” 6 .
B – La quête de légitimité
La même approche – historique et ethnologique - nous aide à déterminer les sources de la
légitimité politique et les processus de légitimation des acteurs en présence. Dans le système
démocratique, la légitimité vient essentiellement des élections. Or ce modèle de démocratie
représentative par le suffrage universel doit cohabiter avec des modèles et des pratiques de
légitimation traditionnels. La superposition de ces différents modes donnent lieu à des
systèmes singuliers et fournissent des explications à l’émergence ou au maintien des acteurs
au pouvoir.
Les processus de légitimité ne sont pas d’une seule nature mais la légitimation a souvent
plusieurs sources qu’elles concilient et plusieurs modes. En dépit de cette diversité - élections
(Afrique du Sud) jusqu’aux légitimités traditionnelles mutées et adaptées à l’idéologie
(Ouzbékistan, Chine) - la personnalisation du pouvoir est très fréquente. Les légitimités sont
de diverses natures : électorales, traditionnelles, idéologiques, circonstancielles.
La légitimité électorale :
A l’exception de la Chine qui tient une place spécifique dans ce projet, tous les Etats étudiés
sont engagés, à des stades différents, dans un processus électoral. Les élections ont été
organisées par les autorités nationales ou étrangères. Le tableau ci-dessous présente de façon
4
Lao Mong Hay, “Cambodia's Agonising Quest: Political progress amidst institutional backwardness”, Accord November
1998.
5
Chea, Vannath “Reconciliation in Cambodia: Politics, Culture and Religion” in Bloomfield, David, Barnes, Teresa and
Huyse, Luc (ed.) Reconciliation after Violent conflict, a handbook. IDEA, Sweden, 2003 : 49.
6
Fazelli 2004 : 114
17
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
synthétique la chronologie et la nature des processus électoraux. Nous étudierons ensuite leur
valeur et leur signification.
Etats
Afghanistan
Afrique du Sud
Bosnie-Herzégovine
Cambodge
Ouzbékistan
Pologne
Russie
Scrutins
Début du processus
électoral
Octobre 04 : présidentielles
Décembre 01 : conférence de
Le taux de participation paix
surprend les observateurs.
Entre temps, assemblées (loya
18 septembre 05 : législatives djirga)
1994 : présidentielles
1990 : suppression de
l’apartheid
Nombreux scrutins de 1996 à 1995: accord de Dayton
2004.
Les partis nationalistes sont
invariablement vainqueurs
même si des petits partis
remettent en cause leur base
ethnique; ils restent trop
minoritaires.
1991 : accord de paix
Scrutins réguliers depuis
Septembre 1991 : déclaration
l’indépendance dont la nature d’indépendance
démocratique est douteuse : le
président a fait rallonger
chacun de ses mandats par un
Parlement n’ayant aucune
indépendance ; les
observateurs des
organisations internationales
ont longtemps boudé ces
élections et ont fait un retour
récent dans le pays mais elles
ne sont pas d’accord sur leur
nature transparentes et justes
(OSCE, UE).
Elections semi-libres en juin Négociation de la table ronde
1989 qui donnent la majorité en février 1989.
à la Diète et au Sénat au
syndicat libre Solidarnosc.
Elections démocratiques mais Disparition de l’URSS le 25
tendance
croissante
du décembre 1991.
pouvoir à confisquer les
campagnes électorales.
L’Afrique du Sud et la Pologne présentent le même cas où le processus électoral a été choisi
comme mode de transmission de pouvoir : dans ces deux Etats, le parti au pouvoir reconnaît
l’opposition comme un acteur de la scène politique (ouverture des négociations de la Table
18
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
ronde avec le syndicat Solidarnosc en Pologne et abolition de l’apartheid et reconnaissance de
l’ANC en Afrique du Sud) et confie au peuple la souveraineté de choisir le régime qu’il
souhaite. Dans ces deux cas, Solidarnosc et l’ANC, forts de la légitimité de la lutte qu’ils ont
menée contre un régime oppresseur, remportent les élections à une forte majorité.
La légitimité acquise par l’armée rebelle, le FMLN, au Salvador lui vaut de participer aux
négociations de paix et de devenir un parti politique légal. Cependant, il ne remporte pas les
élections et le parti de l’ancien régime, ARENA, se maintient au pouvoir.
Le cas du Cambodge apporte la démonstration que, bien que la légitimité électorale est
essentielle, elle peut être très vulnérable quand il s’agit de former un nouveau gouvernement.
Contrairement aux attentes du parti au pouvoir, le CCP, qui comptait sur la légitimité acquise
par leur victoire sur les Khmers rouges, le parti royaliste, FUNCINPEC, a été le grand
gagnant des élections de 1993 en remportant 58 des 120 sièges. Cette victoire s’explique par
la légitimité du roi Sihanouk, perçu par la population comme celui qui les a conduits à
l’indépendance et comme le “père de la nation”. La population a voté pour lui parce qu’il
symbolise la continuation avec le passé et a dirigé le pays dans la période pacifique d’avant la
guerre. Le CCP est devenu le second parti avec 51 sièges mais a immédiatement dénoncé les
résultats de l’élection quand il a vu qu’il ne pouvait les remporter. Craignant un coup d’Etat
de leur part, le roi Sihanouk a proposé un compromis et une coalition à égalité entre le CCP
et le FUNCINPEC.
En Afghanistan, le président Karzaï bénéficie maintenant de la légitimité électorale, depuis le
scrutin du 21 avril 2005, mais en réalité sa légitimité était bien antérieure, les élections ne sont
venues que confirmer le succès de ce processus de légitimation. La stratégie de légitimation
de Karzaï a constitué, fort du soutien de la communauté internationale, à gagner l’appui de
l’ancien roi, et en effet, la légitimité de Hamid Karzaï provient en grande partie de la figure
nationale de l’ancien roi, Mohammad Zaher Shah. Celui-ci, en s’effaçant, a désigné Hamid
Karzaï comme chef de l’Autorité provisoire. L’ancien roi conserve néanmoins l’autorité
suprême ce qui permet à Hamid Karzaï de s’en réclamer et d’entamer sa mission sur des bases
solides. L’effacement de l’ancien roi va à l’encontre des attentes de la population afghane qui
souhaitait son retour au pouvoir, comme l’ont montré les sondages 7 . Les raisons restent
encore obscures. En tout état de cause, le refus de l’ancien roi de prendre les rênes du pouvoir
est un trésor de légitimité pour Karzaï. Il est ensuite devenu le partenaire privilégié de tous,
fort de ces appuis dont ne bénéficiaient pas les autres pôles du pouvoir. Pour cela il a veillé à
ce que soient conservées les fonctions honorifiques réservées au roi. Désormais, il avait donc
deux objectifs : entretenir le rôle légitimant du roi pour qu’un pouvoir fort et centralisé,
dévoué à Washington, s’installe à Kaboul et affaiblir le pouvoir du Front islamique uni. La
Loya djirga d’urgence a été son pôle de légitimité comme chef de l’Autorité de transition.
« Il est clair que Hamid Karzaï est aujourd’hui le grand et l’unique bénéficiaire de la
dynamique conflictuelle qui a opposé, dès le départ, les fondamentalistes, partisans de la
continuité de l’Etat islamique, à l’ancien monarque, symbole d’un Etat moderne. La
manœuvre de Karzaï consiste à garder vivace cette dynamique, pour se présenter ensuite
comme porteur de la solution médiane » 8 .
Hamid Karzaï s’appuie beaucoup sur le comportement tribal, il a une grande aisance dans les
contacts avec les notables locaux, culte des barbes grises, et recherche sans cesse le
7
8
“tous les sondages le prouvent” Fazelli : 67
Ibid. : 67.
19
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
consensus. Il bénéficie d’un atout majeur, l’estime générale témoignée à son père, Abdol
Ahmad Khan Karzaï, qui avait la “sagesse de l’homme de tribu, intelligence du citadin et
l’humilité de l’homme de foi” 9 .
La victoire électorale n’est que la traduction des légitimités acquises précédemment. Elle les
met en œuvre et les transforme en légitimité électorale. Cependant cette nouvelle légitimité au
pouvoir, acquise par les urnes, apparaît plus éphémère; elle peut s’éroder rapidement avec
l’exercice du pouvoir. Aujourd’hui en Afrique du Sud, l’ANC perd peu à peu la confiance de
ses électeurs du fait des lenteurs des changements. En Afghanistan, Karzaï tire une part de sa
légitimation des accords de paix conclus à Bonn, pourtant il prend le risque de s’en écarter en
s’associant à ceux-là mêmes que la conférence de Bonn a désignés comme les responsables de
la détérioration de la situation avant les Talibans, le Front islamique uni (Alliance du Nord).
Cette attitude est de plus préjudiciable à la position du roi. Par ailleurs, Karzaï renforce la
dimension religieuse de son administration en créant des structures à vocation religieuse ce
qui a pour conséquence d’empiéter sur l’autorité de l’Etat. Par exemple, le conseil des
Oulémas prend des fatwas condamnant la démocratie et interdisant aux femmes de travailler
dans des organismes privés.
Certaines élections peuvent ne pas conduire au renouvellement des élites en place : l’exercice
du pouvoir est perçu comme une source de légitimité politique dans les anciennes républiques
soviétiques. L’expérience du pouvoir fait naître une confiance inégalée par les dissidents ce
qui explique que les élections ont désigné les personnalités qui occupaient déjà les postes du
pouvoir. C’est un phénomène couramment observé dans cette aire culturelle. Après plusieurs
années, ces dirigeants ont en général perdu leur légitimité au pouvoir à cause du régime
autoritaire, voire autocratique, qu’ils ont instauré, mais alors il est trop tard pour qu’une
alternance s’affirme ; l’espace politique a été complètement fermé et il n’y a plus moyen de
changer de gouvernement de façon démocratique. C’est le cas en Ouzbékistan par exemple.
L’élection, puis la réélection, de Vladimir Poutine à la présidence russe peut être recevoir la
même interprétation. Il était premier Ministre du président Eltsine qui a démissionné en sa
faveur. Il a bénéficié de la légitimité que lui confère l’expérience au pouvoir puis a recherché
une autre source de légitimité, conscient que celle-ci était fragile : celle d’un pouvoir fort et de
la restauration de la grandeur de la Russie.
Les légitimités traditionnelles :
Ce type de légitimité met en œuvre les identités primordiales qu’elles soient claniques,
territoriales, ethniques, religieuses ou régionales. Ces appartenances possèdent un caractère
exclusif. Ainsi les solidarités auxquelles elles donnent lieu se font dans les exclusivités de ces
appartenances et représentent un motif supplémentaire de division entre les groupes.
En Bosnie-Herzégovine, le voisinage nous montre à travers les collectivités locales (mjesna
zajedna, MZ) que l’espace est pourvoyeur de ressources et fournit le cadre adapté à la mise en
œuvre des initiatives. Il s’agit d’une solidarité par échange de travail, propriété collective
immobilière (écoles, mosquées etc.) et actions communes (cérémonies). La confiance dans les
9
Ibid. : 70.
20
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
dirigeants de ces collectivités villageoises est ainsi bien meilleure que dans les dirigeants
nationaux. Cependant, l’espace comme facteur fédérateur cache les réels moteurs de ces
énergies qui sont ethniques et religieux. L’énergie déployée par de tels regroupements peut
ainsi conduire au retour des personnes déplacées, à la reconstruction des maisons détruites,
d’écoles de routes etc. C’est une base précieuse avant que le lent processus de réconciliation
puisse l’étendre à la nation entière.
On constate une rupture avec ce schéma en Afghanistan : le caractère belliqueux des chefs,
qui ont acquis leur légitimité avec la guerre et dans la conflictualité, cause une érosion de
cette légitimité. Ils poursuivent la lutte pour la compétition au pouvoir plutôt que de faire
passer les intérêts du pays en premier et donner la priorité à la pacification. L’invasion
étrangère du pays (les Soviétiques en 1979) a fédéré la population dans une cause commune,
cette lutte pour la défense de la nation a donné une forte légitimité aux combattants et à leurs
chefs mais l’ennemi extérieur disparu, il est bien difficile de s’entendre et de partager le
pouvoir. Cette compétition ayant fait perdre la confiance dans les autorités naturelles – les
chefs de guerre locaux qui partagent langue, ethnie, religion et territoire avec la population
qu’ils dirigent – c’est un acteur extérieur – Hamid Karzaï – qui endosse la confiance.
Au Kirghizstan, le mode de représentation et d’identification repose, au niveau local, sur un
système lignager structuré en clans ou réseaux. Les institutions nationales en revanche ne
suscitent pas une grande confiance auprès de la population. L’Etat est perçu comme un
pourvoyeur de services et comme il faillit à cette tâche, il manque de légitimité. Pour la
gagner il doit s’appuyer sur les lieux du pouvoir légitime, les chefs locaux.
La légitimité idéologique :
En Chine, sous Mao, la légitimité au pouvoir était construite sur l’idéologie et le charisme
personnel. Le pouvoir était très fortement personnalisé. A sa mort, il a fallu trouver un autre
mode de légitimation. Les réformes économiques ont rempli cette fonction ; la légitimité était
du coup plus rationnelle et le vide idéologique a été comblé par le nationalisme. La répression
montre cependant que cette légitimité n’est pas aussi puissante qu’elle le devrait.
La légitimité circonstancielle
La légitimité circonstancielle tient à la conjoncture spécifique d’un Etat – généralement une
transition – et à la mission confiée à un individu pour traverser cette période. Le président
ouzbek, Islam Karimov, a été élu premier président ouzbek dans les termes d’un genre de
contrat social tacite : il devait assurer à son pays une indépendance pacifique. C’est à ce prixlà que les Ouzbeks ont accepté son autoritarisme. Il a en effet usé de l’argument culturaliste
qui veut que sans tradition démocratique, l’Ouzbékistan risquait de tomber dans le chaos ; son
peuple n’étant pas préparé à la démocratie. Cependant, ce contrat a été rompu par la déception
de la population : l’indépendance n’a pas été synonyme de bien-être mais au contraire de
dégradation du niveau de vie, parfois dramatiquement. Les concessions faites par la
population dans un contexte particulier – fermeture de l’espace public par exemple – ne sont
plus acceptables dès lors que l’indépendance semble réalisée. Le président n’est plus légitime
à exercer un tel pouvoir autoritaire.
21
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
3 – Vers un Etat
Face à une telle avancée de la démocratie dans le monde, que devient l’Etat?
1989 et les évolutions politiques qui s’en sont suivies, ont initié une ère de dépérissement de
l’Etat. Cette période a été marquée par le post-étatisme et le post-national durant laquelle
l’Etat était dépassé à la fois par le haut – la mondialisation - et par le bas, avec la crise de la
démocratie représentative nationale. L’Etat devait tenir le rôle d’un simple échelon dans la
nouvelle gouvernance, entre le mondial et le local. « Entre globalité et proximité, l’Etat était
en train de perdre sa primordialité » 10 . Cette ère fut close avec les attentats du 11 septembre
2001 : l’Etat est re-devenu le garant de la sécurité nationale et donc protecteur de la liberté.
« La crise sécuritaire a provoqué le contre-temps économique qui a, à son tour, rappelé
l’utilité, voire la nécessité d’une certaine régulation étatique » 11 .
Indépendamment de cette évolution globale, le contexte de l’Europe centrale et orientale, de
l’espace post-soviétique et des pays qui se sont inspirés de ce modèle dresse un rapport
singulier entre l’Etat et la démocratie. L’Etat est le mal aimé de la transition démocratique car
il est perçu comme le “fief” d’un parti ou “la propriété” de la classe dirigeante. On a pu
observer que les acteurs des transitions à l’Est ont eu du mal à séparer l’Etat d’une tendance
politique ou idéologique particulière, notamment lorsqu’il s’est agi de discuter de la forme de
l’Etat, monarchique ou républicaine. Il y a sans doute ici un besoin d’éducation à l’idée de
neutralité de l’Etat qui le place au-dessus des partis et des majorités circonstancielles pour, par
exemple, restaurer à l’opposition sa pleine place au sein de l’Etat, et non pas en dehors, et sa
fonction essentielle pour le fonctionnement de la démocratie. L’Etat doit aider à consolider la
politique démocratique et permettre la confrontation des idées politiques (débats, programmes
partisans, projets législatifs) pour installer la culture démocratique en profondeur. L’Etat doit
s’imposer comme le lieu où négociation et compromis sont des valeurs légitimantes des
décisions, comme instance primordiale d’une nouvelle régulation politique pour que les
pulsions de l’opinion intègrent les rythmes plus longs et les mouvements plus profonds de la
vie politique.
« La situation est d’autant plus délicate dans les jeunes démocraties d’Europe centrale et
orientale que le temps de la société civile vient, avec son incontournable, l’opinion
publique, sans que, au préalable, l’institution étatique – représentative – ait pu être
consolidée, comme cadre ou “correctif” du libre jeu des forces sur le “marché” ouvert de
l’opinion publique » 12 .
L’Etat est concurrencé dans son rôle par la « légitimité nouvelle du Marché, désormais
présent dans l’espace politique » 13 . Pour réaliser leur transition, les pays d’Europe centrale et
orientale (PECO) avaient deux urgences : se débarrasser de l’Etat-parti et construire le marché
économique. Le capitalisme concurrentiel impliquant une massive désétatisation de
l’économie administrée, le marché s’est engouffré dans cet appel d’air provoqué par
l’implosion du bureaucratisme réel. L’Etat étant perçu par la perversion de ses fonctions –
appareil répressif et bureaucratique, le contexte était particulièrement réceptif à l’idée de
10
La Réinvention de l’Etat. Démocratie politique et ordre juridique en Europe centrale et orientale, Slobodan Milacic (dir.),
Bruylant, Bruxelles, 2003 : 15.
11
Ibid. : 16.
12
Ibid. : 28.
13
Ibid. : 28.
22
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
marché qui passe complètement au-dessus de l’Etat. On constate une forte promotion de
l’économisme parmi les référentiels majeurs des nouveaux discours de légitimation le marché
est prometteur de liberté et de bien-être. La gouvernance de la transition et la mobilisation
politique sont organisées sur la base de la croyance que la démocratie politique est productrice
de richesses économiques plus qu’elle n’en est dépendante 14 . Les référentiels économiques
recueillent la préférence et infiltrent la sphère politique. Les idées politiques tendent à devenir
des marchandises et le citoyen se fait consommateur ; le lien politique cède alors la place au
lien commercial. Dans les démocraties les plus anciennes, cette évolution se superpose à un
acquis historique de l’Etat démocratique. Dans les PECO en revanche, l’Etat n’a pas encore
connu un Etat démocratique durable, sa construction commence ou recommence.
Gérard Barthélemy 15 explique le rejet instinctif des Haïtiens pour l’Etat, l’Etat colonial qui a
donné naissance à la dictature et a instauré le « citoyen comme son adversaire irréductible ».
Un Etat importé
Certains Etats se trouvent déjà dans la phase post-transitionnelle, celle de la consolidation
démocratique. La diffusion des standards européens, sous l’égide des organisations
européennes à vocation politique, induit une importation de modèles constitutionnels et de
statuts juridiques occidentaux. Cette attitude relève d’une logique d’imposition plus que d’une
logique d’adaptation, dans la mesure où c’est un processus unilatéral. Elle prend des allures
de marche forcée. Elle peut être interprétée comme une forme d’impérialisme démocratique
de l’Europe de l’Ouest. Il n’est pas question de s’adapter aux PECO mais bien « de leur
permettre de se plier aux exigences de ces institutions » 16 . « Dans cette perspective, la
démocratisation attendue des Etats post-communistes est le résultat d’un processus, global et à
sens unique, de transfert de technologies institutionnelles, en quelque sorte d’une perfusion
démocratique destinée à produire, par effet d’accoutumance et d’acculturation, des
comportements politiques et des régulations juridiques conformes aux standards européens de
l’“Europe du droit” (Robert Badinter) » 17 .
Cette attitude procède en effet d’une vision unilatérale et occidentalo-centrée ce en quoi elle
présente en effet un problème, cependant ce travers doit être nuancé par le fond de cette
démarche qui vise à implanter le système politique le plus respectueux de la diversité
humaine, tant politique que culturelle.
A - L'émergence d'un pouvoir central
Ou la transformation du conflit et son cantonnement dans l’espace politique
Comment transformer une multitude de pouvoirs locaux (situation d'un conflit armé mais
aussi des différentes dissidences dans un régime totalitaire) en un pouvoir central ? Faut-il
négocier avec les anciens pouvoirs (même quand ils ne sont pas fréquentables – guerre ou
14
Ibid. : 30.
Anthropologue et économiste, « Haïti, l’ordre sous le chaos apparent » Le Monde du 5 septembre 2005.
16
Milacic (dir.), 2003 : 96.
17
Philippe Claret, “La marche forcée des Etats postcommunistes vers l’Etat de droit et la démocratie pluraliste”in La
réinvention de l’Etat, ibid. : 93-111.
15
23
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
répression violente) ou les écarter ? Une partie de la réponse se trouve sans doute dans les
interdépendances qui existent entre les différentes forces politiques, dans la forme que prend
l’Etat (partage du pouvoir, organisation de la multiculturalité) et dans ses moyens d’actions.
La présence d'une administration qui fonctionne contribue à l'efficacité du processus de
transition (Afrique du Sud, PECO). Le souci, ensuite, d'équilibrer les pouvoirs doit être
constant pour prévenir le risque d'émergence d'un pouvoir autoritaire. La décentralisation peut
jouer un rôle important dans cet objectif.
Dans une situation de guerre (Afghanistan, Bosnie-Herzégovine, El Salvador, Ethiopie) ou de
lutte (Afrique du Sud, Pologne), la première étape, pour les acteurs en conflit, est d’accepter
le dialogue, d’abandonner les armes et de changer les termes de leur combat de la lutte armée
au domaine politique. Cette situation d’exception (table ronde, négociations, accords de paix
etc.) dans la vie d’un pays doit ensuite se normaliser dans les conditions d’une vie politique
démocratique.
L’exemple sud africain nous montre la difficulté de conduire des négociations et la fragilité de
cette période-clé. L’émergence d’une « troisième force » venue s’interposer entre les deux
protagonistes dont les intérêts convergeaient autour de négociations, se révèle fort nuisible.
Elle est instrumentalisée par les opposants au processus de négociations pour le saper.
Diversité des acteurs en présence et leur représentation dans le gouvernement :
Un conflit ou l’oppression d’un régime totalitaire fait apparaître une grande diversité
d’acteurs qui devront négocier et s’entendre sur le partage du pouvoir : élites locales,
aristocratie tribale, chefs et dynasties traditionnelles, diasporas, chefs de guerres, chefs
religieux, partis conservateurs et nationalistes, partis communistes et révolutionnaires,
syndicalistes, nomenklatura, dissident, factions armées contre armée nationale, oligarques...
Tous ces acteurs doivent trouver une représentation dans le nouvel Etat. Leur intégration à un
espace politique doit être garanti par le pluralisme et un climat pacifié. Le désarmement et la
réintégration des soldats à la vie civile est une étape primordiale dans ce processus.
L’exemple afghan
La démocratie et le pluralisme (lutte contre l’ethnocentrisme et pour une gouvernance à base
élargie, défense des droits des femmes et des minorités) ont dominé les débats lors de la
conférence de paix de Bonn. Une loya djirga d’urgence a ensuite été organisée pour décider
qui assumerait la direction de l’Etat pendant la période de transition. C’est ainsi la conférence
de Bonn qui a désigné l’Autorité provisoire et Hamid Karzaï son chef, représentant de l’Etat.
La gouvernance à base élargie est un dosage subtil dans le choix des ministres et des 5 viceprésidents, désignés au sein d’ethnies différentes.
La Loya djirga d’urgence s’est réunie le 11 juin 2002, et fut un jalon important du processus.
Elle s’est tenue pendant 8 jours et a élu au scrutin direct et secret le chef de l’Etat pour la
période de transition. Le cabinet de transition a vocation de lieu de regroupement des
différentes factions politiques. Les quotas d’attribution tiennent surtout compte de la diversité
ethnique. L’identité islamique de l’Etat a été affirmée et la constitution doit contenir les
affirmations suivantes :
- l’islam est la religion du pays
- la charia est la source unique de la législation
- le rite hanafite est le seul à appliquer par les juges
24
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
-
ne peut être chef d’Etat qu’un musulman de rite hanafite; idem pour les ministres
les institutions de l’Etat doivent être organisées en conformité avec la charia
Le national est constamment mis au service du religieux. Les carences de la réflexion
politique sont compensées par le message religieux. D’autre part Hamid Karzaï se réfère de
plus en plus au rôle social globalisé des Talibans : le projet que portaient ces derniers était de
conception ethnique voire ethniciste. Il s’agissait de rétablir la prédominance des Pashtouns
face aux Tadjiks qui dominaient alors la scène politique et militaire. Ce projet inclut
l’extension d’un nationalisme islamique dans tout l’Afghanistan et tout le Pakistan (y compris
le Cachemire). Le processus est ainsi une succession d’étapes et de transitions et les
innovations dépassent les pratiques en cours et s’appuient parfois sur la fiction 18 .
La “gouvernance à base élargie” est censée garantir la quête démocratique par la défense de
l’équilibre ethnique dans la gestion administrative, la constitution des assemblées,
commissions et comités. L’attribution des postes est proportionnelle à l’importance des
ethnies mais elle doit être relativisée selon l’importance politique des fonctions. Cet équilibre
est une des conditionnalités de l’aide internationale. Elle n’est cependant pas exempte de
conséquences négatives : l’extériorisation des appartenances rend les différences plus criantes
; le choix peut se faire au détriment des compétences. Fazelli s’interroge : “Ne sommes-nous
pas en présence d’une situation où une conception étriquée de la démocratie se développe au
détriment de la vraie démocratie ?” 19 . La qualité de la gestion en souffre. “Le risque existe
que le gouvernement à base élargie se transforme en gouvernement à base éclatée” 20 .
L’Etat afghan est centralisé et la question de la décentralisation reste floue. Il existe 3
échelons administratifs : welayat (circonscription administrative de base ; il en existe 34),
woloswalé (sous-division d’une welayat), qaria (circonscription n‘ayant pas acquis
l’importance d’un woloswalé et ne pouvant de ce fait bénéficier de la désignation d’un
représentant de l’Autorité centrale).
Karzaï possède une conception particulière et bien précise de l’Etat afghan : il compte
restaurer la souveraineté nationale en instituant un gouvernement islamique dans lequel le
saint Coran tiendrait lieu de loi. Dans cette projection vers l’avenir, ne figure ni la démocratie
ni les droits de l’homme. L’objectif d’assainissement de l’administration n’a que pour recette
la référence constante aux recommandations de l’islam.
“L’approche de Hamid Karzaï, consistant à valoriser constamment les éléments religieux au
détriment des institutions de l’Etat, ainsi que son désintérêt pour la démocratie instaurent
une certaine distance par rapport aux accords de Bonn, qui eux étaient annonciateurs de
changements” 21 .
Karzaï favorise l’émergence d’un nouveau fondamentalisme, incarné par le Conseil des
Oulémas, doctrinalement proche des Talibans. Ce Conseil revendique un rôle politique ; il
revendique un Etat islamique alors que la constitution n’est pas encore approuvée par la loya
djirga. Le Conseil va au-delà des prescriptions religieuses, en revendiquant un rôle actif, en
tant que corps autonome de l’Etat.
“Ce retour en force du religieux, conçu par Hamid Karzaï comme un moyen de contre-carrer
l’extrémisme religieux des opposants au gouvernement, à savoir les Talibans et les
terroristes d’Al-Qaeda, ne manquera pas d’affecter l’autorité de l’Etat” 22 .
18
Fazelli 2004 : 73.
Ibid. : 130.
20
Ibid.
21
Ibid. : 152.
22
Ibid. : 155.
19
25
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Cette dérive est troublante quand l’administration associe l’ancien roi aux directives du
Conseil des Oulémas : la monarchie en Afghanistan a toujours été un vecteur de progrès et
d’ouverture. Les monarques dans le pays ont toujours craint l’interférence des religieux.
“Ce serait méconnaître l’histoire que de confondre la légitimité religieuse avec la légitimité
monarchique en Afghanistan” 23 .
D’autre part, Karzaï en s’en prenant au Front islamique uni, majoritairement tadjik, recherche
bien un soutien ethnique auprès des Pashtouns. Une cassure ethnique eut lieu à la loya djirga
de la constitution entre les Pashtouns et les autres. Il n’existe pas d’architecture politique, le
climat est fortement affectif. La dynamique dominante est celle des affinités ethniques. Dans
ce climat, la persistance de cette cassure rend la présence internationale indispensable au
maintien de la paix. Or cette semi-occupation limite la souveraineté et se révèle parfois
incompatible avec son statut d’Etat indépendant. Les contours de cette gouvernance
particulière ont été décidés lors de la conférence de Bonn, en accord avec l’ONU. La période
de transition est calquée du modèle américain de démocratie avec des commissions
indépendantes, le renforcement de l’appareil judiciaire, le développement de la société civile.
La conception européenne a apporté la liberté de la presse et son développement.
Des régressions sont à noter dans les dernières phases du processus : la loya djirga est
manipulée par l’Autorité de transition ; il existe des incohérences entre démocratie et censure
théologique. Mais on sait maintenant que la préférence de Karzaï va pour un parti politique
unique. D’autre part, le fondamentalisme ressurgit, défendu par les anciens djihadistes. Des
mutations économiques et culturelles sont indispensables pour qu’une dynamique de paix
prévale durablement. Compte-tenu d’une insécurité croissante, “les Afghans maîtrisent mal le
passage à l’institutionnalisation de l’Etat, toujours tributaire du soutien de la société
internationale” 24 .
L’Afrique du Sud présente une forme hybride d’Etat pour concilier toutes les conceptions du
pouvoir et les revendications des différents groupes politiques : les relations
intergouvernementales sont régies par le principe du “gouvernement coopératif”. Il établit 3
sphères de gouvernement non hiérarchisées – local, provincial et national. Le contrat politique
est garanti par le droit de veto reconnu au Conseil National des Provinces (2e chambre du
Parlement) sur toute proposition de révision du pacte fédéral. L’autonomie financière est
cependant réduite. Ce système est bien hybride dans la mesure où étant fortement
décentralisé, il est fédéral, cependant le pouvoir central garde le dernier mot. D’autre part, ce
système permet d’intégrer les chefferies traditionnelles – elles ont été institutionnalisées par
la création d’une représentation au niveau local et reconnues par l’Etat qui légitime ainsi leur
participation au pouvoir – mais c’est en réalité une façon de les contrôler. En outre, leurs
domaines de compétences ont été réduits : certains services publics liés au développement
local leur échappent désormais, ainsi que la question foncière. Grâce à une politique du
compromis, le partage du pouvoir est relativement réussi même si certaines questions restent
encore ouvertes : notamment par manque de clarté, ce système instaure un mode diffus de
domination du pouvoir central.
Au Salvador, on ne peut pas dire que l’Etat ait développé après la guerre un système de
partage du pouvoir satisfaisant pour les anciennes parties au combat. Cependant la victoire
23
24
Ibid. : 156.
Ibid. : 26.
26
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
des factions révolutionnaires armées réside dans leur reconnaissance en tant qu’acteur
politique légitime. Groupées autour du FMLN, ce dernier est aujourd’hui un parti politique
légal qui s’oppose à l’ARENA, l’alliance républicaine nationaliste, à chaque scrutin mais n’a
pas encore remporté d’élections.
La Chine représente un Etat ancien. La question ne réside pas tant dans son émergence que
dans ses modes de fonctionnement compte tenu de l’immensité de cet empire et de la diversité
culturelle. Malgré la très forte centralisation du système, des régions tentent d’échapper à
l’autoritarisme central. Il s’agit du Xinjiang où les minorités turcophones musulmanes
aspirent à une autonomie politique et du Tibet qui revendique son indépendance. Cependant
ces processus sont sources de tensions parfois extrêmes et entretiennent une conflictualité
permanente. Pour les dirigeants chinois, il n’est pas question de partage du pouvoir mais au
contraire de son accaparement dans une logique de colonisation.
La difficile émergence de la démocratie
L’instabilité est source de régression et de destruction. Elle cause conflits, inflation et
insécurité économique, changements de gouvernement, militaires notamment, violations des
droits de l’Homme etc. Cependant certains schémas de stabilité peuvent être tout aussi
destructeurs, comme en Amérique latine, par exemple, où l’héritage persiste du colonialisme
ibérique a été transformé pour servir les nouvelles générations de juntes. Les dirigeants ont
justifié et assuré leur pouvoir par une culture et des institutions qui considèrent la population
comme un groupe et non comme des individus dont il faut tenir compte des besoins et du
niveau de vie. Ces classes de dirigeants sont là pour poursuivre avant tout leurs propres
intérêts. Ainsi les obstacles rencontrés par la démocratie et le développement sont dus aux
institutions et à leur culture et non aux seuls dirigeants. Il faut donc des dirigeants avec un
nouvel esprit pour consolider le soutien populaire en vue de changements durables.
En Afghanistan, la démocratie a été littéralement sacrifiée au profit de l’autocratie, dans le
cadre d’une république islamique pour servir un homme et une stratégie internationale.
“Comme doctrine sociale, la démocratie est restée incomprise en Afghanistan. Expression
d’un mouvement séculaire pour faire participer le peuple au pouvoir, elle est identifiée par les
djihadistes aux évolutions survenues en Occident pour accroître la liberté des mœurs et
promouvoir une société dépravée” 25 . Le choix constitutionnel d’un pouvoir fort, répond à
différentes attentes :
- un régime présidentiel à l’américaine identifié à l’idéal de démocratie, aménagé pour
la république islamique
- l’ambition personnelle de Karzaï et ses visions autocratiques
Dans l’état de désordre actuel, l’autocratie apparaît malheureusement comme le meilleur
moyen de réorganiser le pays.
Le gouvernement central afghan a besoin de ressources, de puissance et donc de prestige pour
conduire sa politique. En même temps, s’il est capable de la conduire, elle lui apportera
également tout cela. Aujourd’hui l’Afghanistan tel que Karzaï l’organise est comparable à un
Etat féodal, animé de rapport d’allégeance et non plus clientélisme.
25
Ibid. : 216.
27
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
En Russie, le jeu politique se joue entre l’armée, les oligarques et le pouvoir politique, loin de
tout fonctionnement démocratique. Le pouvoir n’est pas partagé mais arraché par le plus
puissant et le meilleur stratège. Le pouvoir politique substitue une partie des prérogatives de
l’armée au bénéfice de structures de forces dépendant du Ministère de l’Intérieur. La
pénétration de celles-ci dans la sphère politique témoigne d’une conception du pouvoir antidémocratique : c’est la « dictature de la loi », une « démocratie dirigée », et enfin la
« verticale du pouvoir », expressions chères à Poutine.
Les partis politiques ne sont pas structurés de manière cohérente ce qui réduit la fonction de
contrôle du Parlement. De plus, le président n’appartenant à aucun parti, leur légitimité est
affaiblie. Les pouvoirs entre le président et le Parlement connaissent un grand déséquilibre.
Enfin, le système judiciaire est soumis au pouvoir politique.
L’enjeu du pouvoir en Russie réside bien dans l’Etat : si ce concept a connu un déclin depuis
1991, il est réinvesti par Poutine à partir de 2000 (après son élection comme président).
Boris Eltsine, premier président de la Fédération de Russie, avait contribué à la déliquescence
de l’Etat et la baisse de confiance des Russes dans leurs dirigeants en accroissant l’autonomie
régionale ; il avait encouragé les gouverneurs à prendre autant d’autonomie qu’ils le
pouvaient. La reprise en main de l’Etat par Poutine correspond à sa restauration et à
l’augmentation de sa côte de popularité. Les Russes n’aiment pas un Etat central faible : il
n’assure pas ses fonctions de régulation. Eltsine avait commis l’erreur de ne pas structurer
clairement le fédéralisme qu’il comptait mettre en place. De son côté, Poutine, en supprimant
l’élection des gouverneurs, pratique une ingérence qui bouleverse les réseaux d’influence
régionaux.
L’exercice du pouvoir et l’avenir de la démocratie en Russie
L’autoritarisme doux de Poutine représente, dans la Russie d’aujourd’hui, la force la plus prooccidentale. En même temps, il n’est pas assez radical pour créer une résistance puissante ce
qui explique qu’il parvient à s’associer des libéraux voire des démocrates. Cependant le
glissement vers une dictature authentique se profile. Enfin l’enjeu sécuritaire aide
considérablement l’exercice du pouvoir au niveau national par la lutte contre le terrorisme au
niveau international.
En Bosnie-Herzégovine, les communautarismes s’opposent à la citoyenneté. Ce constat est le
résultat d’une évolution : les identités et les appartenances étaient fluides, non exclusives et
les syncrétismes régnaient jusqu’à l’importation des concepts d’ethnie et de nation. Les
identités se figent alors et se concurrencent. Toutefois, l’évolution des millet est différente des
nationalismes voisins : les mobilisations communautaires tiennent l’Etat à distance quant les
nationalismes cherchent à l’investir. On note une tradition de distance avec l’Etat,
d’autonomie vis-à-vis de lui, dans l’ère culturelle yougoslave. Paradoxalement, l’institution
du parlementarisme s’est ici accompagné d’une institutionnalisation des communautarismes
car les partis politiques possède une identité nationaliste. Ils revêtent les identités des
communautés. Le communisme yougoslave, comme son équivalent soviétique, a ainsi
renforcé les identités “nationales” puisqu’il a fait des identités musulmanes, juives, ouzbèkes
etc. des nationalités, à l’opposé de la fusion révolutionnaire des peuples.
Droits collectifs et démocratie
28
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
La politique européenne de protection des minorités a évolué, de 1992 à 1998, de la
promotion de l'intégration à celle de la ségrégation linguistique, prônant les droits collectifs et
favorisant l'avènement de modèles d'Etats ethniques (Hongrie, Roumanie). Par cette politique,
l’UE favorise l’établissement de communautés en encourageant l’enseignement par exemple
dans les langues minoritaires. La langue nationale n’est plus majoritairement celle de
l’enseignement. A quelle communauté nationale donnera naissance une telle école ?
L’ethnicisation rampante du système politique et des relations conduit à une ethnocratie. Les
élections ne garantissent pas une alternance politique mais favorisent la concurrence entre
groupes qui se répartissent les sphères d’influence politiques et économiques. On assiste ainsi
à une désintégration de l’Etat : certains services publics sont confiés aux communautés,
l’enseignement par exemple. Cette logique pousse les communautés à se tourner vers l’Etat
voisin, perçu comme la Patrie.
Cette opinion personnelle 26 doit en effet conduire à une réflexion sur la nature des relations
entre les institutions européennes et les entités locales, les régions ou les Etats : à quelle(s)
identité(s) donnera lieu ce système ? A-t-il de meilleures chances de créer une identité
européenne ou de morceler les identités ? L’identité étant un concept dynamique, elle sera
forcément teintée d’une multitude de composantes : seront-elles régionales ou nationales ? Le
défi de l’Union européenne n’est-il pas d’instaurer une identité européenne qui pallie les
difficultés d’apparition d’identités nationales, notamment en Europe centrale ?
B – Les processus instituants
Dans le cas de sortie de guerre comme dans celui de reconstruction d'un Etat, il s'agit de créer
un espace collectif, un sentiment national, un Etat dans lequel se reconnaît l'ensemble de la
population. Il s'agira aussi de s'interroger sur la manière dont est perçu et organisé le bien
public ? Quelles formes de solidarités existent et quel désir de vivre ensemble ?
La réconciliation
La réconciliation apparaît bien comme la première des étapes à entreprendre au lendemain
d’un conflit pour ensuite pouvoir envisager un avenir commun. Le paradoxe réside dans le fait
que cette étape est également la plus longue à réaliser. Seul le temps peut atténuer les
blessures provoquées par le conflits et calmer les esprits emprunts de vengeance. Ce
processus peut prendre plusieurs décennies. Des mesures peuvent cependant favoriser et
encourager la réconciliation à terme et assurer la coexistence entre les anciens protagonistes.
Les accords de Bonn prévoient, parmi les fonctions exercées directement par les Nations
Unies en Afghanistan, d’enquêter sur les plaintes concernant les violations des droits de
l’homme et d’appliquer remèdes et sanctions. Mais tous les protagonistes ont encore en
mémoire les échecs des tentatives de réconciliations antérieures même quand elles étaient
magnifiées par des cérémonies religieuses et des visites aux lieux saints de La Mecque et de
l’Iran 27 . Le discours de Kofi Annan, notamment mais il n’est pas le seul, les prie de ne pas
répéter les erreurs du passé.
« Les participants ont ainsi saisi l’importance historique de l’événement et ont adhéré à son
appel et à son esprit. (…) Ils ont admis que les ruses et les pressions partisanes devaient
26
Pierre Hillard in « La décomposition des nations européennes. De l’Union euro-atlantique à l’Etat mondial », éd. FrançoisXavier de Guibert, 2005.
27
Op. cit. Fazelli : 62.
29
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
désormais céder la place à l’entente et à la réconciliation. (…) La responsabilité devant le
peuple et devant la nation a pris le pas sur les promesses vides (…)» 28 .
« Il n’y a pas eu de réelles transformations de l’Afghanistan. Nous avons une constitution
mais personne ne la fait appliquer, des lois mais quasiment pas d’institutions pour qu’elles
soient respectées. Peu d’initiatives ont été prises pour instaurer la justice et marginaliser les
criminels de guerre et ceux qui violent le plus les droits de l’homme » 29 .
Le président Karzaï de son côté défend l’action de l’administration afghane, malgré les
reproches qui lui sont adressés en termes de lenteur et d’inefficacité, en expliquant qu’il
donne la priorité à l’établissement de la paix. La justice est pour lui encore un luxe que son
pays ne peut pas se payer 30 . Le pays ne connaît pas de grande organisation de défense des
droits de l’homme, de tribunal, de commission Vérité.
Les enjeux de la réconciliation en Afghanistan sont lourds : le combat des mudjahidins contre
l’agresseur étranger revêt un caractère de noblesse ; toute critique des mudjahidins est
assimilée à un blasphème. Le combat possède une valeur culturelle positive et prestigieuse
dont il faut tenir compte. D’autre part, tous les camps sont impliqués dans des combats. Il faut
donc s’entendre sur la définition des crimes à poursuivre. Si une amnistie était déclarée, elle
représenterait cependant de réels dangers pour la construction future de l’Etat. Les souffrances
ont besoin d’être reconnues. Enfin, tout le monde craint que la situation actuelle soit trop
fragile pour entamer une telle procédure. Le second risque est alors de stabiliser un ordre
injuste. La priorité semble donc être au désarmement et à la démobilisation des combattants.
L’enjeu de l’amnistie : Afghanistan (veiller à ce qu’elle ne soit pas déclarée), Salvador (rôle
central dans la pacification mais elle se révèle être un obstacle à la réconciliation, elle semble
maintenant s’imposer).
La Bosnie-Herzégovine présente un cas comparable à celui de l’Afghanistan dans la mesure
où les traumatismes de la guerre sont difficiles à réparer. La communauté internationale,
voulant contribuer à cette réconciliation, a entrepris de reconstruire symboliquement les ponts
de la ville emblématique de Mostar. Par contre, comment peut-on reconstruire la
multiethnicité alors qu’ils vivent des vies complètement séparées, que tous les réfugiés ne
sont pas rentrés et que beaucoup ont émigré.
Une nation. Les identités nationales
Dans les PECO, il fallait remplacer un rêve par un autre : la nation remplace le communisme.
Elle a servi de moyen de libération du communisme. Ainsi, l’identité nationale, menacée par
le communisme et l’internationalisme, est attachée à la résurrection de l’esprit. C’est
28
Ibid. : 63.
Propos de Nader Nadery de la Commission indépendante des droits de l’homme, recueillis par Françoise Chipaux, Le
Monde 25 août 2005.
En effet, en application des accords de Bonn, l'Afghanistan s'est doté, en juin 2002, d'une commission indépendante des
droits de l'homme présidée par Mme Sima Samar. Cette commission peut recevoir les plaintes des citoyens afghans et
procéder à des enquêtes mais les obstacles qu'elle rencontre dans sa mission sont multiples. La commission organise par
ailleurs régulièrement des séminaires destinés à sensibiliser les Afghans à la question du respect des droits de l'homme.
30
Entretien avec Hamid Karzaï, Le Monde2, numéro 83, du 17 au 23 septembre 2005, propos recueillis par Annick Cojean.
29
30
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
pourquoi, certains pays ont opté pour le modèle d’Etat-nation. Le nationalisme apparaît dans
ce contexte comme une idée libératrice 31 .
« Les communistes se sont transformés en nationalistes afin de promouvoir une idée et en
même temps un sentiment de liberté dans les masses. Ceci étant bien visible en Serbie, où
les ex-communistes ont adopté les institutions religieuses et même les rites, ce qui avait été
interdit autrefois par le parti communiste » 32 .
La constitution de la Pologne suit l’exemple de la révolution française ; la nation est
mentionnée dans le préambule. Elle est identifiée avec le corpus des citoyens. Dans cette
constitution, la République est le bien commun de tous les citoyens. Paradoxe de la
constitution yougoslave actuelle qui en dépit de l’héritage titiste et soviétique de la
multiethnicité, n’y fait plus aucune allusion : la République fédérale de Yougoslavie est
conçue comme un Etat fédéral souverain, fondé sur l’égalité des citoyens ainsi que sur
l’égalité des républiques. La Bosnie-Herzégovine, elle, est fondée sur un nationalisme
encadré, innovation représentée par la notion de peuple constitutif. Le texte fondateur
reconnaît 3 peuples constitutifs : les Bosniaques, les Serbes et les Croates « en les plaçant à
côté des citoyens » 33 . Le « peuple constitutif » équivaut à la nation.
Les Etats qui devaient seulement manifester la fin de leur attachement au bloc soviétique se
sont appuyés sur un nationalisme plus faible que ceux qui ont dû procéder à la sécession d’un
Etat. La Russie et l’Ukraine ont conservé leur multiethnicité. Du point de vue terminologique,
le « peuple » ne correspond pas à tous les citoyens mais fait appel à la notion d’ethnicité.
Ainsi le Peuple ne désigne pas la Nation.
Le 4 février 2003, la république fédérale de Yougoslavie devient l’Union Serbie-Monténégro.
Ce changement de nom témoigne de la difficulté des recompositions tant que les querelles ne
sont pas évacuées.
Les institutions étatiques en Russie
Anna Politkovskaïa 34 décrit le système judiciaire, dans un chapitre intitulé “Notre retour au
Moyen Âge”, comme un système qui produit des accusés et des chefs d’accusation pour
éliminer des personnalités gênantes.
“Le voile de ténèbres dont nous avons cherché à nous libérer pendant plusieurs décennies de
régime soviétique se referme sur nous. Les affaires de ce type sont chaque jour plus
nombreuses et deviennent la règle plutôt que l’exception. Le FSB torture pour fabriquer de
toutes pièces des dossiers bidon avec la complicité des magistrats et du parquet” 35 .
C’est le cas de Islam Khassoukhanov, premier Tchétchène diplômé de l’Académie militaire,
officier de la marine russe, il prend la tête de l’inspection militaire puis de l’état-major
opérationnel dans le gouvernement de Maskhadov ; il sera accusé de terrorisme et condamné
à 12 ans de travaux forcés.
La tragique affaire Boudanov (colonel de l’Armée russe qui a enlevé puis sauvagement
assassiné une jeune Tchétchène, Elsa Koungaïeva, 18 ans) a fait apparaître au grand jour les
31
Dragoljub Popovic, « Les ambiguïtés de la conception post-communiste de l’Etat-nation : fondements constitutionnels de
l’Etat-nation », in La réinvention de l’Etat, Slobodan Milacic, sous la direction de, éd. Bruylant, Bruxelles 2003 : 65-75
32
Ibid. : 67.
33
Ibid. : 72.
34
Anna Politkovskaïa, La Russie de Poutine, éditions Buchet/Chastel, Paris, 2004.
35
Ibid. : 51.
31
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
mutation pathologiques subies par le système judiciaire sous l’influence de Poutine et de la
guerre. “La réforme qu’avaient tenté de mettre en place les démocrates, et qu’Eltsine avait
soutenue de son mieux, ne résista pas à la pression suscitée par cette affaire. Parce que
pendant plus de trois ans nous eûmes amplement l’occasion de constater que notre appareil
judiciaire n’avait aucune indépendance, que nos magistrats restaient inféodés à l’exécutif et
aux politiques et que, plus effrayant encore, l’opinion publique ne voyait là rien d’anormal.
Manipulés par la propagande, les Russes, dans leur grande majorité, sont revenus à un mode
de pensée de type bolchevique”. Or dans cette affaire un juge osa l’impensable en
condamnant un officier défendu par l’establishment militaire qui avait justifié son crime par
les nécessités de la guerre.
La gestion de la plurticulturalité
La plupart des Etats étudiés reposent sur une population multiethnique. Le sentiment national
unitaire, dans ces conditions, est difficile à émerger.
En Afrique du Sud, la construction identitaire a fait appel à la métaphore de l’arc-en-ciel – the
Rainbow Nation - pour fédérer tous les groupes autour du même projet social ; ce leitmotiv
recherche l’homogénéité dans la diversité. Comme bien souvent, la multiethnicité se double
de plurilinguisme. Dans ce pays, le sentiment national unitaire reste encore fragile.
En Afghanistan, le rééquilibrage ethnique a été le souci prioritaire des organisateurs de la
conférence de Bonn. Les Talibans étant pashtouns, un tel rééquilibrage s’imposait, cependant,
le régime antérieur dirigé par les mudjahidins connaissait le même déséquilibrage, au bénéfice
des Tadjiks cette fois. A ce titre-là, l’ancien roi et Hamid Karzaï ont eu dans ces conditions un
rôle politique de première importance. La conférence de Bonn avait prévu d’écarter à la fois
les chefs djihadistes et les Talibans. Karzaï s’est d’abord rapproché des djihadistes, les a
associés au processus et même intégrés à l’administration. Ainsi la dynamique djihadistestalibans a ressurgi et les structures écartées par le processus de Bonn sont réapparues.
Néanmoins, l’administration afghane fonde son action sur un principe qui accorde une large
place au partage du pouvoir, il s’agit de la « gouvernance à base élargie ». D’autre part,
concernant la vie sociale, de nombreuses langues minoritaires ont été reconnues comme
langues officielles dans leurs localités d’implantation. Le rite djaafarite (chiite) a été introduit
pour la première fois dans l’histoire afghane comme source autonome de droit dans tout ce
qui concerne le statut personnel des Chiites, comme source supplétive dans les autres cas.
Plutôt qu’un renforcement de la cohésion sociale, ces étapes franchies doivent être vues
comme un allègement des pressions ethniques. Le marchandage politique caractérise bien
souvent ces initiatives ce qui comporte le risque d’entraîner un désordre administratif et une
inconséquence juridique. Enfin, ces situations d’exception accentuent les différenciations
internes déjà suffisamment nombreuses.
On peut regretter que l’accord de Dayton n’ait pas conservé les habitudes multiculturelles en
Bosnie-Herzégovine. Le cycle de rupture des empires multinationaux intervenu de 1850 à la
1e guerre mondiale a donné lieu au développement des Etats-nations modernes. Cette
fragmentation des anciens empires a fait émerger des pièces nationales. C’est donc la
consécration d’un système complexe d’identités nationales fondées sur la religion, langue et
affiliation ethnique. Chaque groupe développe ainsi son caractère national. La mémoire
mythique de rôle passé et de l’extension territoriale, les tendances irrédentistes ouvrent la voie
au conflit.
32
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Le manque d’Etat
En Afghanistan, l’espace politique à l’extérieur de la capitale est occupé ou contrôlé par les
djihadistes ou les Talibanss. Il manque à l’autorité de transition une vision d’ensemble d’une
intégration politique durable. Le manque d’Etat a donné naissance à des groupements
ethniques ou tribaux qui recherchent un rôle politique en marge de l’Etat. Une conscience
ethnico-politique est en train de se développer telle que ça n’a jamais été le cas dans la
mémoire historique du pays. La politisation à outrance a constamment détourné l’attention des
préoccupations essentielles du processus : cohésion sociale et développement économique. Ce
dernier se réduit à l’action des ONG.
Identités supranationales
Des identités supranationales peuvent à la fois émerger de périodes de conflits (violents ou
non) et par effet de retour alimenter les identités nationales.
En Afghanistan, la victoire des maquisards afghans face à l’Armée rouge fait de ce pays le
nouveau centre de l’identité musulmane moderne et son symbole. La résistance afghane et sa
victoire spectaculaire – face à une des premières armées du monde, face à un empire – brise
l’image d’humiliation constante des pays et des peuples musulmans par des puissances
armées non-musulmanes depuis la destruction de l’empire ottoman en 1917. Seuls 3 pays ont
pu incarner cette fierté retrouvée de l’islam en arrachant leur indépendance les armes à la
main, à travers des sacrifices héroïques : « civilisation dont le sens très viril de l’honneur,
fiché jusqu’au très-fond de l’inconscient collectif populaire, demeure après tout fort
guerrier» 36 . Il s’agit de la Turquie (1923), de l’Algérie (1962) et de l’Afghanistan (1989).
Pourtant le sens de ces guerres de décolonisation a été brouillé pour les musulmans du monde
puisque les régimes turcs et algériens se sont affranchis des puissances européennes en se
réclamant d’un patriotisme laïc (kémalisme et FLN). La composante strictement religieuse de
l’identité étant reléguée à la sphère privée. L’Afghanistan avait fait de même en 1919
(reconnaissance de l’indépendance du royaume afghan par l’Empire britannique des Indes) en
s’engageant sur le voie du constitutionnalisme et du nationalisme laïc ce qui a donné lieu à
une décennie de démocratie parlementaire et de liberté de la presse avec la constitution de
1964, malgré les résistances rurales, tribales et religieuses qui avaient fait échouer la première
constitution de 1923. L’Afghanistan a donc connu à cette période un Etat de droit moderne de
type international. Face à cette mouvance, s’érigent la résistance et son identité islamique,
voire fondamentaliste, pour qui la victoire et le rétablissement de la souveraineté nationale
sont le triomphe de l’islam, synonyme de retour d’un Etat fondé sur la charia, triomphe de la
foi militaire sur les mécréants.
Intégration régionale
L’intégration régionale peut venir pondérer les velléités nationalistes des Etats.
La Slovaquie, nouvellement indépendante, avait basculé dans un nationalisme virulent (entre
1992-1998, sous la direction du Premier ministre Meciar), finalement maîtrisé par la voie
36
Fazelli, préface de Michael Barry, 2001 : 12.
33
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
électorale en 1998, puis confirmé en 2002. La minorité hongroise a été incluse dans un
gouvernement de coalition modérée pro-européen ce qui a permis une détente avec la
Hongrie. Cette amélioration est due à la perspective principale de l’entrée dans l’Union
européenne 37 .
L’importance de développer une coopération est donc capitale dans ces régions fragiles qu’il
est possible de transformer en réseaux de communication et d’échanges entre aires
germaniques, slaves et latines. Dans cette perspective, la présence des deux côtés de la
frontière de minorités nationales partageant des liens socio-culturels traditionnels se révèle
être un moteur essentiel de la coopération transfrontalière.
4 - La société civile
Nous proposons une définition plus large de la société civile : la définition occidentale ne
reconnaît l'existence d’une société civile qu’en présence d'ONG, de syndicats, de partis
politiques... Nous étudierons différentes sortes de structurations et d'organisations des sociétés
qui peuvent constituer des leviers de pouvoir pour le futur. La place des diasporas sera étudiée
pour analyser les changements qu'elles peuvent apporter à une société, selon en particulier
l’exemple de l’Ukraine et de la Géorgie où le Premier Ministre est une ancienne fonctionnaire
française.
Anna Politkovskaïa 38 analyse le procès Boudanov comme une révélateur de la non-réactivité
des Russes. Au cours de la longue mascarade de procès durant laquelle le colonel Boudanov
était couvert par la hiérarchie militaire et que son crime était justifié “par les nécessités de la
guerre”, les organisations de défense des droits de l’homme n’ont pas manifesté pour
dénoncer cet odieux procès. D’autre part, les femmes russes, dans leur grande majorité, n’ont
pas exprimé leur haine pour ce violeur et ne se sont pas identifiées à la famille de la victime.
Lorsqu’il a été innocenté, l’opinion publique ne s’est pas indignée. Toute la Russie jugeait
que c’était juste et normal. Elle constate la même passivité et absence de réaction face à un
certain nombre de faits divers révoltants - vieil homme de plus de 80 ans, vétéran de la
Seconde guerre mondiale, mort de froid dans son appartement de Irkoutsk. Poutine lui-même
est resté muet sur cet événement et la nation russe a accepté ce silence.
En Russie, l’action au pouvoir de Vladimir Poutine a détruit tous les piliers traditionnels de
l’opposition (partis politiques, médias, oligarques). L’opposition politique est même
maintenant apparentée à une dissidence. La captation des richesses au moment des
privatisations a largement contribué à étouffer la culture démocratique naissante. La passivité
et l’apathie sont héritées du régime de terreur et participent à l’érosion de la cohésion sociale.
Le Parti de la Démocratie chinois a connu une éphémère existence et il fut finalement interdit.
Mais en 1987, les élections de comités de village permettent l’émergence d’une culture
démocratique même si elles ne représentent pas un réel mécanisme démocratique du fait de la
corruption, du manque de compétition électorale, de l’absence de pouvoir des comités puisque
les décisions sont prises par les cellules locales du parti. D’un autre côté, la croissance
exponentielle des publications et des moyens de diffusion rend de plus en plus difficile le
travail des censeurs. Internet est un enjeu de taille pour le pouvoir qui se fait aider de firmes
37
« La Pologne dans son environnement géopolitique » par le professeur Jacek Wozniakowski, premier maire élu de
Cracovie ; entretien avec Pierre Verluise http://www.diploweb.com/forum/wosniakjac.htm
38
Op. Cit.
34
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
étrangères pour mettre en place un système de contrôle et de censure de certains sites, de
certains mots (démocratie, liberté). Il procède également à des fermetures de cybercafés.
L’hégémonie du PCC malgré quelques tentatives de créer d’autres partis demeure. La
direction donnée est celle du développement économique et du dirigisme contre la liberté et la
démocratie. Les intellectuels, de leur côté, ne sont pas arrivés à se structurer en force
extérieure au PCC. Les lettrés ont une conception paternaliste et n’hésitent pas à recourir à
l’argument culturaliste selon lequel la société chinoise n’est pas assez éduquée. L’idée
d’égalité n’est pas au cœur des revendications. Les tentatives de résistance rencontrent
plusieurs obstacles comme la répression extrêmement dure exercée par le pouvoir et surtout
l’absence de mémoire des événements du fait de la censure et de la propagande du régime qui
empêche une conscience collective d’émerger.
5 - L'économie
Dans le vaste champ économique, nous choisissons d'étudier plus spécifiquement les thèmes
de :
- la création d'un secteur privé et de son organisation pour voir s’il assure les fonctions
de redistribution des richesses (création d’emplois) et d’accès à un certain bien-être.
- l'influence de la mondialisation, souvent synonyme pour les petits Etats de
dépossession des politiques économiques et de problème d'accès aux marchés
mondiaux.
Dans les pays étudiés, on se trouve face à des économies difficiles à définir, en pleine
transition, où bien souvent le désordre domine du fait de ce processus inachevé. Par ailleurs,
des phénomènes de dépendance vis-à-vis de la communauté internationale sont visibles
En Russie, Anna Politkovskaïa fait observer que l’économie russe est un “curieux hybride de
libéralisme, de dogmatisme et de tout un bric-à-brac de spécialités locales”.
“La doctrine économique de Poutine, c’est l’idéologie soviétique mise au service du grand
capital. Elle laisse au bord de la route des horde de pauvres, de déclassés et favorise dans le
même temps la résurgence de notre bonne vieille nomenklatura, cette élite de bureaucrates
qui dirigea notre pays du temps de l’URSS”. 39
Le système exigeant la loi et l’ordre, l’élite doit veiller à ce que la population des démunis ne
vienne pas entraver son enrichissement. La corruption atteint des sommets inégalés par les
régimes précédents. Elle agit comme une nuisance pour les petites et moyennes entreprises et
laisse au contraire prospérer les grandes sociétés, les monopoles et les firmes semi-publiques
qui sont les premières pourvoyeuses de pots-de-vin. Cette corruption s’explique par la volonté
de Poutine de gagner les faveurs des anciens du régime soviétique :
“La nostalgie de ces gens est si forte que l’idéologie qui sous-tend le capitalisme à la sauce
Poutine se rapproche chaque jour davantage de l’état d’esprit qui a régné au plus haut de la
période de stagnation des années Brejnev, de la fin des années 70 au début des années 80” 40 .
Dans le même temps, la société russe a été entièrement restructurée : la classe de
l’intelligentsia scientifique et technique a disparu – émigrée ou déclassée dans les métiers au
plus bas de l’échelle sociale. Les valeurs hier méprisées, comme le commerce, ont construit
les fortunes d’aujourd’hui. Ces mutations ont des conséquences graves sur la solidarité : les
39
40
Op. Cit. : 106.
Ibid. : 107.
35
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
individus qui ont servi l’Etat sont abandonnés dès lors qu’ils ne sont plus utiles. Ainsi le récit
d’un ancien espion est particulièrement éloquent : après avoir servi les intérêts de la Russie en
Asie centrale (en installant au pouvoir les actuels présidents) et en Tchétchénie, la hiérarchie
militaire lui refuse une retraite et un appartement de fonction. Dans la plupart des cas, il s’agit
de conflit personnel avec un supérieur hiérarchique qui, par vengeance, exerce un pouvoir de
nuisance sans borne puisque aucune juridiction ne contrôle l’exercice du pouvoir. De la même
manière, sont abandonnés les retraités, les vétérans de guerre, les plus vieux pour qui même
les services des urgences ne font plus un geste. Les services publics sont en déshérence : ils ne
fonctionnent pas alors que les usagers versent des cotisations qui d’ailleurs augmentent
régulièrement
Pour réussir dans les affaires aujourd’hui en Russie, il faut remplir 3 conditions : mettre la
main sur un bien appartenant à l’Etat, et c’est pourquoi les principaux hommes d’affaires du
pays appartiennent à la nomenklatura communiste (Jeunesses communistes et PC); ensuite il
faut rester proche des autorités en leur versant des subsides, ou bien en se faisant élire; enfin il
faut s’assurer la protection des forces de l’ordre en les intéressant aux profits 41 .
En Afghanistan, on observe un timide redémarrage de la vie économique, avec notamment un
réchauffement du marché intérieur ce qui s’explique par les fonds versés au titre de l’aide
extérieure et à la reprise du secteur de la construction dans la capitale, due au retour des
expatriés. Malgré la mise en circulation du nouvel afghani, la monnaie pakistanaise est
toujours en circulation dans le Sud et l’Est du pays. Dans ce pays, on voit que la question
économique empiète sur l’enjeu sécuritaire du fait de l’importance de la culture du pavot.
Dans ce domaine, on constate une certaine réussite, dans de nombreuses régions les cultures
ont été détruites mais ces actions restent un désastre si elles ne sont pas remplacées par des
cultures alternatives. Malgré une reprise économique en 2003 entre 10 et 12% du PIB - sans
compter les revenus de la drogue – l’Afghanistan se situe au 173e rang sur les 178 pays
figurant dans le classement de l’Indice de Développement Humain du PNUD.
Les conflits à long terme agissent comme les plus sûrs vecteurs de sous-développement
chronique et les indicateurs pourraient empirer si les priorités ne sont pas données au
développement économique et social. Les nouveaux programmes de développement doivent
être centrés sur l’éradication de la pauvreté et le modèle doit être questionné : une économie
libérale concentrée sur l’amélioration du secteur privé comme moteur de croissance est-il le
plus adapté à une situation d’après conflit ? par ailleurs, il faut prendre en considération les
risques que représente un afflux soudain et très important de capitaux qui pourrait encourager
la dépendance et la corruption.
L’absence de reprise économique nuit considérablement aux avancées de la transition
politique au point de la faire échouer : le mécontentement des populations qui ne voient pas
leur sort s’améliorer perdent toute confiance dans leurs dirigeants (l’Afrique du Sud, et dans
une autre mesure la Bosnie-Herzégovine, le Cambodge et l’Afghanistan).
Inversement, l’économie peut venir au secours de la politique dans le cadre de processus
d’intégration régionale. La Commission internationale sur les Balkans, présidée par Giuliano
Amato, dans son rapport rendu en avril 2005 conclut qu’aucun problème de fond n’a été
résolu dans cette région en dépit du calme apparent, gagné au prix d’une forte présence
41
Ibid. : 143.
36
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
militaire de l’OTAN et d’une aide internationale conséquente. Il préconise, pour sortir du
cercle vicieux, l’adhésion à l’Union européenne.
Dans le contexte de l’Asie centrale ex-soviétique, on observe un lien fort entre les réformes
économiques et l’ouverture du système politique. En effet, au Kirghizstan et au Kazakhstan,
où les réformes économiques ont conduit à une plus grande redistribution des biens étatiques,
les élites politiques ont connu un plus grand renouvellement.
Cette grille d’analyse permet de décrypter les enjeux de la démocratisation dans d’autres pays,
et Haïti est à ce titre un exemple éloquent : depuis une décennie environ, l’ingénierie
institutionnelle internationale tente d’accompagner ce pays dans la transition démocratique et
le développement économique (opération de maintien de la paix, d’observation, de
stabilisation, aide internationale). Pourtant, le pays est apparemment animé du plus grand
chaos et l’économie recule sans cesse.
Les relations politiques reposent sur une dualité singulière et fondamentale, depuis l’abolition
de l’Etat colonial, entre une élite créole occidentalisée et la masse afro-paysanne des
campagnes. Ce fondement perturbe l’idée même de nation qui n’a pu encore aboutir. Pour être
source de dynamisme, cette dualité doit être reconnue. L’Etat suscite auprès des Haïtiens un
rejet instinctif et ils éprouvent une grande défiance vis-à-vis de cet Etat qui les a instaurés
comme ses adversaires irréductibles. Par ailleurs, le binôme armée-nation ne permet pas
l’émergence des idéaux tels que la démocratie. L’anthropologue Gérard Barthélemy 42 voit
dans le rejet de toute aide la répétition du refus initial lié à l’émancipation fondatrice,
l’abolition de l’esclavage.
Par ailleurs il note l’importance de reconnaître les structures locales et de leur donner le
pouvoir d’initiative et de contrôle.
Enfin il apparaît essentiel de procéder à des recensements : pour mieux se connaître,
reconnaître tous les groupes de la société, ne pas craindre la diversité, ne pas rechercher une
image artificielle d’unité et d’homogénéité en essayant de créer des histoires qui ne
parviendront pas à jouer le rôle de mythes fondateurs, mais au contraire reconnaître la
diversité, la respecter, traiter tous les groupes à égalité, leur donner une place et ainsi parvenir
à un sentiment d’appartenir à une nation.
D’autre part, la Colombie dans la situation actuelle peut être considérée en phase de sortie de
conflit et ainsi faire l’objet d’une analyse en termes de transition. Cette perspective est
sérieusement envisagée d’autant plus qu’elle répond à une demande locale (voir document en
annexes).
42
Gérard Barthélemy, « Haïti, l’ordre sous le chaos apparent » Le Monde 5 septembre 2005.
L’univers rural Haïtien. Le pays du dehors, L’Harmattan, Paris, 1991.
37
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Index des fiches par pays
Afghanistan
La militarisation de l’action humanitaire
La concurrence des forces politiques au sommet de l’Etat
L’impossible organisation de la justice dans un contexte d’insécurité
Les enjeux de la formation de l’armée nationale
L’aide internationale : obstacle à l’émergence d’un Etat souverain
Afrique du Sud
Vecteurs de transformation
Mandela et De Klerk : D'adversaires à alliés
Partage du pouvoir : que faire de la chefferie traditionnelle ?
Quelle identité pour la « nation arc-en-ciel » ?
L'expérience de Stutterheim, un exemple de développement local
Bosnie-Herzégovine
Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance
Un espace collectif, les Mjesna Zajedna
Communautarisme, démocratie et Etat
La reconstruction du secteur économique
Chine
Changements et continuité
Autorité et continuité
La place de l’individu dans la société
Quelle société civile ?
El Salvador
Une convergence d’intérêts internes et externes
« De la folie à l’espoir : douze ans de guerre civile au Salvador ». La commission Vérité et
Réconciliation
Ethiopie-Erythrée
Une paix gagnée par le retrait du financement militaire
Ouzbékistan
La paix libérale, modèle de l’assistance internationale dans la transition
Relation au pouvoir et société civile
Généalogies et alternance au pouvoir (Kirghizstan)
Le contrat fondateur et sa rupture
Indépendance et construction nationale
La privatisation des services de l’Etat par les ONG (Kirghizstan)
Les promesses de la société civile
Pologne / PECO
Les droits collectifs, l’Etat et les organisations européennes
Lustration à l’Est. Purification et réconciliation dans les administrations
Russie
La reconquête de la puissance
Les relations civilo-militaires au sein du pouvoir
Partage du pouvoir : l’appareil d’Etat
Partage du pouvoir : le fédéralisme à la russe
Les obstacles à la mobilisation de la population russe
Les écueils de la transition vers l’économie de marché
39
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Index des fiches par ordre de présentation
1 – Origine de l’impulsion et intervention internationale
Vecteurs de transformation en Afrique du Sud
Une paix gagnée par le retrait du financement militaire en Ethiopie
Changements et continuité en Chine
Une convergence d’intérêts internes et externes au Salvador
Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance en
Bosnie-Herzégovine
La paix libérale, modèle de l’assistance internationale dans la transition en
Ouzbékistan
2 – La représentation du pouvoir
A – La relation au pouvoir
Relation au pouvoir et société civile en Ouzbékistan
Généalogies et alternance au pouvoir au Kirghizstan
Autorité et continuité en Chine
La place de l’individu dans la société chinoise
B – La quête de légitimité
Le contrat fondateur et sa rupture en Ouzbékistan
Un espace collectif, les Mjesna Zajedna en Bosnie-Herzégovine
La reconquête de la puissance en Russie
La militarisation de l’action humanitaire en Afghanistan
3 – Vers un Etat
A - L'émergence d'un pouvoir central
La concurrence des forces politiques au sommet de l’Etat en Afghanistan
Les relations civilo-militaires au sein du pouvoir en Russie
Communautarisme, démocratie et Etat en Bosnie-Herzégovine
Les droits collectifs, l’Etat et les organisations européennes dans les PECO
Mandela et De Klerk : D'adversaires à alliés en Afrique du Sud
Partage du pouvoir : l’appareil d’Etat en Russie
Partage du pouvoir : le fédéralisme à la russe
Partage du pouvoir : que faire de la chefferie traditionnelle en Afrique du Sud ?
B – Les processus instituants
L’impossible organisation de la justice dans un contexte d’insécurité en Afghanistan
Les enjeux de la formation de l’armée nationale en Afghanistan
L’aide internationale : obstacle à l’émergence d’un Etat souverain en Afghanistan
Indépendance et construction nationale en Ouzbékistan
La privatisation des services de l’Etat par les ONG au Kirghizstan
Lustration à l’Est. Purification et réconciliation dans les administrations dans les
PECO
Quelle identité pour la « nation arc-en-ciel » en Afrique du Sud ?
« De la folie à l’espoir : douze ans de guerre civile au Salvador ». La commission
Vérité et Réconciliation
p43
p45
p47
p51
p55
p57
p59
p61
p63
p67
p69
p71
p75
p79
p81
p85
p87
p91
p95
p97
p99
p103
p107
p109
p111
p113
p117
p119
p121
p125
4 - La société civile
Les promesses de la société civile en Ouzbékistan
Les obstacles à la mobilisation de la population russe
Quelle société civile en Chine ?
p127
p131
p133
5 - L'économie
Les écueils de la transition vers l’économie de marché en Russie
L'expérience de Stutterheim, un exemple de développement local en Afrique du Sud
La reconstruction du secteur économique en Bosnie-Herzégovine
p137
p139
p141
41
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
42
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Afrique du Sud
Origine de l’impulsion et intervention internationale
Vecteurs de transformation en Afrique du Sud
INDUSTRIALISATION,
URBANISATION, TOWNSHIPS, RESISTANCE, REPRESSION, MEDIATISATION,
PRESSION INTERNATIONALE, NELSON MANDELA, DE KLERK
GUERRE
FROIDE,
La fin de l'Apartheid en Afrique du Sud, symbolisée par l'élection de Nelson Mandela à la présidence en 1994,
est l'un des exemples les plus remarquables de transition démocratique au XXe siècle.
Vecteurs de transformation
La transition d'une démocratie réservée à une minorité vers une démocratie pour tous peut être considérée
comme une révolution qui résulte d'un retournement de la pensée sur les relations entre les populations
blanche et noire. Une révolution, écrit Pierre Calame 1 est « le fruit d'une lente maturation, quand beaucoup
de facteurs de changement s'accumulent jusqu'au moment où se produit un retournement de la pensée qui
permet de réorganiser autrement les différents éléments et les divers acteurs entre eux ». Quels facteurs furent
responsables en Afrique du Sud du déclenchement du processus de transformation du système d'Apartheid
vers des élections libres pour toute la population sud-africaine ?
Le politologue Vayrynen a identifié des vecteurs de transformation qui donnent une impulsion pour un
rapprochement des acteurs du conflit et changent leur manière de penser ce conflit. Les vecteurs de
transformation sont par exemple des changements au niveau du contexte du conflit, des changements
structurels ou mentaux et l'apparition de nouveaux acteurs. Chaque vecteur peut changer le cadre par lequel
le conflit est perçu, ce qui peut aboutir à une ouverture vers le dialogue. Quels changements en Afrique du
Sud ont abouti à cette ouverture?
Changement du contexte
L'élément contextuel qui a eu une grande influence sur la dynamique du conflit fut la transition vers une
économie industrielle. Jusqu'aux années 1950, la société était agricole, la main d'œuvre non éduquée et
disséminée sur tout le pays. Avec le début de l'exploitation minière et l'adaptation consécutive de l'économie,
la société a eu besoin d'une main d'œuvre plus éduquée et concentrée géographiquement. Ces concentrations
dans des townships et leur géographie urbaine ont facilité l'organisation de la résistance contre l'Apartheid par
des grèves de masses. Les townships étaient bâtis très loin de la ville. Seule une route reliait la ville et le
township. En outre, l'unique moyen de transport était le train ou l'autobus. Les Blancs avaient établi cette
configuration afin de pouvoir contrôler la population noire. Simultanément, cette structure facilitait le
contrôle, par les Noirs eux-mêmes, de la solidarité pendant les nombreuses grèves. Des petites unités placées
aux arrêts de bus et aux gares permettaient de contrôler l'ensemble des mouvements de plusieurs milliers de
personnes. En raison des résistances de masses, ces lieux sont devenus l'élément mobilisateur central de
l'opposition contre le gouvernement. Il en résulta une corrélation entre la répression massive du
gouvernement pour supprimer la résistance et la médiatisation de la situation d'oppression à l'échelle
internationale, ce qui aboutit à une forte pression internationale sur le gouvernement sud-africain.
Un autre facteur de changement de contexte fut la fin de la Guerre froide qui a transformé le cadre du conflit
d'une lutte idéologique internationale (entre les communistes et les capitalistes) en une lutte nationale. La fin
de la crispation bipolaire a provoqué une brusque réduction du soutien financier dans la région, et notamment
les fonds destinés à l'achat d'armes pour les deux parties. Plusieurs mouvements de libération noirs étaient
armés par la Russie et envisageaient une guerre de libération totale de plusieurs pays frontaliers. A l'opposé,
le gouvernement sud-africain légitimait ses actions policières en tant que lutte contre la menace du
communisme international. Après la fin de la Guerre froide, les actions policières du gouvernement sudafricain n'étaient plus légitimes et les mouvements de libération ont dû abandonner l'espoir d'une victoire
militaire sans le soutien russe.
1
Calame Pierre, La démocratie en miettes: pour une révolution de la gouvernance Paris: Descartes&Cie, 2003, p.77.
43
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Evolution des mentalités
L'évolution des mentalités au niveau individuel et à l'échelle de la société a donné une impulsion positive au
conflit et a facilité l'amorce d'un dialogue. C’est ce qui s’est réalisé parmi la population blanche, non pas
celle vivant en Afrique du Sud mais celle vivant en Europe et aux Etats-Unis. Dans le pays, même la plus
importante des voix parmi les Noirs n'a eu qu'une influence très limitée sur les Blancs qui étaient
majoritairement insensibles à leurs positions parce que leurs vies étaient nettement séparées, par classe
sociale, langue et profession. C'est l'opinion publique internationale qui a permis d'aboutir à un changement.
Les Sud-Africains blancs, surtout ceux d'origine britannique s’identifient fortement avec la Grande-Bretagne
et l'Occident en général. Ils s'orientaient vers les communications étrangères par une presse relativement libre
qui diffusait directement l'opinion internationale sur l'Apartheid auprès des Sud-Africains blancs. En écoutant
les positions internationales, ces derniers ressentaient un sentiment d'isolement, renforcé par d'autres mesures
telles que les sport bans. Une recherche de l'IRRS montre un fort désir de la population sud-africaine blanche
d'être réintégrée au club des nations occidentales 2 . Cela a été une motivation importante pour commencer les
négociations.
En changeant d’opinion sur la question de l'utilisation des armes pour la libération des Noirs, Mandela
constitue un facteur, individuel mais essentiel, qui permet de démarrer les négociations. C'est à son initiative
que la division armée de l'ANC, Umkhonto we Sizwe, a été fondée en 1961, motivée par la conviction qu'une
victoire armée était la seule possibilité pour la libération des Noirs. Il a changé d’opinion sur cette question
pendant ses années en prison. En 1990, il prend la responsabilité de convaincre la population noire que les
négociations sont le seul espoir pour une Afrique du Sud pacifique. Il devient le porte-parole de la
réconciliation et non plus de la lutte armée.
Changement des acteurs
Des acteurs aux personnalités différentes ont joué un rôle important dans la résolution du conflit. En général,
un nouveau chef ou une rupture des parties peut permettre de recadrer le conflit et de donner une nouvelle
impulsion à sa résolution. En 1988, les élections ont mis au pouvoir F.W. De Klerk, un homme pragmatique
qui a été capable d'imaginer un avenir marqué par le partage du pouvoir avec les Noirs. Il a permis la
libération de Nelson Mandela, un homme charismatique qui, à son tour, est parvenu à convaincre la
population noire d'arrêter la lutte armée et d'accepter l'interdépendance avec des Blancs au niveau politique et
social. Il a réussi à convaincre l'opinion mixte sud-africaine que le pardon était plus puissant que la
revendication, en créant une Commission sur la vérité et la réconciliation. La dynamique positive entre De
Klerk et Mandela a été indispensable pour convaincre la majorité des populations blanche et noire de leur
interdépendance et qu'un partage de pouvoir était indispensable pour stabiliser le pays.
2
Davis, Stephen M. Ed. Powers, Roger S. et Vogele, William B. Protest, Power and Change : An Encyclopedia of nonviolent
action from ACT-UP to Women's suffrage New York : Garland Publishing Inc., 1997, p.495.
44
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Ethiopie/Erythrée
Origine de l’impulsion et intervention internationale
Withdrawal of military support for Ethiopia crucial in creating peace
Une paix gagnée par le retrait du financement militaire
AIDE INTERNATIONALE, CONFLIT, RÉSISTANCE, ETATS UNIS, UNION SOVIÉTIQUE, ÉQUILIBRE DES FORCES, LÉGITIMITÉ
The conflict between Eritrea and Ethiopia is particularly interesting since parties to the conflict did not stop
fighting as a result of international intervention or international pressure but as a result of its withdrawal.
Introduction
After years of colonial rule, Eritrea became in 1950 an autonomous unit federated with Ethiopia following a
United Nations General Assembly resolution. The federation with Ethiopia led to a shift in economic and
political power from Asmara to Addis Abeba and steady impoverishment of Eritrea. In 1962, Ethiopia went
one step further and annexed Eritrea with U.S. backing, which was the beginning of a long war between the
two countries whose relations remain extremely tense until today. The conflict can be separated in different
periods and my analysis will focus on one particular period in which the Ethiopian dictatorship was
overthrown by a combined effort of Ethiopian and Eritrean guerrilla forces which led to the independence of
Eritrea and to an effort to transform the state into a democratic institution. This period ends when a new
armed conflict breaks out between the two countries over the demarcation of boundaries between the
countries in the region of Badme. The period described shows an important and inspiring effort to
democratisation that -for certains reasons, to be explored later- ends with the stalling of the process.
Conflict periods
1962-1973 Annexation of Eritrea by Ethiopia under Haile Selassie
The first period starts in 1962 with the annexation of Eritrea by Ethiopia under Haile Salassie with U.S.
backing. It sparked a full-blown Eritrean insurgency by the guerrilla movement’s, the Eritrean Liberation
Front (ELF). Its effect on the Ethiopian government was however limited due to its internal differences. The
ELF split in 1973, leading to the creation of the Eritrean People’s Liberation Forces (EPLF), provoking civil
war within Eritrea (until ELF defeat 1991).
1974-1991 Occupation of Eritrea by under Mengistu
The second period starts in 1974, when a group of military officers, referred to as the Derg, overthrew the
Ethiopian Emperor Haile Selassie with help from the Soviets. Colonel Mengistu Haile Mariam becomes the
head of state in Ethiopia and establishes a Marxist dictatorship. The military support his regime receives from
the USSR allows them to bring heavy losses to the Eritrean side. Forces in the North of Ethiopia are however
mobilising against the Derg and are becoming stronger and stronger (Tigrean People’s Liberation Front or
TPLF). They join forces with guerrilla troops in Eritrea whose majority belong to the same ethnic group, the
Tigrayans. Inside Eritrea, two guerrilla/rebel forces continue to combat each other over power and the future
direction of the country, one conservative and the other reform oriented. At the end of this period, the reform
oriented movement (Eritrean People’s Liberation Front) is gaining stronghold over the country which creates
the conditions not only for independence of Ethiopia but also for peace inside Eritrea. The end of this period
is greatly determined by the end of the Cold War leading to the retreat of Soviet military and financial
support for the continued occupation of Eritrea.
1991-1998 Overthrow of Mengistu dictatorship and political transition
The third period therefore starts with the overthrow of the Mengistu dictatorship by the two rebel movements
mentioned above: the Ethiopian Tigrayan movement and the Eritrean reform oriented movement who joined
forces based on a common enemy and ethnic identity. Eritrea declares its independence in 1993. The two
rebel movements become ruling parties in the both countries, while each choosing their own way of state
reform. Both have democratic ideals but choose different ways to implement it. Their different approaches ethnic orientation in identity creation in Ethiopia against the nationalistic orientation in Eritrea - are at the
45
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
root of growing tensions between the two 43 . Renewed fighting breaks out in 1998 over the demarcation of
the Ethiopian-Eritrean border.
1998-2000 Renewed conflict over border between Eritrea and Ethiopia
The fourth period is marked by fighting and finding a resolution for the Eritrean-Ethiopian border dispute
around the town of Badme. The fighting officially ended with the signature of a interim peace agreement in
June 2000 in Algiers. A Temporary Security Zone was created to be monitored by UN peacekeepers. UN
Security Council resolution 1298 established UN Mission in Ethiopia and Eritrea (UNMEE). A real peace
dynamic lacks however, Eritrea has signed the agreement in recognisance of military breakthrough of
Ethiopia.
External factors allow transition to take place
An important turning point in the conflict described above is the overthrow of the Mengistu dictatorship in
Ethiopia in 1991 by the Tigrean People’s Liberation Front, based in Ethiopia (TPLF ) and the Eritrean
People’s Liberation Front (EPLF). The overthrow marked the beginning of a peaceful period between Eritrea
and Ethiopia after 30 years of war. What external and internal factors allowed transition at this moment in
time? For over thirty years Ethiopia had been financially supported –first by the U.S. and subsequently by the
USSR- to occupy Eritrea. The withdrawal of external finances at the end of the Cold War resulted in renewed
power balance between local conflict parties – the Ethiopian government and liberation movements - and
quickly led to a military resolve. Liberation movements had gained military capacity was largely auto
financed through capturing arms from the enemy and through Diaspora support.
A possible explanation for the relative quick resolution of the war - once international support for it stopped
after 30 years of armed struggle - is that the Mengistu regime had a very poor power base among the
population and could only keep control over the armed forces and the population as a result of the
international military support it received. The liberation movements however received wide popular support
and had the legitimacy of the population. Arguments for this hypothesis are that people were willing to make
large personal offers for the liberation movements by risking their own lives, the lives of their loved ones and
offering food and shelter to the fighters. Another argument is that both liberation movements have been
elected as governing parties as a result of democratic elections, held in both countries after a transitional
period. The changes that they put in place at a political level were the result of 30 years of reflection in both
movements and political education of the population over a similar period of time. The Eritrean People’s
Liberation Front was even ideologically formed by a secret political party with a Marxist orientation. I will
explain in more detail later what its influence has been on the political transformations in the country after its
declaration of independence.
Both military movements have transformed to political parties and have made important steps towards state
transformation in the early and middle ‘90’s. Tragically enough these positive developments stalled at the
end of the ‘90’s and continue to be blocked.
43
Reid, Richard, “Old problems in new conflicts: Some observations on Eritrea and its relations with Tigray, from liberation
struggle to interstate war” Africa 2003 p.369-401
46
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Chine
Origine de l’impulsion et intervention internationale
Changements et continuité
DENG XIAOPING, HU JINTAO, REFORMES, TRANSITION DEMOCRATIQUE, CENTRALISME DEMOCRATIQUE, TOP-DOWN,
PRESSIONS INTERNATIONALES, FACTIONALISME, CHAOS
La Chine occupe une place à part dans l'étude des pays en transition dans la mesure où sa transition n'a pas été
le fruit d'un conflit ou d'un changement de régime. Elle procède de décisions politiques prise après la mort de
Mao. Le point de départ de la "mue du grand dragon rouge" peut être vu dans l'accession au pouvoir de
Deng Xiaoping en 1978 et dans la mise en place par celui-ci d'une politique de réformes tranchant radicalement
avec l'ère maoïste.
La nature des réformes : quelle démocratisation depuis la mort de Mao ?
La portée des réformes de Deng Xiaoping a été essentiellement économique et sociale. L'Etat s'est retiré de
nombreuses sphères de la société chinoise qu'il contrôlait étroitement auparavant, impulsant une transition
économique et sociale plus que politique. En effet, au plan politique, en dehors des réformes institutionnelles
mises en place depuis trente ans, les avis demeurent partagés.
Le changement apporté par Deng Xiaoping est pourtant sans précédent, en particulier au niveau du débat
politique au sein du Parti. D'aucuns estiment en effet que l'ouverture des débats au sein du Parti constituerait
les prémisses à la libéralisation de l'ensemble du champ politique chinois. Certains dirigeants chinois euxmêmes proposent que la démocratie interne au Parti soit la première étape de la réforme politique.
Pourtant, la vision des dirigeants ne ressemble que de très loin à une véritable démocratisation : "en Chine, le
sens donné à la démocratie interne au Parti est celui de centralisme démocratique. 1 " Or, ce concept a été
affirmé par Mao en 1957 (repris de Lénine) et il met davantage en valeur le terme "centralisme" que celui de
"démocratique". "En un sens, [le centralisme démocratique] n'est pas coercitif : il peut y avoir des débats, les
membres du Parti peuvent contester les documents du Parti et exprimer différentes opinions. Mais la
conclusion est fixée d'avance. Le but du débat est de parvenir à un accord avec le Parti. La démocratie n'est
que le moyen, l'unité est le but. 2 " L'attachement au centralisme démocratique a été répété par les dirigeants
successifs, y compris par Hu Jintao.
Par conséquent, d'un point de vue politique, les avancées restent minces : "la Chine est donc indéniablement
un pays en transition, mais rien ne permet de dire que cette transition puisse, à terme, s’avérer démocratique.
Bien au contraire, (…) le régime s’apparente par certains aspects corporatistes au fascisme dans son souci de
monopoliser la représentation de toutes les catégories sociales. C’est qu’il existe une constante dans l’attitude
du parti depuis la répression des étudiants de Tiananmen en 1989 : la volonté de forclore toutes les initiatives
émanant de la société civile" 3 .
Le processus de transition a lieu dans une relative continuité du régime politique. Il convient par conséquent
de se garder d'une comparaison avec les pays de l'ex bloc soviétique dans lesquels la transition a été précédée
par l'effondrement du système politique et l'abandon de son idéologie dominante.
Il apparaît même que le pouvoir chinois a récemment durci sa position politique. Les réformes ont eu en effet
des conséquences déstabilisatrices pour la société chinoise : la hausse des mécontentements liés aux
inégalités sociales et économiques et au taux de chômage croissant qui sont autant de risques politiques pour
le pouvoir chinois. Mais la corruption endémique, le système fiscal encore rudimentaire et la perte de
légitimité du Parti l'empêchent d'agir efficacement contre ces problèmes.
Une réforme démocratique ne semble cependant pas être la solution choisie par les dirigeants chinois. Au
contraire, le niveau actuel d’agitation semble convaincre une majorité d'entre eux qu'il faut tenir fermement
les commandes pour faire adopter des politiques sévères, dont les avantages ne deviendront évidents qu’à
long terme pour la population.
1
Liu Junning, Reform of China's Political System : Democracy within the Party or Consitutional Democracy, Center for
Strategic and International Studies, China Strategy vol. 2, 30 avril 2004,
http://www.csis.org/isp/csn/040430.pdf
2
Wang Ruoshui, The legacy of Mao and the Party-State, National Endowment for the Humanities China Conference,
Colorado Collège, 1993, http://www.wangruoshui.net/beiyong/p-state.htm
3
Foessel Michaël, La Chine demeure une dictature, Revue Esprit, janvier 2004
47
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Comme le montre la décision adoptée lors de la quatrième session plénière du Comité Central en septembre
2004, pour le pouvoir chinois, ce qu'il faut donc entendre par réforme politique est une réforme au sommet de
l'Etat afin de rationaliser celui-ci et de le rendre plus efficace et non une ouverture à la démocratie.
Le lieu d'impulsion de la transition : une transition en interne pilotée d'en haut
Ce processus a été essentiellement piloté d'en haut, c'est à dire par le pouvoir central et appliqué à la société,
dans un processus top-down (de haut en bas).
Certes, les hommes politiques ne peuvent faire abstraction de la société qu'ils dirigent : même dans le cadre
d'un régime autoritaire, il leur est indispensable de conserver une certaine légitimité auprès de la population.
C'est ainsi que les réformes économiques et politiques lancées par Deng Xiaoping répondent à la nécessité
pour le Parti communiste de se relégitimer auprès d'une population épuisée par les dix années de Révolution
culturelle. De plus, les mouvements luttant pour la démocratie ont pu profiter des ouvertures laissées par le
Parti pour faire avancer leur cause. Mais il n'y a pas eu d'impulsion provenant de la société et les réformes
jusqu'à aujourd'hui ont été, pour l'essentiel, voulues et décidées par le pouvoir.
Les facteurs externes n'ont pas été un élément politique décisif en tant que tels, mais ils ont pu accentuer des
tendances préexistantes ou atténuer certaines conséquences de la politique interne. Ils ont joué tantôt en
faveur, tantôt en défaveur du processus de transition.
Il s'agit d'une part des événements secouant le bloc soviétique : l'apparition de Solidarnosc dans la Pologne
des années quatre-vingt a fait craindre à l'équipe de Deng Xiaoping, alors en pleine libéralisation de la
pensée, de perdre le contrôle de la situation et a pu le pousser à choisir la répression. L'effondrement de
l'URSS a renforcé la crainte du désordre pour les autorités chinoises mais aussi pour les intellectuels
démocrates chinois. Cela a renforcé l'idée déjà présente que la démocratie mène au chaos. Les intellectuels
qui pensaient que la démocratisation permettrait à la Chine de redevenir une grande puissance se sont remis
en question en voyant l'effondrement de l'URSS après la Glasnost.
D'autre part les pressions internationales concernant les droits de l'homme et la libéralisation de l'économie
ont un rôle plus marginal. Elles n'ont eu aucun effet au lendemain de Tiananmen ni sur la situation au Tibet,
mais les relatifs progrès de l'Etat de droit peuvent être liés à la volonté de s'afficher comme un bon citoyen du
monde. Les intellectuels chinois profitent de cela et organisent leur action en tenant compte de la situation
internationale. Ainsi, l'éphémère Parti de la démocratie chinois a été créée peu de temps avant la visite en
Chine du Président Clinton. De même, certains estiment que l'accession de la Chine à l'OMC devrait
permettre un meilleur respect de la loi et un développement de l'Etat de droit.
Mais Pékin refuse de se voir dicter sa conduite par l'étranger, comme le montrent l'argumentaire à l'encontre
des droits de l'Homme, dénoncés comme des normes occidentales pas toujours adaptées à la culture chinoise,
ou la poursuite d'une politique dure à l'encontre de Taiwan. Le souvenir cuisant de la tutelle des puissances
occidentales y est sans doute pour beaucoup.
Le processus : une évolution cyclique mais vers un enracinement des réformes
Les trente ans de réformes en Chine ont été marqués par un phénomène de balancier, les périodes
d'ouvertures et de relative libéralisation laissant généralement place au bout de quelques années à une
politique plus dure et plus répressive. Des cycles ont pu ainsi être observés, comparables aux cycles de
croissance/récession observés en économie. L'évolution de la politique de réforme a donc souvent été "deux
pas en avant, un pas en arrière."
De nombreux facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer ces fluctuations. Le premier est la peur du
chaos que représente la démocratie aux yeux des dirigeants. Ils sont cependant convaincus de la nécessité des
réformes. Ils naviguent donc à vue, laissant l'économie et la société se libéraliser et revenant à une politique
plus austère lorsqu'ils sentent la situation leur échapper.
D'autre part le pouvoir n'est pas un bloc monolithique : les décisions sont souvent le produit des heurts entre
les différentes factions au sein du Parti et des stratégies de conquête du pouvoir par les hommes politiques.
Ces luttes de factions s'observent particulièrement lors des périodes de successions à la suite de la disparition
de grands leaders. Ainsi, la volonté de réforme affichée par Deng Xiaoping est très intimement liée à des
considérations concernant les luttes internes au sein du Parti pour la succession de Mao 4 ; il va ainsi autoriser
une libéralisation de la pensée car il a besoin de rallier les franges intellectuelles pour conquérir le pouvoir
face aux conservateurs. Mais les factions gauchistes conservatrices, restées influentes, l'empêcheront d'aller
trop loin dans ses réformes. Au gré des rapports de force, elles pourront – toujours dans les limites autorisées
4
Chen Yan, L'éveil de la Chine, 2002, édition de l'Aube
48
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
par le président – influencer le jeu politique. Mais le pouvoir en place n'hésite pas non plus à les utiliser :
lorsqu'il estime que le jeu politique tend trop à droite et devient déstabilisateur, il reprend les idées des
factions gauchistes pour lutter contre celles de droite. Au gré de ces rapports de force, l'avancée des réformes
s'accélère ou connaît des coups d'arrêt.
Aujourd'hui, les luttes de factions sont beaucoup plus apaisées : il existe un certain consensus quant à
l'importance de l'économie de marché et à la volonté de limiter les réformes politiques. Mais des divergences
sur les priorités demeurent et les luttes pour le pouvoir divisent parfois le Parti. Ces divisions peuvent avoir
des répercussions non négligeables sur la société ; c'est généralement en profitant du désordre provoqué par
les luttes intestines au Parti que les mouvements de contestation venant de la société ont tenté de se faire
entendre.
Malgré ces variations périodiques, on peut observer une tendance à l'enracinement des réformes. Les phases
de fermeture ne reviennent pas complètement sur les acquis de la période précédente.
Avec la nomination de Hu Jintao en 2002, c'est la quatrième génération de dirigeants chinois qui arrive au
pouvoir (Mao représentant la première génération, Deng Xiaoping la deuxième, Jiang Zeming la troisième).
Ce sont des experts qui n'ont pas la même expérience que leurs prédécesseurs. Malgré l'absence de volonté
d'ouverture politique, leurs préoccupations – maintenir la stabilité sociale et traiter les problèmes en faisant
appel à des experts – ne sont finalement pas si éloignées de celles de leurs homologues occidentaux.
EN PERSPECTIVE…
Peu d'analystes se hasardent à des prédictions sur les évolutions futures de la politique et la société chinoises.
En trois décennies, le pays a en effet contredit la plupart des pronostics, ceux annonçant un effondrement à la
soviétique comme ceux qui tablaient sur le maintien d'un pouvoir totalitaire et d'une économie rigide comme
sous Mao.
Les chances de démocratiser le pays reste limitées. Les potentiels déstabilisateurs liés aux réformes ne sont
pas assez forts ni assez structurés pour menacer pour l'instant le pouvoir politique. Les dirigeants, en
particulier Hu Jintao, qui apparaissent comme les seuls capables d'impulser une véritable réforme, ne
semblent pas prêts à partager le pouvoir. L'option choisie par Hu Jintao semble être au contraire le
renforcement du Parti. Un bouleversement radical paraît donc actuellement peu probable.
Par ailleurs, le débat s'est intensifié avec l'ouverture des réformes, y compris en Chine, sur la question de
savoir si toutes les sociétés doivent suivre le modèle capitaliste libéral, où le développement de l'économie
s'est accompagné d'une démocratisation. Les dirigeants semblent peu enclins à suivre ce modèle, tandis que
parmi la population, les mécontentements liés aux conséquences des réformes économiques semble diffuser
le refus de suivre la définition occidentale de la modernité.
Le décalage entre une économie de plus en plus ouverte et une sphère politique rigide se fait cependant
grandissant, ce que le pouvoir chinois devra prendre en compte pour se maintenir.
49
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
50
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
El Salvador
Origine de l’impulsion et intervention internationale
Une convergence d’intérêts internes et externes
GUERRE CIVILE, NÉGOCIATIONS, ACCORD DE PAIX, CHAPULTEPEC, FMLN, MEDIATION ONU, SOUTIEN EXTÉRIEUR
En 1992, au Château de Chapultepec au Mexique, les dirigeants et délégués du gouvernement salvadorien et de
la guérilla unifiée sous le Front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN), entourés de hauts
représentants des Nations-Unies, de Colombie, Cuba, Espagne, Etats-Unis et Venezuela, ont signé les accords
de paix mettant fin à douze années de guerre civile.
Cet accord de paix est le fruit d’un long processus de négociations. Pour comprendre les facteurs décisifs
permettant la réussite des négociation, il convient tout d’abord de s’interroger sur les acteurs des négociations
pour ensuite étudier les événements nationaux, régionaux et internationaux favorisant la sortie négociée du
conflit.
Les multiples acteurs des négociations
Aux racines de la guerre civile se trouve une grave crise politique et sociale avec une accentuation des
tensions lors de chaque élection. Les années précédant la guerre civile sont marquées par une répression de
grande ampleur de la part de l’Etat, répression entraînant de violentes manifestations populaires ainsi que des
actions de guérilla urbaine. Il y a par conséquent une très forte opposition entre la guérilla d’inspiration
communiste et le gouvernement de droite voire d’extrême droite. Ce sont deux idéologies et deux classes
sociales qui s’affrontent. Le Front Démocratique Révolutionnaire (FDR), coalition d’organisations de
gauche, de mouvement populaires et de secteurs de l’église naît alors, les mouvements de guérilla se
regroupent ensuite au sein du Front de Libération National Farabundo Martí (FMLN) pour former une union
politique et militaire.
Lorsque le président Reagan, arrive à la Maison Blanche, il porte une attention toute particulière sur
l’Amérique centrale, zone stratégique pour son pays. Les Etats Unis fournissent alors des aides militaires et
entraînent les forces armées. Quant aux rebelles unifiés sous le FMLN, ils reçoivent de l’aide de l’Union
Soviétique, de Cuba et du Nicaragua 1 .
Les deux parties au conflit et leurs soutiens régionaux et internationaux respectifs vont demander
l’intervention du Secrétaire Général des Nations Unies en 1990. Ce dernier a été le catalyseur du processus et
a pu compter sur l’appui de la communauté internationale (plusieurs résolutions de l’Assemblée Générale et
du Conseil de Sécurité ont été adoptées) et surtout sur la coopération et l’aide que lui ont apportée en
permanence les chefs d’Etats et de Gouvernement de la Colombie, de l’Espagne, du Mexique et du
Venezuela («les amis du Secrétaire Général ») et de leurs représentants diplomatiques accrédités au Salvador
et auprès des Nations Unies à New York 2 .
Une conjonction de faits rendant la négociation inévitable
Une situation interne mûre pour le changement
Trois facteurs internes ont contribué au débloquage de la situation : l’impasse militaire dans laquelle se
trouvait les parties, le désir de paix au sein de la population ainsi que les offensives de la guérilla touchant
des secteurs de la population jusque là relativement épargnés.
En effet, la négociation a été rendue possible par le fait que les forces en présence étaient à peu près égales,
aucune des deux factions ne prenait l’avantage sur l’autre. Zartman avance que les conflits sont «mûrs » pour
une solution négociée seulement sous certaines conditions, la principale est la situation de mutually hurting
stalemate. Les deux parties doivent prendre conscience que leur but ne peut pas être atteint en continuant la
violence 3 . Face à l’impasse militaire dans laquelle elles se trouvaient à la fin des années 1980, les deux
parties se sont alors rendues à l’évidence que la seule possibilité de sortie de crise était de négocier, tout en
admettant de faire quelques concessions.
1
Canadian Foundation for the Americas, Building Peace and Democracy in El Salvador : An Ongoing Challenge, 18 février
2000, http://www.focal.ca/pdf/elsalvador.pdf
2
Guadalupe de Muñoz, Acuerdos de paz, http://www.monografias.com/trabajos14/acuerdo-paz/acuerdo-paz.shtml#pro
3
Hugh Miall, Olivier Ramsbotham, Tom Woodhouse, Contemporary Conflict Resolution, Polity Press, 1999, p162
51
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Au fur et à mesure du développement du conflit, le désir de paix s’est intensifié dans la conscience collective
du peuple salvadorien. Au final, la certitude que l’alternative la plus raisonnable pour en finir avec le conflit
était la négociation s’est généralisée dans la plupart des couches de la population, y compris au sein même du
Gouvernement à partir de l’élection de l’ARENA au pouvoir. C’est surtout à partir de novembre 1989 avec la
grande offensive de guérilla qui touche pour la première fois les zones résidentielles de San Salvador que le
processus va évoluer de façon notoire. Le conflit atteint alors tous les secteurs de la population y compris les
plus aisés. Le gouvernement se rend compte que sa légitimité est en danger si le conflit vient à perdurer. Ce
dernier s’est rendu à l’évidence qu’il n’était donc plus en position de force et que la seule sortie possible est
de négocier la paix.
Par ailleurs, le bombardement par les forces aériennes de quartiers populaires et l’assassinat de six jésuites
oeuvrant en faveur de la paix a mis en avant aux yeux du monde la brutalité de l’armée salvadorienne et la
nécessité de trouver une sortie rapide au conflit 4 .
Selon Joaquin Villalobos 5 , ancien commandant de la guérilla salvadorienne, la paix est par conséquent
d’avantage la conséquence du rapport interne des forces que de facteurs externes.
Avant le processus final, plusieurs tentatives de négociations avaient eu lieu, mais n’avaient pu aboutir en
raison des pré-requis du gouvernement pour entamer les négociations et le refus de la part des deux parties de
faire les moindres concessions. Le gouvernement exigeait le désarmement de la guérilla comme précondition au dialogue alors que cette dernière s’y refusait catégoriquement. Par ailleurs, l’armée étant
financée et le pouvoir soutenu par Washington, le gouvernement espérait une sortie victorieuse au conflit.
Seuls des accords partiels concernant des questions humanitaires telles que le traitement des blessés et les
échanges de prisonniers avaient pu être conclus.
Une situation régionale et internationale en faveur des négociations
Plusieurs initiatives régionales en faveur de la paix ont été entreprises. En 1983 est formé le Groupe
Contadora réunissant le Panama, le Venezuela, la Colombie et le Mexique afin de promouvoir une solution
régionale négociée aux conflits d’Amérique centrale et de «répondre à une triple préoccupation : mettre un
terme aux terribles souffrances qu'endurent les peuples en Amérique Centrale du fait des conflits militaires
qui s'y déroulent 6 ». L'accord de Contadora pour la Paix et la Coopération en Amérique Centrale est soutenu
et appuyé par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies ainsi que par de nombreux
organismes régionaux et internationaux. Le président du Costa Rica, Oscar Arias, va relancer l’initiative du
Groupe Contadora et parvenir à la signature des accords d’Esquipulas.
Parallèlement, dans un contexte de fin de Guerre froide, à la fin des années 1980 a eu lieu aux Etats-Unis une
remise en cause de la moralité et de l’effectivité de la politique étasunienne au Salvador. Après trois ans de
méfiance envers le processus de négociation, les Etats Unis vont oeuvrer pour une solution politique.
Alors que Reagan a prôné et appuyé l’option militaire pendant huit années, l’administration Bush opte pour
une approche plus pragmatique, ouvrant une sortie vers la paix tout en n’écartant pas la voie des armes. Les
Etats-Unis stoppent l’aide aux militaires à la suite de multiplications des pressions internes s’opposant à la
poursuite de cette aide par George H.W. Bush. Avec l’effondrement du bloc socialiste, la guérilla perd elle
aussi ses principaux soutiens internationaux et renouvelle sa ferme volonté d’intégrer la vie politique légale.
On observe alors une relative symétrie de pouvoir dans la négociation, symétrie de pouvoir qui a permis
d’obtenir des accords de paix satisfaisant et viables, aussi bien pour le gouvernement que pour le FMLN.
EN PERSPECTIVE
Le Salvador est un exemple de pays en guerre pour lequel la résolution du conflit est le résultat de la
convergence des intérêts des parties et des soutiens au conflit. La paix est donc la conséquence de la
conjonction entre l’impasse dans laquelle se trouvaient les belligérants et la situation internationale.
Suite aux accords de paix, un nouvel acteur voit le jour sur la scène politique : le FMLN. Lors des élections
de 1994 7 , le FMLN apparaît comme la deuxième force politique nationale. Le parti perd les élections
présidentielles mais remporte 15 municipalités et 21 sièges sur 84 à l’Assemblée législative. Depuis le FMLN
a gagné en force. Il possède désormais 31 sièges contre 29 pour l’ARENA à l’Assemblée législative et
détient 77 municipalités dont la capitale San Salvador.
La politique de non coopération de la part de l’ARENA et son refus de prendre ses responsabilités suite au
rapport de la Commission Vérité explique les difficultés du pays à mener à bien le processus de
4
Antonio Gonzales, Un pacto social para El Salvador, http://www.geocities.com/praxeologia/paz97.html
Joaquin Villalobos, « Ni vainqueurs ni vaincus : la paix au Salvador » in Critique internationale n°5, automne 1999
6
1985 - Le Groupe Contadora, http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.phpURL_ID=9374&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
7
http://www.georgetown.edu/pdba/Elecdata/ElSal/elsal.html
5
52
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
réconciliation national et à éradiquer la violence. Le taux de criminalité est aujourd’hui plus élevé que durant
la guerre civile.
53
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
54
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Bosnie-Herzégovine
Origine de l’impulsion et intervention internationale
Les effets pervers de l’intervention internationale : la dépendance
ACCORD DE PAIX, TRANSITION ECONOMIQUE, OHR, OSCE, OBSTRUCTIONNISME, PASSIVITE, FUITE DES CERVEAUX,
DETTE, CAPITAL SOCIAL, RESPONSABILITE, PARTENARIAT
La Bosnie-Herzégovine connaît un triple processus de transition et à ce titre subit les lourdeurs de son héritage :
elle doit passer d’un monopole du politique par l’Etat à une démocratie et une économie de marché, d’une
situation de guerre à la paix et du statut de république fédérée à un Etat indépendant. Il n’y a pas de doute
qu’elle a besoin de l’aide internationale pour relever ces défis mais les conditions dans lesquelles elle est
conduite doit mener à un développement durable.
L’intervention internationale
Depuis les négociations de paix puis la signature d’un accord de paix, l’encadrement international a pris
plusieurs formes pour encadrer la construction de l’Etat bosnien. Le Bureau du Haut Représentant (OHR en
anglais) a été institué pour coordonner les aspects civils de l’accord et établir les contacts entre les 3 parties,
les encourager à respecter les termes de l’Accord et coopérer. D’autre part, l’OSCE, dès 1996, prend la
charge primordiale de superviser les élections. L’organisation est plus généralement investie dans les
domaines des droits de l’homme et de la démocratisation. Des agences de l’ONU sont également investies
sur des missions spécifiques (UNHCR) et les volets militaires (IFOR, SFOR, MINUBH, IPTF).
L’aide internationale représente désormais 30% du PNB du pays et concerne trop souvent le domaine du
bâtiment alors que les investissements dans le secteur économique sont rares. Une telle dépendance provient
de l'orientation de la politique des donateurs : l’économie parallèle, le flux indirect d'argent liquide des
organisations internationales et la présence des étrangers représentent un segment crucial de l'économie 1 . La
dépendance n’est pourtant pas seulement économique, la situation sur le terrain rend difficile le transfert de
responsabilité. Ainsi l’encadrement international se maintient encore.
La dépendance
L’encadrement par la communauté internationale de la construction de l’Etat de Bosnie-Herzégovine pose le
problème d’une assistance trop importante qui ne permet pas l’émergence d’un Etat souverain. Cette situation
donne lieu à des recommandations opposées : un usage limité des pouvoirs du Haut représentant et le
renforcement de la prise de responsabilité (ownership), ou au contraire un usage encore plus étendu de ses
prérogatives pour combattre l’obstructionnisme et compenser les faiblesses des politiques locaux.
Plusieurs processus expliquent la situation de dépendance en même temps qu’ils en découlent :
• Jusqu'aux élections de 2000, les représentants des pouvoirs locaux ne se sentaient pas responsables de la
situation du pays. Leur responsabilité était de défendre les intérêts de la population face aux
représentants de la communauté internationale.
Les élections municipales et nationales de 2000 ont montré un soutien croissant pour les partis modérés.
Pour la première fois depuis la fin de la guerre, la Bosnie-Herzégovine avait un gouvernement nonnationaliste dans les deux entités et au niveau national. L’obstacle à ces changements reste cependant la
position faible du gouvernement non-nationaliste. Les autorités législatives et exécutives issues de ces
élections n'ont presque rien fait dans le domaine du retour des réfugiés, de la lutte contre la corruption et
sur la mise en oeuvre des décisions du Tribunal constitutionnel sur la constitutivité des peuples.
• Les dirigeants et la population ont trop tendance à voir l'aide internationale comme un substitut de l'Etat
socialiste, censé résoudre tous les problèmes. L’initiative locale est bloquée rendant trop passifs les
dirigeants et la population.
La passivité du gouvernement bosnien se traduit par un vide de politiques crédibles :
par exemple le manque d’informations sur les mutations actuelles de la société bosnienne montre
l’absence de politique active ; de même le profil de dépenses des budgets concerne le fonctionnel et très
peu l’opérationnel. Cette passivité est un problème politique et non technique, la solution ne réside donc
pas dans une réforme institutionnelle (les institutions créées par Dayton ont souvent été blâmées). C’est
bien un signe du manque de volonté politique pour travailler ensemble. Il existe une concurrence pour
1
« La Bosnie Herzégovine sept ans après la guerre : dépendance ou responsabilité et autonomie » Zarko Papic in La Bosnie
Herzégovine. Enjeux de la transition, Christophe Solioz et Svebor André Dizdarevic, L'Harmattan, Paris, 2003.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
•
•
•
les budgets que les différents niveaux se disputent au lieu de collaborer et de les répartir au mieux
ensemble.
La corruption et le crime organisé sont liés au pouvoir. Il est indispensable de respecter le principe de
transparence et d’établir l'Etat de droit.
La fuite des cerveaux vers les organisations internationales.
Une grande partie de l'aide consacrée à la démocratie et au développement d'une société civile est
inadéquate ; elle ne concerne qu’une faible partie de la population. Une élite se professionnalise et se
détourne des problèmes de la base. Il est nécessaire d'encourager les interventions des citoyens et leurs
initiatives.
La dynamique de la dépendance est la « quadrature du cercle » : l’inertie et l’aggravation de la situation
sociale et économique renforcent la dépendance et conduisent à la stagnation et la décadence. Deux
phénomènes majeurs sont à craindre : la disparition de la bulle artificielle de consommation et d’importation
nourrie par les fonds internationaux ; le paiement du service de la dette. Le gouvernement bosnien
rencontrera alors un moment critique où il devra devenir plus actif avec moins de moyens.
Le capital social est un indicateur important dans la mobilisation et de la participation de la population d’un
Etat. En Bosnie-Herzégovine, il est très faible : 84,2% des personnes sondées affirment ne pas avoir
confiance envers les gens. La confiance dans la société en général, et dans les autres ethnies en particulier,
baisse et la famille reste une valeur refuge. La participation aux associations civiles et dans les actions
sociales reste faible 2 . Les rapports sociaux intenses qui existent dans les petites communautés (familles, clans
etc.) doivent sortir de ces sphères et alimenter les citoyens ne leur appartenant pas. Ce capital social doit
passer de la société civile à l'Etat. « Sans rapports avec les institutions formelles, les communautés locales ne
peuvent influencer les politiques et les programmes publics. » 3
Pour une transition de la dépendance à la souveraineté
Le transfert de la responsabilité et de l’autorité est déjà engagé, il ne peut être que progressif et fondé sur un
authentique partenariat, clairement planifié. Il est capital que soit créée une commission indépendante ayant
pour mandat d'assurer le suivi et l'évaluation critique et constante de ce processus de transfert. Elle aurait le
mérite de démontrer la volonté de la communauté internationale de s'engager résolument en faveur de la
souveraineté de la Bosnie-Herzégovine et placerait le Parlement et le gouvernement bosniens face à leurs
responsabilités 4 .
Sur le plan économique, d’une part, la mondialisation conduit à un développement déséquilibré. D’autre part,
la transition est réduite au paradigme du passage à l'économie de marché et à la simple privatisation. Le
soutien au renouvellement des structures sociales a été négligé alors que la structure de la société a été
profondément atteinte. Pour prévenir une explosion sociale, une politique sociale doit être mise en œuvre
s’appuyant sur les collectivités et administrations locales autonomes, les organisations créées au sein des
communautés, les initiatives citoyennes et autres ONG de base. L’aide internationale doit adopter une
nouvelle approche dans sa stratégie et associer la relance économique à la reconstruction du secteur social.
Dans la même logique, les organisations internationales doivent mieux se coordonner et s'inspirer d'une aide
indirecte pour renforcer les potentiels locaux.
Enfin le passage de l’aide d'urgence à la croissance stable s'impose.
EN PERSPECTIVE…
L’obstacle majeur dans le processus vers la souveraineté de l’Etat bosnien est l’absence de consensus sur l'avenir
du pays : il n'existe pas à ce jour de volonté politique d'élaborer un projet de vie commun. La Bosnie a toutefois
besoin d'un Etat fonctionnel et efficace, et au service des citoyens.
2
Miroslav Zivanovic, association Bosnie et Herzégovine 2005, Centre pour les droits de l'Homme de l'université de Sarajevo,
in Courrier des Balkan.
3
Ibid.
4
Christophe Solioz, Forum for Democratic Alternatives, Sarajevo, Bruxelles, Genève, Juillet 2003.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Ouzbékistan
Origine de l’impulsion et intervention humanitaire
La paix libérale, modèle de l’assistance internationale dans la transition
INDEPENDANCE, TRANSITION POLITIQUE ET ECONOMIQUE, PAIX LIBERALE, DEVELOPPEMENT, DEMOCRATISATION,
SECURITE, CONDITIONALITE, SOCIETE CIVILE, INEGALITES, CONFLITS
L’échec du putsch conservateur d'août 1991 scelle définitivement le sort de l’URSS. Les dirigeants de plusieurs
républiques soviétiques qui s’étaient opposé aux réformes des années 80 et au sécessionnisme précoce des
républiques baltes sont contraints de changer de stratégie et déclarent l’indépendance de leur république. C’est
le cas de l’Ouzbékistan comme de ses voisins d’Asie centrale. La période de transition politique et économique
qui s’est alors ouverte a accueilli favorablement les Nations Unies, les institutions financières internationales,
les organismes intergouvernementaux et les organisations non-gouvernementales. Ce choix s’est traduit par une
assistance technique, des recommandations politiques et des investissements directs sous forme de prêts et de
subventions.
Consensus autour de la paix libérale
Un unanimisme s’est installé autour du modèle économique libéral dans un contexte de triomphe face au
socialisme : le libéralisme pour garantir une paix positive. Cette paix libérale repose sur le postulat que le
système libéral permet un développement durable et évite les conflits. Le libéralisme devient alors une
stratégie sécuritaire, fondée sur l’idée de créer des interdépendances et intensifier les liens économiques entre
les Etats. Mais en faisant des instruments économiques libéraux et des pratiques démocratiques les outils du
maintien de la paix, ce modèle confond développement et sécurité.
Les fondements idéologiques de l’assistance internationale reposent sur l’extension du marché
(marketization) fondée sur des modèles de monétarisation qui dictent la stabilisation macro-économique, la
privatisation et la libéralisation financière. Le second modèle d’intervention est la démocratisation bâtie sur
les concepts d’élections libres, de multipartisme, de société civile, de liberté de la presse et plus récemment
de décentralisation et de délégation de pouvoir.
L’évolution générale va dans le sens d’une réduction considérable du rôle de l’Etat au bénéfice du secteur
privé, cette orientation étant due au soutien financier des institutions internationales.
Les conditionnalités et leurs contradictions
L’assistance internationale s’est vue soumise à un certain nombre de conditionnalités :
- politiques : « bonne gouvernance » et critique de ceux qui ne se conforment pas.
- économiques : réformes économiques sont un pré-requis au programme global d’assistance.
-
1
Le cas de l’Ouzbékistan est intéressant car il endosse tôt le statut de « non-réformateur » et pourtant
devient un allié essentiel des Etats Unis dans la « Guerre contre le terrorisme » au lendemain du 11
septembre 2001. Les deux Etats signent un accord de partenariat stratégique en mars 2002, suivi
pour l’Ouzbékistan de la signature d’un Staff Monitored Program du FMI portant sur des réformes
majeures dans les domaines de l’agriculture, des banques, de la libéralisation commerciale et la
convertibilité de la monnaie nationale. Quelques mois plus tard, l’Ouzbékistan ne tenant pas ses
promesses, les experts du FMI quittaient le pays et la critique internationale s’abattait sur lui.
Certaines ONG d’analyse de conflits (ICG 1 en l’occurrence) ont appelé les pays donateurs à ne
plus accorder de prêts à moins de changements macro-économiques conformes aux programmes du
FMI, et d’intensifier les liens avec la société civile pour augmenter la pression sur le gouvernement.
La confusion était donc scellée entre politique et conditionnalités économiques : la Banque
Mondiale classe elle aussi les systèmes politiques des pays en transition en rapportant la situation
des réformes économiques à l’évaluation des libertés civiles et politiques.
Puis les conditionnalités militaires se sont ajoutées à partir des attentats de Manhattan : l’aide
américaine est conditionnée par la volonté affichée des pays à rejoindre la « guerre contre le
terrorisme » ce qui a donné lieu à un nouveau classement des pays et, ironiquement, ceux qui
étaient les moins avancés sur le plan politique et économique étaient les plus coopératifs en matière
militaire et/ou logistique.
International Crisis Group, www.crisisweb.org
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Agenda vers la paix libérale
Modèle économique libéral
Le choix de la thérapie de choc a rapidement été fait, contrairement aux pays d’Europe centrale et à la Chine.
Les conditionnalités macro-économiques ont été prescrites par le FMI et les conditions structurelles imposées
par la Banque Mondiale. Les réformes se sont concentrées sur la stabilisation macro-économique, la
libéralisation des prix (énergie, immobilier, produits de première nécessité) et le démantèlement des
institutions du système communautaire. L’objectif des réformes institutionnelles est de garantir le
fonctionnement des lois, des régulations et des institutions d’une économie vers le libre marché. Le secteur
social étant jugé non viable, il a été l’objet d’une rationalisation des dépenses et d’une redéfinition des
priorités vers l’aide aux pauvres. Dans ce même objectif, la responsabilité des services sociaux a été
transférée vers les pouvoirs locaux qui n’en ont ni les moyens ni l’expérience. Enfin il a été conseillé de geler
les allocations aux plus pauvres et de lancer des plans de travaux publics. L’éducation la santé ont été
concentrées à un niveau élémentaire de satisfaction des besoins fondamentaux.
Démocratisation
La bonne gouvernance pour les pouvoirs publics signifie la responsabilité démocratique à travers des
élections multipartites, la liberté de la presse, l’expansion de la société civile, le respect des droits de
l’homme et de l’Etat de droit ; pour les entreprises, la réforme des services publics, la décentralisation et la
lutte anti-corruption.
Cependant, les élections multipartites ne se sont pas avéré être une garantie de changement positif des
régimes. Cette politique a donc été réorientée vers la promotion de la société civile pour exercer une
pression sur le système politique et obtenir son ouverture. Les fonds étrangers ont ainsi afflué pour créer des
organisations capables de tenir ce rôle ce qui a eu pour conséquence de multiplier le nombre d’organisations
dont le domaine d’activités reflétait les préoccupations des bailleurs de fonds, produisant ainsi une
dépendance vis-à-vis du financement étranger. De plus, ces actions ont la vision à court-terme des bailleurs
et les ONG passent leur temps à boucler des dossiers de demandes de subventions. Les récupérations des
initiatives de la société civile par les Etats ne sont pas rares (State capture).
EN PERSPECTIVE…
Une source d’inégalités et des risques de conflit
Cette période de transition coïncide avec une augmentation de l’insécurité, de la pauvreté et des inégalités,
particulièrement dans les pays qui ont le mieux suivi les recommandations des institutions financières. L’analyse
des causes de cette situation reflète la querelle idéologique des types de développement :
- La Banque Mondiale l’explique par la dislocation sociale et économique, l’effondrement de la
production et des revenus tant de l’Etat que des ménages ; ces inégalités sont analysées comme
inversement proportionnelles au déploiement des réformes ce qui rend les institutions légales
responsables.
- Pour d’autres, les inégalités sont causées par l’échelle des réformes structurelles et le retrait de l’Etat
c’est-à-dire des causes nouvelles.
L’accroissement des inégalités a aujourd’hui atteint un niveau jugé dangereux du fait du ressentiment et des
tensions entre les groupes sociaux. Plus le niveau d’inégalités est important moins la croissance produit un effet
sur la réduction de la pauvreté, quel que soit le taux de croissance 2 . Dans ces conditions, l’inégalité revêt un
impact politique et social sur la criminalité et la stabilité politique. Conséquences d’une politique économique
excessivement libérale, elles pourraient être jugulées par des politiques spécifiques.
Les politiques des institutions internationales ont sans doute été irréalistes, visant à des réformes irréversibles
elles se sont fondées sur le démantèlement des institutions centralisées. De plus, les politiques jugées saines par
les bailleurs internationaux n’ont pas été les plus adaptées pour les gouvernements. Aujourd’hui, les
gouvernements sont enfermés dans des politiques réactives pour réduire les effets des réformes et ne peuvent
avoir de visions plus larges d’investissement dans le capital humain par exemple.
2
Selon une étude Cornia and Court pour UNU/WIDER.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Ouzbékistan
La relation au pouvoir
Relations au pouvoir et société civile
POUVOIR, ETAT IMPORTE, GROUPES DE SOLIDARITE, ELITES, LEGITIMITE, INTERDEPENDANCES, AINE, AMNISTIE,
CENSURE, OPACITE
En arrivant au pouvoir en 1985, Gorbatchev ouvre une ère de réformes qui a conduit à l'éclatement de
l'URSS après l'échec du putsch conservateur d’août 1991. Les républiques qui ne l'avaient pas encore fait
déclarent alors leur indépendance. Les dirigeants des républiques d'Asie centrale avaient rejeté la
perestroïka et soutenaient les putschistes. Cette chronologie est un signe fort de la faible implication de la
population dans cette décision.
Cette mise en perspective historique permet de poser la question d'une indépendance qui vient d'en haut et de
l'évolution démocratique ou non du régime politique. Les faits historiques montrent que les mouvements
nationalistes ont été très minoritaires en Asie centrale (ils étaient les plus faibles au Turkménistan) et qu'ils
revendiquaient seulement l'autonomie culturelle et politique jusqu'au moment où il est devenu évident que
l'URSS n'allait pas survivre.
La Constitution a été rédigée par des « experts » au sein des sphères du pouvoir ; on a beaucoup dit à ce
moment-là qu'elle s'inspirait de la constitution française de 1958. Elle a été ratifiée le 8 décembre 1992 par
le Soviet Suprême, soit l'organe législatif soviétique de la république avant son renouvellement. Cette
situation tient-elle uniquement à une conception du pouvoir singulière ? La population ouzbèke ne s'est-elle
vraiment pas engagée dans cette période-clé ?
La relation au pouvoir
La conception du pouvoir en Ouzbékistan, et plus largement en Asie centrale, est le fruit de l'importation de
l'Etat soviétique, superposé aux structures de la vie politique et sociale locale. Les historiens sont nombreux à
avoir analysé les différents systèmes locaux comme l'assimilation des principes importés par le dernier
occupant sans qu'ils remplacent les structures antérieures.
Les élites au pouvoir dans les républiques d'Asie centrale soviétiques étaient autochtones et restaient fidèles à
leurs origines, ainsi les identités locales sont restées très prégnantes. Dans un tel système, les hommes
politiques ouzbeks devaient à la fois servir Moscou et faire profiter leur groupe de solidarité. Ils vivaient une
double vie sociale : soviétique au sein de l'appareil d'Etat et ouzbèke dans leur environnement proche où ils
étaient vus comme des protecteurs. Ils passaient de l'une à l'autre avec autant d'aisance que du russe à
l'ouzbek. Dans l'Ouzbékistan indépendant, le système conserve ces mêmes principes : les appartenances
locales, le jeu des alliances familiales, l'autochtonie sont les principales sources de légitimité du pouvoir.
Cette culture à base communautaire (familiale) soumise à des chefs autoritaires serait héritée des cités-oasis
où, pour survivre, il fallait travailler ensemble, sous une direction ferme. Cependant le pouvoir de ces chefs
était équilibré par leur dépendance vis-à-vis d'autres réseaux qui maîtrisaient le commerce. Le système
Karimov peut-être analysé dans les mêmes termes d'interdépendance avec les régions : le président dépend de
ses gouverneurs régionaux pour contrôler les populations locales. Or seuls des hommes issus de ces régions
sont légitimes pour les diriger. Il lui faut donc négocier avec eux. Cette interdépendance doit toutefois être
relativisée : le président ouzbek trouve sans difficulté des postulants gouverneurs qui lui seront fidèles.
Cependant il ne peut placer n'importe lequel de ses hommes dans les régions, il doit tenir compte de la nature
forcément autochtone de la légitimité politique.
Enfin, le culte de l'aîné reste très prégnant en Asie centrale, il impose le respect de celui qui a plus de
pouvoir. Le président s'est imposé comme le patriarche de la nation. Dans le contexte de l'effondrement de
l'URSS et l'accès à l'indépendance du pays, sa rhétorique a consisté à alerter les citoyens des dangers d'une
telle période et de les en protéger. Tous les risques n'étaient cependant pas fictifs (heurts inter-ethniques,
sécurité alimentaire). Pour la majorité de la population ouzbèke, le président a su conduire le pays à
l'indépendance. Dans les années qui ont suivi cependant, et plus encore après 2001, la brutalité de sa
politique a donné une impression d'injustice et suscité l'impatience : la conjoncture nationale, loin de
s'améliorer, connaît une dégradation importante.
Malgré les légères nuances apportées à la nature autocratique du pouvoir, le pouvoir est impossible à remettre
en cause de façon démocratique : le président et l'exécutif dominent le législatif et le judiciaire. Le parlement
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
n'est là que pour confirmer les choix de l'exécutif, lors de sessions bi-annuelles de quelques heures à peine.
La justice est entièrement soumise au président qui nomme tous les juges et peut les destituer à tout moment.
Régulièrement, le président ouzbek consent à une amnistie et libère plusieurs milliers de prisonniers de droit
commun. Cette pratique en dit long sur la personnalisation du pouvoir. Enfin, il entretient un discours de
façade sur les thèmes de la lutte du peuple et des dirigeants pour obtenir un Etat-nation mérité et
historiquement justifié ou encore sur le bien-être national et l'exaltation de la nation et de la démocratie. Plus
largement le projet politique semble être la mise sous tutelle de la société, le paternalisme à l'aide
d'arguments culturalistes pour justifier le non-respect des droits humains et des libertés individuelles : le chef
de l'Etat serait le seul apte à conduire le peuple vers la démocratie pour laquelle il ne serait pas encore prêt.
Quelle participation de la population ?
La population a pu profiter de cette période transitoire. Les premières réformes du système sont intervenues
dès 1989 (Glasnost). Un pluralisme naissant a permis à la population de former des partis politiques. Birlik
(Unité) et Erk (Liberté) ont connu une courte activité (2 ans environ) avant d'être limités dans leur action puis
interdits. Birlik n'a pas été autorisé à présenter de candidat aux élections présidentielles de 1991. Le candidat
de Erk, Mohammed Salih, avait dénoncé ce scrutin pour fraudes électorales ; il a rapidement été contraint à
l'exil. Puis les partis ont vu leur enregistrement refusé et leurs activistes inquiétés voire persécutés. Les partis
à base religieuse sont interdits. Depuis, l'opposition n'a pas de vie publique. Le gouvernement entretient
l'illusion d'une opposition en créant quelques partis. Karimov avait créé et dirigé le Parti Démocratique du
Peuple en 1991 avant de placer à sa tête un de ses fidèles et créer un autre parti, Fodikorlar, à la veille des
élections présidentielles de 2000. Ils seront les deux seuls candidats en lice. Lors des élections législatives de
décembre 1994 et janvier 1995, seuls les partis pro-gouvernementaux étaient autorisés à présenter des
candidats. Dans les années 90, la répression des mouvements d'opposition a été tellement brutale qu'elle a
poussé certains à la radicalisation et l'engagement dans les mouvements armés.
Progressivement le pluralisme et la liberté de parole se sont réduits pour disparaître complètement. Il n'est
pas possible de parler librement du président Karimov. Les émissions et les journaux privés évitent
généralement les questions politiques. Les imprimeries appartiennent à l'Etat et peuvent refuser des licences
aux journaux. Officiellement, la censure est supprimée depuis mai 2002 mais les éditeurs sont tenus
responsables de ce qu'ils publient. Les journalistes indépendants ou qui travaillent avec des étrangers sont
persécutés.
Le régime autorise toutes les religions dominantes mais restreint les activités de certaines congrégations dont
il exige l'enregistrement. Une loi de 1998 sur la liberté de conscience et les organisations religieuses interdit
le prosélytisme et l'enseignement de la religion sans permission officielle; le port de vêtements religieux est
réservé aux membres des clergés. Le Conseil de la Fédération des Syndicats dépend de l'Etat et ne connaît
pas d'alternative. En mars 2002, juste avant une visite de Karimov aux Etats Unis, le gouvernement a enfin
accepté d'enregistrer l'Organisation Indépendante des Droits Humains d'Ouzbékistan qui le demandait depuis
des années. Les militants des autres organisations continuent d'être persécutés.
Dans ces conditions, les dirigeants ouzbeks sont les mêmes que les cadres du parti sous l'URSS. Ils n'ont pas
quitté le pouvoir et ont veillé à ne laisser aucune chance à leur opposition de le prendre. Le Kazakhstan et le
Kirghizstan ont connu un plus fort taux de renouvellement des élites du fait de la privatisation du secteur
économique. Le pouvoir a été partagé entre élite économique et politique. En Ouzbékistan, il n'y a pas eu de
réformes économiques, les ressources ont été simplement accaparées par les dirigeants. Enfin, les relations
qui font le pouvoir en Asie centrale sont tenues hors de la sphère publique. La tradition soviétique de secret et
de nomenclature s'est maintenue. Cette opacité laisse penser qu'il n'y a pas de société civile.
Si la population n'a pas réclamé l'indépendance, pas plus que les dirigeants, elle a montré un réel intérêt pour
une vie politique ouverte. Mais les autorités prennent des arguments culturalistes pour justifier qu'elle n'est
pas prête à cela.
60
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Kirghizstan
La relation au pouvoir
Généalogies et alternance au pouvoir
POUVOIR EXECUTIF, PARENTE, CLANS, RECOMPOSITION IDENTITAIRE, KOLKHOZES, TRANSMISSION DU POUVOIR,
STRUCTURATION SOCIALE
Le pouvoir exécutif kirghize est distribué du sommet de l'Etat, avec le président et le gouvernement, jusqu'au
village avec le chef, en passant par le raïon, dirigé par un chef et l'oblast' dirigé par un préfet. Toutes ces figures
du pouvoir ont une autorité effective qui provient de leur réseau de parenté. Ainsi ce modèle d'autorité est
légitime au niveau le plus bas, celui où les entités administratives correspondent aux clans institués, mais il est
plus contestable en s'élevant dans la hiérarchie de l'Etat.
Le chef d'un clan, ou d'un réseau, est appelé Manap. C'est lui qui règle tous les conflits. Ce modèle existe depuis
la fin du XIXe siècle, il s'est perpétué et adapté, y compris au système des kolkhozes pendant la période
soviétique : le kolkhoze repose et se confond avec un lignage dont le chef décide de tout. La transformation
socio-économique a donc donné lieu à une recomposition identitaire en instrumentalisant les kolkhozes. Le
modèle persiste puisque les chefs qui dirigent sont issus des mêmes familles ; ils ont autorité sur des groupes
fondés sur la même base, c'est-à-dire lignagère. Cette structure lignagère est similaire au Kazakhstan. Cette
organisation suppose que chaque individu connaît sa propre généalogie ; celui qui ne la connaîtrait pas serait
considéré comme exclu du système.
L'ensemble de la structuration sociale est fondée sur la parenté. Les différents groupes, de cette culture pastorale,
correspondent à des clans familiaux qui portent un nom permettant de les identifier (ils représentent des
centaines voire des milliers de personnes). Ces clans connaissent également une base territoriale. Ils possèdent
une mythologie nourrie des ancêtres illustres. Ils ont chacun des domaines d'activités spécialisés. Le chef du clan
connaît le droit coutumier, les généalogies, il possède un savoir-faire pour diriger les hommes et s’occuper des
bêtes. C'est lui qui en a la meilleure connaissance. Les clans entretiennent des relations et s'allient en contractant
des mariages.
Ainsi on observe une grande continuité dans les figures politiques, elles sont héréditaires même si les règles de
transmission du pouvoir ne sont pas précisément définies. L'arrière-grand-père d'Akaev, président kirghize, de
1991 à 2005, était un grand khan du Nord du Kirghizstan. Il existe un accord tacite dans le pays pour une
alternance au pouvoir entre les clans du Nord du pays et ceux du Sud. Il n'est donc pas étonnant que l'actuel
président soit un Kirghize du sud. La spontanéité et le succès du soulèvement populaire qui l'a conduit au
pouvoir doivent être analysés dans cette perspective.
Une telle structuration sociale et sa préservation au cours des siècles laissent peu de place à l'émergence d'une
communauté unique et d’un Etat auquel tous les citoyens s'identifieraient. C'est un autre des échecs, et non des
moindres, du système soviétique que de n'avoir pas su créer des entités politiques avec lesquelles les citoyens
puissent s'identifier ; il est lié à l'échec économique et écologique. L'identité kirghize se construit par rapport à :
- une généalogie
- un clan
- un territoire
Ce système permet de se sentir tous différents mais alliés, grâce aux réseaux d'alliances qui unissent les
différents clans.
Les Kirghizes s'identifient encore avec :
- certains lieux dont ils sont très fiers comme le lac Issyk Kul
- l'indépendance qui procure également une grande fierté
- les séances parlementaires représentent également un motif de fierté. Elles sont télévisées et très
regardées dans le pays. La mise en scène du pouvoir doit contribuer à cet attrait, tout comme le
sentiment d'être en contact avec un lieu de pouvoir après la période soviétique dominée par la politique
du secret.
Par contre il n'y a pas de référence ou d'identification avec la constitution. Le rôle de protection et de
représentation appartient au niveau local, celui du village, les institutions centrales ne suscitent pas assez de
confiance pour cela. L'Etat n'est pas perçu comme redistributeur et fournisseur de services. Il n'est pas un
interlocuteur. Le seul moyen de renforcer l'Etat est de s'appuyer sur les lieux de pouvoir légitime, c'est-à-dire les
chefs locaux.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
L'ensemble de ce système pose le problème de la démocratisation : le mode de distribution du pouvoir n'est pas
démocratique puisqu'il est héréditaire. Le pouvoir ne quitte pas le lignage auquel il appartient 1 .
EN PERSPECTIVE…
Dans ce système traditionnel où la transmission héréditaire du pouvoir domine, comment instaurer la
démocratie ? Le concept de souveraineté du peuple est-il compatible ? Une légitimité électorale est-elle
possible ? Faut-il penser un système hybride ?
1
Entretien avec Svetlana Jacquesson, docteur en ethnologie, spécialiste du Kirghizstan, mai 2005.
62
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Chine
La relation au pouvoir
Autoritarisme et continuité
ETAT, HERITAGE POLITIQUE, LEGISME, CONFUCIANISME, MAO ZEDONG, IDEOLOGIE, TOTALITARISME, LEGITIMITE,
RATIONNALISATION, PARTI COMMUNISTE, NATIONALISME, REPRESSION
La pérennité d'un pouvoir autoritaire en Chine, malgré la libéralisation économique que le pays connaît depuis
plusieurs années, a poussé nombre de chercheurs à s'interroger sur les raisons de cette longévité et de sa
résistance à une réelle ouverture démocratique.
Empire et communisme : une continuité ?
Certains spécialistes, en particulier chinois, estiment qu'il faut replacer le système politique actuel dans le
contexte de l'histoire plusieurs fois millénaire du pays et de la culture politique qui en est issue. Sans apporter
une explication culturaliste à la situation actuelle, force est de reconnaître que le régime communiste présente
un certain nombre de caractéristiques communes avec le système impérial de l'Empire du milieu.
L'Etat chinois s'est constitué très tôt (environ 200 av. J-C) et a dicté les termes du fonctionnement social,
encadrant ainsi la société. "Durant la période impériale comme dans la République Populaire de Chine,
l'ordre social est caractérisé par une relation Etat-société dans laquelle la société est presque entièrement
soumise à l'Etat" estime ainsi Zhengyuan Fu 1 .
Le pouvoir, extrêmement centralisé, était concentré dans les mains de la dynastie régnante. L'idéologie
politique dominante de l'époque, le Confucianisme, constituait certes la base de l'autorité impériale. Mais la
pensée légiste (ou légaliste) aura également une grande influence sur les souverains chinois. Partant du
postulat que l'homme est par nature égoïste et mauvais, il convient de l'encadrer par des lois. L'individu doit
par conséquent se soumettre à la loi édictée par le souverain. Tout procède de l'Etat, appuyé par un puissant
appareil coercitif. La liberté individuelle n'existe pas : "l’individu doit sacrifier à l’État sa pensée, son
travail, et même sa vie si le souverain l’exige, sans considération de ses désirs personnels ou de son
bonheur 2 " Cette théorie sera mise à l'index au profit de la doctrine confucéenne, elle n'en a pas moins
conservé une influence importante.
Au-delà de cette idéologie, des facteurs plus pratiques ont permis la pérennité d'un pouvoir central fort.
Aucun pouvoir religieux ne s'opposait à l'empereur (ce dernier était lui-même détenteur du pouvoir
religieux). Il existait en outre une bureaucratie lettrée soigneusement choisie par concours et sous étroit
contrôle impérial (interdiction d'exercer son mandat dans sa région d'origine, rotation des postes, renvois…)
Dans cette optique, l'autoritarisme du régime actuel puiserait en partie sa source dans cette forme ancienne
d'organisation et de rapport au pouvoir.
Il convient cependant de nuancer le rôle du pouvoir central dans la Chine impériale : l'autorité de l'empereur,
loin d'être absolue, était soumise à un ensemble de contraintes de nature traditionnelle ou rituelle. La doctrine
confucéenne lui conférait un rôle moral ; sur lui pesait la responsabilité du bonheur et de la prospérité de son
peuple.
En outre, c'est dans l'apparition d'une nouvelle conception de l'Etat, à la fin du 19ème et au début du 20ème
siècle, que l'on peut voir la naissance de l'actuel modèle de pouvoir chinois. A la mort de l'empereur
Xiangfeng en 1861, une nouvelle doctrine politique, estimant que "ni le souverain, ni le pouvoir n'est sacré,
mais [que] l'Etat demeure l'ultime et unique source de toute autorité 3 " voit le jour. Dès lors, sans le socle
religieux et traditionnel sur lequel il reposait, le pouvoir est potentiellement soumis à d'autres formes de
légitimation, tels la puissance militaire sous Chang Kai Tchek ou la légitimité charismatique (Max Weber)
sous Mao Zedong. Ce dernier, débarrassé des contraintes traditionnelles et religieuses qui ont pu peser sur les
souverains dynastiques, usant de son charisme et bénéficiant des technologies modernes (en particulier les
médias), a pu étendre son pouvoir de façon totalitaire. Il a également construit un Etat fondé sur l'idéologie,
un Etat idéologique. Présentée comme vérité absolue, celle-ci était l'un des fondements de la légitimité du
régime communiste, l'unité de valeur à partir de laquelle toute action était jugée et l'axe guidant la politique
1
Zhengyan Fu, Autocratic Tradition and Chinese Politics, Cambridge University Press, 1993
H.G. Creel, La pensée chinoise : de Confucius à Mao Tseu-Tong (Paris, Payot, 1955)
3
Marianne Bastid, Official Conceptions of Imperial Authority at the End of the Qing Dynasty, in Stuart S. Schram,
Foundations and Limits of State Power in China (Hong Kong, the Chinese University Press, 1987), disponible sur le site
sunzi1.lib.hku.hk/hkjo/view/50/5000294.pdf
2
63
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
de Pékin. C'est au nom de cette idéologie que seront lancées les grandes campagnes qui ensanglanteront les
années Mao : le Grand Bond en avant (1958-1962), la Révolution culturelle (1966-1976) et les purges
successives au sein du PCC.
Mais l'idéologie à elle seule n'aurait pas permis de telles mobilisations. La dictature totalitaire en était le
corollaire indispensable. Au-delà de la simple répression, commune à de nombreux régimes, la domination
du régime maoïste sur la société a reposé sur la volonté de contrôler la pensée : plus qu'un simple
endoctrinement, la campagne de réforme de la pensée au début des années cinquante constituait ce que
certains psychiatres dénoncent comme un véritable lavage de cerveau. Dans les camps de travail (laogai), les
prisons et au niveau de la société entière, en utilisant les autocritiques publiques, la confession au Parti et en
se donnant une dimension morale héritée de la doctrine confucéenne (idée de perfectionnement spirituel), le
pouvoir est parvenu à une "rééducation intellectuelle" d'une large partie de la population. Cette dimension est
particulière au totalitarisme chinois.
A la mort de Mao en 1976, le Parti Communiste Chinois (PCC) était affaibli : outre les dissensions internes,
le Grand timonier avait confisqué à son profit toute la légitimité politique au détriment du Parti. Il était
essentiel pour le PCC de restaurer sa crédibilité.
Après Mao : la quête de légitimité du Parti Communiste Chinois
Pour le PCC, la reconstruction d'une économie grandement affaiblie par le Grand Bond en avant et surtout
par les dix années de Révolution culturelle a été un moyen de remplacer la légitimation charismatique et
idéologique par une forme de légitimation plus rationnelle (Weber). La politique de réformes économiques
instituée à partir de 1978 par le nouveau maître de la Chine, Deng Xiaoping met davantage l'accent sur le
pragmatisme et la performance que sur l'idéologie. L'actuel président, Hu Jintao, en promouvant une "société
harmonieuse" et en cherchant à réduire les énormes inégalités sociales et économiques du pays, semble se
placer dans la continuité de cette logique.
Il est à noter que cette forme de légitimation rationnelle peut-être un élément positif pour le processus
démocratique en Chine ; elle demande en effet plus de transparence et engage davantage la responsabilité des
dirigeants qu'une légitimation de type charismatique.
Cependant, l'idéologie conserve une place importante dans la légitimation du pouvoir ; les hommes politiques
ont toujours recours à l'idéologie socialiste pour justifier leurs actions, quitte à maintenir un certain flou et à
l'adapter aux réalités économiques et politiques du moment.
Le recrutement au sein du PCC aujourd'hui n'est pas tant fonction de la performance ou des capacités
individuelles que de la fidélité au parti et à l'idéologie 4 . En outre, depuis son accession au pouvoir en 2002, le
président Hu Jintao a mis l'accent sur l'éducation politique et idéologique de la population. Des dirigeants aux
membres de base, sans oublier la jeunesse, la campagne de formation politique vise à consolider l'assise du
Parti.
On ne peut néanmoins plus parler d'Etat idéologique. D'autres moyens sont venus compléter ce vide. On
assiste ainsi depuis quelques années au retour du confucianisme, présenté comme un modèle politique
conforme à la tradition culturelle chinoise.
Par ailleurs, Pékin chercherait à conserver une certaine forme de légitimité charismatique en réactivant le
nationalisme chinois. "Since the Chinese Communist Party is no longer communist, it must be even more
Chinese" (puisque le Parti Communiste Chinois n'est plus communiste, il se doit d'être encore plus chinois.) 5
Le nationalisme apparaît ainsi comme une idéologie de substitution, surtout après la perte de légitimité du
pouvoir à la suite de la répression de Tiananmen de 1989 et après l'effondrement du système communiste en
URSS et en Europe de l'Est.
Les manifestations anti-japonaises qui ont éclaté dans plusieurs grandes villes chinoises en avril 2005 sont
également un exemple récent du nationalisme chinois 6 . Ces manifestations auraient été largement pilotées
4
"In a 1995 study Andrew Walder confirms that in modern China the trend of distributing political power to loyalists before
experts still holds true. (…) In other words, the Party maintains control over the distribution of administrative positions
(which are the positions of authority) by giving them to those who, other things being equal (or perhaps even not), show the
greatest loyalty to the Party." John Lejeune, The Evolution of Chinese Politics, Cornell University Conference on Transitions
in Post-Mao China,
www.einaudi.cornell.edu/eastasia/ gradconference/pdf/LeJuene.pdf
5
Thomas Christensen, Chinese Realpolitik, Foreign Affairs 75, N° 5, (1996): 37.
6
La publication au Japon de manuels d'histoire passant sous silence certaines atrocités commises par l'armée japonaise
pendant l'occupation de la Chine a déclenché des manifestations à Shanghai, Pékin, Shenzhen et d'autres grandes villes
chinoises, manifestations au cours desquelles l'ambassade et des magasins japonais ont été la cible de jets de pierre.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
par Pékin. Le pouvoir chinois est cependant prudent dans l'utilisation de cet instrument à double tranchant : il
n'est pas impossible que la vindicte anti-japonaise se transforme en contestation dirigée contre le pouvoir
chinois. Les manifestations ne sont en effet pas rares dans le pays. Elles portent néanmoins sur des
revendications économiques précises et n'ont pas de projet politique pouvant menacer le pouvoir en place. Ce
dernier prend soin de plus de ménager des espaces soigneusement limités où le mécontentement peut
s'exprimer : pétitions, bureau d'enregistrement des doléances, grèves… dans la mesure où il ne remet pas en
cause l'autorité politique.
L'Etat chinois reste en effet un Etat policier. Malgré les différentes formes de légitimité dont il se veut le
dépositaire, le régime se maintient largement en place par la répression, comme l'a prouvé le triste épisode de
Tiananmen en 1989. Cette répression entamera grandement la légitimité du Parti et obligera le pouvoir à
s'appuyer davantage sur les réformes économiques et sur la croissance pour se légitimer. Mais
l'accroissement des inégalités des revenus, la corruption endémique et la hausse du chômage remettent en
cause la politique qu'il mène et l'oblige à maintenir une poigne de fer sur la société.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Chine
La relations au pouvoir
La place de l'individu dans la société chinoise
CONFUCIANISME, LEGISME, MASSES, TOTALITARISME, REFORME DE LA PENSEE, HUMANISME, INDIVIDUALISME,
DROITS DE L'HOMME, PROTECTION SOCIALE
Le respect des droits de l'homme est une question qui revient régulièrement lorsque l'on aborde le thème de la
démocratisation en Chine. L'Empire du Milieu n'est pas réputé pour ses considérations humanistes et se trouve
régulièrement épinglé par les organisations internationales de protection des droits de l'Homme.
Cette question n'est pas sans lien avec la place accordée à l'individu dans la société chinoise.
Un héritage culturel lourd
Dans la Chine ancienne, comme dans beaucoup de sociétés traditionnelles, l'individu était défini par le réseau de
liens familiaux, locaux ou traditionnels dont il faisait partie (famille, village, clans).
Toute idée d'individu n'était cependant pas niée. Le taoïsme de Lao Tseu a été interprété comme prônant une
forme d'individualisme. Le philosophe Yang Chu (300 av. JC), très critiqué, a lui énoncé une théorie de
l'égoïsme dans laquelle il affirme qu'il ne "sacrifierait pas un cheveu pour l'Empire" et qu'il refuserait de servir
dans l'armée. Mais ce courant est resté marginal dans son interprétation individualiste.
A cela s'ajoute le poids de la doctrine légiste : "l’individu doit sacrifier à l’État sa pensée, son travail, et même
sa vie si le souverain l’exige, sans considération de ses désirs personnels ou de son bonheur 1 " Elle sera
remplacée en tant que doctrine d'Etat par le confucianisme, mais celui-ci n'insiste pas davantage sur l'individu.
Au contraire, il insiste sur l'importance de la hiérarchie et du réseau interpersonnel. Si beaucoup opposent
confucianisme et individualisme, il faut souligner que les valeurs qu'ils véhiculent ne sont pas antinomiques.
Confucius lui-même aurait dit : "une grande armée peut être privée de son général en chef ; mais l'homme
individuel ne peut être dépossédé de sa volonté." 2 Mais tel qu'il a été compris et utilisé par le pouvoir impérial
chinois, l'héritage confucéen a contribué à l'effacement de l'individu dans une structure hiérarchique. Les sujets
devaient obéissance à l'empereur, le fils au père, les frères étaient liés par le devoir fraternel et les amis par
l'obligation de fidélité.
La place ainsi accordée à l'individu dans la société traditionnelle chinoise est traduite par l'ambivalence du terme
"soi" (self) qui en chinois signifie également secret, tabou, illicite, voire souillé 3 .
Un régime autoritaire niant l'individu
Les décennies maoïstes (1949-1976) ont laissé une empreinte profonde quant à la conception de l'individu.
Comme dans tout totalitarisme, l'individu y était nié. Le régime s'adresse à et dirige les "masses", innombrables
et anonymes à qui il dicte tout ; la population est fixée sur le territoire (mise en place d'un passeport intérieur) ou
déplacée arbitrairement (envoi des "instruits" à la campagne pour y être "rééduqués" par les paysans) ; l'identité
personnelle elle-même est définie par rapport au statut politique (selon si l'on est membre du Parti ou non) et
selon sa classe sociale (les "cinq catégories noires, définies lors de la Révolution culturelle – propriétaires
fonciers, paysans riches, contre-révolutionnaires, mauvais éléments et "droitiers" 4 – étaient en butte à la
discrimination ; cet étiquetage héréditaire conditionnait l'accès aux biens, aux services, aux privilèges et au
pouvoir).
Le régime maoïste est allé même plus loin que d'autres formes d'autoritarisme dans la négation de l'individu par
la "réforme de la pensée". Imposées par la terreur ou par la pression du groupe, les réunions de critique, les
autocritiques et les confessions au Parti ont pour but le remodelage de la pensée des individus afin qu'elle soit
conforme à l'idéal communiste. Cette idée de rééducation de l'homme est toujours très présente aujourd'hui,
notamment dans la politique de rééducation des détenus. Dans les prisons chinoises, le travail manuel et une
"formation juridique morale" est sensée "convertir les facteurs négatifs en facteurs positifs et transformer les
détenus en personnes utiles à la société". 4
1
H.G. Creel, La pensée chinoise : de Confucius à Mao Tseu-Tong (Paris, Payot, 1955)
Cité dans Chen Yan, L'Eveil de la Chine, 2002, édition de l'Aube
3
Emerson, John J, Yang Chu's Discovery of the Body, initialement publié en octobre 1996 dans Philosophy East and West,
vol. 46-4, http://www.idiocentrism.com/china.yangchu.htm
4
Individus faisant preuve d'une sensibilité politique trop à droite selon les critères maoïstes
4 Livre blanc sur la rééducation des détenus en Chine, août 1992, Office d'Information du Conseil des Affaires d'Etat, Beijing
, http://french.china.org.cn/fabook/menu21.htm
2
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Vers une reconnaissance de l'individu ?
Dans les années 80, l'ouverture du débat et l'émancipation de la pensée permettent à des intellectuels chinois de
lancer un débat sur l'humanisme : sans revenir sur l'idée que l'individu doit se soumettre entièrement au Parti, ils
dénoncent sa réduction à son appartenance à une classe et le phénomène d'aliénation qu'a engendré le système
maoïste et réclament la reconnaissance de la valeur de l'homme. Ce mouvement a eu d'importantes conséquences
intellectuelles quant à la perception de l'individu.
Parallèlement, de plus grandes libertés individuelles ont été accordées par les autorités : le démantèlement des
unités de production (danwei) dont dépendait entièrement l'individu (du logement au travail en passant par la
protection sociale), la liberté de voyager (ouverture progressive des frontières extérieures et plus grande liberté
de circulation interne) et le droit à la propriété sont peu à peu apparus. Plus récemment, un système plus élaboré
de protection sociale pour protéger les plus précaires (chômeurs, migrants) a été mis en place et semble marquer
un plus grand souci pour le bien-être de la population, ce qui contraste avec le peu d'importance
traditionnellement accordée à la vie humaine. Cela tient cependant davantage à l'ampleur de la contestation
sociale qui pourrait menacer la stabilité du régime ; en outre, la Chine se réclame du socialisme et ne peut
symboliquement négliger le peuple. Enfin, celui-ci est toujours pensé en terme de "masses" ou de catégories
sociales.
La question des droits de l'Homme est enfin abordée depuis quelques années sous les pressions internationales. Il
est même affirmé dans la Constitution que "l'Etat respecte et garantit les droits de l'Homme." Cependant, le
pouvoir chinois joue sur ses traditions culturelles, en particulier l'héritage confucéen, pour expliquer ses
réticences quant à leur respect. Selon la position officielle, l'évolution de la situation des droits de l'homme
dépend des conditions historiques, sociale, économiques et culturelles des différents pays et l'idée que l'on se fait
les droits de l'homme et la façon dont on les applique ne peuvent être les mêmes.
La libéralisation économique et la hausse du niveau de vie dans certaines classes de la société pourraient
favoriser la montée de l'individualisme. Quelques indices laissent entrevoir la place plus importante que prend
l'individu, tels le mode de vie des jeunes citadins aisés ou le choix de plus en plus de Chinois pour un tourisme à
la carte au lieu de voyages organisés. Il apparaît pourtant que cette forme d'individualisme ne concerne qu'une
très faible minorité de la population, la plus favorisée ; en outre, elle se heurte à la rigidité des mentalités : "la
difficulté [ne résulte probablement pas que de la censure du régime], [elle] persiste (…) dans la combinaison de
deux barrières psychologiques : l'individualisme qui est toujours perçu comme très occidental et le
confucianisme ambiant reste fondé sur la réussite sociale et l'obéissance de l'individu envers la famille et
l'empereur." 5
Enfin et surtout, cet individualisme s'apparente davantage à un hédonisme consumériste qu'à une véritable
expression de l'individu. Le régime maintient un étroit contrôle sur celle-ci et ne laisse l'individu s'exprimer que
dans le cadre autorisé par les réformes. Se développe ainsi un "individu schizophrénique" 6 , pris entre l'espace de
liberté limité que lui laissent les réformes et le joug que fait peser sur lui l'autoritarisme du pouvoir. Ce
phénomène est lié à l'évolution du régime chinois : le totalitarisme maoïste cherchant à contrôler la conformité
idéologique des individus, non seulement dans leurs actes mais aussi dans leurs pensées, a laissé place à un
autoritarisme dont l'objectif se limite à empêcher l'expression de ces individus. De ce fait, ces derniers sont plus
libres de penser ce qu'ils veulent, voire même de critiquer le gouvernement dans la mesure où cela ne s'exprime
pas sur la place publique, d'où cette "schizophrénie".
EN PERSPECTIVE…
Malgré la faiblesse des acquis, il semble qu'une conscience individuelle soit bien en train d'émerger en Chine.
Marqué par un lourd passé confucéen, mêlé d'hédonisme et sous étroit contrôle des autorités, le lent changement
des mentalités paraît faire son chemin. Il apparaît cependant que l'individu chinois est davantage pensé un
individu économique que comme un individu politique capable de s'opposer à l'Etat.
5
6
Chen Yan, op. cit
Ibid.
68
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Ouzbékistan
La quête de la légitimité
Le contrat fondateur et sa rupture
INDEPENDANCE, GUERRE CIVILE, TENSIONS INTERETHNIQUES, SECURITE ALIMENTAIRE, FEMMES, CONTESTATION,
INTEGRISME
En guise de contrat social, le contrat fondateur du nouvel Etat indépendant
Les toutes premières années de l'indépendance, la population reconnaît à Karimov certains mérites : il a su
éviter la guerre civile malgré les tensions inter-ethniques qui avaient dégénéré en affrontements, et parfois
même, en tueries entre 1989 et 1992 ; à ce titre, la guerre au Tadjikistan a longtemps servi d'épouvantail dans
l'esprit des Ouzbeks. En dépit de l'effondrement du système soviétique d'échanges, il a su approvisionner son
pays en produits alimentaires. En somme, il a su répondre aux exigences de l'urgence et conduire son peuple
à l'indépendance. La tâche n'était pas aisée et le résultat – l'indépendance pacifique – fait la fierté du peuple
ouzbek. Voilà les termes du contrat tacite établi entre le président Karimov (et lui seul, vu la forte
personnalisation du pouvoir) et le peuple ouzbek : la nation avait le sentiment de vivre un moment important
de son histoire et son président se devait de lui assurer la sécurité. C'est dans ces conditions qu'il a accepté la
fermeture de la vie publique dès l'indépendance. Karimov a en plus su accompagner sa politique d'une
rhétorique sur la nécessaire préparation du pays à la démocratie. Il a usé et abusé de la métaphore du jeune
enfant qui doit grandir avant d'être autonome, et s'est posé en père autoritaire de cette jeune nation.
Seulement ce contrat a volé en éclat à mesure que les années passaient et que la situation n'évoluait pas. Le
gouvernement a échoué à assurer le bien-être de la population : l'économie s'enfonce dans la crise après avoir
connu une embellie dans l'immédiate après-indépendance - les investisseurs étrangers se sont retirés car les
réformes économiques tardaient trop. Le niveau de vie a sérieusement chuté : le salaire moyen mensuel
représente l'équivalent de 80 dollars ; la croissance économique et le niveau de vie sont parmi les plus bas de
l'ex-URSS selon la Banque mondiale (2003). La situation sanitaire s'est dégradée du fait d'une alimentation
insuffisante et déséquilibrée et du difficile accès aux soins médicaux. L'interdiction des candidats
d'opposition et les suffrages anormalement élevés remportés par Karimov dénoncent la manipulation des
résultats des élections et font perdre toute confiance dans le vote. La brutalité de la politique apparaît injuste
et absurde (répression et règne de l'arbitraire : les témoignages sur des descentes de miliciens dans les
villages pour y arrêter de façon entièrement arbitraire les jeunes hommes ne sont pas rares). Enfin, les
dirigeants s'installent dans le pouvoir et ses privilèges et affichent le plus grand mépris pour la population
(circulation coupée pour le passage des dirigeants et de leurs invités, parfois des journées entières pour des
visites dans les villes du pays, corruption). Malgré tout, le discours sur la liberté, la démocratie et le bien-être
demeure. Ce décalage entre discours et réalité a rompu le lien entre le peuple et le pouvoir, de façon encore
plus flagrante au niveau local où la proximité rend ce processus encore plus visible.
Comment se traduit cette rupture de contrat de la part de la population ?
Le peuple est profondément blessé d'être réduit à une telle indigence. L'indépendance porteuse d'espoirs a
amèrement déçu et provoque une nostalgie de l'époque soviétique où le bien-être matériel était au moins
assuré. Depuis plusieurs années, les Ouzbeks sont obligés, pour nourrir leur famille, de partir travailler à
l'étranger : dans les pays voisins pour les plus démunis et alors ils doivent affronter le mépris de leurs voisins
dont la situation économique est un peu plus enviable (au Kazakhstan, les Ouzbeks font les tâches les plus
basses des travaux agricoles et reçoivent un salaire inférieur à celui des Kazakhs). Ceux qui peuvent payer un
billet de train vont en Russie et travaillent sur des chantiers de construction. Enfin ceux qui le peuvent,
prennent l'avion pour travailler en Israël, en Corée ou dans les Emirats du Golfe. Ce sont souvent des femmes
qui font ce voyage pour plusieurs années et quand elles n’ont pas encore une famille, la prostitution n'est pas
rare. La différence entre ces 3 catégories de travailleurs ouzbeks émigrés n'est pas la fortune mais la richesse
du réseau personnel qui leur permet de s'endetter plus ou moins avant le départ.
Malgré de telles difficultés dans la vie quotidienne, la contestation populaire quitte rarement le cercle privé
des personnes de confiance. Depuis 2 ou 3 ans, des manifestations de rue sont apparues. Elles sont surtout le
fait de femmes dont les fils ou les maris sont emprisonnés. Comme elles ne sont pas très nombreuses, elles
sont régulièrement arrêtées à leur tour.
69
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Face à l'impossibilité de faire confiance au fonctionnement démocratique ni aux gouvernants et encore moins
d'exprimer son mécontentement sans l'assurance d'être sérieusement inquiété, certaines franges de la
population se sont radicalisées et ont rejoint l'illégalité et la lutte armée. Ce choix aujourd'hui en Ouzbékistan
est synonyme d'islamisme. Il existe deux mouvements islamiques clandestins, le Mouvement Islamique
d'Ouzbékistan et le Hizb-ut Tahrir dont les membres sont exilés dans les républiques voisines (surtout au
Kirghizstan et au Tadjikistan) d'où ils lancent des incursions sur le territoire ouzbek. L'Ouzbékistan a déjà
connu deux vagues d'attentats dans sa capitale (1999 et 2003), plusieurs raids contre ses forces de l'ordre hors
capitale. Une prise d'otages à l'échelle de plusieurs villages ouzbeks sur territoire kirghize a permis de donner
l'ampleur de ces mouvements (août 2000).
Le régime ouzbek a perdu la légitimité que lui donnait les premiers temps de l'indépendance où son
expérience du pouvoir a pu rendre acceptable d'avoir accaparé toutes les institutions. Aujourd'hui il a failli à
sa tâche et a perdu toute la crédibilité de sa mission d'apporter le bien-être et la démocratie à la population. Il
ne reste plus qu'une stratégie de pouvoir.
EN PERSPECTIVE…
L’Ouzbékistan recherche depuis son indépendance une place prépondérante sur la scène politique régionale
qui lui permettrait au niveau international, une certaine autorité. C’est là un autre mode de légitimation du
pouvoir. Il semble que, dans cette quête, l’heure des alliances – avec la Russie, avec les Etats Unis - soit
terminée : l’Ouzbékistan a donné en juillet 2005 un ultimatum aux troupes américaines pour quitter le
territoire. Le modèle turkmène de l’isolement et de faire cavalier seul apparaît tenter le dirigeant ouzbek.
70
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Bosnie-Herzégovine
La quête de la légitimité
Un espace collectif,
les Mjesna Zajedna
COLLECTIVITES LOCALES, COMMUNAUTARISME, REPRESENTATION, SERVICES PUBLICS, MAHALLA, AUTONOMIE
LOCALE, LEGITIMITE
Les Mjesna Zajedna (MZ) de Yougoslavie constituent la représentation actuelle d'une forme historique
d'interactions au niveau communal qui s'inscrit dans l'histoire longue. Elles ont beaucoup de points
communs avec les mahallas, communauté de voisinage. Ce sont d'anciens systèmes complets et complexes
d'autonomie locale donnant les possibilités aux citoyens de priorétiser leurs besoins, collecter des ressources
et mettre en oeuvre des initiatives en coopération avec l'autorité gouvernementale. Elles reposent sur le
principe d'une solidarité exprimée par l'échange de travail, la propriété immobilière collective (mosquées,
institutions collectives) et les actions communes (cérémonies).
Perspective historique
Dans la Fédération yougoslave, elles sont instituées par les constitutions de 1963 et 1974 comme étant le
niveau le plus bas de l'organisation de voisinage dans les zones urbaines et rurales. Leur rôle consistait dans
la construction comme l'entretien des infrastructures locales (asphalte des routes, lignes de téléphone...). Elles
fonctionnaient grâce au travail volontaire des habitants et à leurs contributions financières. Les produits et les
infrastructures étaient ensuite la propriété de la MZ ; elle devait collecter le budget pour son entretien.
Lorsque la guerre a éclaté, les MZ n'ont pas toujours su rester unies et maintenir les liens des communautés.
Rapidement les disputes ont gagné leurs membres, appartenant à différentes ethnies. Elles se sont scindées ou
sont devenues des « MZ en exil ».
Après l'accord de Dayton (1995), elles ont perdu leur personnalité juridique (nouvelles lois de 1996 et 1999)
y compris le droit de posséder des bâtiments, d'avoir des comptes bancaires, d'initier des projets
d'infrastructures et de se financer par une contribution financière obligatoire. Dans la loi de la Respublica
Srpska sur l'autonomie locale, les MZ ne sont plus décrites comme des mécanismes de gouvernement mais
comme une forme possible de démocratie directe comparable aux initiatives citoyennes et aux référendums
locaux. (WB, 2002 : 70). Une étude de la Banque Mondiale (Local level Institutions and Social Capital,
2002) montre que les citoyens ont une meilleure confiance dans les MZ que dans les ONG.
Compétences
L'Assemblée de la MZ est élue tous les 2 ans, elle réunit 9 membres, et constitue l'autorité exécutive et la
représentation des citoyens. Le problème se pose encore pour les villages mixtes où se sont mises en place
des MZ doubles ou parallèles. On voit, reporté au niveau municipal, le problème de la fragmentation des
structures institutionnelles du fait de la mixité des populations et de l'absence de confiance entre les différents
groupes. Ces structures contribuent à la privatisation du système social de l'Etat : à Sevarlije, des collectes de
fonds auprès des habitants ont été organisées pour l'eau, la garde des enfants et l'équipement scolaire.
Une étude de cas : Sevarlije
Le village de Sevarlije se situe dans le Nord de la Bosnie-Herzégovine, entre Tuzla et Banja Luka, dans le
canton de Doboj. Les 490 familles bosniaques du village ont été expulsées par les Serbes le 18 juin 1992,
causant la mort de 34 civils. Le village est resté vide de 1992 à 1998. Toutes les réalisations de la MZ de
Sevarlije – réseau d'eau potable, électricité, lignes de téléphone, centre médical communautaire, école et
mosquée – ont été brûlées et pillées. Près de 100% des logements ont été détruits.
A la signature de l'accord de paix, le village est intégré à la Respublica Srpska. Les habitants doivent donc se
résoudre à vivre dans une entité majoritairement serbe ou renoncer à revenir au village. Au cours de l'été
1998, ils sont parmi les premiers Bosniaques à regagner le territoire de l'entité serbe : un petit groupe est
autorisé à regagner le village et les premiers travaux commencent. Dès l'hiver, 23 familles s'installent au
village. En 2001, 215 familles, soit 638 personnes, étaient revenues au village.
71
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Les spécificité du village de Sevarlije
Deux premières particularités distinguent Sevarlije :
•
les foyers regroupent rarement les familles étendues et de fait le principe organisateur est la résidence et
non la famille.
•
du fait de sa proximité avec Doboj, le village connaissait, depuis les années 60, une situation de
prospérité économique : les habitants ne sont pas agriculteurs mais employés à Doboj. C'est aussi pour
cette raison que le village a connu un degré d'autonomie locale rarement rencontré ailleurs, où la MZ
peut se limiter à une relation bureaucratique entre le village et le conseil local.
La MZ de Sevarlije et sa mission spécifique : le retour
D'autres particularités qui tiennent aux membres de la MZ de Sevarlije et à son passé, expliquent son succès :
•
les dirigeants de la MZ (4 à 5 personnes) sont les mêmes de 1992 à 2001. Ils sont unis par des liens
d'amitié et de parenté. C'est grâce à cette expérience qu'ils peuvent former une « MZ en exil » : ils
collectent des fonds pour soutenir les soldats, distribuent de l'aide humanitaire, fournissent une assistance
pour les enterrements.
•
Une mission bien spécifique : le retour.
Ainsi, ils constituent une Assemblée pour le retour, une structure informelle d'abord, puis elle est enregistrée
auprès de la municipalité de Doboj pour obtenir un statut officiel, bénéficier des pouvoirs inhérents,
participer au travail de la municipalité. Cela correspond aussi à un souhait émotionnel de retrouver le mode
de vie d'avant la guerre. C'est un exemple parmi d'autres des mutations subies par la MZ de Sevarlije depuis
1992 qui s'est chaque fois adaptée aux besoins ponctuels des habitants du village. Elle redevient
officiellement MZ en 2000.
Le retour s'organise dès 1996 : les dirigeants de la MZ commencent par les tâches administratives, font du
lobbying ; représentent les habitants auprès des autorités bosniaques, des officiels serbes et des représentants
des organisations internationales. Ils collectent des informations qu'ils diffusent : ils distribuent puis
récupèrent les formulaires de logement de l'UNHCR. Enfin, ils maintiennent le contact avec les habitants du
village déplacés dans d'autres régions. Pour le financement de cette opération, il a fallu faire appel aux
financements extérieurs car les contributions des habitants ne pouvaient suffire vu la chute des revenus
pendant la guerre.
Une action basée sur le dialogue
Le retour réussi des habitants de Sevarlije tient à la cohésion qui existait préalablement entre aux, à
l'expérience de gestion politique des dirigeants mais aussi au long processus de dialogue dans lequel cette
opération s'est inscrite. Encouragées par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unis (HCR), 77
réunions ont eu lieu (1997-98) entre les habitants de Sevarlije (bosniaques) et les Serbes déplacés qui
occupaient une partie des maisons du village. Elles étaient d'abord courtes et tendues mais les relations se
sont détendues pour finalement se normaliser. C'est ainsi qu'ils sont arrivés à un accord sur un retour graduel
; les Bosniaques ont d'abord ré-occupé la partie du village laissée inhabitée par les Serbes déplacés pour que
ceux-ci ne soient pas contraints de déménager tout de suite. De plus, les dirigeants de la MZ ont inclus les
Serbes à leurs activités chaque fois que c'était possible (bus loué à entreprise serbe, ouvriers serbes
embauchés pour la reconstruction). Ils ont pris soin de ne pas offenser les Serbes : la reconstruction de la
mosquée a été lente pour s'achever seulement à l'automne 2001, de même que les cérémonies funéraires n'ont
pas été célébrées avant mai 2000.
L'exemple des Bosniaques de Sevarlije a incité les Serbes déplacés au retour. Les deux groupes avaient
désormais un intérêt mutuel au retour. Les dirigeants de la MZ les ont alors aidés dans les démarches auprès
des organisations internationales, dans la reconstruction et l'obtention de matériaux. Ce processus débute en
2000.
Le succès du retour des habitants de Sevarlije tient au réseau de liens avec les autorités locales et
internationales. Ces relations ont été basées sur des liens personnels et familiaux ce qui explique leur
efficacité cependant, n'étant pas institutionnalisées, elles se perdent quand les équipes changent. Les autorités
bosniaques n'ont pas aidé particulièrement à l'exécution de ce retour.
Et au-delà de la question du retour...
Enfin, du fait de son expérience, la MZ est devenue un intermédiaire entre les habitants, les donateurs
internationaux et les autorités locales. Elle aide à résoudre les conflits sur l'attribution des allocations, les
problèmes d'accès aux services sociaux pour les « personnes déplacées puis revenues » (école, clinique et
centre social) ; elle encourage les demandes de cartes d'identité de la Respublica Srpska pour accéder à la
72
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
protection sociale. Pour contribuer à s'attaquer au problème de l'emploi, du fait de la conjoncture économique
déprimée et de la discrimination, la MZ ouvre une coopération avec des organisations internationales pour
initier des projets générateurs de revenus dans le village. La MZ comprend également un conseil de
réconciliation pour les conflits de niveau local : propriété, héritages, divorce et répartition des biens, honneur
et réputation. Mais ils sont très peu nombreux.
Durant cette période, la MZ remporte plusieurs victoires :
•
en faisant circuler l'information pratique sur le retour, elle casse le monopole de l'information que
détenaient les leaders politiques nationalistes qui décourageaient des populations nombreuses sur les
possibilités de retour avec des rumeurs de violences et de persécutions.
•
Sur le plan de la sécurité, en accord avec le HCR, ils ont renoncé à recourir à l'aide des militaires de la
SFOR pourtant postée dans le secteur pour construire la confiance entre les deux communautés.
La cohésion menacée
L'organisation du retour dans le village était une mission suffisamment forte pour mobiliser tous les
habitants, d'autant plus facilement que cette cohésion existait avant la guerre. L'homogénéité ethnique et
économique a encore facilité cette cohésion. Enfin, la confiance dans les dirigeants de la MZ explique encore
la force de cette cohésion.
Au printemps 2002, le travail collectif continue : 100 personnes se portent volontaires pour le nettoyage des
routes. Pourtant, quand les dirigeants de la MZ n'ont plus pu reconstruire des logements supplémentaires, les
habitants du village ont perdu leur confiance. Autre signe de la chute de légitimité des dirigeants de la MZ :
la participation financière décroissante des habitants. La dépendance vis-à-vis de l'assistance internationale
de la MZ a également contribué à la dé-légitimation de la direction de la MZ.
Compte-tenu des pouvoirs accordés au président de la MZ, il existe un risque de clientélisme. Les dirigeants
répondent de leur responsabilité par les élections (tous les 2 ans) mais elles ne doivent pas forcément
comporter plusieurs candidats, et les réunions régulières. D'après les statuts, les citoyens prennent des
initiatives, font des suggestions, donnent des opinions et ils participent aux débats (art.6). Les conseils des
MZ doivent organiser des assemblées de citoyens et des référendums chaque fois que le fonctionnement de
l'organisation est concerné.
Peu à peu, la MZ se formalise, l'enthousiasme et la capacité de travail des membres diminuent, une fois la
tâche principale du retour achevée. La forte capacité cohésive de la mission du retour au village a pu donner
l'illusion d'une communauté parfaite. Toutefois dans l'environnement d'après-guerre dominé par l'absence de
lois et où les individus tirent leur prestige d'activités économiques et sociales illicites, une telle organisation
communautaire a préservé des relations honnêtes et respectueuses. Elle a une forte capacité à donner un
modèle pour l'avenir.
EN PERSPECTIVE…
On peut se demander quel sentiment unitaire pourrait émerger quand les légitimités sont morcelées à échelle si
petite et quand l’autonomie locale confie la plupart des services publics aux structures villageoises.
73
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
74
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Russie
La quête de la légitimité
La reconquête de la puissance
URSS, FEDERATION DE RUSSIE, RAYONNEMENT, IDENTITE, PUISSANCE, HYDROCARBURES, BILATERALISME,
AUTORITARISME, UNION EUROPEENNE, ETATS-UNIS, ETRANGER PROCHE, TUTELLE POLITIQUE ET ECONOMIQUE
La fin de la Guerre froide a permis à la Russie de sortir de sa marginalisation politique et financière : les
institutions internationales qui lui étaient auparavant fermées, lui ont ouvert leurs portes et leurs crédits ;
elle assurera la présidence annuelle du G8 en 2006. Face à l’élargissement de l’Union européenne et surtout
de l’OTAN vers l’Est, la Russie développe de nouvelles stratégies pour se réapproprier le rôle de
superpuissance tenu par l’URSS sur la scène internationale et asseoir sa mainmise sur l’ancienne sphère
d’influence soviétique.
La diversité des stratégies face aux puissances occidentales
Renaissance de l’identité nationale russe
Un sondage réalisé en 2000 révélait que 55% des Russes considéraient que la tâche historique de la Russie
actuelle était de reconstituer un empire successeur de l’empire russe et de l’empire soviétique. Le ciment
identitaire entre toutes les composantes de l’URSS était la citoyenneté concrétisée par l’existence d’un
passeport soviétique. La prégnance de la Russie au sein de la Fédération a abouti à la confusion entre
l’identité russe et l’identité soviétique, à la fois dans les pratiques institutionnelles et les représentations
symboliques de la population.
L’URSS bénéficiait d’un rayonnement symbolique qui avait de fortes répercussions identitaires sur la
population. L’éclatement de l’Union soviétique a mis un terme à cette identification populaire. Depuis 1991,
la Russie est un Etat souverain sur la scène internationale privé de nombre d’atouts soviétiques. Cette
situation est vécue par beaucoup comme une humiliation, en particulier par rapport à l’Occident. Depuis
l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000, la nostalgie de l’empire disparu a accouché d’une idéologie
officielle qui aspire à ressusciter la puissance russe et à reprendre le contrôle des ex-républiques soviétiques.
La pression énergétique comme substitut à la puissance militaire
Ayant reconstruit son empire et repris le contrôle de ses ressources, la Russie ambitionne d’instaurer des
relations avec l’Union européenne non comme un pays européen parmi d’autres, mais comme une puissance
régionale capable de dicter sa loi à la fois aux différents Etats européens, et à l’ensemble de l’Union
européenne qui va devenir de plus en plus dépendante de Moscou pour ses approvisionnements en
hydrocarbures.
Selon certains chercheurs, la priorité actuelle du Kremlin n’est pas tant d’assurer la prospérité du pays que de
créer une machine de projection de puissance qui puisse se substituer à la défunte Armée rouge. Cette
machine, c’est le réseau des oléoducs et des gazoducs que le gouvernement russe n’entend pas laisser
échapper à son contrôle, pas tant pour des raisons économiques que parce qu’il représente le socle sur lequel
la Russie veut bâtir son hégémonie en Europe.
Le bilatéralisme pour peser dans l’Union européenne
Moscou privilégie les relations bilatérales avec les grands Etats européens, surtout l’Allemagne et la France.
Les dirigeants européens ne tarissent pas d’éloges sur le président Poutine et ces bonnes faveurs permettent
désormais à la Russie d’obtenir ce qu’elle veut : autocensure sur la question tchétchène, abandon des
exigences en matière de démocratie et de liberté d’expression etc. En revanche, les bureaucrates européens
considèrent la Russie comme un problème et n’ont pas peur d’entrer en conflit avec elle. Devant cette
obstruction grandissante de l’Union européenne, la tactique russe est simple : faire appel aux Etats dès que
Moscou veut faire aboutir une question qui lui tient à cœur.
Le but de la stratégie actuelle de Poutine est de créer une troïka Paris-Berlin-Moscou qui prendrait les
décisions importantes et dispenserait la Russie de passer par le mécanisme 25+1 où elle n’a guère de chances
d’imposer sa volonté. Cette tactique aurait pour effet d’extorquer des concessions supplémentaires aux
75
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Européens dans la perspective de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale, tout en plaçant une
bombe à retardement sous l’édification ultérieure de l’Europe.
Le rapprochement avec les Etats Unis
Au lendemain du sommet de Nice en décembre 2000 où la Russie a échoué à imposer son influence dans les
décisions européennes, Poutine a entrepris de rechercher une entente avec les Etats Unis. Renforcée par la
lutte commune contre le terrorisme international après le 11 septembre 2001, l’alliance entre les Etats-Unis et
la Russie a eu de vives répercussions en Europe. En pariant que la clé du rapprochement avec l’Union
Européenne passait par le renforcement de ses relations avec Washington, Poutine a décuplé les effets de la
diplomatie russe. Désormais Moscou ne se contente plus de mettre les Etats européens en concurrence mais
inclut les Etats-Unis dans ce jeu de faveurs.
Des visions contraires de l’intégration : autoritarisme contre subsidiarité
Contrairement à l’intégration européenne qui est précédée par des accords économiques et une extension des
normes juridiques européennes aux pays candidats, l’intégration à la russe résulte des décisions politiques
imposées par Moscou à des régimes affaiblis et du renforcement des structures mafieuses corrompues qui
cimentent l’espace ex-communiste. L’élargissement de l’Union Européenne et la tentative de reconquête par
la Russie de sa périphérie ne peuvent manquer d’entrer en collision tôt ou tard. En politique intérieure et
extérieure, il n’y a aucune convergence entre une Europe qui choisit la subsidiarité et la Russie de Poutine où
le pouvoir d’un seul ne cesse de s’accroître, et n’est limité ni par la coutume, ni par les institutions. La seule
limite à l’autocratie du Kremlin est la résistance de l’extérieur.
L’Union européenne semble aujourd’hui tout aussi réticente que les Etats-Unis à laisser la Russie reconstituer
son empire. Quelques injonctions diplomatiques critiquant la dérive autoritaire du Kremlin n’ont cependant
pas été suivies de mesures restrictives pour limiter les dynamiques parallèles engagées par Moscou sur le
plan économique ou diplomatique pour renforcer la position de la Russie sur la scène internationale.
Collision des sphères d’influence
L’entreprise de restauration de la puissance russe dans l’ancien empire soviétique n’est que le prélude à
l’accomplissement d’un dessein plus vaste, qui apparaît dans une remarque de Poutine à Clinton en novembre
1999 : « Vous avez l’Amérique du Nord et celle du Sud, vous avez l’Afrique et l’Asie. Vous pourriez au
moins nous laisser l’Europe ». L’ex-président de la Commission des Affaires étrangères de la Douma, Dmitri
Rogozine, l’a dit en d’autres termes : « Ce n’est pas à l’OTAN de s’étendre vers l’Est, c’est à la Russie de
s’étendre vers l’Ouest ».
La tutelle économique et comment l’éviter
Dès novembre 1999, Poutine avait déclaré que les intérêts stratégiques de la Russie incluaient les régions au
Sud de la Russie et la Baltique. Depuis l’éclatement de l’URSS, Moscou a utilisé l’arme énergétique pour
amener les Etats de « l’étranger proche » à abdiquer des pans toujours plus importants de leur indépendance.
La perspective de l’élargissement de l’UE a accéléré les efforts de la Russie pour mettre la main sur les
infrastructures énergétiques des pays candidats. L’imposition d’une tutelle russe sur le plan économique est
une réalité comme en témoigne la décision de créer en 2003, un espace économique commun entre la Russie,
l’Ukraine, le Kazakhstan et la Biélorussie. L’Ukraine a été mise en garde sur les conséquences néfastes que
ce marché eurasiatique aurait sur le marché européen qu’elle allait intégrer un an plus tard.
A l’inverse, les pays de la Mer noire misent sur une coopération régionale pour contourner la tutelle de
Moscou. En 2005, la réanimation du GUUAM 1 affiche une volonté de renégocier l’influence et de réduire les
pressions de Moscou sur la périphérie, notamment concernant la ponction et la diversification des routes
d’approvisionnement des ressources naturelles. La Géorgie et l’Ukraine apparaissent comme des corridors
importants pour le transit brut de la Caspienne vers l’Europe. Plusieurs tracés d’oléoducs, qui transiteraient
par la Moldavie, la Roumanie et la Hongrie, sont à l’étude. Par ailleurs, l’Ukraine et la Moldavie viennent de
signer avec Bruxelles « un plan d’action » impliquant une coopération renforcée sur les plans économiques et
politiques. Le 2 mars 2005, la Commission européenne a proposé la même chose à la Géorgie, l’Azerbaïdjan
et l’Arménie.
La tutelle politique et les risques
1
Alliance stratégique, politique et économique fondée en 1996 pour renforcer l’interdépendance et la souveraineté de la
Géorgie, de l’Ukraine, de l’Ouzbékistan, de l’Azerbaïdjan et de la Moldavie
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Très souvent, la corruption et l’éclatement des Etats post-soviétiques sont en grande partie imputables aux
manœuvres russes, Moscou s’efforçant de maintenir partout au pouvoir des chefs discrédités qui ne restent en
place que grâce à l’appui russe. La tutelle de Moscou pérennise le sous-développement politique et
économique dans ces Etats qui sont désormais l’Hinterland de l’Union Européenne. Dans ce contexte, le
risque de contagion démocratique du scénario géorgien et ukrainien est vécu comme une menace par les
Russes. Alors qu’une nouvelle génération de politiciens pro-occidental a émergé, balayant l’ancienne
nomenklatura soviétique et ses pratiques de bourrage d’urnes, la Russie perd ainsi de son influence en
Géorgie et en Ukraine. Au Kirghizstan, la « révolution » avortée a bien failli coûter à la Russie son influence
politique et économique sur le pays 2 .
Les enjeux sécuritaires et les risques de tout perdre
Les enjeux économiques, notamment les tracés des oléoducs et gazoducs, croisent les enjeux sécuritaires. La
guerre en Tchétchénie et plus largement les tensions au Nord-Caucase ont des répercussions sur les tensions
au Sud-Caucase comprenant la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Outre des conflits en sommeil comme le
Nagorny-Karabakh, cette région est en proie à des luttes d’influence et des velléités sécessionnistes, comme
l’illustre la guerre en Tchétchénie et ses répercussions au Daghestan et en Ingouchie. Après avoir mis au pas
l’Adjarie, le jeune président géorgien compte poursuivre la réunification du pays en obtenant la soumission
de deux républiques qui se sont proclamées indépendantes, avec le soutien de Moscou, au début des années
1990 : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. L’instabilité en Géorgie, considérée comme le principal pion
stratégique des Américains dans le Caucase, illustre les foyers potentiels de conflit qui menacent la Russie à
sa périphérie.
EN PERSPECTIVE…
Par ailleurs, le 17 mai 1999, la Douma a adopté une loi formulant la politique officielle à l’égard des Russes de
l’étranger. Aux termes de cette loi, la Russie peut fournir à ses compatriotes de l’étranger les moyens d’établir un
gouvernement local. La nouvelle doctrine de sécurité russe parle de “ protéger les droits des Russes à l’étranger
par des moyens politiques, économiques et autres ”, n’excluant pas le recours aux moyens coercitifs.
2
Le Monde, 31 mars 2004.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Afghanistan
La quête de la légitimité
La militarisation de l’action humanitaire : l’exemple afghan
GUERRE HUMANITAIRE, ONG, AMBITIONS POLITIQUES, MANDAT, INDEPENDANCE, INGERENCE, CONDITIONNALITE,
COMMERCE
Les militaires en quête de légitimité s’approprient l’espace humanitaire
Vers la fin de la décennie 1990, la plupart des Etats occidentaux ont modifié leur doctrine militaire en
incorporant l'aide humanitaire dans les missions des forces armées. La dénomination de "guerre humanitaire"
a ainsi qualifié l’intervention armée de l’OTAN au Kosovo en 1999. Au lendemain du "11 septembre", Tony
Blair et George W. Bush ont appelé de leurs vœux la formation d’une "coalition militaro-humanitaire" avant
d'attaquer l'Afghanistan. Ce nouveau contexte politique compromet l’indépendance des ONG, comme le
déplore Rony Brauman, ex-président de Médecins Sans Frontières (MSF) : « Depuis le 11 septembre, les
ONG non islamiques sont perçues comme arrivant dans les fourgons de l’armée américaine. Au Timor ou au
Kosovo, ce n’était pas un problème puisque l’occupation par des forces étrangères était perçue comme
libératrice. Mais depuis le contexte politique de la guerre contre le terrorisme, les ONG sont sommées de
prendre parti : elles n’ont le choix que de se dissocier de l’occupation en se retirant ou de s’associer aux
efforts des forces d’occupation. »
Dès lors, l’argument humanitaire sert les ambitions politiques et militaires et les forces coalisées
s’empressent de se refaire une légitimité auprès d’une population éprouvée ("to win hearts and minds"). Les
ONG européennes déployées sur le terrain, héritières de l’indépendance des French doctors, se sont
positionnées contre cette ré-appropriation par l’armée de leurs actions et leurs méthodes, comme l’illustrent
les propos du professeur Claude Moncorgé, président de Médecins du Monde (MDM) : « Tuer ou vouloir
tuer, même de façon "chirurgicale", même pour sauver plusieurs centaines de milliers de personnes, ne
saurait être qualifié d’humanitaire. La guerre vise toujours à s’assurer un rapport de force qui donne
avantage à son camp. Et il paraît ridicule d’avoir à le rappeler, mais il n’y pas de guerre sans propagande et
l’utilisation de la souffrance comme de " l’humanitaire " n’est qu’un moyen de la guerre. »
Forces armées et ONG humanitaires évoluent simultanément sur un même terrain d’intervention mais avec
des mandats distincts. L'utilité et la pertinence de l'action humanitaire tiennent au fait qu'elle permet - par sa
neutralité, son impartialité et son indépendance – d’apporter une aide à toutes les victimes, sans
discrimination partisane. Pour s’exercer dans la sécurité, l’action humanitaire a besoin de la confiance des
populations civiles en garantissant son impartialité au conflit. Les forces armées, même sous mandat
d’opérations de maintien de la paix, sont toujours perçues par les populations, soit comme force partisane,
soit comme une ingérence étrangère dans le règlement de leur conflit. Si ces forces armées peuvent se
charger d’actions d’assistance (logistique, etc.), elles ne peuvent pas légitimement se prévaloir "d’action
humanitaire" et encore moins jouer le rôle de coordinateur de l’action humanitaire. Les Nations Unies se sont
dotées d’agences civiles opérationnelles pour exercer cette responsabilité.
Modalités de la militarisation de l’action humanitaire : une aide conditionnée
♦
Financement
Le 21 mai 2003, Andrew Natsios, directeur de USAid, l’Agence d’Aide au Développement du Département
d’Etat américain, annonçait explicitement les nouvelles conditionnalités du financement américain : « Les
ONG doivent obtenir de meilleurs résultats et mieux promouvoir les objectifs de la politique étrangère des
Etats-Unis ou bien nous trouverons de nouveaux partenaires ». Une nouvelle exigence de l’administration
américaine impose désormais aux organisations humanitaires engagées en Afghanistan ou en Irak de prouver
non seulement qu’elles n’ont aucun lien avec une organisation terroriste mais que leur action participe
activement à la lutte contre le terrorisme.
♦
Propagande
Dans le sud de l'Afghanistan, l'armée américaine a distribué des tracts demandant à la population de
"communiquer aux forces de la coalition toutes les informations relatives aux Talibans, Al-Qaïda et
79
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Gulbuddin Hekmatyar", ceci afin de pouvoir "continuer à recevoir de l'aide humanitaire". Cette
conditionnalité de l’aide a été unanimement dénoncée par les ONG humanitaires.
♦
Création des « Equipes Provinciales de Reconstruction » (EPR – PRT en anglais)
Les EPR sont des structures militaro-civiles régionales qui visent à rétablir la sécurité dans le pays et à
coordonner l’action humanitaire effectuée sous l’autorité des forces coalisées armées. En mai 2005, 19
équipes étaient réparties sur le territoire afghan. Les EPR s’inscrivent ouvertement dans le champ politique
en appuyant l’administration transitoire afghane. Composées à 90% de personnel militaire autorisé à se
déplacer en habit civil, les EPR se substituent aux ONG en identifiant les besoins des populations locales et
en leur déléguant a posteriori certaines réalisations. Autre niveau de confusion, le personnel des EPR est en
grande majorité composé de réservistes américains, chefs d’entreprise par ailleurs, qui prospectent les
potentiels commerciaux du pays en reconstruction. Accessoirement, en décentralisant ses forces vers les
zones rurales les plus retirées où l’État central n’a aucun ascendant, la coalition s’assure d’un avant-poste
pouvant relayer l’information au profit des forces d’intervention rapide, les Special Forces qui, au besoin,
pourront lancer des raids.
Résultats sur le terrain
♦
Une attitude perçue comme impérialiste
D’après Pierre Salignon, Directeur général de MSF, « les ONG sont perçues par de nombreux Afghans
comme servant les ambitions du régime d’occupation piloté par les Américains et leurs alliés. Elles sont
accusées de faire de l'espionnage, d'être corrompues et de ne pas faire leur travail ». L’amalgame entre le
personnel militaire et humanitaire engendre une hostilité croissante à l’égard des occidentaux en général, et
des acteurs humanitaires en particulier. Dans ce contexte de tensions extrêmes, les réseaux d’implantation des
ONG, parfois établis depuis 1979 sont insuffisants pour compenser la perte de légitimité et empêcher des
dérives violentes à l’encontre de leurs équipes.
♦
Dangers encourus par les acteurs humanitaires sur le terrain
Organisations et travailleurs humanitaires, étrangers ou de nationalité afghane, sont devenus la cible des
groupes armés antigouvernementaux. Depuis le début de l’année 2003, 37 travailleurs humanitaires ont été
assassinés, dont cinq membres de MSF en juin 2004. Leur meurtre a été revendiqué à deux reprises par un
porte-parole des Talibans, le Mullah Abdul Hakim Latifi. Dans sa revendication, faisant volontairement
l'amalgame entre les soldats américains et les volontaires humanitaires, il a lancé un appel au meurtre :
"D'autres organisations comme Médecins Sans Frontières travaillent également dans l'intérêt des
Américains, ils sont des cibles pour nous." Selon d’autres sources d’informations, les volontaires de MSF
auraient été victimes d’une démonstration de force d’un chef de police locale, geste qui n’aurait donc qu’une
portée régionale et personnelle.
Certaines ONG ont voulu donner un signe fort de protestation contre cette collusion entre humanitaire et
militaire. MSF a cessé ses activités en Afghanistan après 24 années de présence. Le retrait des humanitaires
et l’arrêt des soins apportés aux populations nécessiteuses, notamment en milieu rural, satisfont l’ambition
des fondamentalistes qui souhaitent perturber toute reconstruction démocratique du pays.
80
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Afghanistan
L’émergence d’un pouvoir central
La concurrence des forces politiques au sommet de l’Etat
VIDE DE POUVOIR, COALITION OCCIDENTALE, AUTORITE DE TRANSITION, ELITES, CHEFS DE GUERRE, CHEFS RELIGIEUX,
GOUVERNEURS, LEGITIMITE POLITIQUE, CONSTRUCTION NATIONALE, DESARMEMENT, PACIFICATION, PLURALISME,
ETAT FEODAL
En Afghanistan, l’invasion de Kaboul par l’Alliance du Nord et l’éviction des Talibans a créé un vide au niveau
du pouvoir politique. La coalition, composée de forces alliées opposées aux Talibans et menée par les EtatsUnis, a recherché une autorité de transition, légitime aux yeux de la population, qui puisse effectuer la transition
vers la démocratie. Comment cette autorité transitoire a-t-elle été désignée ? Le choix s’est porté sur une
réorganisation des structures de pouvoir formées pendant les années où l’administration était inexistante. Trois
groupes majeurs, détenant une forme de pouvoir dans le pays, se dégagent et devaient être pris en compte : les
élites, les chefs de guerre et les chefs religieux. Nous verrons quelle est leur légitimité politique et comment les
intégrer dans un projet de transition vers la démocratie.
Les forces en présence et leur mode de légitimation
Les élites
L’aristocratie tribale
La coalition a tout d’abord envisagé de s’appuyer sur l’aristocratie tribale pour orienter le pays vers la voie
démocratique. Ce groupe pachtoune, représenté par Karzaï, disposait d’un certain soutien, surtout dans la région
de Kandahar. Leur légitimité est principalement héritée de la popularité de l’ancien roi Zahir Shah. Ils ne
peuvent bénéficier de la confiance des donateurs internationaux pour assurer des fonctions techniques en raison
de leur manque d’éducation. La communauté internationale a préféré faire revenir des Afghans exilés,
marginalisant par son choix l’aristocratie tribale.
Hamid Karzaï est perçu comme l’homme des Américains, sans aucune ambiguïté par les Afghans.
Pourtant cette identification n’est pas négative, elle représente l’avantage d’être extérieure à la lutte pour le
pouvoir que se livrent les clans. C’est un atout important dans le contexte afghan où la population souhaite avant
tout en finir avec les combats. Jusqu’à présent, Karzaï retire un crédit certain de la période de relative stabilité
qui règne dans le pays. La légitimité au pouvoir se fonde surtout en Afghanistan aujourd’hui sur la possibilité
d’assurer la sécurité de la population. Le fait que Karzaï bénéficie du soutien des Etats-Unis assure qu’il est
associé à l’idée de sécurité. C’est très important pour asseoir sa légitimité et son autorité de même que son
origine sociale joue également en sa faveur, il est issu d’une grande famille pachtoune.
Les Afghans rentrés d’exil
Les Afghans de l’étranger, éduqués en Occident, bénéficient du soutien de la communauté internationale qui les
a réintroduits aux postes de commandement du pays. Cependant, ils peinent à acquérir un réel soutien populaire
et sont même parfois l’objet d’hostilité car ils n’ont pas autant souffert que les populations restées dans le pays
pendant la guerre.
Les élites locales
Outre les aristocrates tribaux et les Afghans éduqués rentrés d’exil, il existe un autre groupe organisé dans le
pays. A Kaboul et dans les grandes villes, cette classe d’Afghans éduqués est libérale et monarchiste, mais leur
influence est généralement faible. Les emplois qualifiés leur sont refusés et sont plutôt confiés par clientélisme
aux réseaux de chefs militaires qui possèdent rarement leurs qualifications. En milieu rural, l’élite locale a
bénéficié de l’éducation offerte par le régime communiste pendant la décennie 1980. Pour cette raison, ils sont
identifiés aux communistes et à ce titre, perçus avec hostilité par les chefs militaires qui les ont combattus ; ils
suscitent également la suspicion des technocrates occidentaux.
Les chefs de guerre
Ils ont acquis leur pouvoir pendant les quelques 20 ans de guerre, palliant l’absence d’un Etat central fort. Même
s’ils ne bénéficient pas tous de soutien populaire, ils tirent leur pouvoir de la guerre, de relations clientélistes et
81
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
parfois féodales 1 . Comme cette légitimité acquise pendant la guerre ne leur suffit pas, ils ont doublé leur pouvoir
politique d’un pouvoir économique (détournement de droits de douane, hydrocarbures, culture du pavot), d’un
pouvoir militaire (ils sont tous à la tête d’une armée privée) et enfin d’un pouvoir religieux (le combat qu’ils ont
livré aux Soviétiques est identifié comme un djihad).
Ces chefs militaires sont réticents à être gouvernés par l’élite éduquée et craignent d’être écartés par ces derniers.
Ils fondent aussi souvent leur autorité sur une légitimité religieuse et sont représentés sur la scène politique par
les partis islamiques. L’enjeu pour l’avenir de ce groupe réside dans son intégration ou non au gouvernement ;
ainsi que l’intégration ou non de leurs troupes à l’Armée nationale afghane.
Les chefs religieux
Les chefs religieux bénéficient d’un large soutien populaire, surtout en milieu rural. Leur popularité s’amenuise
mais elle reste toujours plus importante qu’au début de la guerre civile. Leur popularité représente un obstacle
par rapport à l’influence de l’élite éduquée.
Partage du pouvoir
L’aristocratie tribale et les élites locales ont été les plus forts soutiens des Accords de Bonn pour la
reconstruction et la démocratisation de l’Afghanistan. Malgré leur volonté de mettre en œuvre des modes de
pouvoirs occidentaux, la vie politique afghane reste animée autour des structures sociales traditionnelles,
héritières des relations de pouvoir préexistantes. Chaque région est dirigée par un gouverneur, un ancien seigneur
de guerre maintenu à son poste ou un nouveau gouverneur nommé par le gouvernement Karzaï. Au niveau
régional, il est titulaire de l’autorité politique qu’il partage avec les mollahs. Ces derniers jouissent d’une réelle
influence sur l’autorité publique en raison de leur forte légitimité populaire, mais ils ne s’y substituent pas. Ils
règlent davantage les problèmes individuels voire privés, tandis que les gouverneurs s’occupent des questions
qui concernent la collectivité par le biais d’audiences publiques. Enfin, les Shura sont des « assemblées de
Sages » qui règlent des problèmes collectifs sociaux (répartitions des terres, distribution de l’eau, …). Elles sont
constituées par l’élection d’anciens de grandes familles. Elles sont de tailles variables, selon les problèmes
traités. Elles existent autant chez les Pachtouns, les Tadjiks, les Ouzbeks etc.
L’aristocratie et les élites locales n’ont pas pu occuper l’ensemble des postes du gouvernement transitoire en
raison de leur légitimité limitée. Deux options étaient envisageables pour compléter le gouvernement : soit une
intervention majeure des forces de la coalition qui a refusé d’accorder un tel soutien, soit une alliance politique
avec les chefs de guerre et les chefs religieux. L’alliance politique incluant les chefs de guerre s’apparente aux
alliances militaires initiées par la coalition pendant l’opération militaire contre les Talibans. Les chefs de guerre
sont intégrés dans la structure étatique, occupant des fonctions diverses, du commandant militaire au ministre.
Néanmoins l’intention du gouvernement transitoire est de tenter d’affaiblir le pouvoir des chefs de guerre. Cet
enjeu est au cœur du processus de construction nationale (« nation-building »). L’objectif est de désarmer les
seigneurs de guerre et de les intégrer dans un espace politique qui garantisse le pluralisme dans un contexte
pacifié.
Les outils à la disposition du gouvernement de Karzaï
Prendre de telles décisions comporte un certain risque et le succès de ces mesures dépend essentiellement des
ressources que l’Etat aura à sa disposition. Dans certains cas, le gouvernement a osé imposer ses réformes :
Karzaï a su se débarrasser de Ismaël Khan, seigneur de guerre tadjik, ex-gouverneur de Hérat, et le remplacer par
un de ses hommes. Cette manœuvre a été possible parce que Ismaël Khan exerçait un pouvoir despotique, il
manquait donc de légitimité populaire, et parce qu’il lui a semblé que le poste dans un ministère que lui
proposait Karzaï était plus pérenne dans l’Afghanistan qui s’organise. Une autre réalité tient au fait que Ismaël
Khan déplaisait aux Américains pour ses liens avec l’Iran ; ils ont donc consacré les moyens nécessaires à lui
faire quitter son poste.
Dans d’autres cas comme celui de Rachid Dostom, chef de guerre ouzbek du Nord du pays (Mazar-é Sharif),
toute tentative par le pouvoir de Kaboul de le récupérer sera vouée à l’échec : Dostom est fort d’une légitimité
ethnique (la région est peuplée de façon homogène d’Ouzbeks) et il ne peut être remplacé par un homme
parachuté de Kaboul. Il est à la tête d’une région riche en hydrocarbures. Enfin, soutenu par l’Etat ouzbek voisin,
1
Giustozzi, Antonio « Good State vs. Bad warlords ? A critique of State-building strategies in Afghanistan », Working paper
no.51, Crisis States Programme of the London School of Economics, October 2004.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
allié de Washington depuis l’automne 2001, il est assuré de la protection des Américains. Du coup il a obtenu
que ses milices soient intégrées à l’Armée afghane en formation.
La province de Khost présente un troisième cas de figure où le pouvoir central a échoué à remplacer le
gouverneur et a dû le maintenir en place et négocier avec lui.
Bien que cette dynamique ait été amorcée, il faudra des années pour que le gouvernement national de Kaboul
parvienne à mobiliser assez de ressources, de prestige international et de puissance militaire pour destituer des
seigneurs de guerre de leur pouvoir 3 .
Compte-tenu des ressources très limitées de l’Etat afghan pour procéder à cette centralisation du pouvoir, il a fait
le choix d’un « Etat féodal » en cooptant les chefs de guerre au sein des structures de l’Etat et de remplacer
progressivement la relation patron / client en un rapport d’allégeance à l’Etat 4 . Ainsi en novembre 2002,
l’administration Karzaï a purgé une partie de son personnel qui était subordonné à différents seigneurs de guerre
pour porter atteinte aux habitudes clientélistes qui sont au cœur de l’exercice de leur pouvoir et saper la base de
leur pouvoir. En décembre 2002, le gouvernement a interdit aux seigneurs de guerre de cumuler les fonctions de
chef militaire et de chef politique, dans le but avoué de dépolitiser les forces armées.
L’Etat féodal présente certains avantages notamment celui d’une alternative plus pratique à l’Etat fédéral ou
décentralisé dans lequel la faiblesse de l’Etat central serait renfermée dans la Constitution et ainsi rendue
permanente.
EN PERSPECTIVE…
La question du choix fait par le gouvernement de coopter les chefs de guerre reste matière à débat. Outre la
position du pouvoir militaire qui s’aligne sur la position du gouvernement, on peut s’interroger sur les positions
de l’opinion publique afghane sur cette question. Deux analyses divergent. La première avance que les Afghans,
après autant d’instabilité et de violences, se sont tournés vers les solidarités primordiales que sont les clans, les
tribus et les ethnies 5 . Cette analyse est contrée par une autre, issue de l’expérience de terrain 6 , selon laquelle les
Afghans n’ont plus confiance dans leurs anciens dirigeants – les chefs de guerre – et se tournent vers la
représentation parlementaire. Ce revirement d’attitude s’expliquerait par la grande lassitude ressentie par les
populations à l’égard du pouvoir autoritaire exercé par les chefs de guerre qui les prennent souvent en otage et
s’enrichissent à leurs dépens.
3
Ignatieff, Michael, Empire Lite, Nation Building in Bosnia, Kosovo and Afghanistan, Vintage, London, 2003 : 84.
Giustozzi, Antonio, Op. Cit.
5
Carnegie Endowment for Peace Afghanistan and Beyand : The challenges of Reconstruction, Conference held in January
17, 2002 www.carnegieendowment.org/events
6
Guy Caussé, Médecins du Monde, entretien mai 2005.
4
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Russie
L‘émergence d’un pouvoir central
Les relations civilo-militaires au sein du pouvoir
POUVOIR POLITIQUE, ARMEE, STRUCTURES DE FORCE INTERIEURES, DICTATURE DE LA FORCE, INSECURITE,
RECONSTRUCTION POLITIQUE DE L’ETAT, EXERCICE DU POUVOIR, NATIONALISME, ORDRE
Les relations entre le pouvoir et l’armée
Tradition soviétique
Pendant l’ère soviétique, la hiérarchie militaire et les dirigeants communistes au pouvoir entretenaient une
forte collusion. Les ministres de la Défense du gouvernement étaient souvent choisis parmi les généraux qui
entamaient une carrière politique après s’être distingués sur le terrain militaire. Depuis Staline, la structure
militaire était l’instrument principal d’imposition de la politique étrangère russe, sur ses pays satellites
(Hongrie en 1956, Tchécoslovaquie en 1968) comme sur les Etats périphériques (Afghanistan 1979-89).
Déliquescence de l’armée russe
L’Armée rouge a vu son rayonnement international se réduire depuis Brejnev qui a sclérosé l’administration
et les rouages du pouvoir soviétique, parmi lesquels l’armée. A partir de 1989, l’armée russe a subi une
succession de revers qui ont irrémédiablement sapé sa légitimité militaire et politique : le retrait
d’Afghanistan, la chute de l’empire soviétique, la fin du Pacte de Varsovie, l’échec de la première guerre en
Tchétchénie et l’entrée des anciens pays satellites dans l’OTAN. Parallèlement à ces évolutions structurelles,
l’armée doit faire face à de graves problèmes internes liés à la conscription, au retard du paiement des soldes,
à une violence omniprésente ainsi qu’au délabrement matériel des infrastructures et de l’armement.
Contexte particulier du pouvoir russe
Depuis l’éclatement de l’URSS, le pouvoir politique est surveillé de près et orienté par les oligarques qui
intronisent officieusement les dirigeants politiques qui leur sont favorables. Sans tradition démocratique en
Russie, la démocratie peine à s’affirmer comme régime politique. Les personnalités politiques au pouvoir ont
tendance à mettre en œuvre une « dictature de la force », héritée du tsarisme et de la période soviétique.
La version de Poutine
Disqualification progressive de l’armée traditionnelle au profit des structures de force intérieures
Lors de son accession au pouvoir en 1999, Vladimir Poutine a offert aux militaires leur revanche sur le retrait
de Tchétchénie en 1996. Les accords de Khassaviourt avaient mis fin au premier conflit tchétchène de 1994 à
1996. En avril 2002, le président proclame la fin officielle des opérations militaires pour le second conflit et
le transfert du contrôle de la situation aux ministères de la sécurité intérieure : police, renseignement, FSB
(successeur du KGB), forces spéciales d’intervention… qui forment les structures de force intérieures.
L’équipe dirigeante du Kremlin est désormais composée à plus de 77% de représentants de ces structures de
force dont le président Poutine est lui-même issu (lieutenant colonel du KGB). Au niveau politique comme
sur le terrain militaire, l’armée traditionnelle a été progressivement disqualifiée puis remplacée par les
structures de force intérieures. La pénétration de ces dernières dans la sphère politique opérationnelle est
particulièrement forte et témoigne d’une conception dirigiste du pouvoir, incarnée par les concepts de
« démocratie dirigée », de « dictature de la loi » ou de « verticale du pouvoir » qui fleurissent dans la
rhétorique du président Poutine.
Cette valorisation des structures de force sur le plan politique et sur le territoire russe s’accompagne d’un
renforcement budgétaire des forces armées et de la puissance nucléaire (hausse de 3,4 milliards de dollars en
2004). Si l’armée reste titulaire des infrastructures et de l’armement nucléaire, les structures des forces
intérieures jouissent d’une influence croissante sur divers domaines de l’espace public russe qui dépassent le
cadre de leur mission originelle, strictement sécuritaire.
Une évolution à la faveur de la société
« A l’ère des incertitudes, des frustrations, de la fracture entre la société et le pouvoir et du sentiment
d’insécurité généralisé succède une dynamique de consolidation sociale et nationale. » 1 .
1
Tchétchénie, une affaire intérieure ?, Anne Le Huérou, p.117-118
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Actuellement, ce sont les valeurs de fermeté, d’intransigeance, de rectitude incarnées par les officiers du
FSB, qui trouvent un écho populaire dans la société russe. Cette dernière exprime une grande confiance dans
les valeurs tchékistes 2 auxquelles le président se dit fidèle.
« La réelle popularité de Vladimir Poutine, au moins jusqu’à sa réélection, était fondée sur une image
d’homme fort : dans leur immense majorité, les Russes aspirent à la stabilité.» 3 . C’est principalement sur
cette image, confirmée par les décisions intransigeantes et la fermeté du président notamment sur la question
tchétchène, que Poutine a alimenté sa popularité exceptionnelle, maintenue pendant son premier mandat, audessus des 70% d’opinion favorable. « Le président Poutine a pu constater que l’intransigeance sur la
Tchétchénie est payable électoralement. » 4
Enjeu stratégique du second conflit tchétchène
Dans son projet politique de reconstruction de l’Etat russe, Vladimir Poutine s’appuie sur les représentants de
l’ordre, par la reprise en main de l’armée déliquescente et la multiplication des services de renseignements et
de police. Il a fait le choix de mobiliser ces réseaux d’influence dont il est familier. Dans ce contexte,
l’opération antiterroriste menée en Tchétchénie depuis 1999, offre au Kremlin le support de réintroduction
des structures de force au cœur de l’exercice du pouvoir politique. Outre la valeur historique de la force dans
l’histoire russe, de l’empire à la fédération soviétique, le déroulement concomitant de la seconde guerre
tchétchène avec la présence de l’équipe de Poutine au pouvoir, a contribué à généraliser et à légitimer des
valeurs sécuritaires.
La reconstruction politique de l’Etat par Vladimir Poutine s’accompagne d’un endoctrinement nationaliste de
la population. En désignant le bouc émissaire tchétchène comme l’ennemi commun des Russes, le Kremlin
ravive la culture de la peur à l’encontre des terroristes islamistes. Présenté comme collectivement responsable
des menaces qui pèsent sur la Russie, le peuple tchétchène fait l’objet d’une stigmatisation raciste. Le second
conflit tchétchène participe de cette construction propagandiste et renforce ainsi la légitimité des mécanismes
de contrôle sur l’ensemble du territoire russe.
La confrontation militaire entre Russes et combattants tchétchènes a cédé la place à un contrôle russe effectué
par des services d’ordre internes. Or, la logique policière régente tous les aspects de la vie quotidienne. On
brouille alors les repères entre privé et public, entre politique et civil, on « totalitarise » l’action de l’Etat.
Dérive conséquente, on observe un continuum entre les exactions d’extrême violence perpétrées en
Tchétchénie et la radicalisation des forces de l’ordre et de la société dans le reste du pays.
EN PERSPECTIVE…
Anna Politkovskaïa 5 expose, à travers quelques témoignages dramatiques de violences commises sur les soldats,
les fonctionnements de l’Armée russe où règnent le désordre, l’injustice, l’abus de pouvoir et la torture dans la
plus grande impunité. Les soldats sont considérés comme des esclaves ; ils peuvent être une source d’argent pour
les officiers qui vendent leurs services ou bien un défouloir quand ceux-ci s’ennuient trop et que l’alcool ne
suffit plus. Les soldats souffrent de malnutrition et peuvent mourir d’infections bénignes sous les yeux de leurs
officiers. Aucun mécanisme de contrôle ou de soutien n’existe. L’auteur décrit l’armée comme un système clos
sur lequel les pouvoirs publics civils n’ont aucun contrôle. Eltsine avait bien tenté d’humaniser l’armée par la
promotion des libertés démocratiques mais, dès son élection, Poutine a voulu « la renaissance de l’Armée » en
donnant encore plus de pouvoir aux états-majors.
Comment développer la démocratie quand un corps de l’Etat connaît un fonctionnement aussi brutal? Comment
justifier les dépenses publiques pour une administration aussi terrifiante pour ses citoyens ? Le mépris témoigné
à l’égard des nouvelles recrues, un véritable « matériel humain » cible de toutes les humiliations, et l’impunité
dans laquelle il est exercé développe une relation plus globale de méfiance de la population à l’égard de l’Etat en
général et de l’appareil judiciaire en particulier. Enfin, l’isolement, du fait de l’absence totale de regard de
l’extérieur sur les agissements de l’Armée, risque d’ouvrir la voie à l’insurrection interne et au conflit. Déjà les
cas de mutineries existent. Le contrôle parlementaire et civil des forces armées est reconnu comme une précondition à la paix et la sécurité 6 .
2
La Tchéka est l’ancêtre du KGB.
« Comprendre Vladimir Poutine », Thierry de Montbrial, Le Monde, septembre 2004
4
Tchétchénie, la guerre jusqu’au dernier ? Olivier Roy, p.194
5
La Russie selon Poutine, Buchet-Chastel, 2005.
6
Voir à ce sujet les publications du Democratic Control of Armed Forces (DCAF), Genève.
3
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Bosnie-Herzégovine
L’émergence d’un pouvoir central
Communautarisme, démocratie et Etat
COMMUNAUTES, APPARTENANCE COMMUNAUTAIRE, CLOISONNEMENT,
NATIONALISMES, IDENTITE BOSNIAQUE, MILLET, KOMSILUK, MAHALLA
DISTINCTION, CITOYENNETE, DEMOCRATIE,
La Bosnie-Herzégovine est souvent décrite comme une terre de rencontres et un carrefour de civilisations. La
réalité de ces communautés et des relations qu’elles entretiennent est fort complexe : issues de confrontations
militaires et de conversions religieuses, ces communautés coexistent dans la tolérance et la peur, parfois même
la haine.
Les difficultés actuelles de l’émergence de la démocratie puisent leur origine dans l’organisation sociale et
politique en communautés, dans laquelle la citoyenneté ne trouvait pas de place. De 1910 à 1990, les élections
ont chaque fois donné la victoire aux partis nationalistes.
La domination ottomane
La première période de la domination ottomane a été marquée par une grande fluidité des appartenances
confessionnelles : les statuts sociaux ne coïncidaient pas encore avec les appartenances confessionnelles.
C’est au milieu du XVIIIe siècle, lorsqu’une certaine sclérose s’empare de l’empire ottoman, que les
frontières communautaires se rigidifient. Les populations chrétiennes sont organisées en millet, des
communautés religieuses bénéficiant d’une large autonomie interne, ce qui a coïncidé avec la détérioration de
leur statut économique. Les millet déterminaient les questions d’ordre juridique (régimes fiscaux, juridictions
propres), et correspondaient dans les villes à des quartiers (mahalle) et des corporations, et dans les
campagnes, ils recoupaient les oppositions socio-économiques. Cette fermeture des communautés s’est
perpétuée au-delà de la domination ottomane puisque, 30 ans après, en 1910, 91% des propriétaires terriens
étaient encore musulmans et 95% des serfs étaient orthodoxes et catholiques.
Les millet ont été institutionnalisés au XIXe siècle. Désormais, les mobilisations communautaires cherchent à
tenir l’Etat à distance contrairement aux nationalismes que connaît l’Europe orientale à la même époque qui
placent l’Etat au centre de l’ordre politique. Les musulmans comme les Serbes s’opposent au renforcement
du rôle de l’Etat. Cette modernisation politique, économique et culturelle explique la lente transformation des
identités et des rapports communautaires ; les nationalismes serbe et croate progressent, portés par les élites
commerçantes et administratives en plein essor, malgré la volonté de l’empire ottoman de les contre-carrer en
encourageant l’émergence d’une identité bosniaque englobante. La communauté musulmane se mobilise
autour de ses élites religieuses et terriennes, et de revendications d’autonomie culturelle et religieuse, sorte de
millet inversé.
Le komsiluk est le principe organisateur des relations de voisinage entre les communautés. C’est un système
de coexistence quotidienne, fondé sur l’entraide et l’invitation. Il agit comme un mécanisme de réassurance
quotidienne, plus qu’une véritable tolérance. Son caractère stable se traduit par « chacun chez soi, chacun à
sa place ». L’Etat en est le garant, s’il cesse de remplir cette fonction, le komsiluk qui était recherche de la
sécurité par la réciprocité et la paix devient crime, recherche de la sécurité par l’exclusion et la guerre. Le
komsiluk est mitoyenneté et non intimité, il s’oppose aux mariages mixtes (seul fait des élites urbanisées) ; il
repose sur une réaffirmation constante des appartenances communautaires (ethniques et religieuses) ce en
quoi il représente l’inverse de la citoyenneté.
Le début du XXe siècle
L’empire austro-hongrois favorise la structure communautaire dès son arrivée : il privilégie les élites
catholiques sur le plan économique, préserve les privilèges agraires des élites musulmanes en échange de leur
loyalisme ; sur le plan politique, il accorde l’autonomie culturelle et religieuse aux communautés serbe et
musulmane. L’introduction du parlementarisme - une constitution provinciale de 1910 institue un parlement
bosniaque élu au suffrage censitaire - va de pair avec l’institutionnalisation du communautarisme : les partis
politiques nationaux font leur apparition. Des coalitions d’intérêt se constituent alors entre les différentes
communautés et la communauté musulmane joue un rôle intermédiaire et pendulaire dans la rivalité serbecroate.
87
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
La première guerre mondiale, tout en bouleversant les équilibres économiques et politiques entre les
communautés, ne remet pas en cause immédiatement le communautarisme. Progressivement toutefois, le
communautarisme entre dans une grave crise : les populations serbes et croates sont de plus en plus liées à
Belgrade et Zagreb et le conflit entre elles s’envenime. Parallèlement, le déclin des élites musulmanes
traditionnelles nourrit une crise identitaire et la communauté se réfugie dans l’indétermination nationale et le
yougoslavisme tactique. Cette crise atteint son paroxysme lorsque le Premier ministre serbe de la BosnieHerzégovine et le dirigeant du parti croate s’entendent sur un partage territorial de la province. En 1941, son
annexion par la Croatie fait éclater un conflit d’une rare intensité. L’effacement du communautarisme devant
les nationalismes territoriaux et exclusifs se double de désagrégation interne de chaque communauté.
Période communiste
Tito parvient à gagner le soutien des populations de Bosnie-Herzégovine par sa capacité à capter les
revendications agraires et à reproduire la structuration communautaire. Le rapport des communistes au
communautarisme, dès 1945, est ambigu : le pouvoir s’attaque aux structures religieuses et communautaires
moins pour mettre fin à cette structuration que pour la placer sous son contrôle exclusif. Le phénomène est
illustré par la reconnaissance des nations macédonienne, monténégrine et musulmane. Ainsi, le projet
yougoslave loin de conduire à une fusion révolutionnaire des peuples a renforcé les identités nationales, voire
les a cristallisées, puis à la résurgence de pratiques communautaires et des idéologies nationalistes.
Les idéologies modernes telles le « nationalisme » se sont donc adaptées et greffées sur le système des millet
ottomans. Ce fut le cas tout particulièrement de la religion chrétienne orthodoxe qui a amalgamé les deux
facteurs de façon cohérente dans le cadre des Eglises nationales respectives (grecque, serbe, bulgare) ce qui
présente une grande différence par rapport aux religions universelles comme le catholicisme et l’islam.
La résurgence du communautarisme s’explique également, à l’époque yougoslave, par des déséquilibres
socio-économiques causés par une industrialisation et une urbanisation rapides entre le Nord et le Sud, entre
les communes urbaines insérées dans le développement économique et les communes rurales marginalisées.
A la mort de Tito, on assiste à la conversion nationaliste des frustrations d’ordre économique et politique
(crise économique, épuisement de l’idéologie communiste). Enfin, une nouvelle élite économique et
scientifique née de la modernisation conteste la légitimité d’une idéologie et d’élites politiques issues du
mouvement des partisans. Cette confrontation réactive d’anciennes rivalités entre communautés nationales.
Ce système, à cause de la différence de traitement entre les populations musulmanes et non-musulmanes, a
provoqué des contentieux très lourds qui ne sont pas effacés puisqu’ils ont été instrumentalisés par la suite et
à maintes reprises. Le communautarisme n’est cependant ni immuable ni incontesté, les aspirations
citoyennes et démocratiques existent.
EN PERSPECTIVE…
Quelle gestion politique de la pluriethnicité ?
Le caractère multiculturel de la Bosnie-Herzégovine a parfois été idéalisé alors que ses modèles – komsiluk et
mahalla – expriment le cloisonnement de ses communautés dans la mesure où ces principes organisateurs se
définissent sur l’identité distincte de ses membres et où les relations qu’elles entretiennent sont guidées par cette
même distinction, dans une juxtaposition et non leur mélange (méfiance vis-à-vis des mariages mixtes).
Un certain nombre de situations révèlent les relations encore lourdes de contentieux entre les communautés :
- la question encore non-résolue du retour des personnes réfugiées et déplacées
- les lancinantes accusations de la part d’individus ou d’institutions qui ne peuvent maîtriser leurs
émotions
- le dédoublement des institutions et le caractère surdimensionné de l’appareil étatique et bureaucratique :
l’Etat bosnien possède 3 armées (une pour chaque entité), 13 Premiers ministres, 180 ministres, 760
législateurs et 1200 juges et procureurs
- l’obstructionnisme pratiqué par les représentants des 3 « peuples constituants » :
L’Etat bosnien est extrêmement décentralisé. Les Chambres de l’assemblée parlementaire et de la
présidence sont basées sur le principe de la représentation ethnique, ainsi les blocs nationaux s’opposent
et conduisent à la stagnation du processus législatif. L’obstructionnisme (de 1995 à 2002 ) consiste dans
la protection des structures gouvernementales créées pendant la guerre afin d’empêcher la création de
structures étatiques bosniennes et le renforcement de l’Etat central et de ses responsabilités
88
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
(citoyenneté, administration des douanes etc.) et les concrétisations de son existence (drapeau, monnaie
commune etc.).
Pour lutter contre l’obstructionnisme, le Haut Représentant recourt à divers moyens de pression
(conditionnalité économique, recommandations de mesures contraignantes, décisions exécutoires,
destitution des obstructionnistes). Dans cette surenchère des pouvoirs du Haut Représentant, la BosnieHerzégovine est devenue un quasi-protectorat. Les institutions gouvernementales fonctionnent mais
elles ne sont pas autonomes. La destitution des individus ne permet pas d’éliminer le nationalisme ni les
prétentions étatiques bosno-serbes et bosno-croates.
En réalité deux conceptions de l’Etat bosnien s’affrontent : celle de la communauté internationale et
celle des autorités en place comme le montre la position défendue devant la Cour constitutionnelle par
les représentants de la République serbe (Srpska Respublika)et de la Fédération en septembre 2000 :
l’égalité des 3 peuples constituants ne s’applique qu’au niveau de l’Etat et pas au sein des entités.
Finalement, la Cour décide de l’égalité entre les 3 peuples au sein des deux niveaux de l’Etat, entités et
Fédération.
Rares sont ceux qui dans les 3 peuples se considèrent comme citoyens bosniens. La priorité reste toujours à
l’appartenance ethnique et locale ; on est de tel village ou au mieux de telle ville, tant le pays est morcelé. En
conséquence, plutôt que de rêver à la construction d’un Etat-nation totalement étranger à l’histoire de cette
région, il vaudrait mieux moderniser et revitaliser l’organisation traditionnelle du pays en collectivités locales,
souvent mono-ethnique, et régler les relations de voisinage sur la base de projets économiques ou sociaux
d’intérêt mutuel.
BIBLIOGRAPHIE
Batakovic Dusan T, Institut des Etudes balkaniques, Académie serbe des Sciences et des
Arts, Belgrade, « La Bosnie-Herzégovine : le système des alliances ».
Bougarel Xavier, Bosnie. Anatomie d’un conflit, Coll. Les dossiers de l’état du monde, Paris,
1996.
Bougarel Xavier, « Etat et communautarisme en Bosnie-Herzégovine », Cultures et Conflits.
Solioz, Christophe et Dizdarevic, Svebor André, La Bosnie Herzégovine. Enjeux de la
transition, L'Harmattan, Paris, 2003.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
PECO
L’émergence d’un pouvoir central
Les droits collectifs, l'Etat et les organisations européennes
MINORITES, PROTECTION, INTEGRATION, SEGREGATION, COMMUNAUTES, MULTICULTURALISME, DEMOCRATIE
La politique européenne de protection des minorités a évolué, de 1992 à 1998, de la promotion de l'intégration
à celle de la ségrégation linguistique, prônant les droits collectifs et favorisant l'avènement de modèles d'Etats
ethniques (Hongrie, Roumanie). Cette conception vise à prévenir les conflits entre les communautés mais en
réalité, elle va à l'encontre du multiculturalisme, base de la démocratie et de l'Etat de droit.
Pression dans la perspective de l'adhésion
La question de la « protection des minorités » est devenue dès le Conseil européen de juin 1993 à
Copenhague la principale condition politique de l'adhésion à l'Union européenne. Les accords d'association
conclus à partir de 1993, mentionnent dans le préambule, le « respect des droits de l'homme, y compris les
droits des minorités ». Puis à partir de 1998, la Commission européenne durcit ses exigences, et impose de
nouvelles conditions qui ne figurent pas dans les accords d'association ni dans les critères de Copenhague.
Ces nouvelles exigences sont désormais contraignantes juridiquement puisqu'elles servent de base au
partenariat d'adhésion. L'Estonie nous donne une bonne illustration : le gouvernement estonien, sous pression
de la Commission européenne, a modifié sa législation sur l'enseignement primaire et secondaire qui se fait
maintenant à 60% en estonien et à 40% dans une langue minoritaire. Pourtant, la Commission juge toujours
défavorablement cette loi, estimant que l'exigence d'une connaissance minimale de la langue nationale est un
obstacle à l'exercice des droits politiques de la communauté non-estonienne et à l'établissement de sociétés
communautaires.
Les objectifs d'une meilleure intégration linguistique sont délaissés pour lui préférer une ségrégation
linguistique. La Slovaquie et la Roumanie ont subi les mêmes pressions : la Commission demande une
scolarisation en fonction de l'appartenance ethnique, soit une ségrégation de facto fondée sur critères
linguistiques. En Roumanie, où les Hongrois ont la possibilité de passer des diplômes sans connaître le
roumain, la Commission exige une université germano-hongroise. Ses exigences ont été réitérées en 2001.
Des principes juridiques en évolution
Les textes fondateurs de la protection des minorités (la Convention des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales du Conseil de l'Europe, ratifié en 1950) posent le principe du caractère universel des droits de
l'homme. Depuis les années 1990 et dans la recherche d'une meilleure protection des minorités, des droits
collectifs ont été accordés (Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 1992 et Conventioncadre sur la protection des minorités nationales, en 1995).
L'OSCE est devenue le fer de lance de l'instauration d'un nouveau système pour les minorités : en 1990 est
adopté un document qui définit des règles qui vont au-delà de l'interdiction de discrimination : il prône des
« mesures de promotion positives » en faveur des minorités et le « droit à la participation aux affaires
publiques ». Cette politique tient beaucoup au Haut Commissaire pour les Minorités nationales de l'OSCE,
Max van der Stoel, ancien ministre des Affaires étrangères des Pays Bas, en fonction de 1993 à 2001.
Contrairement aux usages du droit international, son mandat portait sur les droits collectifs : il négociait avec
les représentants des partis et des organisations. Sa vision élève au rang de modèle l'Etat national d'une
communauté fondé sur la langue et l'appartenance à une ethnie. La démocratie et la légalité ne sont plus
considérées comme des principes transcendants de toute société pluriethnique. Le Haut Commissaire n'exige
pas l'intégration et l'éducation dans l'intérêt des minorités mais défend l'instauration de systèmes d'éducation
parallèles ce qui met à mal les chances des minorités de participer plus souvent au fonctionnement de la
société dans son ensemble. Sans acquisition de connaissances de base de la langue officielle, les minorités ne
peuvent plus prétendre participer aux affaires publiques.
En Hongrie, le gouvernement, qui affiche de la bienveillance pour les thèses nationalistes (revendication de
restitution de territoires limitrophes, révision des frontières), est pourtant cité par le Haut Commissaire
comme l'exemple à suivre en matière de politique des minorités. Sa politique en direction des minorités
empiète même sur les systèmes sociaux : une loi votée en 2002 prévoit que toutes les personnes vivant dans
un autre pays et se réclamant de l'appartenance à l'ethnie hongroise peuvent demander un document d'identité
hongrois et recevoir des aides financières si les familles envoient au moins deux enfants dans les écoles
hongroises.
91
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Droits collectifs et dégradation insidieuse de l'Etat :
En Roumanie, la Transylvanie compte 1,6 million de Hongrois qui bénéficient d'enseignement dans leur
langue maternelle. Cette communauté revendique pourtant
l'ouverture d'une université publique de langue hongroise,
que le hongrois soit reconnu comme 2e langue officielle de la Transylvanie,
que la nation hongroise soit reconnue comme composante du peuple roumain plurinational et
une autonomie territoriale.
En Bulgarie, la minorité turcophone représente 800.000 personnes, soit 10% de la population totale. La
constitution protège les minorités dont la langue maternelle n'est pas le bulgare :
elles ont le droit d'apprendre et d'utiliser leur propre langue,
elles jouissent de la liberté de culte,
l'assimilation forcée est interdite (il s'agit de prévenir la répétition de scénarios mis en place par
les régimes précédents).
Pourtant, les représentants de la communauté turque jugent ces dispositions insuffisantes. Ils exigent un
système éducatif séparé et le statut de 2e composante de la nation bulgare.
En Macédoine, la minorité albanophone compte pour 23% de la population mais elle revendique 40% en
comptabilisant les Albanais du Kosovo réfugiés depuis les 10 dernières années. Là aussi les critiques des
droits accordés aux minorités sont infondées. La Commission Badinter de l'UE en 1991 juge que le pays
protège suffisamment leurs minorités (le même jugement est porté sur la Slovénie). Depuis l’indépendance,
les Albanophones revendiquent un système éducatif réservé exclusif avec une université et reçoivent la
bienveillance du Haut Commissaire de l'OSCE. Ce dernier a conclu un compromis avec le gouvernement
macédonien sur la reconnaissance d'une université albanaise privée. Les albanophones officiels du
gouvernement exige la révision de la Constitution et l'octroi du statut de national participant effectivement
aux affaires publiques.
On assiste, dans tous ces pays, à une ethnicisation rampante du système politique, des sociétés et donc des
relations, qui conduit à des ethnocraties : ce n'est plus un Etat de droit démocratique où les élections garantissent
une alternance mais où les représentants des différents groupes se répartissent les sphères d'influence politique et
économique.
La désintégration de l'Etat est une autre conséquence de ces politiques :
• L'Etat est dépossédé de ses missions quand l'enseignement, revendiqué dans des langues minoritaires et dans
des systèmes parallèles, est pris en charge par des acteurs privés.
• Des pans entiers des populations nationales – les minorités – se tournent de plus en plus vers le pays voisin
où ils sentent que se trouvent leur patrie, au point d'y envisager leur avenir puisqu'ils renoncent à maîtriser la
langue officielle, en revendiquant un enseignement dans leur langue minoritaire.
Les principes sous-jacents à ces politiques ne permettent pas d'apporter des solutions aux conflits mais semblent
au contraire les entretenir. Dans ce contexte de transition difficile, les organisations criminelles ont moins que
quiconque intérêt à la résolution des conflits et profitent ainsi de l'ethnicisation de la politique.
C'est aussi une marque de l'abandon de la culture pluriethnique séculaire du Sud de l'Europe et la destruction du
multilinguisme.
Ainsi les récentes tensions inter-ethniques dans le Sud et dans le centre de l'Europe de l'Est ne sont pas le fait
d'insuffisances en matière de droits des minorités mais de l'introduction de nouveaux droits collectifs pour les
« minorités nationales ». Pourtant, les institutions européennes ne se sont toujours pas entendues sur une
définition de « minorité nationale ».
Pour une stabilisation politique et une réelle amélioration de la protection des minorités, l'UE devrait :
• définir un concept global de protection des minorités, gouverné exclusivement par le critère d'intégration des
minorités,
• veiller à préserver le multilinguisme traditionnel,
• définir le concept de nation qui pose comme postulat l'égalité de tous les citoyens et le caractère universel
des droits de l'homme.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Sans cela il apparaît impossible de cohabiter et de bâtir une société démocratique.
EN PERSPECTIVE …
Pierre Hillard, spécialiste de l’Allemagne, s’inquiète des revendications identitaires qui se font jour et de la
nature fédérale ethno-régionaliste de la construction européenne 1 . Sa mise en œuvre repose sur des documents
déjà en vigueur (La Convention-cadre pour la protection des minorités et la Charte des langues régionales et
minoritaires, 1998). A l’origine de ces textes, un ouvrage (Ethnos 46) écrit par des juristes allemands et
autrichiens, et un organisme financé par le ministère de l’Intérieur allemand, l’Union Fédéraliste des
Communautés Ethniques Européennes (UFCE). L’objectif est de promouvoir l’émergence de groupes ethniques
à qui sont attribués des droits. L’auteur voit ici une influence de l’idéal pangermaniste du XIXe siècle « dégager
le substrat ethnique de sa gangue étatique avant de procéder à de nouvelles combinaisons ».
Enfin la Charte des droits fondamentaux, signée au sommet de Nice en décembre 2000, confirme à ses yeux
l’ethnicisation de l’Europe qui n’a plus besoin que d’un cadre politique, le fédéralisme. Il permettrait
l’épanouissement de « régions-Etats » qui seraient en lien direct avec les institutions européennes et passeraient
au-dessus de l’autorité des Etats nationaux. L’auteur s’inquiète d’un retour aux temps des empires que
provoquent ces bouleversements « tribaux ». Il craint enfin que les rivalités inter-ethniques liées aux intérêts
économiques risquent de conduire à la dislocation du corps européen.
Cette opinion personnelle doit en effet conduire à une réflexion sur la nature des relations entre les institutions
européennes et les entités locales, les régions ou les Etats : à quelle(s) identité(s) donnera lieu ce système ? A-t-il
de meilleures chances de créer une identité européenne ou de morceler les identités ? L’identité étant un concept
dynamique, elle sera forcément teintée d’une multitude d’identités : seront-elles régionales ou nationales ? Le
défi de l’Union européenne n’est-il pas d’instaurer une identité européenne qui pallie les difficultés d’apparition
d’identités nationales, notamment en Europe centrale ?
1
« La décomposition des nations européennes. De l’Union euro-atlantique à l’Etat mondial » éd. François-Xavier de Guibert,
2005.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Afrique du Sud
L’émergence d’un pouvoir central
Mandela et De Klerk : d’adversaires à alliés
AFRIQUE DU SUD, NEGOCIATIONS, ELECTIONS, PARTAGE DU POUVOIR, LEGITIMITE
En Afrique du Sud, à la fin des années 80, le National Party (NP) et l’ANC arrivent à la même analyse : la
situation est nuisible aux deux côtés ; seules les négociations représentent une meilleure alternative. Les portesparole, de Klerk et Nelson Mandela, tout d’abord adversaires sur les sujets de négociations, deviennent alliés
pour défendre le processus de négociations, face aux détracteurs qui prônent une solution militaire plutôt que
politique. Cette fiche décrit la quête de pouvoir de chaque parti et retrace les événements concrets qui ont mené
à une convergence des deux partis.
La lutte de pouvoir
La transition du pouvoir, en 1994, est le résultat d’un processus complexe lors duquel les deux partis
cherchent à obtenir le plus de pouvoir pour avoir des meilleurs conditions possibles pendant les négociations.
En 1985, le Parti National, géré par P.W. Botha, soutenait encore l’idée que l’égalité entre Blancs et Noirs
n’était pas possible, voire hors de question. Il concevait quand même qu’une réforme était nécessaire pour
rétablir la stabilité du pays. Il propose alors des négociations à Mandela qui refuse. Pourquoi est-ce que
l’ANC n’a pas accepté l’offre à ce moment-là ? Les conditions des négociations n’étaient pas favorables
parce que les relations de pouvoir étaient encore très asymétriques. L’ANC avait beaucoup moins de pouvoir
que le gouvernement, Mandela était encore en prison et ne pouvait pas discuter avec son parti et ainsi l’unité
du parti n’était pas garantie En plus, l’exigence préalable de négociations de l’ANC n’était pas reconnue :
l’égalité des citoyens sud-africains. S’ils étaient alors entrés en négociation, ils auraient dû accepter un
compromis défavorable à leur cause, ou auraient dû rompre les négociations entraînant ainsi une perte de
légitimité. Le leader de l’ANC, Joe Slovo, décrit les négociations comme « un terrain de lutte qui, en fin de
compte, au delà du processus, dépend de l’équilibre des pouvoirs» 1 . L’ANC a donc choisi de continuer la
lutte pour améliorer sa position de pouvoir. En 1988, de Klerk gagne les élections présidentielles et remplace
P.W. Botha comme leader du Parti National. Il accepte que l’idée de supériorité est insoutenable et se
rapproche des positions de l’ANC. Les partis entrent alors en négociations en tant que partis équilibrés.
Celles-ci durent jusqu’en 1992, au moment où le processus se bloque.
Porteurs de légitimité
A l’arrêt des négociations, les partis opposés aux pourparlers essaient de déstabiliser et de discréditer le
processus et de nouveau, le pays est à la limite de la guerre civile. A ce moment, Mandela et de Klerk
réalisent qu’ils sont autant ennemis qu’alliés et décident de se rapprocher face aux opposants et ainsi
débloquent la situation. La question sur laquelle ils se disputaient était celle du partage du pouvoir et de la
représentation dans le nouveau gouvernement. Ce blocage ne concerne pas seulement l’ANC et le NP, mais
tous les partis. Les deux partis sont confrontés à ceux qui veulent bloquer le processus en les délégitimant.
Pour le NP, ce sont les extrêmes droites qui n’acceptent pas d’être gouvernés par des Noirs. Pour l’ANC, il
s’agit de l’Inkatha Freedom Party (IFP), dirigé par Chief Buthulezi, qui a peur de perdre toute son identité
sous l’ANC, le parti noir majoritaire. L’IFP craint que l’ANC puisse prendre les décisions unilatéralement
dans le nouveau gouvernement.
En 1992, Mandela prend la décision de rompre les négociations et de commencer les actions de masse pour
accroître son poids pendant les négociations. De grandes démonstrations et d’immenses grèves déstabilisent
le pays. La répression policière provoque la mort de 28 personnes lors de manifestations non violentes. La
violence éclate partout. Dans le même temps, l’extrême droite blanche cherche le rapprochement avec l’IFP
et leur fournit des armes pour lutter contre l’ANC. La violence entre l’ANC et l’IFP aboutit à une éruption de
violence pire qu’avant le début des négociations.
Il y avait aussi le problème de la « troisième force ». Cette formule, un peu mystérieuse, est utilisée pour
décrire les attaques par des forces secrètes contre des personnes ou les bâtiments en lien avec l’ANC. Le but
était de provoquer la violence entre les partis noirs pour discréditer l’ANC et augmenter la crédibilité du NP.
1
Africa Communist, 1993:22
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
De nouveau, le gouvernement déclare l’état d’urgence. Bien sûr ces incidents n’ont pas amélioré la relation
entre Mandela et de Klerk. L’excès de violence était un symbole du carnage futur s’ils ne trouvaient pas une
solution ensemble pour la répartition du pouvoir. Et ironiquement, les incidents deviennent la motivation
pour retourner aux négociations. De Klerk et Mandela signent un accord de bonne foi. Le compromis est que
l’ANC accepte de partager le pouvoir avec les Blancs tandis que le NP accepte que la permanence du pouvoir
blanc au gouvernement ne puisse pas être garantie. L’intérêt des deux leaders est d’atteindre au plus vite les
conditions pour des élections au suffrage universel ; ils s’accordent alors pour une date. Le seul obstacle qui
reste entre Mandela et de Klerk est la position de Buthulezi.
EN PERSPECTIVE…
La situation la plus critique lors des négociations, lorsque le niveau de confiance entre de Klerk et Mandala est
au plus bas, a abouti à la transformation du conflit, et ce grâce à une mise en perspective de l’avenir. L’union des
deux hommes s’est réalisée face à l’alliance des ennemis communs.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Russie
L’émergence d’un pouvoir central
Partage du pouvoir : l’appareil d’Etat
PRESIDENT, PARLEMENT, PREMIER MINISTRE, « VERTICALE DU POUVOIR », OLIGARQUES, GOUVERNEURS, ASSEMBLEES
ELUES, MEDIAS INDEPENDANTS, PARTIS POLITIQUES
Spécificité du régime semi-présidentiel russe
Pouvoirs constitutionnels forts du président
Inspirée du régime semi-présidentiel français, la Constitution de 1993 prévoit un régime similaire pour la
Russie. Mais le contexte russe comprend deux différences majeures par rapport au modèle français. D’une
part, les partis politiques russes ne sont pas structurés de manière cohérente, ce qui limite la fonction de
contrôle du Parlement. D’autre part, le président est indépendant des partis, ce qui affaiblit la légitimité de
ces derniers et isole simultanément le président car il ne dispose pas de soutien direct des forces politiques du
Parlement.
Selon la volonté de Eltsine, les pouvoirs attribués au président dans la Constitution sont bien supérieurs au
Parlement. Il peut notamment dissoudre ce dernier s’il rejette par trois votes successifs les candidats au poste
de Premier ministre proposés par le président. En revanche, le Parlement peut voter la défiance à l’encontre
du gouvernement mais si cette procédure est répétée dans une période de trois mois, le président peut alors
dissoudre le Parlement. Afin d’éviter l’abus du recours à la dissolution, des périodes d’interdiction sont
prévues, avant et après les élections présidentielles et législatives. Cette fenêtre n’était que de 11 mois
pendant le premier mandat présidentiel de Eltsine, ce qui a placé le Parlement en position de force.
La Constitution a en outre accordé le droit au président d’intervenir dans tous les domaines de la vie politique
par l’intermédiaire de décrets présidentiels qui ont force de loi.
Restauration de l’autorité étatique par Poutine
La restauration de l’autorité étatique signifie l’affirmation des pouvoirs de l’exécutif central, au niveau
fédéral. Poutine a recherché la soumission des obstacles à l’autorité présidentielle, parmi lesquels il recense
les oligarques, les gouverneurs, mais aussi les assemblées élues et les médias indépendants. L’instauration
d’une « verticale du pouvoir » permet surtout de limiter l’interférence des acteurs extérieurs à la sphère
administrative et affirme le refus des contrepoids et du contrôle démocratiques.
Actuellement, le président russe n’est pas en mesure d’utiliser toutes ses prérogatives constitutionnelles, ce
qui satisfait l’opinion publique russe qui semble préférer une répartition des pouvoirs entre le président et un
Parlement. Le pouvoir du président russe est indéniablement fort mais il n’est pas superprésidentiel.
Faiblesses et limites des pouvoirs législatifs et judiciaires
Le Parlement : caution du Kremlin
Eltsine a toujours vécu des relations hostiles et exacerbées avec le pouvoir législatif, un des moments
culminants étant la procédure d’impeachment qu’il a failli subir en 1999. A l’inverse, Poutine bénéficie d’une
législation plus favorable puisqu’il a institutionnalisé des relations d’interdépendance entre l’exécutif et le
législatif. Il a créé une coalition de partis politiques qui domine le Parlement et dont il s’est assuré la loyauté,
« Unité ». Enfin, il a marginalisé le Parti Communiste.
Contrairement à l’Ukraine où le Parlement a défié l’autorité exécutive lorsque celle-ci a voulu imposer les
résultats de l’élection présidentielle truquée en décembre 2004, la Douma s’est progressivement laissée
déposséder de son pouvoir législatif. Elle est perçue, selon les cas, comme une instance de blocage de la
politique gouvernementale ou comme une Chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif russe. En
outre, elle ne joue pas son rôle d’arène publique car la majorité acquise au président ignore systématiquement
les initiatives proposées par les députés de l’opposition.
Perversion du pouvoir judiciaire
A la fin du premier mandat de Boris Eltsine, un nouveau Code pénal a été adopté mais l’Etat est resté
incapable de châtier les grands criminels. Auparavant, son inertie était justifiée par l’absence de législation
sur la criminalité organisée qui empêchait de poursuivre les véritables commanditaires. L’apathie du système
judiciaire russe pour juger les exactions criminelles perpétrées par les soldats russes en Tchétchénie illustre
également la soumission du pouvoir judiciaire aux impératifs politiques. Après 2 acquittements, le Colonel
Boudanov a été finalement condamné pour le viol et le meurtre d’une jeune Tchétchène. La communauté
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
internationale s’était indigné de l’impunité judiciaire en Tchétchénie et Poutine a cédé sur ce cas pour sauver
une apparence de justice.
Plus récemment, la Cour de justice a été utilisée comme un outil au service des intérêts du Kremlin,
notamment dans l’affaire Ioukos qui a vu la condamnation de Mikhaïl Khodokorvsky ou dans la
condamnation de Valentin Danilov pour espionnage. Ce dernier avait été acquitté par un jury populaire au vu
des faibles charges qui pesaient contre lui. Mais la Cour Suprême a pris l’initiative de contourner
l’acquittement et a ordonné un nouveau procès. Danilov a été rejugé par un jury soigneusement choisi et
condamné à 14 ans de prison. Dans son cas comme dans quelques autres, peu de doutes subsistent sur la
manipulation de ces procès par les services de sécurité de l’Etat pour donner l’exemple et intimider les esprits
subversifs.
Facteurs extra-constitutionnels influant sur le partage du pouvoir
En dépit de ses prérogatives constitutionnelles, Eltsine n’était pas un président fort pour deux raisons
principales. D’une part, il était pris dans un jeu de négociation permanent avec le Parlement, essentiellement
au sujet de la nomination des Premiers ministres. Il a ainsi dû renoncer à imposer Tchernomyrdine pour
remplacer Kirienko en septembre 1998 suite à deux votes de rejet de la Douma. Le contexte électoral aurait
été défavorable à Eltsine en cas de dissolution du Parlement. Il s’est donc résolu à présenter Primakov, le
candidat soutenu par la Douma au troisième vote. D’autre part, Eltsine partageait de facto l’exécutif du
pouvoir avec les grands financiers, les oligarques, les gouverneurs de province, les structures criminelles, les
bureaucrates et les investisseurs étrangers.
Par ailleurs, d’autres facteurs extra-constitutionnels peuvent limiter l’étendue effective des pouvoirs du
président, notamment si le Parlement présente une majorité unie contre le président, ce qui est rare en Russie.
Par ailleurs, bien que cette hypothèse soit prématurée au regard de la société civile peu structurée, la société
russe peut également retirer son soutien au président et provoquer des changements politiques décisifs. Mais
la forte popularité actuelle de Poutine invalide cette hypothèse à court terme.
EN PERSPECTIVE…
Selon l’analyse de Lilia Shevtsova, associée principale de la Carnegie Endowment for International Peace à
Moscou, la classe politique russe peut être fière du système qu'elle a inventé puisqu’il réalise les résultats
escomptés. Le scrutin a joué un rôle important en mettant un terme à l'expérience démocratique libérale.
Le régime de Poutine est un mélange étrange et complexe qui s'appuie sur son pouvoir personnel et le rôle
grandissant des institutions démocratiques consolidantes. C’est la tension entre ces deux forces qui gouverne la
dynamique politique.
Pour compliquer davantage la situation, Poutine représente la force la plus pro-occidentale de la Russie tandis
que la machine administrative demeure conservatrice, traditionnelle et archaïque.
L’analyse de la " KGBisation " du pouvoir est trop simpliste. Les Siloviki, les représentants tristement célèbres
des structures de pouvoir et de sécurité, ne se sont pas unis en un groupe cohérent et n'ont pas consolidé leur
autorité. Ils n'ont ni chef ni programme et n'ont pas réussi à prendre le pouvoir lors du premier mandat de
Poutine. Au cours des années à venir, d'autres forces auront plus de chances de consolider leur pouvoir et les
siloviki leur serviront uniquement de garde prétorienne.
L’autoritarisme doux de Poutine constitue sans doute désormais la plus grande menace qui se pose à une
démocratisation poussée en Russie. Paradoxalement, du fait que le leadership « fort » de Poutine intègre des
libéraux, voire même des démocrates, afin de préserver une façade pro-occidentale, une opposition réellement
libérale ne peut pas émerger. Par opposition, une main de fer véritablement répressive aurait davantage de
chances d'inciter à une résistance démocratique plus puissante. Seul un scénario relativement sinistre se dégage
pour l'avenir, celui d'une dictature authentique à part entière, reste à savoir si elle s'apparentera à celle de
Pinochet (modernisation économique) ou à une dictature dotée d'une idéologie totalitaire ressuscitée.
Seul au pouvoir, Poutine est responsable de tous les échecs ; aucun gouvernement derrière lui ne peut endosser
cette responsabilité. Or l'échec constitue le plus sûr moyen de perdre toute légitimité. Dans l’hypothèse d’une
division de la classe politique, il sera difficile de trouver un seul candidat à la succession de Poutine, en tout cas,
aucune force politique en Russie ne sait comment résoudre les défis créés par « l'autoritarisme doux ».
La Russie n'a jamais réussi aucune transformation, quelle qu'elle soit, en temps de paix. Les changements sont
introduits par les guerres et les conflits nationaux. Pour tous ceux qui souhaitent une Russie démocratique et
libérale, le dilemme est terrible car délégitimer Poutine risque simplement de faire remonter à la surface des
pouvoirs encore plus sombres et plus archaïques.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Russie
L’émergence d’un pouvoir central
Partage du pouvoir : le fédéralisme à la russe
ETAT, INSTITUTIONS PUBLIQUES, AUTONOMIE REGIONALE, GOUVERNEURS, ELECTIONS, RESSOURCES FINANCIERES,
DECOUPAGE ADMINISTRATIF
Les caractéristiques historiques et géographiques de la Russie font que la relation de pouvoir entre le centre
et les régions est délicate. Du fait de cette complexité, la législation doit être très claire. La conjoncture
socio-économique et politique rend la tâche de toute délégation du pouvoir encore plus difficile. On constate
d’énormes disparités de richesses et de revenus entre les 89 régions et au sein même des régions. Cette
diversité nuit à l’efficacité de la gouvernance dans la Fédération.
La complexité du fédéralisme russe
En 1991, l’Etat est un concept en déclin, considéré comme une institution prédatrice et conservatrice, au
profit des nations, des communautés, et de l’économie de marché. A partir de 2000, sous l’influence de
Poutine, l’Etat réinvestit une place centrale, il est omniprésent dans les préoccupations et les politiques des
dirigeants. En Russie comme ailleurs, l’enjeu du pouvoir se situe bien au cœur de la machine des institutions
publiques.
Mise en perspective historique (1991-2000)
Pour s’affirmer face à Gorbatchev, Eltsine a encouragé la prise d’autonomie des territoires de l’URSS parmi
lesquels 15 républiques ont déclaré leur indépendance conduisant à l’éclatement de l’Etat en décembre 1991.
Les trois traités de la Fédération de Russie, signés en 1992, ont codifié le système fédéral autour de multiples
entités sur des bases distinctes : sur les 89 régions, 21 républiques correspondent à des groupes ethniques.
Les Républiques disposent d’une plus grande autonomie dans la gestion de leurs ressources naturelles,
l’élection de leur président, la gestion des affaires extérieures, l’adoption d’une constitution propre…
Le pouvoir central sous Eltsine était faible car les citoyens n’avaient pas confiance dans les institutions
fragiles. L’Etat ne remplissait pas ses fonctions de régulation et sa politique n’était pas appliquée dans les
régions. Bien qu’ayant été l’artisan du système fédéral russe, le gouvernement Eltsine n’a pas structuré la
décentralisation politique, budgétaire et fiscale. L’absence de répartition claire des compétences entre les
autorités fédérales, régionales et locales a laissé le champ libre aux administrateurs des échelons inférieurs.
Les gouverneurs des provinces et les présidents des républiques ont développé des formes de régimes
autonomes selon leurs intérêts propres, plus par réaction à la démission du pouvoir central que par stratégie
locale d’émancipation.
A l’arrivée au pouvoir de Poutine fin 1999, le gouvernement ne parvenait pas à mettre en œuvre ses
politiques à l’échelle du pays en raison de la corruption endémique, de la primauté des intérêts personnels et
des réseaux clientélistes… Le gouvernement central contrôlait mal l’exploitation des ressources nationales
qui étaient captées par les administrations politiques locales qui se confondaient souvent avec les élites
économiques émergentes. Néanmoins, les régions étaient limitées par le manque de ressources financières,
conséquence du système de taxes imposé par l’Etat central. En théorie, l’Etat central disposait de vastes
pouvoirs mais qui étaient limités sur le terrain.
La Russie n’est pas un pays chaotique mais consiste plutôt en une multiplicité de centres de pouvoirs
fonctionnant de manière plus ou moins autonome. L’analogie avec l’Europe féodale permet de mieux
illustrer la Russie d'aujourd’hui : absence de distinction claire entre la souveraineté et la propriété, entre la
sphère publique et privée, entre le gouvernement et le monde des affaires, entre le pouvoir et la richesse.
Dans ce contexte, le pouvoir politique est appliqué de manière arbitraire, au gré des intérêts individuels, ce
qui perturbe les processus économiques et ralentit le développement.
Le renforcement de l’Etat face à la persistance des dynamiques locales
Poutine se heurte à la contradiction entre sa volonté de consolider le pouvoir au Kremlin et les structures
gouvernementales à tous les niveaux (province, région, district) qui cherchent à maintenir un maximum
d’autonomie pour disposer de marges de manœuvre, notamment dans les relations d’affaires avec les
oligarques et dans l’exploitation des ressources naturelles locales. A l’échelle régionale, l’administration
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
assure les services indispensables (autorisations, douanes…) tandis que les acteurs économiques produisent
de la richesse et emploient la population, garantissant la tranquillité sociale. En pleine mutation économique
et sociale, les administrations continuent d’assurer des formes de régulation et de protection contre
l’insécurité matérielle et la désintégration du tissu social.
Un des paradoxes de la Russie est, qu’en dépit de ses nombreux écueils, elle apparaît comme un modèle de
stabilité dans lequel le réseau des comportements est figé et reproductible d’année en année. La dispersion et
la fragmentation du pouvoir en Russie justifient qu’on ne peut le renverser massivement, tandis que les
contre-pouvoirs et forces d’opposition qui bénéficient largement du système établi, n’ont pas d’intérêt direct
à le modifier.
La réforme institutionnelle de 2000 dont la mesure principale était la création de 7 super-représentants du
président à un nouveau niveau bureaucratique, s’est heurté à de multiples résistances locales. Peu après sa
réélection à la présidence en 2004 et au lendemain de la tragédie de Beslan, Poutine a annoncé la suppression
de l’élection au suffrage direct des gouverneurs de régions. Administrations fiscales, tribunaux, services de
sécurité, police et armées avaient déjà été soustraits à la subordination des gouverneurs de région et remis
sous le contrôle direct des services centraux. En supprimant la légitimité locale des gouverneurs, Poutine
affirme son ingérence sur tout le territoire et bouleverse les réseaux d’influences régionaux qui étaient établis.
Risques de dérive autoritaire
Poutine a choisi de restaurer un gouvernement central fort afin de se réapproprier les sphères de pouvoir
laissées vacantes à l’échelle régionale sous Eltsine. Dans ce but, il a créé de nouvelles institutions destinées à
réinvestir les pouvoirs fédéraux dans tous les domaines : économie, système législatif uniforme, contraindre
les rebelles en Tchétchénie, renforcer l’Etat faible. Mais cette ambition contient des menaces réelles pour les
fragiles structures démocratiques de la Russie : abus du recours aux structures de forces, absence de
transparence démocratique, restrictions de la société civile…
En instaurant une nouvelle strate bureaucratique qui ne s’intègre pas dans les structures ministérielles
existantes, la réforme institutionnelle de Poutine entamée en 2000, sème la confusion sur qui détient
véritablement l’autorité politique et administrative. Elle risque d’amoindrir l’efficacité de l’Etat au lieu de la
renforcer. Poutine a entrepris de re-centraliser le pouvoir par des lois facilement votées par un Parlement qui
lui est acquis et par des décrets présidentiels. Ce renforcement du pouvoir central ne s’est pas accompagné de
mesures destinées à s’assurer que les régions maintiennent leur rôle de contre-pouvoir sur le centre dominant
ou de stimulation de la société civile.
Quelques enjeux
Ressources financières
Les variables économiques et financières sont prééminentes dans les conflits entre le pouvoir central et les
pouvoirs régionaux car la liberté d’action de ces derniers exige des ressources financières. Sous Eltsine, les
transferts financiers s’effectuaient dans la confusion et le manque de transparence, propice aux
détournements. Depuis son arrivée à la présidence, Poutine tente de contraindre les gouverneurs dans leur
gestion et de transférer les compétences fiscales et financières au pouvoir central. Poutine brandit l’argument
de la redistribution équitable des ressources à l’échelle fédérale pour réduire les déséquilibres entre les
régions. Même si l’Etat prélève de plus en plus sur les revenus des régions, il est peu probable que la
redistribution sociale soit efficace.
Gouverneurs
En 1996, Eltsine a accordé le droit aux régions d’élire leur propre gouverneur au suffrage universel direct, ce
qui constituait un progrès démocratique et confirmait la structure fédérale du pays. En 2000, les réformes
institutionnelles de Poutine ont retiré les gouverneurs du Conseil de la Fédération. En outre, le président s’est
accordé le droit de limoger des gouverneurs, mesure qui a été peu appliquée en raison de l’absence de
contrôle sur l’élection du remplaçant. Point faible de l’ingérence du Kremlin sur le pays, l’élection au
suffrage universel des gouverneurs a été supprimée au lendemain de Beslan en octobre 2004. Il a également
annoncé l’instauration du système proportionnel intégral aux élections législatives, évinçant les candidats
isolés issus des élites économiques.
Découpages administratifs et traités bilatéraux
La Constitution de 1993 comporte une forte contradiction car elle affirme l’égalité entre toutes les régions
mais préserve aussi les avantages négociés dans les trois traités de la Fédération qui accordent des privilèges
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
à certaines régions au détriment des autres. Le gouvernement Eltsine a alimenté cette confusion en
multipliant les traités bilatéraux qui déléguaient certains pouvoirs de prérogative fédérale aux régions,
notamment les républiques ethniques comme le Tartarstan. Eltsine a ensuite fait voter une loi en octobre
1999 sur « les principes généraux organisant les pouvoirs législatif et exécutif de l’Etat dans la Fédération de
Russie » mais cette manœuvre tardive ne fut pas efficace.
Aujourd’hui, le Kremlin fait le procès du fédéralisme comme ennemi de la cohésion de l’Etat et souhaiterait
uniformiser le découpage administratif du pays. Le statut particulier de certaines républiques nationales
s’oppose à la vision idéalisée d’un Etat russe soudé et égalitaire. A l’inverse, une autonomie régionale
prononcée rendrait les citoyens de Russie inégaux devant la loi et les droits fondamentaux en raison des forts
contrastes entre régions privilégiées et zones pauvres.
EN PERSPECTIVE…
L’enjeu sécuritaire est instrumentalisé par le président russe pour justifier une centralisation croissante du
pouvoir, à l’inverse de l’évolution donnée par Eltsine. La guerre en Tchétchénie et le terrorisme
circonstanciel en Russie est omniprésent dans les justifications des décisions politiques. Le lien entre la
suppression de l’élection au suffrage universel des gouverneurs de régions et la tragédie de Beslan
(septembre 2004) a été établie en toute clarté : il s’agissait de répondre à une exigence de sécurité. Ce
contexte d’insécurité mis en avant par les dirigeants n’est pas propre à la Russie et il recherche également une
légitimation, au niveau international, par l’injonction du président américain à le rejoindre dans la « guerre
contre le terrorisme ».
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Afrique du Sud
L’émergence d’un pouvoir central
Partage du pouvoir : que faire de la chefferie traditionnelle ?
CHEFFERIE TRADITIONNELLE, POUVOIR CENTRAL, DECENTRALISATION, GOUVERNEMENT COOPERATIF, FEDERALISME
INTEGRE, NEGOCIATION, VETO, BANTOUSTAN, TOWNSHIP, DEMOCRATIE LOCALE, CONSEIL TRADITIONNEL, LEGITIMITE
En Afrique du Sud, la transition négociée qui vise à la construction d’un ordre politique post-Apartheid est soustendue par une philosophie de réconciliation nationale. Le gouvernement d’union nationale, dirigé par le
Congrès national africain (ANC), doit faire face à de multiples défis dont la conciliation des diverses
revendications au sujet de la réorganisation du pouvoir. Cette réforme de l’Etat doit en outre, tenir compte de la
réintégration des bantoustans 1 dans le territoire national et des townships dans les zones urbaines, réintégration
qui pose le problème de la compatibilité des anciennes et nouvelles autorités.
La nouvelle forme décentralisée de l’Etat, comme source principale du problème
La réintégration des bantoustans et des townships a nécessité une véritable réorganisation constitutionnelle
des différents niveaux de gouvernement. L’absence notable de qualification de la nouvelle forme de l’Etat
dans la Constitution de 1996 semble démontrer la volonté de concilier les diverses revendications au sujet de
sa forme. Les rédacteurs se sont en effet ingéniés à donner satisfaction aux revendications unitaristes de
l’ANC, centralistes du Congrès Panafricain (PAC) tout en tenant compte des revendications fédéralistes du
Parti National (NP) et du Parti Démocrate (DP), voire confédéralistes de l’Inkatha Freedom Party (IFP). Le
fruit de ce compromis qui établit un système hybride consacre un accroissement de l’autonomie politique de
la sphère provinciale et de la sphère locale, autonomie relativisée par un pouvoir central qui demeure fort.
La province acquiert, tout d’abord, une plus grande souveraineté. L’élection d’un Conseil exécutif dirigé par
un Premier, sorte de premier ministre provincial, témoigne de la réduction du pouvoir de l’Etat dans la
province. La Constitution augmente, en outre, les domaines de compétences dévolues à la province, même si
celles-ci restent soumises à des conditionnalités qui laissent le dernier mot au pouvoir central. De la même
manière, le gouvernement local, obtenant le statut de « sphère de gouvernement » 44 , qui lui permet d’élaborer
sa propre politique, gagne en autonomie. Celui-ci, instrument de la politique de séparation « raciale » pendant
l’Apartheid devient un acteur clef de l’entreprise de démocratisation mais aussi, comme la Constitution le
prescrit, un vecteur de développement socio-économique du nouvel Etat et de réparation des inégalités.
Les relations intergouvernementales sont régulées selon le principe constitutionnel de « gouvernement
coopératif ». Ce mode de relation semble constituer un élément essentiel de l’intégration politique du
territoire. Fondée sur l’exigence de la négociation, le gouvernement coopératif tend ainsi à créer un
« fédéralisme intégré » 45 qui cherche à relier les différents échelons de gouvernement tout en créant un
espace aux multiples configurations de relations intergouvernementales. Mais dans la pratique, ce principe
semble maintenir un mode diffus de domination du pouvoir central. Les structures de représentations
nationales des sphères provinciales (Conseil national des provinces, NCOP) et locales (Association des
gouvernements locaux d’Afrique du Sud, SALGA) jouent toutefois un rôle patent dans la participation des
niveaux décentralisés aux relations intergouvernementales.
« L’organisation des pouvoirs publics entre les différents niveaux de gouvernement n’est pas le résultat d’une
dévolution de compétences de l’Etat aux provinces mais le résultat d’un contrat politique et social » 46 . La
Constitution en garantit le respect par des modalités de révision renforcées, dont un pouvoir de veto du
NCOP sur toute proposition de révision du pacte fédéral. Mais l’autonomie financière restreinte des sphères
1
Territoires représentant 13% de la superficie totale du pays, considérés comme des Etats noirs autonomes, voire
indépendants, pendant la période de l’Apartheid, censés assurer le « blanchissement » de l’Afrique du Sud, car séparés de la
République blanche.
44
« Le terme de sphère est préféré à celui de niveau pour souligner la réalité de gouvernements distincts, chacun étant
responsable devant sa propre législature ou conseil. Il vise également à mettre l’accent sur la nature […] plus égalitaire des
relations entre gouvernements » Crouzel, Ivan. « Les municipalités en Afrique du Sud : une autonomisation variable » in Les
Etudes du CERI, n°93, avril 2003, p 6 http://www.ceri-sciencepo.com/publica/etude/etude93.pdf
45
Simeon, Richard « Considerations on the design of federations : The South African Constitution in a comparative
perspective », South Africa Publiekreg/Public Law, Vol. 13, n° 1, 1998, cité par Crouzel, Ivan. Ibid., p 14
46
Maziau, Nicolas. « La décentralisation en Afrique du Sud : un Etat « caméléon » in La république d’Afrique du Sud,
Nouvel Etat, nouvelle Société, sous la direction de G. Conac, F. Dreyfus, N. Maziau, Coll. La vie du droit en Afrique,
Edition Economica, 1999, p 64.
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provinciales et locales et la prédominance indiscutable de l’ANC, présent dans toutes les sphères de
gouvernement, limitent les effets de cette décentralisation du pouvoir. Toutefois la répartition des pouvoirs
semble ainsi plus équilibrée et plus propice à la démocratie.
Cette nouvelle forme de l’Etat, quoique satisfaisante, pose néanmoins le problème de la compatibilité des
autorités locales avec la chefferie traditionnelle, problème qui a nécessité, surtout au niveau rural, dans les
anciens bantoustans des concessions de la part de l’Etat. On peut se demander comment l’exigence récente
de la démocratie et le principe de gouvernement coopératif peuvent s’appliquer à la réalité du pouvoir
politique des autorités tribales.
La relégation des chefs traditionnels
Les amakhosi ou chefs traditionnels représentent en effet le pouvoir de proximité qui prévaut dans le milieu
rural depuis des siècles. A la fin des années 1980, la perspective d’un changement de pouvoir au profit de
l’ANC signifiait pour le parti leur abolition, l’ANC considérant que les chefs coutumiers étaient une
institution archaïque, incompatible avec la démocratie, puisque désignés par la famille royale et coupables de
compromission avec le régime d’Apartheid. On compte pourtant en 2004, dix rois, huit cents chefs tribaux et
dix mille chefs de villages, reconnus institutionnellement et dotés d’un organe de représentation au niveau
national, provincial et local depuis 2003. Quel sort a été le leur depuis le début de la transition
démocratique ?
Les autorités traditionnelles étaient, avant 1994, légalement le premier niveau d’administration en zone rurale
noire et constituaient souvent plus de 50% des parlements des bantoustans. Cette élite rurale administrait la
population et était chargée du maintien de l’ordre public ainsi que de la prestation de services publics de base
(santé, éducation, eau, électricité, transport, gestion foncière etc.). Si ces chefs étaient alors soumis au
gouvernement blanc selon une forme du principe de l’indirect rule 47 coloniale, ils restaient la principale
autorité dans les zones rurales. L’enjeu principal de l’antagonisme existant entre l’ANC et la chefferie
traditionnelle est donc principalement le « contrôle de la ruralité africaine de l’Afrique du Sud » 48 , l’ANC
voulant étendre la démocratie sur tout le territoire et les chefs tentant de maintenir leur pouvoir.
La région emblématique de la forte implantation de cette institution traditionnelle est le KwaZulu-Natal,
province majoritairement zouloue (tribu représentée politiquement par l’Inkatha Freedom Party, IFP) : elle
est, par là même, le lieu de focalisation de cette opposition. Un exemple récent en témoigne : en avril-mai
2005, un débat a eu lieu sur la reconnaissance du royaume zoulou et sur la place de la famille royale dans le
processus de décision. 49 Pour autant, l’importance de la chefferie traditionnelle n’est pas uniforme mais
dépend plutôt du traditionalisme de chaque région. L’argument avancé pour une meilleure légitimation de
cette institution est la proximité des chefs avec leur village, argument contrebalancé par le fort taux
d’illettrisme (70%) chez les chefs, qui relativise leur rôle de développement local.
La « grande dépossession des chefs » 50 commence au début de la transition démocratique avec la mise en
place de gouvernements locaux transitoires (transitional local council, TLC) dans les anciennes zones noires.
Ces TLC reprennent les fonctions des autorités noires dans les townships (apparues dans les années 1980) et
doivent se substituer aux autorités tribales dans les anciens bantoustans. Cette substitution n’est pas du goût
des chefs traditionnels, les législations anciennes concernant leurs fonctions étant toujours en vigueur. La
coexistence est en fait insatisfaisante pour les deux parties et va jusqu’à provoquer des blocages ou des
situations de confusion qui se traduisent, par exemple, par l’interruption de l’accès aux services. Les élections
municipales sont l’occasion pour les chefs tribaux de mener un combat à deux fronts : ils réclament la
reconnaissance de leur main-mise sur la gestion foncière et s’opposent à l’attribution aux nouvelles
municipalités de la fonction de développement prévue dans le Municipal Structures Act. Mais le
gouvernement tient sa ligne initiale sur la question des compétences des municipalités.
47
Principe de gouvernement en vigueur dans de nombreuses colonies britanniques qui consiste à contrôler un territoire à
travers ses autorités coutumières. Celles-ci restent en place en échange de leur soumission.
48
Vircoulon, Thierry. « Que faire des chefs coutumiers dans la nouvelle Afrique du Sud ? » in L’Afrique du Sud
démocratique ou la réinvention d’une nation¸ L’Harmattan, 2004, p 51 « Cette expression paradoxale désigne les exhomelands car l’Apartheid a aussi scindé le monde rural en deux : celui des Blancs et celui des Noirs. »
49
Mail & Guardian, 22 avril 2005, 18 mai, 19 mai, 21 mai, 25 mai 2005
50
Vircoulon, Thierry. Op.cit., p 53
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Sans remettre en cause le principe de rémunération des chefs par l’Etat mais en instaurant des autorités
locales démocratiques sur tout le territoire, le gouvernement fait perdre aux chefs traditionnels le rôle
d’administrateurs ruraux, tout en leur reconnaissant progressivement une place particulière dans la société.
La prise en compte des autorités traditionnelles
Le manque de clarté sur la définition du rôle des chefs perdure jusqu’au Traditional Leadership and
Governance Framework Act, voté en décembre 2003. Comme l’indique son Préambule, cet acte législatif a
pour objectif de « transformer l’institution pour la rendre compatible avec la Constitution » et restaurer
« [son] intégrité et [sa] légitimité ». Tout en rappelant aux chefs leur obligation de coopération avec toutes les
sphères et organes du gouvernement, ce texte propose un encadrement au pouvoir de la chefferie.
La loi prévoit l’établissement d’un Conseil traditionnel qui doit être composé de membres choisis par le chef,
d’un tiers de femmes et d’autres membres élus démocratiquement. Ce Conseil et sa composition témoignent
d’une modernisation de l’institution car l’obligation d’un Conseil introduit l’encadrement du chef et sa
composition la rend compatible avec les principes constitutionnels (non-discrimination et démocratie). Mais
les pouvoirs de ce conseil restent indéfinis : la loi prévoit seulement qu’il ait un rôle ouvert, c’est-à-dire que
les administrations peuvent leur déléguer des missions non énumérées par la loi. Cette clause « compte tenu
des vues de l’ANC sur la chefferie traditionnelle […] fait figure de concession creuse. » 51 Toujours est-il que
ce Conseil institutionnalise le rôle consultatif de la chefferie traditionnelle.
Le deuxième point essentiel de ce projet de loi est la prise en compte du problème de légitimité des chefs
traditionnels, faits et défaits par l’administration coloniale et le régime d’Apartheid, selon leur soumission au
régime en place. Il instaure une nouvelle forme de reconnaissance étatique des chefs par le biais de l’octroi
de certificats, sous certaines conditions : l’assurance que la désignation du chef s’est faite conformément aux
règles coutumières, qu’il n’a pas de casier judiciaire et qu’il n’est pas mentalement déficient. En bref, l’Etat
s'accorde le pouvoir de démettre les chefs tribaux. La nécessité de l’aval étatique renforce le contrôle de
l’Etat sur cette institution et amenuise ainsi son pouvoir. Pour autant, cette reconnaissance est bien le témoin
du caractère incontournable de la chefferie traditionnelle dans la société sud-africaine. Et si on constate un
manque de données sur la perception et le soutien dont bénéficient les chefs, ce qui nous empêche de
connaître la réelle légitimité de cette institution, certains ont pu observer une évolution récente, celle de
l’apparition d’une nouvelle génération de chefs, jeunes et éduqués, qui s’intéressent au développement local
et cherchent à s’adapter au nouveau contexte démocratique.
Ainsi le gouvernement est-il parvenu à imposer la démocratie qu’il souhaitait, c’est-à-dire une démocratie
locale cantonnant les chefs à une responsabilité faible et contrôlée. Toujours est-il que les autorités
traditionnelles ont su s’assurer une place dans un nouveau régime dirigé par un parti qui leur est pourtant
encore largement opposé, une place qui peut encore évoluer, selon l’adaptabilité des nouvelles générations de
chefs.
« La Constitution de 1996 [semble avoir] formellement rompu avec le centralisme qui caractérisait l’Etat sudafricain depuis sa création » 52 , et ce en renforçant les statuts et compétences des sphères provinciales et locales,
renforcement qui a obligé l’Etat à légiférer sur la question des autorités traditionnelles, habituées à gérer seules
le local dans les anciennes zones noires. L’Etat central apparaît toutefois comme l’ultime maître du jeu dans une
majorité de décisions. Résultats de compromis, la nouvelle forme de l’Etat a ainsi été l’occasion pour l’Etat de se
garder une place de choix. Cette place de l’Etat central associée à une omniprésence de l’ANC dans toutes les
sphères du gouvernement permet une stabilité essentielle pour ce pays dans son processus de réunification
nationale. La prise en compte, enfin, de la nécessité du compromis et de la négociation est un gage contre le
conflit.
EN PERSPECTIVE…
Cette réforme de l’Etat a dû se faire dans un climat de conciliation. Si des antagonismes persistent, ceux
opposant l’Afrique du Sud rurale et traditionnelle et l’Afrique du Sud urbaine et moderne, le gouvernement a su
faire progresser la démocratie, en « dé-féodalisant » les zones rurales tout en gardant des caractéristiques de la
culture africaine noire. L’Afrique du Sud semble bien être un bon exemple du partage du pouvoir.
51
52
ibid. p 63
Crouzel, Ivan. Op.cit. p 4
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Afghanistan
Processus instituants
L’impossible organisation de la justice dans un contexte d’insécurité
JUSTICE DE TRANSITION, ACCORD DE PAIX, RESPONSABILITE, AMNISTIE, DEMOBILISATION, DESARMEMENT,
ORGANISATIONS INTERNATIONALES, COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, RE-INTEGRATION, EMPLOI, INSECURITE
La conférence de Bonn réunie en décembre 2001 a tenu lieu de conférence de paix alors que toutes les
parties au conflit n’étaient pas présentes. Les Pashtouns étaient largement sous-représentés alors que
l'Alliance du Nord tenait une place prépondérante ; les monarchistes qui soutiennent le retour du roi
(Groupe de Rome) étaient également présents. Un accord, signé le 5 décembre 2001, prévoyait les modalités
d'un gouvernement provisoire. Pourtant, ce texte ne comporte pas de volet sur les dispositions d'un futur
appareil de justice de transition. Aucune des parties présentes n'a fait pression dans ce sens. Il était
seulement prévu que les parties « déposent les armes et œuvrent à la construction d'une société ». Les
délégués de la communauté internationale présents à Bonn, et notamment les représentants de l'ONU,
savaient que la reconnaissance du passé, d'une façon ou d'une autre, était nécessaire. Mais aucune instance
n'a été mise en place pour s'acquitter de cette tâche.
Dans les négociations, deux conceptions se sont affrontées : celle des représentants internationaux qui
souhaitaient un dispositif de justice, une interdiction de proclamer une amnistie, la démobilisation des
combattants et leur désarmement. Face à eux, les différents camps afghans – tous impliqués dans les combats
– se sont élevés violemment contre ces mesures : la moindre critique émise contre les Muddjahidins est
assimilée à un blasphème donc l'amnistie s'impose ; le désarmement des combattants est vu comme un
déshonneur.
Au final, le texte de l'accord de Bonn ne fait pas mention de l'interdiction d'une amnistie, de la démobilisation
et du désarmement. Seuls restent :
• un appel à tous les groupes armés à rejoindre le commandement de la nouvelle administration ;
• une disposition selon laquelle pour participer au gouvernement provisoire, les ministres ne devaient
pas être coupables de crimes de guerre, crimes contre l'humanité ou de violations graves des droits
de l'Homme ;
• une référence à une Commission des droits de l'homme qui doit s'occuper des délits du passé et du
présent.
Il n'existe toujours pas de grande organisation de défense des droits de l'homme, ni d'appel pour former un
tribunal. Tout le monde semble accepter que la situation est trop complexe et trop fragile pour une telle
procédure. Le système juridique actuel est encore incapable de mener des tâches de base, donc impossible
pour lui de mettre en oeuvre la responsabilité historique. L'accord de Bonn met implicitement la
responsabilité de la justice provisoire sur le dos de la Commission des droits de l'homme. Hamid Karzaï a fait
à ce sujet des déclarations contradictoires sur sa volonté d'établir une Commission de vérité mais estime que
la justice est un luxe que l'Afghanistan ne peut pas se payer encore. La Loya Jirga de son côté a décidé de
faire signer à chaque candidat aux élections présidentielles une promesse qu'il n'a pas tué de personnes
innocentes, n'est pas impliqué dans le trafic de drogue et le terrorisme. Enfin, l'Afghanistan est membre de la
Cour criminelle internationale depuis le 1er mai 2003 : cette juridiction est compétente pour juger les crimes
de guerre et les crimes commis contre l'humanité commis dans le pays à partir de cette date.
L'action internationale
Plusieurs organisations internationales de droits de l'homme ont sondé le terrain auprès de la population et ont
conclu que les Afghans ont besoin d'un débat pour étudier les choix qui s'offrent à eux.
•
International Center for Transitional Justice, une ONG dirigée par l'ancien vice-président de la
Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, a envoyé une mission restreinte pour travailler
sur place et étudier les différentes options compte-tenu des expériences internationales.
•
Un envoyé spécial de Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU a appelé une commission d'enquête
internationale sur les fosses de Dasht-i Leili, où ont été retrouvés les corps de Talibans afghans et
pakistanais qui avaient été faits prisonniers. Il en existe encore d'autres dans le pays suite à des crimes
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commis en 1997-98. La commission d'enquête internationale vise à établir, au moins, un registre officiel
des victimes depuis 1978.
Blocage
Plusieurs raisons expliquent un tel consensus autour d'autant de prudence : la crainte de déstabiliser une
situation encore très fragile ou de stabiliser un ordre injuste ; un climat de peur empêche d'entamer des
poursuites, l'intimidation est due au manque de sécurité : sans sécurité, les droits de l'Homme ne seront pas
respectés. Et malgré les décisions du processus politique et de l'accord de Bonn, le vrai pouvoir reste entre les
mains des chefs de guerre. Ce qui aidera l'Afghanistan à avancer, ce n'est pas de se débarrasser de tous les
hommes qui ont commis des crimes mais de créer un système d'institutions pour les contrôler et rendre le
gouvernement légitime, par la loi, et donc efficace, respecté et respectueux.
EN PERSPECTIVE…
Le processus doit désormais se concentrer sur la question centrale de la démobilisation, du désarmement et
de la ré-intégation des anciens combattants. Pour cela la création d'une administration civile et d'un système
juridique et judiciaire est indispensable pour trouver des alternatives d'empois, des formations, des prêts, des
bourses, et d'autres formes d'assistance, sans quoi il n'y aura pas de paix et ni de justice.
L'organisation d'élections avant le désarmement a conduit à la reprise des combats en Angola et au
Cambodge. La population a besoin que ses souffrances soient reconnues, c'est pourquoi la Commission des
droits de l'homme devrait préparer un ensemble de propositions pour une discussion publique. Un processus
national de documentation, clarifiant le sort des disparus et établissant la vérité sur les massacres. Enfin, pour
réduire la peur, le président devrait décréter une amnistie pour tous ceux qui ont pris les armes pour ou contre
un gouvernement afghan ou un groupe politique, à l'exception des crimes de guerre, des crimes contre
l'humanité et des crimes de génocide. Mais parallèlement, un processus juste et compréhensif devrait voir le
jour, qui permette aux personnes qui ont eu des postes à responsabilité d'admettre leur implication dans des
crimes.
La question de la responsabilité en Afghanistan n'est pourtant pas simple : d’une part, les responsables
étrangers ne peuvent être poursuivis, dans ces conditions comment justifier de poursuivre les seuls Afghans.
D’autre part, de nombreux individus, compte-tenu de la durée de la guerre et des retournements qu’elle a
connus, sont à la fois criminels et victimes 1 .
Enfin, la justice et l’organisation judiciaire sont détournées de leur mission de service public et se perdent
dans les dédales d’une approche religieuse du droit alors que la situation exige le respect de normes de
compétence, d’efficacité et de clarté 2 .
1
« Transitional justice in Afghanistan », The Anthony Hyman Memorial Lecture, School of Oriental and African Studies,
University of London, Barnett R. Rubin, Director of Studies and Senior Fellow, Center on International Cooperation, New
York University, Février 2003.
2
Kacem Fazelli, L’Afghanistan, du provisoire au transitoire. Quelles perspectives ?, L’Asiathèque, Paris 2004 : 225.
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Afghanistan
Processus instituants
Enjeux de la formation de l'armée nationale afghane (ANA)
DISCRIMINATIONS ETHNIQUES, QUOTAS, PROFESSIONNALISATION, ARMEE DE TRANSITION, DEMOBILISATION, MILICES,
FAVORITISME
Depuis la fin de la guerre contre les Soviétiques en 1989, l'Etat afghan a connu des tentatives de reconstruction.
Les mudjahiddins de l'Alliance du Nord prennent le pouvoir en 1992 et l'armée afghane est essentiellement
composée de Tadjiks. Les Talibans, en 1996, tentent d'organiser une armée nationale avec un succès mitigé. En
2001, elle compte 45.000 hommes, aucune structure de commandement et une part importante de volontaires
étrangers.
Déjà avant la guerre, l'intégration des régions dans l'ensemble restait faible, la conscience et l'identité nationales
manquaient. Dans ces conditions, l'affectation des soldats était un véritable enjeu, ils étaient généralement
affectés loin de leur village d'origine. Quand en 1983, cet impératif est abandonné, l'influence de l'Etat s'élargit
alors aux régions : l'Etat central, désormais incarné par les enfants du pays, rencontre un prestige nouveau. Le
gain politique de cette décision est toutefois minimisé par le fait que servant dans leur propre région, les soldats
ne sont plus prêts à accepter des ordres injustifiés, notamment de bombardements. Malgré tout, le gain politique
demeure supérieur.
Du fait de la composition pluriethnique de la population afghane, les discriminations entre groupes se
retrouvaient dans l'armée, entre le commandement et les troupes, sous forme de mauvaises relations qui
pouvaient aller jusqu'au châtiment corporel. Pour assurer un meilleur équilibre des représentations, l'armée
instaure en 1963 une politique de quotas. Elle eut pour résultat l'augmentation du nombre de non-Pashtouns. En
1992, sous le gouvernement dirigé par l'Alliance du Nord, les Tadjiks sont sur-représentés dans les unités noncombattantes. Les Pashtouns dirigent toujours l'infanterie. Les divisions sont ethniquement homogènes, les
Ouzbeks et les Hazaras n'auraient pas été acceptés par les Pashtouns.
L'armée afghane était le berceau de l'ascension sociale, elle s'est politisée dans les années 60-70 et radicalisée
pendant la guerre civile avant de se désintégrer. Ce mauvais souvenir rappelle que l'armée doit être politiquement
neutre, c'est pourquoi il est indispensable d'insister sur son professionnalisme.
Quelle armée afghane se décide en 2002 ?
Une armée de transition
Il existe une armée de transition mais un consensus se dégage pour construire l'armée nationale afghane
(ANA) sur de bases nouvelles, donc l'armée de transition doit disparaître. Elle compte 2500 militaires,
organisées en 40 divisions, payés par le ministère de la Défense. La création de ces divisions était un outil
politique pour permettre à l'Etat de les faire passer sous son influence mais en réalité elles sont restées sous le
contrôle des chefs de guerre locaux. D'autres groupes indépendants, non affiliés, à des chefs ont été
également intégrés à cette armée provisoire. Ces divisions sont indisciplinées et mal équipées. En réalité, ces
hommes ne reçoivent pas de salaire mais sont seulement nourris. Il n'est pas question de les entraîner,
l'objectif semble être que les troupes se démobilisent spontanément. Pourtant cette démobilisation pose des
problèmes : ces hommes ne savent rien faire d'autre que la guerre. L'administration afghane, tout en voulant
leur démobilisation, ne peut verser une somme suffisante pour les convaincre de quitter l'armée, ni leur
proposer un emploi même à court terme. Il a finalement été décidé de garder pour la nouvelle armée
seulement les hommes entre 22 et 28 ans. La raison d'être de l'armée de transition est qu'elle sert de
réceptacle pour les forces militaires qui ne peuvent être démobilisées immédiatement.
Désarmement
Le désarmement de la population est un autre impératif pour lequel les solutions manquent : comment
récupérer les armes auprès de la population alors que les Afghans ont maintenant une identité de combattant
tellement ancrée et tant que l'insécurité généralisée continue de régner. Les seules armes qu'ils consentent à
rendre sont vétustes et presque inutilisables.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
ANA
L'armée nationale doit être restreinte et très professionnelle - bien entraînée et disciplinée - enfin,
politiquement neutre. Pour ces raisons, elle doit être constituée de zéro. L'ISAF 1 et l'armée américaine ont
apporté leur aide. L'accord décidé permet une armée de 60.000 hommes. Une armée plus importante –
intégrant les milices - comporterait le risque d'importer les luttes de faction.
Pourtant, comme nous venons de le voir, le contexte afghan rend ces choix difficiles à tenir : par exemple,
face à la difficulté de recruter des hommes, il a été décidé que 15% des combattants des anciennes milices
participeraient à l'ANA.
L'armée reste animée de discrimination ethnique : le ministre de la Défense, Fahim, l'ancien bras droit de
Massoud, est tadjik. Sur les 38 généraux de l'armée, 37 sont tadjiks et un est ouzbek. En plus de ce
favoritisme ethnique et politique – les Afghans ne se font pas beaucoup d'illusions à ce sujet - les hommes
choisis n'ont pas d'expérience antérieure au sein de l'armée nationale ce qui est particulièrement mal vécu par
les militaires. Début 2003, l'armée est composée à 40% de Tadjiks (alors qu'ils représentent 25% de la
population) et 37% de Pashtounes (ils sont 42% dans la population). La langue de commandement est le dari
(persan parlé par les Tadjiks) et non le pashto. Les critiques au sein de la population afghane, parmi les
observateurs internationaux et les officiels américains ont forcé un rééquilibrage des personnels du ministère
de la Défense et de l'Armée.
Mais l'équilibre est difficile à trouver : pour garantir le caractère multi-ethnique de l'armée, il faut éduquer les
troupes à une attitude plus civique avec les populations civiles. Cela suppose de mettre un terme aux milices
privées, objectif impossible à court terme; elles devront cohabiter avec l'armée de transition et l'ANA au
moins pour un temps. La variété des langues parlée dans l'armée pose également problème et compromet son
efficacité. Par le passé, les bataillons homogènes se sont montrés plus efficaces que les mixtes.
Pour le moment, l'ANA se présente plutôt comme une garde rapprochée : elle peut affronter des menaces
mineures mais pas des combats lourds. Le maintien du favoritisme politique offre l'avantage, à court terme,
de l'homogénéité mais peut alimenter la frustration de ceux écartés. Une armée plus équilibrée rassurerait les
chefs de guerre, et les encourageraient sans doute à envoyer davantage d'hommes de leurs troupes, mais les
gagnants de l'actuel rapport de force n'accepteraient pas ce rééquilibrage.
EN PERSPECTIVE…
Le désarmement est pour le moment lent, sélectif et de façade. L’Armée nationale, qui compte 13500 hommes
en juillet 2004, n’est pas encore assez puissante pour prendre le risque d’affronter les groupes djihadistes qui ont
conservé leur cohésion. Par ailleurs l’administration afghane est soupçonnée de prétexter son incapacité à assurer
la sécurité pour reporter les élections parlementaires (septembre 2005). Elle aurait adressé une demande
d’augmenter le contingent de l’OTAN de 4500 hommes 2 .
1
La Force Internationale d’Assistance à la Sécurité est sous commandement de l’OTAN depuis août 2003. C’est la première
mission de l’Organisation en zone non euro-atlantique. Elle vise à aider l’autorité afghane intérimaire à assurer la sécurité.
Elle est constituée de 6500 hommes originaires de 35 pays membres ou non de l’OTAN.
2
Fazelli 2004 : 227.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Afghanistan
Processus instituants
L’aide internationale : obstacle à l’émergence d’un Etat souverain
DONATEURS INTERNATIONAUX, AUTORITE, SOUVERAINETE, SANTE PUBLIQUE, BANQUE MONDIALE,
CONTRACTUALISATION
Lors de la troisième conférence des donateurs étrangers, réunie du 4 au 6 avril 2005, Hamid Karzaï a plaidé en
faveur d’une plus grande autonomie de son Gouvernement dans la gestion de l’aide internationale, afin de
mieux asseoir son autorité.
Répartition des pouvoirs entre le Gouvernement et les acteurs internationaux
Le Monde 1 expose très bien le dilemme posé par l’aide internationale accordée après les situations de crise.
D’un côté, les donateurs internationaux affirment que les gouvernements doivent être renforcés et qu’ils
doivent prendre leurs responsabilités de Gouvernance face à la population. D’un autre côté, leurs actions
perturbent l’exercice du pouvoir comme, par exemple, en offrant des salaires bien supérieurs à ceux proposés
par le Gouvernement. Un autre exemple consiste à subventionner une politique de reconstruction qui ne
coïncide pas avec les priorités du gouvernement. Sur le principe, les donateurs s’accordent à vouloir
renforcer les autorités afghanes en leur donnant les moyens de leur politique mais beaucoup font valoir que
l’administration manque de ressources humaines, qu’elle est très largement corrompue et politisée ce qui
risque de déséquilibrer la distribution de l’aide. En conséquence, ils gardent la gestion de l’aide internationale
sous leur contrôle. Cette dynamique crée un obstacle au renforcement de l’Etat, mais pose également des
problèmes de positionnement pour plusieurs organisations étrangères travaillant dans ce cadre international.
Guy Caussé, médecin volontaire pour Médecins du Monde (MDM) en Afghanistan depuis des années,
explique le dilemme pour MDM.
Expérience MDM
Le point de vue de MDM est le suivant : « Comment renforcer la crédibilité d’un gouvernement alors que la
plupart des secteurs publics sont régis par des organismes internationaux ? ». Il fait référence à la mise en
place du Performance-based partnership agreement ou « contrat de partenariat basé sur la performance »,
instauré par la Banque Mondiale dans certaines provinces de l’Afghanistan. Dans le domaine de la santé, la
Banque Mondiale a imposé ses priorités. Cet accord est critiqué d’une part car il établit un système de santé
afghan presque entièrement organisé sur la contractualisation des acteurs privés et d’autre part car le suivi
n’est organisé que pour une durée de 3 ans, sans aucune perspective de reprise en main ultérieure par les
Afghans. La Banque Mondiale admet au contraire que le choix de privatiser l’aide médicale par
l’intermédiaire des ONG permet un meilleur contrôle de l’utilisation des fonds et de la situation sur le terrain.
Finalement, la question posée par MDM est la suivante : « Souhaitons-nous devenir les sous-traitants des
organisations internationales via le Ministère de la Santé pour les soins de santé primaire ? Si la réponse est
« oui », à quel prix cela se fera-t-il pour notre indépendance et notre éthique ? ». Leur décision a été de ne pas
participer à la contractualisation des services de santé et de garder leur indépendance. Ils continuent à
prodiguer des soins dans des régions qui ne sont pas couvertes par la politique du Ministère de la Santé.
Légitimité des acteurs internationaux
On peut s’interroger sur l’opinion de la population afghane quant à la légitimité de la présence internationale.
Guy Caussé rappelle que les loyautés en Afghanistan sont très fluides. Le temps de tolérance qu'ils peuvent
accorder à l'étranger sur leur territoire reste limité. Ainsi cette confiance – somme toute limitée – qu'ils
accordent aux internationaux venus « reconstruire le pays » (Etats-Unis, Grande Bretagne, Allemagne,
France...) pourrait très rapidement s'inverser si les déceptions étaient trop grandes. Déjà les organisations
humanitaires étrangères sont discréditées par l'opulence affichée dans laquelle elles travaillent. Un sentiment
d'injustice est ici alimenté par l'impression de la part des Afghans que les fonds qui leur sont consacrés sont
ainsi détournés.
1
Le Monde du 6 avril 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
EN PERSPECTIVE…
A plus long terme on peut s’interroger sur les conséquences sur l’autonomie du corps médical afghan si les
services sont ainsi sous-traités à des étrangers et que les Afghans se voient seulement octroyés les plus basses
tâches.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Ouzbékistan
Processus instituants
Indépendance et construction nationale
TRIBUS TURCO-MONGOLES, IRANOPHONES, SEDENTARISATION, RUSSES, ETHNIE, REPUBLIQUES, NATIONALITES,
ETAT NATIONAL, PLURICULTURALITE, SYNCRETISME, COMPLEMENTARITE, FRONTIERES, LEGITIMATION,
ALPHABET, LANGUE, NATIONALISME
La république socialiste soviétique d'Ouzbékistan a déclaré son indépendance le 1er septembre 1991. Dans
le contexte soviétique de l'époque, rien de bien étonnant à cela. Pourtant d'un point de vue régional,
l'émergence de cet Etat indépendant interroge : l'Ouzbékistan n'a jamais constitué un Etat indépendant. A
quoi correspond son nom compte-tenu de sa population et de ses frontières ?
La république socialiste soviétique d'Ouzbékistan, passé proche et lointain
Le nom ouzbek ne renvoie pas à une ethnie mais à un groupement de tribus turco-mongoles au début du
XIVe siècle. Elles se sont différenciées des Kazakhs au sujet d'une allégeance que les unes ont acceptée et les
autres refusée. Dès lors que cette confédération tribale a conquis plusieurs des villes de l'actuel Ouzbékistan,
le terme ouzbek a été associé au pouvoir politique et militaire, face à une population bigarrée au sein de
laquelle une entité domine : les iranophones, identifiés comme sédentaires, urbains et maîtres du sacré. La
conquête et l'exercice du pouvoir conduisent à la sédentarisation des tribus turco-mongoles et à un
changement de la donne sociale : désormais ils partagent un espace social commun et s'opère alors une
symbiose culturelle.
La conquête russe (seconde moitié du XIXe siècle) apporte le concept d'ethnie et donne lieu (à travers les
recensements notamment) à une catégorisation de la population qui rompt les liens de complémentarité et
d'interdépendance. La Révolution bolchevique et l'instauration de l'Union soviétique, paradoxalement,
poursuivent ce processus : le pouvoir a besoin de désigner des « ethnies titulaires » qui sont des groupes
reconnus majoritaires et qui reçoivent une république. Ainsi cinq républiques sont finalement créées (entre
1924 et 1929) qui ont pour objectif de réduire la portée de la culture persane, classe dominante du système
précédent, et de diviser les entités turciques. Ce procédé pose deux problèmes : il repose sur un concept sans
réalité, celui d'ethnie, alors que les modes d'appartenance identitaire reposent sur les lignages et le territoire.
Il conduit à tracer des frontières au sein d'un ensemble social qui connaît continuité et complémentarité.
Cette expérience du contact avec les Russes eut pour effet l'appropriation de ces concepts européens puisque
les républiques fédérées se sont imposées en tant qu'Etats nationaux après 1991. Dans ces conditions, quelle
est l'identité de l'Etat ouzbek ?
Un Etat national à construire
La république fédérée d'Ouzbékistan, comme les quatre autres républiques centrasiatiques, ont seulement
existé dans le cadre de l'URSS ; les analystes avaient d'ailleurs prédit leur éclatement si l'URSS disparaissait.
Les dirigeants, des élites autochtones, ont donc été contraints de mener une politique volontariste au
lendemain des indépendances pour véritablement construire l'identité nationale de ces Etats artificiellement
créés et ainsi légitimer leur existence. C'est donc la première difficulté de la transition : faire exister un Etat
national qui n'a pas de réalité sur le terrain (territoire et composition ethnique) ni dans les consciences
populaires (proximité culturelle des républiques voisines).
Le territoire ouzbek ne correspond pas aux limites d'un empire ou d'une province du passé. Il regroupe les
principales villes historiques tout en excluant des espaces, citadins ou ruraux, majoritairement peuplés
d'Ouzbeks. Ainsi des minorités ouzbèkes vivent dans toutes les républiques voisines, soit autant de familles
séparées par l'apparition d'une frontière. Sous l'URSS, cette situation ne posait pas de vrai problème puisque
les frontières étaient fictives. Or l'accès à l'indépendance des républiques d'Asie centrale rend les frontières
bien réelles voire infranchissables quand les deux Etats entretiennent de mauvaises relations diplomatiques :
les abords des frontières sont alors minés et les visas sont fort coûteux.
Du fait de la proximité culturelle entre les républiques, certaines villes ou régions ont un fort pouvoir
attractif. Les Tadjiks de Samarcande, par exemple, rêvent de Doushanbé (capitale tadjike). Depuis la fin de la
guerre et depuis que ce pays connaît un certain dynamisme économique, ils se tournent volontiers vers le
Tadjikistan alors qu'il y a peu encore, ils ne s'identifiaient pas à ce pays montagneux qui reflète bien peu leur
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
culture. Ces réalités montrent bien la continuité culturelle de ce vaste espace et le caractère artificiel des
frontières. Il faut pourtant les légitimer.
La première tâche a donc été d'effacer toutes les traces des temps soviétiques, pour rechercher plus loin dans
le passé la légitimité de l'Etat ouzbek. Les dirigeants se sont tournés vers les alliés traditionnels : la Turquie
(écoles, langue), l'Arabie Saoudite (mosquées et matériel pour l'éducation religieuse). Parallèlement, ils ont
développé et valorisé les éléments de ce qui sera la culture ouzbèke. Pour cela, ils ont utilisé les mêmes
méthodes que les autorités soviétiques à la création de ces républiques dans les années 30 : acquisition d'un
nouvel alphabet (latin), adoption de l'ouzbek comme langue nationale unique (ce qui est bien légitime mais
l'ouzbek était la langue de l'affect et le président faisait des fautes dans ses premiers discours dans cette
langue), mise à contribution des historiens pour écrire l'histoire du peuple ouzbek et l'inscrire dans un passé
lointain (ethnogénèse, jubilés des villes), toponymie et enfin survalorisation de la tradition culturelle. Le
nationalisme a instrumentalisé des personnages historiques comme Avicennes, Ulughbek, Navoï, présentés
comme ouzbeks. Ce lourd dispositif mémoriel est identique à celui utilisé par les Soviétiques.
L'œuvre soviétique la plus importante a été d'apporter le concept de nationalité qui n'existait pas (seuls deux
termes désignaient des communautés : celles des liens tribaux (toïfa) et la communauté religieuse (umma). Il
a servi de base aux républiques indépendantes pour acquérir leur viabilité. C'est un résultat très paradoxal
puisque l'objectif des autorités soviétiques était précisément de s'assurer que les républiques créées ne
seraient pas viables.
Les politiques mises en œuvre par le gouvernement visent toutes à valoriser une continuité (temporalité par le
territoire, surenchère dans l'ancienneté des villes), de façon volontariste voire autoritaire. La population ne s'y
reconnaît pas toujours et ne se sent pas investie dans ce processus qui, du coup, ne contribue pas à construire
une citoyenneté ouzbèke.
Une communauté n'est pas un phénomène naturel, elle se construit par des actes instituants de manière à ce
que ses membres se sentent appartenir à une communauté de destin et d'intérêt. Les principes qui soustendent la construction de l'identité nationale ouzbèke sont laïcs et en cela ils devraient permettre l'émergence
d'une identité plurielle, indispensable à cette société qui repose sur le cosmopolitisme et le syncrétisme
culturel (Grecs, Turco-mongols, Perses, Chinois, Indiens, Russes) et religieux (persistance de croyances préislamiques, shamanisme) du fait de sa situation au carrefour des commerces et des conquêtes. Pourtant cette
laïcité est stratégique, pour contrer la menace de l'islam politique – seule opposition politique organisée - et
non par souci de tolérance. La pratique de l'islam est devenue tellement suspecte qu'il existe des témoignages
de musulmans qui se sont convertis au christianisme pour pouvoir exprimer leur foi sans risquer être
inquiétés.
La construction nationale repose sur un certain nationalisme culturel. Pourtant, il ne menace pas les groupes
minoritaires. Du fait justement du syncrétisme qui fonde la culture du pays, chacun peut revendiquer comme
siens les personnages ou les œuvres identifiés comme ouzbeks par le régime. La construction nationale
recherche une fierté nationale sans composante d'exclusion. Seuls deux groupes se sont sentis exclus dans ce
processus mais pour des raisons annexes : les Juifs (russes et boukhariotes), tout d'abord, ont massivement
quitté le pays dès 1991 tout comme ils ont quitté d'autres régions soviétiques à la même époque. Cette
émigration s'explique par le pouvoir attractif d'Israël et par la recherche d'une meilleure conjoncture
économique. Les Russes, d'autre part, ne pouvaient se reconnaître dans l'identité nationale puisque sa
construction visait principalement à faire oublier la période où ils dirigeaient le pays. On ne peut cependant
pas parler de discrimination car si certains postes sont effectivement réservés aux Ouzbeks – des postes de
représentation du pouvoir – leurs adjoints sont encore des Russes. Les Russes ont émigré également pour des
raisons économiques.
Enfin, il existe une vraie tension entre les Ouzbeks et les Tadjiks : les Tadjiks ont eu l'impression d'avoir été
spoliés de leur héritage culturel à la création des républiques dans les années 20 et rêvaient que les
indépendances remettent en cause les frontières et leur redonnent les prestigieuses villes de leur passé comme
Samarkand et Boukhara qu'ils considèrent comme le berceau de leur culture. Cette rancœur nourrit les
relations entre ces deux Etats sans représenter de réelle menace, surtout 14 ans après les indépendances et
dans un Tadjikistan qui sort d'une guerre civile.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
EN PERSPECTIVE…
En Asie centrale, si le pouvoir soviétique a échoué à pratiquer la fusion révolutionnaire entre les peuples et a
instauré des catégories qui n’existaient pas avant la colonisation russe – l’ethnie et la nationalité – au point de
légitimer des Etats indépendants, cette politique n’a cependant pas eu les conséquences dramatiques qu’elle a pu
connaître en Europe et notamment en ex-Yougoslavie. Le maintien des frontières a certes légitimé des entités
géopolitiques artificielles mais la politique de ces Etats ne connaît pas les excès nationalistes. La tradition de
complémentarité et de syncrétisme entre les différentes cultures qui cohabitent n’a pas été balayée et pourrait
constituer un terreau pour la démocratisation.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Kirghizstan
Processus instituants
La privatisation des services publics par les ONG
ETAT, VILLAGES, POUVOIR, SECURITE, ONG, SUISSE, BANQUE MONDIALE, ETATS-UNIS
Le Kirghizstan se pose en Etat faible et se montre sans moyen pour assurer les services de base à ses
citoyens. Ils ont donc été pris en charge par des ONG fortes de moyens financiers importants. Au niveau des
villages, il existe donc un face-à-face entre les représentants de l'Etat et les ONG.
Représentation de l'Etat au niveau du village
Au niveau du village, le pouvoir est incarné par le président de l'exécutif villageois, assisté d'un ou deux
secrétaires. Il s'occupe de l'état civil et de l'administration ; ce sont des enjeux sociaux mais pas économiques.
Il est épaulé par le conseil villageois, une assemblée élue, composée d'anciens qui a une autorité réelle mais
règle des affaires très modestes. Enfin il existe généralement aussi une association de jeunes (choro, du nom
des compagnons de Manas, héros de l'épopée kirghize) qui s'occupent des questions de sécurité notamment
lors de célébrations de mariages et de fêtes, ils veillent à ce que l'ordre public ne soit pas troublé (alcool,
drogues).
Représentation des ONG
Face à eux, les chefs locaux d'ONG sont installés dans des bureaux confortables, climatisés, équipés de ligne
téléphonique. Les moyens dont ils disposent, ostensibles, nuisent à l'autorité de l'exécutif villageois.
Les ONG sont principalement suisses, et elles s'occupent du domaine économique, aidées par la Banque
Mondiale, et américaines, tournées vers la société civile (démocratie, droits de l'homme, propriété privée...).
Les Américains sont très peu nombreux sur le terrain, ils ont formé du personnel kirghize.
Les ONG présentent au Kirghizstan sont très nombreuses : 300 sont officiellement enregistrées seulement dans
la région de Naryn.
Les services
Les institutions villageoises incarnent un Etat kirghize fantôme, impuissant, qui a abandonné aux ONG les
services de base. Les représentants locaux n'ont aucun moyen pour les assurer. Ainsi sont pris en charge par les
ONG :
•
•
•
les écoles : réparations et équipement
l'eau et l'irrigation, l'entretien des canaux
l'eau potable
Enfin, la population n'a aucune attente vis-à-vis des prestations sociales telles que les retraites ou autres
indemnités tellement elles sont basses. Elles ne contribueraient que très peu à soulager les difficultés
quotidiennes. Ces prestations existent officiellement mais dans la pratique elles sont très rarement versées 1 .
EN PERSPECTIVE…
Pour prétendre construire une collectivité, cette tendance doit absolument être inversée et l'Etat doit reprendre
l'initiative et la gestion des services publics.
1
Entretien avec Svetlana Jacquesson, docteur en ethnologie, spécialiste du Kirghizstan.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
PECO
Processus instituants
Lustration à l'Est
Purification et réconciliation dans les administrations
COMMUNISTES, COLLABORATION, SERVICES SECRETS, CHANTAGE, MANQUE DE TRANSPARENCE, JURIDICTION
Ces 15 dernières années dans les pays de l'Est ont été marquées par des publications, plus ou moins précoces,
plus ou moins complètes et plus ou moins bien encadrées de listes de collaborateurs, potentiels ou réels, avec les
services secrets des anciens régimes communistes. Dans presque tous les cas, ces démarches ont nourri des
rumeurs et des chantages, par manque de transparence. Au fil des années, des lois ont été adoptées pour réguler
l'accès aux dossiers et accompagner la publication de listes de juridictions ad hoc chargées de trancher une
collaboration effective ou supposée. La redécouverte de ce passé est indispensable mais elle a lieu dans un
climat de suspicion et d'amertume, de honte et de douleur.
Pour désigner cette opération, le terme « lustration » s'est imposé dans tous les pays. Il vient du latin
« lustratio » qui désigne le rituel courant dans la Rome antique de purification et de réconciliation au cours
duquel on offrait un sacrifice solennel 1 .
L'Allemagne de l'Est est le pays le plus précoce dans cette démarche :
Dès 1990, le siège de la STASI est pris d'assaut. Bonn encourage dans un premier temps la destruction des
dossiers avant de donner raison aux dissidents. En 1991, une loi est votée sur le traitement des dossiers de la
STASI et le Bureau Gauck (du nom de son premier directeur) est créé en 1992. 2 millions de personnes
viennent les consulter. La réunification a permis qu'un cadre juridique existe et que des moyens importants
soient consacrés à cette tâche (plusieurs milliers de personnes ont été employées). Ainsi il n'y a pas eu de
place pour la libre interprétation et les rumeurs.
La République tchèque
Une loi de 1996 permet à toutes les victimes d'accéder aux dossiers. En 2003, une liste de 75.000
collaborateurs est publiée, mais elle ne contient que peu d'agents de la police secrète. C'est pourquoi,
Cibulka, un ancien dissident publie la liste exhaustive avec 20.000 noms d'officiers, contre 106 sur la
précédente. Les dossiers se trouvent au ministère de l'Intérieur et sur un site Internet. La consultation est
publique et anonyme. Il faut être âgé d'au moins 18 ans et faire une demande préalable.
Pologne
Une première liste circule en 1992 qui nourrit d'âpres débats ; y figuraient 66 noms de hautes personnalités
de l'Etat. Une loi entre enfin en vigueur en 1997 et institue une cour spéciale habilitée à trancher s'il y a eu
collaboration ou pas, mais il reste la possibilité de faire appel, toutes les catégories ne sont pas concernées
(par exemples les journalistes) et il n'existe pas de sanction : les reconnus coupables perdent tout au plus leur
« qualification morale » pour occuper un poste.
En 1999, un institut de la mémoire nationale est créé, il gère les archives de l'ex-ministère de l'Intérieur et des
Services de sécurité. Les victimes ont accès à leur dossier et les journalistes et chercheurs à l'ensemble des
archives. En 2004, le président de la Diète, reconnu coupable de mensonge par le tribunal de lustration,
démissionne. Enfin en 2005, est publiée sur Internet la liste de Wildstein qui comporte 240.000 noms. En
réaction, de nombreux Polonais inscrits font des demandes de certificat de « non-collaboration » à l'Institut
car y figurent des gens approchés par les services de sécurité mais qui n'avaient pas forcément travaillé pour
eux. De nombreux dossiers avaient été détruits par les chefs de service pour protéger leurs indics.
Etats baltes
En Estonie, une loi de 1994 reconnaît les déclarations sur l'honneur. Si la collaboration est établie, elle n'est
pas rendue publique.
En Lettonie, les collaborateurs doivent se présenter à l'Office national de la mémoire historique. Une loi de
1994, instaure une enquête obligatoire sur les candidats aux élections et les fonctionnaires d'Etat sur des
postes nouveaux.
1
Ufi, magazine conservateur-libéral, Budapest, paru dans Courrier International, n°752, 31 mars au 6 avril 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
En Lituanie, la loi de 1999 demande aux personnes ayant travaillé pour le KGB de se présenter devant une
commission spécifique. Mais le dispositif comporte des failles : des personnalités ont échappé au système
sous le prétexte qu'ils étaient officiers de réserve.
Une partie des dossiers se trouvent à Moscou puisque le KGB avait procédé à la destruction ou le transfert de
nombreux documents. Dès l'indépendance, une loi prévoyait l'assainissement de la vie publique, l'ouverture
des archives, l'exclusion des anciens collaborateurs et le procès des agents du KGB. L'accès est ouvert à tout
citoyen sauf en Lituanie, où seules peuvent y accéder les victimes ou les personnes après une autorisation
préalable.
Roumanie
Dès 1990, il existe une pression pour le silence, la collaboration est un sujet tabou tellement le phénomène
avait pris une ampleur considérable. On estime à un million le nombre des collaborateurs sur 22 millions de
Roumains. C'est le « joug de la peur ». Un journaliste dénonce :
« Un peuple dont on laisse la mémoire perdre sa substance risque de découvrir que son destin s'est
métamorphosé en agonie. Un peuple qui finit par comprendre qu'il n'a plus rien à attendre de la justice est
condamné à survivre dans la défiance et le désespoir ». (Radu Portocala, journaliste et écrivain exilé à Paris,
auteur de Autopsie de coup d'Etat roumain, éd. Calman-Lévy, Paris, 1990).
En 1989, la Securitate prend le nom de SRI, Service Roumain d'Information. En 1999, une loi crée le Conseil
National pour l'Etude des Archives de la Securitate (CNSAS) et permet à tout citoyen d'accéder aux dossiers
le concernant mais le retour des anciens communistes en 2000 bloque le processus. En 2005, le nouveau
président, Traian Basescu, ordonne le transfert rapide vers le CNSAS.
Slovaquie
La loi qui crée l'Institut de la Mémoire Nationale en 2002 est véritablement révolutionnaire : elle permet au
public un accès aux archives confidentielles de l'ancien régime, plus large qu'en Pologne, en République
tchèque et en Hongrie.
Les dossiers y ont été tous transférés. La liste des collaborateurs a été publiée sur un site Internet
gouvernemental où la consultation est publique et anonyme.
Hongrie
Le département de Sécurité intérieure est dissout en 1990 mais de nombreux employés intègrent le nouvel
Office de sécurité nationale. En 1994, la lustration est imposée pour certains postes à responsabilité. En
1996, est crée l'Office de l'Histoire. L'accès aux dossiers disponibles est prévu pour les victimes, les
magistrats spécialisés et les chercheurs. Mais de nombreux dossiers avait été détruits ou d'autres restent
classés secret d'Etat. En 2002, le Premier Ministre, et ex-espion, Péter Medgyessy promet l’ouverture des
archives. Son successeur Ferenc Gyurcsàny fera la même chose. La question fait débat au sein du Parlement
alors que plusieurs listes apparaissent sur Internet.
Bulgarie
Les dossiers qui n'ont pas été détruits, se trouvent au Ministère de l'Intérieur et de la Défense. En principe
tout citoyen y a accès mais en pratique personne. Il faut attendre 1992 pour que l'interdiction de détruire les
dossiers soit votée et 1997 pour que soit décidé un large accès aux documents et créée une commission
censée les gérer et établir une éventuelle appartenance aux services de sécurité. Cette loi est finalement
abrogée et remplacée par une autre qui prévoit le dépôt des dossiers aux archives de l'Etat, mais sa réalisation
est renvoyée aux calendes grecques.
Une lustration plus approfondie est difficilement imaginable à cause des pratiques trop courantes de
manipulation de dossiers, étouffement des affaires et la suppression d'une grande quantité de dossiers au
changement de régime. Le cas de la Hongrie est à ce titre remarquable, la destruction des dossiers s'est faite à
une échelle industrielle : 100.000 sur 110.000 dossiers de recrutement.
EN PERSPECTIVE…
De la même manière qu’une Commission Vérité et Réconciliation ou qu’une justice transitoire est indispensable
dans les pays émergeants d’un conflit violent, toute la lumière doit être faite sur les termes de la collaboration
des populations des PECO avec leurs services secrets. Ce besoin de vérité est nécessaire pour réconcilier la
société mais aussi pour empêcher les pratiques abusives qui creuseraient encore davantage les fossés entre les
individus.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Afrique du Sud
Processus instituants
Quelle identité pour la « nation arc-en-ciel »?
COHESION NATIONALE, DIVERSITE, UNITE, MEDIATION, PLURILINGUISME, ANGLAIS SUD-AFRICAIN, LINGUA FRANCA
La fin de l’Apartheid sud-africain est marquée par l’émergence d’un symbole fort, soutenu par Desmond Tutu :
l’arc-en-ciel. Alors que l’Apartheid consacrait des politiques fondées sur la promotion du développement séparé
et sur la volonté d’exclure toujours plus les non-Blancs de l’Etat et de l’espace public, le nouveau régime
cherche à rassembler et à intégrer les populations auparavant discriminées. Un renversement s’est opéré :
l’exigence devient la prise en compte et la valorisation de la pluralité culturelle de l’Afrique du Sud, comme
source d’une identité commune. Il s’agit de voir comment se construit la diversité de cette identité, en se
centrant particulièrement sur la question des langues, vecteurs importants de l’expression et de la diffusion des
cultures.
Entre volonté politique et jeu médiatique, une conscience nationale fragile
Emblème riche de sens, l’arc-en-ciel représente ici la réconciliation et la réunion entre les groupes ethniques,
culturels, identitaires. L’arc-en-ciel matérialise en effet l’alliance et renvoie à la médiation. Toutes ces
images, promues par les politiques et les médias référent à une nouvelle concorde qui semble encore bien
fragile.
La promotion de « l’unité dans la diversité » sud-africaine est tout d’abord une volonté politique qui a pour
optique la reconstruction de la cohésion nationale. La première mesure de cette reconstruction est la déterritorialisation ethnique : au niveau national, par la réintégration des bantoustans et au niveau local, par la
refonte des zones urbaines. La volonté politique se traduit en outre par l’adoption de nouveaux symboles
« destinés à offrir à l’intérieur comme à l’extérieur l’image d’une nation multiethnique, pluriculturelle et
pluri-identitaire en pleine acceptation, exhibition, et célébrations de ses différences » 1 . Le nouveau régime
adopte un nouveau drapeau, signe de ralliement par excellence, qui rassemble les couleurs des drapeaux des
communautés noire et blanche, et ainsi leurs deux histoires. Il en va de même pour le nouvel hymne national,
Nkosi Sibele’i afrika, traduit dans les onze langues officielles : de nouveau, à l’histoire blanche, l’histoire
noire ne se substitue pas, elle s’y ajoute. Ces deux symboles attestent de la volonté du gouvernement de faire
coexister noirs et blancs sur le même territoire. Le changement de date de la fête nationale témoigne de la
célébration d’une ère nouvelle : le 27 avril fête le retrait de l’Afrique du Sud de l’Apartheid et l’avènement
de la nouvelle Afrique du Sud. Et comme, à l’instar d’un drapeau, d’un hymne ou d’une fête nationale, la
toponymie raconte aussi une certaine histoire et dans le cas de l’Afrique du Sud, l’histoire de la domination
de l’homme blanc sur l’homme noir, il devient politiquement nécessaire de procéder à quelques
changements, dont la notable modification, au printemps 2005, du nom de la capitale administrative : de
Pretoria, nommée ainsi en hommage au héros afrikaner Andries Pretorius, la ville devient Tshwane, nom de
la ville avant l’arrivée des Afrikaners et qui signifie en langue tswana (la langue la plus parlée dans la région)
« nous sommes les mêmes ». Cette idée du « nous ensemble mais divers » 2 est reprise par les médias : la
première chaîne de télévision, par exemple, a pour image de marque et slogan « simunye, we are one », à
traduire par « ensemble, nous sommes une ». Ceci n’est qu’un échantillon de la multiplicité des images et
expressions qui circulent sur cette thématique. Cette démonstration s’adresse tant à la communauté
internationale, comme en témoigne le site internet http://www.rainbownation.com (site destiné
principalement aux touristes internationaux) qu’aux sud-africains dans leur ensemble, comme l’atteste le site
internet www.sareunited.com (site de rencontres ou de retrouvailles qui s’appuie sur cette image de la
réunification). Instrument politique et publicitaire, la métaphore de l’arc-en-ciel ne semble pas pour autant
être une réalité.
L’Afrique du Sud est une des populations les plus complexes au monde. Parmi ses 45 millions d’habitants,
31 millions sont noirs, 5 millions sont blancs, 3 sont métis, 1 million est d’origine indienne. On distingue
dans la population noire quatre groupes ethniques principaux. La population blanche est à 60% issue des
descendants de colons hollandais, et les 40% restant sont majoritairement d’origine britannique. Cette
diversité ethnique est complétée par une multitude de langues parlées dont onze sont reconnues
1
2
Lanni, Dominique. Afrique du Sud, naissance d’une nation plurielle, Ed. de l’Aube, Coll. Monde en cours, 1997, p 59.
Salazar Philippe. Afrique du sud, la révolution fraternelle, Ed. Hermann, Coll. Savoirs : Cultures, 1998, p 54.
121
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
officiellement. Ce foisonnement culturel n’a pourtant pas toujours été considéré comme des richesses à
mettre en commun, bien au contraire. Les politiques de développement séparé, qui avaient cours lors des
longues décennies de l’Apartheid ont plutôt ancré dans les imaginaires des représentations négatives de
l’autre. La population sud-africaine est ainsi encore marquée par des peurs et des blocages devant sa propre
diversité, voire du scepticisme quant à la réalisation d’un dessein commun. La suppression des lois de
ségrégation ne suffit pas à effacer les systèmes psychologiques basés sur la séparation. Le sens de la
communauté chez la nation sud-africaine est en effet bien fragile, comme en témoigne le sondage mené pour
le compte de la Fondation Helen Suzman 3 . A la question « Pensez-vous que les Sud-africains soient unis
dans une nation unie ? », plus de la majorité de chaque communauté (blanche, indienne, métis et noire)
répond que « cela prendra du temps » pour que cette union soit effective. Les résultats de ce sondage
montrent toutefois des différences dans le sentiment unitaire suivant les communautés. Presque la moitié de
la communauté blanche pense que cette union n’aura jamais lieu, tandis que la groupe le plus important à
penser que cette union est réalisée est la communauté noire, mais seulement à 19%. La cohésion nationale est
encore faible. Le plus difficile reste encore à concilier le besoin de la communauté noire d’effacer les traces
de la domination blanche (surtout afrikaner) et le refus de la communauté blanche d’oublier son histoire. La
nouvelle nomination de la capitale administrative Pretoria devenue Tshwane a provoqué une forte
protestation des Afrikaners et a été l’occasion d’exprimer cette tension.
Ainsi la Rainbow Nation, comme creuset où se fondraient harmonieusement les races et les cultures, reste-telle encore à construire. Une telle histoire et une telle diversité sont autant d’éléments qui enrayent la
réalisation immédiate d’une cohésion nationale et qui font pencher vers l’idée que seul le temps long pourra
donner des réponses quant à sa réussite. Toujours est-il que la perception et l’utilisation des langues peuvent
nous donner des informations sur cette nouvelle société en train de se créer.
Les enjeux de l’arc-en-ciel linguistique
Un panorama linguistique semble en effet primordial pour appréhender l’identité culturelle d’un pays. Les
domaines les plus concernés par la question des langues sont l’enseignement et l’administration, lieux de
promotion, d’éducation et de communication. Avec onze langues officielles, l’Afrique du Sud est ici
questionnée dans les enjeux de sa diversité linguistique.
Le plurilinguisme, entre idéal politique et état de fait
Le plurilinguisme est inscrit dans la Constitution comme un idéal, comme un appel à la réconciliation et à la
prise en compte de la parole de l’autre. L’officialisation de neuf langues africaines, aux côtés de l’anglais et
de l’afrikaans est en effet l’occasion d’affirmer l’acceptation de l’héritage culturel et identitaire véhiculé par
ces langues, voire même la célébration de la richesse culturelle et identitaire de tout le pays. En outre, alors
que sous l’Apartheid, la question des langues se trouvait sous le signe de l’obligation (imposition de
l’afrikaans comme langue officielle, obligation pour les Africains d’étudier dans la langue de leur ethnie 4 ), le
nouveau régime sud-africain, encourage l’usage égal de toutes les langues, insiste sur les droits linguistiques,
communautaires et individuels. Les provinces sont libres de choisir leurs langues officielles, avec pour
condition d’en choisir au moins deux parmi celles reconnues officiellement. Les individus sont assurés de
pouvoir utiliser la langue officielle de leur choix dans leurs rapports avec la fonction publique. Le choix des
langues est de même à la charge des établissements scolaires. Un organisme est créé spécialement pour
développer le multilinguisme : le Pan South-African Language Board (PANSALB). Mais en réalité ce
multilinguisme existe déjà. Neuf des langues officielles africaines peuvent être regroupées en deux groupes
linguistiques, ce qui explique une inter-compréhension fréquente. En moyenne, les Sud-africains
comprennent cinq à six langues dont l’anglais et l’afrikaans. Ainsi, le droit de s’exprimer dans la langue de
son choix dans n’importe quelle assemblée publique a une réalité 5 : les locuteurs changent et mélangent les
langues selon leurs auditeurs, dans une même assemblée. Le problème que pose alors les politiques
promouvant l’usage égal des différentes langues est le coût que nécessite toute la machinerie de traduction et
d’impression, un coût au-delà des moyens de l’Afrique du Sud. Et malgré la volonté politique de promouvoir
les langues africaines, les Africains eux-mêmes semblent leur préférer une autre langue, l’anglais.
3
Résultats donnés par Salazar Philippe, in Op.Cit. p 55.
Bantu Education Act, loi de 1953 qui établit un système d’éducation pour les populations noires, en vigueur sous
l’Apartheid, visant à limiter l’instruction de ces populations (lire, écrire, compter dans leur seule langue maternelle).
5
Gervais-Lambony, Philippe. « L’Afrique du Sud est-elle anglophone ? », entretien paru dans la revue Hérodote
«Géopolitique de l’anglais », 4° semestre 2004, n°115.
4
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
L’anglais, la langue de communication en expansion
Avec ses 8,2% de la population possédant l’anglais comme langue maternelle (contre 24% pour le zoulou),
l’Afrique du Sud n’est pas un pays anglophone. Pourtant, malgré son sixième rang des langues parlées,
l’anglais est la langue de communication la mieux partagée et utilisée dans toutes les régions du pays
(contrairement à l’afrikaans ou aux autres langues africaines bien plus localisées). Langue urbaine, elle porte
une aura de libération parmi la population noire. L’histoire de sa diffusion l’explique : la politique coloniale
britannique était favorable à la diffusion de l’anglais, à travers les missions, afin de « civiliser » les indigènes.
Cette éducation en anglais, au début du siècle, est à l’origine de la formation d’une élite noire, source même
du Congrès National Africain, parti qui lutte tout le siècle contre l’Apartheid. Pendant les décennies de
ségrégation, en outre, l’anglais est mis de côté par le gouvernement afrikaner. Pourtant même à cette période,
l’anglais reste majoritaire dans l’enseignement secondaire et supérieur, dans le commerce, les technologies et
la communication interne et internationale. Aujourd’hui, son hégémonie est contestée par les politiques et les
médias qui en appellent au développement et à la modernisation des langues africaines, et pourtant l’opinion
publique reste en faveur de cette langue moins ethnique. Cette préférence donnée à l’anglais s’explique en
effet par sa certaine neutralité par rapport aux autres langues, les trois millions et demi de personnes dont
l’anglais est la langue maternelle ayant des origines raciales très diverses. En fait, cette lingua franca qu’est
l’anglais ne correspond pas à l’anglais standard. On parle alors d’anglais sud-africain 6 : son vocabulaire est
influencé par les dix autres langues officielles, sa prononciation et ses intonations diffèrent selon la
communauté ethnique. Dès lors, on peut dire qu’il n’existe pas un seul anglais sud-africain mais un anglais
correspondant à chaque communauté ethnique, même si leurs différences ont tendance à s’estomper depuis la
fin de l’Apartheid. Cette langue au croisement de toutes les cultures sud-africaines pourrait alors être la base
d’une communauté toujours en expansion, une sorte d’arc-en-ciel linguistique, les gens parlant l’anglais
comme première, deuxième, voire troisième langue. Si aujourd’hui « l’anglais profite de la complexité
linguistique » 7 , il pourrait devenir demain « le « ciment » linguistique unissant une société diverse et
complexe » 8 .
Dans la mosaïque de cultures que représente l’Afrique du Sud, l’unité reste encore à consolider. La métaphore de
l’arc-en-ciel, bien que controversée, a toutefois le mérite de réaffirmer sans cesse la nécessité de la médiation et
de la communication. Cette exigence a été prise en compte dans les politiques linguistiques, qui, même si elles
sont parfois frileuses, ont amené les langues africaines dans l’espace publique, où l’anglais reste malgré tout
dominant. Cette prédominance n’est pas des plus négatives car d’une certaine manière, elle « déracialise » la
question linguistique, permettant ainsi une communication au-delà des différences.
EN PERSPECTIVE…
La question de la cohésion nationale en Afrique du Sud ne paraît pas pouvoir être résolue à cette étape de la
transition. Il s’agit aujourd’hui tout d’abord de se réconcilier avant de pouvoir se penser comme une nation. Les
inégalités sociales, stigmates de l’Apartheid, sont encore trop visibles pour pouvoir vivre sereinement cette
alliance des différences.
La décentralisation a permis aux provinces, ethniquement relativement homogènes, d’adopter une série de droits,
permettant ainsi de reconnaître juridiquement des distinctions entres communautés (cf. langues). Cette
reconnaissance de droits communautaires semble être un pas vers la Nation arc-en-ciel. L’Affirmative Action, loi
sur l’emploi mettant en place des mesures de discrimination positive envers les non-Blancs pousse
paradoxalement une part importante de la population blanche à se sentir condamner à pâtir d’un apartheid
renversé. L’équilibre reste à trouver entre communautarisme et sentiment national.
6
Penny Silva, « South Africa English : Oppressor or Liberator ? », http://www.ru.ac.za/affiliates/dsae/MAVEN.HTLM
Lory, George, L’Afrique du Sud, Ed. Karthala, 1998, p 134.
8
Penny Silva, Op.Cit.
7
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
El Salvador
Processus instituants
“De la folie à l’espoir : douze ans de guerre civile au Salvador”
COMMISSION VÉRITÉ, JUSTICE DE TRANSITION, RÉCONCILIATION, AMNISTIE, GUERRE CIVILE
Le 16 janvier 1992 à Chapultepec au Mexique sont signés les accords finaux de paix mettant fin à douze années
de guerre civile et 79000 morts (sur cinq millions d’habitants). L’accord prévoit un cessez-le-feu à compter du
1er février 1992, le désarmement et la réintégration à la vie civile des guérilleros, la réduction de moitié de
l’effectif des forces armées, l’épuration du corps des officiers impliqués dans les violations des droits de
l’homme, la formation d’une police civile, la répartition des terres et la publication du rapport de la
Commission Vérité.
Cette justice de transition répond au besoin de connaissance de l’histoire mais aussi au besoin de justice dans
des pays victimes de guerres civiles. Etant donné que souvent l’Etat, soit directement soit par l’intermédiaire
d’une de ses émanations a encouragé les violations des droits de l’homme, les commissions composées d’experts
indépendants ont davantage de légitimité qu’un tribunal national.
Nous verrons par conséquent tout d’abord le fonctionnement et le mandat de la Commission pour ensuite étudier
ses recommandations puis le bilan que nous pouvons en tirer.
Les travaux de la Commission Vérité
Les membres de la Commission Vérité ont été nommés en décembre 1991 par le Secrétaire général des
Nations Unies, Javier Perez de Cuellar, après consultation des parties. Pour éviter tout risque de partialité,
aucun salvadorien ne va être engagé.
La Commission Vérité est composée de trois personnalités reconnues pour leur action en faveur des droits de
l’homme . Il s’agit de Belisario Betancour, ancien président de Colombie, Reinaldo Figueredo, ancien
Ministre des Affaires étrangères du Venezuela et de Thomas Berguental, juriste étasunien. Des juristes,
sociologues, anthropologues légistes et travailleurs sociaux originaires d’autres pays d’Amérique latine, des
Etats-Unis et d’Europe sont également nommés.
La Commission va avoir six mois pour effectuer sa mission qui consiste à faire des recommandations
concernant les mesures législatives, politiques ou administratives devant être prises à l’issue de la guerre. Le
but des mesures préconisées est de prévoir des moyens pour empêcher la répétition des actes commis ainsi
que de proposer des initiatives pour promouvoir la réconciliation nationale.
Les enquêtes de la Commission portent sur les actes graves de violence qui ont eu « un impact spécifique ou
étendu sur la société en général » et qui se sont produits entre janvier 1980 et juillet 1991 ». La Commission
demande à toute victime ou témoin de communiquer ses renseignements, par ailleurs, la Commission « peut
prendre toute mesure ou mener toute enquêtre qu’elle juge utile à l’exercice de son mandat, y compris la
demande de transmission de rapports, registres documents ou pièces probantes par toutes les parties
1
concernées ou toute autre information par les autorités et services gouvernementaux . »
Durant les premiers mois, les témoins souhaitant communiquer leurs renseignements ont été peu nombreux
sans doute en raison d’un manque de confiance généralisé dans la commission et car la recherche de
renseignements intervenait trop peu de temps après la cessation des violences, alors que les gens ne savaient
pas encore si la paix serait durable 2 .
La Commission Vérité a enregistré 22 000 plaintes d’actes sérieux de violence entre janvier 1980 et juillet
1991. La Commission ne présente dans son rapport que les cas dans lesquels elle a pu obtenir des «indices
sérieux » ainsi que des cas célèbres ou paradigmatiques. Par conséquent, le rapport ne comporte pas
d’information sur la majorité des victimes dont la déposition a été recueillie. Cela explique peut-être les
résultats suivant :
85% des plaignants ont attribué la violence à des agents de l’Etat, à des groupes paramilitaires alliés ou aux
pelotons de la mort.
Les plaintes enregistrées accusant le FMLN s’élèvent à environ 5% des cas.
1
Article 7d) des Accords du Mexique du 27 avril 1991.
Salvador : Commission vérité des Nations Unies pour le Salvador,
http://www.truthcommission.org/commission.php?cid=2&case_x=0&lang=fr
2
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Des recommandation porteuses d’espoir
La Commission a rendu son rapport « De la folie à l’espoir, douze ans de guerre au Salvador » dans lequel
figurent les noms des principaux coupables des massacres les plus importants le 15 mars 1993. Cinq jours
plus tard, conformément à l’accord signé entre le FMNL et le Président, la Ley de Amnistía General para la
Consolidación de la Paz 3 (Loi d'amnistie générale pour la consolidation de la paix) est promulguée.
La Commission a émis plusieurs recommandations en se basant sur quatre principes : la démocratie, la
participation, le respect de la loi, et le respect des droits de l’homme qui sont la raison d’être des principes
précédents et le fondement d’une société organisée pour servir chaque individu, chacun étant libre et digne.
Pour éviter toute résurgence du conflit et permettre la réconciliation nationale, la Commission recommande
entre autre, une réforme des forces armées et le licenciement des officiers de l’armée et des officiers civils
coupables de violence, une réforme judiciaire (réforme de la Court Suprême de Justice et Conseil national du
Judiciaire, épuration du personnel judiciaire, réforme sur l’administration de la Justice), une réforme du
secteur de la sécurité publique, une enquête sur les anciens groupes illégaux ainsi que diverses mesures sur la
protection des droits humains (le renforcement du Bureau du Conseil national pour la défense des droits
humains, le renforcement de certaines procédures, le respect de certains principes, la ratification de divers
instruments internationaux, la reconnaissance de la compétence de la cour interaméricaine des Droits de
l’Homme).
Les victimes et leur famille doivent avoir droit à une compensation matérielle et morale. Pour ce qui est de la
compensation matérielle, la Commission recommande la création d’un fonds spécial (en prévoyant son
organisation et son financement). Quant à la compensation morale, la Commission conseille la
reconnaissance des victimes et des crimes commis, la construction d’un monument national portant les noms
des victimes, et l’instauration d’un jour férié national en mémoire des victimes du conflit.
Un bilan mitigé
A court terme, le bilan est plutôt positif même si quelques faiblesses et lacunes sont à constater, telle que la
courte durée de son activité qui l’a obligée à se concentrer sur les cas les plus importants.
La Commission Vérité a exécuté une tâche qui devait normalement incomber au système judiciaire, or
souvent les crimes avaient été commis avec le soutien direct ou indirect des institutions, c’est pourquoi il
aurait été difficile de donner la responsabilité des enquêtes au système judiciaire. Le rapport a mis en
évidence le nom des principaux coupables des exactions les plus importantes.
Cependant, les recommandations de la Commission n’ont été que partiellement appliquées et souvent avec du
retard et ce probablement en raison de la nature même des recommandations basées sur des principes
internationaux parfois éloignés de la réalité au Salvador.
Joaquin Villalobos 4 note quatre points négatifs : le rapport n’était pas équilibré (la responsabilité incombe
seulement à l’armée et à un seul des cinq groupes de guérilla), les recommandations allaient parfois à
l’encontre de la nature même de l’accord (interdire toute action politique à certains assignés par exemple), et
la Commission Vérité n’encourageait pas l’aveu comme mécanisme de réconciliation ni ne recommandait
que les parties demandent pardon à la société.
A long terme, les conséquences attendues, principalement la réconciliation nationale, ne se sont pas réalisées.
Aujourd’hui, l’impunité mise en place par la loi d’amnistie, peu de jours après la promulgation du rapport de
la Commission est très fortement remise en cause. Lorsqu’ont été signés les accords de paix, la loi d’amnistie
était une composante centrale de la pacification. A ce moment, il était fondamental de garantir le caractère
démocratique des nouvelles institutions, d’en finir avec les structures qui favorisaient les abus de pouvoir et
de démanteler l’appareil armé de la rébellion. Sans cette loi, il aurait été impossible de transformer le FMLN
en parti politique, de créer la Police Nationale Civile, d’épurer les forces armées, de rendre indépendant le
pouvoir judiciaire et de donner prééminence au pouvoir civil 5 . Joaquin Villalobos estimait, déjà en 1993, que
le «climat de réconciliation » perceptible dans son pays était dû au fait que les accords de paix avaient établi
«un équilibre réel entre les forces en présence ». Mais, ajoutait-t-il, «il y a malgré tout des tensions qui
pourraient, soudain, tout remettre en question. » 6 Ces tensions sont apparues.
3
Texte disponible à l’adresse suivante : http://www.asamblea.gob.sv/leyes/19830210.htm
Joaquin Villalobos, « Ni vainqueurs ni vaincus : la paix au Salvador » in Critique internationale n°5, automne 1999
5
Joaquin Villalobos, « La Ley de Amnistia debe derogarse », 2 avril 2005, http://luisdelion.free.fr/amnistia.html
6
Bertrand de la Grange, « Salvador : vers la consolidation de la paix », Le Monde, 19 mai 1993
4
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Les enjeux de la loi d’amnistie
Afin de permettre une réelle réconciliation, il serait nécessaire aujourd’hui d’annuler la loi d’amnistie et de
juger les coupables des crimes.
Peu de temps après la promulgation de la loi d’amnistie, un recours a été porté devant la Cour Suprême qui
l’a rejeté au motif que cette loi était un acte politique, et que par conséquent la Cour n’avait pas compétence
pour se prononcer sur sa validité. En 1997, la Cour a de nouveau été saisie d’un recours tendant à faire
déclarer inconstitutionnelle la loi d’amnistie 7 .
La Commission interaméricaine des droits de l’Homme a en outre déclaré lors de rapports rendus que l’Etat
avait violé le droit à la vie, le droit aux garanties judiciaires des familles des victimes, et le droit à la
protection de la loi et a manqué à ses obligations d’enquêter sérieusement et de bonne foi, d’identifier les
responsables des violations et de leur appliquer les sanctions prévues par la loi. Cependant l’Etat a refusé
d’appliquer les recommandations de la Commission.
Selon plusieurs organismes de défense des droits de l’Homme, la loi d’amnistie a donc perverti le travail fait
par la Commission vérité et ne permet aujourd’hui pas une réelle réconciliation au sein du peuple
salvadorien, pour preuve le manque de confiance envers les institutions démocratiques et l’abstention
observée périodiquement aux élections.
EN PERSPECTIVE...
L’Argentine pourrait être un modèle pour le Salvador concernant l’annulation des lois d’amnistie. Après presque
vingt ans d’incessante lutte contre l’impunité de la part des parents des victimes ainsi que des associations de
défense des droits de l’homme, les lois dites de «Punto final » et d’ « Obediencia debida » promulguées
respectivement en 1986 et 1987, peu de temps après le rapport «Nunca más » de la Commission Nationale sur la
Disparitions des Victimes ont été déclarées inconstitutionnelles le 14 juin 2005. Cela va permettre à un nombre
important de militaires (entre 1 000 et 1 500, selon les sources, parmi lesquels environ 10 % sont toujours en
exercice) d’être à nouveau convoqués devant la justice. Ils pourront être mis en examen pour leur implication
dans la disparition de personnes, dans des cas de torture ou bien pour d’autres atteintes aux droits de l’homme 8 .
7
Amnesty International, « Seule la Justice permettra d’instaurer la paix », avril 2001,
http://web.amnesty.org/library/Index/FRAAMR290012001?open&of=FRA-351
8
« Argentine : la Cour suprême déclare les lois d'amnistie inconstitutionnelles », Le Monde, 14 juin 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Ouzbékistan
La société civile
Les promesses de la société civile
CLANS, IDENTITES LOCALES, RESEAUX, POUVOIR, SOLIDARITE, OBLIGATIONS, MOBILISATION, MAHALLA,
MOSQUEES, PARTIS POLITIQUES, ISLAMISME,
Valeurs de la société civile ouzbèke
Deux concepts doivent être précisés pour identifier les valeurs fondatrices de la société civile ouzbèke :
l'ethnie et le despotisme.
Le concept d'ethnie a été importé par les Russes dès la colonisation du XIXe siècle alors que les populations
locales n'avaient pas cette conscience. Il est demeuré au fondement de la création des républiques
soviétiques, élargi à l'idée d'« ethnie titulaire ». A l'indépendance de ces républiques les populations s'étaient
approprié ce concept d'ethnie et l'ont pris pour base de construction des nations mais, dans le fonctionnement
politique, deux valeurs restent plus importantes que l'ethnie : l'origine familiale et le territoire. Le jeu
politique national oppose des clans au sein desquels Ouzbeks et Tadjiks sont mélangés et qui se définissent
en fonction de leur lignage et de leur origine géographique. Les identités locales – village ou cité – sont bien
plus prégnantes que les identités ethniques.
Le régime de Karimov est décrit comme un despotisme brutal – et de nombreuses caractéristiques fondent ce
jugement – pourtant cette image doit être nuancée par une organisation en réseaux qui apporte solidarité,
appui et ressources. Ce sont des réseaux régionaux, de familles et d'amis, de confiance et qui ont des
obligations les uns avec les autres. Le but de chaque clan est de pousser le plus haut possible ses membres
dans la hiérarchie du pouvoir. C'est essentiel pour comprendre la société civile d'aujourd'hui. Dans ce jeu
politique, les relations qui font le pouvoir sont tenues hors de la sphère publique. Cette opacité laisse penser à
tort qu'il n'y a pas de société civile.
Structures de la société civile
La mahalla désigne à la fois le quartier d'habitation et l'ensemble des relations que conditionne ce voisinage.
Ces relations de solidarité sont fondées sur des valeurs familiales et religieuses. Elles consistent en une
variété d'échanges de biens et de services (nourriture, cadeaux, argent, garde d'enfants, travail, conseil,
médiation). Ces échanges donnent lieu bien sûr à des devoirs et des obligations. La hiérarchie est très
présente, entre les riches et les pauvres, les anciens et les jeunes, ceux qui ont un pouvoir (administratif local)
et les autres. Ce réseau est indispensable, sans lui un individu ne peut rien obtenir, il devient un marginal.
Dans le milieu rural, le fonctionnement est le même au niveau du village ou du kolkhoze. C'est le quotidien
de l'environnement des Ouzbeks avec le travail, l'école et l'armée.
À l'intérieur de ces ensembles, mahalla ou village, les mosquées structurent également la vie sociale des
Ouzbeks. Elles sont de différentes natures : les mosquées de quartier sont l'expression de la sociabilité locale;
les mosquées historiques permettent de renouer avec l'histoire et les mosquées-cathédrales (joma') offrent un
cadre à une mobilisation politique plus grande. La construction de mosquées au lendemain de l'indépendance
est devenue un phénomène spectaculaire au point que le gouvernement a décidé de la ralentir pour essayer de
freiner l'islam politique.
A l'intérieur des mahalla qui sont elles-mêmes structurées avec les mosquées, s'organisent des réseaux
d'individus, constitués par divers vecteurs : les lignages, les alliances matrimoniales, les relations
professionnelles, les amitiés, le voisinage. L'ensemble de ces relations forme un faisceau d'obligations mais
assure également d'une solidarité sans faille. C'est sur la base de ces réseaux que les mobilisations
s'organisent.
Les partis politiques aujourd'hui en Ouzbékistan sont le fait de la fabrication du pouvoir pour donner
l'illusion d'un jeu démocratique. Ils ne peuvent exister qu'avec la permission du gouvernement. Pourtant la
perestroïka a permis l'apparition de plusieurs partis politiques à base nationaliste et religieuse mais qui ont
été supprimés dès l'indépendance. Aujourd'hui la population languit le retour du pluralisme politique. Une
preuve de cette impatience a été apportée par l'enthousiasme avec lequel la population s'est engagée dans une
brèche ouverte lors des législatives de 2000 : les « groupes d'initiatives ». Des candidats indépendants
pouvaient se présenter s'ils étaient soutenus par un nombre suffisant de citoyens (les candidats devaient
recueillir quelques 8000 signatures et les partis 50.000). Le recueil de signatures a mobilisé pendant des
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
semaines les déçus de l'indépendance prouvant ainsi qu'ils croyaient encore dans leurs institutions. Le
pouvoir s'est ensuite arrangé pour rendre impossible l'élection de ces candidats.
Le président Karimov a toujours combattu l'islam militant comme étant la première menace contre la paix en
Ouzbékistan. Cet impératif a d'ailleurs donné lieu à une politique de répression brutale et arbitraire y compris
contre les groupes politiques et religieux modérés, au point de radicaliser l'opposition et de ne plus lui laisser
d'autre espoir que l'islam politique et d'autre espace d'expression que la violence. Les mouvements islamistes
clandestins recouvrent principalement deux formations : le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan (MIO) et le
Hiz-ut Tahrir. Le Parti de la Renaissance Islamique avait fait l'objet d'une répression précoce et son chef avait
été arrêté dès décembre 1992. Le MIO regroupe plusieurs mouvements contraints à l'exil par la répression qui
se lancent dans la lutte armée. Ils se sont réfugiés au Tadjikistan, au Kirghizstan et en Afghanistan sous la
protection des Talibans. C'est depuis l'étranger qu'ils lancent des incursions sur le territoire ouzbek : une
vague d'attentats (5 bombes en quelques heures) frappe Tachkent en février 1999, dans l'extrême sud du
Kirghizstan (ouzbek) plusieurs villages font l'objet de prises d'otages pendant 2 mois et à plusieurs reprises
depuis les troupes gouvernementales s'affrontent avec les militants de ce mouvement aux zones-frontières
kirghizes et tadjikes. En 2004, la capitale, Tachkent a connu deux nouvelles vagues d'attentats, en mars-avril
(touchant également Boukhara) et en juillet.
La distinction entre l'islamisation (port du voile) et la re-traditionalisation encouragée par l'Etat (plus grand
conservatisme des mœurs et déclin du statut de la femme) n'est pas aisée. Karimov en insistant sur la tradition
a encouragé la ré-islamisation qui s'est retournée contre lui. La loi de 1993 sur les mahalla, en
institutionnalisant les aqsakal (les Anciens) a souvent donné un poids nouveau à des mollahs parallèles.
L'islam militant, radical et importé en Ouzbékistan, doit être distingué d'un islam traditionnel, éclectique
(persistance de traditions pré-islamiques comme Novruz, tolérance pour la consommation d'alcool), tolérant
et hospitalier.
Obstacles, réels ou fictifs
On dit souvent que les peuples d'Asie centrale ne peuvent s'adapter à des institutions de type occidental et au
jeu politique démocratique, pour des raisons historiques : ils étaient, encore au début du XXe siècle, dirigés
par des régimes féodaux ; leur Etat n'a jamais existé avant 1991. Reconnaître ces arguments serait donner
raison à Karimov qui abuse de ces arguments culturalistes pour justifier son autoritarisme. La population
ouzbèke a prouvé chaque fois que l'occasion lui en a été donnée qu'elle est prête et qu'elle souhaite le
pluralisme politique. C'est au Tadjikistan et en Ouzbékistan que les mouvements nationalistes ont été les plus
forts même s'ils ne revendiquaient qu'une autonomie politique et culturelle jusqu'à ce que l'URSS n'ait plus
aucune chance de survie et alors ils ont revendiqué l'indépendance. Ces mouvements ont été les plus faibles
au Turkménistan.
Le rôle des donateurs occidentaux pour promouvoir la société civile connaît plusieurs tendances
perturbantes : par manque de connaissance de ce qui compose la société civile ouzbèke, ils importent les
propres conceptions de ce que doit être une société civile et comment elle doit être gouvernée : ils
encouragent la formation d'ONG et rejettent les structures traditionnelles. C'est pourtant bien sur ces
structures traditionnelles que s'organisent les actuelles résistances et contestations du régime.
EN PERSPECTIVE…
L'avancée des réformes économiques est un critère bien tangible de la démocratisation. Les Etats qui ont le
plus réformé leur économie sont ceux qui ont les systèmes politiques les plus ouverts : le Kazakhstan et le
Kirghizstan ont restructuré leurs finances, pratiqué la réforme agraire et réorganisé leurs systèmes de
retraites, de santé et d'éducation. La démocratisation initiée dans ces 2 pays était la plus avancée avant de
connaître un frein au milieu des années 90 ; après avoir pris pour modèle la Russie, ils ont imité
l'Ouzbékistan.
L'Ouzbékistan possédait un atout qui aurait dû faciliter la conversion économique : l'accumulation de capital
(du fait de la tradition commerçante de la population, des trafics et de la corruption). Pourtant il n'a pas joué
son rôle par manque de volonté politique. Le gouvernement a craint que la classe des entrepreneurs devienne
une force concurrente du pouvoir en place.
130
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Russie
La société civile
Les obstacles à la mobilisation de la population russe
SOCIETE CIVILE, AUTORITARISME, CONTRE-POUVOIR, SOCIETE ATOMISEE, FINANCEMENT ETRANGER, OLIGARQUES,
COHESION SOCIALE, APATHIE, CONFISCATION DE LA PARTICIPATION POLITIQUE
Les tentatives de Poutine pour contrôler la société civile
La faible résonance des organisations de la société civile
Sous Eltsine, soit l’Etat était trop désorganisé pour parvenir à agir en interaction avec les groupes de la
société civile, soit, dans un excès d’autoritarisme, l’Etat refusait d’en tenir compte. Avec Poutine, cette
tendance à l’autoritarisme et à la négation des groupes de la société civile s’est accrue. Les réformes
politiques engagées brident toute formation de contre-pouvoir politique. Or si l’Etat refuse de prendre ces
groupes en compte, tous deux perdent de la légitimité, exception faite de la popularité exceptionnelle du
personnage de Poutine.
Les associations de défense des droits de l’Homme sont aisément marginalisées en Russie car la société russe
est tellement atomisée qu’elles ne possèdent pas de réseaux étendus pour relayer leurs actions. Leurs
initiatives n’ont qu’un impact limité. Le Kremlin tente de les discréditer en dénonçant l’origine étrangère de
leurs financements. En outre, la Douma a émis un projet de loi – non adopté à ce jour – visant à limiter le
financement étranger des organisations.
L’instrumentalisation de certains groupes de la société civile
Le Kremlin tente la manœuvre paradoxale de mobiliser les énergies de la société tout en la maintenant sous
contrôle. Cette aspiration trouve ses origines dans la tradition soviétique de « masse active », sans intention
pour autant de raviver l’oppression concomitante. L’intention du Kremlin est d’affaiblir les organisations
existantes, tout en cooptant des organisations loyales au pouvoir qui agiraient dans le giron de l’Etat. Ainsi,
afin de marginaliser les organisations civiques authentiques, des organisations parallèles sont initiées par le
Kremlin, alimentant la confusion pour les Russes et les observateurs internationaux.
Mettant en œuvre sa « verticale du pouvoir », Poutine tente d’acquérir à sa cause la base populaire de la
Russie en stimulant des organisations « horizontales », loyales au Kremlin. Le Kremlin a coopté certaines
organisations de la société civile dès 2001 puis a étendu au niveau des régions cette politique de soutien ciblé
et conditionné à la loyauté. A l’échelle régionale, les associations de la société civile ne peuvent obtenir des
financements que pour des actions concrètes dans les domaines social ou culturel. Les budgets sont refusés si
les activités proposées sont teintées d’une coloration politique.
Dans le but de maintenir une façade démocratique, le Kremlin a créé en 2004 une Chambre publique, chargée
officiellement de vérifier les opérations du gouvernement. Le projet souffre d’une contradiction de poids : le
gouvernement s’engage à ne pas interférer dans les activités de la Chambre publique et pourtant, un tiers des
siégeants est nommé par le président et les deux tiers restants par l’intermédiaire des structures fédérales et
régionales acquises au président. En outre, la Chambre est financée sur le budget du gouvernement et est
exclue des dossiers considérés comme affaire d’Etat.
Analyse des piliers traditionnels de l’opposition
Groupes d’opposition politique
Pendant le premier mandat présidentiel de Poutine, son pouvoir et son influence croissants restaient contenus
par le rôle politique des oligarques. Depuis l’arrestation de Khodokorvsky, Poutine s’est réapproprié l’espace
politique confié précédemment aux oligarques. En conséquence, toutes les sources de contre-pouvoirs du
champ politique ont été éliminées ou tout au moins sérieusement amoindries. Les politiciens libéraux russes
s’apparentent davantage à des dissidents qu’à une opposition libre. Ils sont marginalisés et leurs opinions et
propositions sont ignorées par le gouvernement.
Les réformes politiques de Poutine et sa rhétorique autoritaire, employée systématiquement depuis la tragédie
de Beslan ont bouleversé l’attitude des cercles libéraux à l’égard de Poutine. Initialement soutenu et
plébiscité par de nombreux libéraux pour sa modernité, bien qu’autoritaire, Poutine est désormais l’objet de
toutes les critiques et préoccupations de la part des intellectuels, libéraux ou élites économiques. En octobre-
131
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
novembre 2004, des voix se sont levées pour critiquer ouvertement la dérive autoritariste de Poutine, dans
des cercles et médias spécialisés.
Médias et expression libre
Les médias russes ne s’engagent pas pour une information juste et ne permettent pas d’alimenter et d’inspirer
des mouvements d’opposition de poids. En Russie, les médias, les partis politiques et les groupes de la
société civile ne sont pas intégrés à un réseau démocratique. Il y a peu de liens entre les médias et leur public.
Même si un journal ose publier un article controversé, les autres médias ne relaient pas le débat sur la
question soulevée. Les Russes ne conçoivent pas les médias comme un instrument pour renvoyer le
gouvernement à ses responsabilités parce qu’ils restent considérés comme jouant le rôle d’intrigants et non
celui d’organes d’investigations sérieuses. Ce délaissement est propice à une manipulation du Kremlin.
L’érosion de la cohésion sociale
A l’époque soviétique, la cohésion sociale tenait à la coercition et la force auxquelles recourait le régime. Les
réseaux sociétaux étaient fondés sur la suspicion et la défiance, incapables d’initier un engagement civique
sincère. La transition vers l’économie de marché s’est accompagnée d’une rupture du contrat social avec
l’Etat comme garant d’un minimum de services sociaux. Le retrait de l’Etat a créé une perte à l’échelle du
pays de capital social et de cohésion sociale.
Cette érosion de la cohésion sociale accentue la dégradation des conditions de vie : alcoolisme, puissance des
mafias, déclin de l’espérance de vie, taux d’accroissement naturel négatif… Plutôt que de manifester leur
mécontentement auprès des autorités, la méfiance des Russes à l’égard de l’action publique a accentué le
repli sur l’individu et les cercles familiaux qui sont des cellules isolées, incapables de se structurer en contrepouvoirs forts.
Les réformes sociales mises en œuvre par Poutine en janvier 2005 ont amorcé une vague de contestation
sociale organisée (manifestations, grèves), sans précédent dans l’histoire russe. Retraités et vétérans de
l’armée se sont mobilisés pour exiger le maintien de leurs avantages en nature, hérités de la période postsoviétique. La jeunesse d’opposition a tenté de politiser le courant de protestation contre l’autoritarisme
croissant de Poutine. Ces dynamiques sont cependant à nuancer par l’ampleur limitée de la mobilisation qui,
au plus fort des manifestations, n’a recueilli que 52% d’approbation parmi la population.
Pourquoi une si faible mobilisation des Russes
La privatisation des entreprises et des ressources nationales au cours de la décennie 1990 a été dominée par
les élites de l’ère soviétique. Cette captation des richesses par une minorité a, selon certains chercheurs, éteint
dès l’origine la culture démocratique naissante et les institutions existantes. La faible participation de la
population à la vie politique en tant que citoyen s’explique par le fait qu’elle soit pratiquement monopolisée
par les élites économiques et administratives. Sous la présidence de Eltsine, la faiblesse de l’autorité étatique
a également inhibé le développement de la société civile (partis politiques, groupes environnementaux ou
syndicats de travailleurs, corps professionnels, associations de protection des consommateurs…).
Depuis la fin des années 1980, les résultats aux élections ont montré les grandes hésitations de l’électorat
russe. Les élections ont toujours lieu dans un climat d’influence de l’étatisme et du clientélisme qui se
manifeste particulièrement aux élections régionales. L’électeur rationnel ne domine pas dans l’électorat russe
et il n’y a pas non plus de mécanisme de dépendance des hommes politiques vis-à-vis de leurs électeurs. En
conséquence, l’influence des élections sur l’amélioration concrète des conditions de vie est limitée. Or, la
formation d’une culture électorale est justement fonction de l’amélioration du niveau de vie d’une grande
partie de la société. Poutine, jugeant la société russe immature et incapable de vivre dans un véritable régime
démocratique a supprimé l’élection des gouverneurs au suffrage universel au lendemain de Beslan.
EN PERSPECTIVE…
Le Kremlin s’est prémuni contre toute initiative structurée de la société civile en la soumettant à un contrôle
strict de ses activités. Dans ce cadre contraignant, c’est au peuple russe que revient la responsabilité de rompre
avec la passivité et l’apathie héritée des années de terreur et d’oppression communiste. Craignant que la
révolution démocratique en Ukraine en décembre 2004 ne fasse des émules, le Kremlin a renforcé sa
détermination de prévenir toute initiative civique et de neutraliser toute activité qui puisse remettre en question
significativement l’autorité du gouvernement. Il incombe alors au peuple russe de dépasser ses fantômes issus du
communisme pour s’organiser et défendre collectivement leurs droits ainsi que les institutions démocratiques de
leur pays.
132
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Chine
La société civile
Quelle société civile en Chine ?
PARTI COMMUNISTE, MULTIPARTISME, PARTI DE LA DEMOCRATIE CHINOIS, ELECTIONS, COMITES DE VILLAGE,
INTELLECTUELS, DISSIDENTS, LIBERTE D'EXPRESSION, CORRUPTION
De la proclamation de la République Populaire de Chine (1949) à la mort de Mao (1976), la société civile a été
presque complètement arasée, le pouvoir ayant effacé toute forme autonome d'organisation au profit
d'organisations dirigées par le Parti. Les contestations n'avaient lieu que lorsque le régime ouvrait lui-même la
porte. A partir des années quatre-vingt, on a assisté à une reprise progressive de l'autonomie mais toujours dans
les limites fixées par le Parti communiste.
Des forces politiques en dehors du Parti ?
Ces acteurs font partie de la société civile dans la mesure où ils peuvent se poser comme une force externe au
pouvoir central. Celui-ci maintient cependant une poigne de fer sur toute forme potentielle d'organisation
politique en dehors de lui.
L'absence de pluralisme politique
La dictature du Parti unique a longtemps empêché la formation de tout parti politique en dehors du PCC.
Profitant de la relative ouverture politique laissée par le pouvoir à partir de 1997 et de la visite du président
Clinton en 1998, des intellectuels (dont Wang Youcai 1 ) décident cependant de fonder un parti basé sur les
valeurs d'ouverture, de paix, de raison et de légalité. Le Parti de la démocratie chinois (Zhongguo minzhu
dang) est dans un premier temps relativement toléré par Pékin. Malgré l'arrestation de certains leaders, les
demandes d'enregistrement au niveau local sont acceptées et les sections provinciales se multiplient. Mais au
fur et à mesure que le parti embryonnaire se structure, la répression reprend. Tous les dirigeants sont arrêtés
et jugés pour activité subversive. 2 L'hégémonie du PCC est réaffirmée. Celui-ci se veut l'unique représentant
de la société, comme Jiang Zeming l'a rappelé en 1998 en lançant la promotion des "trois représentativités" :
le Parti représente la population, les forces productives et la culture la plus avancée.
Les comités de village : l'émergence d'un pouvoir local ?
Le pouvoir local traditionnel avait été anéanti par la mise en place des communes populaires lors du Grand
Bond en avant (1958). A partir de 1983, avec le démantèlement des communes populaires par le
gouvernement, des comités de village, chargés des affaires publiques et de l'arbitrage des conflits locaux,
réapparaissent. Malgré ce que prévoit la Constitution, les membres de ces comités ne sont pas élus par les
villageois mais désignés par le Parti. Ce n'est qu'à partir de 1988 que des élections ont lieu. Pour la première
fois en Chine, les dirigeants des villages ne sont plus désignés par les chefs de clans ou par le pouvoir central,
mais sont élus.
Cependant, ces élections peuvent être vues comme un moyen supplémentaire pour le Parti de maintenir le
calme dans les campagnes chinoises. Elles "[concernent] plus la question pratique du gouvernement local et
la question de la stabilité dans les zones rurales que la démocratie en tant que telle 3 ". De plus, la corruption
endémique et le manque de compétition réelle (le nombre de candidats est parfois à peine supérieur au
nombre de sièges) ôtent une large part de sa légitimité au processus électoral. Enfin, l'existence de
ramifications locales du PCC, parallèles aux comités de village, est un frein à tout développement
démocratique. Les comités locaux du Parti communiste, dont les membres sont désignés par le pouvoir
central, n'hésitent pas à révoquer arbitrairement les comités de village si ceux-ci luttent trop activement
contre la corruption ou s'ils ne sont pas assez fermes dans la collecte de l'impôt.
1
Wang Youcai est un intellectuel dissident luttant depuis plusieurs années pour les droits de l'homme. Sa participation aux
manifestations de Tiananmen lui avait déjà valu plusieurs années de prison. Arrêté de nouveau en 1998, il a été relâché en
2004 et vit aujourd'hui aux Etats-Unis
2
Human Rights Watch, Septembre 2000, Nipped in the bud : the suppression of the China Democracy Party, Vol. 12, N° 5C,
http://www.hrw.org/reports/2000/china/china009-02.htm#P122_16674
3
B. Bakken, Démocratie avec ou sans principes in H. Antlov et T-W Ngo, 2000, Curzon Press, cité in A. Henocque, Le
capitalisme rouge : le régime chinois peut-il libéraliser son économie sans démocratiser sa politique ? 2003, Mémoire :
Grenoble : IEP
133
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Mais malgré leurs carences démocratiques, ces élections rencontrent un certain succès dans les campagnes :
si les premiers scrutins n'ont pas suscité l'intérêt, les suivants ont davantage attiré les foules. La tenue
d'élections régulières dans les villages a permis aux paysans chinois de se familiariser avec le processus
électoral et la Loi organique des Comités de Villages de 1987 constitue un support légal à partir duquel ils
ont appris à défendre leurs droits (dénonciation des irrégularités). Elles permettraient ainsi la diffusion d'une
culture démocratique.
Intellectuels et dissidents
Les intellectuels ont toujours eu une place à part dans la vie politique chinoise : sous l'Empire, les lettrés
avaient une grande importance dans le fonctionnement du pouvoir politique, servant à la fois de relais avec la
population et de conseillers du pouvoir. Après l'instauration du régime maoïste, ils sont pourchassés comme
ennemis de classe et sont victimes de la répression. Aujourd'hui, ils sont toujours sous haute surveillance. Ils
ne forment pas un groupe soudé. Certains prônent l'idée d'un autoritarisme permettant la transition en
douceur de l'économie (à l'image de Singapour) ; d'autres au contraire ont choisi de défendre les idées de
liberté et de démocratie. Une très large majorité a accepté le pacte social proposé par le Parti, en s'abstenant
d'intervenir dans le domaine politique en échange de davantage d'autonomie. Seule une minorité, isolée du
reste de la population, s'oppose véritablement au régime.
Les intellectuels chinois rencontrent trois obstacles principaux pour pouvoir constituer une force agissante
pour la démocratisation du pays :
- La répression
Le Président Hu Jintao a repris la citation de Mao : "Une étincelle suffit pour embraser la plaine." Le régime
redoute l'instabilité et étouffe dans l'œuf toute velléité "subversive". Aujourd'hui, les procès politiques sont
plus délicats pour le régime, du fait d'un système juridique plus développé et des pressions internationales.
Mais le pouvoir maintient un contrôle étroit sur les éventuels opposants et n'hésite pas à recourir à des
méthodes mafieuses (enlèvements, intimidations, assignations à résidence). De ce fait, l'opposition
démocratique ne peut devenir une véritable force politique car il lui est impossible de se structurer en
organisations capables de relayer ses idées et de mobiliser la population4 .
- L'absence de mémoire collective des événements
La répression, la censure et la propagande empêchent la connaissance des idées démocratiques de se
diffuser ; elles empêchent également la transmission de la mémoire des événements, en particulier des crimes
commis par le régime. Par conséquent, la population ne peut tirer de leçons de son passé. Aucun mouvement
ne peut développer les idées des mouvements précédents et la réflexion des intellectuels doit à chaque fois
repartir de zéro 5 . Cela était particulièrement vrai sous Mao. Aujourd'hui, la diffusion de l'information se fait
plus facilement grâce à la libéralisation économique et aux nouvelles technologies ; cependant, le tabou
demeure, en particulier quant aux événements de Tiananmen.
- La tradition des lettrés confucéens
Mis à part l'éphémère Parti de la Démocratie, les intellectuels chinois ne sont pas arrivés à se structurer en
force politique extérieure au Parti. Certains font clairement partie des sphères dirigeantes (conseillers du
régime) ; mais la plupart des opposants eux-mêmes ne combat pas véritablement le régime mais cherche à
l'améliorer.
Plus encore, ils peuvent constituer un frein à la démocratie : certes, ils se veulent le porte-parole de la société
auprès du pouvoir. Mais, obéissant à l'élitisme traditionnel des intellectuels chinois, ils estiment également
que celle-ci n'est pas mûre ou pas assez éclairée ("la qualité du peuple chinois est trop faible") et qu'il est de
leur devoir de l'éduquer. "On peut se demander si ce groupe social, qui a joué un rôle central dans la
popularisation des idées de liberté et de démocratie, n'a pas en même temps constitué un obstacle à la
démocratisation véritable de la société : à la différence de leurs collègues polonais en effet, les intellectuels
chinois n'ont pas aidé les ouvriers ou les paysans à s'organiser par eux-mêmes pour réclamer la
démocratisation du système. Si les idées de liberté d'expression, d'association, de publication, ont toujours été
au cœur de leurs revendications, il n'en va pas de même de celui d'égalité" 6 .
4
Béja Jean-Philippe, A la recherche d'une ombre chinoise, le mouvement pour la démocratie en Chine (1919-2004), 2004,
Seuil, Coll. L'Histoire immédiate
5
Hénoque Audrey, op. cit.
6
Béja Jean-Philippe, op. cit.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
La "gouvernance"
La Chine serait aujourd'hui en train de passer à un Etat post-moderne ayant adopté le concept de la
gouvernance 7 : les dirigeants politiques ne se baseraient pas sur des programmes politiques mais sur la
résolution de problèmes concrets à l'aide d'experts. Dans cette perspective, les intellectuels ne se battent pas
pour la démocratie mais pour apporter leur expertise au pouvoir en restant sous le contrôle de l'Etat.
EN PERSPECTIVE…
Il semble difficile d'analyser la société civile en Chine comme une force s'opposant à l'Etat. Les forces issues
de celles-ci ne se posent pas comme une alternative au Parti ; elles restent dans la tradition où elles
aiguillonnent l'Etat pour qu'il s'améliore, tout en se rangeant sous sa bannière.
Ce phénomène permet néanmoins la formation d'échelons entre la société et l'Etat et la formation d'un esprit
civique. Le niveau local en particulier, où le contrôle du pouvoir central est le plus lâche, peut offrir un lieu
d'autonomisation des acteurs.
7
Béja, Jean-Philippe, op. cit
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Russie
Economie
Les écueils de la transition vers l’économie de marché
PRIVATISATION, CONCENTRATION ECONOMIQUE, OLIGARQUES, FUSIONS, STABILITE, PROPRIETE PRIVEE,
NOMENKLATURA, DISPOSITIFS REGULATEURS
Les enjeux d’une politique et d’une société stables pour l’économie russe
Actuellement, la Russie est à mi-chemin entre le système soviétique dont elle a hérité et l’économie de
marché à laquelle elle aspire. Les écueils sont encore nombreux : corruption endémique, clientélisme,
concentration extrême de l’économie, absence de cadre juridique stable, crise de confiance des investisseurs
étrangers… La Russie qui était l’une des sociétés les plus égalitaires en termes de répartition du capital,
connaît aujourd’hui les disparités extrêmes du Mexique ou du Brésil.
Son héritage historique, politique, géographique et démographique fera toujours de la Russie un acteur
incontournable et influent sur la scène internationale. Une Russie isolée et en proie à des comportements
subversifs (mafias, réseaux criminels, corruption généralisée) représente un risque majeur pour les pays
occidentaux qui ne peuvent se permettre une telle dérive. Les intérêts sécuritaires – mais aussi économiques
et financiers – des partenaires occidentaux sont de contribuer à redonner à la Russie son rang de puissance
internationale, gage d’une stabilité interne et externe.
Dans ce contexte, les questions sociales revêtent une importance fondamentale car l’absence de paix sociale
met en péril les performances économiques par manque de personnel qualifié et fragilise la maintenance en
état des infrastructures techniques et technologiques – notamment nucléaires – du pays. En dépit de la
dépression socio-économique et du mécontentement général, le nouveau système qui a émergé en Russie est
particulièrement stable et résistant à toute transformation rapide.
Historique de la privatisation
Afin de faciliter la transition vers l’économie de marché au début de la décennie 1990, les conseillers du
président Eltsine, Igor Gaïdar et Anatole Tchoubaïs, ont accéléré la privatisation des entreprises et des
ressources nationales. Quelques hommes d’affaires fortunés russes ont pu acquérir à prix bradé des parts
importantes du capital des grandes entreprises pétrolières et gazières. Ainsi, Mikhaïl Khodokorvsky a acquis
pour 310 millions de dollars, 78% du capital de Ioukos, dont la valeur est estimée à 5 milliards de dollars. Le
succès rapide des oligarques à ce moment dépendait essentiellement de leurs relations avec les représentants
de l’administration en charge de la privatisation des ressources nationales. Mécontents à l’encontre des
oligarques, 77% des Russes souhaitent une réforme des privatisations opérées dans les années 1990.
Depuis son accession au pouvoir, Vladimir Poutine s’est affairé à destituer les oligarques de leur rôle
prépondérant dans la vie économique et politique de la Russie. Dans un premier temps, il a incité les
oligarques à restreindre leur champ d’action au domaine économique, afin qu’ils n’interfèrent pas dans la vie
politique ni dans d’autres secteurs d’activité tels les médias qui offrent des tribunes publiques d’opposition au
Kremlin. La condamnation de Mikhaïl Khodorkovsky qui avait financé la campagne des partis libéraux
opposés à Poutine, à une lourde peine d’emprisonnement en mai 2005, a été perçue par les autres oligarques
comme un avertissement. Afin de reprendre le contrôle de la politique énergétique du pays, Poutine a
également fusionné Gazprom, dont l’Etat était actionnaire, avec l’entreprise nationalisée Rosneft.
Toutefois, la concentration de l’économie est toujours croissante. En 2000, les dix entreprises les plus
importantes de Russie totalisaient 61% des profits nets du pays tandis que les petites entreprises ne
parviennent pas à se développer ou ne cessent de diminuer. L’influence des oligarques ne s’est pas
amoindrie, en dépit de l’exil ou de l’emprisonnement de trois oligarques parmi les plus puissants, mais leurs
tractations qui s’opéraient auparavant sur la scène publique se sont institutionnalisées. Tout en faisant du
lobbying au Kremlin, les oligarques accroissent leur influence et leur ancrage au niveau régional où ils
contrôlent dans certains cas les élites politiques locales.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Fragilités de la croissance actuelle
Pendant les années 1990, l’écroulement de l’industrie, les crises monétaires à répétition et la pauvreté
galopante de la société ruse ont dominé les débats de la sphère économique en Russie. Bien que le PIB
s’accroisse régulièrement depuis 2000, les craintes sont vives concernant la pérennité de cette croissance,
notamment car celle-ci repose essentiellement sur l’exportation des ressources énergétiques de la Russie
(pétrole et gaz), limitées par nature et dont la valeur dépend de la fluctuation des marchés internationaux.
De nombreux secteurs manufacturiers ont également enregistré une forte croissance, substituant ainsi les
importations par la production locale. Cette dynamique est liée à la dévaluation du rouble, à la revalorisation
des produits russes sur le marché international, au maintien des prix subventionnés pour l’énergie destinée
aux Russes. Mais cette croissance repose sur des bases fragiles : la demande n’est pas assurée en raison du
contexte dépressif, les investissements ménagers demeurent insuffisants, la Russie n’attire pas de capitaux
étrangers à long terme qui seraient nécessaires pour rénover l’industrie existante, la structure judiciaire ne
garantit pas la protection des capitaux investis.
Incapacité de l’Etat à assurer le cadre nécessaire pour une économie de marché
Ambitions et impératifs de l’économie russe
En postulant auprès de l’OMC, la Russie souhaite intégrer son économie dans le système mondialisé. Mais
cet objectif implique que des réformes structurelles soient engagées pour créer les conditions d’une économie
de marché saine afin d’assurer une stabilité sociale et une élévation du niveau de vie. Traditionnellement, la
propriété privée est la pierre angulaire de l’histoire de l’économie capitaliste et des démocraties modernes.
Or, l’économie russe ne propose pas une définition claire de la propriété et de la sphère privées, ce qui
engendre un flou identique dans la définition du domaine public, à savoir ce qui relève de la propriété et de la
responsabilité de l’Etat.
Transformer une économie d’Etat planifiée en économie de marché requiert l’instauration d’un cadre sain
pour que les opérations économiques se déroulent sans perturbation et que les investisseurs aient confiance
dans la libre gestion des mécanismes. Ce cadre comprend les impératifs suivants : une pression fiscale
modérée, une communication transparente et fiable, une législation adaptée au monde des affaires, un réseau
de prestataires de services, un système bancaire opérationnel, un réservoir de compétences et de savoir-faire,
la liberté d’accès aux marchés, un environnement optimiste et encourageant pour les entrepreneurs.
Ecueils hérités du système soviétique et des premières années post-soviétiques
Administration - On constate une continuité entre la bureaucratie du passé et celle d’aujourd’hui. L’ancienne
nomenklatura s’est reconvertie dans la fonction publique, perpétuant des pratiques corrompues de l’ère
soviétique et empêchant l’émergence d’une nouvelle élite administrative. Parallèlement à cette reconversion,
presque toutes les fonctions de contrôle exercées par l’ancien régime (sanctions disciplinaires du parti et droit
pénal) ont disparu.
Cadre législatif et réglementaire - Une très lourde réglementation, héritée de l’interventionnisme de l’Etat
post-soviétique, constitue l’une des raisons majeures du faible succès de l’entrepreunariat en Russie. L’Etat
n’a pas mis en œuvre ni le droit pénal ni son pouvoir réglementaire pour pallier les faiblesses du système
financier. Il n’y a pas eu de surveillance du système bancaire, des marchés financiers émergents ni des fonds
de pension privés. Au contraire, les dispositifs régulateurs qui existaient ont été dépouillés de toute efficacité
et les bureaucrates qui ponctionnent leurs revenus sur les activités économiques ont personnellement intérêt à
ce que ce cadre réglementaire se perpétue.
Système bancaire - Le secteur bancaire, sans lequel une économie de marché stable et forte ne peut se
développer, subit une grave crise de confiance qui sera lente à restaurer. Les banques ont émergé dès la chute
du système communiste et l’ouverture vers l’économie de marché mais elles ont rapidement été phagocytées
par les oligarques et instrumentalisées par de puissants groupes industrialo-financiers. Leur manque de
transparence, leur corruption généralisée, leur incapacité à fournir des services fiables à la majorité de la
population ainsi que le fait que de nombreux petits épargnants ont tout perdu après la crise financière d’août
1998 ont fait des banques le symbole de tous les travers du capitalisme naissant en Russie.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Afrique du sud
Economie
L’expérience de Stutterheim, un espoir du développement local
STUTTERHEIM,
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE LOCAL, RECONCILIATION, PRIVATISATION,
SEGREGATION SOCIALE
SERVICES PUBLICS,
L’histoire de Stutterheim donne un exemple intéressant d’un processus en cours de reconstruction et de
développement. En effet, cette ville du cap oriental, microcosme de l’Afrique du Sud, a été le lieu d’une réelle
transformation : d’un petit village de campagne sur le point de s’autodétruire, elle est devenue un espace
économique en expansion et ce, sous impulsion des communautés locales. Très vite, pourtant, les limites du
développement basé sur la privatisation se font sentir.
A la fin des années 1990, Stutterheim est une ville de 30 000 habitants qui connaît un des plus hauts taux de
criminalité, un très faible niveau de vie dans ses townships et dont la ségrégation est très marquée. L’accès à
l’eau et à l’électricité est peu répandu dans les townships et les opportunités d’emplois sont extrêmement
rares. La frustration et la colère poussent alors cette population à des manifestations. La violence devient de
plus en plus forte : le dialogue est difficile à établir puisque les leaders des deux communautés agissent dans
des conseils municipaux parallèles. Cette protestation se concrétise par un boycott, mené par le comité de
coordination de Stutterheim, dirigé par un activiste noir local Chris Magwangqana, contre les entreprises
locales conservatrices blanches. Ce boycott débute en septembre 1989 et dure sept mois. Soutenue par un
leadership jeune et dynamique, cette pression civique a des effets notables comme notamment la fermeture de
quatorze entreprises blanches mais aussi, effet pervers, l’obligation pour les boycotteurs d’aller se procurer
leurs denrées à 50 km de Stutterheim.
Une amorce de rencontre des intérêts 1
La lame à double tranchant du boycott place alors les acteurs de la ville dans une impasse. Le changement
devient favorable à toutes les parties en jeu voire inévitable. Le tournant a lieu lors d’une rencontre, le 6 mai
1990, entre le maire de la ville, Nico Ferreira et Chris Magwangqana, (futur maire de la ville entre 1995 et
2000). Ce dernier présente au maire une série de revendications concernant entre autres choses le
développement local. Cette rencontre motivée par la volonté et la nécessité de trouver une solution à cette
situation d’impasse, est l’occasion du passage d’un discours d’exigences à celui de la négociation et du
compromis et ainsi de la fin du boycott. A partir de là, se met en place une association entre la société civile,
le gouvernement local et le secteur privé, association qui a pour projet commun de promouvoir le
développement local de Stutterheim. La société civile prend en charge ce processus à travers un Forum,
organe de discussion et une Fondation pour le Développement de Stutterheim, créée pour gérer les fonds
importés du secteur privé et de l’Etat. La Fondation est composée de dix comités qui élaborent et mènent
divers projets s’insérant dans un plan général de développement urbain. Ces projets sont principalement
financés par la firme internationale Barlow et par deux organes financiers mandatés par le gouvernement, la
Banque de Développement d’Afrique du Sud et l’Indépendent Development Trust.
Le processus de développement, moteur de réconciliation ?
Cette rencontre des intérêts n’a pu avoir lieu que dans un contexte favorable à la réconciliation. En effet, en
1988 est mis en place un nouveau conseil municipal blanc dirigé par Nico Ferreira, équipe d’indépendants
modérés. Ce changement de majorité laisse la place au dialogue avec les leaders noirs, leur protestation se
dirigeant principalement contre les conservateurs. Les leaders de part et d’autre sont alors prêts à engager la
discussion, dans la meilleure foi possible et avec pour démarche, l’ouverture sur l’avenir. Une des bases de
cette réconciliation est la décision des populations noires de concentrer leurs efforts sur la construction du
présent et du futur et non sur le ressassement de l’injustice passée. Importante aussi est la philosophie
africaine, Ubuntu, que le maire de Stutterheim, Nico Ferreira souhaite promouvoir, qui consacre
l’interdépendance des individus - je suis parce que nous sommes – comme le cœur du développement . Le
principe du travail en commun est mis en place ainsi qu’un mode de fonctionnement basé sur la
communication et le partage des compétences et de l’expertise. Fondé sur la volonté primordiale de
1
Nussbaum, Barbara, Making a difference :Reconciliation, Reconstruction and Development in Stutterheim, VivliaEducation for the Nation, 1997.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
concorde, le processus de développement par son fonctionnement et les valeurs véhiculées par le leadership
réuni, réduit les risques de conflits et semble ainsi entériner la réconciliation.
Quel développement ? 2
Le processus de développement qui se met en place à trois objectifs principaux : la hausse du niveau de vie
dans les townships, du niveau d’éducation et du niveau de l’emploi. L’amélioration de la qualité de vie est, en
effet, un des buts du développement local tant le retard accumulé par les habitants des townships en ce qui
concerne l’accès à certains services - eau potable, égouts, prestations sociales, éducation - est considérable.
Le comité des travaux confie des projets à des entrepreneurs locaux, nouvellement formés dans ce but. Des
accès à l’eau et à l’électricité sont développés et plusieurs écoles sont construites. Ces dernières sont
l’occasion de l’augmentation du nombre d’enfants scolarisés. A cela s’ajoute le projet Molteno, qui vise à
rendre bilingue en anglais les enfants de langue xhosa et qui concerne, en 1997, 3000 élèves. Une autre
initiative mérite d’être relevée, celle des Amakayas : il s’agit de réunir et de faire garder les enfants en bas
âge par des « mères » formées et rétribuées par les familles. La perspective d’éducation se retrouve aussi
chez les adultes qui ont la possibilité de suivre des formations, notamment de commerce. Cette opportunité a
pour but de renforcer l’emploi et ainsi l’économie locale. Le petit commerce est favorisé : des marchés
locaux sont instaurés dans des lieux stratégiques des campagnes afin de favoriser la vente des surplus,
d’encourager la production et ainsi de passer, pour l’agriculture par exemple, d’une production de subsistance
à la vente. Le Centre de Conseil en commerce de Stutterheim créé en mai 1992 est l’organisation qui facilite
ce développement du petit commerce en professant des conseils, en permettant les formations, en assurant le
rôle d’intermédiaire entre les fournisseurs de matières premières et les producteurs, en facilitant l’accès au
crédit, etc. La création d’emploi se fait toutefois majoritairement dans le secteur de la construction.
Ainsi, le processus de développement s’inscrit dans une démarche globale, qui prend en charge de multiples
aspects de la vie des bénéficiaires. Et cette perspective a pour objectif à moyen terme la prise en charge de la
communauté par elle-même, c’est-à-dire son autonomisation, d’où l’importance portée à la formation.
Les limites directes au progrès du développement :
Les progrès sont tangibles, pourtant, selon Litha Mncwabeni et Patrick Bond, Stutterheim est loin d’être un
exemple sans faille de développement 3 . Ces deux auteurs soulignent d’une part le désengagement progressif
de la municipalité par la privatisation des services qui conduit à une hausse des tarifs pour le même niveau de
prestation. Devant le problème récurrent du mauvais paiement des services par les ménages à faible revenu –
conséquence plus liée à l’établissement d’un système de tarification inadéquat car non échelonné qu’à de la
mauvaise volonté – la municipalité se déresponsabilise et confie la gestion de l’eau en 1993 et du logement
en 1994 à des compagnies privées. D’autre part, les politiques menées par les entreprises privées prolonge et
amplifie la géographie urbaine héritée de l’Apartheid, car ces dernières favorisent l’ancien secteur « blanc » ,
laissant de côté les townships noirs. Les coupures d’eau et d’électricité, enfin, perpétrées par la municipalité,
dans les quartiers où le problème du paiement se pose entérinent l’inégalité sociale, en mettant hors d’accès
les services les plus basiques. Ainsi, malgré un essor patent de l’économie locale, une forme de ségrégation
persiste-t-elle, socio-économique cette fois.
EN PERSPECTIVE…
Ainsi s’agit-il d’une initiative de développement économique local qui s’inscrit dans un contexte de transition
politique, celui du passage d’une société divisée par l’apartheid à un régime démocratique. Cette transformation
de la conjoncture politique nationale a un impact important sur le déroulement du processus de développement :
le mouvement de privatisation des services publiques en est une manifestation. La force de ce projet reste la
convergence des leaders, associée à leurs fortes personnalités et la motivation de la société civile pour son
autonomisation économique.
Cette expérience reste un exemple pour de nombreuses localités en développement, comme en témoignent les
nombreuses interventions de la Fondation de Développement de Stutterheim en Afrique du Sud mais aussi dans
d’autres pays d’Afrique.
2
Professeur Dewar, David, The Stutterheim experience, Vivlia-Education for the Nation, 1995
Mncwabeni, Litha et Bond, Patrick, Local economic development in Stutterheim, in Linking local economic development
to poverty alleviation, Department of Constitutional Development, 1998-99,
http://www.local.gov.za/DCD/ledsummary/ledindex.html
3
140
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Bosnie-Herzégovine
Economie
La reconstruction du secteur économique
BOSNIE-HERZEGOVINE, KALESIJA, DESINDUSTRIALISATION, RECONSTRUCTION ECONOMIQUE, PRIVATISATION,
DEVELOPPEMENT D’UN SECTEUR PRIVE, EMPLOI, INFRASTRUCTURES, SERVICES PULICS.
Désindustrialisation
Le processus de désindustrialisation s’est produit à une échelle dévastatrice : dans les principaux centres
industriels (Tuzla, Zenica et dans une moindre mesure Novi Travnik, Capljina), 70 à 80% des emplois ont
disparu. Les quelques entreprises qui se sont maintenues ne laissent pas beaucoup d’espoir de survie. Le
secteur privé est dominé par des micro-entreprises de commerce et de services de base qui génèrent peu
d’emplois. Les rares productions ont une faible, voire nulle, valeur ajoutée : l’exportation d’aluminium a
remplacé la fabrication d’avions.
Du coup, les Bosniens, rejetés de l’économie formelle, sont nombreux à abandonner les villes pour regagner
les terres que leurs parents avaient quittées. Ils vivent de travaux occasionnels, de commerce informel et
d’agriculture de subsistance.
En contraste, on perçoit une certaine prospérité dans les grandes villes mais du seul fait de la présence
internationale qui a également généré des déséquilibres évidents : l’arrivée de fonds internationaux a créé une
bulle de l’impôt sur le revenu permettant au gouvernement bosnien d’augmenter ses budgets.
L’administration publique est ainsi devenue la source principale d’emplois dans les milieux urbains, faisant
du paiement des salaires un poste démesurément important du budget public. Ainsi se trouvent concentrés les
centres administratifs, l’activité économique et par conséquent le revenu des impôts. Les déséquilibres entre
Sarajevo et les campagnes sont éloquents ; c’est le cas pour toutes les entités de la Bosnie-Herzégovine 1 .
Parmi les défis que doivent relever les responsables politique : des ouvriers qualifiés pour des postes qui
n’existent plus ; des services destinés aux entreprises qui n’existent plus ; un sous-développement rural
sévère ; des poches de populations dépendantes d’industries en faillite.
• Entre 60 et 84% de population en Bosnie-Herzégovine vivent en dessous du seuil de pauvreté ;
• Les taux de chômage sont au même niveau en 2001 qu'en 1995, soit 40%, la tendance serait même à
l’augmentation 2 .
Extrême lenteur de la privatisation
Dans un premier temps, la privatisation a consisté dans la distribution des titres de propriété, en guise de
salaires aux travailleurs. Ne recevant plus de salaire pour survivre, ils ont dû les monnayer et les ont revendus
à des prix très bas. Dans un second temps, ces nouveaux propriétaires ont cherché à tirer profit de tout ce
qu’ils pouvaient vendre dans ces entreprises, ce qui a achevé de détruire le capital des entreprises. Enfin,
l’Etat négocie le rachat de ce qui reste de ces entreprises en échange d’une prise en charge des coûts sociaux
générés par l’indemnisation des personnels en sureffectif, et des garanties d’un niveau d’investissement
minimum. Ces négociations sont freinées par les ententes officieuses entre autorités publiques et
propriétaires, ces derniers étant la plupart du temps membres des mêmes partis politiques au pouvoir 3 .
Création d'un secteur privé
L’expérience de la municipalité de Kalesija nous permet de juger des opportunités et des limites du contexte
d’après-guerre en Bosnie-Herzégovine pour la création d’un secteur privé 4 . Kalesija est une des régions
rurales de Bosnie les moins développées ; les entreprises d’Etat datent des années 70. Lourdement détruite
par la guerre, Kalesija a reçu d’importantes sommes d’aide à la reconstruction. Elles ont stimulé l’activité
économique à court terme et ont d’ailleurs disparu en 1999.
Avant la guerre déjà, la ville était subventionnée de l’extérieur pour son développement et aucune initiative
locale n’existait pour l’encourager. Après la guerre, le même schéma se poursuit mais cette fois avec des
donateurs internationaux. En 1997 cependant, les citoyens ont mobilisé des ressources locales importantes
1
European Stability Initiative, octobre 2004.
« La Bonie Herzégovine sept ans après la guerre : dépendance ou responsabilité et autonomie » Zarko Papic in La Bosnie
Herzégovine. Enjeux de la transition, Christophe Solioz et Svebor André Dizdarevic, L'Harmattan, Paris, 2003.
3
Entretien juin 2005 avec Hugues de Courtivron, DCAF, Genève.
4
Cette présentation est le résultat d’une étude détaillée menée par le European Stability Initiative (ESI) sur les politiques
économiques post-privatisation. L’étude est centrée sur les schémas de développement local, l’évolution des acteurs-clé et
des institutions et le rôle du gouvernement local dans l’émergence d’un secteur privé.
2
141
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
pour le développement local des télécommunications et des routes dans des zones qui avaient toujours été
négligées par les plans du régime socialiste.
Emploi
Le nouveau secteur privé a déjà plus que remplacé les emplois des anciennes entreprises d’Etat. A Kalesija,
la privatisation est achevée. Elle a eu recours à différentes méthodes : la vente pour les plus petites
entreprises, les offres publiques, les offres réservées aux dirigeants et aux ouvriers et enfin la privatisation par
coupons (vouchers) par des fonds d’investissement. Fin 2001, la structure économique de la municipalité est
entièrement transformée.
Le nombre d’emplois dans le secteur public a été réduit de 40% pendant que le secteur privé a créé 1200
emplois (soit plus que les emplois perdus dans le secteur public). Il faut encore ajouter 422 emplois créés
dans l’agriculture privée et quelques milliers encore d’emplois saisonniers. Le secteur privé compte
maintenant pour 40% du taux d’emploi alors qu’avant la guerre il comptait pour 5%. Il représente aussi
l’essentiel de l’activité économique du pays : il a commencé avec la construction et les services, il se tourne
maintenant vers la production. L’étude recense 10 nouvelles entreprises qui emploient chacune plus de 10
personnes (en tout 170) et 626 autres qui comptent pour 1030 emplois. Le secteur privé a doublé la taille du
secteur des privatisations. Il faut encore ajouter les emplois de l’agriculture privée et les emplois itinérants de
l’industrie de la construction.
Le marché de l‘emploi doit pourtant relever un défi de taille : le profil des formations techniques sont
spécialisées dans les métiers de la métallurgie et de l’agriculture alors que les compétences pour la nouvelle
économie sont rares. La croissance du secteur privé est encore modeste mais suffisante pour combler le
déficit d’emplois de l’ancien secteur d’Etat. Elle contribue par ailleurs à casser le cliché de la Bosnie rurale
où le secteur privé est inexistant.
Infrastructures
Le manque d’accès aux infrastructures nuit au développement : 70% des emplois sont concentrés dans 2 des
18 districts de la municipalité. Les locaux adaptés au commerce manquent si bien que des immeubles
d’appartements ont été transformés en centres commerciaux, parfois des centres artisanaux se sont
développés (zanatski). La municipalité a permis des extensions de plusieurs bâtiments publics comme des
centres culturels qui ont été entourés de petits commerces. Mais face à la pénurie de locaux, la municipalité a
loué des bâtiments d’anciennes entreprises d’Etat qui étaient abandonnées. Les clés du développement futur
résident dans la capacité des autorités locales à fournir les ressources principales que sont la terre et les
services.
Les mécanismes de l’époque socialiste étant maintenant inopérants, les municipalités sont obligées de trouver
des nouveaux financements pour les fonds de développements. La municipalité de Kalesija a voulu
reconstruire et améliorer son réseau de routes. La moitié du budget devait être pris en charge par un prêt du
canton de Tuzla mais à cause d’une crise du budget cantonal, la participation s’est réduite à seulement à 1/5
(200.000 DM). L’intérêt des habitants de Kalesija était tel que les communautés locales se sont mobilisées et
en peu de temps ont réuni 1,8 million de DM en contributions volontaires, sans utiliser de mécanismes de
recherche de fonds formels. Cette somme, ajoutée à un bail municipal sur la terre, des crédits et le budget
annuel, a atteint un budget total de 3,7 millions de DM et a permis de refaire 44km de routes.
Les infrastructures ne sont pas les seuls domaines qui ont besoin d’une meilleure gestion et de titres de
propriété mieux établis. La municipalité possède des biens qui peuvent être valorisés comme les forêts et les
terres. Après inventaire, la location des terres et des bâtiments de la municipalité lui rapporte un tiers de son
budget. La législation sur la propriété de la terre a un besoin urgent de réforme : elle ne permet de céder que
des droits d’usage et dans la limite de certains objectifs publics.
Les institutions et leurs relations avec les communautés locales
La taille des municipalités n’a cessé de grandir en Yougoslavie pour atteindre une moyenne de 42.000
habitants. Avec une telle taille, elles n’étaient plus capables de jouer un rôle efficace d’autonomie locale. Les
fonctions locales étaient peu à peu laissées aux communautés (mjesne zajednice – MZ) qui exerçaient une
autorité déléguée par la municipalité. Ce système repose principalement sur le volontarisme, sans capacité
administrative réelle. Leur efficacité dépend donc de l’initiative des habitants.
Chaque MZ possède un conseil local et est constituée en entité légale ce qui lui permet d’avoir des droits
d’usage sur les locaux municipaux. Elles disposent généralement d’un bureau et leur statut est adopté par le
conseil de la MZ – de 5 à 11 personnes, volontaires, élues par une réunion publique ou nommées par les
partis représentés au conseil municipal. De nombreuses dispositions juridiques concernant leur statut ne sont
toujours pas réglées. Les limites d’action des MZ sont fixées par référendum local et inscrite dans la loi
municipale.
142
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
La loi sur l’autonomie locale a conduit à confier au niveau municipal la gestion des services publics : ils
étaient fournis par un système complexe d’accords bilatéraux entre fournisseurs et consommateurs par
l’intermédiaire d’un réseau institutionnel unique connu comme « les communautés d’intérêt autonomes »
(samoupravne interesne zajednice – SIZ). Ces SIZ étaient responsables des accords de développement qui
régulaient l’offre et le paiement des services publics. Leur influence venait du fait qu’elles contrôlaient les
fonds utilisés pour le développement de ces services. Avec le temps elles ont remplacé le rôle régulateur de
l’Etat. Ainsi, les services publics n’étaient pas financés par l’imposition et les dépenses publiques mais par
des contributions volontaires de la part des entreprises d’Etat, obtenues par des négociations directes et
inscrites dans des contrats contraignants. Ce système a duré 20 ans et avait pour principaux défauts de
nécessiter une constante intervention politique pour fonctionner, de multiplier les niveaux de bureaucratie, de
déséquilibrer les budgets municipaux, de rendre impossible toute coordination et in fine a conduit à la
stagnation des services publics. Les SIZ ont été abolies peu avant la guerre et réunies dans le fonds
municipal.
EN PERSPECTIVE…
Les questions économiques ne sont pas abordées dans l’accord de paix de Dayton ce qui est révélateur de la
sous-estimation de l’impact de cette question sur l’ensemble du processus de paix. La principale erreur commise
par les acteurs économiques internationaux fut de mésestimer la collusion entre les sphères politiques et
économiques, une tendance héritée du régime précédent et poussée à son paroxysme avec la guerre. En 1996, les
partis au pouvoir, pour la plupart, contrôlaient la vie économique, décidaient de l’allocation des ressources et
recouraient au clientélisme. Ils n’avaient aucun goût pour la transparence, le libéralisme et les privatisations sauf
si elles leur permettent de s’accaparer des ressources.
En conséquence, le passage à l’économie de marché ne pourrait se faire qu’en adéquation avec un processus de
démocratisation plus avancé que la seule organisation d’élections ; il doit intégrer la lutte contre la corruption et
le clientélisme. A cause de cet imbroglio politico-économique, le versement des fonds internationaux, trop peu
contrôlé, parvenait à des personnes suspectées de crimes de guerre, exerçant des fonctions politiques et publiques
importantes 5 .
L’enjeu de la reconstruction économique de la Bosnie, au-delà de la privatisation et de l’émergence et du
développement d’un secteur privé, réside dans la volonté de la part des institutions politiques de trouver les
moyens de soutenir la capacité des institutions locales et des nouveaux entrepreneurs privés à générer des
ressources locales.
L’étude exhaustive d’un exemple local rend possible de dresser un tableau du processus de transition
économique et d’en tirer les leçons qui sont généralisables à l’ensemble de la Bosnie et au Kosovo, dans le cas
précis de Kalesija vu son retard de développement.
5
Révélation de Human Rights Watch en janvier 1997 : les individus impliqués dans le nettoyage ethnique de Prijedor
bénéficiaient directement de l‘aide humanitaire et à la reconstruction versée par la communauté internationale.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Propositions d’actions
1 – Rencontres, séminaires, interventions
La seconde phase du projet prévoit une mise en débat de notre analyse à travers des
rencontres dans les pays étudiés et d’autres pays qui connaissent un processus de transition
vers la démocratie. Cette étape a pour but de tester notre grille d’analyse en la confrontant aux
expériences des acteurs locaux : universitaires, fonctionnaires et acteurs de la société civile.
Idéalement ces rencontres permettront aux différents acteurs locaux de se rencontrer et de
dialoguer sur ce sujet mais il faut tenir compte des contextes politiques qui n’autorisent pas
tous l’ouverture de tels débats. Dans ces cas, la présence de fonctionnaires d’Etat briderait
l’échange, par conséquent il faudra envisager des rencontres séparées.
• Cambodge
Le Centre pour la Paix et le Développement (CDRI) au Cambodge a pour objectif
d’accroître le dialogue politique et la conscience publique par la recherche appliquée liant
la paix et la sécurité humaine avec la gouvernance et le développement. Le Centre travaille
avec des fonctionnaires, des dirigeants de la société civile et des communautés locales
aussi bien au niveau national que local. Il a développé un programme de formation
«Travailler pour la Paix». Richard Pétris s’est rendu dans cette organisation fin juillet 2005
lorsque le CDRI a exprimé le désir de réfléchir sur des solutions propres au Cambodge
pour les problèmes auxquels le pays doit faire face. Nous pourrions envisager d’organiser
une rencontre au Cambodge où nous rassemblerions les membres de la société civile pour
mettre en débat les conclusions de notre projet en présentant les experiences de plusieurs
pays et réfléchir de façon plus approfondie sur les solutions cambodgiennes aux problèmes
de gouvernance.
(voir document en annexes)
• Bosnie-Herzégovine
Damir Hadzic, Tuzla, USAID, Programme de développement de la bonne gouvernance.
Du fait de son identité et de sa position, il peut nous aider à réunir un cercle de
responsables politiques bosniens, d’acteurs sociaux et d’expatriés qui travaillent dans les
organisations internationales pour mettre en débat notre grille d’analyse et la confronter
aux expériences de chacun. Un village de la région présente l’exemple très intéressant
d’une collectivité locale (Mjesna Zajedna) qui s’est maintenue durant la guerre et dont la
mobilisation des membres a permis un retour précoce des habitants dans leur village.
Lea Esterhuizen, enseignante britannique, Master Droits de l’Homme
Elle a effectué des visites régulières au village de son mari bosniaque où ils travaillent tous
les deux à un projet d’action en faveur de la réconciliation et du développement local. Le
village se situe à proximité de la mine de Omarska, qui servit de camp de concentration
pendant la guerre. Aujourd’hui les deux communautés sont encore présentes et le silence
est total entre les Musulmans anciennement détenus et les Serbes qui avaient mis en œuvre
arrestations et tortures.
Les informations recueillies au cours du projet Transitions et notamment les expériences
mis en place peuvent nourrir les actions et les réflexions de l’association de Lea qui peut
servir de cadre à une mise en débat avec les habitants des deux communautés.
145
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
(voir document en annexes)
• Iran
L’Ecole de la Paix est en relation avec 2 universités de Téhéran, Beheshti et Tabatabtai, et
fera une mission exploratoire au mois de novembre 2005 pour étudier les termes d’un
partenariat. Ces premiers contacts peuvent donner lieu à l’organisation de rencontres
autour du thème de la transition démocratique.
• Liban
La perspective d’une mission fin octobre au Liban offre la possibilité de rencontrer les
responsables d’institutions avec qui pourrait être organisée une rencontre sur la transition
démocratique et la gouvernance au Liban. Des premiers contacts avec les professeurs de
l’université Saint-Joseph et de l’Université du Liban sont pris. D’autres contacts sont en
cours.
• Chine
S’agissant de ce pays, les contacts manquent pour le moment. Cependant compte-tenu des
actions que la FPH
mène dans ce pays, certaines d’entre elles peuvent peut-être servir d’appui aux actions de
la seconde phase du
projet.
• Réseau Afrique, Ecole de la Paix
La mise en place de ce réseau a pour objectif de structurer les actions en faveur de la paix
en Afrique, en associant les Africains, adhérents de l’association, en tant qu’acteurs locaux.
Les pays représentés dans le réseau sont : Rwanda, Algérie, Burundi, Cameroun, RDC,
Centrafrique, Sénégal, Burkina Faso, Congo, Côte d’Ivoire. En s’appuyant sur les contacts
avec des individus et des associations, il sera possible d’organiser les rencontres pour
plusieurs mises en débat.
• Global
Responding to Conflict (RTC) est une organisation basée en Grande Bretagne qui travaille
en partenariat avec trois centres régionaux: en Ouganda, au Cambodge et en Bosnie. Avec
ces trois centres, RTC fournit des programmes de formation sur la transformation des
conflits dans l’objectif de renforcer la capacité des acteurs locaux à travailler efficacement
pour une paix dans la justice. Ils ont pris contact avec la Network University pour aider au
développement d’un échange en ligne parmi les participants. Comme deux des centres
régionaux sont dans des pays sur lesquels le projet des Etats en transition vers la
démocratie porte, il serait judicieux de coopérer avec ce réseau afin de tester notre grille
d’analyse soit dans un contexte en ligne ou lors d’une rencontre. Site de l’organisation
www.respond.org
The Network University (TNU) est un centre d’enseignement mutuel situé au sein de
l’Université d’Amsterdam aux Pays Bas. Etabli en mai 1999, il s’est transformé en un
acteur principal d’enseignement en ligne dans le domaine de la résolution des conflits. Son
cours pilote «Transformer les Conflits Civils» a reçu la bourse EMPIRE (Enseignement
d’exception) dans le domaine des études sur la sécurité en 1999 et 2000 de l’International
Security Network en Suisse. Le centre a jusqu’à maintenant donné 30 cours en ligne de
quatre semaine chacun, à un public international, sur la résolution, la prévention et
146
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
l’analyse des conflits. Par ailleurs il a tenu plusieurs débats en ligne sur des sujets tels que
la résolution des conflits, l’expansion européenne et les études de genre et l’analyse des
conflits. Au cours des dix dernières années le centre a établi un large réseau de participants
venant de 40 pays différents concernés par la transformation des conflits.
2 – Formation, diffusion
• Réseau UNESCO, Ecole de la Paix
L’Ecole de la Paix intervient dans plusieurs universités européennes sous forme de
modules d’enseignement sur l’analyse des conflits, la culture de la paix, la culture
démocratique, la médiation, le vivre-ensemble. Les universités suivantes permettent un
programme d’enseignement sur les processus de transition vers la démocratie à des
étudiants et des professionnels de l’action humanitaire :
•
Université Lumière-Lyon 2 « Promouvoir une culture de la paix » (15h)
Université Pierre Mendés France Grenoble 2 « Conflits et processus de médiation »
(12h)
Université d'Innsbrück, Autriche, séminaire de 10 jours « Gestion politique des
conflits et constructions démocratiques » (proposition)
Universités Lyon 1 et Aix-Marseille 2 « Le contexte politique de l’action
humanitaire » (16h)
Université Paris I Panthéon Sorbonne « Crises : interventions d’urgence et actions de
développement »(18h)
Proposition de cours par Internet
« La transition vers la démocratie »
Ce cours est destiné aux personnes qui sont quotidiennement confrontées à des situations
de transition. Il permet à la fois de disséminer ces informations et de tester leur pertinence
dans plusieurs zones géographiques. Claske Dijkema enseigne depuis plusieurs années
auprès d’un établissement d’enseignement en ligne situé à Amsterdam, The Network
University (TNU). Ce cours en ligne n’est pas seulement un outil éducatif mais aussi un
instrument de discussion en réseau et un outil de recherche.
Objectifs
• Tester le cadre théorique développé concernant les pays en transition;
• Soutenir les personnes travaillant dans des situations de conflit en échangeant sur les
améliorations possibles des pratiques;
• Combiner l’expérience de terrain des participants avec les recherches existantes.
Recherche-action
Le cours va générer des informations de terrain considérables étant donné que les
participants devront écrire et débattre de leur expérience de vie et de travail dans les
situations de transition. Les données rassemblées peuvent nourrir la recherche actuellement
menée sur les transitions post-conflit. Si la communication entre les différentes institutions
impliquées dans l’analyse des conflits va en s’accroissant, entre les institutions de
recherche et les organismes actifs dans la transformation de conflit et dans les transitions, il
y a en revanche de fortes lacunes de communication. Ce programme de recherche
147
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
constituera ainsi un effort commun de l’Ecole de la Paix et de nombreuses institutions
régionales pour collaborer et faire se rapprocher des communautés isolées.
Public visé
Le cours est destiné tout d’abord aux étudiants et professionnels travaillant pour les
organisations de la société civile et le secteur public dans les pays en transition. D’autre
part, le cours est ouvert aux personnes travaillant pour des organisations locales et
internationales qui ont un intérêt à la transformation des conflits, comme par exemple des
personnes responsables de la sécurité, de l’aide humanitaire, de la coopération
internationale ou des groupes de femmes. Les participants peuvent être des universitaires,
des étudiants, des techniciens du développement, des décideurs politiques, des
fonctionnaires d’Etat, des personnes travaillant dans les média et la communication, etc.
Déroulement
Chaque semaine de cours traite d’un élément du processus de transition. Le cours sera
composé de texte, de devoirs, d’un forum de discussion et d’une base de donnée. En
utilisant ce matériel, les participants échangeront tout en étant guidés par des modérateurs.
Le cours durera de quatre à six semaines et les participants auront dix heures de cours
hebdomadaires. Chaque semaine les participants doivent rendre un devoir qui conduira à
une mise en débat des approches offertes. La personne interviewée sera la “personne
source” pendant la discussion.
Les contacts établis durant le cours offrent une bonne opportunité d’actions futures. Par
exemple, suite à un cours donné précédemment, Richard Pétris a rencontré à Phnom Phen un
participant. L’organisation de formation et de recherche au sein de laquelle il travaille offre la
possibilité d’organiser une conférence sur la bonne gouvernance.
(voir document en annexes)
• Le centre international des Sciences de l’Homme de l’UNESCO à Byblos, Liban
Issu de la réflexion menée à partir de 1998 par l’UNESCO sur la démocratie et le
développement, le centre de Byblos a été créé en 2002 pour coordonner ses actions : le
thème général du programme, « Démocratie et culture de paix », est divisé en 3 axes :
- la recherche analytique comparée (formation à la recherche, direction de recherche,
Ecole automnale de Byblos)
- les dialogues internationaux et les analyses prospectives (conférences, séminaires et
publications)
- soutenir la démocratie dans les sociétés en situation de post-conflit
Dans leur travail d’analyse et de propositions d’actions, le Centre de Byblos et l'Ecole de la
Paix adoptent la même démarche : l’accompagnement des processus de paix privilégie
trois points d’attention : la bonne gouvernance, le développement durable et le rôle de la
société civile. L’implantation de la démocratie pose problème par manque de prise en
compte des spécificités culturelles. Seule une bonne connaissance des structures sociales
peut permettre une bonne adaptation de la démocratie.
Octobre 2005 :
Le Centre de Byblos se réunit en colloque-bilan de ses 4 premières années d'activité les 27,
28 et 29 octobre à Byblos. Cette réunion sera l'occasion de décider des nouvelles activités
148
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
du Centre. C'est l'occasion pour l'Ecole de la Paix de faire les premier pas d'une
collaboration future : rencontrer tous les responsables et leur présenter ses activités.
Et au-delà :
le travail sur les processus de transition de l’Ecole de la Paix peut alimenter :
- les publications du Centre et ainsi diffuser ses résultats (Revue Lettres de Byblos)
- les conférences publiques (2008 Democracy and Culture)
- les programmes de formations : Autumn School, Tutorship programme.
• Afrique
The African Centre for the Constructive Resolution of Disputes (ACCORD) en Afrique du
Sud est une organisation internationale de la société civile qui travaille sur tout le continent
pour apporter des solutions africaines appropriées aux défis posés par les conflits africains.
Le Centre donne principalement des formations sur l’analyse, la gestion et la résolution des
conflits. Il possède aussi une unité de recherche qui publie un magazine «Conflict trends»
et un « Journal on African Conflict Resolution». Site du Centre www.accord.org.za.
L’University of South Africa (UNISA) est déjà un partenaire de la FPH (selon la fiche de
suivi de la FPH) et pourrait aussi se révéler être un partenaire utile afin de fournir un
réseau d’étudiants avec lesquels échanger sur les résultats du projet de recherche. Ses
étudiants viennent de toute l’Afrique. Elle a contacté la Network University en mai 2004
dans l’objectif de développer des cours en ligne pour ses étudiants. Un cours sur la
transition post-crise pourrait éventuellement les intéresser.
• Fondation Soros
La collaboration envisagée avec la Fondation Soros se fonde sur le programme de soutien à
l’enseignement universitaire international (International Higher Education Support
Program) à destination des étudiants chercheurs locaux pour rendre possible et valoriser
leurs travaux. Dans cet objectif, il distribue des bourses d’enseignement et de recherche,
sur place et à l’étranger, il apporte une aide à la constitution de réseaux universitaires
locaux, régionaux et globaux, il organise des séminaires régionaux pour nourrir les
programme d’enseignement universitaire. Le programme prévoit également un soutien
financier à des institutions. Il concerne un réseau d’institutions essentiellement en Asie
centrale, Europe centrale et orientale.
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
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Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Quelques autres initiatives sur le sujet
Thématique générale
Conférences
30 - 31 mai 2005
Université de Paris 1 (M.S.E.)
3e Colloque du Programme Pluriformation “ La Transition ” : la transition : quelles
relations entre économie de marché et démocratie politique ?
Après un 1er colloque consacré au processus de transition (2003) et un 2e colloque sur le
changement institutionnel (2004), le PPF “ La transition ” centre son colloque terminal sur
l’analyse des relations réciproques entre le passage à une économie de marché et la mise en
place d’un régime politique démocratique.
http://216.239.59.104/search?q=cache:RvlvLDQbboYJ:www.dree.org/elargissement/Program
mesS%C3%A9minaires/0505ColloquePPFParis1.doc+3e+Colloque+du+Programme+Plurifor
mation+%E2%80%9C+La+Transition+%E2%80%9D+:&hl=fr
1-3 novembre 2004, Harvard
Harvard University
"Settling Accounts? Truth, Justice, and Redress in Post-conflict Societies"
Thèmes abordés : Representing and teaching the violent past: reconciliation and history
education, Faith tradition and reconciliation in Cambodia, Symbolic reparations in the
aftermath of political conflicts, Re-evaluating legal histories of mass human rights violations:
the historical accounts of the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia.
1-4 octobre 2003, Mississippi
University of Mississippi
"First International Conference on Race: Racial Reconciliation"
Réconciliation aux Etats-Unis mais aussi en Afrique du Sud, Zimbabwe
18-20 novembre 2002, Stellenbosch (South Africa)
Science and Human Rights Programm, Center for the Studies of Violence and Reconciliation
"Empirical Research Methodologies of Transitional Justice Mechanisms"
The goal of this conference was to address issues related to studying the impacts of
transitional justice mechanisms, such as truth commissions, on society. As truth commissions
become popular transitional justice mechanisms, critical questions arise as to how researchers
can (and should) evaluate their impact on society.
Publications
Junne, Gerd and Verkoren, Willemijn Postconflict Development, meeting new challenges,
Lynne Rienner Publishers, Boulder, 2005
Elin Skaar, Siri Gloppen, and Astri Suhrke, Roads to reconciliation, Lexington Books,
NY/Oxford, 2005
Max Barlow, Transition démocratique et démocratie locale : une occasion manquée., Doris
Wastl-Walter (ed.), New Challenges in Local and Regional Administration, 2004.
151
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
http://216.239.59.104/search?q=cache:zSMpIjVBJ8J:www.espacestemps.net/document942.html+transition+d%C3%A9mocratique&hl=fr
centres et programmes de recherche
CERI (Centre d’Etudes et de Recherches Internationales )
En février 2001, nous avons lancé dans le cadre du CERI un groupe de recherche " Faire la
paix : du crime de masse au peacebuilding ". Ce groupe avait pour but de susciter une
réflexion comparative et trans-disciplinaire, à la fois sur les processus de violences extrêmes
et les perspectives de reconstruction dans les pays qui ont connu de telles crises.
http://www.univ-reims.fr/Labos/CERI/Qui_sommes_nous.htm
ICG : international crisis group
One of the thematic issues : democratisation
The transition to a representative, democratic political system is an important aspect of both
conflict prevention and post-conflict peace building. Many of Crisis Group's reports and
briefing papers consider various aspects of democratisation. This project brings together our
most useful resources on this topic.
The following is a collection of our most useful resources on democratisation. Due to the
broad nature of the concept "democratisation", we have divided our resources into four
categories for easy reference: elections, governance, institution building, and judicial and
constitutional reform.
Afghanistan, Zimbabwe, Guinée, Kyrgystan, Indonesia, Georgia, Kosovo, …..
http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=3489&l=1
L'Institut Panos Paris, créé en 1986, est une organisation non gouvernementale spécialisée
dans l'appui au pluralisme médiatique. Il a pour objectifs de
• renforcer les médias des pays du Sud (Afrique centrale, Maghreb et Méditerranée, Afrique
de l'Ouest dans les années 1990) et leurs capacités à produire et à diffuser, en relation avec
toutes les composantes de la société civile, une information pluraliste, gage d'une culture de
paix et de démocratie ;
• à appuyer la production d'informations sur certains thèmes prioritaires (paix, bonne
gouvernance, droits de la personne, migrations…), favoriser l'expression des journalistes et
leaders d'opinion du Sud et du Nord sur ces questions, provoquer des débats publics sur ces
thématiques, au Nord, au Sud et à l'intersection entre ces deux espaces ;
• à susciter et alimenter une réflexion critique sur les enjeux de l'information et de la
communication dans un monde globalisé, profondément transformé par le développement des
technologies de la communication.
L'Institut Panos Paris est membre du Panos Council, instance souple de concertation qui
regroupe neuf entités Panos de par le monde.
http://www.panosparis.org/fr/presentation.php
Appels d'offre
United States Institute of Peace
Bourse pour des recherches portant sur la Paix : quels sont les liens entre guerre et démocratie
; comment cette dernière influence la nature et le niveau d'un conflit.
http://www.usip.org/grants/
152
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Joseph Rowntree Charitable Trust
Bourse pour des recherches portant sur la paix, la justice et la réconciliation en Afrique du
Sud et en Irlande
http://www.jrct.org.uk/core/policy.htm
Europe centrale et orientale
Conférences :
20-21 octobre 2005, Genève
Association Bosnia and Herzegovina 2005
"Bosnia and Herzegovina, 10 years of Dayton and beyond"
http://www.bosnia2005.org/conference/region.html
17 juin 2005, Paris (Conseil de l’Europe)
« Serbie-Monténégro : bilan d’une transition démocratique délicate et perspectives
d’avenir.”
Synthèse de Lucas Delattre Publié dans la presse : 17 juin 2005
http://216.239.59.104/search?q=cache:jCB3pfQnl2YJ:www.balkans.eu.org/article5654.html+
transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr
18-19 juin 2004, Londres
School of Slavonic and East European Studies, University College London
"Rethinking the Dissolution of Yugoslavia"
Analyses focused on specific aspects of the disintegration, such as the role played by ideology
and culture, local and personal histories, or the policies of domestic and international actors.
Reassessment of the causes of Yugoslavia's dissolution and the scholarly debates to which it
has given rise, and examine both longer-term historical factors and the role of structure,
agency and contingency in the dissolution process.
http://www.ssees.ac.uk/yugoconf.htm
18-20 mai 2001, Belgrade
B92 (groupe de média serbe)
"In Search of Truth and Responsability, Toward a Democratic Future"
The varied experiences of truth and reconciliation commissions from Latin America, South
Africa and Asia suggest there is no universal model for responding to the challenges of the
past. Also of value are the diverse experiences of post-Communist Eastern European countries
in embarking on the process of adopting democracy and confronting their own pasts, with
varying degrees of success. Clearly, justice in times of transition is a notion which cannot be
automatically replicated or applied.
However, there exists a consensus: namely that, in both social and political terms, one cannot
strive towards a better future if burdened by the lies and concealed crimes which strike at the
heart of humanity itself.
The conference "In Search of Truth and Responsibility - Towards A Democratic Future" gave
us the opportunity to examine and reconsider the various ways in which truth and
reconciliation commissions have worked. This in turn will have a far-reaching and profound
impact on the wider public debate about this issue within Yugoslav society
http://www.b92.net/trr/eng/
153
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Appels d'offre
Juin 2005
Direction des Affaires Stratégiques, Ministère de la Défense
"L'encadrement des Etats faillis par la communauté internationale
Publications
François Frison-Roche , Le "modèle semi-présidentiel" comme instrument de la transition
en Europe post-communiste : Bulgarie, Lituanie, Macédoine, Pologne, Roumanie et
Slovénie.,
Bruylant,
2005,
576
pages
http://www.colisee.org/article.php?id_article=1940
McFaul Michael, Perov Nicolai, Ryabov Andrei, Between Dictatorship and Democracy
Russian Post-Communist Political Reform, Carnegie Endowment for International Peace,
2004
But did the processes unleashed by Gorbachev and continued under Russian President Boris
Yeltsin lead eventually to liberal democracy in Russia? If not, what kind of political regime
did take hold in post-Soviet Russia? And how has Vladimir Putin’s rise to power influenced
the course of democratic consolidation or the lack thereof? Between Dictatorship and
Democracy seeks to give a comprehensive answer to these fundamental questions about the
nature of Russian politics.
Gautier Pirotte, Une société civile post-révolutionnaire : étude du nouveau secteur ONG en
Roumanie : le cas de Iasi, 223 pages, janvier 2003
RESUME : Cet ouvrage aborde, par l'étude du nouveau secteur des organisations non
gouvernementales de Roumanie (en particulier dans la ville de Iasi), l'adoption du projet de
création d'une société civile dans le contexte si particulier des transitions économiques et des
réformes institutionnelles visant l'instauration d'une économie de marché et d'un régime
démocratique dans ce pays.
http://www.bief.org/index.cfm?fuseaction=C.Titre&Tid=12904&E=349
Collectivisme et transition démocratique. Les campagnes roumaines à l'épreuve du
marché.
Mircea Vultur Publié par les Presses de l'Université Laval, 2002, 188 pages
http://www.fl.ulaval.ca/celat/hors_vultur.htm
Centres et programmes de recherche
ARI est un forum de recherche interdisciplinaire qui regroupe les chercheurs du CERI à
Paris et les chercheurs en sciences sociales des différentes facultés de l'Université de
Belgrade. Les thèmes de recherche porteront, dans un premier temps, sur les différentes
problématiques liées à la transition démocratique et à l'intégration européenne de la
Serbie-Monténégro. Il s'agira, à terme, d'élargir les thèmes de recherche d'ARI aux autres
enjeux européens et internationaux d'actualité débattus sur la scène universitaire.
http://216.239.59.104/search?q=cache:p3hzvjZztJoJ:www.france.org.yu/article.php3%3Fid_a
rticle%3D858+transition+d%C3%A9mocratique+recherche&hl=fr
Faculté de Clermont - Observatoire des Mutations de l’Etat dans l’Espace Européen
• Axe "Etat Nation Territoire"
154
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
• Axe "Droits fondamentaux et Transition Démocratique"
• Axe "Relations Internationales et construction européenne"
Date de création de l’Equipe : 2004
Les thèmes de recherche (2/6)
• Le développement de la protection des droits fondamentaux en Europe de l’Est (Axe "Droits
fondamentaux et Transition Démocratique")
• L’essor de la justice constitutionnelle en Europe de l’Est (Axe "Droits fondamentaux et
Transition Démocratique")
http://www.u-clermont1.fr/?Id=29&Lang=fr
Center for Democratic Transition, East West Parliamentary Practice Project
(Monténégro)
"Legislatures and Citizens: Strengthening democratic institutions and civil society in the
Western Balkans"
Three-year program, aimed at assisting the parliaments and NGOs of the Western Balkan
countries to improve the functioning of democratic institutions and civil society participation
in the decision making process. This programme aims to assist the Western Balkan countries
in the difficult process of transition.
http://www.csvr.org.za/projects/truthcom.htm
Monde arabe
Conférences :
15 Avril 2005, Paris
« La transition démocratique au Maroc une révolution silencieuse? »
organisée par AMGE-Caravane
animée par Pierre VERMEREN, normalien agrégé d’histoire et spécialiste du Maghreb.
http://216.239.59.104/search?q=cache:mh9uQIEiTCMJ:www.amgecaravane.org/+transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr
17 mars 2005, Paris
Transition démocratique dans le Golfe Persique: Illusion ou réalité ?
Jean-François SEZNEC Professeur à SIPA, Columbia University
Introduction par : Gilles KEPEL Professeur des Universités, Sciences Po
http://216.239.59.104/search?q=cache:gTetqrcG7U4J:americancenter.sciencespo.fr/en/activities/activities/affiches/2005-03-17-transdemocratique.pdf+transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr
22 février 2004, Al Hoceima (Maroc)
« Le Rif, la vérité et la réconciliation possible »
Colloque scientifique par le journal «Al Yassar Al mowahad» (Gauche unifiée)
Axe 1 : vérité et justice lecture dans le processus marocain
Axe 2 : réconciliation et transition démocratique : spécificités : cas du rif
http://216.239.59.104/search?q=cache:4Z8j7Yazcs0J:www.yabiladi.com/article-agenda55.html+transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr
155
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Afrique
Conférences
22 juin 2005, Bruxelles
organisé par l’Institut Panos Paris et par le Grip
Médias et construction de la paix dans la région des Grands Lacs. Quel appui aux
dynamiques en cours ?
Programme Médias pluralistes pour la paix et la démocratie en Afrique Centrale
http://www.panosparis.org/fr/doc/Programme_Conference_FR_06_06_05.pdf
Publication
La transition en République Démocratique du Congo : Bilan, enjeux et perspectives
Sous la direction de Mwayila Tshiyembe, Etudes africaines, juillet 2005
Deux causes objectives peuvent expliquer pourquoi le calendrier des élections avant la date du
30 juin 2005 n'a pas été tenu: le contexte de la transition et les acteurs de la transition. Cet
ouvrage en dresse le bilan : bilan de la formation d'une armée nationale, bilan économique,
des Droits de l'homme et de la justice, de la réconciliation nationale, du soutien de la
communauté internationale. Il s'interroge ensuite sur les enjeux et perspectives, au-delà de la
transition: quel Etat et quelle gouvernance ? quel défi économique, social, culturel ?
http://www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=19600
RDC : La justice sacrifiée sur l’autel de la transition démocratique,
Rapport publié par la FIDH le 29 juin 2004
Il présente les enjeux et perspectives, après l’annonce de l’ouverture d’une enquête
préliminaire par le Procureur.
Depuis 3 ans, la FIDH et ses organisations membres en RDC se penchent sur la
problématique de la Justice et de la transition démocratique dans ce pays.
http://216.239.59.104/search?q=cache:b3BPhHY3xloJ:www.fidh.org/article.php3%3Fid_artic
le%3D1477+transition+d%C3%A9mocratique+conf%C3%A9rence&hl=fr
Connell, Dan Building a new nation, Collected articles on the Eritrean Revolution (19832002), Vol.2, The Red Sea Press, Inc., Trenton NJ, 2004
centres et programmes de recherche
Centre de recherche et d'Etude sur les Pays d'Afrique Orientale (CREPAO) de
Université de Pau et des Pays de l’Adour
objectif : ouvrir la recherche française en sciences sociales et humaines sur des espaces nonfrancophones : l’Afrique orientale et australe anglophone et lusophone
Le CREPAO a le statut d'équipe "d'accueil" du Ministère de la jeunesse, de l'éducation
nationale et de la recherche , et constitue l'un des interlocuteurs privilégiés du Ministère des
Affaires Etrangères dans le domaine du soutien à la recherche scientifique en Afrique
orientale et australe
Les thèmes de recherche menés au CREPAO portent sur l'analyse de la construction de
l'Etat (transition démocratique, administration locale), les relations entre religion et
politique (place des communautés musulmanes et des Eglises chrétiennes dans la société estafricaine), les politiques de l'environnement (ressources naturelles, eau, ville...) et les
relations internationales (insertion de l'espace est-africain dans les systèmes transnationaux).
Les programmes de recherche actuels sont plus particulièrement centrés sur :
• La gestion de l'eau (responsable : B. Contamin)
156
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
le problème de la crise et recomposition du monde urbain (responsables : H.
Maupeu et C. Thibon)
• les mobilisations et médiations politiques (reponsable : J. Lafargue)
http://www.univ-pau.fr/RECHERCHE/CREPAO/lecrepao.htm
•
Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique
(CODESRIA)
Institut sur la gouvernance démocratique
Thème : les média dans la gouvernance africaine
L’Institut sur la Gouvernance démocratique du CODESRIA est un forum interdisciplinaire de
chercheurs africains travaillant sur le large thème de la gouvernance. Le but de cet institut
est de promouvoir la recherche et le débat sur des questions relatives à la conduite des affaires
publiques et à la gestion du processus de développement en Afrique.
Asie
Conférences :
30-31 juillet 2005, San Francisco
Association of Chinese Political Studies
"International Symposium on China's Transition and Ascension"
Thèmes abordés: China's democratic transition, State-Society Relations in Transition, New
Trends in Developing a Modern System of Political Legitimation…
http://acps.sfsu.edu/acps/meetings/ACPS2005/ACPS%2018th%20meeting.htm
17 janvier 2002
Afghanistan and Beyond : The challenges of Reconstruction,
Organisé par the Carnegie Endowment for Peace
www.carnegieendowment.org/events
25 septembre 2002, Washington DC
Center for Strategic and International Studies, National Committee on United State-China
Relations, Carnegie Endowment for International Peace
"China in Transition, a Look Behind the Scene"
Thèmes abordés: A Historical Perspective on China's Domestic Transitions - Challenges to
Legitimacy: The Party in Transition - Off the Beaten Track: Rural China in Transition
http://www.carnegieendowment.org/events/index.cfm?fa=eventDetail&id=522&&prog=zch
Publication
Ho Peter, Institutions in Transition: Land Ownership, Property Right and Social Conflict in
China, Oxford University Press, Oxford, 2005
Feillard, Andrée, Indonésie : la transition démocratique, La Documentation française,
collection « Problèmes politiques et sociaux »
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/informations/presse/2002/indonesie.shtml
Appels d'offre
Direction des Affaires Stratégiques, Ministère de la Défense, 2005
157
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
"Afghanistan: Les défis de la stabilisation politique et militaire après l’élection
présidentielle"
Amérique latine
Conférences
15-23 avril 2004, Mexico
La réconciliation en temps de transition : le rôle des parlementaires et des structures
interparlementaires
Préparé pour la 110ème Assemblée de l’Union Interparlementaire (UIP)
http://www.idea.int/conflict/upload/La_Reconcilation_en_temps_de_transition_IDEAlogo.pdf
Publication
ALIJANI Sharam, Transition démocratique, crises et réformes dans les pays émergents.
Etude comparative et institutionnelle de l'Argentine et du Mexique. Date de la soutenance :
26/05/05
Résumé : Cette thèse a pour objet d’apporter de nouveaux éclaircissements à la problématique
de la transition démocratique en prenant pour références deux des principaux pays émergents
d’Amérique latine ; l’Argentine et le Mexique. Menée dans un cadre historique et comparatif,
cette étude met en lumière l’économie politique de la transition démocratique en s’appuyant
sur un large corpus de sciences économiques et politiques. Nous avons mis en résonance la
relation entre le contexte économique, les intérêts des acteurs sociaux et les institutions
représentatives telles que les partis politiques.
http://www.univ-mlv.fr/recherche/presentation/soutenances.php?date=2005/05/26&num=217
158
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Sources
Les ouvrages
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Palgrave, New York, 2000.
Barber, James South Africa in the Twentieth Century, Blackwell Publishers, Oxford, 1999.
Béja, Jean-Philippe A la recherche d'une ombre chinoise, le mouvement pour la démocratie
en Chine (1919-2004), Seuil, L'histoire immédiate, 2004.
Calame, Pierre. La démocratie en miettes. Pour une révolution de la gouvernance, Ed.
CharlesLéopold Mayer, Descartes et Cie, Paris, 2003.
Chua, Amy World on Fire, How exporting free market democracy breeds ehnic hathred and
global instability, Anchor Books, New York, 2004.
Connell, Dan Building a new nation, Collected articles on the Eritrean Revolution (19832002), Vol.2, The Red Sea Press, Inc., Trenton NJ, 2004.
Fazelly, Kacem L’Afghanistan du provisoire au transitoire. Quelles perspectives ?,
Langues Mondes –l’Asiathèque, Paris, 2004.
Hurbon, Laënnec (sous la direction de), Les transitions démocratiques, Actes du Colloque
International de Port-au-Prince, Haïti, Ed. Syros, Paris, 1996.
Ignatieff, Michael Empire Lite, Nation building in Bosnia, Kosovo and Afghanistan, Vintage,
London, 2003.
Junne, Gerd and Verkoren, Willemijn Postconflict Developement, meeting new challenges,
Lynne Rienner Publishers, Boulder, 2005.
Lelièvre Michel, Sur le chemin de la paix, Avec l’ONU au Salvador, Desclée de Brouwer,
Culture de Paix, 1995.
Mau, Vladimir et Starodubrovskaya, Irina The Challenge of Revolution. Contemporary Russia
in Historical Perspective, Oxford University Press, Oxford, 2001
Mendras, Marie (sous la direction de) Comment fonctionne la Russie? Le politique, le
bureaucrate et l'oligarque, coll. CERI Autrement, Sciences Po, Paris, 2003.
Miall, H., Ramsbotham, O. and Woodhouse, T. Contemporary Conflict Resolution, Polity
Press, Cambridge, 2000.
Slobodan Milacic (dir.), La Réinvention de l’Etat. Démocratie politique et ordre juridique en
Europe centrale et orientale, Bruylant, Bruxelles, 2003
Moussa Iye, A. Le verdict de l’Arbre: autopsie d’une démocratie pastorale, International
Printing Press, Djibouti, 1990.
Ottaway, Marina Africa's New Leaders: Democracy or State Reconstruction? Carnegie
Endowment, 1999.
Perron, Catherine Les pionniers de la démocratie, PUF, Le Monde, Coll. Partage du Savoir,
Paris, 2004.
Pétric, Boris-Mathieu Pouvoir, don et réseau en Ouzbékistan post-soviétique, PUF, Le
Monde, Collection Partage du savoir, Paris, 2002.
Pouligny, Béatrice, Ils nous avaient promis la paix, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2004
Richard, Yann et Sanguin, André-Louis (sous la dir. de), L'Europe de l'Est quinze ans après
la chute du mur. Des pays baltes à l'ex-Yougoslavie, coll. Géographie et cultures,
L'Harmattan 2004.
Powers, Roger S. and Vogele, William B. (ed.) Protest, Power and Change, An encyclopedia
of nonviolent action from ACT-UP to Women’s Suffrage, Garland Publishing Inc. New York
and London 1997.
159
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Solioz, Christophe et Dizdarevic, Svebor André La Bosnie Herzégovine. Enjeux de la
transition, L'Harmattan, Paris, 2003.
Yan Chen L'éveil de la Chine, les bouleversements intellectuels après Mao (1976-2002),
Editions de l'Aube, 2003.
Les publications des institutions, la presse et les périodiques
African Center for the Constructive Resolution of Disputes
Revue African Journal on Conflict Resolution
Revue Conflict Trends
Berghof Research Centre for Constructive Conflict Management
Berghof Handbook for Conflict Transformation
CEMOTI
The Centre for Peace, Non-violence and Human Rights, Osije, Croatie.
Centre d'Etudes sur les Conflits
Revue trimestrielle de sciences politiques, Cultures et Conflits (St Ouen, France)
CERI, Institut d'Etudes Politiques, Paris
Revue Critique Internationale
Carnegie Endowment for Peace
European Centre for Conflict Prevention, Utrecht, Pays Bas
European Platform for Conflict Prevention (and Peacebuilding activities)
Freedom House, ONG basée à New York, Washington, Budapest, Bucharest, Belgrade, Kiev,
Varsovie.
L'Institut Français d'Etudes sur l'Asie centrale (IFEAC), Tachkent
Les Cahiers d'Asie centrale, Editions Edisud, Aix-en-Provence
International Crisis Group
International Peace Academy (United Nations University) and Carr Center for Human Rights
Policy (Harvard University)
Programme on Making States Work
The Journal of Peace Research, Sage Publications, International Peace Research Institute,
Oslo.
The London School of Economy, The centre for the Study of Global Governance
Crisis States Programme development research center
Revue Journal of International Sudies
Réseau Pax Christi International
Revue Foreign Affairs
Revue Journal of Democracy
Revue ORBIS, A Journal of World Affairs. Foreign Policy Research Institute.
SOAS (School of Oriental and African Studies), University of London, Centre for
Development
Policy and Research (CDPR)
Stanford University, Californie, Etats-Unis
Center on Democracy, Development and The Rule of Law (CDDRL)
Center for International Security and Cooperation (CISAC)
Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Institut d'Etude du Développement Econmique et
Social (IEDES)
Université de Californie de Berkeley, département de Science politique
Université de Princeton, publications en ligne
160
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Texte de recherche n°46 Contre-pouvoirs et démocratisation : Une étude comparative du rôle
des syndicats et des associations dans 4 pays (Algérie, Bosnie-Herzégovine, Mexique,
Roumanie)
Une lecture critique de ces sources écrites est faite grâce aux entretiens avec des personnes de
terrain: chercheurs, témoins, acteurs de la vie sociale, politique et économique.
Les entretiens
Svetlana Jacquesson, ethnologue, EHESS
Kirghizstan, organisation sociale, relations de pouvoir, généalogies
Guy Caussé, médecin, Médecins du Monde
Afghanistan, système de santé, pratiques de légitimité
Marie Mendras, politologue, CERI
Russie, distribution du pouvoir, bureaucratie, oligarques
Kathy Rousselet, CERI
Russie, gouvernance
Bruno Drweski, INALCO
Pologne, sociologie du changement, héritage soviétique
Dominique Colas, CERI
PECO, gouvernance
Karim Pakzad, IRIS et PS
Afghanistan, Iran et Irak, élections, états en transition
Béatrice Pouligny, CERI
Opérations de l’ONU et populations locales
Mme Goucha, UNESCO
Démocratisation
Eric Brunat, PNUD
Ex-URSS, transition politique et économique
Michel Lelièvre
Le Salvador
JF Leloutre
Missions d’observation des processus électoraux
Maurice Goldring
Université Paris-VIII-Saint-Denis, Irlande
Général Hugues de Courtivron (er), DCAF
Bosnie-Herzégovine, développement, démocratie
Dr. Hans Born, DCAF
Europe de l’Est, contrôle civil des forcés armées
François Ponchaud
Prêtre des Missions Etrangères de Paris, a vécu 40 ans au Cambodge
161
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
162
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Annexes
Annexe 1
Proposition de cours par Internet
Annexe 2
Agir au Cambodge
Annexe 3
Agir en Bosnie Herzégovine
Annexe 4
Agir en Colombie
163
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
164
Claske Dijkema et Karine Gatelier, Ecole de la paix, septembre 2005
Annexe 1
Proposition de cours par Internet
« La transition vers la démocratie »
Proposition de programme :
1. Introduction
Définition et typologie des transitions : post-conflit et post-communistes : pourquoi les
étudier ensemble?
Vue d’ensemble de 10 études de cas : Afghanistan, Afrique du Sud, Bosnie-Herzégovine,
Cambodge, Chine, Ethiopie, Ouzbékistan, Pologne, Russie, Salvador.
Approche de l’analyse des transitions : sociologique et anthropologique.
2. Origine de l’impulsion pour le changement
Facteurs internes, externes et combinaison des deux.
Convergence d’intérêts.
La légitimité de l’intervention étrangère.
3. La représentation du pouvoir
La relation au pouvoir : stabilité des modèles de pouvoir et définition des groupes
identitaires (généalogies, ethnies, classes sociales, territoires…).
La quête de légitimité : électorale, traditionnelle, idéologique, économique ;
personnalisation du pouvoir.
Mise en débat : comment la démocratie peut s’adapter aux modèles politiques
traditionnels ?
4. La construction de l’Etat
Etat, démocratisation, mondialisation et sécurité. L’Etat importé.
L’émergence d’un pouvoir central : comment fédérer la multitude des pouvoirs sur le
terrain en un centre unique? Interdépendance, partage du pouvoir, décentralisation. Les
conditions d’un pouvoir stable.
Les processus instituants : quelle collectivité ? quelle identité nationale ? comment est
organisé le bien public ?
Mise en débat : L’absence de volonté de vivre ensemble dans certains pays doit-elle
conclure à la nécessité de revoir les frontières ? L’origine des Etats pose parfois
problème dans le cas de leur création par des puissances étrangères.
5. La société civile
Les ferments de la démocratisation dans les structurations et modes d’organisation locaux ?
Place particulière des diasporas.
Mise en débat : L’opportunité de susciter la participation de la population par des
moyens étrangers à ces sociétés.
6. Economie
Mondialisation, quelle autonomie des politiques économiques nationales ?
Création d’un secteur privé
Mise en débat : L’économie comme vecteur de démocratisation.
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Annexe 2
Agir au Cambodge
Les conditions dans lesquelles se réalise la reconstruction matérielle et humaine du Cambodge
sont inquiétantes et préoccupent de nombreux observateurs. Les dégâts de la guerre sont
encore présents ; le redémarrage de l’économie s’est traduit par un véritable pillage des
ressources du pays qui se poursuit ; plus gravement, peut être, l’histoire se répète et recrée les
conditions d’une nouvelle explosion. Peut-il y avoir un avenir pour le Cambodge ?
Dans un tel contexte, on est impressionné par la convergence des points de vues entendus sur
la situation politique et morale. Le pouvoir est accusé de mettre le pays en coupe réglée, de se
montrer insensible aux besoins du peuple, de manipuler tout le monde (la royauté, la religion
bouddhiste, la communauté internationale, etc.), de ne pas avoir le sens des responsabilités et
de vision globale, d’apparaître tel un « mur » contre lequel on ne peut rien et de ne pas hésiter
à aller jusqu’à l’élimination physique des opposants. Respect des droits de l’homme,
développement et transformation sociale et renforcement de l’Etat de droit sont les principaux
progrès qui devraient être faits pour que le pays sorte véritablement de la guerre.
Comment y parvenir ? Le leitmotiv fait penser à une sorte de « réarmement moral » qu’il
faudrait organiser en misant sur l’éducation et la formation des jeunes qui sont l’avenir du
Cambodge : nécessité, à la fois, d’une éthique et de connaissances techniques. Nos
interlocuteurs principaux oeuvrent déjà auprès de différents publics ou souhaiteraient être
aidés dans ce sens. Sur le plan politique, le problème de la gouvernance est clairement évoqué
en même temps que ses liens avec, notamment, le développement social, le processus
démocratique, la décentralisation.
Contacts au Cambodge
Nous devrions pouvoir miser sur des relations anciennes ainsi que sur de nouveaux acteurs
motivés.
François Ponchaud, prêtre des Missions Etrangères de Paris - MEP
Thun Saray, Président de la Cambodian Human Rights and Development Association –
ADHOC
Lao Mong Hay, Chef du département juridique du Center for Social Development
Sopheak Ok Serei, analyste politique et consultant pour la construction de la paix
Virorth Doung et Sedara Kim, chercheur du Centre for peace and development du
Cambodia Development Resource Institute - CDRI
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Annexe 3
Agir en Bosnie-Herzégovine
La conférence Ten years of Dayton and Beyond qui s’est tenue à Genève les 20 et 21 octobre
2005 a permis de confirmer l’intérêt de la part des acteurs de la transition en BosnieHerzégovine pour notre travail et leur enthousiasme pour l’organisation de rencontres. Ils
dénoncent en effet « l’agression sophistiquée qui a été portée contre les esprits », la
propagande nationaliste qui les a convaincu qu’ils ne pouvaient pas vivre ensemble. « Le
conflit a été importé et demeure jusqu’à aujourd’hui ». Ainsi la méfiance est bien réelle et
pousse les gens à agir – et en l’occurrence voter – contre leurs intérêts. Ils s’interrogent
comment « dégeler » les consciences.
Les contacts suivants nous permettront, dans un premier temps, d’ouvrir le dialogue, sur la
base du travail d’analyse déjà réalisé, avec des militants des partis citoyens, des professeurs
d’université, des étudiants, des fonctionnaires et des acteurs de la société civile. Dans un
second temps et à partir des contacts qu’auront permis ces premières mises en débat, il sera
possible de mettre en place des formations. Trois rencontres sont envisagées à Sarajevo, le
centre historique du cosmopolitisme yougoslave, Tuzla, la ville où les partis citoyens ont su
résister aux partis nationalistes et Banja Luka en Republika Srpska.
Contacts en Bosnie-Herzégovine :
Srđan Dizdarević, vice-président de International Helsinki Federation, Sarajevo.
Jovan Divjak, directeur, Education Builds, Association Bosnia and Herzegovina, Sarajevo.
Ibrahim Prohić, psychologue et analyste politique, quotidien Oslobođenje, Tuzla.
Dragoljub Stojanov, professeur d’économie, Université de Sarajevo, Premier ministre du
Gouvernement clandestin de Republika Srpska, Banja Luka, parti citoyen Alternativna Vlada.
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Annexe 4
Agir en Colombie
On a l’habitude, depuis quelques années, de considérer la situation colombienne comme un
« laboratoire de paix ». Sa « crise » a justifié que l’on cherche à mieux comprendre les
origines et les mécanismes de la violence qui y sévit et il faut aussi relever les nombreuses
initiatives de tous ordres qui sont prises, notamment par une société civile qui se cherche.
Bien que ne faisant pas partie de la liste des pays dont nous avons choisi d’analyser la
situation, le cas colombien mérite de constituer une référence particulièrement intéressante
pour notre étude compte tenu qu’il peut clairement être observé sous son aspect de « sortie de
conflit ». C’est ainsi, en effet, que peuvent être interprétées les initiatives prises par les
autorités gouvernementales mais aussi celles de diverses organisations qui se mettent dans
cette perspective.
Contacts en Colombie
Un partenaire de poids : le Centre de recherche et d’éducation populaire – CINEP, à
Bogota
Des personnalités qui comptent :
Francisco de Roux, prêtre, directeur du Programme développement et paix du Magdalena
Medio – PDPMM
Henry Medina, général (CR), conseiller sécurité de la mairie de Bogota
Ana Mercedes Gomez, directrice du journal El Colombiano, à Medellin
Des potentialités importantes avec des universités, des fondations et autres organisations de la
société civile, des collectivités locales
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