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Le Centre Transfrontalier de Création Théâtrale
Mouscron-Tourcoing,
la Compagnie Chotteau et le Centre Culturel Mouscronnois
présentent
La Comédie du Paradoxe
Divertissement proposé aux publics français et belges
Adaptation et mise en scène de Jean-Marc CHOTTEAU
D’après « Le Paradoxe du Comédien » de Denis DIDEROT
DOSSIER PEDAGOGIQUE
Par Maud PIONTEK
■ Diderot en son temps
Né à Langres en 1713, Diderot est d’abord destiné à la prêtrise
par son oncle chanoine : à treize ans, il est tonsuré et vit chez les Jésuites.
Mais bien vite, Diderot décide de s’enfuir à Paris pour y poursuivre des
études de droit. Sa famille lui a coupé les vivres, et il mène alors une vie
de bohème et se marie même avec une marchande de lingerie... Dans les
salons, il rencontre Condillac, Rousseau, Grimm, d’Alembert. Il se lance
dans les lettres, et écrit notamment Lettre sur les aveugles à l’usage de
ceux qui voient, texte dans lequel il veut comprendre le monde original
dans lequel vivent les aveugles, et où il en profite pour affirmer la
relativité de la métaphysique, de la morale et par conséquent… du
pouvoir. Ce matérialisme à toute épreuve vaut à Diderot d’être enfermé
au fort de Vincennes en 1749.
Pourtant, Diderot n’abandonnera pas ses projets littéraires et
philosophiques, et poursuivra avec d’Alembert la tâche écrasante de
regrouper une somme d’articles sur l’art, la science, la philosophie etc.
réunis dans l’Encyclopédie. Dès lors, Diderot n’aura de cesse de lutter
pour une plus grande liberté d’expression. Dans cette optique, la forme
dialoguée permet de créer le mouvement de pensée nécessaire à la
dénonciation ironique de certains préjugés, et, à la manière de Socrate,
Diderot l’utilise pour multiplier les points de vue au sein même de son
argumentation. Le théâtre devient une solution pour expérimenter une
distance par rapport aux opinions communes, montrées dans toutes leurs
contradictions.
■ Un théâtre de la raison
Diderot a écrit quelques pièces de théâtre qui n’ont pas eu un
grand succès, comme Le fils naturel (1757) et Le père de famille (1758).
L’ambition moralisante du philosophe y est trop attachée, et ne permet
pas au spectateur de prendre du plaisir à ces intrigues. Ses pièces sont
surchargées de propositions scéniques et d’éloges de la vertu, indigestes
pour le spectateur. Il s’agit d’un théâtre d’essais, un théâtre où s’exprime
les raisons d’aimer le théâtre et de s’en méfier, bref, un théâtre qui
rationalise notre expérience de spectateur… au risque de l’ennuyer !
Toujours est-il que Diderot est l’inventeur du drame, intermédiaire entre
tragédie et comédie, et proposant au théâtre des personnages bourgeois.
Si son « drame bourgeois » reste classique en bien des points (la règle des
trois unités, la vraisemblance), il veut néanmoins une peinture plus fine et
réaliste de la réalité sociale, et tend à engager le propos théâtral dans une
formation morale et politique de l’individu. De plus, Diderot s’efforce de
souligner la plasticité de l’œuvre dramatique, c’est-à-dire ses aspects
spectaculaires –notamment la pantomime (que nous appellerions
aujourd’hui les « indications scéniques ») – qui exige du comédien (et
éventuellement d’un tiers qui « organise » le spectacle) une totale
maîtrise du sens de ce qu’il joue et par conséquent, de soi. En fait,
Diderot ébauche ce qui deviendra la « direction d’acteurs » et la mise en
scène.
Les commentaires sur les pièces et les écrits théoriques de Diderot
confirment l’importance de sa réflexion pour l’histoire du théâtre, et
d’ailleurs, les metteurs en scène actuels s’intéressent plus souvent à ces
essais qu’aux pièces proprement dites : les Entretiens sur Le fils naturel
(1757) le Discours sur la poésie dramatique (1758), et enfin le Paradoxe
sur le comédien (1778), ainsi que la Lettre sur les aveugles (1749),
Jacques le fataliste (1765-73), Le neveu de Rameau (1762-77), font
souvent l’objet d’adaptations théâtrales.
■ La question du comédien
Dans les trois premiers textes, Diderot explique les ambitions et
les limites du genre théâtral. Il s’interroge sur le statut du comédien, aussi
bien artistique que politique : quelle est la place du comédien dans la
société ? Faut-il la redéfinir et donner au spectacle une influence positive
sur les moeurs ? (« je regrette que l’on se fasse comédien « par plaisir »
et jamais par goût pour la vertu, par le désir d’être utile dans la société
et de servir son pays ou sa famille »)1 ; le comédien est-il toujours maître
de lui ? (« vous n’êtes jamais le personnage, vous le jouez ») ; quel est
son rapport au personnage qu’il interprète ? Comment travaille-t-il pour
donner l’illusion d’être un autre ? (« les gestes de son désespoir sont de
mémoire et ont été préparés devant une glace »).
Un questionnement qui touche parfois plus à la psychologie du
comédien qu’à sa technique d’interprétation : le comédien est-il un être
sincère ? (« derrière votre personnage, il n’y a personne. Votre masque
vous rassure » ; « l’envie est bien pire entre vous qu’entre quiconque »),
par quelles motivations intimes est-il poussé à se montrer sur scène sous
une identité imaginée ? (« ce qui vous amène à ce métier, c’est le défaut
d’éducation, la misère et le libertinage »), peut-on dresser un portrait
ressemblant du comédien ? (« je dis simplement que dans le monde,
lorsque vous n’êtes pas bouffons, je vous trouve polis, caustiques et
froids, fastueux, dissipés, dissipateurs, intéressés... »). Les réponses de
Diderot ne sont pas toujours élogieuses envers les comédiens, et pourtant,
cette forme d’injustice est l’effet d’une rage qui voudrait donner au
théâtre une fonction capitale dans la société : « c’est qu’une troupe de
comédiens n’a pas les honneurs, les moyens, les récompenses qu’elle
mériterait dans une nation où l’on attacherait une réelle importance à la
fonction de parler aux hommes pour être instruits, corrigés, amusés ». La
volonté de Diderot est révolutionnaire : elle contredit les censures de
l’époque, et annonce le mouvement de décentralisation de notre siècle,
grâce auquel le théâtre est entré dans le domaine public.
Ces questions contiennent en filigrane une réflexion sur la mise en
scène (scénographie, direction de comédiens etc.) qui inspirera tout le
théâtre moderne de Stanislavski à Brecht, d’Antoine à Copeau. En
dégageant un ordre rigoureux nécessaire à la pratique du théâtre, Diderot
inaugure l’exigence moderne d’un vrai « métier » de comédien, et par
conséquent d’écoles où l’on pourrait les former.
1
Toutes les citations sont tirées du Paradoxe sur le comédien, et ont été reprises telles
quelles dans La comédie du paradoxe.
■ Le Paradoxe sur le comédien : histoire du texte
Le Paradoxe sur le comédien est à l’origine un article de Diderot
dans la Correspondance littéraire de Grimm, une brochure intitulée
« Garrick ou les acteurs anglais », 1770. On retrouve des traces de cette
publication dans les nombreuses allusions à l’acteur anglais, David
Garrick (1717-79) très célèbre en Europe. Il brillait particulièrement dans
l’interprétation de Shakespeare. En 1747 il achète le théâtre de Drury
Lane, à Londres, qu’il dirige jusqu’en 1776 avec un succès remarquable.
Il a d’ailleurs laissé d’importants Mémoires. Diderot a été très
impressionné par l’acteur lors du séjour de ce dernier en France. En 1773,
Diderot a achevé pour l’essentiel Le paradoxe sur le comédien. Il le
remanie en 1778 dans sa Correspondance littéraire. Il ne sera publié tel
que nous le possédons qu’en 1830.
Diderot se soucie de relater des expériences concrètes de théâtre,
et c’est dans cet esprit de rencontre avec le phénomène dramatique en luimême qu’il écrit le Paradoxe. Même s’il cite les auteurs (Molière,
Racine, Shakespeare, Corneille) et les acteurs de son époque (notamment
La Clairon, comédienne qui imposa une diction plus naturelle et plus
simple, et intéressant pour cela Diderot qui s’attachait à une
vraisemblance historique au théâtre), son texte est loin d’être
anecdotique. Diderot utilise son expérience de spectateur, de philosophe
et de dramaturge pour dégager une réflexion générale sur le spectacle.
Le texte de Diderot est disponible chez Gallimard. On pourra
aussi consulter les autres textes théoriques de Diderot dans Diderot et le
théâtre, en deux tomes, chez Pocket.
■ Où est le paradoxe ?
Qu’est-ce en fait qui est « paradoxal » selon Diderot ? Diderot
définit « le paradoxe » dans l’Encyclopédie comme « une proposition
absurde en apparence, en ce qu’elle est contraire aux opinions reçues et
qui néanmoins est vraie au fond, ou du moins peut recevoir un air de
vérité ». Le « paradoxe sur le comédien » contredit en effet l’expérience
commune du spectateur qui croit que le comédien est dans la peau du
personnage qu’il interprète, et que pour « bien jouer », il doit ressentir les
émotions qu’il traduit pour le spectateur. Or selon Diderot, le comédien
doit être insensible pour maîtriser parfaitement l’émotion qu’il cherche à
transmettre au public.
Pour bien comprendre le paradoxe, il faut définir plus précisément
ce que Diderot nomme la « sensibilité » : « la sensibilité est cette
disposition compagne de la faiblesse des organes, suite de la mobilité du
diaphragme, de la vivacité de l’imagination, de la fragilité des nerfs, qui
incline à compatir, à frissonner, à admirer, à craindre, à se troubler, à
pleurer, à s’évanouir, à fuir, à crier, à perdre la raison, à exagérer, à
n’avoir aucune idée précise du vrai et du beau, à être injuste, à être
fou ». La sensibilité est donc le contraire de la possession de son esprit,
de la maîtrise rationnelle : c’est une attitude passive. L’individu sensible
se laisse aller aux données de ses sens, et ne peut ni tenir un discours sur
ce qu’il ressent, ni réfléchir sur l’objet de sa sensibilité. Si le comédien
ressentait vraiment ce qu’il ne fait qu’interpréter, comme lorsque nous
sommes malheureux, il se laisserait submerger par les larmes, aurait des
difficultés à s’exprimer. Au théâtre, il serait inaudible et le public le
huerait.
Du coup, le paradoxe sur le comédien doit être compris comme le
paradoxe du spectateur, qui se laisse prendre au piège de l’illusion
théâtrale, et croit que le comédien adhère au personnage qu’il n’est
pourtant pas, mais qu’il ne fait que jouer. Diderot fut parfois méprisé de
la gente théâtrale parce qu’il démythifiait le spectacle, en mettant les
spectateurs à l’école pour leur apprendre à dépasser les apparences. Le
comédien, lui, ne doit en principe pas souffrir du paradoxe, et doit
toujours faire la part des choses entre sa vie réelle et celle qu’il
s’approprie le temps d’un spectacle. Il faut donc radier de nos esprits le
contre-sens, largement véhiculé par la télévision ou le cinéma, qui fait
que le spectateur confond l’image du comédien avec son rôle et identifie
ainsi un individu à son image.
Le « paradoxe sur le comédien » se formule de plusieurs manières,
dont il faudra retenir la principale : « c’est l’extrême sensibilité qui fait
les acteurs médiocres ; c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude
des mauvais acteurs ; et ce qui prépare les acteurs sublimes, c’est le
manque absolu de sensibilité ».
■ Résumé de la pièce
Monsieur Denis, un professeur de la Sorbonne un peu coinçé,
vient présenter une conférence sur Le Misanthrope de Molière, Alceste. Il
est interrompu par un comédien en costume, qui a bien l’intention de
convaincre le public que c’est lui, Alceste, et que le théâtre peut se passer
de conférences ! La tentative de prise de possession du plateau débouche
bien vite sur un conflit plus théorique : le comédien a-t-il raison de
s’identifier à un personnage ? Le praticien du théâtre, adepte de MounetSully et s’exprimant de préférence par citations, va devoir analyser ses
motivations d’être comédien. Albert Renard devient le sujet
d’observation du conférencier . Monsieur Denis va s’efforcer de prendre
à défaut l’entêté, en lui suggérant les contradictions d’une identification
au personnage qu’il joue : il est bien forcé par exemple, de reconnaître
qu’à la différence d’Alceste, il ne pourrait se passer du public.
La pièce bascule une seconde fois lorsque le comédien est à son
tour intrigué par le conférencier : sa démystification du théâtre ne cachet-elle pas une passion qui dépasse toute raison ? Le comédien va alors
s’amuser à obliger le conférencier à s’exprimer en son nom propre, et non
plus en fonction de théories. Peu à peu, le conférencier se prend au jeu, et
se met lui-même à jouer Alceste, d’une manière totalement mécanique et
ridicule, caricature de ce qu’il appelait un comédien maître de lui, tandis
que le comédien, de son côté, expérimente le jeu détaché. Emu d’avoir à
dire le texte du Misanthrope, Monsieur Denis finit pas s’identifier à son
tour au personnage, et devient totalement inaudible : il vient de
démontrer au public, et cette fois à son insu, l’écueil d’un jeu mécanique
et celui d’un jeu sensible. Le sérieux du comédien, à l’inverse, le rend
tout à fait crédible dans son rôle de Philinte : le spectateur entrevoit ce
que peut être le théâtre. Si la pièce se clôt sur une question : « qui de nous
deux a raison ? », ça n’est pas pour mettre en doute la thèse de Diderot à
laquelle Jean-Marc Chotteau adhère, mais pour ouvrir le débat sur ce qui
vient d’être vu.
■ Originalité de l’adaptation
En quoi consiste l’adaptation de Jean-Marc Chotteau ? La
comédie du paradoxe est une transposition à plusieurs titres. D’abord,
Jean-Marc Chotteau y met en scène Diderot lui-même, représenté par
Monsieur Denis. Les phrases du conférencier sont en effet le plus souvent
des citations directes du Paradoxe sur le comédien de Diderot. Mais ce
n’est pas tout : Diderot est confronté a un réel interlocuteur, un comédien
aussi fou que touchant, et qui croit être Alceste. A l’origine, dans le texte
de Diderot, l’un des deux interlocuteurs -celui qui écoute la thèse de
Diderot- n’a qu’une fonction de faire-valoir dans le discours : il ne
produit pas une réelle polémique avec Diderot, et le paradoxe n’est
énoncé que par le philosophe d’une manière somme toute didactique.
Dans La comédie du paradoxe, le paradoxe n’est pas seulement
formulé par une partie, il est montré à travers le conflit réel entre un
théoricien et un praticien du théâtre. En imaginant un véritable dialogue
entre un personnage qui défend la thèse de Diderot (Monsieur Denis), et
un comédien qui dit éprouver totalement les sentiments du personnage
qu’il joue au point de croire « être son personnage » (Albert Renard),
Jean-Marc Chotteau a produit une véritable situation dramatique. A la
manière de ses autres adaptations telles Le jour où Descartes s’est
enrhumé, L’éloge de la folie d’après Erasme ou Petites Misères de la vie
conjugale d’après Balzac, La comédie du paradoxe permet de mettre en
situation la pensée d’un auteur, l’offrant ainsi à la critique comme à
l’explication . En effet, l’intrigue se passe aujourd’hui, dans le cadre d’un
« happening », c’est-à-dire d’un spectacle qui semble improvisé. Par
exemple, les anecdotes de Diderot sur les comédiens de son temps ont été
pour la plupart supprimées dans l’adaptation de Jean-Marc Chotteau. Le
caractère expérimental et pratique de la théorie de Diderot apparaît
néanmoins cependant toujours, par la présence du personnage d’Albert
Renard, qui cite de nombreux metteurs en scène ou comédiens plus
contemporains.
La comédie du Paradoxe devient une vraie leçon de théâtre à elle
seule, puisque son « intrigue » se forme autour de l’exercice de la
comédie : chaque personnage joue plusieurs fois, et dans une gamme
variée, certains passages du Misanthrope de Molière. C’est donc
l’occasion de donner à voir des tonalités de jeu différentes, et par
conséquent, d’illustrer la thèse selon laquelle devenir comédien exige un
véritable travail, tout en rendant hommage à la souplesse des comédiens
qui se prêtent à ces différents jeux.
■ Petite clef sur la mise en scène
Le public devra être attentif aux subtilités du jeu des comédiens.
Ce spectacle de « petite forme » peut être utilisé comme un outil
pédagogique, et pour bien entrer dans le propos, il faut comprendre La
comédie du Paradoxe comme une pièce de théâtre sur le théâtre. L’ironie
est que cette pièce prétend montrer les « coulisses » du théâtre tout en
utilisant les moyens du théâtre : il y a donc un danger d’être à nouveau
fasciné par les personnages. Bien au contraire, le public devra s’efforcer
de ne jamais oublier qu’il est au spectacle. Pour ce faire, il peut réfléchir
sur les moments de théâtralité ajoutés au texte de Diderot.
Par exemple, lorsque Monsieur Denis se met à jouer Alceste
d’une manière mécanique, le propos n’est pas de dire que Diderot a tort
puisqu’il joue mal, mais de donner à voir d’une manière grossière la
possibilité de calculer ses gestes. Denis est ridicule parce que ces gestes
sont de trop, ils sont mal pensés, comme en témoignent ses grossières
erreurs (Monsieur Denis place son cœur à droite, il s’éventre au lieu de se
pendre). Mais l’intérêt de ce passage était de montrer qu’un geste
induisait une réflexion et une tentative de maîtrise.
La comédie du paradoxe utilise différents procédés pour attirer
l’attention du spectateur sur la part réfléchie et répétée, organisée, du
théâtre. Il y a donc deux niveaux dans la pièce : celui des deux
personnages, et de leur conflit, et celui du metteur en scène, qui tente de
se mettre à nu tout au long de la pièce. Le spectateur ne se laisse pas
piéger par le happening : il comprend bien que tout a été prévu à
l’avance, et va tenter de retrouver le point de vue du metteur en scène sur
le spectacle.
■ Le débat du XVIIIème siècle
Le XIIIème siècle était animé d’un débat sur la place du théâtre
dans la société. Il n’était pas évident à l’époque que le théâtre soit un
service public. Bien au contraire, comme en témoigne le texte de
Rousseau sur les spectacles, les comédiens n’étaient pas loin d’être jetés
au bûcher et le théâtre jugé comme un corrupteur de mœurs plutôt que
comme un éducateur. Le statut social du comédien est évoqué dans La
comédie du Paradoxe, parfois même d’une manière militante dans la
bouche du comédien. Pour mettre en évidence le débat, nous avons placé
face à face deux textes significatifs qui s’opposent sur la question de la
place à donner aux comédiens dans l’Etat. Où l’on voit que la
compréhension du théâtre comme un « service public » (l’expression et
de Jean Vilar) n’allait pas de soi, et où l’on pourra se questionner sur le
rapport du théâtre au politique.
D’Alembert
Article « Genève » (1757)
Dans cet article, D’Alembert argumente pour l’établissement d’une
comédie institutionnalisée à Genève.
Rousseau
Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758)
Rousseau lui répond qu’on ne saurait donner une telle importance aux
spectacles qui amollissent les mœurs.
Le débat sur le fond et la forme
Il est intéressant de comparer le rationalisme de Diderot avec son
opposé le plus radical dans l’histoire du théâtre, à savoir l’acteur, écrivain
et metteur en scène Antonin Artaud (1896- 1948). Ce dernier, devenu
fou à la fin de sa vie, s’est dans son théâtre fait le contestataire de la
« tradition théâtrale occidentale » qu’il juge prisonnière de la raison, de la
psychologie, du divertissement ou des simagrées de l’art pour l’art.
A l’inverse, le théâtre de la cruauté consistait à faire ressentir un
maximum de choses au spectateur, en lui montrant une réalité brute. Le
spectateur doit sortir de la représentation absolument bouleversé par un
tel réalisme. Le spectateur, on l’aura compris, est complètement absorbé
par l’opération magique et souvent dérangeante, sanglante à laquelle il
aura assisté. Bien au contraire, Diderot démystifie le théâtre. Son
réalisme exige une certaine forme de transposition, sans laquelle on ne
pourrait parler ni de fiction ni de réflexion.
Le texte de Diderot nous permet de déterminer un bon usage des
« formes » en théâtre : selon lui, elles doivent être mise au service d’un
sens attribué à la représentation théâtrale par le poète ou le metteur en
scène. Autrement dit, le théâtre ne doit pas se contenter de la recherche
de pures formes, mais faire en sorte que ces dernières soient intelligibles.
Artaud
Le théâtre et son double (1938)
Dans ce texte, Artaud fait l’éloge d’une autre forme de langage que le
langage dialogué et rationnel.
Diderot, Brecht et la notion de « mise en scène »
Le Paradoxe sur le comédien appelle à bien des titres ce que
Brecht baptisera l’effet de « distanciation » (Verfremdung), qui a eu une
si grande influence dans la réflexion poursuivie sur la mise en scène. La
distanciation témoigne en effet de tout le travail de recul mis en œuvre
par le metteur en scène et les comédiens pour créer une fiction, travail
dont le spectateur doit prendre conscience. Pour ce faire, Brecht a mis en
place de nombreux procédés (en montrant les coulisses, en posant des
affichettes etc.) pour que le spectateur n’oublie pas qu’il est au spectacle.
Brecht
Petit organon pour le théâtre (1963)
Brecht parle ici de la dualité du comédien, et en déduit le caractère
nécessairement engagé du théâtre.
Questions de métier
Les élèves pourront poser des questions aux comédiens, qui se
feront une joie de parler de leur parcours, de l’enseignement qu’ils ont
reçu, de la façon dont ils vivent les représentations, du trac etc. mais aussi
sur la mise en scène, les conditions concrètes d’organisation du spectacle
etc. Nous avons regroupé ici quelques questions auxquelles les élèves
seront susceptibles de répondre après le débat.
-
quelles sont les deux conceptions du théâtre qui s’affrontent dans la
pièce ?
est-ce que la pratique peut se dispenser de la théorie et inversement ?
quelle attitude un comédien doit-il avoir par rapport au personnage
qu’il interprète ?
peut-il y avoir plusieurs façons d’interpréter un rôle ?
la mémoire est-elle l’essentiel pour bien jouer la comédie ?
quel est le rôle du metteur en scène ?
n’y a-t-il que le ton du comédien qui donne le sens d’un texte ?
comment le spectateur participe-t-il à la représentation ?
y a-t-il un rapport entre le théâtre et les mœurs ?
quelle est la place du théâtre dans la société ?
quelle est la nature de l’engagement d’un comédien dans la société ?
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