Les fluoroquinolones: la situation actuelle

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Les fluoroquinolones: La situation actuelle
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Les fluoroquinolones (FQ) sont des molécules à activité antibactérienne d’origine synthétique. Au sens
strict du terme, ce sont des antiseptiques et non des antibiotiques. Bien des progrès ont été réalisés
depuis la synthèse de l’acide nalidixique en 1967. L’adjonction d’un atome de fluor et la substitution
du groupe méthyl en position 7 par un radical pipérazinyl ont conduit au développement de la première
fluoroquinolone à large spectre, la norfloxacine (1980). Ensuite, des modifications apportées aux
radicaux en positions N-1 et C-7 ont modifié les propriétés des molécules, donnant lieu à une diversité
de principes actifs et de préparations commerciales. L’introduction dans le domaine thérapeutique date
de 1985 en médecine humaine et de 1982 en médecine vétérinaire avec la fluméquine.
A l’époque de leur introduction, les propriétés des FQ étaient particulièrement innovantes, parmi
lesquelles un spectre d’activité antibactérienne très large et des paramètres pharmacocinétiques
avantageux, en particulier sur le plan de la diffusion tissulaire, et une toxicité relativement faible. Après
un bref rappel de leurs propriétés, cette note tente de donner des éléments de réflexion permettant
d’apporter une réponse aux critères d’utilisation des FQ.
Aspects bactériologiques/
Les FQ sont des antibiotiques bactéricides possédant un spectre d’action plus étendu que celui des
quinolones, qui sont actives seulement contre quelques bactéries Gram négatives.
L’élargissement du spectre des FQ permet une activité contre d’autres bactéries Gram négatives
naturellement résistantes aux quinolones, telles que Pseudomonas aeruginosa, ainsi que contre des
bactéries Gram positives, des mycoplasmes et/ou des bactéries intracellulaires obligées, selon le
principe actif. Les FQ les plus récentes montrent aussi une excellente activité contre diverses bactéries
Gram positives et Gram négatives anaérobies strictes.
Cette excellente activité va malheureusement de pair avec la sélection relativement aisée de souches
mutantes résistantes à l’action des FQ. Les FQ inhibent le métabolisme de l’ADN bactérien en agissant
sur des enzymes (topoïsomérases) qui assurent la stabilité de la double hélice au cours de la réplication
et de la transcription. Chez les bactéries Gram négatives, comme E. coli, l’inhibition résulte de la
liaison directe des quinolones sur le complexe formé par la topoïsomérase de type II (ou gyrase) et
l’ADN. Chez les bactéries Gram positives, les FQ se lient plutôt à la topoïsomérase de type IV.
Quelle que soit la cible des FQ, toute bactérie peut devenir résistante par mutations dans les gènes qui
codent pour les différentes enzymes cibles. Par exemple, une seule mutation ponctuelle dans l’un des
deux gènes chromosomiques codant pour l’ADN gyrase suffit à la rendre résistante à des doses élevées
de FQ. Des résistances à des concentrations de plus en plus élevées de FQ peuvent aussi apparaître par
accumulation de mutations dans les mêmes gènes.
Deux autres mécanismes, non spécifiques, de résistance ont également été identifiés. Le premier repose
sur un mécanisme d’efflux des FQ hors de la cellule bactérienne et le second, sur une diminution de la
perméabilité de la membrane externe des bactéries Gram négatives. Ces deux mécanismes permettent
une augmentation de la concentration minimale inhibitrice (CMI) par un facteur compris entre 2 et 8,
tandis que l'altération du site de liaison à l'ADN gyrase confère un niveau de résistance beaucoup plus
élevé.
Les résistances aux FQ sont généralement croisées. De plus, les mécanismes d'efflux et de diminution
de perméabilité peuvent également conférer une résistance à d'autres agents antimicrobiens, telles les
céphalosporines et les tétracyclines.
A ce jour, des transferts de résistance aux FQ par l’intervention de vecteurs tels des plasmides, des
transposons ou des transposons conjugatifs n’ont pas été mis en évidence.
Aspects pharmacocinétiques//
Les FQ administrées par voie orale sont rapidement absorbées chez les monogastriques, alors qu’elles
sont inactivées au niveau du rumen chez les ruminants. La concentration sérique maximale est atteinte
endéans les deux heures, selon la molécule et l’espèce animale. L’ingestion de nourriture retarde
l’apparition du pic sérique, sans influencer la biodisponibilité totale, à moins que les aliments ne soient
riches en magnésium et en aluminium, deux ions capables de diminuer l’absorption orale. L’usage
concomitant de préparations orales contenant du Mg ou de l’Al et des FQ n’est donc pas conseillé.
Selon la FQ et l’espèce animale incriminée, la biodisponibilité varie de 30 à 90 %. L’absorption à partir
des sites d’injection est également rapide.
Les FQ ont un grand volume de distribution et se lient peu aux protéines plasmatiques (<50 %). Les
concentrations atteintes au niveau du liquide interstitiel, des os et de la peau représentent 35 à 100% de
la concentration plasmatique. Au niveau du liquide céphalo-rachidien ce pourcentage est de 25%,
tandis qu’au niveau des secrétions bronchiques et de la prostate, ils sont compris entre 200 à 300%. Des
concentrations importantes sont aussi atteintes dans les organes d’excrétion comme le foie, les intestins
et le tractus urinaire. La posologie doit être diminuée chez les insuffisants rénaux. La clairance
hépatique d'autres médicaments métabolisés par le foie (théophylline) peut être réduite par
l'administration des quinolones.
Les FQ sont partiellement métabolisées dans le foie, donnant lieu à de nombreux métabolites excrétés,
éventuellement sous forme active, dans la bile et l’urine. A titre d’exemple, le métabolite majeur de
l’enrofloxacine est la ciprofloxacine. Le temps de demi-vie d’élimination (t1/2β) varie en fonction du
type de FQ, de l’espèce animale et de la dose, mais leurs longues demi-vies permettent des
administrations toutes les 12 à 24 heures.
Les FQ sont des antibiotiques concentration-dépendants, ce qui signifie que l’effet antibactérien est
davantage influencé par le rapport entre la concentration initiale atteinte à hauteur du site infectieux et
la CMI, que par le temps de contact entre la bactérie et la molécule. En fonction de cette propriété, une
approche innovante basée sur la comparaison des profils pharmacocinétiques des FQ et des niveaux de
sensibilité des germes ciblés, a abouti à la proposition de schémas posologiques spécifiques. Les doses
initiales administrées ont été augmentées et la durée des thérapies a été réduite, ce qui représente un
avantage sur le plan pratique et, éventuellement, dans la gestion de l’émergence des résistances. In
vivo, les FQ montrent, en plus, un effet post-antibiotique (PAE) sur certaines bactéries, ce qui explique
que l’effet anti-bactérien se poursuit même après chute de la concentration en FQ sous la CMI.
Le nouveau concept ainsi mis en application est fondamentalement différent de celui des préparations
“longue-action” basé sur le maintien de concentrations sériques en antibiotiques le plus longtemps
possible après une injection unique. Cette approche est valable pour les antibiotiques dont le temps de
contact est le facteur-clé de leur efficacité, comme les tétracyclines.
Toxicité/
Les FQ sont peu toxiques. Leur principal effet indésirable est l'érosion des cartilages chez les chiens en
croissance. Pour cette raison, l'administration de FQ chez les chiens de moins de 12-18 mois selon les
races, est déconseillée. Chez le cheval, des altérations cartilagineuses ont aussi été décrites chez les
jeunes sujets suite à l’administration de certaines FQ. Aux doses thérapeutiques, les autres effets
indésirables sont peu importants et limités au tractus gastro-intestinal (nausée, vomissement, diarrhée).
En médecine humaine, ont aussi été décrits de la photosensibilisation, de la neurotoxicité et de la
toxicité rénale, dues généralement aux dérivés plus liposolubles ou à des doses élevées.
Quand les utiliser ?/
Les spécialités enregistrées en Belgique pour l’usage vétérinaire sont : la fluméquine, l’enrofloxacine,
la marbofloxacine, la danofloxacine, la difloxacine, l’ibafloxacine et l’orbifloxacine. Elles sont
administrées par voie orale chez les monogastriques et préruminants, par voie parentérale chez les
ruminants (IV, IM, SC) et les poussins d’un jour (SC).
Comme les quinolones, les FQ sont très efficaces dans le traitement d’infections du tractus urinaire. De
plus, elles sont particulièrement indiquées pour lutter contre les infections sévères, telles que des
septicémies et des pneumonies induites par des bactéries gram négatives sensibles. Les FQ comptent
parmi les agents antimicrobiens les plus efficaces pour traiter les prostatites bactériennes. L’efficacité
est également mise à profit pour contrôler les infections de la peau et des tissus mous par des bactéries
Gram négatives et certaines Gram positives, ainsi que les infections intra-abdominales. Grâce à leur
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capacité à pénétrer dans les phagocytes, elles possèdent aussi le potentiel pour être efficaces lors
d’infections à bactéries intracellulaires obligées ou facultatives.
Ajoutons que des synergies avec les bêta-lactames et les aminoglycosides ont été décrites.
Quand ne pas les utiliser ?/
Malgré toutes les qualités relevées ci-dessus, les quinolones sont et doivent rester des antimicrobiens de
deuxième ligne. Un usage non contrôlé conduira inévitablement à une augmentation de la fréquence
des souches bactériennes résistantes et fera peser un risque de plus en plus important d’inefficacité de
leur utilisation en médecine vétérinaire. En dehors de cas d’extrême urgence, la décision conduisant à
leur utilisation doit s'appuyer sur les résultats d'une culture bactérienne et d'un antibiogramme, sur base
des recommandations d'un vétérinaire et jamais chez des animaux sains pour la prévention d'infections.
La règle d’une délivrance sur prescription médicale par un médecin vétérinaire est plus que jamais à
respecter.
L’administation, particulièrement par voie orale, des FQ chez les animaux de rente pose de manière
aiguë le problème de l’émergence des résistances dans la flore bactérienne digestive. Des souches
résistantes peuvent en effet apparaître facilement dans l’ensemble des populations bactériennes
résidentes des animaux, dont diverses espèces représentent des pathogènes opportunistes chez
l’homme. Lors de transmission à l’homme de l’une de ces bactéries devenue résistante et du
développement d’une pathologie suite à l’apparition de circonstances adjuvantes (immuno-dépression,
chirurgie, maladie grave non infectieuse, …), le recours aux FQ sera totalement inefficace. Les
schémas posologiques récents basés sur l’utilisation systémique de fortes doses d’antibiotiques pendant
un temps relativement court contribuent probablement à limiter l’émergence de telles bactéries
résistantes, s’ils sont correctement appliqués.
Conclusions/
Au moment de leur mise sur le marché, chacun a pu croire que les FQ représentent LE CHOIX
d’antibiotique qui permettra de faire des MIRACLES thérapeutiques, comparables à ceux de la
pénicilline G durant les premières années de son utilisation.
Leur utilisation doit cependant, comme celle de tout antibiotique, suivre des règles appropriées, afin de
limiter l’émergence de souches résistantes à moyen terme, tout en assurant un succès thérapeutique à
court terme :
i) frapper fort : les FQ sont des antibiotiques dont l’effet maximum dépend de la concentration
obtenue lors du traitement, plus que du temps de contact de la bactérie avec l’antibiotique ;
ii) frapper assez longtemps : bien que cette notion doive être revue en fonction des propriétés
pharmacodynamiques concentration-dépendantes des FQ, il convient de respecter les posologies
recommandées par les laboratoires pharmaceutiques ;
iii) frapper juste : l’utilisation des FQ doit en effet reposer sur des résultats de laboratoire démontrant
non seulement leur efficacité sur le pathogène isolé responsable des problèmes cliniques, mais aussi les
résistances de ce pathogène aux autres antibiotiques utilisables. Les FQ représentent dès lors des
antibiotiques de deuxième, jamais de première intention, à utiliser dans un but thérapeutique, jamais
prophylactique.
C’est en fonction de l’attitude responsable des praticiens que l’usage des FQ continuera à être autorisé
à la profession vétérinaire.
Références:
- PRESCOTT J.F., BAGGOT J.D. Antimicrobial Therapy in Veterinary Medicine. Blackwell Scientific Publications, 1993.
- WIUFF C., LYKKESFELDT J., SVENDSEN O., AARESTRUP F. M. the effects of oral and intramuscular administration and
dose escalation of enrofloxacine on the selection of quinolone resistance among Salmonella and coliforms in pigs. Research in
Veterinary Science, 75 (2003), 185-193
- PLUMB D. C. Veterinary Drug Handbook, 4th edition. Blackwell Publishing Company, 2002.
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