1 UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE (PARIS IV) ÉCOLE DOCTORALE II HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) Discipline : Histoire préparée sous la direction du professeur Jacques-Olivier BOUDON présentée et soutenue publiquement le 29 novembre 2007 par M. Stéphane DESROUSSEAUX LA MONNAIE EN CIRCULATION À L’ÉPOQUE NAPOLÉONIENNE (ÉTUDE NUMISMATIQUE) ____________________ POSITION DE THÈSE Jury M. Jacques-Olivier BOUDON, professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) M. François de CALLATAY, directeur d’études à l’E.P.H.E. M. François MONNIER, directeur d’études à l’E.P.H.E. M. Jean TULARD, professeur émérite à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) 2 À son avènement en 1799, Bonaparte est à la tête d’un pays qui connaît de grandes difficultés : l’enseignement et les finances sont sinistrés, les forêts sont pillées et le brigandage s’est accru. D’un point de vue monétaire, la France sort meurtrie de l’épisode révolutionnaire marqué par une phase de thésaurisation des monnaies en métal précieux alors en circulation, puis, par une période d’inflation consécutive à une émission de plus en plus importante d’assignats gagés sur les Biens nationaux, et, par une période de brutale déflation caractérisée par une absence de signes monétaires. Pour rétablir l’autorité de l’État, Bonaparte entreprend des réformes importantes qu’il nomme lui-même « masses de granit » du fait de l’extrême dureté et longévité de cette roche. Cela passe dans un premier temps par une réforme fiscale pour mettre fin à l’anarchie monétaire de la Révolution et rétablir les finances de l’État et la confiance que ce dernier suscite. Grâce à Gaudin, ministre des Finances, Bonaparte dispose, dès l’an IX, d’un budget apparemment équilibré qui lui permet de payer régulièrement les rentiers qui ont beaucoup perdu. Les pillages des armées victorieuses de la République menées par Bonaparte contribuent par ailleurs à la reconstitution de la circulation métallique en alimentant les réserves du territoire en or et en argent aux dépens des pays voisins (Italie, Belgique, Pays-Bas) puisque les métaux précieux pris sont destinés à la frappe du numéraire, évitant ainsi toute refonte dans les ateliers monétaires dont les plus importants, après Paris et Lyon, sont ceux qui reçoivent les piastres espagnoles par voie de terre ou de mer (Bayonne, Perpignan, Marseille). En janvier 1800, la Banque de France est créée. C’est une banque privée avec le soutien du gouvernement. Elle assure aux finances de l’État des avances en attente de la rentrée des impôts ce qui renforce le crédit de celui-ci. Mais, s’il faut rétablir l’autorité de l’État et la confiance pour faire sortir le numéraire enfoui sous la Révolution, le signe le plus probant de tout rétablissement est la création d’une monnaie en France. C’est ce qui va être réalisé, quelques jours seulement après la visite de Bonaparte à la Monnaie de Paris, le 21 ventôse an XI (12 mars 1803), par la loi dite de « Germinal » (7-17 Germinal an XI / 28 mars – 7 avril 1803), constituée de 22 articles, qui dispose que « cinq grammes d'argent, au titre de 9/10 de fin, constituent l’unité monétaire, qui conserve le nom de Franc », choisi en avril 1795 pour remplacer celui de « livre » et confirmé par la loi du 28 thermidor an III (15 août 1795). La loi prévoit en outre la fabrication de deux pièces d’or (20 et 40 francs), de six d’argent (¼, ½, ¾, 1, 2 et 5 francs) et de trois de cuivre (2, 3 et 5 centimes) qui, comme celle de ¾ de franc, ne sont finalement pas émises. Ces nouvelles monnaies, œuvres de Tiolier, nommé Graveur général le 1er avril 1803, sont basées sur le système métrique décimal établi depuis le 1er août 1793. Les articles suivants règlent les modalités de fabrication, de taille, de titre et de poids ainsi que des tolérances qui y sont attachées. Napoléon et son désir d’uniformisation de la monnaie Le seul moyen de remettre de l’ordre dans le système monétaire et de restaurer ainsi la confiance dans la monnaie est de procéder, dans un souci d’uniformisation, au retrait de la circulation des monnaies de l’Ancien Régime et de la Révolution française frappées selon le système duodécimal. Pour Napoléon, c’est une « nécessité de parvenir à une uniformité générale de la monnaie, dans tous les départements de l’Empire, en y rendant général et exclusif, l’usage de la nouvelle monnaie impériale de France »1. À son avènement, il circule en effet une quantité importante de monnaies diverses, reflétant un aspect anarchique : monnaies d’or, d’argent et de cuivre frappées à l’effigie de Louis XV (depuis l’édit de mai 1 Archives Nationales AF IV 1864, pièce n° 35 : extrait d’une lettre du ministre du Trésor public, Mollien, adressée à Gaudin (23 novembre 1809). 3 1719 pour les monnaies de cuivre, et, celui de janvier 1726 pour les monnaies d’or et d’argent) et de Louis XVI, monnaies révolutionnaires frappées selon le système duodécimal (monnaies constitutionnelles et conventionnelles en or, en argent, en cuivre et en métal de cloche) et selon le système décimal (pièces de 5 francs « Union et Force » en argent et pièces en cuivre avec pour effigie Marianne), diverses monnaies de billon remontant, pour les plus anciennes, au règne de Louis XIV. Durant les quinze années du Consulat et de l’Empire, Napoléon va donc s’efforcer de résoudre successivement les problèmes causés par la circulation de ces monnaies duodécimales. Plusieurs décrets visent, dès le Consulat, à les retirer progressivement de la circulation (les plus importants restent ceux du 18 août et du 12 septembre 1810 qui les tarifient en francs). La circulation des monnaies de cuivre et de billon, la circulation, pourtant interdite, des monnaies étrangères et la lutte contre la fausse monnaie sont également au cœur de sa politique monétaire. L’un des objectifs de cette première partie est de rechercher comment on est passé d’un système duodécimal ancré dans les habitudes populaires au système décimal né de la volonté d’une poignée d’hommes « éclairés » et comment le peuple, analphabète en majorité, a vécu à la fois le retrait des anciennes monnaies et la mise en circulation de nouvelles et la double circulation de deux systèmes monétaires différents. Une attention particulière et indispensable est donc portée à l’accueil réservé aux nouvelles monnaies pour tenter de dégager les régions qui leur sont favorables et celles qui restent fidèles à la livre tournois. Les troubles monétaires, les émeutes, les difficultés de changement d’habitude et celles que font la Banque de France et le Trésor public pour les échanger sont largement exposés. Pour éclairer davantage cette étude géographique, il convient de s’intéresser également à la fausse monnaie pour voir si les régions où l’on met en circulation de fausses monnaies en francs sont favorables à la nouvelle monnaie ou si elles restent fidèles à l’ancienne. La monnaie, instrument de propagande et de conditionnement des esprits Jouissant d’une très grande popularité grâce à ses victoires militaires et aux signatures de la paix de Lunéville avec l’Autriche le 20 pluviôse an IX (9 février 1801) et du Traité d’Amiens avec l’Angleterre le 4 germinal an X (25 mars 1802, contresigné deux jours plus tard), Bonaparte peut tout oser. Consul à vie et seul chef du gouvernement depuis le 2 août 1802, c’est à lui de déterminer, à présent, le poids, le titre et le type des monnaies. L’article 16 de la loi du 7 germinal an XI, en déterminant la typologie des espèces, traduit ainsi une évolution monarchique du Consulat. L’effigie de Bonaparte figure désormais à l’avers des monnaies, ce qu’aucun chef révolutionnaire, comme Robespierre, n’avait osé faire. Le régime prend progressivement une tournure policière et correspond à une ère d’étroit contrôle des esprits. La police, réorganisée par Fouché sous le Consulat, puis confiée à Savary à partir de 1810, surveille tout et tout le monde, en particulier la presse, victime de censure. Un grand nombre de journaux se trouve ainsi supprimé et une presse de propagande et de conditionnement des esprits s’impose petit à petit au travers notamment des articles publiés dans Le Moniteur, devenu journal officiel depuis le 27 décembre 1799. Dans le même esprit, la propagande trouve un écho dans les arts et les lettres, qui ne sont considérés que comme des moyens de célébrer la gloire napoléonienne, et dans un catéchisme impérial rédigé sur ordre de Napoléon. Ainsi, dès l’enfance, les Français apprennent la soumission à leur empereur, le devoir d’attachement à sa personne et à sa dynastie, et le culte des victoires napoléoniennes relatées dans les bulletins de la Grande Armée. La monnaie est certes un moyen de paiement – l’utilité de la monnaie consiste dans la propriété qu’elle a de multiplier et de faciliter les échanges – mais elle est également un signe fondamental de la manifestation du pouvoir régalien et un moyen de s’identifier à celui-ci. La 4 monnaie n’échappe donc pas à ce phénomène de propagande et de conditionnement des esprits. Napoléon y attache en effet une grande importance et demande à Fouché puis à Savary de lui faire presque quotidiennement un état des lieux de la circulation monétaire. La représentation du pouvoir sur les monnaies va être au cœur de ses préoccupations puisque, pour lui, la monnaie, dont la typologie évolue au gré des événements historiques, doit être au service de son régime et permettre à celui qui voit son portrait sur une monnaie de le reconnaître, de l’aduler et de s’identifier au pouvoir. Souhaitant que ses monnaies soient d’une qualité irréprochable, il s’inspire des souverains de l’Ancien Régime dont l’évolution des effigies reflétait celle du régime selon le contexte historique. Il existe donc une relation entre les emblèmes et les légendes des monnaies et les événements historiques contemporains qui permet de refléter parfaitement l’évolution du régime napoléonien. L’étude des différentes monnaies en circulation permet de rechercher comment se sont traduits les grandes décisions politiques et les changements de régime et éclaire sur les préoccupations du pouvoir notamment en 1814-1815 lorsque se succèdent Napoléon et Louis XVIII au pouvoir. La seconde partie a pour objectif de montrer comment les monnaies sont utilisées par Napoléon comme des instruments de propagande et de conditionnement des esprits. Après un rappel du contexte historique qui justifie directement ou indirectement une modification du type monétaire, une typologie des monnaies en circulation sous le Consulat et l’Empire est dressée sur le modèle suivant : lois de mise en circulation et de retrait, description, analyse des légendes des deux faces, analyse du portrait, informations numismatiques (module, poids, titre, nom du graveur, taille, valeurs réelle et intrinsèque, ateliers de fabrication, total de frappes). Une part importante est consacrée aux représentations iconographiques des monnaies puisque chaque monnaie est reproduite en couleur et à sa taille réelle. Le système monétaire français dans l’Europe napoléonienne Avec la conquête d’une bonne partie de l’Europe depuis la victoire d’Austerlitz en 1805, Napoléon, qui accède la même année au trône du royaume d’Italie, peut afficher ses prétentions et transformer progressivement son empire sur le modèle de l’empire romain ou de l’empire de Charlemagne à qui il s’identifie régulièrement dans sa correspondance. La France dépasse rapidement ses frontières naturelles et des Allemands, des Hollandais, des Italiens deviennent les sujets de Napoléon. Ce dernier est désormais à la tête d’un grand empire qui, en 1810, réunit la France des cent trente départements, la confédération du Rhin, les royaumes d’Italie, de Naples, de Hollande, de Westphalie, de Saxe, et, le Grand-Duché de Varsovie. Cet empire est la préfiguration d’une fédération européenne, nourrie des idées nées de la Révolution française et au sein de laquelle s’estomperaient nationalités et frontières. L’Empereur veut en outre donner à ces pays la même organisation administrative, sociale, économique qu’en France et les doter d’organismes communs : un code et une cour de cassation, une même monnaie, les mêmes mesures. La circulation monétaire dans ses territoires va donc devenir une des préoccupations de Napoléon qui veut en faire un élément d’unification. Au moment de l’adoption du franc germinal, un des auteurs de cette réforme, le représentant Crétet, déclare sans modestie : « Je puis vous le prédire : l’Europe sera forcée d’adopter ce système sublime puisé dans la nature ». Pour les mêmes raisons qu’en France, en particulier celles de faciliter les transactions et d’éviter les erreurs et les fraudes dues à la multitude des monnaies admises dans la circulation, l’uniformisation générale de la monnaie, dans tous les départements de l’Empire et en Europe, est vue par Napoléon comme une nécessité. Après la proclamation du Blocus continental décrété contre l’Angleterre en novembre 1806 et l’accession de ses frères et sœurs sur les trônes européens, à l’exception de 5 Lucien, Napoléon va tenter de généraliser, dans les pays annexés ou sous sa domination, le système monétaire français et de rendre le franc la seule monnaie usuelle dans toutes les transactions commerciales dans le but de contrôler les barrières douanières en Europe. C’est ainsi qu’il y a des monnaies frappées selon le système monétaire français, reposant sur le système décimal, dans les royaumes d’Italie (à l’effigie de Napoléon) et de Naples (à l’effigie de Murat), dans la principauté de Lucques et Piombino (des « franceschoni » à l’effigie de Élisa et de son époux), en Westphalie (des « franken » à l’effigie de Jérôme). Des essais sont réalisés pour le grand-duché de Bade, et, pour la principauté de Neuchâtel à l’effigie de Berthier (dès le début de l’année 1814). Des monnaies à l’effigie de Louis, roi de Hollande, et de Joseph, roi d’Espagne, sont émises mais elles ne sont pas calquées sur le système monétaire français même si des essais sur le modèle français existent pour le royaume de Hollande. Au règne de Napoléon se rattachent enfin les monnaies obsidionales de Barcelone (février 1808 jusque mai 1814), de Cattaro en Albanie et de Zara en Dalmatie (1813), de Strasbourg et d’Anvers (1814) qui ont été frappées selon le système monétaire français. Cette dernière partie montre comment Napoléon a essayé d’uniformiser la monnaie en Europe. Chaque chapitre comporte un rappel du contexte historique, la demande de Napoléon de s’aligner sur le système monétaire français, les lois et décrets propres à chaque pays et une typologie des monnaies émises avec leur reproduction en couleur et à leur taille réelle. Un chapitre traite exclusivement des frappes d’essais (Hollande, Bade et Neuchâtel) et des monnaies obsidionales (Barcelone, Cattaro, Zara, Anvers et Strasbourg). Comme pour la France, une attention particulière et indispensable est portée à l’accueil réservé aux nouvelles monnaies dans les pays européens pour tenter de dégager les régions qui leur sont favorables et celles qui restent fidèles à la monnaie nationale. Les troubles monétaires, les émeutes, les difficultés suscitées par le changement d’habitude et la domination française sont largement exposés. Ceci soulève, en toile de fond, le problème de l’acceptation de la monnaie par les peuples européens comme un gage de la domination française. La livre tournois est condamnée après huit siècles d’existence en raison de son appartenance à un système de mesures archaïques qui a le double tort de varier dans l’espace, d’une province à l’autre, de ville à ville, et d’ignorer la numération décimale qui facilite les calculs. S’inspirant de Jean-Jacques Rousseau, le législateur révolutionnaire souhaite mettre en place un système d’unités empruntées à la nature. Malgré sa volonté de balayer un vestige de l’Ancien Régime en lui substituant le franc, la livre tournois, se survivant à elle-même, va se prolonger dans le franc créé par la loi du 7 germinal an XI puisque la parité métallique du « franc germinal » est presque exactement la même que celle de la livre tournois (5 livres, 1 sou et 3 deniers pour 5 francs). Ainsi, le franc germinal est la livre tournois elle-même adaptée au système métrique. En revanche, la loi du 7 germinal an XI, dont le but est également d’assainir la circulation en faisant disparaître les anciennes monnaies de compte pour les remplacer par une monnaie solide, ne parvient pas à remettre de l’ordre puisqu’elle ne fait en réalité que tempérer ou organiser l’anarchie monétaire. Certes, le principe décimal est appliqué mais il reste encore plus théorique que pratique puisque les anciennes monnaies duodécimales circulent conjointement avec les nouvelles monnaies frappées selon le système décimal à l’effigie de Bonaparte puis de Napoléon, ce qui entretient la confusion. De plus, la refonte des espèces duodécimales et des espèces rognées s’opère très lentement et non sans quelques troubles parce que la législation de germinal perturbe les habitudes des Français, très attachés au système duodécimal, aux unités monétaires de l’Ancien Régime et au chiffre douze (divisible par deux, trois et quatre). C’est la raison pour laquelle, le franc germinal et les nouvelles monnaies ne sont pas accueillis dans une allégresse unanime… 6 Le monnayage napoléonien, qui offre quatre phases bien distinctes (An XI – An 12, An 12 – 1807, 1807-1814, 1814-1815), permet de suivre le cours des événements historiques et de refléter parfaitement l’évolution du régime au travers des modifications de l’effigie et des légendes. Dès l’an 12, la mention « Bonaparte Premier Consul » fait place à « Napoléon, Empereur ». Mais l’inscription « République française » subsiste jusqu’en 1809, année où elle s’efface pour laisser place à « l’Empire français ». C’est seulement à partir de 1806 que le calendrier grégorien, aboli en octobre 1793, est rétabli. Au moment même où il semble être au sommet de sa puissance, Napoléon sème de ses propres mains les germes de sa déchéance en sacrifiant à la Russie les trois véritables alliés de la France (la Pologne, la Suède et la Turquie) pour pouvoir poursuivre la guerre d’Espagne. Ainsi, de 1809 à 1814, c’est-à-dire de l’apogée de sa puissance à sa première abdication forcée en avril 1814, les monnaies émises en métropole n’apprennent plus rien sur l’histoire de la France elle-même puisque le type reste inchangé. En revanche, les monnaies frappées en 1814-1815 permettent de comprendre la complexité de la période de la Première Restauration et des Cent-Jours. La monarchie restaurée en 1814 va respecter l’œuvre monétaire révolutionnaire même si les armes de la monarchie absolue, la légende « Roi de France » et l’invocation de la puissance divine en latin sur les tranches des monnaies font leur retour. On veut ainsi faire croire que Louis XVIII a succédé à Louis XVI et Louis XVII sans soulever la moindre vague. Mais les monnaies sont complètement différentes de celles de 1789. Leur style, leur légende en français, leur expression en franc basé sur le système décimal, leur uniformité parfaite sont des traces de la Révolution. Le retour éphémère de Napoléon en 1815 ne suffit pas à relancer la France dans une dynamique de victoires et à renouer avec la légende napoléonienne. D’ailleurs, cela se voit dans les monnaies puisqu’il n’y a pas de nouveau type pour célébrer le retour de Napoléon. Bien au contraire, on se contente de réutiliser les anciens coins du type impérial dont la qualité du graphisme du portrait de Napoléon n’a pas cessé de se dégrader, à tel point qu’il est difficile de le reconnaître par rapport aux autres types sur la dernière pièce de 2 francs nommée « Cent Jours ». L’un des objectifs de Napoléon est de généraliser en Europe le système décimal français et de rendre le franc la seule monnaie usuelle dans toutes les transactions, faisant d’elle une sorte de monnaie unique, bien avant l’Union Latine (signée le 23 décembre 1865 sous Napoléon III) et l’Euro. Cette tentative s’avère un échec pour plusieurs raisons. Tout d’abord, s’il y a bien eu des monnaies reproduisant le franc frappées dans les différents États d’Italie et en Westphalie, le problème, comme en France, est que ces territoires possèdent aussi leur propre monnaie : il ne peut donc pas être question de la remplacer par de la monnaie française ! Certes le second décret du 18 août 1810 aligne, sur le système monétaire français, les monnaies de ces différentes nations mais il ne résoud pas les problèmes quotidiens de circulation monétaire. Rapidement ces nouvelles monnaies, comme en France, rentrent en concurrence avec les monnaies locales et engendrent de nombreuses difficultés. L’échec du projet de Napoléon s’explique aussi par l’attitude de ses frères et sœurs qui se considèrent comme des souverains nationaux, alliés certes à la France, mais avec des velléités d’indépendance alors qu’ils ont été faits par lui pour l’aider à accomplir son grand dessein de fédération européenne en faisant une partie d’un tout. Napoléon, qui ne perd de vue aucun des royaumes qu’il a créés, est donc contraint, bien malgré lui, d’entrer en lutte contre sa famille et d’abandonner le système fédératif qu’il a conçu pour y substituer un système dynastique familial. Enfin, il ne faut pas négliger non plus sa responsabilité personnelle en voulant imposer à ses frères et sœurs sa propre vision des choses sans tenir compte de leur avis. Par exemple, dans les pays étrangers sous domination française et gouvernés par ces derniers, comme la Westphalie, les monnaies françaises circulent pour leur valeur nominale alors que, en France, à l’exception des monnaies du royaume d’Italie à l’effigie de Napoléon qui peuvent y circuler librement, on refuse de les recevoir pour leur valeur nominale même si leur 7 titre, leur module et leur poids sont semblables aux monnaies françaises : elles doivent être amenées au change. Ceci déplaît beaucoup à Jérôme qui, à partir de 1809, décide de faire frapper son numéraire en thalers et en silbergroschen allemands habituels à la région westphalienne. Cette opposition entre Napoléon et son frère Jérôme a pour conséquence que les autres rois et princes institués par Napoléon (comme Louis) ne font plus ou refusent de faire frapper leur numéraire suivant le système décimal français parce qu’ils n’ont aucun intérêt à changer les habitudes et les usages du pays tant qu’ils ne peuvent pas profiter d’une circulation internationale avec la France. Ayant pour objectif de relever le défi de la livre anglaise et d’accompagner une politique de réforme plus globale, le franc germinal représente surtout la synthèse de l’ancien (livre tournois) et du nouveau (franc thermidorien issu de la Révolution) puisqu’il possède une valeur métallique quasi-identique à celle de la livre tournois pré-révolutionnaire adoptée en 1726, préservant ainsi une certaine continuité monétaire qui a duré légalement jusqu’en 1928 et concrètement jusqu'en 1914, soit, hormis l’épisode des assignats (1790-1796), près de deux siècles (1726-1914). Cette continuité, qui permet, par la même occasion, de réconcilier les deux France dans ce système monétaire, est exceptionnelle dans l’histoire monétaire. Le franc s’impose parce que le régime napoléonien impose un retour à l’ordre économique. Cette création, en matière de monnaie, est avant tout une affaire de confiance, les institutions monétaires ayant apporté une certaine sécurité tant sur le plan économique que social. L’ordre consulaire a ainsi provoqué le choc psychologique qui a permis de rétablir l’ordre monétaire. C’est à ce titre que le franc germinal entre dans la légende napoléonienne… L’intérêt de ce travail repose essentiellement sur l’alliance de l’histoire et de la numismatique puisque la recherche a volontairement été principalement axée sur la numismatique de la période impériale, tout en y mêlant des propos historiques, avec en toile de fond l’étude de la politique monétaire (et non financière ou économique) de Napoléon. Cette thèse vient également combler un vide bibliographique. Les bibliographies numismatiques sont en effet très rares en raison du problème posé par l’abondance des ouvrages, articles, monographies…, ce qui les rend très difficiles à réaliser et incomplètes. De plus, s’il existe des ouvrages d’histoire sur la monnaie2, aucun ne propose une typologie des monnaies ni ne les reproduit. De même, il existe des ouvrages de numismatique3 qui présentent les monnaies émises sous l’Empire mais aucun d’eux ne remet leur émission dans leur contexte : ce sont des ouvrages de cotes à l’usage des collectionneurs. Les sources nécessaires à la réalisation de cette étude se trouvent, pour l’essentiel, aux Archives Nationales (séries AF IV, BB, F1e, F7, F12, O2, Z1b…), aux Archives de la Monnaie de Paris (registres de correspondances avec le ministre des Finances, avec les ateliers de province ; registres des procès-verbaux des séances de l’administration des Monnaies ; registres de fabrication… ainsi qu’une multitude de textes originaux faisant office de source) et au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale. Les principaux ouvrages utilisés se trouvent essentiellement à la Bibliothèque Nationale, à la Bibliothèque de la Monnaie de Paris, à la Bibliothèque de la Fondation Napoléon, à la Bibliothèque Universitaire de la Sorbonne et à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Enfin, les reproductions iconographiques de la plupart des monnaies sont extraites du site Internet de la Compagnie Générale de Bourse (C. G. B.). 2 THUILLIER (Guy), La monnaie en France au début du XIXème siècle, Genève, Droz, 1983, in 8°, 450 p. Le Franc VII, Les Monnaies, Paris, Éd. les Chevau-Légers, 2007, in 8°, 526 p. ou GADOURY (Victor), Monnaies françaises (1789-2007), Monaco, Ed. Gadoury, 18ème édition, 2007, in 8°, 456 p. 3