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Dossier I Nouvelles figures de l’immigration en France et en Méditerranée I
Localisation des entreprises et marché de l’emploi
Entretien avec Khaled Bouabdallah,
Président de l'université de Saint-Étienne et professeur
à l’Institut d’Administration des Entreprises
Khaled Bouabdallah
Le chemin est long jusqu’à la présidence de l’université, pour
ce petit-fils d’immigré de Saint-Etienne. Son histoire
personnelle et sa formation universitaire le conduisent à
choisir l’ingénierie territoriale comme thème de recherche et
à mesurer l’influence des facteurs qui conduisent les
entreprises à s’implanter sur un territoire.
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H & M : Quel est votre parcours personnel au sein de l’université ?
Khaled Bouabdallah : Depuis le 1er janvier 2007, je suis président de l’univer-
sité de Saint-Étienne, et professeur à l’Institut d’administration des entreprises
(IAE) depuis 2003. Pour résumer ma carrière, je dirai que j’ai commencé mes études d’économie à Saint-Étienne, puis je suis allé à l’université de Lyon où j’ai soutenu une thèse de doctorat en 1993. Dans le cadre de cette thèse, j’ai été intégré dans
le laboratoire du CNRS “Économie des changements technologiques”. En 1993,
on m’a proposé un premier poste de maître de conférence en économie à l’université pluridisciplinaire de Saint-Étienne ; puis, en 2002, j’ai été recruté comme professeur des universités à Chambéry. Ayant fait mes études à Saint-Étienne, j’ai saisi
l’opportunité d’y revenir dès 2003 comme professeur. J’ai pris la direction de
l’Institut d’administration des entreprises, un institut autonome de l’université
comportant près de 1500 étudiants, dans le domaine du management et de l’économie. Mon parcours de chercheur porte sur l’économie du travail dans le cadre
d’un laboratoire CNRS à Lyon, le groupe d’Analyses et de théories économiques
(UMR CNRS – Lyon 2). Ensuite, en 2002, j’ai créé un laboratoire de recherche à
l’université de Saint-Étienne sur les questions de développement économique local.
L’équipe est reconnue par le ministère de la Recherche, avec un label d’Équipe de
recherche technologique (ERT) en ingénierie territoriale. M’intéressant à ce
domaine depuis la fin des années quatre-vingt-dix, j’étais donc motivé pour être
membre fondateur d’une équipe de recherche qu’actuellement je continue à diriger.
H & M : Pensez-vous constituer un modèle pour un étudiant d’origine étrangère ? L’université est-elle un facteur de promotion
sociale et d’intégration ? Quelles sont les difficultés que l’on peut
rencontrer pour y faire son chemin ?
K. B : Il est toujours difficile de s’ériger en modèle ! Chacun possède des atouts,
des défauts et une destinée personnelle. L’université, comme le système de formation dans son ensemble, constitue un outil d’élévation sociale pour un étudiant d’origine modeste, a fortiori quand il est d’origine étrangère. Mon grandpère était déjà installé dans la région de Saint-Étienne. La situation d’une
personne qui arriverait pour faire des études est très différente. Une problématique de promotion sociale et d’intégration n’a pas grand-chose en commun avec
le cas d’un étudiant étranger qui est là, a priori, seulement pour la durée de ses
études et va retourner ensuite dans son pays d’origine. Même si l’université française aurait tout intérêt à garder les bons éléments qui voudraient rester… Étant
d’origine très modeste, j’ai évidemment bénéficié de ce que l’université, en tant
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qu’ascenseur social, peut offrir. Mes parents sont quasiment analphabètes et le
chemin pour arriver à une présidence d’université est long. J’ai donc bien conscience que ce n’est pas un parcours banal.
H & M : Quelle a été l’attitude de vos parents pour vous soutenir ?
K. B : C’est pour cela que je parlais des caractéristiques de l’histoire personnelle
et des atouts que chacun essaie de valoriser comme il peut. L’université en tant
qu’institution se doit d’être un moyen de promotion sociale. C’est l’approche que
j’en ai, même si elle ne l’est plus tout à fait. Mais le cadre familial joue un rôle
essentiel, dans la mesure où il s’y forge l’équilibre et l’identité des individus, et
donc leur capacité à se projeter positivement dans l’avenir. Si le contexte familial
assure sérénité, positionnement et développement culturels c’est évidemment très
porteur. À l’inverse, en l’absence de structure et de stabilité familiale, si les institutions ne remplissent plus tout à fait leur mission, cela devient évidemment
beaucoup plus difficile pour les individus de réussir…
H & M : Un environnement affectif qui apporte confiance et encouragement porte ainsi l’effort d’intégration et de promotion sociale.
Cela constitue des fondations psychologiques extrêmement profitables et permet de se constituer une protection contre les attitudes
extérieures négatives.
K. B : À Saint-Étienne, la présence étrangère est relativement importante et visi-
ble. Le score du Front national s’est déjà situé au-delà de 20 %. À côté de cela, c’est
un environnement avec une véritable culture de l’accueil qui emprunte à une culture de solidarité ouvrière. De profondes difficultés existent, j’en suis conscient, je
l’ai constaté et j’en ai entendu parler mais, à titre personnel, je n’ai pas eu à en souffrir. J’ai plutôt eu la chance de croiser des gens qui m’ont aidé. Je me suis toujours
situé sur un plan professionnel et revendiqué des modes de fonctionnement basés
sur les compétences des personnes.
H & M : Pouvez-vous présenter vos thématiques de recherche ?
K. B : La notion d’ingénierie territoriale repose sur la relation du monde de l’en-
treprise au territoire et les moyens de développement économique. Ces questions
sont posées, par exemple, dans le cadre du partenariat public/privé ; comment les
entreprises s’impliquent-elles dans une contractualisation pour le développement
du territoire ? Ces projets sont animés par les collectivités territoriales : la ville, la
région. Il s’agit d’analyser comment la stratégie privée rencontre les programmes
de politique publique.
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Une autre thématique porte sur la localisation des entreprises, pour voir comment
celles-ci décident de s’implanter à tel ou tel endroit. Il n’y a pas vraiment de
modèle, chaque cas est particulier. Cette évaluation est destinée à optimiser l’action
publique dans le domaine de la localisation de l’entreprise.
Le premier facteur est le marché de l’emploi : la qualification et la disponibilité de
la main-d’œuvre passent avant la présence des infrastructures. C’est donc aux services publics de mieux communiquer avec les entreprises pour leur présenter les
atouts d’un bassin d’emploi, et les attirer.
Actuellement à Saint-Étienne, qui a connu
des fermetures et qui aujourd’hui fait
Entre la dénonciation par
preuve d’innovation avec l’implantation de
les entreprises d’une
pénurie de main-d’œuvre
nouveaux secteurs, cela a tendance à foncet la réalité de
tionner beaucoup au cas par cas et de
l’embauche,
manière intuitive.
il y a un décalage qui peut
Pour l’instant, les prospections sont de nature
commerciale, sans démarche marketing ;
nous essayons de développer des outils dans le but de se démarquer du cas par cas.
Cela nécessite une bonne connaissance du territoire et des logiques d’entreprises pour
établir des politiques publiques plus efficaces.
Une autre thématique concerne la notion d’intelligence économique territoriale :
comment un territoire peut-il se servir de l’information émanant des activités économiques et de recherche pour la traduire en politiques de développement ?
Comment se servir des informations provenant d’autres territoires potentiellement concurrents ? Sur quelles technologies investir ? Quel type d’entreprise ou
de recherche aider ? Ces données manquent dans presque toutes les régions, il y a
un réel besoin. De même, pour la dimension environnementale et les réseaux de
services, les attentes seront différentes selon le type et le secteur. Dans le domaine
de la haute technologie, un établissement employant principalement des cadres et
des ingénieurs n’aura pas les mêmes exigences au regard de l’environnement et des
services proposés.
H & M : Dans les politiques publiques, les phénomènes de discrimination sont-ils repérés, existe-t-il des initiatives pour les prévenir ?
K. B : C’est une préoccupation récente, qui reste marginale, mais c’est déjà mieux
que rien ! Une grande partie de la réponse se trouve dans la politique de recrutement menée par les entreprises. C’est là que se trouvent les emplois ! Il existe un
cadre juridique qui me paraît suffisant, à condition bien sûr de l’appliquer plutôt
que de superposer d’autres dispositifs. Le service public n’est d’ailleurs pas très
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exemplaire sur cette question… La “diversité” ne s’y croise pas tous les jours. Il y
a encore du travail à faire dans ce domaine.
H & M : Qu’en est-il au niveau syndical ?
K. B : Les directions syndicales expriment une volonté claire de faire cesser les
pratiques discriminatoires, mais l’engagement est plus déclaratif que concret. Il
est conditionné par la base. Les structures doivent agir à ce niveau pour faire avancer des messages forts et combattre les résistances qui existent bel et bien dans le
monde du travail.
H & M : À Saint-Étienne, cherche-t-on à recruter des migrants ? Un
appel à de nouveaux flux migratoires a-t-il eu lieu ?
K. B : Il existe des secteurs connaissant des difficultés de recrutement : la méca-
nique, le bâtiment…
Cependant le taux de chômage de la région est un peu plus élevé que la moyenne
nationale. Les migrations viennent plutôt de l’Europe de l’Est (Pologne,
Roumanie), mais restent relativement faibles. Entre la dénonciation par les entreprises d’une pénurie de main-d’œuvre et la réalité de l’embauche, il y a un décalage qui peut être parfois grand.
H & M : Qu’est-il souhaitable de développer dans la relation entre la
recherche scientifique et le monde économique ?
K. B : Des efforts doivent être consentis dans les deux sens. Il est tacitement exigé
que la recherche se rapproche de l’entreprise ; mais, en France, l’État a une sorte
de tutelle sur la recherche, et l’entreprise, qui connaît mal cet univers, ne s’implique pas dans la formation et l’enseignement supérieur par rapport à d’autres
pays où les traditions sont différentes. Effectivement, il est nécessaire de rapprocher la recherche de l’entreprise, mais avec le souci d’un développement scientifique présent à la fois au niveau national et localement, dans les universités. Il faut
trouver un équilibre entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée au
développement, au transfert de technologies, où il y a beaucoup d’efforts à faire.
À Saint-Étienne, il existe depuis cinq ans environ un service d’zctivités industrielles et commerciales chargé de la valorisation de la recherche-développement
en lien avec les entreprises. Depuis sa mise en place, le volume d’activité de ce service a triplé. Ce chiffre témoigne d’un réel besoin. Les résultats de la recherche
peuvent trouver des débouchés en termes de développement conjoint avec les
entreprises. Nous essayons d’établir des partenariats et répondons aux sollicitations des entreprises.
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H & M : Vous participez à des échanges importants avec des universités du Maghreb. Quelles sont vos relations en termes de
coopération ?
K. B : La France a une tradition de relations privilégiées avec le Maghreb.
L’université de Saint-Étienne a par exemple des relations anciennes avec les universités du Maghreb. Une proportion conséquente de la population de la ville est
originaire du Maroc, d’Algérie et de Tunisie. Les migrations datent des années
vingt, pendant la deuxième phase d’industrialisation. Il est logique que la ville
reçoive un flux assez important d’étudiants originaires du Maghreb.
À titre personnel, j’ai conduit des projets de recherche sur la question de l’entreprenariat et la création d’entreprise en Algérie, en collaboration avec des laboratoires de recherche algériens. Depuis deux ans, je pilote un important projet européen entre les trois pays du Maghreb et des partenaires italiens, français, espagnols
et portugais, portant sur la mise en place de formations de niveau master en entreprenariat et développement local. Ce projet suit son cours. Pour l’instant, il n’y a
pas encore vraiment de politique d’“échanges”, mais un des objectifs du projet est
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