L`imaginaire qui panse - Socio-anthropologie

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Socio-anthropologie
31 | 2015
Mortels
L’imaginaire qui panse
Actualité de la socio-anthropologie de Louis-Vincent Thomas
Valérie Souffron
Éditeur
Publications de la Sorbonne
Édition électronique
URL : http://socioanthropologie.revues.org/2089
ISSN : 1773-018X
Édition imprimée
Date de publication : 10 septembre 2015
Pagination : 9-22
ISBN : 978-2-85944-913-1
ISSN : 1276-8707
Référence électronique
Valérie Souffron, « L’imaginaire qui panse », Socio-anthropologie [En ligne], 31 | 2015, mis en ligne le 10
septembre 2016, consulté le 03 janvier 2017. URL : http://socio-anthropologie.revues.org/2089
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© Tous droits réservés
L’imaginaire qui panse
Actualité de la socio-anthropologie
de Louis-Vincent Thomas
va l é r i e so u f f ro n
L’anthropologue Louis-Vincent Thomas est mort il y a vingt ans. Il
a laissé une œuvre qui est à la fois celle d’un africaniste spécialiste
d’anthropologie religieuse et celle d’un socio-anthropologue de
la mort. Ce numéro de Socio-anthropologie ne se veut pas un hommage – celui-ci a été rendu 1 et le sera encore –, mais propose de
reprendre une des voies de son travail, pour nous demander quels
sont aujourd’hui les imaginaires de la mort.
D’Edgar Morin (Morin, 1951, 1956) à Louis-Vincent Thomas,
la thèse anthropologique s’affirme de la part de l’imaginaire et du
mythe en nous, dès lors que nous évoquons la mort. Un imaginaire né
d’une angoisse, celle de la thanatomorphose, et d’un refus, celui de
l’homme devant sa finitude. La fin des grands mythes n’a pas chassé
l’imaginaire. Thomas a cherché à le débusquer dans les mythes africains, puis dans les récits de science-fiction. Dans ses travaux sur ce
thème 2, il a en particulier travaillé sur les figures de la malmort et des
revenants, sur celles des techniques, des sciences et des machines à
travers l’imaginaire de la catastrophe et de l’apocalypse, et sur celles
du temps. Il a montré l’ambivalence qui alimente ces fantasmagories.
On croise à travers ces recherches, les grandes obsessions de Thomas : l’Afrique, le mythe, la mort, les utopies. C’est ce chantier d’une
fouille des imaginaires de la mort, dont il disait lui-même qu’il ne
l’avait qu’amorcé, qu’on se propose de poursuivre ici.
Il est question de donner à voir quelques-unes des manifestations
de l’angoisse contemporaine face à la mort telle qu’elle se joue, c’està-dire à la fois telle qu’elle se divertit et telle qu’elle se met en jeu. Les
cultures non cultivées, populaires ou non, sont ainsi prises au sérieux,
en tant qu’objets socio-anthropologiques à part entière, sujets de
« bricolages » et de manipulations, de détournements et de mises en
dérision, supports ludiques de questions sérieuses… et inversement.
1 Voir en bibliographie les numéros des revues Quel corps ? et Prétentaine.
2 Voir les références en bibliographie, notamment 1979, 1984 et 1988.
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valérie souffron
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Louis-Vincent Thomas (1922-1994)
et la socio-anthropologie de la mort
C’est en 1948 que Louis-Vincent Thomas s’installe au Sénégal pour
y enseigner la philosophie, puis rapidement la sociologie. Le pays
connaît, à ce moment-là, de profonds bouleversements politiques
jusqu’à l’indépendance de 1963 3. La jeune Afrique démocratique est
donc le cadre des premiers travaux de Thomas qui garderont toujours
une dimension politique et critique.
L’Afrique est déjà le terrain de prédilection de l’anthropologie
fonctionnaliste britannique. La thèse de Thomas 4 en porte la marque,
mais son travail est plutôt influencé par Marcel Griaule, qui fut son
maître, donc par une sensibilité ethnographique certaine et « une
volonté d’appréhender le système de représentation religieuses et
métaphysiques des sociétés étudiées en tant que totalités signifiantes,
fournissant à l’organisation sociale comme aux activités rituelles les
principes d’ordre repérables en premier lieu au niveau des discours
mythiques 5 ». Thomas fait donc dès ce moment des mythes, des systèmes symboliques et de pensée, les éléments essentiels de l’analyse
de la culture, au contraire des africanistes fonctionnalistes. Et c’est
en se référant à Griaule, sans lequel il n’aurait « jamais su parler de
l’Afrique 6 » que s’impose à lui le fait que « [l]a réalité sociale n’est
pas seulement ce qu’elle apparaît à l’œil froid du “savant” qui la met
à distance ; elle est aussi ce que les sujets qui la vivent en pensent (ce
que Marcel Griaule nommait le savoir indigène) et ce pour quoi ils la
reproduisent 7 ».
C’est en enquêtant en Casamance que Thomas est frappé par la
place qu’occupent, dans l’univers africain, les rites funéraires et le
culte des ancêtres, mais aussi le vitalisme dans la pensée. Il décide
dès lors « d’aborder le problème à l’envers 8 » et la mort devient son
principal objet de recherche.
Les travaux de Thomas montrent et affirment la puissance de la
mort, « puissance en tant qu’elle est angoisse, horreur, moyen de
chantage ou d’évasion et de ce fait à l’origine de tout pouvoir et de
toute vie sociale 9 ». Il ne cesse de rappeler que la mort est niée par
3 L’indépendance de la Fédération du Mali, dont fait partie le Sénégal, est proclamée en 1960, après une loi-cadre ayant introduit la semi-autonomie en 1956.
4 Thomas L.-V. (1958-1959), Diola, essai d’analyse fonctionnelle sur une population
de Basse-Casamance (2 tomes), Dakar, l’IFAN.
5 Houseman M. (2001), « Les études africanistes », dans Segalen M. (dir.), Ethno­
logie. Concepts et aires culturelles, Paris, Armand Colin, p. 191-192.
6 Thomas L.-V. (2000), Les chairs de la mort : corps, mort, Afrique, Paris, Éditions
Sanofi-Synthélabo, p. 50.
7 Ibid.
8 Ibid., p. 40.
9 Urbain J.-D. (1999), « Kratos et thanatos », préface à Thomas L-V., Mort et pouvoir, réédition, Paris, Payot.
10 Voir, à ce propos, l’entretien avec Patrick Baudry dans ce numéro.
11 « Mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité
d’une perception traumatisante » défini dans Laplanche J., Pontalis J.-B. (2007),
Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, p. 115.
12 Le concept de déni de mort n’appartient pas à la seule pensée de l’anthropologue
Louis-Vincent Thomas. Des analystes comme Goffrey Gorer ou Philippe Ariès en
ont donné les premiers des critères sans doute bien plus radicaux et durables.
Thomas les a repris en une approche plus nuancée.
13 Thomas L.-V. (1989), « Sociologie et ethnologie ou réflexions sur un faux problème », Quel corps ?, 38/39.
14 Voir l’entretien avec Patrick Baudry dans ce numéro.
dossier
l’imaginaire qui panse les hommes, plus particulièrement par nous qui vivons exactement
comme si elle n’existait pas 10, ce qui est une forme d’aliénation. Interroger la mort conduit donc à interroger le pouvoir, et c’est grâce
au concept de « déni de mort 11 », emprunté à la psychanalyse que
Thomas se livre à l’examen des sources et des ressorts du pouvoir de
la mort 12. Il situe les sources du déni dans l’individuation exacerbée
et l’individualisme matérialiste, la civilisation aliénante et l’urbanisation envahissante, la praxis technologique et la société de consommation. Il affirme que ce déni s’exprime sur deux plans qui se fécondent
réciproquement : le plan philosophique de la conception de la mort, le
plan concret et vécu des attitudes.
Dénier c’est supprimer, et non pas éviter ou rejeter. À partir de ce
travail sur le déni, qui se réfère au Foucault de La volonté de savoir
(1976), Thomas élabore ce qu’il appelle une « thanatologie polémique », à la fois approche transdisciplinaire, et socio-anthropologie
critique – comme le rappelle Patrick Baudry dans l’entretien qui figure
dans ce numéro. Thomas est un hétérodoxe, un socio-anthropologue
pour qui la coupure entre sociologie et anthropologie est un « faux
problème 13 ». S’il revendique la transdisciplinarité, c’est pour partir à
la recherche des invariants – par comparaisons spatiales, culturelles,
historiques – et pour cerner les écarts et en rendre compte ; pour
étudier les franges et les périphéries du monde social. C’est encore
pour prendre en compte, dans une perspective maussienne, toutes
les dimensions de l’homme devant la mort : le physiologique, le philologique, le social, le psychologique ; homo sapiens, homo demens et
homo ludens.
Thomas développe, à partir des années 1960, une anthropologie
qui affirme que la mort est, comme l’écrit Jean-Marie Brohm (2000),
« le fondement ontologique de la société ». Ses « préoccupations
intellectuelles majeures : la vie, la mort, le corps, le temps, les mythes
et l’idéologie, les dérives de l’imaginaire » (Thomas, 2012/1992,
p. 64) ont été posées en Afrique et servent de fond à une comparaison
avec l’Occident. Pour autant, Thomas ne propose pas un système de
pensée 14 ; son travail a cependant valeur heuristique.
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valérie souffron
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Pouvoir de l’imagination 15
L’anthropologie de la religion, celle de Griaule en particulier qui
s’attache à l’analyse des représentations et des productions symboliques, inspire les recherches de Thomas 16. C’est aussi le cas du travail
de Roger Bastide, l’anthropologue des acculturations, celui qui relie
anthropologie, sociologie et psychanalyse. L’interprétation psychanalytique des mythes prend au sérieux les contenus, les significations
mythiques, en tant que symbolisation des fantasmes inconscients 17.
Cette orientation, opposée à celle que prendra le structuralisme pour
lequel seule la structure importe, situe Thomas sur des orientations
théoriques qui le relient à Gaston Bachelard – un autre de ses maîtres.
Celui qui admirait les mythes et a longtemps travaillé sur le lien qui
les unit aux quatre éléments 18, fut sans doute l’initiateur chez Thomas
des interprétations psychanalytiques, issues notamment de la théorie jungienne des archétypes. Thomas affirme que la psychanalyse a
comme « remis à neuf, en en faisant une exigence fondamentale de
l’inconscient 19 » son approche de l’immortalité.
Si l’imagination est « dynamisme organisateur de l’être »
(Bachelard), les archétypes qui en sont en quelque sorte le fond
commun profond – mais pas prélogique comme il l’écrit dans sa
préface à la réédition du travail de Lucien Lévy-Bruhl 20 – peuvent
être définis comme « images primordiales, fondatrices et universelles qui tout en se faisant figures, héritent des schèmes leur dynamique 21 » et « grandes catégories fixes de l’appropriation du monde »
(Wunenburger, 2011). Comme Bachelard et Gilbert Durand 22, Thomas
insiste sur un imaginaire qui se dresse contre deux angoisses : celle de
la finitude (le temps) et celle de la mort.
15 En référence à l’expression tirée du long article de L.-V. Thomas (1982), « Mort
découverte, mort escamotée », Cahiers de Saint Maximin. La mort aujourd’hui.
16 Dans Socio-anthropologie des religions (2003), Claude Rivière, écrit à ce propos
que Thomas a fourni de « remarquables synthèses » sur les religions africaines.
17 Roheim G. (1950), Psychanalyse et anthropologie, Paris, Gallimard ; Devereux G.
(rééd. 1998), Psychothérapie d’un Indien des plaines : réalités et rêves, Paris, Fayard.
18 Bachelard G. (1968, 4e éd.), La poétique de la rêverie ; id. (1976, 13e éd.) L’eau et les
rêves. Essai sur l’image de la matière ; id (1990, 17e éd.), L’air et les songes. Essai sur
l’imagination du mouvement ; id. (1965), La terre et les rêveries de la volonté, Paris,
J. Corti ; id. (1971), La terre et les rêveries du repos, Paris, J. Corti ; id. (rééd.1994), La
psychanalyse du feu, Paris, Gallimard.
19 Thomas L.-V. (1975), Anthropologie de la mort, Paris, Payot, p. 505.
20 Voir à ce propos Baudry P. (1992), « Sociologie des imaginaires thanatiques »,
Galaxie anthropologique, Transversalités, 1.
21 Sauvageot A. (2009, 3e éd.), « Archétypes », dans Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines, Paris, Armand Colin, p. 109.
22 Durand G. (1969), Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Bordas.
23 Morin E. (1982 [1956]), Le cinéma ou l’homme imaginaire. Essai d’anthropologie,
Paris, Gallimard, p. 34, 31. L’historien roumain Lucian Boia, bien que proposant
une approche plus historique des imaginaires, retient, parmi les huit structures
archétypales constantes des cultures celles du double, de la mort et de l’au-delà.
Voir Boia L. (1998).
24 Le régime pulsionnel est introduit en psychanalyse par Freud dans Au-delà du
principe de plaisir. « Processus dynamique consistant dans une poussée (charge
énergétique, facteur de motricité) qui fait tendre l’organisme vers un but »
(Laplanche, Pontalis [2007]), les pulsions de vie (pulsions sexuelles et pulsions
d’autoconservation) et les pulsions de mort (pulsions d’agression et pulsions de
destruction, essentiellement tournées vers l’intérieur et tendant à l’autodestruction) s’opposent. Les pratiques et les croyances africaines protègent efficacement
et éloignent le triomphe de la mort, alors que l’Occident qui refoule totalement la
mort, court le risque du troisième temps psychanalytique, post attraction et répulsion, qui est celui du « retour du refoulé », et le régime délétère d’une culture de
la pulsion de mort, et de la mélancolie.
25 Durand G. (1969), Les structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit.
26 Voir à ce propos l’extrait de texte qui est reproduit dans ce numéro.
dossier
l’imaginaire qui panse Thomas se trouve ici en accord avec Edgar Morin, qui fait du
« double » le mythe universel, « peut-être même le seul grand mythe
universel », l’« image-spectre de l’homme » 23.
Thomas a été initié à la puissance imaginale des doubles en
Afrique. L’imaginaire pulsionnel dynamique qui oppose pulsion de
mort et pulsion de vie, Thanatos et Éros 24, fournit une grille de lecture aux mythes et aux rites africains. L’anthropologie des fantasmes
et des obsessions, depuis l’Afrique noire jusqu’aux récits contemporains de l’Occident, devient le champ de recherche qu’il travaille dans
les traditions sociologiques bachelardienne et bastidienne, adossée
à la psychanalyse jungienne et aux « structures anthropologiques »
de l’imaginaire 25. Les hommes ont conçu des systèmes de croyances,
explique-t-il, « pour se préserver des effets dissolvants de la mort 26 ».
Dans Anthropologie de la mort (1975), Thomas énumère quelquesuns de ces grands archétypes et croyances : mort-apparence et
mort-renaissance, mort négation et négation de la mort, dédramatisation, amortalité et immortalité, résurrection des morts, fusion dans
l’Un-tout. Pour les Occidentaux, ces imaginaires ne sont pas absents,
mais refoulés. Non actualisés dans des pratiques, ravalés dans les
tréfonds des tabous et de l’inconscient, ils agissent plus souterrainement, mais non moins nécessairement. La science-fiction (SF) est un
de leurs terrains d’actualisation. Ainsi, les mythes pourraient-ils être
supplantés par l’imaginaire et la SF être une « mythologie moderne ».
Faisant référence au travail de Baudrillard sur les objets, l’investissement dont ceux-ci sont l’objet dans notre mythologie contemporaine, la pensée magique autour de leur appropriation, et la catharsis
qu’ils représentent face à nos angoisses à propos du temps et de la
mort, Thomas travaille la SF comme symptôme, comme « le résultat de la rencontre entre les pulsions les plus profondes et l’effet
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de grossissement » (Thomas, 1979). À travers cette « littérature de
l’angoisse », nos hantises qui ne trouvent plus d’autres vecteurs
d’expression que les produits de l’industrie culturelle, ou les genres
les plus dévalorisés de la création littéraire ou cinématographique,
offrent une place de choix et un miroir grossissant au refoulé, à la
« culpabilité sous-jacente » (Thomas, 1984). Les imaginaires thanatiques y sont déployés et actualisés, puisant dans le stock invariable
des fantasmes les images à partir desquels ils animent les récits.
Homo demens et homo ludens divaguent, proclamant « le droit des
imaginaires ». « La divagation, c’est l’imagination “au pouvoir”, c’està-dire le risque de donner corps aux pulsions : désirs, espérances et
angoisses, dont la mort. » Dans cette angoisse « prend racine la puissance de subversion et de divagation qui habite l’homme nu, désarmé
devant sa finitude […] 27. ».
Il ne s’agit pas de dresser un catalogue des fantasmes de son temps,
mais de montrer la part critique portée par ces récits, et de dénoncer une société mortifère (Thomas, 1979). La SF a la même fonction
d’alerte que la sociologie qui en fait son objet d’étude. « Nous dirions
[…] que l’imaginaire, pour conjurer la mort, oscille entre deux catégories de représentations : d’une part des fantasmes de régression et de
fuite, d’autre part des fantasmes de complaisance et d’espérance 28. »
À la première : la hantise de l’Apocalypse, l’impuissance face aux
machines, à la technique et au temps, la peur des différences et des
autres – cannibales, vampires, semi-vivants, morts-vivants, animaux,
voire partenaire féminin –, le triomphe des images de l’engloutissement, de la destruction, de l’enfermement, de la dévoration, de la
substitution ou de l’éviction (Thomas, 1984, 1988) 29. À la seconde :
les avatars contemporains de l’immortalité et de l’amortalité, les
fantasmes de non-mort 30.
On le voit, les produits d’une culture mineure ou populaire sont
susceptibles de fournir des grilles de lectures signifiantes de ce qui
ne se regarde que de biais ; une anthropologie du rien peut s’envisager comme une anthropologie du tout 31 et les récits mineurs montrer du doigt les difficultés majeures d’une culture, la nôtre, qui n’a
de cesse de se situer aux antipodes de la mort vécue, de n’envisager
qu’une mort « à la troisième personne » comme l’écrivait Vladimir
27 Thomas L.-V. (1979), Civilisation et Divagations. Mort, fantasmes, science-fiction,
Paris, Payot (Petite Bibliothèque Payot), p. 8.
28 Ibid., p. 9.
29 À bien des égards, ce numéro de Socio-anthropologie pourrait faire écho à un
précédent, Apocalypses (28, 2013), dont de nombreux thèmes trouveraient leur
prolongement dans le travail de Thomas sur la mort.
30 Thomas L.-V. (1979), Civilisation et Divagations. Mort, fantasmes, science-fiction,
op. cit., p. 107.
31 Ibid., p. 96.
L’imagination au pouvoir
Mort-telle
Qu’en est-il de la mort aujourd’hui ? Un état des lieux chiffré ne
montrerait rien de bien nouveau par rapport à l’époque où Thomas
a étudié ces phénomènes. Les différences et les évolutions sont à
chercher ailleurs.
Sur le plan factuel : dans la non-régression des conflits, qu’ils
soient de tendance technicienne ou qu’ils puisent dans les archaïsmes
les plus régressifs. Dans le développement de nouveaux types d’affrontements, moins dans leur nature que dans leur forme ou leur
ampleur qui mettent en place et jouent sur les registres de la terreur.
Dans le surgissement des catastrophes elles-mêmes hypermédiatisées, qu’elles soient naturelles ou qu’elles soient la cause d’autres
dérèglements du monde technique.
Sur le plan intellectuel : dans la remise en cause du concept du
déni de mort tel que Thomas l’avait imposé : au prétexte d’un avènement de la question du mourir dans le débat public et scientifique, ou encore sur la base d’une critique faite à un déterminisme
trop envahissant qui masquerait la forêt des intentions individuelles
de l’acteur social. Enfin, sur le constat de l’omniprésence des morts
dans la fiction, au risque de confondre ce qui est représenté, avec
l’imaginaire lui-même 32.
Quels sont les chemins de l’imaginaire aujourd’hui ? Nous faisons
l’hypothèse que les archétypes et les cultures particulières s’articulent et que c’est à l’actualisation des invariants dans notre époque
que ce numéro travaille. Autrement dit, nous examinons comment les
archétypes repérés par Thomas se distribuent ou se redistribuent, à
travers de nouvelles pratiques et de nouveaux supports. Suivant en
un sens les cultural studies, on prendra en compte les contenus et
les formes « vulgaires » de la culture ; produits de consommation et
d’usage de masse, appropriables par le plus grand nombre, appropriés
et dépassant les logiques d’assignation sociales et culturelles. Si la
mort est cachée aux usages et aux paroles quotidiens ou ordinaires,
elle peut trouver là, comme elle l’a pu dans la science-fiction, des
lieux et des modes d’expression. Quels fantasmes surgissent de la BD,
du manga, du film, de la littérature policière, des séries télé omniprésentes à nos écrans, du web 2.0 ?
Les textes présentés dans ce numéro illustrent les deux grandes
valences des imaginaires thanatiques : un large volet angoissé qui fait
32 Voir l’entretien avec Patrick Baudry dans ce numéro.
dossier
l’imaginaire qui panse Jankélévitch. Ainsi, nos fantasmes, nos divagations, sont-ils révélateurs d’angoisses et d’espoirs profonds.
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valérie souffron
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la critique d’une société sécuritaire, et un versant d’espérances qui
s’appuie sur les sciences et les technologies pour rêver de nouvelles
formes d’immortalité.
Mortels !
Les mondes de la fiction donnent à entendre une critique sociale sans
concessions. La violence, l’exclusion et les défaillances de la mémoire
y sont dénoncées, comme les lieux de ces faillites sociales : les villes.
Les univers apocalyptiques sont les plus évidentes manifestations
des angoisses de mort. La réalité de la bombe atomique a durablement
irradié les imaginaires des mangakas, comme le montre l’ouvrage
de Pierre Pigot dont Marc Berdet donne ici un compte-rendu. Des
mangas (Gérard Dubey) aux BD d’Edgar Jacobs (René Nouailhat),
plusieurs générations ont été fascinées et travaillées par la même persistance du tragique que Thomas avait relevée dans la science-fiction,
avec la « fascination de l’engloutissement ».
La peur de la guerre et de la destruction peut prendre des formes
plus métaphoriques, avec l’invasion sans doute la plus caractéristique
de ces dernières années dans la fiction : la figure du zombie 33. Certes
le genre n’est pas nouveau ; il plonge ses racines dans le vaudou haïtien, comme le rappelle Maxime Coulombe, mais ce mort-vivant et
dévorant, dans sa quête insatiable de chair humaine, figure notre
chute et notre autodestruction annoncées et la fin des temps (Eric
Villagordo), sans espoir de salut divin (M. Coulombe, R. Nouailhat).
Les hommes, ne sachant plus vivre ensemble, sont victimes des zombies. La disparition du lien social entraîne la mort de chacun.
Aux catastrophes répondront les forces de l’ordre et les détenteurs
des pouvoirs : policiers et militaires qui organisent une société de
camps, sur les fondements d’un gouvernement humanitaire ambigu
(Valérie Souffron), enquêteurs et médecins légistes de la littérature ou des séries, héros de la médecine des preuves et de la police
scientifique (textes de Maud Desmet sur les séries télévisées et de
Fabienne Soldini sur la littérature macabre). Nos obsessions sécuritaires ouvrent un espace de contrôle ; elles sont l’autel sur lequel nous
sacrifions nos libertés et nos solidarités.
La scène devenue incontournable de la fiction est celle de l’autopsie et le corps s’y impose (M. Desmet, F. Soldini). Depuis les
années 1990, le cadavre est au centre de l’écran ou de la planche, en
début de chapitre. Avec lui, les imaginaires de la souffrance et de
33 Les zombies sont sortis de leur ghetto de séries B cinématographiques pour
devenir des phénomènes de société ; du moins si l’on en croit les universitaires qui
leur ont consacré une part de leur travail. Voir par exemple Coulombe M. (2012),
Petite philosophie du zombie, Paris, PUF ; Paris V. (2013), Zombies. Sociologie des
morts-vivants, Montréal, XYZ Éditeur ; Vuckovic J. (2013), Zombies ! Une histoire
illustrée des morts-vivants, Paris, Hoëbeke.
34 René Nouailhat explore dans son texte le cas de Tintin, et les rapports du petit
reporter à la mort. Le psychiatre Serges Tisseron a montré de son côté comment les
secrets de famille du dessinateur Hergé – le créateur de Tintin – avaient imprégné
la BD. Voir Tisseron S. (1992), Tintin et les secrets de famille, Paris, Aubier.
35 Alarcon-Olvera A., dans Mobio F. (2010).
dossier
l’imaginaire qui panse l’impuissance se rejoignent (M. Desmet, R. Nouailhat, F. Soldini,
E. Villagordo) ; les fantasmes de la dépossession de soi, et au-delà ceux
de la bestialité qui rode, du ravalement à l’état de nature. La nature
animale dévorante d’abord, avec l’angoisse si profonde de l’ingestion
et de la dévoration, par les insectes nécrophages, les animaux errants
ou sauvages. Une dévoration qui fait écho à celle des zombies, autres
agents de la dissolution dans la douleur. Un cadavre qui lui-même
peut dévoiler sa part d’animalité agressive, à travers les outrages qu’il
subit : atteintes criminelles ou putréfaction (F. Soldini), sa part de
monstruosité, dans cette transfiguration cadavérique où il rejoint le
zombie. Cette ambiguïté des représentations est très visible dans la
figure du cadavre féminin : innocent et pur tel Ophélie, objet de désir
et péril de castration (M. Desmet). Du zombie au cadavre, c’est la très
grande peur de la contamination, réelle ou symbolique, qui révèle en
creux une société hygiéniste.
Les zombies sont aussi des errants perpétuels, et c’est un sort qu’ils
partagent avec d’autres : survivants des catastrophes (M. Coulombe,
G. Dubey, E. Villagordo), vieillards, réfugiés (V. Souffron) et
pauvres bien réels de la cité de Mexico (Gabriela Torres-Ramos).
Morts-vivants des fictions ou vivants morts socialement dans la réalité mexicaine dénoncent un certain ordre du monde : celui de l’exclusion sociale et économique. Ils figurent diverses formes de dépossession de soi.
Les failles de la société de consommation atteignent enfin un
domaine plus profond et plus délicat, celui des échanges entre les
mondes. Un dialogue impossible s’est substitué à la craintive domestication des revenants. Le lien social est rompu par la raréfaction des
dons aux morts : dons de rites, de temps, de place, de lien spirituel. Le
deuil s’en trouve entravé (V. Souffron), même si subsiste l’écho d’une
sensibilité (G. Dubey, R. Nouailhat) 34. Une société qui ne donne pas
aux morts entrave les mécanismes essentiels de sa mémoire.
Enfin, la société aliénée est une société urbaine. Les zombies se
sont rendus maîtres des villes, le crime y règne, la police et l’armée
y gèrent les populations, avec l’aide de la médecine. Dans le cas de
Mexico, la réalité dépasse peut-être la fiction : la ville est écocide par
son extension tentaculaire 35, dévoreuse d’espace et cannibale pour les
plus pauvres qui ne trouvent une planche de Salut que dans le culte
de la mort elle-même : la Santa Muerte (G. Torres-Ramos).
Le premier volet des imaginaires de la mort est donc profondément angoissé. Nos rapports difficiles aux autres, nos difficultés à
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valérie souffron
vivre un monde dur sous ses richesses matérielles et nos hantises de
disparaître y sont mis en scène. Cependant, comme l’écrivait Gilbert
Durand, « l’hyperbole négative n’est qu’un prétexte à antithèse »
(Durand, 1960). Les monstres imaginaires nient la mort.
Le cannibalisme de l’œil (Thomas) n’exclut cependant pas des
quêtes plus heureuses. Les fictions et les pratiques sont aussi des
lieux d’expression qui entrouvrent, par les pouvoirs conjugués de
l’imagination et de la critique sociale, les portes d’un imaginaire
d’espérances.
Mortels ?
La valence positive des imaginaires est d’abord à lire dans la réappropriation que les Mexicains pauvres ou marginaux font de la mort figurée, dans le culte de la Santa Muerte, revanche et secours des exclus,
qui oblige à agir sur soi pour agir sur son destin (G. Torres-­Ramos).
Pour d’autres, plus riches, plus instruits et plus fortunés, ce sont les
sciences et les techniques qui ouvrent le grand marché de l’espérance.
Et si nous n’étions plus mortels ? Vieux rêve, mythe et quête éternelle. De l’épopée de Gilgamesh à la science, c’est le mythe qui est
tombé. C’est une amortalité jamais certaine, mais ardemment désirée que recherchent les adeptes des technosciences et de la médecine
régénérative, et les transhumanistes en particulier, dont Gabriel
Dorthe explore les mondes imaginaires. Une humanité transformée
par la technologie pourrait échapper à la « tyrannie du vieillissement
et de la mort », donc à un ennemi qui est en soi et dans l’espèce. L’imaginaire de la maîtrise y est hyperactif, et par conséquent en avance
sur la science qui n’est en quelque sorte pas à la hauteur. La mort,
interdite sur le plan imaginaire, appelle par exemple la cryogénie
(déjà repérée par Thomas) ou le « mind uploading », cette utopie de
téléchargement de l’esprit dans les mémoires des ordinateurs.
La collusion de l’informatique, du web, et de l’aspiration à l’immortalité, trouve à se réaliser dans des pratiques encore marginales.
Fiorenza Gamba explore ici celle des coffres-forts numériques, imaginés pour répondre à la problématique de la gestion et de propriété
des données personnelles numérisées sur internet par des particuliers, notamment après leur décès. Les coffres-forts numériques évoluent vers des usages post-mortem de données et de messages postés ante-mortem. Les questions de la trace, du culte, du souvenir, du
pouvoir sur les survivants sont renouvelées par ces pratiques. L’avatar y est promis à la survie de celui qui l’a créé et auquel il est étroitement identifié, jusqu’à la collusion entre le modèle informatique,
les données biologiques via l’ADN stocké, et le cerveau téléchargé.
Ici encore, la cryogénie est cousue d’espoirs fous : une résurrection
techno-orchestrée, pour une vie immortelle. L’avatar est celui d’une
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36 Nous utilisons ici assez librement le concept tel qu’il est repris de Lacan par
Serge Tisseron (2001), L’intimité surexposée, Paris, Ramsay.
37 Thomas L-V. (1997), « Cannibalisme sauvage et cannibalisme occidental »,
Prétentaine, 7/8, Anthropologie de l’Ailleurs. Présence de Louis-Vincent Thomas.
38 Lafontaine C. (2008), La société post-mortelle, Paris, Seuil.
39 À propos de la filiation du personnage de Tintin, voir Tisseron S. (1992), Tintin
et les secrets de famille, op. cit.
40 Emmanuel Le Roy Ladurie l’oppose au « trafic vertical des âmes », ascensionnel
et transcendant (1975, Montaillou, village occitan, Paris, Gallimard).
dossier
l’imaginaire qui panse extimité 36 qui orchestre sa potentielle survie. Il devient trace d’un
défunt, indice de sa présence, avant que d’être dans un futur indéterminé, mais confiant, un corps à nouveau habité de sa conscience.
Ces extensions du domaine de l’informatique vers l’immortalité n’interrogent pas les instruments de contrôle social qu’elles pourraient
offrir. L’œil électronique, écrivait Thomas, est une forme contemporaine de l’œil cannibale, celui du pouvoir 37. Elles disent à leur manière
la nécessaire et désirée persistance du lien entre morts et vivants.
La mort est un jeu dans les fictions de la société post-mortelle 38.
Elle fait aussi partie de l’aventure. Les référents de la BD sont
bibliques dans la tradition franco-belge (R. Nouailhat) ou puisent
aux sources du conte parfois, dans les mangas (G. Dubey). Les héros y
restent mortels, la mort y a un sens moral et c’est encore largement le
cas dans les fictions étudiées. Les personnages dessinés, mis en scène
ou en mots, posent toujours la question de la chair, de l’expérience,
du sensible, de la mémoire et de l’oubli. Seul l’avatar pourrait être un
affranchi immortel.
L’art, sous toutes ses formes, dans toutes ses réceptions, est un
monde ouvert à la transgression, donc à la mort. C’est ce que montre
l’ouvrage dirigé par Anne Carol et Isabelle Renaudet, présenté par
Justine Borel. C’est ce que nous proposent les articles qui explorent la
BD, les mangas, les films, les séries, la littérature dans ce numéro. Les
sciences et les techniques sont ces « nouveaux nouveaux mondes »
où nous jouons les immortels. Ce sont ces chemins vers l’insolite que
Thomas invitait à prendre, comme on le lira dans l’entretien avec
Patrick Baudry.
Ce qui est montré de la culture populaire dans ce numéro est
qu’elle revendique le lien avec les morts (voir la présentation faite
par Lucie Jegat de l’ouvrage dirigé par Maurice Godelier). Ce désir
pourrait être accentué en période de crise (G. Torres-Ramos). Il est
nécessaire à la mémoire et au sentiment d’appartenance. Il interroge
la filiation 39, et la structure familiale (V. Souffron). Histoires de fantômes, histoires de famille et figures héroïques se répondent dans les
récits et les imaginaires. « L’errance horizontale des revenants 40 » a
parfois à voir avec les machines et le virtuel, depuis la recherche des
« bruits blancs » (white noises) sur les bandes magnétiques, jusqu’aux
messageries post-mortem des sites spécialisés (F. Gamba). Mais la
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valérie souffron
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transcommunication relève aussi de cultes sauvages et dissidents,
tels les appels à la Santa Muerte (G. Torres-Ramos). Cette quête du
lien, quelle que soit sa forme, est l’affirmation d’un désir de vivre.
Mourir ? Plutôt crever !
La mort s’image, s’imagine et se fantasme, indéniablement. Les
contributions à ce numéro montrent un imaginaire de l’angoisse plus
que de la peur, parce que ce qui effraie reste flou, intériorisé, distribué. Angoisse parce que nous savons bien que les zombies n’existent
pas – alors que les fantômes offraient encore quelques possibilités à
la croyance. Ainsi, cet imaginaire de la mort est-il aussi un imaginaire
qui panse – à défaut de nous guérir – ne serait-ce que parce qu’il libère
une parole. L’homo aestheticus, s’il ne sait pas toujours le faire dans
ses rites funéraires, « renverse la mort en vie » (Thomas L.-V., 1989)
par ses fantasmes d’amortalité, ou lorsqu’il affirme la présence des
morts. L’imaginaire ouvre à la compréhension symbolique des choses,
comme le mythe. Il accompagne les désirs de transformation et de
mutation sociale, comme l’affirmait Cornélius Castoriadis 41. Il n’est
pas qu’un exutoire commode et bon marché. Il travaille nos relations
aux morts, les informe, comme il en est lui-même modifié. Comme
l’écrit Isabelle Castra (2007), les mythologies modernes véhiculées
par la littérature ne sont pas des « prétextes » susceptibles de régler
les conflits enfouis, puisqu’elles effraient autant qu’elles rassurent
ou réconfortent. À l’image de ces figurines mexicaines que présente
Danielle Dehouve, les Catrina(s), squelettes féminins parés comme
des bourgeoises fortunées d’un autre siècle ; images ludiques et grimaçantes à la fois, devenues symboles nationaux.
À l’âge de la télévision 42, des écrans et du virtuel, les visées
esthético-ludiques de nos imaginaires réactualisent et prolongent les
mythologies de l’amortalité jusqu’à les prendre au sérieux parfois.
Mais ni nos avatars aux multiples existences, ni nos prolongements
dans l’improbable de la survie corporelle, numérique, voire d’une
nature inédite, ne sauraient nous sauver de la perte de l’autre. Or,
c’est ici que l’imaginaire trouve sa vertu apaisante, comme l’a montré Thomas. Incorrigibles homo sapiens dressés contre la mort, nous
pouvons gueuler « Stop crève 43 !  » et notre désir de « baiser la mort »,
anticiper une épitaphe anarchiste comme le dessinateur Siné : « Mourir ? Plutôt crever 44 ! ». Lorsque la mort, absurde et terroriste, injuste,
« dégueulasse » aurait dit Cavanna, surgit dans les locaux du journal
41 Castoriadis C. (1979), L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil.
42 Wunenburger J.-J. (2001), L’homme à l’âge de la télévision, Paris, PUF.
43 Cavanna F. (1976), Stop crève, Paris, Éditions Jean-Jacques Pauvert.
44 Cavanna et Siné ont été fondateur (Cavanna) et membres des magazines HaraKiri et Charlie Hebdo. Mourir ? Plutôt crever !, est le titre du film-documentaire que
Stéphane Mecurio a consacré à Siné (2010).
dossier
l’imaginaire qui panse Charlie Hebdo, et frappe ceux dont le métier était d’amuser, c’est une
double sidération qui nous laisse muets : nous sommes mortels et
nous ne pouvons pas tout à fait en rire. Homo ludens n’est pas mort de
rire, et si les dessins sont parfois « mortels ! », l’hyperbole l’a cédé à
l’ironie et à l’amertume.
Et c’est l’imagination qui sauve, dans ce qu’elle produit collectivement de réponse au néant : des pratiques communielles, des dessins
rageurs, consternés ou ludiques, un cercueil entièrement couvert de
dessins… En définitive, c’est dans nos imaginaires que nous puisons
cette réponse à la culture de la mort et de la violence : plutôt crever !
Bibliographie
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De Louis-Vincent Thomas et autour de son œuvre
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(1965), Les idéologies négro-africaines d’aujourd’hui, Dakar, Faculté des
Lettres et Sciences Humaines.
(1966), Le Socialisme et l’Afrique, (2 tomes), Le livre Africain.
(1968), Cinq essais sur la mort africaine, Dakar, Faculté des Lettres et
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(1982), La Mort africaine. Idéologie funéraire en Afrique Noire, Paris, Payot.
(1985), Rites de mort. Pour la paix des vivants, Paris, Fayard.
(1993), Mélanges thanatiques : deux essais pour une anthropologie de la
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(1989), Quel corps ?, 38/39, Une Galaxie anthropologique. Hommage à LouisVincent Thomas.
(1992), Utinam, 2/3, Comment peut-on être socio-anthropologue ? Autour de
Louis-Vincent Thomas.
(1997), Prétentaine, 7/8, Anthropologie de l’Ailleurs. Présence de LouisVincent Thomas.
Pour une bibliographie exhaustive des publications de Louis-Vincent
Thomas, on pourra consulter : (2013), « Bibliographie complète de LouisVincent Thomas (1922-1994) », dans Cinq essais sur la mort africaine,
ouvrage présenté et préfacé par Brohm J.-M., Paris, Karthala, p. XXVIII-LX.
Ouvrages et textes de Thomas sur la science-fiction
et les imaginaires
(1979), Civilisation et Divagations. Mort, fantasmes, science-fiction, Paris,
Payot (Petite Bibliothèque Payot).
(1982), « Catastrophisme et Science-fiction », Archives de sciences sociales
des religions, 53/1, p. 69-85.
(1984), Fantasmes au quotidien, Paris, Méridiens Klincksieck.
(1988), Anthropologie des obsessions, Paris, L’Harmattan.
(1991), La mort en question. Traces de mort, mort des traces, Chapitre IV,
« Mort et dérives imaginaires : Apocalypse Science-fiction », Paris,
L’Harmattan (Nouvelles études anthropologiques).
(1997), « Utopie, science-fiction et fantasmes », Prétentaine, 7/8, Anthropologie de l’Ailleurs. Présence de Louis-Vincent Thomas, p. 281-295.
(2000), Les chairs de la mort : corps, mort, Afrique, Chapitre XII, « Catastrophismes et science-fiction » ; Chapitre XIII, « Temps et vieillissement
dans la science-fiction », Paris, Éditions Sanofi-Synthélabo, préface de
Jean-Marie Brohm.
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