L`avenir de la zone franc : perpectives africaines

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Hakim Ben Hammouda
et Moustapha Kassé (éds)
L'avenir
de la zone franc
Perspectives africaines
Préface d/Abdoulie Janneh
CODESRlA - KARTHALA
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L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
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La Bibliothèque du CODESRIA
Derrière la tenninologie de la crise et les métaphores de la désintégration
sociale et de l'anarchie, une vie sociale et créative se poursuit en Afrique.
Un tableau complexe de la vie culturelle et économique est en train d'émerger.
Des fonnes reconnaissables de développement cœxistent avec des trajectoires
originales de création et d'accumulation des richesses. Des conceptions
identitaires disparaissent et d'autres naissent ou sont refonnulées. Arcboutée sur une immense réserve d'endurance et d'imagination et portée par
une extraordinaire puissance de résistance contre la brutalité du destin,
l'Afrique est au travail.
Ni la prodigieuse singularité de l'expérience humaine en Afrique, ni les
nouvelles fonnes d'engagement du continent avec les marchés internationaux,
ni les géographies commerciales en cours de constitution ne peuvent être
restituées à partir des catégories et discours traditionnels. Plus que jamais,
il faut une nouvelle stratégie de description et d'interprétation, de nouvelles
façons de percevoir ces réalités, de nouvelles catégories d'expression des
potentialités, et surtout un nouveau discours pour décrire l'Afrique et pour
dépeindre les expériences, les souvenirs, la vie et le travail de ceux et celles
qui sont au centre de toutes ces transfonnations.
C'est l'objectif de la collection « La Bibliothèque du CODESRIA».
KARTHALA sur Internet: http://www.karthala.com
© Éditions KARTHALA et CODESRIA, 2001
ISBN 2-84586-184-2
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Moustapha Kassé (éds)
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L' Avenir de la~<'zone franc
Perspectives africaines
Préface d'Abdoulie Janneh
KARTHALA
CODESRIA
22-24, boulevard Arago
75013 Paris
BP3304
Dakar
Préface
Abdoulie J ANNEH
L'Afrique subit depuis quelques années un nouveau contexte international. La globalisation et, partant, le déclin de la pertinence des frontières
physiques de l'État-nation constituent les principales caractéristiques de
ce nouvel environnement. La globalisation entraîne une compression sans
précédent du temps et de l'espace. Ainsi, les mouvements de capitaux
obéissent de moins en moins à une logique nationale et s'inscrivent dans la
perspective de la libéralisation et de la compétitivité des marchés mondiaux. Par ailleurs, les échanges commerciaux se sont développés de
manière très rapide et le commerce international est devenu un important
facteur de croissance économique. Les nouvelles technologies ont participé de ce rétrécissement de l'espace et de cette plus grande interconnexion des réseaux. De plus, l'activité économique perd relativement de
plus en plus sa matérialité physique et les nouvelles technologies nous
mettent en rapport avec une réalité nouvelle plus virtuelle. Ainsi, un monde
nouveau est en train de naître devant nous.
Au moment où les potentialités sont immenses et l'espérance plus
grande, l'Afrique connaît depuis le début des années 80 une crise profonde. En dépit des réformes et des programmes d'ajustement structurel
appliqués depuis le début des années 80, l'Afrique n'arrive pas àformuler
de nouveaux projets de développement capables de mobiliser des populations avides elles aussi, comme le reste du monde, de progrès et de bienêtre. Pourtant, les espérances étaient grandes aux lendemains des indépendances. En effet, les différents pouvoirs issus des luttes de libération nationales étaient porteurs de projets et de visions de l'avenir du continent. Ces
projets cherchaient, pour l'essentiel, à moderniser les structures économiques et politiques des pays africains. Cette modernisation était perçue
comme la voie d'accès à une transformation accélérée des économies africaines. A ce niveau, les États ont joué un rôle important tant au niveau
politique qu'au niveau économique. Dans le domaine politique, les structures politiques modernes cherchaient à se substituer aux structures politiques traditionnelles et l'identification à la nation est venue remettre en
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L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
cause les appartenances infra-étatiques. Au niveau économique, les États
ont cherché à travers les stratégies de développement industriel à diversifier leurs structures productives et à améliorer leur insertion dans l'économie internationale.
Cette vision et ce projet de modernisation connaîtront leurs limites dès la
fin des années 70 et le début des années 80. Du point de vue politique, le
monopole de l'État est de plus en plus contesté par les mouvements de démocratisation et les organisations de la société civile. Par ailleurs, les tentatives de modernisation économique ont connu également leurs limites. En
effet, les stratégies de développement n'ont pas été en mesure de diversifier
les structures des économies africaines et d'accroître leur compétitivité et
leur insertion dans l'économie internationale. Au contraire, on a assisté à
un renforcement de la dépendance vis-à-vis des matières premières, au
nombre très limité par ailleurs. Les entreprises publiques n'ont pas initié de
nouvelles dynamiques de croissance et de développement.
Dans ce contexte de crise des expériences de développement et des difficultés des ajustements externes et internes, les pays africains vont adopter,
dès le début des années 80, des programmes d'ajustement structurel, sous
l'inspiration et avec l'appui de la Banque mondiale et du Fonds monétaire
international. Ces programmes ont cherché à initier de profondes réformes
pour répondre à la crise des économies africaines. D'abord, le désengagement de l'État et l'introduction des mécanismes de marché dans la régulation des économies étaient perçus comme des préalables à une allocation
rationnelle des ressources. Par ailleurs, les institutions de Bretton Woods
recommandaient une réorientation des stratégies de développement vers
les exportations et une réduction du rôle du marché intérieur et de la
demande locale dans le processus de croissance. Au niveau monétaire, les
réformes avaient pour objectif, entre autres, de mobiliser l'épargne intérieure jusque-là réprimée par la faiblesse des taux d'intérêt. Par ailleurs,
le développement des marchés financiers devait aider au financement des
entreprises par la collecte de l'épargne directe. Ces réformes devaient
relancer les dynamiques de croissance, réduire l'endettement et améliorer
l'insertion internationale des économies africaines.
Plus d'une décennie après, le bilan de ces réformes est relativement faible. Certes, on a enregistré un retour mesuré à la croissance et une réduction des déséquilibres internes des économies africaines. Mais ces
économies n'ont pas pu négocier une insertion dynamique dans l'économie internationale. Les exportations africaines restent dominées par les
produits de rente avec une très faible transformation au niveau local et
donc une faible valeur ajoutée. Comme par le passé, les dynamiques de
croissance sont tirées par les secteurs agricoles et miniers. En somme, si
l'effort de stabilisation des économies africaines a permis une réduction
sensible des déséquilibres internes et externes, les réformes de structure
sont loin d'avoir initié un nouveau mode de croissance soutenue et porteuse de développement.
PRÉFACE
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L'Afrique se trouve non seulement confrontée à cette crise économique et
à la nécessité de définir un nouvel agenda pour le développement, mais
elle doit également faire face aux défis de la globalisation et à la libéralisation des échanges que cette dernière impose. Un nouveau contexte historique s'ouvre pour l'Afrique. Pour faire face à ces nouveaux enjeux,
l'Afrique doit réinventer de nouveaux projets de développement prenant en
considération les profondes mutations économiques locales et internationales. Cette réflexion stratégique devrait s'attaquer à toutes les questions
relatives à l'avenir des économies africaines, y compris les questions
monétaires, objet du symposium dont le présent ouvrage rend compte.
L'appui du PNUD à la manifestation organisée par le CODESRIA sur
l'avenir du franc CFA et des monnaies africaines dans un contexte de globalisation s'inscrit dans cette logique d'appui à la réflexion menée sur le
continent afin de définir de nouveaux projets de développement. Cette
réflexion, multiforme comme il se doit, permettra à l'Afrique de réinventer
son avenir et donnera aux populations et aux décideurs les moyens de
comprendre et de forger l'avenir.
C'est dans ce contexte que le PNUD-Afrique, avec d'autres institutions
comme la Commission économique pour l'Afrique et le SISERA, a apporté
au CODESRIA son appui substantif et matériel dans la préparation,
l'organisation et la conduite du symposium africain sur «L'avenir du
franc CFA avec l'instauration de l'euro », qui s'est tenu à Dakar, Sénégal,
du 4 au 6 novembre 1998 et dont la présente publication rend compte des
délibérations et conclusions.
L'intérêt pour le PNUD-Afrique de soutenir cette manifestation découle
de sa détermination à renforcer la réflexion, le dialogue et l'interaction
entre chercheurs et décideurs africains sur l'analyse des principaux problèmes de développement qu'affronte le continent, de façon à faciliter la
formulation et la mise en œuvre de politiques mieux appropriées aux défis
majeurs du moment.
J'ai la conviction que le symposium sur l'avenir de la zone franc CFA, et
sur les problèmes monétaires africains en général, aura permis d'initier
cette synergie chercheurs/décideurs que nous tous appelons de nos vœux.
Introduction
Hakim BEN HAMMOUDA et Moustapha KASSE
Dans son programme de recherche pour la période 1997-200 l, le
CODESRIA a retenu comme thèmes prioritaires les problèmes monétaires et
financiers et, plus précisément, l'avenir de la zone franc. Cet intérêt
s'explique par la perspective de la construction de la monnaie unique et des
questions qu'elle suscite quant à l'avenir de la zone franc.
Ces questions ne sont pas seulement d'ordre monétaire et financier. En
effet, les choix monétaires que les pays africains seront amenés à faire,
auront d'importantes conséquences sur leurs stratégies de développement
ainsi que sur leurs choix politiques et sociaux. Ainsi, au-delà des perspectives de la zone, c'est tout l'avenir politique, économique et social de la
zone et de l'Afrique qui est en jeu.
C'est pour répondre à ces questions que le CODESRIA a décidé d'organiser
un important symposium panafricain sur l'avenir du franc CFA. L'objectif
principal de ce symposium était de créer un cadre de débats entre les économistes africains et les autres chercheurs en sciences sociales sur la question de l'avenir de la zone franc. Ce cadre voulait également favoriser les
échanges entre les économistes, les décideurs politiques ainsi que les
bailleurs de fonds et les différents partenaires de l'Afrique sur cette question.
Le symposium s'est déroulé du 4 au 6 novembre 1998 à Dakar. Il a rassemblé plus de 200 chercheurs et experts africains. Il a également été
appuyé par près d'une quarantaine d'institutions africaines. Tout au long
de ce colloque, et comme le montrent ces contributions, trois grandes préoccupations ont retenu l'attention des participants: le bilan de la zone
franc, le rattachement de la zone franc à l'euro et l'avenir des monnaies
africaines dans un contexte de globalisation.
Bilan de la zone franc
L'histoire de la zone franc a connu deux grandes périodes. La première
correspond à la période coloniale où, au-delà des formes différentes que
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L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
prenaient les rapports monétaires entre la France et ses colonies, la monnaie a joué un rôle important dans le maintien et l'approfondissement des
rapports de domination entre la métropole et ses colonies. Tout d'abord,
ces unions monétaires facilitaient les activités des entreprises de la métropole coloniale qui pouvaient exporter librement les produits manufacturés
français sur les marchés des colonies et importer les produits de rente sur le
marché de la métropole. Par ailleurs, l'existence des ces zones monétaires
facilitait l'exportation de capitaux de la métropole vers les colonies et la
réexportation des profits des entreprises coloniales vers la métropole.
La deuxième période dans l'histoire de la zone commence après les indépendances. En dehors de la Guinée de Sékou Touré qui avait voté « non»
au maintien dans la communauté des États sous influence française,
l'ensemble des anciennes colonies africaines ont décidé de rester au sein
de la communauté française au niveau monétaire. Ces États continuaient à
appartenir à l'espace monétaire rattaché au franc français.
Cependant, la particularité de cette période est que la zone devait également avoir comme objectif le développement économique des pays en
question et la diversification de leurs structures productives. De ce point de
vue, l'arrimage du franc CFA au franc français devait apporter la stabilité
nécessaire à la mise en place des stratégies de développement économique.
Par ailleurs, l'appartenance de plusieurs pays à cet espace économique
devait suppléer l'étroitesse des marchés nationaux.
Quel bilan peut-on faire aujourd'hui de la zone franc? Cette zone a-t-elle
apporté la stabilité que recherchaient les pays membres? L'existence de cet
espace monétaire a-t-elle favorisé les échanges intrarégionaux et la coopération entre les différents pays de la zone? Cet espace a-t-il aidé à la diversification des structures économiques des pays de la région? En définitive,
la zone a-t-elle été un moteur favorisant le développement et la croissance
dans ces économies?
La réponse à ces questions doit être nuancée. En effet, une étude comparative entre les pays de la zone et des pays hors zone, au niveau de leur performance en matière d'inflation de PIB et d'épargne, montre qu'il est
possible de distinguer deux périodes: la première va des années 70 au
milieu des années 80 où on enregistre de meilleures performances économiques dans les pays de la zone que par rapport aux pays non membres de
la zone. La croissance économique est deux fois plus forte dans la zone et
le taux d'inflation est de moitié plus faible. Ce contexte favorable va très
rapidement changer à partir du milieu des années 80 où on assiste, suite à
la crise de la dette et à la chute des cours de matières premières à l' éclatement de la crise dans l'ensemble des pays de la zone. Dans ce cadre, ces
pays ont été amenés à pratiquer des programmes d'ajustement structurel et
d'importantes réformes afin de relancer leur dynamique de croissance.
Cependant, cet ajustement n'a touché que les aspects réels, et les organisations de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) n'ont jamais pu imposer une dévaluation du franc CFA. La France avait soutenu les pays de la
INTRODUCTION
Il
zone franc qui avaient refusé d'envisager un changement de parité du franc
CFA. Or, la position française va changer à partir de 1993 et les pays de la
zone accepteront en janvier 1994 la dévaluation du franc CFA.
Au niveau de l'intégration régionale, l'existence de cette zone monétaire
commune n'a pas favorisé une intensification des échanges commerciaux.
En effet les échanges intrarégionaux se situent en moyenne autour de 9%
entre 1970 et 1993. A ce niveau, les performances de l'Afrique de l'Ouest
(10,6 %) sont meilleures que celles de l'Afrique centrale (6,4 %). Par
ailleurs, cette étude a montré qu'il y a une diminution de la place de la
France dans la région au profit de l'Union européenne qui devient de plus
en plus le principal partenaire économique et financier de la région.
En dépit du nombre important d'études produites sur le bilan de la zone
franc, plusieurs questions persistent.
D'abord, la monnaie est un moyen important qui intervient directement
dans la production. La question est de savoir si le franc CFA a joué un rôle
central dans la production ou s'il n'a été qu'un moyen d'échanges qui a
facilité la circulation des produits de la métropole vers la zone? Ceci implique une attention particulière au rôle et à la place des banques commerciales dans la zone: quelle a été leur part dans le financement des crédits à
long terme destinés à l'investissement productif? Cette part a-t-elle été
plus importante que celle allouée au financement des activités commerciales à court terme?
La monnaie permet de normer les systèmes et les organisations productives. A ce niveau, le système de prix relatifs reflète les productivités sectorielles du travail dans chaque organisation productive. La zone franc a-telle favorisé la mise en place d'un système de prix relatifs qui correspond
à l'état du développement des économies africaines? Ou a-t-elle tout simplement impliqué une extension du système de prix relatifs français à la zone
CFA ce qui pose d'énormes problèmes en matière de structuration de nouveaux secteurs productifs, compétitifs dans ces économies?
Pour un certain nombre d'économistes, la zone franc a permis aux économies africaines d'assurer la stabilité monétaire et une gestion saine des
grands équilibres macroéconomiques. Mais cette stabilité a-t-elle été plus
importante que dans d'autres pays africains qui n'appartiennent pas à la
zone? Certes, un grand nombre de pays africains (Ghana, Nigeria, GuinéeBissau) n'ont pas réussi à gérer leur monnaie de manière rigoureuse entraînant ainsi de grandes tensions inflationnistes et une grande dévalorisation
de leur signe monétaire. Mais d'autres pays africains (Tunisie, Maroc,
Burundi, Botswana, Gambie) ne disposant pas d'importantes ressources
ont pu gérer de manière efficace leur unité monétaire. De ce point de vue,
il est important de connaître l'apport exact de la zone à la stabilité des
monnaies.
La politique monétaire constitue avec la politique budgétaire les fondements de la politique économique au sein d'une économie nationale. Le
dosage entre ces deux politiques permet aux responsables de relancer les
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L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
dynamiques de croissance dans les périodes de récession et de les réduire
lorsque les tensions inflationnistes apparaissent. Dans quelle mesure
l'abandon de la politique monétaire a-t-il ôté aux pays africains les moyens
d'action sur la conjoncture économique pour répondre à leurs besoins? Ou
l'abandon de l'arme monétaire a-t-il été à l'origine d'une gestion plus
rigoureuse de la politique économique dans l'ensemble de ces pays?
La gestion de la monnaie et les taux de change constituent un outil
important dans les stratégies de compétitivité de l'ensemble des pays. Certes, on ne peut pas réduire la compétitivité des économies aux manipulations des taux de change. En effet, les nouvelles théories des relations
internationales défendent des conceptions de la compétitivité qui mettent
l'accent sur les gains de productivité sectorielle, l'éducation et l'investissement dans le capital humain. A ce niveau, une question se pose: dans
quelle mesure l'abandon de l'arme monétaire a-t-il défavorisé la compétitivité des économies de la zone?
L'existence de monnaie commune devrait a priori faciliter les expériences d'intégration régionale. Or, l'intégration dans la zone est restée relativement faible et, au contraire, on a assisté à un approfondissement des
relations verticales entre les pays de la zone et les économies européennes.
Quels ont été les obstacles au développement de l'intégration régionale?
La monnaie commune n'est-elle pas insuffisante pour développer une plus
grande complémentarité entre les économies? L'intégration régionale
n'exige-t-elle pas des stratégies d'investissements productifs communs qui
seront à l'origine du développement des échanges?
La zone franc et le rattachement à l'euro
La question des conséquences du rattachement de la zone franc à l'euro
est une question cruciale. Les contributions dans cet ouvrage considèrent
que le rattachement à la zone euro présente une série d'avantages liés
notamment à la garantie monétaire, à l'obligation de rigueur monétaire
pour les autorités de la zone, à une plus grande crédibilité au niveau international et à l'ouverture d'un marché beaucoup plus important pour les
pays de la région. Cependant, ce rattachement risque de reproduire les
maux de la zone franc dont la domination et la perte d'autonomie des économies africaines ainsi que la fuite de capitaux du fait de leur libre transférabilité. De ce point de vue, le rattachement du franc CFA à la zone euro
exige la définition de la mise en place d'un ensemble cohérent de mesures
capables d'atténuer les contraintes liées à ce choix. Il s'agit d'un ensemble
cohérent de mesures solidaires, destinées à affecter à la fois la demande et
l'offre, afin de réduire le déficit extérieur, accroître la production, contenir
l'inflation, résorber le chômage et, en définitive, restaurer la confiance. Ce
rattachement devrait s'étendre à d'autres monnaies africaines qui viendraient rejoindre la zone euro. Ces choix monétaires doivent s'inscrire
dans une stratégie plus large dont l'objectif est l'amélioration des avantages comparatifs des pays africains.
INTRODUCTION
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Mais ce rattachement laisse néanmoins apparaître une série de questions.
Le rattachement du CFA à une monnaie forte ne risque-t-il pas de détériorer encore plus la compétitivité des économies africaines? Le déficit
commercial des pays africains ne pourrait-il pas s'approfoQdir entraînant
de nouvelles dévaluations du franc CFA?
L'Europe ne sera-t-elle pas amenée à imposer à terme une dévaluation du
franc CFA comme condition à la poursuite de son rattachement à l'euro?
Cette dévaluation serait-elle uniforme pour tous les pays de la zone ou différenciée compte tenu des performances économiques des économies des
pays africains?
L'Europe exigera-t-elle des pays africains de respecter les critères de stabilité du traité de Maastricht et notamment la réduction des déficits publics
à 3% du PIB?
Mais, au-delà des questions monétaires, quel avenir au développement
en Afrique suite à ce rattachement? Les économies de la zone sauront-elles
profiter de l'ouverture d'un plus large marché? Ce rattachement permettrait-il aux pays africains de dépasser leur insertion rentière dans l' économie internationale? Quelles sont les conséquences de ce rattachement sur
l'avenir des relations entre les pays européens et les pays ACP?
Monnaies africaines et globalisation
Il faut souligner que les monnaies africaines sont confrontées aux mêmes
questions que le franc CFA. Ces monnaies se trouvent aujourd'hui à la
croisée des chemins. En effet, dans un contexte de mondialisation et de
globalisation financières, il est urgent de poser la question de l'avenir des
monnaies africaines. Faut-il privilégier un ancrage à une monnaie forte,
comme le franc CFA, afin d'assurer la stabilité et ouvrir un marché plus
large aux entreprises nationales? Ou, au contraire, faut-il opter pour une
gestion prudente et pragmatique avec un flottement contrôlé du taux de
change des monnaies nationales? Ces politiques nationales pourront-elles
résister à la mondialisation des économies? Ce choix ne nécessiterait-il
pas la construction de zones monétaires régionales afin de répondre à la
globalisation et aux mouvements spéculatifs de capitaux? Cette coopération pourrait-elle se limiter au domaine monétaire et n'exigerait-elle pas la
définition de stratégies de développement communes? En définitive,
l'approfondissement de l'intégration régionale n'est-il pas la réponse
appropriée à la globalisation financière?
En définitive, ces contributions pennettent de mettre de nouveau l'accent
sur l'importance des questions monétaires et financières pour l'avenir du
développement en Afrique. Elles invitent à la poursuite de cette réflexion et
à l'approfondissement des questions théoriques et empiriques. Par ailleurs,
en dépit de la diversité des arrangements institutionnels et des politiques
monétaires, les monnaies africaines sont confrontées aux mêmes défis
dans un contexte de globalisation. De ce point de vue, cette réflexion sur
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L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
l'avenir du franc CFA avec l'instauration de l'euro doit être élargie aux
autres expériences monétaires africaines. Cette réflexion doit, enfin, pendre en considération le contexte intellectuel et théorique nouveau créé par
la crise des programmes d'ajustement et s'inscrire dans les efforts et les
tentatives de renouvellement des pratiques et des théories du développement de l'après-ajustement.
PREMIÈRE PARTIE
LA ZONE FRANC : ÉLÉMENTS POUR UN BILAN
1
La zone franc: essai de bilan économitlue et
institutionnel
Par Tchétché N'GUESSAN
L'avènement de l'euro exige que les pays y participant et, indirectement,
leurs partenaires se soumettent à de nouvelles règles de gestion monétaire
et économique. C'est selon cette exigence que le franc, qui est une monnaie commune à tous les pays de la zone franc, va disparaître, et que la
Banque de France va devenir un élément des onze agences nationales de la
nouvelle Banque centrale européenne désormais responsable de la politique monétaire qui sera mise en œuvre en France. Certes, des assurances
ont été données. Ainsi les francs CFA seront rattachés à l'euro et les comptes d'opérations demeureront au Trésor français. Mais l'ampleur des bouleversements à venir est telle qu'il ne faut pas exclure totalement que
naisse demain le besoin de réformer ce qui restera de la zone franc, dans
l'intérêt de tous les États qui en sont membres. Or, pour être efficace, une
telle réforme doit s'appuyer sur les éléments fondamentaux de l'actif et du
passif des performances économiques et institutionnelles des pays africains de la zone franc.
La zone franc est composée aujourd'hui de la France et de quinze pays
africains. A l'exception de la République islamique des Comores, les quatorze autres pays sont organisés en deux groupes distincts. Le premier
groupe est constitué des membres de l'Union économique et monétaire de
l'Ouest africain (UEMOA), c'est-à-dire le Bénin, le Burkina Faso, la Cote
d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Le
second groupe se compose, lui, des membres de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC): le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée-Équatoriale et le Tchad 1•
1. Voir en annexe 1 les principaux indicateurs économiques des pays africains de la
zone franc.
18
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
L'objectif de cette contribution est donc de fournir des éléments de bilan
économique et institutionnel de la zone franc. L'atteinte de cet objectif privilégie la combinaison de deux approches. D'abord, nous comparons à
partir de données secondaires les indicateurs économiques des pays africains de la zone franc (PAZF) à ceux des pays hors zone franc. Ensuite,
nous analysons le comportement des pays membres vis-à-vis du respect
effectif des engagements pris dans le cadre de la zone franc. Enfin, pour
tirer l'essentiel des enseignements de cette expérience, nous avons retracé
la genèse de cette zone monétaire.
La nécessité de s'appuyer sur les circonstances de sa naissance pour élaborer le bilan critique de la zone franc s'explique par la mutation qu'elle a
connue avec l'indépendance. Elle était un instrument de mise en œuvre du
pacte colonial dont le but était d'assurer une organisation et une gestion de
la domination rationnelle des colonies françaises. Aujourd'hui, elle est
devenue l'instrument de conclusion et de réalisation du pacte postcolonial
qui sous-tend le développement des États africains membres de la zone,
avec l'appui de la France.
Étant donné que deux objectifs opposés ne peuvent être atteints avec les
mêmes instruments ou en les utilisant de la même manière, nous chercherons à savoir si, dans la pratique, la zone franc du pacte colonial est différente de la zone franc du pacte postcolonial. Les réponses à ces questions
seront mises en rapport avec les performances macroéconomiques et institutionnelles des PAZF.
Cette contribution est organisée autour de deux sections. La première
porte sur la zone franc dans le pacte colonial et la seconde section traite le
même phénomène dans la période postcoloniale mais cette analyse inclut,
en plus, des éléments de bilan économique et institutionnel.
La zone franc dans le pacte colonial
La zone franc reste encore fortement marquée par les fondements des
instruments utilisés durant la colonisation. Ces derniers aident à mieux
comprendre le fonctionnement actuel de la zone franc et, en conséquence,
à évaluer les performances des pays africains qui en sont membres.
La genèse de la zone franc
Le fondement originel de la zone franc reste le pacte colonial. Celui-ci a
été souvent présenté comme un mécanisme exclusivement commercial. En
fait, il comprenait également une dimension monétaire qui a sou'vent été
perdue de vue.
La dimension commerciale du pacte colonial reposait sur cinq principes:
1. les produits des colonies ne pouvaient être transportés que sur le marché
métropolitain;
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
19
2. la navigation, d'une part entre les colonies et la métropole et vice
versa, et d'autre part de colonie à colonie, était réservée à la marine
française;
3. le marché colonial était fermé aux produits étrangers. Seule la production métropolitaine pouvait alimenter le marché des colonies, sauf dans le
cas de certaines exceptions prédéterminées;
4. les produits coloniaux avaient un privilège ou un traitement de faveur
sur le marché métropolitain; des droits protecteurs garantissaient un
débouché certain à la production des colonies;
5. les produits coloniaux ne pouvaient être manufacturés dans les colonies
mais exclusivement sur le territoire métropolitain (Neurrisse, 1987: 50).
La rationalité du pacte colonial résidait dans le fait que les colonies françaises étant pauvres en métaux précieux, le choix avait été fait d'encourager
la création de produits manufacturés en métropole et d'interdire leur fabrication dans les colonies. Ces dernières devaient se contenter uniquement de
fournir des matières premières. Le pacte colonial réunissait ainsi les conditions suffisantes pour assurer à la métropole un solde positif de son commerce extérieur. Et les moyens ainsi dégagés lui permettaient, en retour,
d'acheter les métaux précieux que les colonies ne lui fournissaient pas.
Quant à la dimension monétaire, elle reposait, au départ, sur le principe
de la séparation: la monnaie française ne devait pas circuler dans les colonies, tout comme celles coloniales ne pouvaient pas être utilisées en
France. Cette interdiction s'inspirait du bullionisme qui considérait
l'exportation de monnaies métalliques dans les colonies comme un appauvrissement de la France.
Le système des monnaies coloniales procédait du même état d'esprit que
celui ayant instauré les mécanismes commerciaux du pacte colonial: « la
colonie devait être un moyen d'enrichir la métropole, ainsi qu'un atout
pour lui donner poids et prestige dans le concert des pays les plus forts»
(Neurrisse, 1987: 49).
Dans ses Principes d'économie politique, John Stuart Mill (1948) soutient que« la fondation d'une colonie est la meilleure affaire où l'on puisse
engager les capitaux d'une nation vieille et riche ». Mais A. Neurrisse fait
remarquer pertinemment que le système colonial ne pouvait être une
« affaire », au sens où l'entendait J.S. Mill que s'il était organisé au profit
de la puissance colonisatrice et au détriment du pays colonisé... » (JohnStuart Mill, 1948.)
L'influence de cet état d'esprit sur l'évolution du système des monnaies
coloniales et la création de la zone franc peut être historiquement retracée.
Car selon les exigences du temps, le système des monnaies coloniales a
pris diverses formes. Au XVIIIe siècle il demeurait toujours au service du
développement économique de la métropole, qui privilégiait, le principe de
la séparation monétaire qui servait le mieux ses intérêts. Le XIXe siècle sera
marqué par le principe de l'unification monétaire. En 1803 la création du
franc sera suivie de l'interdiction d'utiliser de l'argent colonial en
20
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
métropole; la loi du 8 août 1920 donnera cours forcé au franc dans toutes
les colonies. Le principe de l'unification monétaire est renforcé à la suite
de la crise de 1929. En 1934, l'idée de la création d'un bloc économique
franco-colonial est exprimée avec insistance par le ministre français des
Colonies, Albert Sarraut. Selon lui, la naissance d'un tel bloc était rendue
nécessaire par les conséquences de la crise de 1929. Son argument, notamment, portait sur «la persistance de l'anarchie économique mondiale,
l'échec de toute tentative faite pour conserver le libre-échange, l'échec de
l'organisation de l'Union européenne... » (Marseille, 1989.) Pour faire
face à l'épreuve de la crise, le ministre français soutenait que l'Angleterre
avait réussi à créer une solidarité économique entre elle et ses dominions,
et que la France devait en faire autant, puisque la situation économique de
la métropole et celle des colonies étaient devenues désastreuses (Godeau,
1995). Ce plaidoyer convainquit et la zone franc fut finalement créée par
les décrets du 28 août, du 1er et du 9 septembre 1939, établissant un espace
économique à l'intérieur duquel les monnaies sont convertibles et bénéficient des règles de protection commune.
A l'issue de la seconde guerre mondiale, le principe de l'unification
s'avère inadapté aux intérêts de la métropole. En effet, durant l'occupation
de la France, l'Afrique était ralliée à de Gaulle et au Comité national français. Cette alliance avait entraîné une réduction du flux du commerce entre
les colonies africaines et la métropole. L'occupation elle-même avait
amené les colonies africaines à diversifier leurs partenaires commerciaux.
Enfin, les prix avaient évolué différemment selon les colonies et en métropole. Tous ces développements ont eu pour conséquence l'abandon du
principe de l'unification au profit d'un système comportant plusieurs monnaies. R. Godeau (1995: 35) précise à ce sujet qu'« en 1939, avant que
n'entre en vigueur le contrôle des changes instauré par le décret du
9 septembre, 64 % des importations de l'AOF provenaient de la France (et
45 % pour l' AEF) qui absorbait de son côté 85 % de ses exportations (74%
pour l'AEF). Au lendemain de la guerre, en 1945, ces chiffres passent respectivement à 23 % (4 %) et 56 % (47 %) ». S'agissant des prix, en 1944, les
territoires qui étaient ralliés à Londres avaient une hausse comprise entre
2,5 et 3 % par rapport à 1939 (Muzereau, 1948), alors que dans les autres
territoires, la hausse était comprise entre 3,5 et 4,7%.
C'est dans ce contexte et dans le cadre des accords de Bretton Woods qui
visaient à en finir avec le désordre monétaire international que la France
s'est vue contrainte de dévaluer sa monnaie unique qui était d'usage en
métropole et dans les colonies. La métropole saisit cette opportunité pour
se donner les moyens d'inverser les courants d'échange en sa faveur. Elle
fit éclater, en 1945, la zone franc en trois sous-zones: le franc métropolitain, le franc du Pacifique et le franc des Colonies françaises d'Afrique
(franc CFA). Ces trois sous-ensembles composent cependant «l'union
française»; la zone franc reste par conséquent un système monétaire de
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
21
l'empire français. Toutefois, cette organisation n'avait pas pris en compte
l'aspiration à l'émancipation des peuples, suscitée par la victoire des alliés.
La constitution adoptée lors du référendum du 28 septembre 1958 tente
de corriger ce décalage. Tirant les enseignements de l'évolution des mentalités, la métropole substitue à l'Union française la communauté française. Au sein de celle-ci, il est proposé aux colonies de choisir entre trois
statuts: devenir des départements, devenir autonome à l'intérieur de la
communauté ou garder le statu quo.
Mais cette réforme ne se reflétera jamais dans le domaine de la gestion de
la monnaie. De fait, en dehors de la Guinée de Sékou Touré qui a rejeté le
référendum, les colonies africaines, qui avaient fait le choix de demeurer
des «républiques» au sein de la communauté, expérimentèrent le statu
quo en matière monétaire. Sur ce dernier point, l'article 77 de la constitution de la Communauté est précis: la monnaie relève de compétence commune. Cela étant, la zone franc reste pratiquement la même dans le cadre de
la Communauté française autant que dans celle de « l'union ». La métropole ne pouvait pas mieux montrer, par cette politique, à quel point elle
tenait à la monnaie comme instrument de sa politique de développement.
La lecture des acteurs de la zone franc durant la période coloniale et des
moyens qu'ils utilisaient pour son fonctionnement est éloquente à ce sujet.
Cependant, le fait d'avoir souligné qu'à l'origine la zone franc reposait sur
le pacte colonial peut prêter à confusion quant à la participation des colonies aux décisions qui étaient prises en matière monétaire, depuis le début
de la colonisation jusqu'aux indépendances politiques. A cet égard, il faut
préciser qu'en réalité le pacte colonial n'était pas un pacte au sens strict de
partenariat car seule la métropole décidait des différentes mesures monétaires. L'autre acteur qui peut être retenu à côté des autorités de la métropole, à partir de 1944, est le Fonds monétaire international. Comme le
souligne A. Neurrisse (1987: 94) «bien qu'il n'en est pas fait mention, les
décisions ont été prises en accord avec le Fonds monétaire inter-national;
la loi portant approbation de l'adhésion à l'institution monétaire internationale a été publiée postérieurement à la dévaluation: il s'agit de la loi
numéro 45-01 38 du 28 décembre 1945. Le Fonds a homologué ce même
jour, 28 décembre, la dévaluation du franc, avec la création des francs CFP
et CFA ».
La politique de change constitue un des moyens qui ont joué un rôle fondamental dans l'adaptation de la zone franc aux préoccupations de la
métropole dans le temps, elle se positionne au premier plan. D'abord,
lorsqu'il s'est agi de se protéger des conséquences de la crise de 1929, la
France a institué le contrôle de change pour aboutir, à la création de la zone
franc. Ensuite, quand, au sortir de la deuxième guerre mondiale, elle a
voulu reconquérir sa position commerciale d'avant-guerre dans les colonies, elle a eu recours à une dévaluation différenciée du franc le 26 décembre 1945. C'est par ce moyen que la zone franc a été éclatée en trois souszones ci-avant évoquées.
22
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
S'agissant des colonies africaines, le franc qui y circulait et qui a été
défini comme le franc des colonies françaises d'Afrique (CFA) a subi une
dévaluation inférieure à celle du franc utilisé en métropole. En effet, par
rapport au dollar, la dévaluation du franc des colonies n'était que de
40,1 %, alors que celle du franc métropolitain était de 138 %. Ce choix de la
part de la métropole « a provoqué un resserrement des relations économiques entre les membres de la zone franc, notamment au niveau des échanges, avec la constitution d'une zone commerciale préférentielle. La
centralisation en vigueur dans la zone franc a permis, en quelques années,
de renforcer l'emprise de la métropole sur ces colonies, principalement par
la reconstitution des marchés protégés et le rétablissement des surprix »
(Sandretto et al. 1994: 35). D'autres auteurs ajoutent que « la restauration
d'un contrôle métropolitain sur les activités commerciales et productives
outre-mer s'est traduite par des rapports de domination ayant des incidences sur le mode de développement des territoires» (Moussa, 1957: 106).
Le compte d'opérations a été un autre moyen fondamental que la France
a utilisé pour le fonctionnement de la zone franc durant la période coloniale. Selon M. Leduc (1961), ce compte était utilisé avant la création de la
zone franc pour assurer la convertibilité en franc métropolitain des francs
des banques coloniales privilégiées. Le système a été généralisé après
1945 pour assurer la pérennité, la convertibilité des monnaies membres de
cette zone qui constitue la principale caractéristique de la zone franc. Dès
lors, une question surgit: pourquoi la métropole a-t-elle accordé le privilège de l'émission monétaire aux colonies?
La genèse des instituts d'émission des PAZF
Les conséquences de l'abolition de l'esclavage sont à l'origine de la
création des instituts d'émission de la zone franc. En effet, lorsqu'en 1848,
le salariat s'est substitué au servage, les colons devaient désormais rémunérer la main-d'œuvre. Celle-ci se faisait rare. Dans le même temps, la
demande de produits exotiques en métropole devenait forte avec l' industrialisation et ses effets induits sur les colonies. Avec tous ces facteurs les
colons devaient obtenir davantage de moyens financiers pour la poursuite
de leurs activités à la suite de l'abolition de l'esclavage.
C'est essentiellement pour résoudre ce problème que la métropole a
accordé le privilège d'émission dans les colonies à certaines banques privées françaises. Au nombre de celles-ci, figure la Banque du Sénégal,
créée par la loi du 21 décembre 1853. Son directeur est élu par son conseil
d'administration, il est révocable et peut être suspendu par le gouvernement. Le conseil d'administration comprend 3 actionnaires élus par
l'assemblée générale des actionnaires, le trésorier général de la colonie et
deux censeurs: un élu par l'assemblée générale, l'autre nommé par le
ministre.
Comme toutes les autres banques d'émission. la Banque du Sénégal
assurait le double rôle d'institut d'émission et de crédit. Le rôle de cette
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
23
banque était cependant limité. Elle n'octroyait pas de prêts sur les récoltes
pendantes. Elle subissait la concurrence des banques métropolitaines.
L'action de son conseil d'administration était biaisée par les groupes
d'intérêt qui le dominaient. Au total, la Banque du Sénégal était dotée d'un
statut privé, mais l'État français y avait des prérogatives: il nommait le
directeur, désigné par le conseil d'administration, et un censeur au plan
local pour le contrôle des opérations et la gestion. Malgré toutes ces prérogatives, l'influence de l'État était indirecte.
La métropole a donc entrepris une série de réformes avec comme objectif
de contrôler entièrement l'émission dans les colonies. C'est ainsi que lorsque les limites de la banque du Sénégal se sont accentuées avec l'extension
du domaine colonial, la métropole l'a transformée et a créé la Banque de
l'Afrique de l'Ouest (BAO) par décret du 29 juin 1901. A la différence de
la Banque du Sénégal qui avait son siège au Sénégal, la Banque de l'Afrique de l'Ouest a vu son siège transféré à Paris, plus près des centres de
décision politiques. La BAO est mieux préparée à accorder des crédits
commerciaux pour des produits locaux que la Banque du Sénégal et, à partir de 1904, elle prend des participations dans la constitution des sociétés.
Le champ d'opérations de la BAO, qui a débuté au Sénégal, couvrait toute
la côte occidentale et l'intérieur de l'Afrique.
En dépit de ces nouvelles prérogatives, les efforts de la BAO en faveur du
développement ont été insuffisants. Elle se contentait surtout de faire de
l'escompte et des opérations de change. A. Neurisse (1987: 77) souligne
que c'était plus un bureau de change qu'un établissement financier. Tout
comme la Banque du Sénégal, la BAO était au départ, elle aussi, une structure privée. Mais elle a été transformée par la suite en société mixte. Il
apparaît donc ici aussi que le contrôle de l'émission par l'État n'était que
partiel. La BAO, tout comme la Banque du Sénégal, était gérée surtout
sous l'influence d'intérêts privés, laquelle ne permettait pas toujours à ces
banques de remplir le rôle d'institut d'émission avec toute l'efficacité
attendue (Bloch-Laine et al. 1956: 58).
La politique d'émission va donc changer avec le mouvement de libération de la France. En effet, au moment où les Allemands mettaient en place
leur système financier en métropole, le Comité français de la libération
nationale créa la Caisse centrale de la France libre (CCFL) le 2 décembre
1941. La CCFL était chargée essentiellement de gérer les offices coloniaux
placés sous l'autorité du gouverneur. Elle deviendra la Caisse centrale de la
France d'outre-mer (CCFOM), qui était plus un organisme de trésorerie et
de contrôle de change qu'un institut d'émission. Cependant, la BAO, qui
de fait a tenu le rôle d'institut d'émission jusqu'au 30 septembre 1955, ne
pouvait pas refuser la monnaie locale à la CCFOM ayant ainsi un droit
d'émission indirect.
En dépit de cette innovation, l'État n'avait pas la maîtrise de l'émission
monétaire. Il y avait une disproportion entre les moyens dont disposaient les
succursales et les filiales des banques métropolitaines installées sur les ter-
24
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
ritoires d'outre-mer et ceux de la BAO, car les premières étaient alimentées
par leurs maisons mères. Cette concurrence, ajoutée au fait que la politique
de la BAO était biaisée par des intérêts privés, a conduit les pouvoirs publics
à retirer le privilège d'émission à la BAO pour le confier à deux instituts
d'émission qui étaient cette fois des établissements publics, que sont: l'institut d'émission de l'AOF-Togo et l'institut d'émission de l'AEF du Cameroun. En 1959, les instituts seront respectivement rebaptisés en 1959
Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et Banque centrale de l'Afrique équatoriale et du Cameroun (BCEAEC). Celle-ci prendra
le nom de Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC).
Cependant, les deux instituts d'émission avaient des caractéristiques
communes: les statuts, les attributions, la convertibilité des francs CFA
(Gerardin 1989: 75). Les statuts indiquent, pour l'essentiel, que les instituts sont des établissements publics, qui avaient leurs sièges à Paris. Un
tiers des membres du conseil d'administration de chaque institut d'émission étaient des représentants des territoires sur lesquels s'exerçait le privilège d'émission. Les billets émis par chaque institut n'avaient cours légal
que dans sa zone d'émission. En plus de l'émission, les deux principales
activités de ces instituts consistaient, d'une part, à réescompter des effets à
court terme et à consentir des crédits aux banques pour une période inférieure à six mois et, d'autre part, elles effectuaient des transferts entre la
métropole et les territoires d'outre-mer.
La convertibilité des francs CFA était assurée ici encore à partir de deux
comptes d'opérations ouverts auprès du trésor français. « En effet, aux termes des conventions portant création d'un compte d'opérations entre le
trésor et un institut d'émission d'outre-mer, un compte courant est ouvert
au nom de l'institut à l'agence comptable centrale du trésor. Ce compte est
crédité de tous les paiements et débité de tous les recouvrements effectués
dans le territoire par l'institut pour le compte du trésor... »(Bloch-Laine et
al. 1956: 365.) Les auteurs ajoutent que «l'objet d'une convention de
compte d'opérations est d'assurer au Trésor et à la banque d'émission
l'avance permanente, illimitée et réciproque de leurs besoins de change,
d'obliger la banque à reverser au trésor ses excédents de change métropolitains, de l'inciter, par le jeu d'un intérêt progressif à sa charge, en cas de
position débitrice du compte, à prendre toutes les mesures susceptibles de
limiter le déséquilibre de la balance des comptes du territoire» (BlochLaine et al. 1956).
Au total, les moyens utilisés pour le fonctionnement de la zone franc
durant la période coloniale ont été affinés dans le cadre de la Communauté
française. Les règles de fonctionnement sont précisées dans les décisions
du président de la Communauté en date du 12 juin 1959. Rappelons les
décisions relatives aux questions monétaires:
1. une parité fixe entre le franc qui est considéré comme une monnaie
commune et les monnaies des États membres de la communauté dont les
francs CFA;
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
25
2. une liberté illimitée de transfert des capitaux entre les États membres;
3. une mise en commun de toutes les ressources en devises, gérées par le
ministre chargé de la monnaie et de la politique économique et financière
commune;
4. les réglementations douanières et les changes doivent être communs
aux États de la communauté (Neurrisse, 1987: 115).
La mise en commun des devises a pris également une fonne nouvelle
avec la« Communauté française ». Dans le cadre de l'Union française, le
système qui prévalait exigeait que toutes les devises étrangères de la
métropole et des territoires d'outre-mer détenues par des agents économiques privés et publics fussent mises en pool, mais leur mode d'utilisation
reposait sur le principe des besoins et non sur celui de l'apport. Autrement
dit, les tirages ne se faisaient pas en fonction des apports de la métropole et
de celui de chaque territoire d'outre-mer, mais selon leurs besoins (Neurrisse, 1987). Un tel mécanisme n'était pas incitatif pour les territoires
d'outre-mer. Les réfonnes réalisées en vue de la Communauté ont tenu
compte du caractère non incitatif du mécanisme de mise en commun des
devises de l'Union française. Elles ont démontré que l'utilisation des devises dans la Communauté française se faisait plutôt en fonction de l'apport
des membres. Au niveau des instituts d'émission la métropole était parvenue à s'imposer sur le secteur privé car elle en nommait les directeurs et les
censeurs.
Le pacte postcolonial et la zone franc
Nous désignons par pacte postcolonial les accords monétaires francoafricains signés au début des années 60 et révisés au début des années 70
(voir annexes 5 et 6). Les objectifs et les moyens de fonctionnement de ce
nouveau pacte ont également évolué par rapport à ceux coloniaux. Ils incitent à analyser aussi les perfonnances économiques et institutionnelles que
les pays africains de la zone franc ont enregistrées dans le nouveau cadre
de coopération arrêté après les indépendances politiques.
Les objectifs et les moyens de fonctionnement actuels de la zone franc
Si à l'origine, la zone franc était régie selon les principes du pacte colonial qui visait uniquement le développement de la France au détriment des
colonies, il est annoncé que la zone franc postcoloniale a, elle, pour objet
d'assurer conjointement le développement de la France et celui des pays
africains membres. Cet objectif était déjà exprimé par la France et consigné dans la recommandation finale de la conférence de Brazzaville en
1944: « Le but de notre politique économique coloniale doit être le développement du potentiel de production et l'enrichissement des territoires
26
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
d'outre-mer, en vue d'assurer aux Africains une vie meilleure par l'augmentation de leur pouvoir d'achat et l'élévation de leur standard de vie»
notent J. G Merigot et P. Coulbois (1950: 294).
Avec l'indépendance, la zone franc entend renoncer au pacte colonial
pour lui substituer un pacte postcolonial. Dans cette perspective, il serait
intéressant d'analyser en quoi les acteurs et les moyens utilisés dans le
cadre de la zone franc aujourd'hui sont différents de ceux de la période
coloniale.
Contrairement à la période coloniale, les États africains comptent désormais au nombre des acteurs à côté de la France et des institutions comme le
FMI. Ceci étant, la zone franc postcoloniale commence avec de nouvelles
institutions entre 1960 et 1963: la signature d'accords bilatéraux, la constitution de l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA) et la signature d'un
accord de coopération de cette institution avec la France donnent de nouvelles bases à la zone franc (annexes 5 et 6).
En dépit de cette nouvelle donne, les moyens institutionnels qui sont utilisés dans le cadre de la zone franc aujourd'hui sont les mêmes que ceux
utilisés durant la période coloniale à quelques réserves près: la fixité des
parités, les comptes d'opérations, la mise en commun des réserves extérieures, le libre transfert des capitaux, les garanties des francs CFA, la limitation des avances aux trésors nationaux, la règle sur les avoirs extérieurs,
l'harmonisation des réglementations des changes, les instituts d'émission
postcoloniaux.
Sur le mode d'organisation de ces instituts d'émission, la principale
question concerne les relations que ces deux banques centrales entretiennent entre elles. La BCEAO et la BEAC sont dépendantes de droit, des
hommes politiques. La dépendance de la BCEAO s'exprime par le mode
de désignation de son gouverneur, qui est nommé par le Conseil des ministres pour une période de six ans. Cette dépendance est accentuée par le fait
que depuis 1982 le mandat du gouverneur est renouvelable. Ce dernier est
assisté d'un conseil d'administration dont les membres sont nommés par
les gouvernements des États qui participent à la gestion de la banque. A
l'exception de la France qui désigne un seul administrateur depuis la
réforme de 1973, les États africains en désignent deux chacun. Toutefois,
les statuts de la BCEAO ne disent rien sur la révocabilité du gouverneur.
Par contre, la dépendance de la BEAC apparaît également à travers le
mode de désignation de son gouverneur qui est nommé par le conseil
d'administration à l'unanimité sur proposition du gouvernement gabonais
tandis que les membres du conseil d'administration sont désignés par les
États africains et par la France pour une durée de trois ans renouvelable.
Tous les États participant au conseil d'administration ont un droit de veto
dans la désignation du gouverneur dont le mandat est de cinq ans renouvelable. Les statuts de la BEAC sont explicites sur le fait que le gouverneur
est révocable. Cette disposition est de nature à rendre le gouverneur fragile
vis-à-vis des hommes politiques (N'Guessan, 1996). A la différence de la
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
27
BCEAü, la BEAC possède des censeurs, désignés par le Cameroun, le
Gabon et la France.
Les deux instituts d'émission sont certes dépendants de droit, mais de
fait ils jouissent d'une relative autonomie à cause de leur caractère multinational et du renoncement des États à certaines de leurs prérogatives. De
plus, les gouverneurs et leurs collaborateurs sont mieux informés sur leurs
activités que leurs tutelles (N'Guessan, 1979-;1991).
Ce mode d'organisation des banques centrales a déteint sur la nature de
leurs politiques monétaires. Les politiques monétaires originelles de la
BCEAü et de la BEAC ont été marquées par l'inertie sur une longue
période. Par exemple de 1962 à 1973, le taux de réescompte a été fixé à
3,5 % et le taux de change du franc français par rapport au franc CFA est
resté le même de 1948 à 1994. Cette politique monétaire originelle des prix
montre que les dirigeants de ces deux instituts d'émission s'appuient
davantage sur des instruments d'action directe pour agir sur la masse
monétaire. Ils recourent notamment à la politique des plafonds de réescompte et à la politique des concours globaux, à la politique d'orientation
sectorielle du financement.
Les politiques monétaires de ces deux instituts d'émission ont été l'objet
de plusieurs réformes. La réforme significative de la BCEAü est la plus
récente, elle porte sur la politique des prix, la politique d'intervention
directe et la politique de contrôle qualitatif du crédit. La reforme de la politique des prix a consisté à supprimer le taux de réescompte préférentiel
parce que les crédits octroyés à ce taux pour des secteurs prioritaires
étaient détournés au bénéfice d'autres secteurs. Le marché monétaire qui a
connu un début de fonctionnement en 1975 a été innové. Désormais, le
taux d'intérêt du marché joue un rôle central dans la régulation du marché.
Depuis octobre 1993, la BCEAü a également libéralisé les conditions des
banques secondaires. La politique d'intervention directe a aussi connu des
réformes. Celle des concours globaux -a été affinée. Désormais, dans la
détermination de ces concours globaux, le niveau prévu pour les concours
des campagnes agricoles n'est plus indicatif mais absolu. En 1993 la politique des réserves obligatoires a été instituée, tandis que la réforme de la
politique du contrôle qualitatif du crédit a consisté à substituer aux autorisations préalables conduisant à une lourdeur administrative, l'accord de
classement qui est une procédure de contrôle a posteriori du crédit.
Quant aux réformes de la BEAC, le taux de réescompte de faveur a été
supprimé en 1990. Elle a utilisé pendant longtemps l'instrument des plafonds de réescompte en politique d'intervention directe, qu'elle a remplacé
par la méthode de programmation monétaire. Depuis 1994, la BEAC a institué un marché monétaire et le montant de refinancement maximum n'est
plus absolu mais indicatif.
De ce qui précède, il ressort que les règles de fonctionnement de la zone
franc originelles qui étaient inspirées par les principes du pacte colonial
ont fortement marqué le mode de fonctionnement actuel de la zone franc.
28
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Cependant, dans le cadre de la zone franc postcoloniale, les États africains
sont devenus des acteurs au même titre que la France. Ils sont donc responsables des performances et des contre-performances des politiques monétaires conduites depuis les indépendances politiques.
Les performances des pays africains de la zone franc
Dans l'analyse des performances il est souvent difficile d'isoler l'impact
d'un facteur sur un indicateur économique lorsque celui-ci est le résultat de
l'influence de plusieurs facteurs. Mais l'organisation monétaire étant un
des traits distinctifs des pays africains de la zone franc, la comparaison des
performances économiques avec celles des pays qui n'appartiennent pas à
une zone monétaire est possible. Ainsi, l'analyse commence par discuter
des éléments de performances économiques, ensuite, elle traitera des éléments de performances institutionnelles.
• Les performances économiques
L'analyse comparée des performances économiques des PAZF et hors
zone franc 2 porte sur trois indicateurs: l'inflation, le PIB en terme réel,
l'épargne nationale en pourcentage du PIB: ces éléments sont représentés
sur les graphiques suivants.
Les graphiques révèlent que sur la période 1970-1995, les PAZF enregistrent de meilleures performances par rapport aux autres pays africains dont
les monnaies ne sont pas rattachées à une monnaie centre. Cependant, ces
performances sont nuancées selon la période d'analyse considérée. Pour la
période 1975-1985, on remarque que les termes de l'échange se sont améliorés pour les pays de la zone franc alors qu'ils se sont détériorés pour les
pays hors zone franc. Dans ce contexte, les PAZF ont enregistré une croissance économique deux fois plus forte que celle des pays hors zone franc et
le taux d'inflation est de moitié plus faible dans les PAZF par rapport aux
pays hors zone franc. Le taux de l'épargne représente en moyenne 15 % du
PIB dans les PAZF alors qu'il ne représente que 10% du PIB dans le
second groupe.
De 1985 à 1993, les performances économiques des PAZF sont moins
bonnes à cause de la surévaluation du franc CFA due en partie à la baisse
du dollar par rapport au franc français. Il s'y ajoute les termes de l'échange
qui deviennent défavorables pour les PAZF. A partir de 1985, on observe
une stagnation du produit intérieur brut. Il baisse en 1992 et 1993 avant de
2. Les éléments de perfonnance de la zone franc qui vont suivre sont empruntés à une
étude de A. Hoffmaister et al. (1998). Celle-ci est menée à partir d'un échantillon de
23 pays décomposés en deux groupes. Le premier groupe est celui des pays africains de la
zone franc, notamment le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, la Côte d'Ivoire, le Mali,
le Niger, le Sénégal et le Togo. Le deuxième groupe de pays se caractérise par le fait que
leur monnaie n'est pas rattachée à celle d'un pays centre. Ce sont le Botswana, le Burundi,
l'Éthiopie, la Gambie, le Ghana, le Lesotho, le Liberia, Madagascar, la Mauritanie, le
Mozambique, le Rwanda, la Sierra Leone, le Swaziland, la Tanzanie et l'Ouganda.
29
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
croître à partir de 1994 à la suite de la dévaluation. Les pays hors zone
franc ont connu un taux de croissance de leur PIB estimé à 2,30%. Ils connaissent également des contre-performances en matière de taux d'épargne
qui chute également à partir de 1985 à cause des déséquilibres internes liés
à l'accroissement des dépenses publiques et à l'effet d'éviction.
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L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Les PAZF ont également un niveau d'endettement plus important que
celui des pays hors zone franc. Entre 1986 et 1993, le pourcentage de la
dette extérieure sur le PIB des pays hors zone franc a été de 57, celui des
PAZF s'est élevé à 73 (Semedo et Villieu, 1987: 23). Ce niveau d'endettement s'explique en partie par la règle de la limitation des avances aux Trésors nationaux.
A partir de 1994, les indicateurs économiques des PAZF redeviennent
meilleurs que ceux des pays hors zone franc. Le principal enseignement à
tirer à ce stade est que le régime de change adopté par les PAZF joue un rôle
déterminant pour leurs performances économiques (Shantayanan, 1996).
D. Stasavage (1996) a aussi mené une analyse comparée de même nature
que celle de Hoffmaister et al. (1998), mais elle concerne la stabilisation
budgétaire. L'auteur s'est intéressé à la période 1980-1993. Il en ressort
que la moyenne des déficits budgétaires des pays hors zone franc a diminué
de 2,8% du PIB entre deux périodes 1980-1985 et 1986-1992. Entre ces
mêmes périodes, la moyenne du déficit budgétaire a augmenté de 1,4% du
PIB dans les PAZF. La conclusion est qu'il faut se garder de surestimer la
capacité des règles des institutions de la zone franc à renforcer l'équilibre
budgétaire des États membres. Même si les bonnes performances enregistrées en matière de maîtrise de l'inflation sont en partie liées à ces règles.
Ces règles favorisent mais ne garantissent pas la discipline budgétaire, rappelle J. M. Boughton (1993). Toutefois, peut-on conclure que ces règles
ont permis d'assurer l'intégration économique des pays membres des
unions monétaires de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale. Par
contre, des relations commerciales et financières entre les PAZF et la
France méritent aussi d'être analysées.
L'annexe 2 montre que les règles de la zone franc et celles des unions
monétaires africaines n'ont pas permis l'intégration des économies africaines. En moyenne, le commerce intrazone des PAZF est de 8,9% entre
1970-1993. Celui des pays de l'Afrique de l'Ouest est de 10,6% et de
6,4% en Afrique centrale. Les annexes 3 et 4 révèlent que les relations
commerciales entre les PAZF et la France sont devenues faibles avec le
temps, au bénéfice de l'Union européenne.
• Les performances institutionnelles
Les pays africains de la zone franc ont des politiques monétaires plus
crédibles parce qu'elles sont soumises à une discipline collective. Une
monnaie unique à plusieurs pays opérant à partir de règles multinationales
est généralement plus crédible (Giavazzi et Pagano, 1988; Agenor, 1991).
Les arrangements monétaires avec la France permettent aux PAZF d'avoir
une monnaie convertible qui encourage les investisseurs étrangers à s' installer chez eux d'une part, et, d'autre part, ils sont de nature à favoriser le
commerce entre les Européens et les Africains.
Cependant, la faiblesse de ces arrangements monétaires franco-africains
réside dans le fait que les pays africains y perdent la possibilité d'utiliser le
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
31
taux de change comme instrument de politique économique. Cette faiblesse explique pourquoi les PAZF ont mis plus de dix ans pour retrouver
la croissance économique lors de la crise des années quatre-vingt. Plus que
la perte de la politique de change comme instrument de politique économique, le principal handicap résida dans le fait que les PAZF ont perdu leur
autonomie monétaire, en raison du triangle d'incompatibilité de Mundell.
Celui-ci montre que le régime de change fixe, le libre transfert des capitaux
et l'autonomie de la politique monétaire, sont uniquement compatibles
deux à deux. Or, les accords franco-africains reposent sur le régime de
change fixe et le libre transfert des capitaux (Semedo et Villieu, 1997;
Tchatchouang et Mougal, 1996).
Le mérite d'une organisation ne s'apprécie pas uniquement par ses résultats,
mais également par sa
capacité à faire en sorte
que ses membres respectent les règles auxquelles
ils ont adhéré. Pour analyser la manière dont la
France et les PAZF respectent les accords de coopéautonomie de la politique monétaire
ration qu'ils ont signés
trois règles fondamentales
de la zone franc doivent être examinées: la garantie par le compte d' opérations, la limitation des avances aux trésors nationaux et la règle des avoirs
extérieurs.
La garantie de la convertibilité par le compte d'opérations signifie que
les créanciers des banques centrales africaines sont certains de pouvoir être
payés par le franc français qui est une monnaie convertible et ceci de
manière illimitée. La France s'est donc engagée à fournir aux instituts
d'émission leurs besoins de financement intérieur et extérieur (Semedo et
Villieu, 1997), mais elle n'a pas toujours respecté cet engagement. En
effet, au début des années quatre-vingt-dix, lorsque la crise dont souffraient les pays africains de la zone franc s'est exacerbée et que le compte
d'opérations était négatif, le FMI a subordonné son appui à une dévaluation des francs CFA. La France et les pays africains ne partageaient pas
cette position. En 1993, la France qui ne pouvait plus assurer le financement des économies africaines de la zone franc de manière illimitée a pris
l'initiative de demander au PAZF de recourir au FMI pour leurs financements. Cette proposition revenait à accepter la dévaluation des francs CFA
qui est intervenue le 1er janvier 1994.
De leur côté, les États africains ont pris l'engagement de respecter la
règle établissant que la Banque centrale ne peut financer un État que pour
un montant qui correspond à 20% de ses recettes fiscales antérieures.
32
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
D. Stasavage (1996: 166) soutient que l'esprit de cette règle a été
détourné. « Le principal détournement consistait en des pressions exercées
par les gouvernements sur les banques commerciales et de développement
pour consentir des prêts pour des raisons politiques. Fréquemment, ces
prêts ont joué le même rôle qu'un transfert budgétaire, mais ils ne comptaient pas comme des emprunts du gouvernement au regard de la règle de
20%. Ils comprenaient par exemple des prêts pour récupérer des opposants
politiques, pour soutenir des entreprises publiques en faillite et pour subventionner les prix des biens de consommation. Les banques commerciales
et de développement ont par la suite très fréquemment peu financé ces
prêts avec les deux Banques centrales aux taux concessionnaires. » La
règle n'a pas été violée seulement de manière indirecte, mais elle a aussi
été détournée de manière directe. C'est ainsi que pendant les années précédant la dévaluation, la violation a été plus prononcée en Côte d'Ivoire. Le
Mali et le Bénin ont bénéficié des mêmes facilités lors des troubles politiques que ces deux pays ont connus (Stavasage, 1996). La conclusion est
que les règles de fonctionnement de la zone franc ne sont pas toujours respectées à cause des motivations bureaucratiques par les PAZE
Conclusion
La dimension monétaire du pacte colonial a fortement marqué le fonctionnement actuel de la zone franc. Ainsi, des mécanismes, comme le
compte d'opérations, datent de la période coloniale. La politique de taux
de change a joué durant la période coloniale un rôle majeur pour la domination des colonies. Le régime de change fixe reste également aujourd'hui
un facteur essentiel des performances économiques de la zone franc.
Les PAZF enregistrent de bonnes performances en matière de maîtrise
des prix. En ce qui concerne la croissance économique, les PAZF ont eu de
meilleures performances durant certaines périodes que les pays hors zone;
les termes de l'échange leur étaient favorables. Ils ont aussi enregistré de
mauvaises performances en matière d'épargne et de niveau d'endettement
en raison de la répression financière.
Au plan institutionnel, les PAZF ont gagné en crédibilité et les unions
monétaires se sont consolidées. En revanche, il est apparu que les pays
membres de la zone franc n'ont pas toujours respecté les règles de cette
institution pour des raisons bureaucratiques et politiques, contraignant la
France à ne pas respecter son engagement. Ainsi, les PAZF ont perdu
l'autonomie en matière de politique monétaire.
Des éléments de bilan décryptés, ressort un enseignement majeur: les
pays africains de la zone franc doivent se donner les moyens pour utiliser le
réalignement monétaire comme un instrument de réforme économique
chaque fois que le recours à ce mécanisme s'avère nécessaire. A cet effet,
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
33
il faudra réformer la BCEAO et la BEAC de sorte que ces deux instituts
d'émission soient dirigés par des collèges de politique monétaire, qui doivent décider de la politique de change des PAZF (N'Guessan, 1996).
Références
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September.
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France, Paris.
Boughton 1. M. (1993), The Economies of the CFA franc zone, in Masson
Paul and Mark Taylor ed., Policy Issues in the Operation of Currency
Unions, Cambridge University Press.
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CFA », Revue d'économie du développement, n° 4.
Gerardin H. (1989), La Zone franc, tome l, Histoire et institutions, éd.
L' Harmattan, Paris.
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EMS discipline and Central Bank credibility», European Economie
Review, 32, June, p. 1055-82.
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SEPIA.
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travail.
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Africa », IMF Staff Papers, vol. 45 n° l (mars.)
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franc en Afrique de l'Ouest », Annales africaines, p. 7.
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divorce, éd. Albin Michel, Paris.
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Moussa P. (1957), « Les chances économiques de la communauté francoafricaine », Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques,
n° 83, A. Colin, Paris.
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34
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
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Banque centrale: le cas de la BCEAü », Revue économique, n° 5, septembre.
N'Guessan T. (1996), Gouvernance et politique monétaire: à qui profitent
les banques centrales de la zone franc ?, éd. L'Harmattan, Paris.
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Sandretto R. et al. (1994), Zone franc: du franc CFA à la monnaie unique
européenne, Les Éditions de l'Épargne, Paris.
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macroéconomiques, Ellipses, édition marketing S.A., Paris.
Stasavage D. (1996), «La zone franc et l'équilibre budgétaire », Revue
d'économie du développement, 4.
35
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
ANNEXE 1: ZONE FRANC CFA- PRINCIPAUX INDICATEURS ÉCONOMIQUES
ET FINANCIERS 1986-19963
Moyenne
Moyenne
1986-1993 1994-1996
1994
1995
1996
(variation en pourcentage annuel)
0,4
3,8
1,8
4,6
5,1
PIB réel par habitant
-2,6
0,8
- 1,2
1,6
2,1
Déflateur du PIB
-0,3
14,8
29,0
12,0
4,1
PIB réel
Prix à la consommation
0,9
15,6
26,9
15,1
5,7
Taux de change effectif nominal
6,9
-16,4
-45,3
6,1
0,8
Taux de change effectif réel
-1,5
-9,9
- 35,2
12,7
0,2
Termes de l'échange
-5,6
0,9
-0,3
5,6
-2,4
84,1
85,5
83,7
83,1
(En pourcentage du PIB)
Consommation totale
86,7
Investissement brut
15,1
17,1
15,3
16,2
20,0
Épargne nationale brute
8,6
11,5
10,4
11,4
12,6
Solde des transactions courantes
-6,5
-5,7
-4,9
-4,9
-7,4
Exportations de biens
19,8
25,6
25,4
25,9
26,0
Importations de biens
17,3
21,7
20,8
21,2
23,1
Recettes publiques
19,8
18,6
17,8
18,8
19,3
Dépenses publiques
26,3
22,1
23,7
21,8
20,9
Solde budgétaire global
-6,5
- 3,5
-5,9
-3,1
-1,6
Solde budgétaire primaire"
-5,6
- 1,7
-4,5
-0,9
0,2
Dette publique extérieure
66,8
115,1
128,9
111,3
105,1
21,1
18,0
20,8
16,3
16,9
Service de la dette publique extérieure
(Variation en pourcentage annuel)
Monnaie au sens large
Avoirs intérieurs nets
-1,9
18,5
36,4
12,2
8,7
1,8
4,8
5,9
6,6
2,1
2,0
1,0
1,9
3,0
(En pourcentage du PIB)
Avoirs extérieurs nets de la banque
centrale
-4,7
(En pourcentage)
Taux d'intérêt à court terme
10,2
8,5
9,3
7,7
8,0
Taux d'intérêt à court terme réel
9,6
-9,7
-13,3
-6,2
2,3
a. Solde budgétaire global, à l'exclusion des paiements d'intérêts de la dette intérieure et
étrangère.
Source: données communiquées par les autorités et estimation des services du FMI.
3. Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Cameroun, Congo,
Gabon, Guinée-Équatoriale, République centrafricaine et Tchad.
36
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
ANNEXE 2: ZONE FRANC CFA- COMMERCE INTRAZONE,
(EN POURCENTAGE DU COMMERCE EXTÉRIEUR TOTAL)
1970-1993
Part du commerce intrazone
franc CFA
Pays de la zone franc CFA
5,1
Bénin
22,0
Burkina Faso
6,1
Cameroun
3,5
République centrafricaine
14,5
Tchad
0,0
Comores
1,5
République du Congo
7,5
Côte d'Ivoire
16,6
Guinée-Équatoriale
2,6
Gabon
23,3
Mali
6,3
Niger
9,0
Sénégal
6,6
Moyenne des pays de la zone franc CFA
8,9
Pays de l'Afrique de l'Ouest membres de la zone
franc CFA
Bénin
4,9
Burkina Faso
21,9
Côte d'Ivoire
6,5
Mali
23,2
Niger
6,2
Sénégal
6,0
Togo
Moyenne des pays de l'Afrique de l'Ouest membres de la zone franc CFA
5,8
10,6
Pays de l'Afrique centrale membres de la zone
franc CFA
Cameroun
République centrafricaine
4,3
Tchad
13,3
3,2
République du Congo
0,7
Guinée-Équatoriale
16,2
Gabon
0,8
Moyenne des pays de l'Afrique de l'Ouest membres de la zone franc CFA
6,4
Sources: FMI, Direction of Trade Statistics, tiré de Tanin Bazoumi et Jonathan Ostry
« Macroeconomie shocks and trade flows within Subsaharan Africa: Implications for
Optimum currency Arrangements, document de travail du FMI n° 95/142.
ANNEXE
3:
ZONE FRANC
CFA- RELATIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES AVEC LA FRANCE, 1981-1995 (POURCENTAGE)
1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995
Ratio PIB (zone franc CFAIFrance)
Ratio de l'offre de monnaie (zone franc
CFAlFrance)
1,7
1,8
Moyenne
de la
période
5,6
5,8
6,0
5,6
5,0
4,7
4,5
4,3
4,1
4,0
3,9
2,5
2,8
4,5
1,7
5,8
2,0
1,9
1,7
1,6
1,6
1,5
1,6
1,5
1,3
0,9
0,9
1,5
ç
Commerce
Part des exportations de la zone CFA dans
le total des exportations françaises
2,5
3,2
3,0
1,9
2,5
2,4
2,1
1,7
1,6
1,4
1,3
1,5
1,3
1,3
1,3
1,8
Part des exportations de la zone CFA dans
le total des exportations françaises
1,3
1,4
1,5
2,5
1,7
1,4
1,2
1,2
1,0
1,0
1,1
0,8
0,8
0,7
0,7
1,2
Dont la zone franc CFA en pourcentage du
total des investissements étrangers de la
France
trl
0,5
0,4
0,6
0,4
1,8
1,0
1,0
0,8
r.n
r.n
2::
otrl
Aide publique au développement fournie
par la France à la zone franc CFA
En pourcentage du PIB de la zone franc
CFA
~
;1>
~
Investissements directs étrangers français
En pourcentage du PIB de la France
~
~
t:D
0,1
1,9
0,1
2,4
0,1
0,1
1,9
1,9
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,1
0,2
0,2
0,1
0,1
~
Z
2,2
2,4
2,8
3,4
3,2
3,4
4,0
6,6
4,0
3,1
Source: FMI, Direction of Trade Statistics .. Statistiques financières intemationales .. Banque de France; Rapport de la zone franc. 1993.. et ministère des
Finances de la France.
W
-...l
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
38
ANNEXE 4: ZONE FRANC CFA- RELATIONS COMMERCIALES AVEC LA
FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE (UE), 1990-1996 (POURCENTAGE)
Importations (1)
Exportations (1)
France
UE
France
UE
1,7
30,5
23,5
51,2
Burkina Faso
11,8
26,9
22,5
34,4
Côte d'Ivoire
14,5
54,2
28,9
52,0
Bénin
Mali
3,9
37,2
18,9
35,0
Niger
68,2
77,6
22,0
39,6
Sénégal
24,6
40,9
33,1
57,4
Togo
5,5
26,6
16,5
34,1
UMOA
16,2
49,3
25,6
46,3
Cameroun
26,0
73,4
37,6
69,7
République centrafricaine
7,2
53,1
42,4
56,2
Tchad
8,5
67,5
43,1
60,2
République du Congo
10,0
48,9
44,7
68,1
Guinée-Équatoriale
5,7
49,8
13,6
54,5
Gabon
20,7
31,6
44,2
64,7
Sous-zone BEAC
19,0
50,2
40,7
66,3
Totale de la zone franc CFA
18,0
49,8
30,6
53,4
(1) Parts de la France et de l'ensemble des pays de l'Union européenne dans les exportations et les importations des pays de la zone franc CFA.
Source: FMI, Direction of Trade Statistics.
ANNEXES
Accord de coopération entre la République française
et·les Républiques membres de l'union monétaire ouest africaine
Le Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire,
Le Gouvernement de la République du Dahomey
Le Gouvernement de la République de Haute-Volta,
Le Gouvernement de la République du Niger,
Le Gouvernement de la République du Sénégal,
Le Gouvernement de la République Togolaise,
Le Gouvernement de la République Française,
- déterminés à poursuivre leurs relations dans un esprit de compréhension mutuelle, de confiance réciproque et de coopération, notamment dans
les domaines économique, monétaire et financier,
LA ZONE FRANC : ESSAI DE BILAN
39
- considérant la résolution des États de l'Afrique de l'Ouest, parties au
présent Accord, à demeurer en union monétaire ayant un institut d'émission commun,
- soucieux que ces institutions monétaires communes, appuyées par
l'assistance de la République française, apportent la plus grande contribution au financement du développement des États de l'Union monétaire
ouest-africaine,
sont convenus des dispositions ci-après:
Article 1er • La République française apporte son concours à l'Union
monétaire ouest-africaine pour lui permettre d'assurer la libre convertibilité de sa monnaie.
Les modalités de ce concours seront définies par une Convention de
compte d'opérations conclue entre le ministre de l'Économie et des Finances de la République française et le président du Conseil des ministres de
l'Union agissant pour le compte de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest.
Article 2 - Les transactions entre le franc français et la monnaie de
l'Union s'effectueront à un cours fixe, sur la base de la parité en vigueur.
Les transactions entre la monnaie de l'Union et les devises autres que le
franc français s'exécuteront au taux du marché des changes selon les dispositions convenues conformément à l'article 6 ci-après.
Article 3 • Les États membres de l'Union conviennent de centraliser,
dans les conditions précisées par la Convention visée à l'article 1eT, leurs
avoirs en devises et autres moyens de paiements internationaux.
Article 4 - Le solde créditeur du compte visé à l'article 3 de la présente
Convention est garanti par référence à une unité de compte agréée d'accord
parties.
Article 5 . Les États signataires se consulteront, dans toute la mesure du
possible, au sujet des modifications qu'ils se proposeront d'apporter à la
définition de leur monnaie et aux conditions de négociation de celle-ci sur
les marchés des changes.
La République française tiendra informé le Conseil des ministres de
l'Union de l'évolution de la situation du franc français sur les marchés des
changes et de toute question monétaire d'intérêt particulier pour l'Union.
Article 6 - La réglementation uniforme des relations financières extérieures des États de l'Union établie conformément aux dispositions de
l'article 22 du Traité du 14 novembre 1973 constituant l'Union monétaire
ouest-africaine, sera maintenue en harmonie avec celle de la République
française.
Cette harmonisation, concertée au sein du conseil d'administration de la
Banque centrale, assurera, en particulier, la liberté des relations financières
entre la France et les États de l'Union.
40
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Si les besoins ou les circonstances faisaient apparaître à l'un des gouvernements signataires du présent Accord la nécessité de déroger à l'harmonisation convenue aux alinéas ci-dessus, il en aviserait, avant toute mesure
d'application, les autres gouvernements signataires en vue d'une décision
concertée, selon les dispositions de l'article 13 du présent Accord.
Article 7 • Les autorités de la République française et celles des États
membres de l'Union collaboreront à la recherche et à la répression des
infractions à la réglementation des changes selon les modalités qui seront
précisées par un protocole particulier.
Article 8 - Dans les conditions qu'elles conviendront, la Banque de
France et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest échangeront
les données statistiques qu'elles rassemblent sur les règlements et mouvements des créances et dettes entre la France et les États de l'Union monétaire ouest-africaine.
Article 9 • La République française apportera son assistance à la constitution et au financement des institutions financières communes de développement dont le Conseil des ministres de l'Union déciderait de la création
en application de l'article 23 du Traité du 14 novembre 1973 constituant
l'Union monétaire ouest-africaine.
Ces institutions communes de financement seront autorisées à placer des
emprunts sur le marché financier français et auprès des banques et établissements de crédit français. La garantie de la République française pourra
être consentie à ces emprunts.
Les modalités de l'assistance apportée par la République française pour
l'application du présent article feront l'objet de conventions appropriées
entre le ministre de l'Économie et des Finances de la République française,
au nom de celle-ci, et le président du Conseil des ministres de l'Union au
nom des institutions communes de celle-ci.
Article 10 - Deux administrateurs désignés par le gouvernement français
participent au conseil d'administration de la Banque centrale des États de
l'Afrique de l'Ouest, dans les mêmes conditions et avec les mêmes attributions que les Administrateurs désignés par les États membres de l'Union.
Article 11 - La République française reconnaît à la Banque centrale des
États de l'Afrique de l'Ouest, pour ses établissements et opérations sur son
territoire, les immunités, privilèges et exemptions fiscales qui lui sont
reconnus par les États membres de l'Union monétaire et précisés par les
articles 4 et 62 des statuts de la Banque centrale.
Article 12 - Dans le cas où l'un ou l'autre des États membres de l'Union
monétaire se dégagerait unilatéralement des engagements stipulés au présent Accord et au Traité du 14 novembre 1973 constituant l'Union monétaire ouest-africaine, l'application de la Convention visée à l'article 1er cidessus serait suspendue de plein droit en ce qui concerne cet État.
Il en serait de même au cas d'exclusion de l'Union monétaire de l'un de
ses membres, par application de l'article 4 du Traité du 14 novembre 1973
constituant l'Union monétaire ouest-africaine.
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
41
Article 13 . A la demande de tout État signataire du présent Accord qui
estimerait que l'évolution du régime défini par cet Accord compromet ou
risque de compromettre substantiellement ses intérêts, les États signataires
se concerteraient sans délai afin de décider des mesures appropriées. Si
aucune décision ne pouvait être arrêtée en commun, le présent Accord
pourrait être dénoncé par tout signataire.
En cas de dénonciation par un État membre de l'Union, le présent
Accord demeure en vigueur entre les autres États signataires.
En cas de dénonciation du présent Accord, les États signataires se concertent sans délai afin de décider des nouvelles bases de leur coopération
en matière monétaire et, éventuellement, des modalités d'un régime transitoire.
Article 14 . Les dispositions du présent Accord se substituent à toutes
dispositions contraires des accords et conventions ci-après énumérés:
- Accord de coopération entre la République française et les Républiques membres de l'Union monétaire ouest-africaine, conclu le 12 mai
1962 et complété par la Convention du 27 novembre 1963 entre les mêmes
parties;
- Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République de Côte d'Ivoire, signé
le 24 avril 1961;
- Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République du Dahomey, signé le
24 avril 1961 ;
- Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République de Haute-Volta, signé
le 24 avril 1961 ;
- Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République du Niger, signé le
24 avril 1961 ;
- Accord de coopération conclu entre la République française et la
Fédération du Mali, le 22 juin 1960, et dont la République du Sénégal a
convenu de reprendre des droits et obligations par échange de lettres des
16 et 19 septembre 1961;
- Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière entre la République française et la République togolaise, conclu le
10 juillet 1963.
Article 15 - Sous réserve des ratifications nécessaires, le présent Accord
entrera en application à la date d'entrée en vigueur du Traité constituant
l'Union monétaire ouest-africaine, conclu le 14 novembre 1973 entre les
États membres de cette Union.
Fait à Dakar, le 4 décembre 1973
42
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Pour le Gouvernement de la
République de Côte d'Ivoire
Pour le Gouvernement de la
République du Dahomey
KonanBEDIE
Janvier ASSOGBA
Pour le Gouvernement de la
République de Haute-Volta
Pour le Gouvernement de la
République du Niger
Tiémoko Marc GARANGO
Mouddour ZAKARA
Pour le Gouvernement de la
République du Sénégal
Pour le Gouvernement de la
République togolaise
BabacarBA
Édouard KODJO
Pour le Gouvernement de la République Française
Valéry GISCARD D'ESTAING
ANNEXE
6
CONVENTION DE COMPTE D'OPÉRATIONS
Entre les soussignés,
M. Valéry Giscard d'Estaing, ministre de l'Économie et des Finances,
agissant au nom de la République française,
d'une part,
M. Édouard Kodjo, le Président du Conseil des ministres de l'Union
monétaire ouest-africaine, agissant au nom de la Banque centrale des États
de l'Afrique de l'Ouest et mandaté à cette fin par délibération du Conseil des
ministres de l'Union monétaire ouest-africaine en date du 4 décembre 1973,
d'autre part,
Il a été convenu ce qui suit pour l'application des dispositions de l'article 1er
de l'Accord de coopération entre la République française et les Républiques
membres de l'Union monétaire ouest-africaine conclu le 14 novembre 1973:
Article 1er - Il est ouvert, dans les écritures du Trésor français, au nom de la
Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest - ci-après dénommée
« Banque centrale» - un compte courant dénommé « compte d'opérations ».
LA ZONE FRANC : ESSAI DE BILAN
43
Article 2 - La Banque centrale versera au compte d'opérations les disponibilités qu'elle pourra se constituer en dehors de la zone d'émission,
exception faite:
10 - des sommes nécessaires pour sa trésorerie courante;
2 0 - des sommes nécessaires à l'exécution des obligations contractées par
les États de l'Union monétaire à l'égard du Fonds monétaire international
et qu'elle aurait pris en char~e d'assurer dans les conditions fixées par conventions conclues avec ces Etats et approuvées par le Conseil des ministres
de l'Union;
3 0 - des sommes que le conseil d'administration de la Banque centrale
déciderait de déposer en comptes courants libellés en devises auprès de la
Banque des règlements internationaux ou des instituts d'émission étrangers, ou d'employer à la souscription de bons négociables, à deux ans au
plus d'échéance, libellés en monnaies convertibles, émis par les institutions financières internationales, dont la vocation dépasse le cadre géographique de l'Union monétaire ouest-africaine et auxquelles participent les
États membres de cette dernière: le montant cumulé des sommes ainsi
déposées en devises ou employées à la souscription de bons libellés en
devises autres que le franc français ne pourra excéder 35 % des avoirs extérieurs nets de la Banque centrale, à l'exclusion de la position tranche or du
Fonds monétaire international des États membres de l'Union monétaire et
des droits de tirage spéciaux détenus par eux qu'elle serait autorisée à
compter parmi ses avoirs extérieurs en application des conventions prévues
au paragraphe 2 du présent article.
Article 3 • La Banque centrale tiendra le compte courant ordinaire du
Trésor français sur les places où elle dispose d'installations propres.
Le Compte d'opérations sera débité ou crédité, suivant le cas, du montant
des transferts provoqués par le nivellement ou l'approvisionnement de ce
compte.
Article 4 - En cas de modification de la parité du franc français par rapport à l'unité de compte visée à l'article 4 de l'Accord de coopération, la
garantie sera déterminée par prise en considération:
- d'une part, du rapport existant au jour de la signature de la présente
Convention entre la valeur officielle du franc français et celle de l'unité de
compte et,
- d'autre part, du rapport entre ces deux valeurs résultant de la modification de la parité du franc français.
Si le second rapport est inférieur au premier, il sera appliqué au solde
créditeur du compte d'opérations le coefficient de majoration obtenu en
divisant le rapport existant au jour de la signature de la présente Convention par ce second rapport.
Article 5 - Lorsque les disponibilités de la Banque centrale en compte
d'opérations présenteront une évolution qui laissera prévoir leur insuffisance pour faire face aux règlements à exécuter par son débit, la Banque
centrale:
44
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
- l'alimentera par prélèvement sur les disponibilités qu'elle aurait pu se
constituer en devises étrangères;
- invitera les États membres de l'Union à user de leurs droits de tirage
auprès du Fonds monétaire international ou à échanger contre devises les
droits de tirage spéciaux détenus par eux;
- fera usage des droits qui lui sont reconnus par les deux derniers alinéas
de l'article 20 du Traité du 14 novembre 1973 constituant l'Union monétaire ouest-africaine.
Article 6 . Si les mesures prises en application de l'article 5 ci-dessus ne
permettent pas à la Banque centrale de s'assurer les disponibilités pour la
couverture des transferts hors de l'Union monétaire ouest-africaine qu'elle
devrait exécuter, ces moyens de paiement lui seront consentis par découvert de son compte d'opérations.
Article 7 - Lorsque le solde du compte d'opérations sera débiteur, la
Banque centrale réglera sur ce solde des intérêts dont le taux sera fixé de la
manière suivante:
- sur la tranche de 0 à 5 millions de francs: 1 % ,
- sur la tranche de 5 à 10 millions de francs: 2 %,
- au-dessus de 10 millions de francs: taux égal à celui fixé à l'alinéa ciaprès.
Lorsque le solde sera créditeur, le montant moyen des fonds en dépôt au
cours de chaque trimestre sera assorti d'un taux d'intérêt égal à la moyenne
arithmétique des taux d'intervention de la Banque de France sur les effets
publics au plus court terme pendant le trimestre considéré.
Article 8 - Un Commissaire désigné par le gouvernement de la République française et le commissaire contrôleur institué par l'article 64 des Statuts de la Banque centrale contrôleront l'application des dispositions de la
présente Convention.
Sur demande adressée à la Banque centrale, ils obtiendront communication de tous registres, relevés ou pièces justificatives leur permettant
d'exercer leur mission.
Article 9 - L'application de la présente Convention sera suspendue de
plein droit dans les conditions prévues à l'article 12 de l'Accord de coopération entre la République française et les États membres de l'Union monétaire ouest-africaine, conclu le 4 décembre 1973.
Il en sera de même en cas de dénonciation dudit Accord dans les conditions prévues à son article 13.
Article 10 - A l'expiration ou dénonciation de la présente Convention:
- le solde débiteur du compte d'opérations ne sera exigible par la République française que sur le territoire des États où la Banque centrale exerce
le privilège de l'émission et sera réglé en francs CFA;
- le solde créditeur n'en sera exigible par la Banque centrale des États
de l'Afrique de l'Ouest qu'à Paris, en francs français qui seront librement
convertibles.
LA ZONE FRANC: ESSAI DE BILAN
45
Article 11- Est abrogée, pour compter de la date d'entrée en vigueur de
l'Accord de coopération entre la République française et les Républiques
membres de l'Union monétaire ouest-africaine conclu le 4 décembre 1973,
la Convention de compte d'opérations du 20 mars 1963 entre la République française et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest, telle
que modifiée par avenants du 2 juin 1967 et du 4 décembre 1969.
Fait à Dakar, le 4 décembre 1973
Le Ministre de l'Économie
et des Finances
de la République française
Le Président du Conseil
des Ministres de l'Union
monétaire ouest-africaine
Valéry GISCARD D'ESTAING
Édouard KODJO
2
Héritage de la zone franc et perspectives
de coopération monétaire
Par Barthélémy BIAO
En 1994, s'intéressant aux perspectives ouvertes par l'avènement de la
monnaie unique européenne, Sandretto et les autres concluent que
« l'Union économique et monétaire européenne et plus précisément la
perspective de la monnaie unique constituent aussi une échéance monétaire pour les pays d'Afrique» et ils esquissent « le cap à suivre pour la
nécessaire et périlleuse réforme de la zone franc» (p. 265-270).
Cette réforme qui selon Adda (1992, p. 301) «d'ici aux échéances de la
monnaie unique européenne préparerait de façon constructive l'élargissement de ce mécanisme aux autres pays africains candidats à la coopération
monétaire eurafricain ».
A la lumière de ces observations, l'expérience des pays africains et
l'héritage de la zone franc sont incontestablement une source de leçons
pour de nouvelles perspectives de coopération monétaire intra-africaine.
On sait que la question de l'opportunité et de l'efficacité de l'unification
monétaire régionale a été développée dans le cadre de la théorie des zones
monétaires optimales.
La paternité de cette théorie est habituellement attribuée à Mundell
(1961) mais les travaux pionniers remontent à Meade (1957) et Scitovsky
(1958). La théorie des zones monétaires optimales a été très populaire dans
les années 1960 et 1970 et Ishiyama (1975) en a fait au milieu des années
1970 une synthèse considérée comme une référence dans la littérature.
Au courant des années 1980 et 1990, la théorie des zones monétaires
optimales redevient d'actualité à la faveur des accélérations de l'unification monétaire européenne (CEE 1989; 1990; Wyplosz 1990, De Grauwe
1992, etc.).
48
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Les approches traditionnelles comme les développements récents proposent des éclairages normatifs pour une unification monétaire efficace. Ces
fondements peuvent être ainsi résumés: il existe des conditions économiques indispensables et préalables à une coopération monétaire renforcée
sous la forme d'une Union monétaire intégrale avec des caractéristiques
telles que l'existence d'une monnaie commune et l'adoption d'une politique monétaire commune.
Les pays africains de la zone franc ont connu une évolution atypique et
les facteurs historiques et politiques ont dès le départ joué le rôle prépondérant. Mais l'avènement de la monnaie européenne conduira à terme à la
disparition de la zone franc. Il est toutefois nécessaire et utile d'en tirer les
leçons nécessaires pour le développement et l'approfondissement de la
coopération monétaire entre pays africains.
A cet égard, cette communication s'efforce de répondre à deux questions
essentielles:
- au regard des exigences du développement et de l'intégration économique en Afrique, l'expérience passée des PAZF laisse-t-elle des acquis
pour fonder l'approfondissement et l'élargissement de la coopération
monétaire intra-africaine?
- à la lumière des évolutions en cours en Europe, quelles sont les
options stratégiques pour les pays africains de la zone franc dans leurs relations monétaires internationales?
Utilisant l'éclairage de la théorie des zones monétaires optimales et plus
généralement de la théorie monétaire internationale, l'intérêt de cette problématique peut être situé à deux niveaux au moins.
En premier lieu, au-delà des analyses en termes d'avantages/inconvénients de la zone franc, elle permet d'éclairer le rôle du FCFA dans la réalisation des options stratégiques d'intégration et de développement du
continent africain.
En second lieu, elle est utile pour cerner les contours d'une explication
logique et cohérente quant aux choix futurs inévitables à faire par les PAZF
face à l'avènement de l'euro, monnaie unique européenne. Ces choix comportent autant des mutations nécessaires que la pérennisation des acquis.
En conséquence, en réponse à notre problématique nous montrerons:
- en premier lieu, que la théorie des zones monétaires optimales fournit
les fondements nécessaires pour comprendre l'option de pérennisation des
acquis et de renforcement de la coopération monétaire intra-africaine;
- en second lieu, que cette option de renforcement de la coopération
monétaire intra-africaine implique des mutations des relations monétaires
internationales des pays africains de la zone franc.
HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION
49
Zone franc et coopération monétaire intra-africaine :
la nécessaire pérennisation des acquis
Comme signalé dans l'introduction de ce texte, la spécificité de la situation
des pays africains de la zone franc est d'avoir hérité de leur passé colonial,
d'une monnaie commune qui a précédé tous les efforts endogènes d'intégration économique. Une telle situation a dans le passé, abondamment alimenté
la littérature sur la portée du CFA dans le développement des pays africains
(Samir Amin, 1973 ; Tchundjang, 1980) notamment.
Sans perdre de vue l'incidence négative pour les pays africains de la logique coloniale des zones monétaires (Rudolff, 1970), nous utiliserons
l'éclairage de la théorie des zones monétaires optimales pour soutenir
qu'au-delà des insuffisances certaines de la zone franc au regard de la coopération monétaire intra-africaine (A), des raisons suffisantes existent pour
rechercher la pérennisation des acquis dont recèle l'héritage (B).
Des insuffisances certaines
Dans l'abondante littérature sur les avantages et inconvénients de la zone
franc, ou sur les comparaisons avec les pays hors de la zone franc, deux
principaux arguments peuvent être retenus.
- En premier lieu, on considère les Unions monétaires d'Afrique centrale ou occidentale comme des «catalyseurs» de l'intégration, car « la
première impulsion vers l'intégration monétaire est de mieux intégrer les
économies réelles» (Cobham et Robson, 1996, p. 288).
- En second lieu, au-delà des problèmes méthodologiques que soulèvent les comparaisons des stratégies de développement 1, l'argument traditionnellement développé est que l'appartenance à la zone franc a été un
facteur de meilleures performances appréciées notamment en termes de
stabilité macroéconomique se manifestant par des taux de croissance élevés et des taux d'inflation faibles 2.
Sur ces deux points, l'appartenance à la zone franc et aux Unions monétaires révèle des insuffisances certaines parce que, d'une part, lorsqu'on
considère les critères traditionnels d'appréciation, ces Unions sont des
zones monétaires non optimales et, d'autre part, parce que l'argument de
stabilité macroéconomique est plutôt contrasté.
A) DES ZONES MONÉTAIRES NON OPTIMALES
Qu'il soit considéré comme un bloc unique ou qu' HIe soit à travers chaque
Union monétaire, l'espace monétaire des PAZF est une zone non optimale.
1. Commentaire de Baneth J. in Guillaumont P. et S. (1988, p. 687-696).
2. Les autres arguments sont ceux de moindre surévaluation du FCFA et d'accès plus
facile aux financements extérieurs du fait de la convertibilité du FCFA et de la liberté des
transferts. Voir notamment Guillaumont P. et S., 1984, 1988 ; L'Heriteau M. E, 1987,
Devarajan S, et de Melo J., 1991.
50
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Les critères traditionnels de la zone monétaire optimale, qui sont de
nature « réelle », sont principalement ceux de la mobilité des facteurs de
production (Mundell, 1961), de 1'« ouverture» des économies (Mc Kinnon, 1963) et de diversification de l'activité économique (Kenen, 1969).
En effet, selon Mundell, lorsque les pays renoncent au taux de change
comme instrument de politique économique en adhérant à une Union
monétaire, la mobilité des facteurs de production apparaît comme un substitut nécessaire pour un ajustement automatique des déséquilibres régionaux. A cet égard, bien qu'il y ait une différence de degré entre l'Afrique
de l'Ouest et l'Afrique centrale, il convient de reconnaître à la suite de
Pougoue (1989) que « les problèmes de l'emploi aggravés par la crise économique actuelle compliquent à l'infini le problème de la mobilité de la
main-d' œuvre» (p. 1) et « les législations nationales apportent des limitations importantes à la liberté de contracter en matière de travail» (p. 7).
Quant aux mouvements de capitaux, la liberté des transferts connaît des
limites statutaires (Gerardin 1989, p. 127-128) qui sont mises en œuvre à
des degrés divers, les principales restrictions s'observant dans la zone
BEAC (Vizy 1989, p. 30). Ainsi, la Bourse des valeurs d'Abidjan créée
dans les années 1970 n'est devenue Bourse régionale des valeurs qu'en
1996, alors que la zone BEAC n'en est encore qu'à l'étape des réflexions
pour la mise en place d'une bourse régionale des valeurs.
Mc Kinnon (1963) pour sa part, dans son effort pour approfondir le concept de zone monétaire optimale, s'interroge sur l'influence de l'ouverture
de l'économie dans la compatibilité entre l'équilibre interne et externe. On
peut dégager de ses analyses que l' « ouverture réciproque» des économies
(c'est-à-dire l'intensité de leurs relations commerciales réciproques) constitue le critère de la zone monétaire optimale. De ce point de vue, les
échanges commerciaux intra-africains sont faibles et dans certains cas
décroissants (Banque mondiale, 1989, p. 179).
Enfin, pour Kenen (1969), le critère d'appréciation de la zone monétaire
optimale est la diversification et la flexibilité de l'activité économique, ce
qui permet de limiter l'impact des chocs externes sur l'équilibre interne et
sur l'emploi.
Dans l'optique de Kenen, comme dans les contributions précédentes, le
critère de la zone monétaire optimale est en même temps un élément
d'arbitrage entre changes fixes et changes flexibles.
Dans l'appréciation de la diversification de l'économie, une contribution
opérationnelle intéressante a été celle de Presley et Denis (1976, p. 60-61)
qui ont considéré le pourcentage de contribution au PIB de chacune des
onze branches industrielles délimitées par eux.
Dans une optique moins désagrégée que celle de ces auteurs, si nous considérons l'industrie manufacturière qui est « la branche la plus dynamique
du secteur industriel» (Banque mondiale, 1996, p. 243), les pourcentages
de contribution au PIB sont faibles, généralement moins de 20% (Banque
mondiale, 1996), la production restant concentrée dans des secteurs plus
traditionnels: agriculture, secteur industriel non manufacturier, services.
HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION
51
Ainsi au regard des critères traditionnels, les Unions monétaires africaines de la zone franc ne sont pas des zones monétaires optimales. De plus la
stabilité macroéconomique des PAZF apparaît plutôt contrastée.
B) UNE STABILITÉ MACROÉCONOMIQUE CONTRASTÉE
L'argument d'une plus grande stabilité macroéconomique des PAZF a en
effet été démenti dans les années 1980 du fait de la dégradation des performances des PAZF devenues plus médiocres que celles des autres pays
d'Afrique au sud du Sahara (PASS). Ainsi sur la base des données contenues dans l'étude de Devarajan et de Melo (1991, p. 26 et 28) et en considérant les trois sous-périodes 1973-1980, 1980-1985, 1986-1989, les
graphiques ci-dessous illustrent les évolutions différenciées des pays du
CFA et des autres PASS.
Les évolutions ainsi mises en exergue montrent bien que les arguments
traditionnels d'ouverture des économies, de stabilité macroéconomique,
qui ont constitué la force des pays du CFA jusqu'à la fin des années 1970,
ont conduit à une excessive rigidité dans les années 1980 et au début des
années 1990.
En effet, face à un environnement international défavorable et à la dégradation de leurs situations extérieures (balance des paiements, taux de
change réel), alors que d'autres monnaies de la sous-région faisaient
l'objet de dévaluations compétitives ou réparatrices (cas du Naira en
1986), les pays du CFA ont renoncé au taux de change comme instrument
d'ajustement, s'appuyant plutôt sur des politiques monétaires internes
déflationnistes. Ces tendances défavorables apparaissent au regard des
évolutions différenciées des taux de change effectifs réels au Nigeria et
dans la zone franc.
La dévaluation du FCFA intervenue en 1994 est destinée à renverser ces
tendances défavorables. Mais elle a paradoxalement coïncidé avec une certaine érosion de la zone franc dans son ensemble et de l'espace CFA en
particulier: suppression de la libre intercirculation des billets de banque du
fait du non-rachat par les Banques centrales des billets CFA provenant de
l'extérieur de leurs zones respectives d'émission, ce qui impose de nouveaux coûts de transaction à la convertibilité des francs CFA.
Malgré ces vents contraires, de solides raisons permettent de soutenir les
efforts pour la pérennisation des acquis du CFA.
Des raisons de pérennisation des acquis du CFA
Un complément de l'argument de stabilité macroéconomique a été celui
d'une intégration différentielle des pays du CFA, plus forte que celle de
l'ensemble des pays de la zone Afrique au sud du Sahara (Guillaumont,
1984). Le FCFA est ainsi un instrument utile pour l'intégration africaine.
Cet argument ne manque pas d'intérêt puisque le sens des flux commerciaux possède - toutes choses égalent par ailleurs - des justifications
52
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
monétaires. Mais il ne prend pas en compte l'intense commerce transfrontalier non enregistré entre pays ayant des monnaies différentes. C'est pourquoi, plus fondamentalement, les raisons pour la pérennisation des acquis
du FCFA doivent être recherchées en direction des approfondissements et
renouvellements de la théorie des zones monétaires optimales en relation
avec les options nouvelles prises par les Unions monétaires d'Afrique.
Comme l'ont montré Krugman et Obtsfeld (1995), l'analyse en termes
de coûts/avantages est au centre des approches traditionnelles de la zone
monétaire optimale. Elle a été au centre des travaux qui ont accompagné le
rapport Delors (CEE, 1989, 1990) et des synthèses plus récentes de la théorie de l'intégration monétaire (De Grauwe, 1992).
Les coûts de l'unification monétaire (perte de stabilité macroéconomique) comme ses avantages (gains d'efficience monétaire) dépendent du
degré d'intégration des économies. Les premiers sont d'autant plus faibles
que les économies sont intégrées, subissent des chocs similaires et peuvent
de ce fait avoir des objectifs compatibles. De même, les seconds sont
d'autant plus élevés que l'intégration réelle est forte. En conséquence, un
seuil minimal d'intégration « réelle» est nécessaire pour une unification
monétaire optimale.
Outre les incertitudes d'une analyse coût-avantage de l'unification
monétaire notamment pour les pays africains (Guillaumont, 1984, p. 287),
les arguments les plus récents en faveur de l'intégration monétaire relativisent la portée de la renonciation par chaque pays de l'union monétaire à
utiliser la politique monétaire et le taux de change comme instruments de
stabilisation macroéconomique.
Sont au contraire mis en exergue, l'impératif de cohérence intertemporelIe et de crédibilité des politiques économiques tel qu'argumenté notamment par Kindland et Prescott (1977), Barro et Gordon (1983), ainsi que
l'argument de « discipline collective» d'où résulterait une limitation des
pressions inflationnistes (Tavlas, 1993). C'est pourquoi les arguments fondant l'opportunité de l'intégration monétaire sont de plus en plus tournés
vers la convergence macroéconomique et la similitude « des préférences
en matière d'évolution des déterminants essentiels d'une économie»
(Bourguinat, 1992, p. 538 et ss).
Cette évolution théorique permet de comprendre les inflexions récentes
dans les deux espaces du FCFA (CEMAC et UEMOA) où, malgré la faiblesse de l'intégration réelle entre partenaires, le renforcement des unions
monétaires est considéré comme une condition nécessaire (bien que non
suffisante) de l'intégration économique et du développement des pays concernés. Convergence macroéconomique et surveillance multilatérale sont
au centre des nouveaux dispositifs de la coopération monétaire régionale.
Malgré la pertinence de ces nouvelles options dans une perspective de
coopération monétaire intra-africaine, des mutations profondes restent
indispensables.
HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION 53
Zone franc et coopération monétaire intra·africaine:
des mutations indispensables
Dans un effort d'évaluation des options pour les pays africains de la zone
franc après la dévaluation du FCFA, P. et S. Guillaumont (1995) concluent
que ces pays ont préféré la fixité du taux de change à la flexibilité, la convertibilité au contrôle des changes et l'Union aux options nationales.
Cette préférence explique les perspectives gradualistes et de changement
dans la continuité qui se dessinent dans les options des PAZF au lendemain
de l'avènement de l'euro. Les déclarations des officiels français et africains
rassurent quant à l'avènement d'une zone euro pour les pays anciennement
de la zone franc.
Bien que les contours d'une zone euro méritent encore précision, en particulier au-delà de l'échéance de l'an 2002, la question essentielle est de
savoir si une zone euro qui conserve les mécanismes de la coopération
monétaire franco-africaine (compte d'opérations, garantie du Trésor français pour la convertibilité) constitue une perspective dynamique de coopération monétaire intra-africaine.
Il importe donc de bien apprécier les coûts et avantages d'un tel changement dans la continuité, préalable à l'examen des scénarios alternatifs pour
les mutations de la coopération monétaire intra-africaine.
Coûts/avantages de la zone euro: les incertitudes d'un changement
dans la continuité
Les arguments en faveur de la zone euro sont les mêmes que ceux traditionnellement reconnus à la zone franc.
En premier lieu, l'Europe étant le principal partenaire commercial des
pays africains concernés (plus de 50% en moyenne du commerce extérieur
de ces pays), une zone euro maintiendrait la facilité d'accès au marché
européen, supprimerait l'incertitude et les coûts de transaction.
En second lieu, une zone euro serait pour les pays africains un facteur
d'attrait des capitaux étrangers du fait de la convertibilité de la monnaie et
de la stabilité du change.
Certes, l'appartenance à la zone franc a, dans le passé, conditionné
l'orientation de l'Aide publique française. Mais l'intensité des relations
commerciales et financières (investissements privés directs) entre la
France et d'autres PASS (notamment Nigeria) vient profondément atténuer
la portée de ces avantages traditionnels attachés à la zone franc.
Quant aux coûts d'une zone euro, ils sont également imputés à la zone
franc. On peut notamment citer:
- le caractère déflationniste de la politique monétaire;
- la possibilité d'une évolution de l'euro défavorable à l'ajustement des
pays africains, comme ce fut le cas avec la dévaluation du FF en 1969;
54
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
- le manque d'autonomie des autorités monétaires du fait du droit de
regard de la France dans la gestion de la politique monétaire.
Au-delà de cette présentation des coûts et avantages dont la balance n'est
pas évidente, il importe de percevoir les incertitudes d'une option présentée comme la meilleure pour les pays africains. Elles se situent à deux
niveaux au moins.
D'abord celui des ambiguïtés de l'article 109 du traité de Maastricht qui
est diversement interprété par les uns et les autres.
Selon l'alinéa 3 de l'article 109, « au cas où des accords sur les questions
se rapportant au régime monétaire ou de change doivent faire l'objet de
négociations entre la Communauté et un ou plusieurs États ou organisations internationales, le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur recommandation de la Commission et après consultation de la Banque centrale
européenne, décide des arrangements relatifs aux négociations et à la conclusion de ces accords. Ces arrangements doivent assurer que la Communauté exprime une position unique ... ».
L'alinéa 5 du même article dispose que « sans préjudice des compétences
et des accords communautaires dans le domaine de l'Union économique et
monétaire, les États membres peuvent négocier dans les instances internationales et conclure des accords internationaux ».
Au regard de ces dispositions et malgré les assurances actuelles, on peut
s'interroger dans une perspective de moyen et long terme (après l'an
2(02), sur les marges de manœuvre du Trésor français au regard des critères de Maastricht (article 109 du traité) et de la prééminence de la Banque
centrale européenne sur tous les aspects de relations monétaires internationales des pays européens.
Ensuite le second niveau d'ombre est relatif à la marge de manœuvre des
pays africains face à une évolution de l'euro inappropriée et défavorable à
l'ajustement de ces pays. Qu'on se souvienne de l'impossibilité pour les
PAZF d'apprécier souverainement dans les années 1980 et 1990 et de décider quant à l'opportunité de la dévaluation.
En somme, les perspectives gradualistes qui s'esquissent apparaissent
comme une nouvelle renonciation par les Africains à leur souveraineté
monétaire, ce qui risque d'entretenir de nouveau des rigidités et de conduire à terme à de douloureuses révisions.
Il importe donc pour les pays africains de la zone franc de ne pas renvoyer aux calendes grecques les mutations indispensables pour lesquelles
quelques scénarios peuvent être esquissés
Options nouvelles pour des mutations indispensables
Les évolutions nécessaires peuvent être examinées au plan des relations
monétaires entre pays africains d'une part et quant aux relations monétaires de ces pays avec l'extérieur d'autre part.
HÉRITAGE DE LA ZONE FRANC ET PERSPECTIVES DE COOPÉRATION 55
Sur le plan des relations monétaires intra-africaines, une option souvent
évoquée depuis le début des années 1980 pour «une réforme en
profondeur» (de Boissieu, 1983; Sandretto, 1994; Nzemen, 1997) est
celle d'un « système de changes fixes mais ajustables à deux niveaux ».
Pour cette option, les conditions préalables d'une monnaie régionale ou
sous-régionale n'étant pas remplies,« le bon sens monétaire» commanderait la dislocation des unions monétaires actuelles de la zone franc (BEAC
et BCEAO), la création de monnaies nationales (<< reculer pour mieux
sauter ») rattachées à une unité de compte régionale (UCA = unité de
compte africaine) qui à son tour serait rattachée à l'euro pour les règlements internationaux.
Chaque pays disposerait de sa monnaie nationale rattachée par une parité
fixe (mais ajustable) à l'UCA qui serait l'instrument de règlement entre
pays africains. Un Fonds monétaire africain centraliserait partiellement les
réserves extérieures en contrepartie desquelles il émettrait des UCA, le
FMA effectuerait une compensation multilatérale des paiements intra-africains et accorderait des crédits conditionnels aux pays débiteurs nets.
Enfin, la Communauté européenne accorderait au FMA la garantie de convertibilité de l'UCA à travers les comptes d'opérations individualisés par
pays.
Alors commencerait pour les pays africains, leur longue marche vers la
monnaie africaine devant conduire à la disparition progressive des monnaies nationales au profit de l'UCA.
Telle est, en substance, l'option qui selon Adda (1992, p. 301), «d'ici
aux échéances de la monnaie unique européenne préparerait de façon constructive l'élargissement de ce mécanisme aux autres pays africains candidats à la coopération monétaire eurafricaine ». Elle présenterait en outre
l'avantage de développer l'esprit de responsabilité dans un système monétaire tenant compte de l'hétérogénéité des économies africaines (Sandretto, 1994).
A ce schéma du « reculer pour mieux sauter», les pays africains de la
zone franc ont, dès le début des années 1990, préféré l'option d'un renforcement des Unions monétaires à travers la stratégie dite « d'intégration par
les règles». Cette nouvelle stratégie, qui a conduit à la création de
l'UEMOA et de la CEMAC, passe par l'harmonisation de l'environnement
juridique, la mise en cohérence des politiques budgétaires nationales avec
la gestion de la monnaie commune et la convergence des politiques économiques.
Du point de vue des relations monétaires intra-africaines, cette option de
renforcement des Unions monétaires existantes reste la base d'une coopération monétaire graduelle en Afrique centrale et occidentale. Elle permet
de comprendre l'élargissement de ces Unions (Guinée-Équatoriale, Guinée-Bissau) ou les propositions faites en ce sens (BIAO 1990, CEA/MULPOC 1993).
56
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Il subsisterait néanmoins le problème de relations monétaires avec
l'extérieur qui, par le passé, a souvent été examiné à travers les possibilités
et limites de la garantie monétaire de la France.
A cet effet, Coquet et Daniel (1992) soulignent que« le processus d'unification monétaire européenne [... ] introduit une problématique de
réforme plus fondamentale, concernant la nature et l'intensité de la coopération entre pays européens et pays africains ». A ce sujet, Lelart (1993),
cité par Monga et Tchatchouang (1996, p. 121), s'interroge: «Est-il normal que la monnaie du Niger ou du Tchad soit aussi forte que l'ECU qui
circulera dans la communauté? » Cette question interroge la parité fixe et
quasi immuable entre les monnaies africaines et la future monnaie européenne. L'expérience récente de la zone franc montre que les rigidités
qu'elle implique peuvent conduire à de douloureuses révisions (ajustements nécessaires mais retardés). En conséquence, l'avènement de la monnaie européenne offre l'occasion d'introduire dans les relations
euroafricaines plus de flexibilité au niveau du soutien à la convertibilité
extérieure et du développement, et plus de responsabilité chez les gestionnaires de la politique monétaire en Afrique.
Conclusion
L'avènement de la monnaie unique conduira à terme à la disparition de la
zone franc. Cette évolution offre aux PAZF une occasion historique de
mutations profondes de leurs relations monétaires internationales et de leur
coopération monétaire régionale en Afrique. Cette communication permet
de soutenir que le renforcement de la coopération monétaire possède des
fondements théoriques bien constitués et que les leçons de l'expérience
appellent une redéfinition des relations monétaires afin que les monnaies
africaines soient davantage que par le passé, les instruments de l'intégration régionale et d'une meilleure insertion dans l'ordre international.
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3
Y a-t-il convergence des performances
macroéconomiques au sein de l'UEMOA?
Par Bamba N'GALADIO LAMBERT
et Diomandé KANV ALy
Les pays africains de la zone franc (PAZF) se sont engagés, dès la dévaluation de leur monnaie en janvier 1994, dans des processus intégrationnistes de leur économie, à l'image de l'Union européenne (UE). C'est ainsi
que, le jour même de la dévaluation, l'Union monétaire ouest-africaine
(UMOA) est devenue Union économique et monétaire ouest-africaine
(UEMOAl). Les pays de l'Union douanière et économique en Afrique centrale (UDEAC), de leur côté, ont depuis lors mis en chantier la construction
d'une Communauté économique et monétaire en Afrique centrale
(CEMAC).
Ces deux organisations se réalisent à l'image de l'UE du traité de Maastricht. Selon ce traité, la participation à l'Union économique et monétaire
(UEM) et à la monnaie unique passe par le respect d'un certain nombre de
conditions à remplir, dites critères de convergence et qui sont, exclusivement, d'ordre monétaire, budgétaire et financier 2• Ils visent à rapprocher
les comportements des pays membres en matière d'inflation, de taux
d'intérêt, de déficit budgétaire et de taux de change. Ainsi, pour l'essentiel,
il s'agit d'assurer une convergence nominale des économies des pays
1. Le traité de l'UEMOA, outre la monnaie commune qu'est le franc CFA, repose sur
cinq piliers, à savoir: (i) la réalisation d'une union douanière; (ii) la création d'un marché
commun; (iii) l'harmonisation des politiques sectorielles; (iv) la création d'un système institutionnel supranational; et (v) la mise en place d'un dispositif de surveillance multilatérale pour assurer la convergence des politiques macroéconomiques.
2. Les pays membres de l'UEMOA ont adopté des critères similaires dans le traité de
l'UEMOA.
62
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
membres, c'est-à-dire, une convergence des variables nominales et non des
variables réelles ou des structures économiques.
L'hypothèse sous-jacente au traité de Maastricht est que la stabilité des
taux de change et des prix favorisera la croissance et l'intégration économiques. De la sorte, les pays qui cherchent à atteindre des cibles nominales
communes verront également converger leurs structures économiques et
leurs degrés de développement, ce qui rendra possible, à terme, la mise en
place de l'UEM. Dans cette hypothèse, la convergence nominale des membres potentiels favorisera leur convergence réelle (Loufir et Reichlin,
1994).
On ne peut, a priori, exclure l'hypothèse inverse: poursuivre une démarche de convergence nominale peut se révéler très coûteux pour les pays les
plus pauvres et qui sont souvent les plus éloignés des objectifs nominaux
adoptés. Il pourrait en résulter un processus de divergence réelle. Ainsi,
Loufir et Reichlin (1994) montrent clairement que la convergence des taux
de change nominaux n'est pas nécessairement favorable à la croissance du
PIB par habitant et donc à l'amélioration du niveau de vie pour les « pays
vertueux» du Système monétaire européen (SME). En revanche, les pays
de l'Alliance européenne de libre-échange (AELE) et le Royaume-Uni qui
divergeaient au niveau des variables nominales, ont convergé au niveau des
variables réelles et ont pu réaliser de meilleures performances réelles.
C'est pourquoi le traité de Maastricht a suscité un grand débat autour des
coûts et bénéfices à attendre d'une union monétaire. Même en supposant
qu'une UEM soit souhaitable à moyen terme pour un espace économique
intégré, on peut s'interroger sur la façon de l'atteindre: la voie tracée par le
traité de Maastricht est-elle la meilleure? Autrement dit, n'est-il pas préférable de choisir une démarche alternative pour atteindre l'UEM, en fixant
les priorités en termes de croissance et/ou d'exportation par exemple?
Ces préoccupations sont particulièrement importantes pour les pays de
l'UEMOA qui, depuis plus de 37 ans, utilisent une monnaie unique et veulent aujourd'hui adjoindre l'intégration économique à leur intégration
monétaire. Les pays de l'UEMOA ne pourraient-ils pas opter pour un plan
mettant la convergence réelle comme principale étape vers l'UEM qu'ils
visent, au lieu de reprendre à leur compte le schéma du traité de
Maastricht? En effet, comme l'affirment De Grauwe P. et Verfaille G.
(1986), « le régime de changes a peu d'influence sur les variables réelles
telles que la croissance du commerce extérieur et de la production; cellesci sont davantage influencées par les politiques commerciales, fiscales ou
budgétaires, comme l'environnement de l'offre ».
Pour discuter de ces questions, cette étude analyse l'évolution de quelques grandeurs nominales (les taux d'intérêt, les taux d'inflation et les taux
de liquidité) et la compare à celle d'autres indicateur& réels clefs: le taux de
croissance réelle par habitant, le déficit budgétaire, la part de maind'œuvre employée dans l'industrie, les poids des secteurs industriel et
manufacturier relativement au PIB, les taux d'exportation, les taux
1
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 63
d'ouverture des économies et enfin les poids des services de la dette extérieure relativement aux exportations. Dans chacun de ces deux sous-groupes de variables, on note deux types d'indicateurs: des variables qu'on
peut qualifier de conjoncturelles (ou de politique économique) d'une part,
et des variables structurelles d'autre part. Pour les premières, on peut retenir le taux d'intérêt et le taux d'inflation comme variables nominales et le
taux de croissance réelle par tête, le déficit budgétaire et le service de la
dette comme variables réelles. Dans le second groupe, on retiendra le taux
de liquidité de l'économie comme variable nominale structurelle et comme
variables réelles structurelles, les poids de la main-d'œuvre industrielle, du
secteur industriel et du sous-secteur manufacturier, le taux d'exportation et
le taux d'ouverture.
L'exercice consiste à déceler, dans le passé, une éventuelle convergence
de ces différents indicateurs au sein de l'ensemble des pays de UEMOA et
d'en analyser le processus. En particulier, l'étude s'intéresse à la vitesse de
convergence dans les années 1980-1990, au cours desquelles les programmes d'ajustement structurel ont été mis en œuvre, avec toute la rigueur en
matière de politique économique, dans chacun des pays de l'ex-UEMOA.
Plus spécifiquement, il s'agit, d'abord, de vérifier si les pays de l'UEMOA
sont engagés dans un processus de convergence consciente ou non, après
plus de 37 ans d'appartenance commune à une union monétaire et, ensuite,
d'analyser la nature (réelle et/ou nominale), puis la vitesse de cette convergence. Une telle analyse est susceptible de fournir des indications sur
l'ampleur des coûts éventuels d'alignement des taux d'intérêt, des taux
d'inflation, des niveaux de développement et des déficits publics 3.
Dans notre analyse empirique, nous utilisons la méthode de coefficients
variables basés sur le filtre de Kalman, qui permet d'étudier les changements de la vitesse de convergence vers le pays leader de la zone, choisi
comme référence. La deuxième section qui suit rappelle brièvement les
différents points de vue ayant animé le débat économique sur la convergence, particulièrement dans le cadre de l'UE. La définition mathématique
et les tests statistiques usuels de la convergence, la méthodologie choisie,
ainsi que la description des données font l'objet de la section 3. Les résultats et leur interprétation sont présentés dans la section 4. Enfin, la
section 5 permet de tirer, en guise de conclusion, les implications de politique économique.
3. On rappelle qu'en ce qui concerne la mise en cohérence des politiques budgétaires
nationales entre elles, d'une part, et avec la politique monétaire commune, d'autre part, le
traité de l'UEMOA a prévu une convergence des politiques budgétaires articulée autour de
cinq indicateurs chiffrés: (i) le ratio masse salariale / recettes fiscales < 50%; (ii) le ratio
des investissements publics ~ 20%; (iii) le ratio solde primaire de base / recettes fiscales
~ 15 %; (iv) la variation nette des arriérés intérieurs doit être nulle à défaut de leur résorption assortie d'une interdiction d'accumulation de nouveaux arriérés; (v) enfin, la variation
nette des arriérés extérieurs doit être au moins nulle, à défaut de leur résorption assortie
d'une interdiction d'accumulation de nouveaux arriérés.
64
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Les enjeux de la convergence économique: le cas de l'UE
Une union monétaire implique une politique monétaire commune. Pour
qu'une telle politique n'engendre pas d'asymétrie, il faut, en principe, que
les pays aient des structures économiques similaires, et donc que les chocs
exogènes aient le même effet dynamique sur leurs économies. Ainsi, par
exemple, les économies européennes ont été diversement affectées par les
deux chocs pétroliers, selon notamment leur degré de dépendance énergétique. Dans une telle situation, les politiques économiques nationales doivent pouvoir répondre de manière appropriée, et souvent différenciée, à ces
chocs; or, la contrainte de la monnaie unique, en obligeant les pays membres à une réponse macroéconomique commune et uniforme, peut entraÎner une détérioration de la position relative des pays les plus vulnérables.
Quelle diversité et quel degré d'hétérogénéité sont compatibles avec
l'adoption d'une monnaie commune? Après tout, les pays existants sont
des entités non homogènes et les régions coexistent, malgré leurs différentes structures économiques dans un espace de monnaie unique. La littérature relative aux zones monétaires optimales (Optimal currency areas)
date des années 1960 (Mundell, 1961). Mais les controverses qu'elle a suscitées sont loin d'être éteintes; au contraire, celles-ci retrouvent
aujourd'hui toute leur actualité avec l'avènement de l'euro.
Il est généralement admis qu'une union monétaire implique la convergence nominale entre les pays qui sont membres. Comme dans un système
de changes parfaitement fixes, si l'un d'entre eux est atteint par un choc
(négatif) spécifique de demande, il ne pourra y répondre en abaissant ses
taux d'intérêt ou en ajustant son taux de change nominal. Si les prix et les
salaires sont peu flexibles, l'ajustement se fera principalement par la baisse
de la production et de l'emploi. De même, un choc (négatif) réel spécifique
nécessiterait un ajustement du salaire réel qui, en présence de la rigidité
des salaires nominaux, pourrait être résorbé par un taux d'inflation plus
élevé. Mais, dans une union monétaire, de tels différentiels d'inflation
entre pays membres ne sont possibles qu'à court terme. De plus, avec une
seule monnaie, il y aura un seul taux d'intérêt, et par conséquent, ce dernier
ne peut pas être utilisé de manière différenciée selon les pays, ce qui, en cas
de choc réel spécifique, engendrera des divergences réelles.
Le traité de Maastricht, par exemple, impose aux pays de la communauté
un certain nombre de critères de convergence qu'ils doivent atteindre à la fin
des années 1990 pour pouvoir participer à l'UEM. Vraisemblablement, ces
critères ont été conçus de manière à permettre aux membres potentiels
d'aborder l' Union monétaire avec des structures suffisamment comparables
et, par la suite, une discipline commune en matière de politique économique. Mais, parce qu'ils sont exclusivement fixés en termes nominaux, il faut,
pour cela, supposer que la convergence nominalf1 favorisera la convergence
des structures économiques et que la stabilité de la politique monétaire sera
bénéfique pour les pays pauvres du groupe des participants potentiels à
l'UEM.
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 65
Implicitement, le traité repose sur l'idée que la stabilité des prix et des
changes favorise les échanges commerciaux entre les pays membres et que
ces échanges, à leur tour, rendent ces pays plus proches dans leurs structures et leurs niveaux de développement. Cependant, la théorie économique
et les évolutions observées tendent à invalider la première partie de ce raisonnement, en suggérant que, dans la plupart des cas, les échanges commerciaux favorisent la spécialisation et rendent ainsi les pays plus
dissemblables dans leurs structures et dans leur réaction à des chocs communs (Feldstein, 1992). Quant à la seconde, on peut lui objecter que,
même si les échanges commerciaux sont propices à la croissance et au
développement à long terme, les pays qui partent de conditions initiales
moins favorables et ne sont plus en mesure d'utiliser la politique monétaire
pour contrer d'éventuels chocs défavorables spécifiques, risquent d'être
contraints à emprunter des sentiers de faible croissance et de chômage
élevé. En conséquence, l'Union monétaire aurait alors pour résultat
d'amplifier, au lieu de réduire, les écarts qui séparent les pays les plus
développés du groupe des moins développés.
Les dispositions de politique macroéconomique contenues dans le traité
de Maastricht reposent sur l'idée que la croissance est davantage favorisée
par la stabilité des politiques économiques que par leur caractère plus ou
moins expansionniste. Selon cette option, les pays pauvres d'Europe ne
profiteraient pas de la préservation d'un plus grand degré de liberté pour
leurs politiques monétaires et ne peuvent donc que gagner à l'alignement
de leur taux d'inflation et de leurs taux d'intérêt nominaux sur les niveaux
dictés, dans le SME, par la Banque centrale allemande et, dans l'UEM, par
la Banque centrale européenne.
Dans la mesure où l'on peut considérer l'UEMOA, système de change
fixe, comme un mécanisme d'alignement des politiques monétaires nationales sur des orientations communes largement dictées par la BCEAO, on
peut, pour estimer les effets probables des dispositions contenues dans le
traité de l'UEMOA, examiner les évolutions passées: l'UEMOA d'hier et
l'UEMOA d'aujourd'hui ont-elles favorisé la convergence des performances macroéconomiques des pays membres? Dans quelle mesure la discipline imposée par la BCEAO a-t-elle éliminé les différences entre les
variables nominales dans ces pays? D'autre part, les pays ayant convergé
vers les variables nominales du pays leader qu'est la France, pour le taux
d'intérêt, et la Côte d'Ivoire pour le taux d'inflation, se sont-ils rapprochés
du taux de croissance du PIB par habitant de la Côte d'Ivoire 4 et/ou du
déficit budgétaire du Burkina Faso, retenus comme les références à ces
niveaux? Ou bien au contraire, les performances des pays membres de
l'UEMOA ont-elles eu tendance à diverger? Il est vrai que l'analyse des
seules données agrégées ne permet pas de répondre à toutes les questions
concernant la convergence des structures économiques elles-mêmes.
4. Qui a longtemps été leur leader en la matière.
66
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Cependant, elle apporte des éléments de réponse à la question de la convergence réelle, en termes de croissance et de performances macroéconomiques globales.
L'enjeu d'une telle discussion pour les pays de l'UEMOA tient au fait
que le triangle de Mundell, repris par P. Padoa-Schioppa (1985), à savoir
l'incompatibilité entre autonomie des politiques monétaires, fixité des
changes et mobilité des capitaux, est applicable à tout ensemble économique et par conséquent aux pays africains de la zone franc (PAZF). Plus précisément, la zone aurait un caractère déflationniste pour les pays suiveurs,
tout en bénéficiant au pays leader, si l'on raisonne dans une optique d'équilibre coopératif à la Nash (Eboué, 1992). Cette déflation serait caractérisée
par le transfert de l'ajustement sur le revenu de la majorité des populations,
en situation de surévaluation du franc CFA. De même, la zone n'assurerait
pas, par ailleurs, le développement de l'investissement privé, toujours en
retrait par rapport aux flux de sortie des capitaux et des profits nets de la
zone. Cela pose la question de l'opportunité de la convergence nominale au
détriment d'une convergence réelle et des performances économiques dans
un contexte de mondialisation de plus en plus poussée.
La convergence: définition et tests statistiques
On présente ici la définition et les tests empiriques de la convergence, la
méthodologie basée sur le filtre de Kalman et les données statistiques utilisées.
Définition et tests empiriques5
Soit X une variable macroéconomique quelconque, i etj deux pays donnés. Nous dirons que les i etj convergent aléatoirement dans le temps par
rapport à X, si, pour toute constante arbitrairement très petite E, il existe
une date t* à partir de laquelle l'espérance mathématique de l'écart entre
les variables XiI et Xjl devient inférieure ou égale à cette constante.
Plus formellement, "te"" 0, 3t* "tt ~ t* ,alors E(X il - X jf) ~ e où E
désigne l'espérance mathématique.
Les travaux empiriques sur la convergence peuvent, pour l'essentiel, être
regroupés en deux catégories. Dans la première, les analyses se fondent sur
des régressions sur les pays de la moyenne des taux de croissance du PIB
réel par tête sur des niveaux initiaux de la même variable. Le raisonnement
est que s'il y a convergence des niveaux, les pays dont le niveau initial était
faible devraient croître plus rapidement: le coefficient de régression
devrait être, en l'occurrence, négatif (Barro, 1990; Baumol, 1986; Barro et
5. Nous reprenons ici le modèle développé et utilisé par R. Loufir et L. Reichlin (1994)
dans le cadre de leur étude sur la convergence parmi les pays de la CE et de l'AELE.
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 67
Sala-i-Martin, 1990; De Long, 1988). Dans la plupart des études, les résultats de ce test, mené sur un grand nombre de pays, tendent à conforter
l'idée d'une convergence réelle. Mais cette procédure empirique est susceptible de faire l'objet de plusieurs critiques (Loufiat et Reuchlin, 1994).
Tout d'abord, si les variables X' T ne sont pas stationnaires, les conditions
initiales ne sont pas bien définies. Ensuite, comme l'a souligné Ca (1990),
la corrélation simple entre les conditions initiales et la moyenne des taux
de croissance n'apporte pas d'information concernant la convergence,
alors qu'avec des séries suffisamment longues, par la loi des grands nombres, la moyenne des taux de croissance des différentes économies converge en probabilité vers le même chiffre, les conditions initiales étant
indépendantes de la taille de l'échantillon. Si les différences premières du
PIB sont stationnaires, la moyenne (sur l'échantillon des taux de croissance des différentes économies analysées) converge vers une grandeur qui
est indépendante des conditions initiales. Par conséquent, tout estimateur
de corrélation entre la moyenne des taux de croissance et les conditions
initiales tend vers zéro, que le pays converge ou diverge 6 .
En revanche, les non-stationnarités des niveaux des variables étudiées
sont prises en compte par le deuxième groupe de travaux empiriques. La
notion de convergence s'associe alors à celle de co-intégration, cadre adéquat pour effectuer des tests statistiques. Quand les variables X' T ont un
ordre d'intégration égal à un, la notion de convergence utilisée par cette littérature correspond aux conditions suivantes:
(i) Exit et T sont co-intéressés;
(ii) le vecteur de co-intégration est (l, - 1);
(iii) la différence entre X it et Xjt est une variable (stationnaire) de
moyenne nulle.
Ainsi, dans ces analyses, si les variables X. t de deux pays ont convergé,
alors la co-intégration est une condition nécessaire mais pas suffisante: les
contraintes (ii) et (iii) doivent également être satisfaites. Cette démarche a
été utilisée pour des études des PIB en niveau et par tête par Campbell et
Mankiw (1989), Reichlin (1989), Bernard et Durlauf (1991), Cogley
(1990), entre autres. Les tests avec les contraintes (ii) et (iii) ont été appliqués à des modèles bivariés pour étudier la convergence par paires de pays
et à des modèles multivariés. Dans ce dernier cas, s'il existe n - 1 vecteurs
co-intégrants dans un système à n variables et si les conditions (ii) et (iii)
sont vérifiées, on parle alors de convergence globale.
Ces tests recourant à la co-intégration ont été largement appliqués aux
taux de change, aux taux d'intérêt nominaux et aux taux d'inflation pour
étudier la convergence nominale (Baillie et Bollerslev, 1989; Hakkio et
Rush, 1989). Dans la plupart des cas, les résultats de cette démarche rejettent l'hypothèse de convergence des variables réelles mais sont plus mitigés quant aux variables nominales.'
.
6. Voir aussi Cohen (1992), pour une critique différente de cette littérature.
68
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Toutefois, la conception de la convergence sous-jacente aux dispositions
du traité de l'UEMûA, héritées en partie du traité de Maastricht, est moins
contraignante que celle de la co-intégration. Implicitement, la condition
requise dans le traité est, en effet, que les pays soient en voie de converger,
et non pas qu'ils aient déjà convergé. En revanche, la co-intégration implique que: E(X it - X it ) = 0 et Var (X it - X it ) < 00, ce qui suppose que la convergence a déjà eu lieu.
Dès lors, le critère de convergence découlant des tests de co-intégration
avec les contraintes (ii) et (iii) ne correspond pas vraiment à la question de
la convergence que nous soulevons ici: il ne s'agit pas tant de savoir si les
pays ont déjà convergé, mais s'ils se sont engagés dans un processus de
convergence dans le passé récent, en particulier depuis le début des années
1980. Un test de co-intégration sur tout l'échantillon portant sur les trois
dernières décennies a donc de fortes chances de rejeter la co-intégration,
mais ce rejet n'apporterait aucune information sur l'engagement des économies en question dans le processus de convergence à partir d'un certain
point de l'échantillon. Autrement dit, nous cherchons un test permettant de
prendre en considération le changement des relations de long terme parmi
les indicateurs des différents pays. Pour ce faire, il convient de recourir à
une méthodologie de paramètres variables, susceptible aussi bien de détecter les changements de direction que de mesurer la vitesse de convergence.
La méthode que nous avons retenue, à la suite de Loufir et Reichlin (1994),
est une variante du test proposé par Haldane et Hall (1991), et appliquée,
un peu différemment, à un certain nombre d'indicateurs nominaux de la
Communauté européenne, par Hall, Robertson et Wickens (1992).
Méthodologie basée sur le filtre de Kalman
Considérons la variable macroéconomique X. t pour le pays 1 et pour
deux pays - référence A et B. Nous voulons savoir si le pays 1 tend vers le
pays A ou vers le pays B et à quelle vitesse. Dans ce but, nous effectuons la
régression suivante:
X At - X It = aIt + ~It (X At - X Bt ) + UIt (l), où UIt est un bruit blanc.
L'évolution temporelle des paramètres a t et ~t donne quelques éléments
d'information sur la convergence. Nous dirons que le pays 1 converge,
c'est-à-dire a entamé un processus de convergence, vers le pays A si:
E lim (~It) = 0 et E lim (aIt) =O.
Inversement, si le pays 1 converge vers le pays B, nous aurons alors:
E lim (~It) = 1 et E lim (aIt) = O.
Il faut noter que cette définition est plus faible que celle de la co-intégration avec les contraintes (ii) et (iii). Dans cet exercice, nous ne cherchons
pas à déterminer si les pays ont convergé, mais s'ils ont entamé le processus de convergence. D'un autre côté, un test de convergence - de co-intégration avec les contraintes (ii) et (iii) - de 1 vers A est équivalent à un test
y
A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 69
basé sur notre régression (1) où les valeurs des paramètres ne sont pas statistiquement différentes de:
~It = 0; E(aIt) = C et Var (aIï) = (J2 aIt < 00.
Le modèle (1) peut être estimé grâce au filtre de Kalman. Les événements possibles, quand aIt tend vers zéro, sont les suivants:
(a) E lim (~It) = 0, auquel cas XIt = X At
(b) E Hm (~It) = 1, auquel cas XIt = X Bt ·
Ensuite, quand X At < X Bt , trois cas de figure peuvent se présenter:
(c) 0 < E lim (~It)<l, auquel cas X At < X It < X Bt
(d) E lim (~It) > 1, auquel cas X At < X Bt < X It
(e) E lim (~It) < 0, auquel cas XIt < X At < X Bt
Enfin, quand X At > X Bt , trois cas de figure peuvent aussi se présenter:
(c') 0 < E lim (~It) < 1, auquel cas X Bt < XIt < X At
(d') E lim (~It) > 1, auquel cas XIt < X Bt < X At
(e') E lim (~It) < 0, auquel cas X Bt <X At < XIt
La représentation graphique des ~It estimés indique vers quelle situation
le pays 1 converge et à quelle vitesse. En effet, pour aIt"" 0, lorsque les
coefficients ~It tendent vers 0 (ou respectivement 1), on dira que le processus de convergence vers la référence A (ou respectivement B) est entamée.
La vitesse de convergence est mesurée par le rythme auquel les coefficients
~It tendent vers 0 (ou 1).
L'ambiguïté de cette méthode réside dans le choix du pays-référence.
Dans nos cas de régression, nous avons considéré la France comme la référence A et la moyenne des pays de l'UEMOA comme la référence B, pour
la première variable nominale, les taux d'intérêt. Le choix de la France
nous paraît tout naturel à ce niveau, étant donné les règles de fonctionnement de la zone franc?, dont tous les pays de l'UEMOA sont membres. On
peut donc considérer que c'est la France qui définit les orientations générales de la politique monétaire dans la zone franc. De plus, pour la variable
nominale considérée (les taux d'intérêt du marché monétaire ou le taux de
réescompte), on peut admettre que les niveaux français influencent de
façon notable ceux des pays de l'UEMOA.
Pour huit variables, dont deux nominales (le taux d'inflation et le taux de
liquidité), et six réelles (le taux de croissance réel par tête, l'emploi industriel, le poids du secteur industriel, celui du secteur manufacturier, le taux
d'exportation et le taux d'ouverture), nous avons choisi la Côte d'Ivoire
comme la référence A et la moyenne des pays de l'UEMOA comme la
7. La zone franc est un système de change fixe où le pays leader (la France et indirectement l'Union européenne) conditionne le taux de change nominal et influence les taux
d'intérêt et les taux d'inflation, et donc le taux de change effectif bilatéral (Hugon, 1997).
Six règles de fonctionnement garantissent la crédibilité de la zone: (i) la libre transférabilité des fonds; (ii) une parité fixe vis-à-vis du franc français; (iii) l'harmonisation des
réglementations des changes; (iv) un pool commun de devises; (v) la participation du Trésor public français à la gestion des instituts d'émission; et enfin, (vi) la limitation des avances de la Banque centrale à 20% des recettes budgétaires propres de l'État demandeur.
70
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
référence B. Le choix de la Côte d'Ivoire se justifie par le fait que ce pays
était cité comme la locomotive de la sous-région pour ses performances
économiques jusqu'à la fin des années 1970, position qu'elle a retrouvée
après la dévaluation du franc CFA de janvier 1994 (cf. tableau 3 infra).
Pour les deux autres variables réelles, le déficit public et le service de la
dette, nous avons retenu le Burkina Faso comme la référence A et la
moyenne des pays de l'UEMOA comme la référence B. Le choix du Burkina se justifie par le fait que, par le passé, ce pays a adopté des politiques
macroéconomiques de bonne qualité. C'est ainsi qu'en février 1994, la
Banque mondiale lui attribuait la meilleure note en matière de gestion
macroéconomique, comparativement aux autres pays membres de
l'UEMOA (Watteyne et Ouedraogo, 1994).
L'analyse empirique, développée dans la section suivante, explore ainsi,
systématiquement, le degré de convergence pour chaque pays de
l'UEMOA, vers les niveaux ci-dessus précisés des variables retenues.
Les données
Les données statistiques de l'étude proviennent des publications de la
BCEAO pour ce qui concerne les taux d'intérêt, des Statistiques financières internationales (SFI) du FMI pour les taux de croissance réelle des PIEI
tête et les déficits budgétaires, et enfin de la Division des statistiques de la
BAD8 pour les autres variables. Un examen rapide de ces variables donne
quelques indications préliminaires illustrées par les graphiques 1 à Il et
qui seront discutées dans la section 4 (infra).
Graphique 1. Évolution des taux d'intérêt des marchés
monétaires et des taux de réescompte
20
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10
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Le graphique l, montre que les taux d'intérêt du marché monétaire de la
France s'écartent progressivement de ceux de l'UEMOA, de 1975 à 1985.
En 1986, le taux du marché monétaire français chute brutalement de
11,9% à 7,74% tandis que celui de l'UEMOA baisse plus faiblement, passant de 10,6% à 8,58%. Dès lors, les taux français passent en dessous de
ceux de l'UEMOAjusqu'en 1993.
8. BAD (1998).
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 71
En ce qui concerne les taux de réescompte, de 1962 à 1981, les taux de
l'UEMOA sont plus faibles que ceux de la France.
Le graphique 2, qui représente les évolutions des taux d'inflation, laisse
apparaître le Sénégal et la Côte d'Ivoire comme les pays les plus inflationnistes de la zone pour la période 1981-1996. Le Burkina et le Mali occupent une position intermédiaire, tandis que le Togo et surtout le Niger sont
les pays les plus vertueux en matière d'inflation. Le choc de la dévaluation
de 1994 a été fortement ressenti par tous les pays, mais dès 1995, tous se
sont engagés dans un processus déflationniste. Globalement, on se rend
compte que de 1981 à 1985, puis de 1991 à 1995, la Côte d'Ivoire (retenue
comme référence), a été moins inflationniste que la moyenne des pays de
l'UEMOA. Il en va autrement de 1986 à 1990.
Graphique 2. Évolution des taux d'inflation
70
60
50
40
30
20
10
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·20
Les taux de croissance réels par tête sont très différents de 1980 à 1996
(graphique 3). On distingue, néanmoins, deux grandes catégories de pays:
ceux dont les PIB/tête sont orientés à la baisse (Côte d'Ivoire, Niger et
Togo) et ceux qui, au contraire, ont vu croître leur PIB/tête (Bénin, Burkina, Mali et Sénégal). La chute du PIB par tête est particulièrement forte
pour le Niger et la Côte d ' Ivoire, avec des taux de croissance annuel moyen
(tcam) de - 3,1 % et - 2,5 % respectivement. A l'inverse, le Burkina réalise
la meilleure performance sur l'ensemble de la période (+ 2,3 % de tcam).
On note, avec satisfaction, qu'après la dévaluation, tous les PIB par tête
croissent positivement, la Côte d'Ivoire et le Togo réalisant les meilleures
performances.
Graphique 3. Évolution des taux de croissance réelle
par habitant
0.4
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•
•
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MALI
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_ TOGO
72
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
Le graphique 4, qui est relatif aux déficits budgétaires, montre de fortes
divergences entre les pays. Le Burkina réalise les meilleures performances
sur l'ensemble de la période, le Sénégal ne jouant le rôle de leader que dans
les années 1990. Le Togo, de son côté, réalise les plus mauvaises performances sur l'ensemble de la période, suivi du Mali.
Graphique 4. Évolution des déficits budgétaires
160.00%
140.00%
120.00%
10000%
8000%
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19B6
1992
1994
1996
Le graphique 5, qui concerne le poids de l'emploi industriel, laisse apparaître, a priori, une nette divergence entre les pays. Cependant, on remarque
que les parts d'emploi du secteur industriel sont très proches entre le Mali
et le Niger, d'une part, et que le Sénégal se situe à la fois dans une position
moyenne et médiane. Au-dessus, on trouve la Côte d'Ivoire, le Togo et le
Bénin qui sont les pays relativement les plus industrialisés, si on raisonne
en termes d'emplois industriels relativement aux autres secteurs. Le Burkina, le Niger et le Mali sont les moins industrialisés de ce point de vue.
Cependant, les graphiques 6 et 7 ne confirment pas les conclusions précédentes. En effet, selon la part de l'industrie dans le PIB (graphique 6), la
situation moyenne est celle de la Côte d'Ivoire. Le Togo et le Niger sont
alors les pays où le poids de l'industrie dans le PIB est le plus élevé, alors
qu'en dessous de la moyenne, on trouve le Burkina, le Sénégal et le Mali.
Ces trois derniers pays semblent converger vers la Côte d'Ivoire et/ou la
situation moyenne. Le Bénin serait alors le pays le moins industrialisé,
avec une position relativement stable, bien qu'ayant un emploi industriel
relativement au-dessus de la moyenne.
Graphique 5. Proportion de la main-d'œuvre dans l'industrie
16
14 1
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12
10
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y A-T-ll. CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 73
Graphique 6. Parts de l'industrie dans le PIB en %
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1996
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Graphique 7. Part de l'industrie manufacturière dans le PIB
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1980
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- - - UEMOA
Si l'on ne s'intéresse qu'à l'industrie manufacturière (graphique 7), le
Togo représente la situation moyenne. On trouve alors au-dessus de cette
moyenne, le Burkina, la Côte d'Ivoire et le Sénégal. Alors que le poids de
la valeur ajoutée manufacturière du Burkina et celle de la Côte d'Ivoire
semblent converger durant les années 1980 et le début des années 1990, ce
sont plutôt le Sénégal et la Côte d'Ivoire qui tendent à se rapprocher, à première vue, pendant les années post-dévaluation. Les pays en dessous de la
moyenne (Mali, Bénin et Niger) ont les parts de leur valeur ajoutée manufacturière qui restent relativement stables sur toute la période.
Graphique 8. Taux d'exportation (= exportationIPIB)
06
0.5
04
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1996
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Togo
_
UEMOA
Le graphique 8, relatif aux taux d'exportation, indique que le Bénin
constitue la situation moyenne. Au-dessus de celle-ci, on retrouve la Côte
d'Ivoire, le Togo et le Sénégal (surtout après la dévaluation pour ce dernier
74
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
pays). En dessous, il yale Mali, le Niger et le Burkina. Il n'apparaît
aucune tendance convergente entre les taux d'exportation. Les positions
sont relativement figées.
Graphique 9. Taux d'ouverture des économies
(= importations + exportationsIPIB)
. a· BF
1.5
Rel
Mali
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1980
1985
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1990
1991
1992
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1993
1994
1995
1996
1
,+~""'I
' - Togo
1 -
UEMOA
En revanche, le graphique 9 qui concerne les taux d'ouverture montre un
resserrement des degrés d'ouverture des économies, hormis le Togo qui se
distingue nettement comme étant le pays le plus ouvert. Le Burkina et le
Mali, à un degré moindre, se distinguent aussi, mais comme les pays les
moins ouverts. Les trois autres pays ont des degrés d'ouverture très proches.
Le graphique 10 illustre les poids des services de la dette, relativement
aux exportations. Les situations des pays sont, à ce niveau, très différentes.
Cependant, en 1992, on note une brutale convergence des pays les plus
endettés (au-dessus de la moyenne, sauf la Côte d'Ivoire dont le poids du
service de la dette est le plus lourd). Il s'agit du Niger et du Sénégal. Les
situations des pays médians convergent apparemment, et ce, très rapidement durant les années 1990 (Niger, Mali, Sénégal, Burkina et Togo). Le
Bénin et le Togo sont les pays dont les poids du service de la dette sont les
plus faibles, relativement à leurs exportations.
Enfin, le graphique Il qui porte sur les degrés de «développement
monétaire 9 », révèle, à première vue, des différences des niveaux atteints.
Les positions des pays sont très variables dans le temps, sauf celle du Niger
où les taux de liquidité sont aussi les plus faibles. La situation du Sénégal
est très caractéristique de la variabilité, tandis que le Bénin apparaît
comme le pays ayant le développement monétaire le plus élevé.
Au total, ces graphiques ne laissent pas apparaître une tendance nette à la
convergence en matière de structures économiques. Pour ce qui est des performances des politiques économiques en revanche, il y aurait une tendance convergente. La tendance divergente semble plus nette pour les
9. Suivant en cela le concept de développement financier de R. W. Goldsmith (1966 et
1969) qui se mesure à partir du ratio d'interrelation financière (RIF), c'est-à-dire le rapport
des avoirs monétaires et financiers sur les avoirs réels du pays. Goldsmith soutient que le
développement financier d'un pays peut précéder son développement économique.
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 75
Graphique 10. Service de la dette en % des exportations
40
35
30
25
20
15
10 -
!-+-Bénin
Î
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1
Mali
5
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1975
1980
1985
1990
1991
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1993
1994
1995
--x--- Niger
1
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- ' Togo
1996
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Graphique 11. Taux de liquidité des économies (= M2/PIB)
_ - Bénin
• - BF
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~
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~
__
Niger
-
Togo
Sénégal
- ' UEMOA
~
variables réelles que pour les variables nominales, d'une part, et pour les
variables structurelles que pour les variables conjoncturelles ou de politique économique, d'autre part. Mais avant d'en tirer des conclusions, il
convient d'analyser les résultats de l'application empirique du modèle 1,
que nous avons exposé ci-dessus.
Résultats empiriques
Les résultats des estimations sont illustrés sur les graphiques 12 à 21, qui
pennettent de visualiser l'évolution temporelle des coefficients ~It estimés
par l'équation pour les différents pays de l'UEMOA et les indicateurs retenus 10.
La convergence nominale
L'évolution des taux de réescompte et d'intérêt du marché monétaire de
l'UEMOA et de la France, d'une part, et des taux d'inflation dans les pays
de l'UEMOA, d'autre part, permet de discuter de la convergence nominale.
10. Pour les taux de réescompte, le modèle estimé est le suivant: X AI =
Qil
+ bit X it .
76
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
Il s'agit de voir quels événements (cf. ci-dessus) sont réalisés.
A) TAUX D'INTÉRÊT
Le graphique 12a montre qu'en ce qui concerne le taux d'intérêt du marché monétaire, enregistré de 1975 à 1979, il n'y a pas de tendance convergente entre l'UEMOA et la France. Le taux français s'écarte, à la hausse,
du taux de l'UEMOA (événement c'). En 1980, il y a un brusque rattrapage
(événement e'). Dès lors, de 1981 à 1993, le taux d'intérêt du marché
monétaire de l'UEMOA converge rapidement vers celui du marché français (événement b).
Graphique 12 a). « Convergence» des taux d'intérêt du marché
monétaire (France-UEMOA) (1975-93)
60
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13
14
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16
17
18
19
--coefficient a
• - - - _. coefficient b
.., .
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.
1
•
,1
B) TAUX DE RÉESCOMPTE
Trois phases nettes se dégagent à ce niveau. De 1962 à 1974, le taux de
réescompte de la BCEAO est resté constant à 3,5 % tandis que le taux français s'en écartait rapidement pour atteindre 13% en 1974. A la suite des
réformes de la zone franc de 1973-1974, on assiste à une convergence
rapide (événement b) de 1975 à 1979. Enfin, la troisième phase qui couvre
la période 1980 à 1993 se caractérise par une constance du taux de réescompte français à 9,5 %. Le taux de l'UEMOA fluctue alors autour du taux
français pendant cette période (événement c), avec une tendance divergente.
La politique monétaire, en général, et celle des taux d'intérêt, en particulier, de la BCEAO ont connu trois grandes étapes depuis 1962:
- (i) de 1962 à 1972, les taux d'intérêt sont maintenus particulièrement
bas. Deux ordres de considérations relatives à l'investissement et à l'épargne ont effectivement guidé cette politique en se fondant sur la théorie keynésienne (cf. J. Bourdin, 1980). Selon ces considérations, l'investissement
est fonction du taux d'intérêt, tandis que l'épargne dépend du revenu national. Étant donné que dans les pays en voie de développement les revenus
sont faibles, la propension à épargner - fort marginale - est supérieure à 1
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 77
de sorte que des taux d'intérêt élevés n'entraînent pas une épargne élevée,
mais, au contraire, une diminution de l'investissement. En conséquence, il
faut des taux d'intérêt bas pour stimuler l'investissement, et partant, promouvoir la croissance, de sorte à abaisser la propension marginale à consommer donc accroître l'épargne Il ;
- (ii) de 1973 à 1992, la BCEAü procède à des ajustements et même à
une réorientation radicale de sa politique. Dès 1973, on assiste à une
hausse des taux d'intérêt et à l'adoption du taux de réescompte comme
nouvel instrument. L'explication de ce changement serait, selon Bourdin
(1980), que la BCEAü a tiré les leçons de son long apprentissage. En conséquence, elle se détache progressivement de son keynésianisme originel
en inversant les propositions initiales: il est alors plus ou moins implicitement admis que l'investissement est sensible au taux d'intérêt qui, en
revanche, est essentiel pour l'épargne. Ainsi, le taux d'intérêt, conçu à
l'origine comme un moyen d'incitation à l'investissement, est désormais
considéré comme un facteur de mobilisation de l'épargne et fixé en conséquence. Cependant, la BCEAü et les pays membres ne se départissent pas
totalement de leur ancienne conception, de sorte qu'on assiste à une multiplicité de taux d'intérêt (bonifiés, préférentiels, etc.) qui ont fini par entraîner de nombreuses distorsions dans les prix financiers;
- (iii) depuis 1992, la tendance lourde de la politique de la BCEAü est à
la libéralisation. Dès 1989, on assiste aux premières mesures de libéralisation, avec l'harmonisation des taux d'intérêt. A partir de 1992, la BCEAü
met en place des mesures de libéralisation poussée du secteur financier.
Graphique 12 b). Taux d'ouverture des économies
(= importations + exportations/PIB)
40
2: ---~~ ...A--= ~
..,, ..
·.'
·, .'
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1
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3
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7
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21
23
25
27
29
31
--coefficient a
- - - - - - coefficient
l'
'
-80
-100
"•
-120
Il. Une autre justification de cette politique de taux d'intérêt bas que l'on rencontre
porte sur le fait que l'État étant le principal emprunteur, des taux d'intérêt élevés entraîneraient de lourdes dépenses budgétaires. Aussi, les taux d'intérêt ont-ils été maintenus bas
(cf. Diagne, 1988).
78
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
A la lumière de ces évolutions de la politique monétaire de la BCEAO,
on comprend mieux pourquoi, globalement, les marchés monétaires et
financiers de l'UEMOA et de la France n'ont pas convergé sur l'ensemble
de la période 1962-1993. Cependant, de 1975 à 1979, au niveau du taux de
réescompte, un processus de convergence a été enclenché, mais ce cap n'a
pu se maintenir au-delà de cette brève période. En revanche, au niveau des
taux d'intérêt des marchés monétaires, de 1981 à 1993, celui de l'UEMOA
a rapidement convergé vers celui de la France. Cette période correspond à
celle de l'entrée en vigueur des programmes d'ajustement structurel (PAS)
dans l'ensemble des pays de l'UEMOA. On sait que ces politiques ont
exigé beaucoup plus de rigueur dans les politiques économiques en général, et monétaires en particulier, ainsi qu'une plus grande libéralisation des
marchés monétaires et financiers. Ces politiques pourraient expliquer ce
résultat.
C) TAUX D'INFLATION
Avec la période 1980-1996, on note que l'inflation du Niger et du Togo
(événement b) converge vers la Côte d'Ivoire, tandis que celle du Burkina
Faso (événement a) converge vers la moyenne de l'UEMOA. Ces trois
pays constituent, en fait, « les pays vertueux» en matière d'inflation. Plus
spécifiquement, on remarque (graphique 6) qu'à partir de 1984, l'inflation
enregistrée avec l'exemple togolais converge rapidement vers la moyenne
(événement b). Le Niger est dans la même situation (événement b) de 1980
à 1988, puis tend à diverger, mais faiblement jusqu'en 1996. La tendance à
la divergence s'est amplifiée avec la dévaluation. Concernant le Burkina
Faso, après une période de rattrapage rapide de 1980 à 1987 où son inflation converge vers celle de la Côte d'Ivoire (événement a), ce pays converge par la suite vers la moyenne. Le Sénégal qui est aussi proinflationniste que la Côte d'Ivoire ne converge ni vers ce dernier, ni vers la
moyenne (événement e). Cependant, on peut dire qu'il a entamé le processus, mais à un rythme encore très faible (pente des coefficients 13).
Les marchés monétaires et financiers de l'UEMOA et de la France ont
convergé durant les années 1980 et 1990. Cependant, cette situation n'a
pas conduit à une convergence des taux d'inflation dans les pays de
l'UEMOA. A ce niveau, il apparaît deux groupes de pays, « les vertueux»
(Burkina Faso, Niger et Togo) et les «non-vertueux» (Côte d'Ivoire et
Sénégal), cela laisse penser qu'ils recourent plus au financement monétaire
de leurs déficits budgétaires. De même, il apparaît que la convergence des
marchés monétaires n'entraîne pas automatiquement une convergence
nominale globale des économies, comme s'il existait des comportements
de resquilleurs. Certains pays (Côte d'Ivoire et Sénégal) semblent ne pas
participer aux coûts de réalisation de la faible inflation de la zone par des
politiques économiques et monétaires dites vertueuses. L'examen de la
convergence réelle permettra certainement de confirmer ou d'infirmer cette
thèse.
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 79
Graphique 13. « Convergence» des taux d'inflation
10
5
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NIGER
HF
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Amées
0) TAUX DE LIQUIDITÉ DES ÉCONOMIES
Comme on peut le voir sur le graphique 14, la tendance générale est à la
divergence des taux de liquidité. Cela signifie que les pays de l'UEMOA,
malgré plus de 35 années de monnaie et de politique monétaire communes,
n'ont pas encore atteint le même degré de développement monétaire. On
note (cf. annexe 2) que les coefficients a. tendent vers zéro et X A (= RCI)
< X B (= UEMOA). Cependant, les coefficients ~ indiquent clairement une
tendance divergente des pays. Néanmoins, le Mali a convergé au début des
années 1990 vers la moyenne de l'UEMOA, puis très rapidement, a repris
une tendance divergente. En revanche, le Togo converge vers la moyenne
de l'UEMOA à un rythme soutenu.
Graphique 14. « Convergence» du taux de liquidité
de l'économie
20
o
• Bénin
-20
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• BF
-4 0
Sénégal
Mali
Bénin
(J)
(J)
(J)
(J)
• Sénégal
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(J)
Au total, les pays de l'UEMOA convergent globalement en ce qui concerne les variables de politique monétaire, mais divergent en ce qui con-
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
80
cerne la variable structurelle (le taux de liquidité de l'économie).
Cependant, cette variable structurelle n'est pas stable dans la mesure où les
taux de liquidité des pays sont très erratiques. Ainsi, la longue pratique
d'une politique monétaire commune en un même rythme de développement monétaire, et partant de développement économique. Cela se ressent
nettement au niveau des variables réelles.
La convergence réelle
La question qui se pose maintenant est celle de savoir si le processus de
convergence engagé au niveau des marchés monétaires, et à un degré
moindre, à celui de l'inflation, résulte ou se traduit par une convergence
réelle, c'est-à-dire des structures des économies des pays de l'UEMOA.
Les graphiques 15 à 21 illustrent ce processus de convergence réelle.
A) TAUX DE CROISSANCE RÉELLE DU PIB/TÊTE
Les pays de l'UEMOA ont abordé les années 1980 avec des divergences
dans les performances en matière de croissance du PIB par tête. Cependant, dès 1984, tous semblent engagés dans un processus de convergence.
En particulier, le Sénégal converge rapidement vers la moyenne (événement b) de 1984 à 1996 avec une nette accélération du processus dans les
années post-dévaluation. Il est suivi, dans une moindre mesure, du Togo et
du Mali (événement c). Le Bénin et le Burkina Faso, partis d'un niveau de
divergence beaucoup plus élevé, convergent beaucoup plus lentement
(événement d). Le Niger a une tendance totalement opposée aux autres
pays. Il diverge de plus en plus rapidement jusqu'en 1993, puis renverse la
tendance dans les années post-dévaluation.
De façon générale, il semble clair que la convergence réelle, appréhendée en termes de taux de croissance des PIB par tête, a été à peine entamée
(après la dévaluation). Qu'en est-il des politiques budgétaires?
Graphique 15. « Convergence» des taux de croissance
du Pm/tête (1981-1996)
.0
-BENIN
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ID
• BUR<INA
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ID
oMAU
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• TOGO
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y A-T-TL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 81
B) DÉFICIT BUDGÉTAIRE
La situation du déficit budgétaire est relativement claire. Les différents
pays convergent assez rapidement sauf le Togo. Cependant, on peut les
diviser en trois groupes: les « pays vertueux» qui seraient constitués du
Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire; ensuite des pays intermédiaires composés du Bénin, du Niger et du Sénégal; le Mali et le Togo qui apparaissent
comme des pays « peu vertueux ».
La Côte d'ivoire converge rapidement vers la moyenne (événement b)
jusqu'en 1986 et vers le Burkina en 1987 et 1988. De 1989 à 1996, l'évolution du déficit budgétaire est caractérisée par une tendance incertaine
(événement c). Dans le deuxième groupe de pays, le Bénin part d'un
niveau de divergence élevé (événement jusqu'en 1983 puis événement d
jusqu'en 1996). A partir de 1984, il converge assez rapidement vers la
moyenne (événement b), mais tend à diverger depuis la dévaluation. Le
Niger et le Sénégal partent de niveaux de divergence comparables (événement e'). Cependant, le Niger converge régulièrement vers la moyenne
alors que le Sénégal, après avoir convergé vers la moyenne jusqu'en 1986,
tend à diverger tendanciellement jusqu'en 1996.
Concernant les pays peu « vertueux », ils commencent aussi par converger vers la moyenne, jusqu'en 1989 pour le Mali, et en 1985 pour le Togo.
De 1990 à 1996, le Mali a plutôt une tendance divergente. Le Togo, après
un choc en 1986, reprend une tendance convergente vers la moyenne
jusqu'en 1992, puis converge brutalement avec le Burkina de 1993 à 1996.
Graphique 16. « Convergence» des déficits budgétaires
(1980-1996)
140-·120
100
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• BENIN
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1
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• TOGO
BENIN
13
Arrées
15
17
C) EMPLOI D'INDUSTRIEL
Pour la proportion de la main-d'œuvre employée dans l'industrie, les
coefficients a sont encore éloignés de zéro bien que tendant vers cette
82
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
valeur. Le processus de convergence y est à peine entamé. Les niveaux
d'industrialisation entre les pays, qui sont très différents, affichent une tendance, certes lente, à la convergence. Mais, alors que tous les autres pays
convergent très lentement vers la Côte d'Ivoire (référence A), le Bénin, lui,
converge aussi lentement vers la moyenne de l'UEMOA. Ce deITÙer pays
aurait-il un retard d'industrialisation aussi marqué?
Graphique 16.
«
Convergence» des parts de la main-d'œuvre
dans l'industrie
4
2
• Bénin
0
• BF
o Mali
-2
-4
o Niger
• Sénégal
• Togo
D) TAUX D'OUVERTURE DES ÉCONOMIES
Si l'on raisonne en termes de degré d'ouverture des économies, il ressort
une très forte divergence entre les pays de l'UEMOA. Seul le Bénin semble
converger, et ce très lentement, vers la moyenne de l'UEMOA. Tous les
autres divergent nettement et le processus
E) SERVICE DE LA DEITE
Mesurée par le service de la dette (en % des exportations), la convergence
entre les pays de l'UEMOA, de façon générale, n'existe pas. Cependant,
on note que le Mali converge très rapidement vers le Burkina (référence A)
et le Bénin lentement certes, mais plutôt sûrement. Les autres pays divergent et même rapidement. On peut donc dire qu'en matière d'endettement,
le Burkina, le Mali et le Bénin semblent être les plus sages. Les autres pays
ont une plus grande propension à s'endetter.
Les pays de l'UEMOA sont engagés depuis les années 1980 dans un certain processus de convergence réelle, notamment au niveau des taux de
croissance réelle par tête et surtout des déficits budgétaires. Il s'agit essentiellement d'une convergence des variables de politique économique que
l'on peut aisément attribuer aux règles de fonctionnement de la zone franc
et des conditionnalités des PAS que les pays ont adoptées dès le début des
années 1980. Au niveau des variables structurelles, hormis le taux d'expor-
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 83
tation pour lequel le processus de convergence est à peine entamé, il y a
une nette tendance divergente qui se manifeste.
Conclusion
Les pays de l'UEMOA ont entamé un processus de convergence, généralement vers la moyenne. Cette tendance fort perceptible au niveau des
variables de politique économique notamment les taux d'intérêt et le taux
d'inflation et le taux de croissance réelle du PIB/tête, l'est beaucoup moins
au niveau des variables structurelles.
Toutefois, on peut distinguer trois groupes de pays: (i) ceux qui ont
entamé un processus de convergence vers la Côte d'Ivoire (le Bénin et le
Burkina Faso); (ii) ceux qui tendent à converger vers la situation moyenne
de l'UEMOA (le Sénégal et le Mali); (iii) et ceux qui soit divergent ou,
quand ils convergent, le font tantôt vers la moyenne, tantôt vers la Côte
d'Ivoire (Niger et Togo). La tendance du Bénin fait qu'on ne peut imputer
ces comportements à la proximité géographique. Ceux-ci ne semblent pas
résulter non plus du niveau de développement économique.
Une seconde conclusion générale qui peut être tirée concerne le clivage
variables structurelles/variables conjoncturelles ou de politique économique: pour les premières, on note clairement que le processus de
convergence est encore loin d'être entamé. Cela signifie que paradoxalement les structures économiques des pays de l'UEMOA ne tendent pas à
se rapprocher. Ce résultat ne surprend pas si l'on sait que l'UMOA n'a pu
devenir une union douanière, même avec la mise en fonctionnement de la
CEAO qui aurait pu rapprocher les structures économiques. Par contre,
les variables de politique économique ont soit convergé ou tout au moins
entamé le processus. Ce résultat peut se mettre au crédit de l'UMOA
(aujourd'hui UEMOA). Aussi, il faut espérer que la dimension union
économique de l'UEMOA prenne de plus en plus d'ampleur pour tirer
les pays vers le haut puisque la plupart du temps la convergence s'est
faite vers la référence A, correspondant au pays le plus performant.
Enfin, le troisième résultat net qui se dégage est que le clivage variables
nominales/variables réelles est peu pertinent pour les pays de l'UEMOA
au regard de la convergence. L'opposition entre les variables structurelles
et les variables conjoncturelles ou de politique économique est la plus pertinente. En d'autres termes, les pays de l'UEMOA ne doivent pas s'attendre en matière de convergence à ce que la convergence nominale (ou des
politiques monétaires) entraîne une convergence des variables réelles de
politique économique et/ou des structures économiques. Au contraire, il
faut faire en sorte que la convergence des politiques économiques, rendue
possible par les règles de fonctionnement de la zone franc et les PAS, se
traduise aussi par une convergence des structures économiques.
84
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Au demeurant, l'idée selon laquelle la zone franc serait un espace déflationniste en raison de la très forte contrainte extérieure pesant sur les pays
- ce qui limite la croissance économique -, se trouve ici confirmée. L'argument théorique fondant cette thèse se trouve déjà inscrit dans le modèle
Mundell-Fleming en changes fixes. Dans ce cas, pour un petit pays, la politique monétaire est inefficace à relancer l'activité économique, car elle se
traduirait en situation de mobilité parfaite de capitaux par une baisse de
taux d'intérêt et une fuite des capitaux. Le déséquilibre consécutif de la
balance des paiements serait alors source d'effets pervers sur l'équilibre
interne, à savoir la production, l'investissement et l'emploi.
S'il est vrai que la politique monétaire peut perdre toute autonomie, la
politique budgétaire est susceptible de la retrouver. Mais alors, il faudra
éviter tout financement monétaire excessif du déficit budgétaire, l'action
de l'État n'étant efficace qu'en l'absence de toute éviction des entreprises
sur les marchés des actifs. Cette analyse explique pourquoi les PAZF se
sont rabattus sur la politique budgétaire, après la perte de leur souveraineté
monétaire.
Cependant, l'analyse théorique récente des effets réels des régimes des
changes en situation de théorie des jeux, à la suite de K. Hamada (1976),
M. Canzoneri et J. A. Gray (1983) puis F. Giavazzi et A. Giovannini
(1984), a permis de montrer que dans certains cas, la fixité du taux de
change ou la convergence nominale des politiques économiques ne sont
pas toujours optimales par rapport à la situation de cavalier solitaire. En
effet, des asymétries d'objectifs (certains pays accordant un poids plus
grand que d'autres à l'inflation dans leur fonction de réaction) et des asymétries institutionnelles (à savoir les différences de structures économiques) peuvent justifier de telles réactions stratégiques.
Au-delà du problème des différences de structures, la convergence des
politiques économiques (dans le sens restrictif de la politique monétaire et
budgétaire) a comme conséquence d'aligner tous les objectifs nationaux
sur la norme inflationniste la plus faible. Cet argument, qui a été utilisé
pour expliquer l'apparition d'une zone mark à l'intérieur du SME, est aussi
illustratif de la situation des pays de l'UEMOA et sans doute des PAZF
dans leur ensemble. En d'autres termes, la croissance différentielle de
l'économie des pays de l'UEMOA est due davantage à l'environnement
favorable de l'offre de leurs produits de base, qu'aux mécanismes de la
zone.
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y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 87
Annexe 1 : données statistiques
Tableau 1. Taux d'intérêt des marchés monétaires (TM) et taux
de réescompte (TR) de l'UEMAO et de la France (en %)
3.61
1961
1964
19li5
1.
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11.74
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7.74
...,
7.98
7.$1
9.1TT
u,
103'
1.75
9..5
9..5
12..5
U
10..5
tU
10..5
1..5
U
9..5
Il
11
Il
12..5
10..5
..,."
9.5
9..5
U
9.5
,..5
9.S
9.S
U
9..5
Source: BCEAO, Notes d'information, divers numéros.
Tableau 2. Taux d'inflation (en %)
B.F.
19110
-9.3
-2.3
-3.5
-4.4
2.0
-1.8
-4.2
0.5
-4.4
-0.9
t991
2.5
1992
1993
1994
1.7
1.7
63.3
-6.9
-3.4
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1995
1996
-.,-
1.91
CJ.
-14.1
·U
-3-'
·M
••
21.1
Mail
NÎller
-2.4
-8.3
-0.1
2.S
3.S
·1.7
-16.0
2.8
4.7
-LS
-12.9
-LI
~
-3.3
-5.6
-5.7
-9.2
-S.1
-7.2
·3.1
14.3
3.2
2.4
50.3
-9.8
-3.2
3....
1.98
0.62
...
Il.1
-5.l
1.J
3.3
-0
1
~
-13
-2.
-4.
3.1
5.9
2.2
61.
-11.1
Source: BCEAO, Notes d'information, divers numéros.
Sénéllal
-10.9
3.0
0.6
2.3
9.2
8.7
-5.2
-6.0
-4.5
1.
6.
-O.
Toao
-1.0
-4.t
-0.4
-10.5
-4.3
7.8
-0.7
-6.2
-6.7
2.9
S.3
-1.7
UEMOA
·S.
-3.
-3.
-2.
O•
4.
-4.
·2.
-5.
-O.
6.
O.
3.5
2.
54.1
·1.
50.2
-13.6
57.
-0.6
3.44
0.6
-1.
1.31
2.0
3.
-la.
88
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 3. Taux de croissancde réelle par tête
BENIN
1981
1982
198J
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
S.MI
3.6,
-4.9'
-1.0'
HI
-J.3'-'
6.J'I
0.5"
-1.31
--0.2'
1.81
0.9'
0.2'1
1.6'
1.7'1
B.F.
1.91
4.11
-lSi
-O."
11.91
28.11
-2.6'
3.2~
-1.71
-3.91
6.4"
-0.31
-3.7"
-1.61
1.3'
2.71
C.L
'.1,.
MALI
NIGER
2.J~
0.1'1
-10ft
•.5.3,.
UI
·MI
-HI
~
-O.~I
4.K
-2.7"
14.6"
-7.S1
-3.0'
8.11
-2.41
-3.4"
4.91
-5.21
.0.6'
3.21
0.91
...ft
·15oft
-Z.5,.
...
~
-4.,76
·3.....
-3~
-3~
"oK
4.1,.
-4.6'1
133.6'
.{j).61
-3.4'1
-J.J'I
-1.2'1
.{j.41
2.o,
--0.61
-9.5'
·1.81
0.6'
--0.41
0.41
SENEGAl
-J.JI
11.815
-0.1 "
-7.01
0.91
3.o"
22.M
-26.81
36.9'1
1.4"
-3.6"
0.0'
-4.61
-0.61
2.2"
2.3'
0,.
.1..4,.
1.2,.
1.3,.
8.4"
2.6"
Source: Statistiques financières internationales, FMI, divers numéros.
_yeue
2.81
1.1,.
TOGO
UEMOA
.{j.JI
.{j.5'
-9.0'1
-2.51
16.1..
o.o~
-6.5,.
0.1'
12.1 '1
5.5'l
1.ft
.).6111
5.2..
-1.5'l
4.S'I
1.0'1
-J.OI
-3.7"
.{j.71
-20.51
8.81
3.91
3.21
-1.5,.
0.1"
I.3,.
-4.,,..
"oK
·2.ft
·5.6..
1."
2.3..
1.4..
0.7"
Tableau 4. Déficit budgétaire en % du PIB
BENIN
1
1980
~2.31'
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1981
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
J.20'
36.'JU'
33.641
~
17.17"
35.10"
16.121
15.421
~.I2I
.{j.78'
6.05'
24.08"
19.61"
14.001
5.14'
13.97"
16.22'
1.361
B.F.
·2035"
lUI"
11",..
".71"
9.!6'i
·10.31..
-6.Cl3'i
4.""
25.15,.
·12.57"
U.Jft
lUS"
11~
11.17"
12.411"
6.73..
1.77..
6.27..
e.I.
9.99'1
10.671
11.5711
9.361
2.76"
2.96'
9.401
18.831;
17.041
15.791
11.551
12.21 ,
11.171
11.391
5.961
2.651
1.991
,..,.,.
MALI
28.24"
22.89'
42.90"
4&.36"
43.01"
55.621
39.S81
29.52"
23.981
21.91"
12.271
17.82'
16.S01
17.iI'
17.801
11.951
3.071
li.,.
NIGER
·3.5'1
13.241
240451
23.691
J1.04"
19.111
13.83'
13.431
21.751
25.64"
29.421
14.ill
20.611
16....1
27.881
14.12'
0.781
.......
SENEGAL
15.82"
36.571
20.61 ,
20.361
21.28"
16.181
9.821
8.701
2.281
2.131
4.421
5.86'
3.341
5.821
3.54'
0.38'
0.311
1f.4'7'i
Source: Statistiques financières internationales, FMI, divers numéros.
TOGO
17.61"
51.911
16.97'1
19.98"
26.81'
18.25"
45.54'
34.431
24.761
14.421
20.94'
47.271
31.ill
1.... 181
100.001
49.ill
43.261
41.64..
UEMOA
.,.17"
21.3"i
23.74"
12.1"
U-"V6
16.14..
u.u..
16.31..
15.55,.
10.57"
.7.43..
18.16..
15.54..
31.36"
25.95"
".55"
7.!ft
18.51,.
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 89
Tableau 5. Part de MO dans l'industrie en % de la population
active (réf A =RCI, réf B =Moyenne UEMOA)
Bénin
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
~
BF
5.92
6.67
7
8.43
8.63
8.83
3.9lI
4.28
4.62
06
9.18
9.36
9.54
5.03
'.1
5.17
5.23
'.3
5.36
1..2Sfi
..983
9
RCl
,.
,~
11
U
u.7.
13.13
13
U.
u:
li:?
Mali
1.78
2.01
2.28
2.58
2.65
2.72
2.78
2.84
2.9
2.96
1.55
Niger
1.4
1.63
LM
2.12
2.18
2.24
2.3
2.36
2.41
2.47
1.895
Sénégal
5.96
6:26
6.61
6.93
6.99
7.06
7.11
7.17
7.23
i.i9
6.161
Togo
9.4
9.92
11
10.98
lU
lUI
11.31
HAl
11
11.62
1• •
UEMOA
....
5.154.1
5S1G
6.1357
6.9114
7.UM
7.%5'71
7.19
7.4514
7.651161
6.151
Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays
africains, vol. XVIII.
Tableau 6. Part de l'industrie dans le PIB en %
(réf A =RCI, réf B =UEMOA)
Bénin
1975
1980
19lI5
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
~M.mœe
0.1464
0.11911
0.174
0.1323
0.1298
0.135
0.1367
0.1345
0.1362
0.1).i
BF
O.~
0.2443
0.2232
0.2238
O.~
0.2091
o:1lm
0.2101
0.2145
0.2~
•.tm
O.%25Z
Source: Banque africaine de
africains, vol. XVIII.
RCI
Mali
Niger
Sénégal
Togo
UEMOA
0.166
0.26~
0.343
0.1545
1.%14
0.242
0.132
0.2945
0.1732
0. .
••IM
o.i52 0.183 0.3875 0.1645 0.3165 UC31
0.1587
0.3525
0.1814
0.3375
0.%311
1.%31
0.180S
0.3361
0.3878
O.lm
8.130
• .Di
0.1738
0.1812
0.3539
0.3838
U399
O.u
0.1849
0.381
o.um 0.4.584 1.156ll
8.2Ao
0.182
0.1852
0.354
8.ul
0.4039
•.Z44li
e.uu
8.D33T 0.1845 0.3979 0.1918 0.3J8
0.193
0.4017
0.1941
0.3S9
i:ZAe7f
•.2&1
o.%%5al
&.174
U734
U7111
0.336Z
• .235ll
développement (1998), Statistiques choisies sur les pays
0.1315
Tableau 7. Part de l'industrie manufacturière dans le PIB
en % (réf A =RCI, réf B =UEMOA)
Bénin
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
0.0907
0.0606
BF
RCI
Mali
UIOI
'.1111
'.1J7l
••
0.087
0.0616
0.1816
0.005
0.09œ
0.0874
0.0941
0.0942
0.0943
0.0962
OM71
Niger
Sénégal
Togo
UEMOA
0.119
0.0967
0.0349
8.1055
0.()3(}(;
0.101
O.œ22
8M3l1
0.0689
o.am ••1887
0.0623
0.1151
0.0784
0.lI6S9
O.l2S9
0.0993
8.1.1
'.1435
0.0763
0.0614
0.1221
0.1052
t.lID
'.1863
0.œ18
O.lm
0.1125
0.14Z3
0.064
8.111!
o.œll
0.064S
0.1261
0.00'
'.1"
"""1
o.OlIlIii
0.141
0.062S
0.126
0.0942
..1.
0.079l!
0.1074
0.0634
0.1304
U
G.l895
0.œ1
0.12911
0.0642
0.1092
l.1IJ3
~
lm
••W'l
0.1
0.0574
o.l21t
'.1.
Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays
africains, vol. XVIII.
0.2003
0.2022
0.1656
0.1583
0.1472
0.148
0.146S
0.1.56!l
0.159
O.lm
...,
90
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 8. Taux d'exportation (exportationsIPIB) en %
(réf A =RCI, réf B =UEMOA)
Bénin
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
0.2112
0.2299
0.3438
0.2178
0.2418
0.2384
0.2251
0.2693
BF
RCI
0.1129
0.101
0.1084
0.1273
0.121
0.1011
O.11SS
0.131
0.1338
O.HE
UIJ"
U4I1
MoySource: Banque africaine de
africains, vol. XVIII.
0.1559
0.248
0.36'73
'Jll
tM77
Ut
Niger
Mali
0.1024
0.1561
0.1784
0.1675
0.1827
0.1925
0.2439
0.2097
0.1695
0.1
0.1342
Sénégal
0.36Sfl
0.2828
0.297
0.2651
0.2472
0.2303
Togo
UEMOA
t.:
t.:
0.4341
0.5106
0.4841
0.3347
0.3344
0
t.:
Oml
0..,
0.27
",
0.1591
0.1341
0.2148
0.2476
0.2178
0.1644
0.329
0.323
•.2664
0.2181
0.1683
0.3163
O.344z
8.4111
0.zt4
0.2079
0.1578
o.m 0.3095 O.5C
1.38lIi
U745
....744
UI5ll •.3.9l • .1465
développement (1998), Statistiques choisies sur les pays
U
U
U
0.1546
....
...,
Tableau 9. Taux d'ouverture des économies (exportations
+ importationsIPlB) en % (A =RCI et B =UEMOA)
Bénin
BF
RCI
Niger
MaIl
Sénégal
Togo
UEMOA
..
0.4128
0.5024
0.783
0.6S62
0.4011
• .514
'.7331
0.4941
0.6287
o.m 0.8193 0.6m
0.4309
8.76U
O.SIlI
1.0544
0.6464
0.106:
1.'7135
0.4463
0.7917
0.SS91
O• •
0.5923
0.3831
0.4973
0.5227
0.6741
O.S63lI
1.5214
0.5294
0.3565
0.3875
0.5688
•.!1J9
0.5341
0.7303
0.4839
0.3126
1.510!1
0.3432
0.S1l9
UIIZ
0.5125
0.9631
0.4725
0.315
0.3794
O.SSOS
U
'.5361
0.4156
0.9838
0.7223
0.394/
0.6256
U43
0.5988
0.3974
0.6855
0.9765
0.5988
8.63'5
0.6087
0.4199
t.
0.897
0.6765
0.3143
UI'N
0.5632
0.5788
0.4049
UU4
0.1347
8.5324
0.64M
O.-z
0
U03
MoJt0'"
Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays
africains, vol. XVIII.
0.5985
0.6625
0.1686
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
...
. ,.
•
Tableau 10. Service de la dette en % des exportations
(A = RCI et B = UEMOA)
Bénin
RCI
IF
Mali
Niaer
Top>
UIMOA
SéD6aaI
4.6
5.8
9.2
6.1333
5.1
21.1
28.
5.
9
18.113
14.8
17.3
33.7
20.8
27.3
1
:1.671
7.fI)
12.8
25.59
14.54
7.
20.1
17.!N
S.fI)
8.65
30.57
21.8
9.46
10
17.903
4.5
11.18
7.
15.73
13.1
1.06
UM6
5.45
14.55
29.lM
8./
1.SS
1
15.3U
7.(17
8,68
17.6
24.06
15.92
13.
17.87
8.12
13.4
li
IS.S5
6.22
~
13.716
6.81
17.51
17.52
15.78
Il.78
15.343
7.7175
U
1UJ1
15.739
3WZl u.. 11351 16.611
Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays
africains, vol. XVIII.
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
--
3.
1.
9.5
38./
34.8
35.4
38.
30.87
33.23
36.54
23.46
27.12
4
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 91
Tableau 11. Taux de liquidité des économies (M2/PIB) en %
(A =Rel et B =UEMOA)
BF
BaIin
0.1&S2
O.ISOS
1980
1911S
0.1854
0.2081
1990
0.2177
1991
11992
0.2246
O.ISS
1993
0.2197
1994
0.1S61
1995
0.16&S
1996
....1
MoJreBœ
1975
Mali
llCI
0.1261
0.11
0.10
0.13
0.1
0.13
0.1.5
O.165S
0.1838
0.1762
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1.1191
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•••
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0.1903
0.1671
0.2052
0.146
0.1514
0.1437
0.1S6
O.lmJ
0.161
0.1767
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UNI
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0.1205
0.1246
0.I1S3
0.1217
0.lIS3
0.1265
0.1058
0.1068
0.œ92
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0.18S
0.2165
0.1671
O.I31S
0.1376
0.2047
0.17f4
0.1417
0.130
0.130
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0.163
O.nos
0.2416
0.1698
0.1736
0.1278
0.1354
0.1847
0.2032
0.1666
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U711
U
.......
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t.l
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'.1671/
' ••6151
'.16%91
Source: Banque africaine de développement (1998), Statistiques choisies sur les pays
africains, vol. XVIII.
"'445
Annexe 2 : évolution des coefficients a et b
Al. « Convergence » des taux d'intérêt du marché monétaire
(TM) et du taux de réescompte (TR)
TM
Al8e
1962
1%3
1964
19M
1966
1967
1965
1969
1970
CœIlDeIaa
CœIlDeIab
0.~1~7
I~I
lm
1973
1~4
l~'
mil
lm
1978
1979
19«0
19l11
19l12
19l13
19l14
19l1'
19l16
19117
1.
1.
19l1O
1991
19!11
199'3
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0.2347041
0.2410\187
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0.371122')
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O.DMGI
O.slS4ll9.l
92
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
A3. « Convergence» des taux de croissance du PIB/tête
CoefficieDt a
AaMes
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
III:NIN
BVUJNA
~.S0ti0S43
MAU
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3.S092S
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-0.1335193
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-O.421816E
~.140419
~.3769302
.o.1522~
-0.3967918
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.0.3379471
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-0.133<1623
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.0.1303119
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0.7376831
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4.811377
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·1.963197
-1.536436
-1.237489
-1.252551
-1.040717
-1.0159l11
-1.002311
SENEGAL
0.5818334
0.167S6S5
2.36E-03
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-8.37E.02
-8.76E-02
-0.2442794
1.S3E.02
.0.2012972
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-0.1306103
-0.1194265
-0.1104903
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0.5511091
0.3991324
0.33014~
0.310523
0.2566754
0.232562
0.123561
2.83~
4.03~
3.84E
4.7OE
6.82E
0.15961
0.107398
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Cœfficieot b
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1981
1982
1983
1984
1\185
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
IIUllKINA
-1.366094 .o.79D05
~.748761
38.01748
24.Sll3
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0.281417l
0.2026822
0.2S<i1476
0.1147334
0.2012312
0.2321834
0.4564653
0.2205288
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0.421ti004
0.Z7S619
0.4233647
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0.445632
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0.J44J0192
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-0.99883
49.02689
31.03462
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0.4264851
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0.4755Z7
0.4847~
0.S04S216
NIGER
0.7314737
0.610422
0.417581
·7.776185
-7.371491
·16.79413
14.51781
13.73483
10.56731
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9.364362
9.129274
9.126487
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8.911264
8.91364
SDilGAL
0.16S8S87
.1.90068S
-2'.189435
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0.9764348
0.9857485
0.987~19
0.9912223
umm
1.01Z7l
1.021329
TOGO
O.IOS7682
·1.03755
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0.519114
0.3743J91j
0.3840
0.731396
0.668806
0.666369
0.6659481
0.6688601
0.679607Ç
0.nt3626
0.7540U5
0.7392484
0.7306871
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 93
A4. «Convergence» des déficits budgétaires (en % du PIB)
(A = BE; B = Moyenne UEMOA)
Coefficient a
Années
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
19'.Xl
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
-4.47E-ill
-5.20E-02
-5.16E-ill
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1.301038
5.15E'{)2
3.63E-02
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I.IIE-02
I.09E-{}2
6.37E.{)3
5.56E'{)3
5. 14E-03
6.26E.{)3
6.69E'{)3
6.26E-03
6.25E-03
RCI
-1. 94E-02
0.1160631
6.60E-{}2
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9.25E-03
7.89E'{)3
8.47E'{)3
2.97E-03
I.88E.{)3
I.93E-03
2.4lE-03
2.57E-03
2.49E-03
102E-03
3.46E-03
172E-03
3.59E.{)3
MAU
-3.02E-ill
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6.69E-ill
4.02E-02
-4.72E-04
-6.29E-04
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6.74E-04
8.99E.{)4
I.99E.{)3
2.71E-03
112E.{)3
3.48E-03
NIGER
SENEGAL
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-2.89E-ill
2.33E-{}2
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8. 16E-03
1.59E-{}2
2. 15E.{)3
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1.43E-02
1.11 E-{}2
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4.81E-03
I.00E.{)3
4.77E-03
5.46E'{)3
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6.00E.{)3
-6.07E-04
-9.83E-04
6.33E-03
-1 35E.{)4
7.I7E-03
-4. 18E-04
7.76E-03
-3.79E-04
8.02E-03
7.2lE-05
7.76E-03
TOGO
-2.3IE-02
-9.52E-02
1.41E-02
1.31E-02
1.29E-{}2
1.26E-02
-2.65E.{)3
-1.94E-01
5.18E.{)3
5.18E.{)3
6.5OE'{)3
6.36E.{)3
7.25E-03
-3.48E'{)
-l98E-O:
-l69E-O
-3.54E-O
NIGER
SENEGAL
-1.057487
-1.081151
-3.564124
-1.376023
-2.965408
-2.329585
2.739341
l630557
2.940485
1.89342
2.291869
1.255551
2.090222
0.9590435
1.853429
1.200598
0.9806221
1.368589
1.093072
1.313311
0.9238508
1.367081
0.96ll757
1.402173
0.9369064
1.423739
0.9351411
1.421384
0.9357623
1.416869
0.9377692
1.430473
0.9665918
1.413865
TOGO
Coefficient b
Années
1
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
19'.Xl
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
-1.125706
-4.466574
-4.693289
-17.40572
130.033
6.108662
4.504652
4.12OOS(]
2.33867
2.219169
1.861637
1.80061
1.78061
1.777246
1.773716
1.75034
1.749507
RCI
-1.074107
13.86997
8.49933
1.954994
1.196418
1.043735
1.119207
0.7218814
0.6290402
0.7388308
0.7759199
0.78581
0.7806901
0.7792817
0.7760346
0.7893279
0.7811743
MAU
-l.096189
-2.252071
-2.188967
-9.469016
-50.87842
9.948799
7.797967
5.673615
2. HXXl66
1.991711
2.049107
2.087205
2.102219
2.098874
2.0'J2956
2.114'X)l)
2.13912
·1.08301~
-4.653873
1.90139l1
1.887~
1.816565
1.770031
0.54386O!l
0.512283(i
0.8862774
0.8865049
0.955565
0.843405
0.8606994
I.25E-02
-4.3I E-Ol
-4.9I E-Q:l
-5. 14E-Ol
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
94
A5. «Convergence» des parts de la main-d'œuvre dans
l'industrie: RCI (A) et UEMOA (B)
ADœes
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
Amlées
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
-0.3180
-0.7063
2.6828
1.0459
0.9130
0.8639
0.8400
0.8261
0.8122
0.8084
O.l~
0.2976
.{I.5683
.{I.1260
.{I.0887
.{I.0742
.{I.0667
-0.0621
-0.0572
-0.0559
BF
0.3274
0.3963
1.0096
.{I.4046
.{I.1836
.{I.ll65
.{I.œ20
-0.0595 .
-0.0379
-0.0263
BF
-0.0689
-0.1705
-2.0657
2.6033
1.8879
1.6784
1.5751
1.5107
1.4521
1.4217
Coefficienl a
MALI
0.4939
0.5526
1.0011
.{I.l858
0.0437
0.1104
0.1440
0.1660
0.1873
0.1987
NIGER
0.5229
0.5779
0.9841
.{I.l959
0.0624
0.1343
0.1704
0.1942
0.2167
O.22W
Coefficient b
MALI
0.1956
0.1l49
-1.2399
2.6351
1.8991
1.6926
1.5926
1.5298
1.4725
1.4427
SENEGAL
NIGER
.{I.3055
0.2417
.{I.4197
0.1696
-2.5131
-1.0392
2.9156
2.7845
2.0304
1.9614
1.7746
1.7401
1.6519
1.6332
t.5750
1.5657
1.5075
1.5053
1.4708
1.4731
~'ENEGAL
0.1785
0.2m
0.9396
'.:0.7101
.{I.4359
.{I.3537
.{I.3127
-0.2858
-0.2608
-0.2468
TOGO
.{I.~
o.om
1.159\
.{I.879
.{I.713
.{I.656:
.{I.625
-o.6IJ5(
-0.603
-0.586
TOGO
-0.723
-0.891
-4.6402
2.27
1.72'
1.54
1.4523
1.391
1.387
1.343
A6. « Convergence» des parts de l'industrie dans le PIB :
RCI (A) - UEMOA (B)
Années
1975
1980
1985
1990
199\
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
-8.84E.{)J
9.42E-03
7.S9E.{)J
8.52E-03
9.03E.{)J
9.3IE-03
9.76E-03
9.95E-03
1.0IE-02
I.02E.{I2
BF
-2.43E-02
2.17E-03
9.78E.{)4
8.6IE..Q4
1.45E-03
I.69E-03
2.49E.{I3
2.71E-03
2.93E.{)J
3.\4E.{)J
CoeffICient a
MALI
-1.09E-02
7.78E-03
6.60E.{I3
6.80E.{I3
6.52E-03
6.52E.{I)
. 6.67E.{I3
6.62E.{)J
6.56E-03
6.47E-03
NIGER
SENEGAL
-2.88E.{)2
-9.67E.{)J
3.20E.{)3
-S.33E-03
-1.l8E.{)2
5.74E-03
-1.I9E.{)2
5.5GE-03
-1.27E-Q2
5.59E'{)3
-1.3OE.{)2
5.64E·{)3
-1.29E-02
5.SŒ-03
5.90E.{I3
-1.34E-02
-1.36E.{)2
5.8iE-03
-1.38E-Q2
5.78E.{)J
TOGO
-2.08E.{)2
-2.02E-03
·5.15E-O
-6.92E.{)J
-7.67E-03
-8.4IE-03
-1.01 E'{)
-1.03E.{I
-1.02E-O
-1.03E.{)
1
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 95
ADDies
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
-1.0415
l.4m
1.2420
1.3214
1.3802
1.4181
1.4144
1.4353
1.4380
1.4465
BF
-1.0727
3.1415
2.9333
2.9165
2.9942
3.0320
3.02j~
3.05\1
3.0574
3.0693
CAJefflCienl b
MAU
-1.0457
1.4802
1.3032
1.3276
1.2953
1.2962
1.2951
1.2903
1.2889
1.2849
NIGER
SENEGAL
-1.0819
-1.0432
1.6838
0.6833
1.0650
1.1603
1.1467
1.0352
1.0599
1.0456
1.0528
1.0138
1.0\32
1.0S08
0.9687
1.0516
0.9630
1.0496
0.9544
1.0478
TOGO
-1.0656
1.623
1.127
0.896
0.807
0.7lJ2
0.716
0.701
0.7ot
0.696
A 7. « Convergence» des parts de l'industrie manufacturière dans
le PIB : RCI (A) - UEMOA (B)
Années
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
Ann&s
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
2.400E·{)3
·7.783E-04
6.~E-04
8.582E-04
9.I13E-04
9.415E-04
I.105E-03
1.100E·Œ
1.312E-03
1.428E-03
BENIN
BF
-0.9938
3.1964
1.9039
1.7462
1.6927
1.6484
1.5484
1.5399
1.4934
1.4668
BF
-8.548E·{)3
·3.76IE-03
-1.93OE-G2
-1.807E-G2
-1.805E-G2
-1.816E-G2
-l.nOE-G2
-1.769E-G2
-1.610E-02
·1.468E-G2
CoeffICient a
MALI
2.764~3
5.788E-04
1.741~3
1.823E-03
1.926E-03
1.932E.{I3
2.IIOE-03
2.IOSE-03
1.96IE-03
1.787E-03
NIGER
SENEGAL
7.969E-03 -4.333E-04
7.Il5E-03
-2.1I9E-03
7.765E-03 -1.46IE-03
7.803E-03
-J.333E-03
7.796E-03 -1.306E-03
7.799E-03 -1.300E.{I3
7.793E-03
-1.206E.{I3
7.793E-03 -1.207E-03
7.496E-03
-1.407E-03
7.23OE.{I3
-1.546E-03
TOGO
I.800E
-1.lJ22E
-4.I36E
·5,477E
1.651E-O
2.65IE
8.580E
8.53OE
·1.224E"(
-3.349E.Qt
Coefficient b
MALI
NIGER
SENEGAL TOGO
.{I.995()
-1.0157
-0.9931
-0.9827
-0.9995
-3.4182
2.3516
0.7068
1.74n
2.4\11
5.7560
1.2846
0.0704
1.1335
1.890
5.0106
1.2033
0.0307
1.0044
1.56
5.0042
1.0931
0.0384
0.9754
1.349
5.0753
1.0835
0.0316
0.9645
1.2111
4.8505
0.9725
0.0357
0.9052
1.3194
4.8454
0.9467
0.0351
0.8939
1.328ll
4.4504
0.9793
0.1004
0.9385
1.375
1.018Q
4.0893
0.16lJ2
0.9699
1.42~
96
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
AB. « Convergence» des taux d'exportation:
RCI (A) - UEMOA (B)
1
AIIIIfts
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
2.628E-02
ADMet
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
-0.9142
-15.5992
0.1783
0.3571
0.6749
0.6388
0.7157
0.8202
1.689E~1
1.116E-m
8.409E-03
4.019E-03
3.819E-03
2.551E-œ
I.60SE-03
1.l26E..OJ
2.186E-04
IF
3.883E-œ
5.111E..Q2
1.412E.04
-2.67SE..OJ
-9.Z22E-04
-1.1396-03
-2.626&03
2.313E-03
1304OlUl3
5.921E-œ
IF
~.308E-04
-2.S61E-03
-2.82JE-03
-4.1SOE..OJ
1.S72E-œ
2.992E..OJ
5.545E-03
Coefficient b
MAU
NIGEIl
SENEGAL
2.812E..Q2
1.I17E-m
4.8S5E-œ -4.228E-m
.1.921E..Q2 -1.488E.œ
-1.l39E..()2
-1.l3SE.œ
-5.37SE-03
-5.340E-03
-4.478E..OJ
-7.19lE-03
-7.128E-œ
-3. 47OE-03
-3.417E..OJ
.1.69SE-03
-3.706E-03
-3.270E-03
·2.1OOE-03
N1GE1l
~.223E-03
SENEGAL
TOGO
4.5300
l.02lE
..s.132E-4.03913-2.22613-2.219E·1.673E
·2.0801Hi
-2.14OE-tl
-2.1131Hi
TOGO
~.889S
~.8933
~.9106
~.9439
~.95~
-2.4562
2.4130
2.6042
2.47:r1
2.41 n
-4.9827
\.7407
2.02œ
2.1627
2.1046
2.1888
l.SS91
-3.4687
4.6003
1.8637
1.6365
1.332C
1.3434
1.2885
I.OIOS
0.9567
0.9002
-2.1661
S.959
2.%41
1.545
1.691
1.319
1.748
1.816
1.848«
2.son
1.9'n4
1.8491
0.8793
0.9693
Coefficicut a
MAU
3.691W2
7.2496-02
3.577E-03
1.S9S8
1.3863
1.1347
10288
2.4974
2.0532
2.<1622
2.0079
1.8983
1.8919
1.7228
A9. « Convergence» des taux d'ouverture des économies:
RCI (A) - UEMOA (B)
Coefficient a
AJuM
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
2.700E..Q2
13œE..Q2
2.797E-01
~.894E..()2
-1.874E..Q2
-l.930E.02
..s.713E-03
-9.662E.03
.1.007E..Q2
-8.2'70E.()3
IF
4.6ISE-œ
4.864E-02
8.36SE-02
-S.275E..Q2
-2.029E-03
·2.()I6E..OJ
1,S72Fr03
6.994&03
7.577E-03
1.223&02
MAU
4.S06E-02
4.976E..Q2
I.446E-01
-3.925E~1
-4.275E..Q2
4.315E..Q2
·1.379E-02
-1.l49E..Q2
-8.740&03
-1.2G5E-03
NlGEll
SENEGAL
8,975E..OJ
3.6356-02
4.309E..Q2 -1.8136-02
4.S67E-02
3.7336-02
-4.296E..Q2
1.599E-m
I.723E..Q2
5.SOOE-œ
6.84SE-03
I.994E-02
2.3516-02
6.573E-03
6.261E-03
2.l32E-œ
1.837E-02
4.848E--03
1.406E-02 -1.01S&04
TOGO
2.1SO}3.i
2.00'ffi.J
3.763E
4.288E
8.726E.o\
1.195E+
-9.072E
-U2JE-·S.892E
-3.538EJ
y A-T-IL CONVERGENCE DES PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES 97
Aoa&a
1
1975
1980
1985
19lX>
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
.{l.9037
·1.6096
-22.9878
7.093(i
2.6112
2.6394
1.6273
1.8139
1.8761
1.6645
If
.{l.8662
.1.l6S4
-4.241~
7.6522
1100ti
10lJ9lJ
2.1801
2.2921
2.2023
1.653(J
Coeffeciellt b
MAU
.{l.8684
-1.5306
-10.1871
38.0436
6.2192
6.24O(i
3.3992
2.9664
2.5492
1.6637
NIGER
SENEGAL
.{l.W4
-o.93~
-1.8727
1.3235
-3.
·1.3425
-1.
5.9188
0.4227
-O.
.{l.4644
0.2738
.{l.om
.{l.4391
.{l.3710
0.3374
.{l.l39S
0.7835
1.2898
0.4531
TOGO
.{l.914~
-1.431
-1867
-4.5Il
·~.m
-126.00
9.111-4
6.(141
4.69
2.034
AIO. « Convergence» du service de la dette (en % des
exportations: RF (A) - UEMOA (R)
An&s
1985
19lX)
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
0.8618
1.1749
1.S644
1.0787
0.9945
0.7638
0.7645
ICI
.{l.848S
-0.8486
-1.2478
-1.3799
-1.3865
-l.5107
-1.2483
-1.\594
BENIN
1.0600
1.2510
1.5568
1.1344
RCI
1.8830
1.8830
1.6767
1.5823
l.am
Coefficieot a
MAU
0.6999
0.5884
1.24'n
0.3909
0.1652
-0.0242
-0.0335
.{l.l421
SENEGAL
NIGER
.{l.684S
0.3867
.{l.2407
0.1668
.{l.5386
-0.1517
.{l.l191
-0.0369
.{l.mo
0.2803
-0.3150
0.2946
.{l.2633
0.1»48
o.om
-0.1579
TOGO
.{l.lO!
0.53
1.21
1.1(
1.265
1.319:
1.l65,
1.0751
CoefrlCientb
AaoieI
1985
19CXl
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1.1338
!'sm
1.0536
0.80S1
0.80S7
1.74œ
1.8010
l.4m
MAU
1.1433
1.0769
1.59SS
0.8497
0.6818
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0.4020
NlGEK
1.8046
1.8416
1.6767
1.9860
1.8676
1.8868
1.9399
2.0\33
SENEGAL
1.2929
1.2536
1.0551
1.1484
1.3369
1.3497
1.1416
1.1288
TOGO
1
1
l.S302I
1.6393
2.0494
1.9975
2.0683
2.171)4
1.94
1.88:
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
98
Il. « Convergence» des taux de liquidité des économies:
CI (A) - UEMOA (B)
A.-.
1975
1980
, 1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
7.94E-03
7.42E-Q3
0.2018131
-3.99&02
·1.43E-02
-1.035-02
-8.62E-43
-8.88E-03
-8.89E-03
-8.68E-43
IF
1.38E4Z
1.63&02
-2.56&02
-1.11&02
-2.47E-03
-1.56E-04
-6.861W4
-1.13E-œ
-t.lE-œ
-1.65E-œ
Coefficialt •
MAU
7.43&03
4.97&03
-2.48&03
-5.78E-OS
4.73&04
1.25&03
UO&œ
1.09E-03
l.11E-43
8.86E~
NIGIll
1.14&02
0.2261882
-5.06E-03
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2.36E-OS
2.(JlJE.{J3
1.95&03
2.24&03
2.2E-03
2.4E-03
SENEGAL
7.96E-03
2.245-02
-1.l6E-02
-5.8E-œ
2.68&03
-1.63&03
-1.70&03
-1.07E-03
-1.04&03
-7.3E-64
TOOO
l.01E-02
4.47E-02
-4.055-02
-2.11&02
-8.21&03
-1.59E-03
-1.561
-2.321
-2.631
-2.055-<
Coefficieat b
Aa&s
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
BENIN
-0.9692
-0.7801
-56.8489
12.9526
5.2455
3.9703
3.4831
3.5180
3.6381
3.6225
IF
-0.9576
-1.7926
9.8743
5.8501
3.3054
2.S8S2
2.7355
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2.m
2.5366
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-0.9702
·~U512
1.2352
0.7024
0.5620
0.3389
0.3782
0.3784
0.«137
0.4165
NIGER
-0.9504
-52.2198
4.1483
3.7399
2.8110
2.1994
2.2380
2.2054
2.2003
2.1882
SlNEGAL
-0.9692
-5.2079
3.7188
0.7689l
-0.0188
1.2971
1.3160
1.2414
1.3981
l.m6
1000
-O.96~
-IO.491XJ
11.43104
6.SO,,,
2.8454
0.8431
0.453
0.462
0.357
0.353
4
Relations économiques internationales
et profil de la monnaie
dans les pays de la zone franc
Par Jean-Pierre FOUDA OWOUNDI
Lancé en 1568, le débat sur le rôle de la monnaie dans l'économie refait
surface, après avoir opposé la currency school et la banking school
(Samuelson, 1991) puis les classiques (J. B. Say) à Keynes (Keynes,
1936); et après avoir été enrichi par le mécanisme de l'effet d'encaisses
réelles (Patinkin, 1965 1). De nombreux travaux récents de l'analyse économique s'inscrivent dans cette perspective. Ils portent dans l'ensemble sur
les taux de change (Plihon, 1996; Cartapanis, 1996; Martin, 1998; Aglietta
et al. 1998), les questions nouvelles de politique monétaire (Lavigne et
Villieu, 1996; Browne, 1998; Jaillet, 1998), le statut de la banque centrale
(Rogoff, 1985, Cukierman, 1992), la place de l'euro dans le système
monétaire et financier international (Artus, 1998; Bourguinat, 1998). Ce
renouvellement s'explique par le fait que le substrat sur lequel la monnaie
agit n'est plus le même: les économies nationales sont confrontées au phénomène de la « mondialisation ». Phénomène unique en son genre, la mondialisation bouleverse et transforme profondément la réalité économique
internationale, dont un des aspects majeurs est l'avènement d'une monnaie
unique en Europe (l'euro) dès le 1er janvier 1999.
Mais tous les travaux cités plus haut ne s'intéressent pas au nouveau statut de la monnaie dans l'économie internationale. Or, cette question est
essentielle, d'une part, pour l'analyse économique sur le plan conceptuel
et, d'autre part, pour les pays qui sont à la recherche d'une nouvelle définition de la monnaie face aux mutations économiques internationales. Sous
1. Voir Money, Interest and Priees (cité par Pascallon, 1985).
100
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
ce dernier angle, il faut dire que le cas des pays africains de la zone franc
est le plus significatif, dans la mesure où l'avènement de l'euro suscite des
interrogations quant à l'avenir de leurs monnaies, les francs CFA.
L'objet des travaux soumis à discussion au cours du présent symposium
est donc d'analyser le statut de la monnaie dans l'économie internationale
d'aujourd'hui et de proposer une réflexion sur son profil dans les pays africains de la zone franc.
Nous montrerons d'abord que l'économie internationale s'achemine vers
l'hégémonie des firmes multinationales et des blocs. Nous analyserons
ensuite le statut de la monnaie, à partir de sa nature et de son rôle dans le contexte de la mondialisation. En guise de conclusion, nous proposerons une
réflexion sur le profil de la monnaie dans les pays africains de la zone franc.
L'évolution des relations économiques internationales
Depuis la fin de la division du monde en deux blocs, l'économie internationale connaît de profondes mutations liées à l'élargissement et à l'intensification des relations commerciales et financières internationales. Ce
phénomène dit de la mondialisation est impulsé par les stratégies des firmes multinationales et des États. Ainsi, après l'impérialisme des Étatsnations, l'économie internationale de la fin du siècle s'achemine vers
l'hégémonie 2 des multinationales et des blocs économiques. L'histoire
montre que la monnaie est appelée à jouer un grand rôle dans ce mouvement.
L'impérialisme des États-nations et la monnaie
Jusqu'à la guerre de 1914, la Grande-Bretagne était la première puissance économique du monde. Cette place s'explique, entre autres, par la
doctrine du laisser-faire, le bouleversement des relations commerciales
engendré par la révolution industrielle, ainsi que par la mise en œuvre
d'une politique impérialiste3 conséquente.
Mais, c'est surtout grâce à la maîtrise de la variable monétaire que la
Grande-Bretagne parvint à se hisser au rang de plus grande puissance économique. En effet, le XVIIe siècle vit l'apogée des marchands; et si le com. 2. Dans les théories de la régulation, l'hégémonie est perçue comme « la capacité d'une
classe ou d'une alliance de classes à représenter ses intérêts comme l'intérêt du peuple tout
entier» (cité par Basle et al., 1993). C'est le cas lorsqu'un groupe de pays se trouve contraint d'appliquer des politiques économiques (comme le libéralisme) présentées par
d'autres pays comme le salut de tous.
3. L'Inde est ainsi victime de cette philosophie. Ses richesses en métaux précieux sont
pillées, son système productif réorganisé pour satisfaire les besoins de la révolution industrielle et la prospérité de la Grande-Bretagne.
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
101
merce connut un essor, ce fut en grande partie grâce au développement du
crédit (Buhour, 1996), notamment en Angleterre, en Hollande et en Italie.
Dans ces pays, les plus gros monopoles furent accordés par l'État aux sociétés par actions, comme les Compagnies des Indes hollandaise, anglaise et
française. La théorie de la finance chez Keynes 4 trouve ici toute son
application; et on peut voir le rôle du crédit, souligné avec force par Schumpeter (cité par Baslé et al., 1993). Ce dernier montre que sans le banquier,
l'entrepreneur ne peut tout seul impulser l'évolution; car c'est à lui qu'il
revient d'autoriser la mise en œuvre effective de la production. On l'a bien
vu avec les révolutions industrielles successives opérées par l'Angleterre.
Les innovations dans les procédés de production et la création de nouvelles
usines appelées manufactures résultèrent de la mise en œuvre des capitaux
accumulés par les marchands mais surtout du crédit. Ce fut donc la révolution financière (le couple crédit-création monétaire) qui conditionna la révolution industrielle du XVIIe siècle (J. G. Thomas, 1985), tout comme
l'expansion du capitalisme. En d'autres termes, les banques le firent en
finançant le commerce international, la mise en exploitation des terres nouvellement conquises aux Indes et, ensuite, l'expansion de l'industrie.
Par ailleurs, la Grande-Bretagne accorda à la maîtrise de la stabilité monétaire une importance toute particulière pour développer son expansionnisme. Elle définit ainsi dès 1816 son unité monétaire par un poids d'or, ce
qui permit de garantir la stabilité des prix, de manière à assurer un développement harmonieux des échanges commerciaux. Elle s'attela, par la suite,
à faire établir au niveau international le système de l'étalon or (J.G. Thomas,
1985). La maîtrise de la variable monétaire et l'expansion économique et
financière firent de la livre sterling une monnaie à caractère international.
On comprend donc pourquoi la période de l'entre-deux-guerres fut marquée par une compétition entre le dollar et la livre. Cette compétition déboucha en juillet 1944 sur ce qui apparaissait comme une victoire des États-Unis
(E.U.): l'instauration à Bretton Woods d'un système dans lequel les monnaies des États membres étaient définies par rapport au dollar, lui-même
défini par référence à l'or; système dont les failles permirent par la suite aux
E.U. de contrôler la variable monétaire au niveau international.
Si la conférence de Gênes reconnut le leadership économique, celle de
Bretton Woods vint donc proclamer la victoire et l'impérialisme économique des E.U. A la fin des hostilités, leur économie tourna à plein régime.
L'équation des débouchés les conduisit, d'une part, à faire signer à plus de
23 pays l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GAIT),
pour parvenir à une libéralisation généralisée du commerce international,
et, d'autre part, à se lancer dans la conquête économique et politique du
monde. Tout comme le Royaume-Uni, la grande puissance économique du
XIX e siècle, les E.U. se serviront de la variable monétaire pour régler le
déficit de la balance courante résultant de leur expansionnisme. Les créan4. On trouvera un excellent exposé dans l'ouvrage de Goux (1995).
102
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
ces en dollars des banques centrales du monde (balances dollar) furent utilisées pour assurer le règlement de ce déficit. La dette des E.U. servant
désormais à régler leurs propres dettes, ces derniers inondèrent dès 1958 le
monde de dollars; puis le 15 août 1971, le président Nixon fut obligé de
déclarer l'inconvertibilité du dollar en or. Entre-temps, l'Europe, le Japon
et la Chine réalisèrent des progrès économiques considérables. Si les E.U.
demeurèrent la première puissance économique de la planète, leur suprématie tendait à être remise en cause et à se réduire. Cela marqua la fin pour
le capitalisme industriel des cycles d'hégémonie caractérisés par la prééminence des États-nations (Fereydoun, 1995).
Le glissement vers l'hégémonie des firmes multinationales et des
blocs économiques
On assiste dès lors à une nouvelle structuration de l'économie internationale, laquelle tend, derrière le phénomène de la mondialisation, à l'établissement d'un autre type d'hégémonie, celle des firmes multinationales et
des blocs économiques.
A) LA GENÈSE DE LA MONDIALISATION
L'idée de la mondialisation est déjà présente dès la fin de la deuxième
guerre mondiale. En effet, le président Roosevelt faisait déjà comprendre
au Premier ministre britannique Churchill que la liberté des échanges, la
disparition des accords commerciaux particuliers et un climat favorable
aux investissements américains à l'étranger seraient les conditions essentielles pour la paix dans le monde (S. George et F. Sabelli,1994). Il n'est
donc pas étonnant que le vent de l'intégration économique global ait pris
naissance aux États-Unis, dès la fin des années 1970. S'agissant de l'intégration financière, tout commence par l'abolition de certaines réglementations (comme la réglementation Q) devenues obsolètes à la suite de
l'apparition d'innovations financières. Puis, la déréglementation bancaire
et financière américaine s'est répandue sur toutes les places importantes du
globe. C'est alors qu'on assiste à la montée en puissance de la finance globalisée et libéralisée, laquelle sera favorisée à partir du début des années
1980 par l'augmentation des déficits publics dans les pays industrialisés
(Plihon, 1994). En effet, pour pouvoir faire appel aux ressources des investisseurs internationaux, les autorités publiques libéralisent et modernisent
leurs systèmes financiers en prenant des mesures financières appropriées
(libéralisation des taux d'intérêt, abolition des contrôles quantitatifs, libération des conditions de la concurrence).
Avec l'effet conjugué de la crise de la dette, de la réorientation NordNord des flux financiers et de la montée des déficits budgétaires et extérieurs américains, le système financier international bascule d'une logique
d'endettement bancaire international vers une logique de finance directe
planétaire. On assiste ainsi à une mise en communication de plus en plus
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
103
poussée des marchés nationaux de capitaux, conduisant à un marché financier mondial lui-même en voie d'unification croissante. Ce processus
s'accompagne d'une mobilité des capitaux et d'une substituabilité des
actifs permettant un élargissement de l'espace de choix des investisseurs
(Bourguinat, 1995).
La nouvelle organisation planétaire de la finance se développe d'autant
plus vite que l'ordre libéral a réalisé d'énormes progrès. Depuis 1947, les
négociations successives du GATT ont permis de réduire les droits de
douane de 40% à 6,3%. Plus généralement, les négociations de l'Uruguay
Round de décembre 1993 ouvrent définitivement la voie à la globalisation:
ils englobent 115 pays et étendent les domaines de libéralisation aux services. Fait très remarquable, l'Organisation mondiale du commerce (OMC),
à laquelle elles ont donné naissance en 1994, envisage pour les pays en
développement (PED) le retour à la clause de la nation la plus favorisée 5.
B) LES ACTEURS ET LES LOGIQUES
Cette évolution de l'économie internationale est impulsée par les firmes
multinationales et les blocs économiques; lesquels cherchent à organiser
les échanges commerciaux internationaux à leur avantage.
Le nombre de firmes multinationales est passé de 7 000 à 37 000 entre
1970 et 19926 . Plus de 50% d'entre elles ont pour berceau les États-Unis,
le Japon, le Royaume-Uni et la France. Cette ascension fulgurante constitue le vecteur de la mondialisation et le noyau dur du nouveau système productif planétaire. Les multinationales exercent leurs activités dans
plusieurs pays par l'intermédiaire de succursales ou de filiales. Elles internationalisent alors l'organisation et la structure de la production, gèrent sur
une base mondiale la distribution de leurs produits et de leurs services.
Pour cela, elles réalisent les investissements directs à l'étranger (IDE).
Elles se trouvent ainsi à la base de la globalisation du commerce et en assurent le contrôle. Elles réalisent par exemple 90 % du commerce mondial du
blé, du café, du bois, du tabac, 85 % du commerce de cuivre et de bauxite,
75 % pour les bananes, le caoutchouc naturel et le pétrole brut. Pour plusieurs pays de l'OCDE, une part importante de la vente de produits à
l'étranger se fait au sein d'une entreprise multinationale. Pour la France, de
tels échanges représentent 34 % de ses exportations.
Mais les multinationales développent les IDE en fonction de leurs profits, et non en fonction des intérêts des pays d'accueil, ni même parfois en
fonction de ceux des pays d'où elles sont originaires. Elles ont des chiffres
d'affaires considérables, quelquefois plus importants que les budgets des
États d'implantation; ce qui fait qu'elles ont un pouvoir énorme qui leur
5. À laquelle le défunt GATT les a soustraits à l'instigation de la Conférence des
Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), créée en 1964 avec
l'appui de l'URSS, pour s'opposer à l'égalitarisme, compte tenu des différences de niveau
de développement.
6. Selon les Nations unies, citées par Buhour (1996).
104
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
permet d'influer sur les politiques économiques des pays où elles
s'implantent. Par ailleurs, à travers le rôle que joue l'IDE dans la compétition internationale, la plupart des PED, hormis les nouveaux pays industriels (NPI), sont marginalisés dans la nouvelle division internationale du
travail (Lafay, 1996).
L'orientation de l'IDE, tout comme d'ailleurs celle des échanges et des
délocalisations, dépend grandement de la variable monétaire, les taux de
change jouant un rôle crucial pour assurer la connexion des systèmes de
prix nationaux et définir les conditions de la concurrence internationale.
Ces taux déterminent donc la compétitivité des produits ainsi que le degré
d'attractivité d'un territoire, lesquels dépendent du niveau général des prix
par rapport à l'étranger. Ceci fait que la manière dont se détermine le taux
de change d'une monnaie est extrêmement importante, notamment pour
les PED qui sont amenés à prendre des mesures appropriées pour attirer les
IDE. Or, le taux de change est grandement influencé par la politique monétaire. A cet égard, l'État en tant qu'émanation de la nation se voit obligé
d'agir pour défendre ses intérêts vis-à-vis de l'extérieur.
La défense des intérêts économiques et commerciaux se fait de plus en
plus à travers la construction de blocs nécessaires à l'industrialisation et
capables de s'imposer politiquement et économiquement vis-à-vis d'autres
pays. L'adhésion à une zone d'intégration régionale permet à l'État d'assurer l'expansion des échanges au sein de la zone mais également de les
détourner. Ainsi, la position des nations regroupées s'améliore dans l'économie mondiale; l'élargissement des marchés nationaux favorisant
l'exploitation des économies d'échelle et la spécialisation, et soumettant
en même temps les entreprises à une concurrence grâce à laquelle elles
peuvent réduire leurs coûts, améliorer leur productivité et être compétitives
sur les marchés des pays tiers. C'est pourquoi au cours des années 19921993, l'économie internationale a vu naître vingt-huit blocs commerciaux,
ce qui a porté le nombre des accords commerciaux dans le monde à quatre
vingt-cinq (Fereydoun, 1995).
C) L'INCIDENCE SUR LES RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
Dès l'instant où aucune économie nationale ne peut plus prétendre à une
domination économique mondiale, les desseins hégémoniques prennent
appui sur le socle qu'est la zone d'influence. En conséquence, on aura une
nouvelle structuration de l'économie internationale, qui se caractérise
aujourd'hui par l'existence de trois grands blocs économiques régionaux.
Il s'agit d'abord de l'Union européenne (UE), qui engage la souveraineté
de quinze États dans une entreprise économique et politique commune,
sous la forme d'une union économique et monétaire. Le second bloc économique est le bloc nord-américain, qui regroupe les E.U., le Canada et le
Mexique. Le troisième regroupement enfin est le bloc de l'Asie. Il se compose du Japon, de la Chine, des nouveaux pays industrialisés (NP!) de la
première génération (Hong-kong, Corée du Sud, Taiwan, Singapour), et
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
105
des NPI de la deuxième génération (Brunei, Malaisie, Indonésie, Philippines, Finlande). Ces trois blocs reposent leur puissance sur le niveau et le
taux de croissance du PIB, le rayonnement technique et la puissance financière (Nême, 1996). Ils réalisent depuis une vingtaine d'années l'essentiel
du commerce mondial, à la fois de manière intra-zone et inter-zone. Leur
déferlement n'est rien d'autre que l'expression de la volonté de puissance
économique, qui pousse chacun d'entre eux à chercher à se protéger contre
les pays ou blocs tiers par des mesures protectionnistes; ce qui n'est pas
loin de transformer l'espace économique mondial en un champ de confrontation entre blocs commerciaux.
La fragmentation de l'économie internationale en blocs plus ou moins
rivaux et l'internationalisation croissante des stratégies des entreprises
s'accompagnent d'une modification du statut de la monnaie. En effet,
celle-ci doit, avec les investissements directs, contribuer par le pouvoir de
marchandage à l'établissement de nouveaux rapports hégémoniques.
Le statut de la monnaie
Dans l'histoire de l'impérialisme des États-nations, le crédit joue un rôle
clé. Avec la démonétisation de l'or et la mondialisation de l'économie, la
monnaie devient un simple actif financier, un actif diffus et très instable. Si
elle reste un instrument de stratégie dans la compétition économique, c'est
le taux de change qui devient la variable centrale du rapport hégémonique.
Il apparaît ainsi des stratégies monétaires plus ou moins régionales.
Un symbole de valeur-pouvoir d'achat, un actiffinancier diffus et
très instable
Denizet (1967) et d'autres auteurs pensent que la monnaie n'est pas
d'abord le bien d'échange, elle est le bien auquel on exprime le prix de tous
les autres. La dissociation entre l'unité de compte et la monnaie de paiement que l'on observe pendant tout le Moyen Âge (Thomas, 1985) amène
à reconnaître que le nom d'une monnaie permet de spécifier sa vocation en
tant qu'instrument de compte. Puisque compter veut dire estimer, on se
trouve dans un domaine purement abstrait. Il s'agit de penser la valeur des
marchandises.
A) UN SYMBOLE DE VALEUR
Pour simplifier les choses, on pourrait dire que la monnaie est à la valeur
ce que l'heure est au temps. Il est donc clair qu'elle n'est pas elle-même la
valeur, question qui oppose plusieurs courants de pensée.
a) La valeur exprime chez les classiques (A. Smith, D. Ricardo) tantôt
l'utilité d'un objet quelconque (valeur d'usage), tantôt la faculté que possède cet objet de transmettre à celui qui le détient le pouvoir d'acheter
106
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
d'autres marchandises (valeur d'échange). Pour Ricardo, lorsque des marchandises sont produites dans des conditions techniques identiques, leur
valeur d'échange est proportionnelle à la quantité de travail incorporé. Le
travail constitue donc le fondement de la valeur. C'est pourquoi selon
K. Marx 1978, une quantité d'or déterminée doit être fixée comme unité de
mesure. Mais cette manière de définir l'unité monétaire conduit à une confusion de la valeur avec la monnaie et à une vision métalliste de sa nature.
Or rien n'est monnaie par définition (Servet, 1981); la monnaie est de
nature essentiellement symbolique, dira S. Diatkine (1996).
b) L'analyse marginaliste s'attache par contre à intégrer la théorie de la
valeur à la théorie marginale fondée sur l'utilité. La monnaie est conçue
comme un bien économique, un objet caractérisé par la rareté et apte à
satisfaire un besoin individuel (utilité). Sa valeur est d'abord et avant tout
une valeur d'usage subjective; son utilité provenant de sa valeur d'échange
sur un marché, c'est-à-dire de la quantité de biens qu'elle permet d'obtenir.
Mais lorsqu'on considère l'analyse keynésienne de la préférence pour la
liquidité, en intégrant la fonction de réserve de valeur, la monnaie apparaît
comme un bien liquide entrant dans la logique des choix individuels. Elle
a donc une utilité directe, sa valeur subjective reposant sur son pouvoir de
choix général dans le temps.
c) Selon les monétaristes, ce pouvoir de choix fait de la monnaie une
forme de richesse, un actif détenu parce qu'il produit un rendement. A cet
égard, l'agent économique procède à une redistribution de sa richesse entre
biens et monnaie, de manière à en retirer la plus grande utilité possible.
Milton Friedman dira que le détenteur de monnaie est un agent individuel
rationnel, qui opère des choix et cherche à équilibrer son bilan dans la gestion de son patrimoine (cité par Pascallon, 1985).
B) UN ACTIF FINANCIER DIFFUS ET UN POUVOIR D'ACHAT TRÈS INSTABLE
Que ce soit dans la théorie subjective de la valeur, que ce soit dans
l'approche en termes de richesse ou d'actif financier, le problème du pouvoir d'achat de la monnaie reste posé.
a) En effet, l'effondrement en 1971 du système de Bretton Woods entérine
la monnaie de crédit dans le système des paiements internationaux. Née au
XIIIe siècle, développée au XVIIe siècle par les innovations financières des
goldsmith, la monnaie de crédit connaît un sacre au niveau international
avec la suspension de la convertibilité du dollar en or et la démonétisation
de l'or qui a suivi en 1976. Depuis lors, l'économie repose sur de gigantesques pyramides de dettes (selon les termes de M. Allais, 1993).
b) Il existe depuis cette date une crise référentielle. Les monnaies se disent
leur pouvoir d'achat les unes les autres sur le marché des changes et, compte
tenu de leur nature de dettes, elles se trouvent ainsi soumises à de très fortes
fluctuations de taux de change. Ces fluctuations sont amplifiées aujourd'hui
par les comportements très spéculatifs (Artus, 1996) des opérateurs sur les
marchés. Ces comportements qui conduisent à un raccourcissement de
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
107
l'horizon temporel de l'ensemble des fondamentalistes et des chartistes,
renforcent en même temps leur préférence pour la liquidité (A. Cartapanis,
1996).
c) Il en résulte que la valeur de la monnaie sera vécue en termes d'actif
financier ou de patrimoine. Par ailleurs, l'efficacité de l'action des autorités
monétaires se trouve grandement affaiblie en période de crise. D'une part,
les réserves des banques centrales au sens large deviennent insuffisantes
pour faire face aux attaques spéculatives. D'autre part, la hausse des taux
d'intérêt dans le but de maintenir le taux de change éloigne les autorités
monétaires de l'objectif interne de croissance de l'activité. Le conflit
d'objectifs sera d'autant plus accentué que dans le même temps, l'intégration financière internationale a rendu très incertain la régulation par le canal
de la masse monétaire. Sous l'effet de la déréglementation et des innovations financières, la frontière entre monnaie et titres est devenue en effet
beaucoup plus floue et elle se déplace sans cesse. De plus, la possibilité de
se financer par endettement en devises à l'étranger ou sur le territoire national a accru l'instabilité des agrégats monétaires internes, au point où ceuxci ont perdu leur signification en tant que reflet de la création de monnaie en
contrepartie de l'endettement des agents (Diatkine, 1996). L'ensemble de
ces conséquences (triangle d'incompatibilités) va délimiter le cadre dans
lequel les puissances hégémoniques élaborent leurs stratégies.
Une variable stratégique dans la compétition des blocs
On assiste à la mise en place de stratégies monétaires plus ou moins régionales. Mais celles-ci sont loin de conduire à la formation d'un système
monétaire international tripolaire. Tout au moins peut-on dire que ces stratégies conduisent les nations à un meilleur positionnement concurrentiel.
A) LE DOLLAR, UNE MONNAIE DEITE AMÉRICAINE TOUJOURS DOMINANTE
La stratégie monétaire américaine est celle d'une monnaie nationale
dominante au plan international. Elle a pris une forme irréversible depuis
les accords de Bretton Woods, qui ont conféré au dollar le statut de monnaie véhiculaire. Le dollar peut ainsi circuler largement au niveau international, ce qui fait des États-Unis le banquier central de l'économie
mondiale. A ce titre, la politique de la monnaie forte doit permettre au pouvoir d'achat de leur monnaie de ne subir qu'une faible érosion au fil des ans
et d'être plus élevé à l'étranger qu'aux E.U. mêmes. Si par son cours légal
et sa liquidité le dollar s'impose dans l'espace économique américain, il
bénéficie en même temps de l'avantage de pouvoir être accepté rapidement
sans coût particulier partout dans le monde. Il est aussi devenu un instrument d'unification de l'espace économique mondial, à travers sa fonction
d'instrument de compte.
Compte tenu de ses usages au niveau international (Meyer, 1996 et Bourguinat, 1998), les E. U. bénéficient gratuitement d'un crédit, d'un véritable
droit de seigneuriage sur l'économie mondiale (selon David, 1985), ainsi
108
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
que d'un pouvoir de marchandage exorbitant. Ainsi, ils peuvent influer sur
les relations économiques internationales (cas des accords du Plaza du
22 septembre 1985). Leur alliance avec les pays membres de l'ALENA
doit simplement leur permettre de préserver ces acquis, en ripostant à la
construction européenne et à l'intégration du Japon avec les autres économies asiatiques (Fereydoun, 1995).
B) LE YEN, UNE MONNAIE FORTE SANS STRATÉGIE D'HÉGÉMONIE
Cette intégration ne correspond pas à une stratégie monétaire visant à
faire jouer au yen un rôle aussi important que celui du dollar. Le yen est
pourtant une monnaie forte, disposant de nombreux atouts. Malgré cela,
son internationalisation reste faible (Meyer, 1996), d'autant plus que les
économies d'Asie restent dans la zone dollar. En l'absence d'une zone yen,
on ne peut pas parler d'un système monétaire international reposant sur
trois devises pivots, servant à la stratégie de chaque composante de la
triade. Tout au moins peut-on s'attendre à ce que le Japon entreprenne une
certaine politique de coordination monétaire régionale. Cette perspective
est envisageable, au regard des accords intervenus en 1996 pour des interventions coordonnées sur le marché des changes et le prêt de devises de la
Banque du Japon à ses homologues de certains pays d'Asie. Mais l'objectif visé reste limité à la gestion des variations de taux de change entre le
dollar et le yen. Ces variations introduisent de fortes tensions dans la zone
dollar avec l'influence croissante du yen dans la région. Il ne s'agit donc
pas d'une stratégie avérée comme celle de l'Europe.
C) VERS L'EURO, UNE MONNAIE UNIQUE EUROPÉENNE À L'IMAGE DU
DOLLAR
La stratégie monétaire européenne est celle de la mise en place d'une
monnaie unique forte, répondant au double besoin de parachever le grand
marché intérieur (de La Genière, 1989) entré en vigueur en 1993, et de permettre à l'Europe de faire face à l'hégémonie du dollar. Elle devrait pouvoir, pourquoi pas, se substituer au dollar, pour renforcer le poids de
l'Europe et son aptitude à influer sur les relations économiques internationales (Rapport Cecchini, 1988).
a) Vers la monnaie unique - L'origine de cette ambition est à situer à la
création en 1950 de l'Union européenne des paiements. Tant il est vrai que
même dans le traité de Rome de 1957, l'idée d'intégration monétaire n'est
pas clairement exprimée. n faut attendre le Plan Barre et le Rapport Werner,
en 1969-1970, pour voir le projet d'union monétaire démarrer dès 1972 par
l'expérience du Se rpent monétaire. Mais c'est surtout avec le remplacement
du serpent en mars 1979 par le Système monétaire européen (SME) que le
projet gagne en consistance. Le SME introduit un mécanisme de coopération monétaire permettant de créer en Europe une zone de stabilité monétaire relative, en instaurant des taux de change fixes.
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
109
Le mécanisme a fonctionné avec plus ou moins de bonheur jusqu'à
l'effondrement du communisme, la réunification allemande et l'accélération de la construction européenne, avec l'abandon en 1987 de changes
fixes ajustables au profit de changes fixes rigides, puis avec la signature en
décembre 1991 du traité de Maastricht. Le traité établit un programme, fixe
les moyens et les critères de convergence à remplir scrupuleusement par
les pays pour entrer dans la monnaie unique à l'échéance du 1er janvier
1999. Autant de faits nouveaux qui ont conduit le SME en 1992-1993 vers
une implosion, dominée par l'effet d'asymétrie des préférences favorables
à la politique monétaire allemande. En effet, la réunification allemande
s'est traduite par un choc asymétrique de demande inflationniste.
b) Le taux de change d'équilibre de l'euro - La dilution des préférences
qu'engendre l'union monétaire soulève donc une question majeure, celle
du système de change qui peut résoudre au mieux l'arbitrage entre objectif
interne (biais inflationniste pour stimuler l'activité) et objectif externe
(biais déflationniste pour accroître la compétitivité). Il s'agit d'une question fondamentale pour la fixation du taux de change réel optimal de l'euro
par rapport au reste du monde (Lavigne et Villieu, 1996), mais aussi pour la
politique monétaire des pays dont la monnaie sera ancrée sur l'euro,
comme c'est le cas précisément des pays de la zone franc. Aussi, convientil de regarder l'euro dans l'avenir.
Rappelons pour cela que le Système européen de Banques centrales
(SEBC), composé de la Banque centrale européenne (BCE) et des banques
centrales nationales, a pour objectif principal le maintien de la stabilité des
prix. A cet égard, il fonctionnera selon le principe d'indépendance, par rapport aux gouvernements nationaux et aux organes de la Communauté. Il lui
est interdit d'accorder toute forme de crédit aux pouvoirs publics. Son
Conseil, composé des gouverneurs des banques centrales nationales, définira et conduira librement la politique monétaire et de change unique de
l'euro 7 , lequel remplacera l'écu. Les banques centrales nationales ne
seront plus que des structures chargées de mener à bien au niveau national
les politiques définies par le Conseil.
Il est clair que cette construction fait reposer la stratégie européenne de
monnaie forte sur la séparation des pouvoirs monétaire et budgétaire. Nous
savons que les travaux sur le thème de l'indépendance de la banque centrale sont dominés par une analyse axée sur la notion de crédibilité. La
référence porte très souvent sur la Bundesbank, dont on sait qu'elle pratique une politique monétaire autonome très restrictive, permettant aux
autres pays membres du SME de renforcer la discipline de leur politique
monétaire et de bénéficier ainsi de sa réputation. On pense que si la BCE
fonctionne sur ce modèle, cela garantira la crédibilité. Pour assurer un
meilleur arbitrage entre stabilité monétaire et récession, on peut imaginer
7. La répartition des tâches entre le Conseil des ministres, chargé de négocier les
accords de change, et la BCE responsable de leur mise en œuvre reste fort peu nette.
110
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
que le Conseil des ministres définira un taux de change de référence de
l'euro par rapport au dollar susceptible de guider la coordination des politiques économiques. La définition d'un taux de change d'équilibrefondamental (TECF) au sens de Williamson semble la plus probable, c'est-à-dire
un taux de change réel capable d'assurer l'équilibre macroéconomique
interne et externe de l'ensemble des économies.
c) L'euro: force, stabilité et degré d'hégémonie - L'euro devrait être une
monnaie forte par rapport au dollar, et au moins aussi forte que le Mark.
Cette affirmation repose sur diverses raisons: l'amélioration de la position
extérieure nette de l'UE, les rapports de prix relatifs (Aglietta, Baulant et
Coudert, 1998), le fait qu'il remplacera le Mark, la politique monétaire de
rigueur qui sera adoptée par la BCE pour établir sa crédibilité, l'attrait
qu'exerceront la taille et la profondeur du nouveau marché financier européen (Bourguinat, 1998), etc.
S'agissant par contre de la stabilité de la parité de l'euro contre le dollar
(voire le yen), il existe une forte divergence dans les opinions. Certains
auteurs (Martin, 1998) pensent que les manipulations du taux de change
seront moins probables, en raison du renforcement de l'interdépendance des
économies européennes (thèse de l'indifférence aux fluctuations de taux de
change et donc de la tendance à la négligence bienveillante). Mais l'hypothèse d'une instabilité est la plus vraisemblable. En effet, le rapport de parité
euro-dollar (et même euro-yen) sera le point de focalisation des anticipations, appelé à devenir l'un des principaux baromètres du marché des changes. Compte tenu des échanges Europe-États-Unis et de son incidence sur
la compétitivité des tous les NPI, ce rapport monétaire sera très sensible à
la formation des bulles spéculatives. Autrement dit, l'euro étant une monnaie de réserve, mais pas à égalité avec le dollarS, les investisseurs auront
le choix entre deux monnaies de réserve, ce qui fait que tout écart de rendement entraînera des déplacements de capitaux d'une devise à l'autre et se
traduira par de fortes fluctuations de leur parité. En outre, on ne doit pas
exclure l' hypothèse simple d'une guerre commerciale qui prendrait la forme
de manipulations agressives de cette parité par les parties. Il reste incontestable toutefois que l'euro, bénéficiant d'un effet de dimension, sera une
monnaie plus stable que les monnaies nationales préexistantes.
Enfin, en ce qui concerne la substitution de l'euro à l'hégémonie du
dollar, on admet que la base de départ de l'euro est remarquable. On pense
notamment: à son utilisation au sein de l'Union; à sa substitution aux monnaies nationales dans les transactions avec les pays tiers, lesquels pourraient en faire davantage un usage commercial; à son usage comme point
d'ancrage, ce qui est déjà envisagé par les pays africains de la zone franc
(Bourguinat, 1998), d'autres cas sont possibles. On pense également à
l'attractivité qu'exercera le marché financier européen, ainsi qu'à la
demande potentielle émanant des banques centrales, dont on sait que le
8. Comme le précise Artus (1998).
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
III
total des réserves officielles à fin 1995 était libellé à plus de 20% en monnaies européennes. Enfin, on estime que le contrôle de 38,5 % du PNB des
pays de l'OCDE et de 20,9% du commerce mondial en 1996, contre respectivement 37,5% et 19,6% pour les E.U., prédispose l'euro à être suffisamment diffusé au niveau international; d'autant plus qu'il remplacera
dans le libellé du portefeuille mondial d'actifs transfrontaliers les monnaies européennes, soit 35 % en 1993.
Mais ceci ne signifie nullement une symétrie dans le système monétaire
international, conduisant à une substitution de l'euro au dollar, par exemple
dans la facturation des exportations et des importations. On doit aussi noter
que l'émergence de l'euro comme seconde monnaie de réserve est potentiellement porteuse de crises spéculatives déséquilibrantes (Bourguinat,
1998), car c'est par des ajustements fréquents des taux de change dollareuro que les grands blocs régionaux chercheront à jouer pour établir le rapport hégémonique. De plus, nous savons que les taux de change sont déterminés également par les anticipations auto-réalisatrices (plihon, 1996).
Pour éviter une instabilité aggravée dans le système monétaire international,
il n'est pas exclu qu'on s'achemine alors vers une coopération organisée
entre grandes monnaies: dollar, euro, yen. Les grands blocs régionaux renforceraient en conséquence leur position hégémonique dans l'économie
mondiale. Aussi, faut-il s'interroger, compte tenu du rôle clé que joue la
variable monétaire, sur le profil qu'il faudrait donner à la monnaie dans les
pays de la zone franc. Nous savons en effet que, outre les conséquences de
la nouvelle structuration de l'économie internationale sur leurs économies,
leur monnaie est appelée à perdre son référent et à être rattachée à l'euro.
III) Le profil de la monnaie dans la zone franc
Les quatorze pays africains de la zone franc sont regroupés en deux
unions économiques et monétaires distinctes: la Communauté économique
et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) et l'Union économique et
monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UEMOA). Une monnaie unique (le
franc CFA) est émise dans chaque union par une banque centrale -la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC) et la Banque centrale des États
de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) - ayant le statut d'établissement multinationa1 9 . Elle est définie suivant une parité fixe 10 par rapport au franc français (FF). La gestion des banques centrales est assurée par les
représentants des États membres, en association avec les représentants de
9. La BEAC et la BCEAO seraient restées « dans la main des gouvernements en raison
de la tradition de subordination de la Banque de France au ministère des Finances.
(Guillaumont, 1993).
10. Cette parité est passée après la dévaluation de janvier 1994 de 50 FCFA à
100 FCFA pour 1 FE
112
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
la France qui siègent dans les conseils d'administration. La participation
de la France à la gestion est justifiée par le fait qu'elle garantit la convertibilité des francs CFA en FF, ceci grâce aux comptes d'opérations ouverts
par le Trésor français à la BEAC et à la BCEAO. Les statuts des banques
centrales indiquent à cet effet les instruments de la politique monétaire et
les règles de leur application.
Mais on ne comprend pas qu'après plus de trente ans de coopération
monétaire l'intégration ait échoué (Berg 1993). C'est ainsi que le commerce officiel entre les pays de ces unions ne représente qu'une faible part
du total de leurs échanges (Guillaumont, 1993) et là où l'investissement a
augmenté à la suite de l'intégration, on a enregistré une forte chute de la
croissance (De Melo, Montenegro et Panagariya, 1993).
Cet échec, face à la structuration récente de l'économie internationale,
risque de contribuer à une plus grande marginalisation de l'Afrique. On
sait déjà que la plus grande partie de la production mondiale et des échanges commerciaux provient des pays de la triade. Entre 1960 et 1993, la part
de l'Afrique (sauf l'Afrique du Sud) dans le total de la production mondiale a enregistré une chute de 2,4 % à 1,8 %; alors que sa part dans le total
des échanges courants passait de 2,2% à 1,1 % entre 1967 et 1993. Or,
l'Afrique est l'une des régions les plus peuplées du monde et où le taux de
croissance démographique est des plus élevé; sa part dans la population
mondiale est passée de 6,8 % en 1960 à 9 % en 1993 11 • Elle est aussi la
région où les populations bénéficient des revenus les plus faibles. En 1993,
l'espace Afrique Moyen-Orient n'a perçu que 4 % du revenu mondial, contre 26,1 % pour les B.U., 28,7% pour rUE et 17,6% pour le Japon.
n est donc urgent de réformer le dispositif monétaire et financier de la
zone franc, mettre en œuvre une stratégie d'intégration régionale viable,
permettant aux petits États africains d'accroître les échanges intra-zone et
d'acquérir une dimension économique suffisante pour pénétrer les marchés
extérieurs. Mais, comme nous allons le voir, les réformes engagées dans
les pays africains de la zone franc ne sont pas de nature à conduire à cet
objectif. C'est pourquoi nous tenterons de jeter les bases d'une réflexion
pour un profil approprié de la monnaie.
Les réformes de la zone franc
1) Dès 1989, les instruments de la politique monétaire ont été modifiés,
notamment en substituant aux mécanismes de refinancement préférentiel
la programmation monétaire, qui fait reposer la création de monnaie sur
l'évolution des données macroéconomiques. Un marché monétaire, à
l'image de celui de l'Afrique de l'Ouest, a été également mis en place en
Afrique centrale, en juillet 1994. Il doit permettre de faire jouer au taux
d'intérêt un rôle central dans le contrôle de la création de la monnaie, à traIl. La synthèse statistique est de Lafay (1996).
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
113
vers des adjudications par appel d'offres. De plus, le contrôle prudentiel a
été renforcé par l'harmonisation et le contrôle commun des réglementations bancaire, monétaire et financière. C'est ainsi que deux commissions bancaires régionales ayant un pouvoir supranational ont été
créées en 1989-1990.
2) Par ailleurs, une nouvelle coopération institutionnelle tendant à transformer l'union monétaire en une union économique a vu le jour, de manière
à renforcer l'efficacité de la politique monétaire par une discipline rigoureuse dans le domaine des finances publiques. L'UEMOA et la CEMAC ont
été ainsi mises en place en 1994, avec un dispositif de surveillance multilatérale de la convergence des politiques économiques. Dans le cas de la
CEMAC, la BEAC se voit assigner le même objectif que la BCE: garantir
la stabilité de la monnaie. Cette mission est remplie par le canal de son conseil d'administration, dont le gouverneur est désormais le président.
Nommé par la Conférence des chefs d'État, celui-ci doit prêter serment
selon l'esprit des textes pour exercer sa fonction en toute indépendance.
Rien d'étonnant à cette marche vers l'indépendance de la Banque centrale,
le partenaire français ayant déjà fait ce choix au niveau européen. Il s'agit
là, peut-être, d'une stratégie visant à introduire dans des conditions acceptables la zone franc dans la zone euro, les autorités françaises 12 ayant déjà
confirmé à maintes reprises que les relations monétaires existant dans le
cadre de la zone franc subsisteront malgré la mise en place de l'euro.
3) En outre, l'assainissement des systèmes financiers a été étendu aux
compagnies d'assurances et aux organismes publics de prévoyance
sociale. Les ministres des Finances de la zone franc ont ainsi signé en
juillet 1992 un traité instituant une organisation intégrée de l'industrie des
assurances dans les États africains (Conférence interafricaine des marchés
d'assurance - CIMA). Il s'agit de faire des compagnies d'assurances de
véritables intermédiaires financiers appelés àjouer un rôle significatif dans
le processus de développement économique et social. C'est la raison pour
laquelle le traité envisage l'élargissement du rôle d'investisseur institutionnel et la création de nouveaux instruments financiers, permettant la mobilisation de l'épargne longue sur des marchés financiers régionaux
ouverts 13.
4) Le droit des affaires a également fait l'objet d'un traité visant son harmonisation et sa modernisation (en abrégé [OHADAD, de manière à assurer aux investisseurs la sécurité juridique et judiciaire nécessaire. Le traité
12. La question, dit-on, « a été définitivement tranchée par la lettre du président Chirac
du 14 décembre 1996 à ses pairs africains. Celui-ci écrit en effet: Lorsque le franc français
sera remplacé par l'euro, aucune modification de parité des francs CFA et comorien ne sera
nécessaire. Le taux de change des francs CFA et comorien en euro se déduira mécaniquement du taux de change des francs CFA et comorien en franc français, qui sera inchangé, et
du taux de change du franc français en euro ».
13. Le projet expérimental de régionalisation de la Bourse d'Abidjan a démarré en septembre 1998 avec un retard significatif de près de dix mois.
114
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
envisage la création au niveau de chaque union d'une cour de justice communautaire appelée à statuer en dernier recours.
On peut dire que l'intégration régionale ainsi menée cherche à mettre en
place des marchés financiers régionaux ouverts, afin de créer une surface
économique suffisante. Elle cherche également à opérer une mutation qualitative des économies, en les faisant passer du statut d'économie d'endettement à celui d'économie de marché de capitaux. Elle est supposée
conduire à une meilleure insertion dans l'économie mondiale, les économies se trouvant mises en diapason du système financier international.
En outre, la coopération régionale est supposée réduire le poids des
« lobbies », des groupes politiquement importants dans chaque État et
libérer ainsi les décisions de politique économique de la pression des intérêts privés: c'est l'effet de dilution des préférences (the preference-dilution
effect 14 ). Pour P. et S. Guillaumont (1993), la délégation volontaire de souveraineté à une institution supranationale met le pouvoir monétaire à l'abri
des pressions gouvernementales et sociales. Elle préserve l'autonomie visà-vis de l'exécutif et garantit ainsi une monnaie stable. La participation de
la France aux institutions de la zone est donc un facteur de crédibilité. Elle
apporte la garantie de pouvoir maintenir le taux de change stable et d'assurer la convertibilité des francs CFA vis-à-vis de toutes les grandes monnaies du monde, ce qui est de nature à susciter la confiance des
investisseurs étrangers.
Les limites des réformes engagées
Ces réformes ont sans doute beaucoup d'intérêt au regard des conséquences de la structuration actuelle de l'économie internationale. Mais,
elles ne tirent pas toutes les leçons de l'analyse de cette structuration de
manière à faire jouer à la monnaie un rôle stratégique.
A) VIABILITÉ DE L'INTÉGRATION ET COOPÉRATION MONÉTAIRE
On peut d'abord relever que la coopération institutionnelle ne garantit
pas la viabilité de l'intégration régionale. On sait que le regain actuel de
cette dernière est une initiative de la France, qui a décidé de transformer la
coopération monétaire en une véritable communauté économique avec des
règles et règlements communs. Cette approche a fait l'objet de vives critiques. Citons E. Berg (1993), qui voit dans l'intégration verticale lancée
par la France un instrument de division, une nouvelle forme de néocolonialisme de nature à stopper la puissance nigériane. Mentionnons dans le
même sens la critique de B. Bekolo Ebe (1994) qui, lui, voit dans cette initiative une manœuvre visant à mieux répartir entre les pays africains les
charges d'ajustement liées à l'ampleur des déséquilibres des balances des
paiements. Pour certains spécialistes (Guillaumont, 1993) le rôle de la
14. Selon J. de Melo (Guillaumont, 1993), cet effet agit contre les politiques non optimales engendrées par la discrétion des États.
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
115
France relève d'un arbitrage à faire entre coopération institutionnelle et
conditionnalité des organismes de Bretton Woods. Dans le premier cas, les
pays africains reçoivent une garantie en échange de l'acceptation de certaines règles de gestion; l'abandon de souveraineté qui en découle étant le
prix à payer pour améliorer l'efficacité et la crédibilité du système. En
revanche, dans le cas de la conditionnalité, ils reçoivent des prêts en
échange de l'application obligatoire de mesures particulières de politique
économique, sans avoir la moindre certitude d'être appuyés en cas de
difficultés.
Autrement dit, les pays africains doivent éviter de passer sous les fourches caudines des programmes d'ajustement structurel, en renforçant par
des institutions communes leur coopération avec la France. Tout se passe
alors comme si les fondements de cette coopération étaient étrangers
auxdits programmes. Or, ceux-ci, tout comme d'ailleurs la dévaluation,
sont grandement liés à l'échec de la coopération monétaire. En effet, la
dévaluation a fait suite à l'ampleur des déséquilibres des balances des paiements des pays africains. L'inflation dans ces pays ayant été plus rapide
qu'en France, les taux de change réels des francs CFA se sont appréciés.
C'est ainsi qu'en 1992, le taux de change du dollar et du FCFA a baissé
jusqu'à 265,2 contre 319 FCFA pour un dollar en 1989. Mais si l'inflation
s'est développée du fait de l'expansion monétaire (Guillaumont, 1993),
cette expansion ne s'est pas faite de manière viable. Elle s'est d'abord traduite par une forte croissance des crédits à l'économie, destinés essentiellement au financement de la commercialisation des matières premières
(café, cacao, coton, etc.). Entre 1974 et 1995, les crédits à court terme dans
la zone de la BEAC qui correspondent ainsi à une moyenne de 72,6% du
total des crédits à l'économie, bénéficient des 62,84 % de ses refinancements et sont constitués essentiellement de crédits de campagne. Par
ailleurs, le boom des revenus lié à la promotion de ces produits a favorisé
non seulement les prélèvements de l'État auprès des organismes chargés de
la commercialisation mais également l'accès des gouvernements aux
financements internationaux. Il a eu comme conséquence un gonflement
des dépenses publiques. Ensuite, lorsque les cours ont chuté et que les pays
ont été évincés des marchés financiers internationaux, l'expansion monétaire a trouvé un relais dans le financement monétaire des déficits budgétaires et les crédits aux entreprises publiques auprès de qui l'État a
accumulé d'importants arriérés. Au total, l'extrême spécialisation historique des pays dans la production des matières premières et l'appui que la
coopération a eu à apporter dans ce sens au fil des ans les ont conduits à
une asphyxie financière. C'est la raison pour laquelle la libéralisation économique est intervenue avec les programmes d'ajustement structurel. Si en
même temps la France a lancé un programme de réformes, il peut s'agir
d'un moyen de reprendre en mains un espace économique menacé de dislocation et d'ouverture.
116
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Dans ce cas, les pays africains ne se sont pas donné les moyens de réaliser une intégration viable. Parmi les nombreux facteurs qui constituent des
obstacles à leur intégration (Berg, 1993), l'extrême spécialisation des systèmes productifs nationaux dans les matières premières semble très importante, tout comme l'inexistence des infrastructures de communication et
des équipements de base. Pour que l'intégration régionale africaine soit
viable, il est essentiel de transformer les systèmes productifs, de les orienter et de mettre en place les infrastructures appropriées, de manière à créer
un espace économique relativement autonome. Pour cela, il faut une planification des activités, à laquelle on doit pouvoir adjoindre l'appui du système financier. On se souvient que la haute croissance japonaise n'a pu être
obtenue que grâce à une telle programmation du système financier (Meyer,
1996). Or, cette programmation n'a pas été possible, parce que la coopération monétaire a continué à reproduire la dépendance des économies vis-àvis des produits primaires, alors même que ceux-ci sont aujourd'hui en
perte de vitesse sur les marchés internationaux. Même l'appui de la finance
directe en cours de promotion ne peut être que très limité.
B) FINANCEMENT DES ÉCONOMIES ET ASYMÉTRIE DES PRÉFÉRENCES
EUROPÉENNES
Dans le cadre des règles du SME, la politique monétaire française se
trouve assujettie à la Bundesbank, qui détermine et mène en toute liberté
une politique monétaire réputée la plus anti-inflationniste. Aussi, au sein
du SME, la Bundesbank joue-t-elle le rôle de banquier central conservateur. Son action oblige les autres partenaires à mener une politique également très restrictive, d'autant plus que les mécanismes de changes fixes du
SME les empêchent de se livrer à des politiques d'appréciation ou de
dépréciation compétitives. Au bout du compte, ils bénéficient d'un transfert de crédibilité. Toute la politique monétaire et de change de la France
s'attache ainsi à éliminer le différentiel d'inflation avec l'Allemagne 15 et à
réduire la prime de risque sur le taux d'intérêt; elle ne fait pas du niveau
général des prix par rapport au reste du monde une préoccupation.
On voit qu'avec le rattachement des francs CFA à l'euro, les pays africains occuperont par rapport à la BCE une place similaire à celle
qu'occupe la France dans le SME. Puisque la garantie de la France continuera à jouer, elle s'attellera donc à la mise en application au niveau africain d'une politique aussi restrictive. Elle le fera en fonction de ses
préférences commerciales en matière de taux de change ou de ses propres
contraintes d'expansion monétaire. Son action s'appuiera sur l'évolution
des avoirs extérieurs en compte d'opérations, et les pays africains seront
réduits à l'application d'une politique de désinflation, visant à rendre aussi
faible que possible le différentiel d'inflation avec l'UE.
15. Cette politique de désinflation a récemment laissé l'économie française avec un
taux de chômage de plus de 13 % de la population active (Lavigne et P. Villieu, 1996).
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
117
La déflation qui s'ensuivra pourra être renforcée par la nouvelle configuration des systèmes financiers. En effet, la finance directe globalisée ne
pourra pas effectivement jouer le rôle de premier plan qu'on voudrait lui
donner, en raison de l'existence en Afrique subsaharienne d'une multitude
d'entreprises à la forme juridique mal connue, et très souvent structurées
sur la base de relations de type familial. Quelques entreprises seulement,
d'ailleurs de grande taille, présentent des structures juridiques et comptables propres à cette finance. On pense que 45 sociétés seulement pourraient
être cotées à la future Bourse d'Afrique centrale, soit une moyenne de
7 sociétés par pays16. Pour les Bourses existantes, on observe déjà que leur
activité est limitée; le nombre de valeurs cotées restant très faible (Whorer,
1993). La déflation liée au durcissement de la politique monétaire peut
donc être aggravée, rien ne garantissant le financement d'une croissance
durable.
On peut même redouter que l'ouverture financière ne crée des canaux
favorables à la fuite des capitaux, à travers notamment la possibilité de
diversification des placements qu'elle donne aux épargnants nationaux, et
les politiques systématiques d'attraction des investissements directs étrangers l ? Lorsque les pouvoirs publics ne maîtrisent pas la politique de
change comme cela risque d'être le cas, la fuite des capitaux peut prendre
des proportions importantes (cas de la dévaluation du franc CFA). D'autres
effets négatifs peuvent aussi s'ajouter, en raison du rôle crucial que joue la
monnaie, par le canal des taux de change, dans la connexion des espaces
monétaires et la délocalisation des productions des firmes multinationales.
Or, les réformes engagées sont telles que les économies seront soumises,
contrairement à ce que l'on pense, à une grande instabilité monétaire, du
fait de la perte d'autonomie de cette politique.
C) PERTE D'AUTONOMIE DE LA POLITIQUE DE CHANGE ET INSTABILITÉ
MONÉTAIRE
La stabilité monétaire relative, dont bénéficie le franc CFA dans le cadre
du SME, sera accrue avec le remplacement des monnaies européennes par
l'euro et son rattachement rigide à ce dernier. Mais cet avantage est à mettre en balance avec la grande instabilité qui caractérisera les relations des
francs CFA avec les autres monnaies (dollar, autres monnaies de la zone
16. Selon une étude réalisée par la BEAC, présentée par R. R. Andely (1997), vice-gouverneur de la BEAC.
17. Lesquels constituent au bout du compte des voies de sortie des capitaux. Le
dilemme dans lequel se trouvent les pays en développement ici est qu'ils doivent mettre en
place des codes d'investissement attractifs, parce qu'il semble que les firmes multinationales influencent fortement le niveau d'activité des économies nationales et par conséquent
les revenus qui y sont distribués. Elles agissent sur leur compétitivité et sur celles des firmes locales, etc. Mais inversement, si l'implantation d'une multinationale se traduit par
une entrée de capitaux dans le pays, plus tard les IDE entraînent des sorties importantes de
capitaux du pays hôte, notamment sous forme de profits, de redevances ou honoraires rapatriés en pays d'origine ou dans les paradis fiscaux.
118
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
dollar, yen), en vertu de la forte instabilité qui prévaudra entre le dollar et
l'euro. D'autre part, cet avantage s'accompagnera du renforcement de la
perte de contrôle par les pouvoirs publics de la possibilité d'employer à
bon escient le taux de change comme variable stratégique pour les relations économiques et commerciales internationales. Ainsi, seront-ils surpris de passer d'un taux de change à un autre, persuadés qu'ils restent que
la coopération institutionnelle leur garantira la stabilité. Pour preuve, seuls
les problèmes d'ajustement technique du cours de conversion du franc
CFA en euro les ont préoccupés jusqu'au moment où ils ont été rassurés de
l'absence de dévaluation future du franc CFA. Il Ya également le maintien
sans différenciation, lors du passage à l'euro, de l'égalité des parités des
francs CFA.
Ces préoccupations montrent à quel point les États africains n'ont pas
suffisamment tiré les leçons de la dévaluation de 1994. Or, celle-ci sonne le
glas des rigidités nominales, c'est-à-dire la fin de l'ère de l'évolution divergente des taux de change réels. Le maintien d'une parité unique des francs
CFA avec l'euro n'est durablement possible qu'à condition qu'il y ait convergence des performances macroéconomiques dans les deux unions économiques. Mais ces performances ont été d'une divergence significative l8 ,
si bien qu'on peut se demander si ceci conduira à une implosion de l'union
monétaire africaine. C'est là l'une des interpellations qui doivent déboucher sur une réflexion urgente sur le profil de la monnaie en Afrique.
Conclusion: quelle monnaie pour les pays de la zone franc?
Les économies africaines de la zone franc ne peuvent valablement s' inscrire dans l'économie internationale de demain que pour autant qu'elles disposeront des capacités économiques nécessaires. Pour avoir une dimension
économique suffisante, il leur faut faire jouer à la monnaie un rôle stratégique, qui ne peut être effectif qu'à condition que celle-ci soit crédible.
A) UNE MONNAIE INSTRUMENT DE STRATÉGIE
La place que l'Afrique subsaharienne occupe dans l'économie internationale d'aujourd'hui trouve fondamentalement son explication dans l'histoire coloniale qui l'a affaiblie en la balkanisant et en la confinant dans la
production de matières premières. C'est d'ailleurs à cet héritage colonial
qu'il faut aussi se référer pour comprendre la grave crise économique qui
la frappe. Seule une restructuration de son système productif est donc à
même d'élargir la base productive à d'autres secteurs porteurs de croissance et de développement. Mais la taille des États ne saurait leur assurer
une viabilité économique, il faut procéder à l'intégration des économies
pour renforcer leur capacité économique et favoriser ainsi leur insertion
18. Sur la base des performances comparées des zones BEAC et BCEAO telles que présentées par la BEAC dans un document de travail du Comité ministériel de la zone franc,
du 28 juillet 1997.
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
119
dans l'économie internationale. Il s'agit là d'une stratégie à inscrire dans la
durée; tant l'héritage de l'histoire est lourd et les intérêts en présence très
contradictoires.
Mais cette stratégie ne peut être laissée à la merci des mécanismes de
marché. Ceux-ci n'ont jamais élaboré, nulle part au monde, une planification définissant clairement les objectifs poursuivis et les moyens de les
atteindre. D'ailleurs, comme nous l'avons montré, ils ne trouvent pas
encore les conditions de l'allocation optimale des ressources à laquelle ils
sont censés conduire.
Autrement dit, les pouvoirs publics doivent être en mesure de programmer le système financier conformément au double impératif de réorientation de l'appareil productif et d'intégration économique. En effet, si le
marché peut assurer le financement des investissements dont la rentabilité
financière est établie, il ne saurait en être de même des investissements
économiques à caractère stratégique dont la rentabilité est de l'ordre du
long terme. C'est pourquoi les pouvoirs publics doivent avoir ici une certaine emprise sur la politique monétaire et de change de manière à pouvoir
effectivement composer avec celle-ci dans le cadre des politiques économiques. Ils ne peuvent véritablement agir dans le sens souhaité que s'ils
ont une marge de manœuvre suffisante sur la politique monétaire.
C'est peut-être par effet de mode que l'on tend aujourd'hui à analyser les
problèmes de déficits publics en Afrique subsaharienne de la même
manière que ceux-là que l'on rencontre dans les pays riches et qui sont parfois liés aux cycles politiques. On oublie alors que dans les États jeunes, les
bases productives de l'économie sont encore fragiles et que pour cette raison les interventions de l'État, bien que parfois irrationnelles en raison du
facteur humain, restent capitales. Tout le problème est de bien gérer la
monnaie, de manière à garantir à la fois la stabilité des prix et une certaine
stabilité des taux de change, sans que ceci conduise à la déflation. Le défi
est de taille, puisque pour les raisons déjà évoquées, le financement par
crédit restera pour longtemps encore le principal mode d'allocation de ressources à l'économie.
Par ailleurs, à cette transposition des contextes d'analyse s'ajoute l'incidence de la mondialisation financière, qui laisse croire que la monnaie est
un bien parmi d'autres biens, produit pour lui-même et faisant l'objet
d'une demande pour la gestion de portefeuille. L'ampleur prise par le rôle
d'actif financier de la monnaie tend à en faire ainsi un simple instrument de
spéculation. Ceci explique d'ailleurs le fait que l'on assiste à une croissance d'actifs financiers qui soit sans rapport avec l'économie réelle. Or
l'analyse nous a révélé, malgré cette nature de la monnaie, toute sa dimension stratégique dans les relations économiques internationales. Il convient
donc dans cette optique de lui donner deux caractéristiques.
La première caractéristique est qu'elle soit émise selon des mécanismes
propres à favoriser la restructuration des appareils productifs et à promouvoir véritablement l'intégration économique régionale. En d'autres termes,
120
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
la politique monétaire doit être une composante à part entière de la politique économique.
La seconde caractéristique voudrait que les pouvoirs publics aient une
autonomie en matière de politique de taux de change, c'est-à-dire qu'ils
puissent se servir en toute indépendance du taux de change comme instrument stratégique de politique économique. A ce niveau se pose le problème
du mode de rattachement des francs CFA. Pendant longtemps, ce problème
a été traité avec l'argument du transfert de crédibilité, comme si cette crédibilité, compte tenu de son importance, ne pouvait être obtenue autrement.
B) UNE MONNAIE CRÉDIBLE
Les pays africains doivent chercher à se mettre à l'abri d'une marginalisation dans les échanges internationaux en élargissant leur espace économique. Pour cela il leur faut une monnaie crédible, c'est-à-dire susceptible
de susciter, en raison du pouvoir d'achat qu'elle garantit, la confiance et
des résidants et des non-résidants. Deux conditions sont nécessaires à cela.
a) Sur le plan interne, le rythme de hausse des prix doit être réduit, afin
que le pouvoir d'achat de la monnaie ne subisse qu'une faible érosion au fil
des années. Pour éviter l'érosion monétaire, il faut pratiquer une politique
monétaire rigoureuse. Aujourd'hui, l'on pense de plus en plus qu'une telle
politique est impossible lorsque la banque centrale n'est pas indépendante
du gouvernement. La raison avancée à cela est que le financement monétaire des déficits publics constitue une source importante de déséquilibres
inflationnistes. C'est la raison pour laquelle dans le cas de l'UE par exemple, outre les raisons liées à l'histoire monétaire allemande et aux difficultés de la construction monétaire, l'indépendance de la Banque centrale
européenne doit être une réalité.
Or, nous savons aussi que du point de vue de la communauté, l'indépendance occasionne un coût à travers la pondération plus faible de la stabilisation de l'activité et de l'emploi (Lavigne et Villieu, 1996). D'ailleurs, en
ce qui concerne les pays africains, la concentration du pouvoir monétaire
entre les mains du gouverneur de la banque centrale, principal agent des
États dans les relations monétaires et financières internationales, n'apparaît même pas effectivement garante de la mise en œuvre d'une politique
monétaire indépendante, sauf peut-être vis-à-vis des gouvernements africains. Elle semble plutôt ouvrir la voie à des pressions de toutes sortes, susceptibles de mieux assurer les préférences de la France dans l'UE. S'ajoute
à ceci le fait que dans le régime de changes fixes qui est envisagé, la résolution des conflits entre politique monétaire indépendante et politique de
change dépendant du pouvoir politique est subordonnée à des éléments
exogènes (Fernandez de Lis, 1995). Compte tenu de tout cela, l'indépendance au sens de Rogoff, auteur qui pense que la banque centrale fixe les
objectifs et contrôle les instruments de la politique monétaire, ne semble
pas judicieuse. En revanche, l'indépendance instrumentale donne aux pou-
RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
121
voirs publics la possibilité de programmer le système financier. Suivant
l'approche par les contrats optimaux, le banquier central est ainsi rendu
comptable des résultats de la politique monétaire et peut être congédié s'il
ne parvient pas aux objectifs assignés.
La rigueur monétaire résultant de ce type d'indépendance doit être renforcée par une diversification des structures bancaires et financières. Il est
clair que les pays africains de la zone franc ont besoin non seulement des
banques commerciales et des coopératives d'épargne et de crédit, mais
également des marchés financiers, des investisseurs institutionnels et des
institutions financières spécialisées. Cette diversification présente l' avantage de créer une synergie et une complémentarité dans les différentes
modalités d'allocation des ressources. Elle favorise donc le dynamisme du
système financier et surtout la stabilité monétaire. Lorsque l'ensemble de
ces structures fait l'objet d'une bonne supervision visant à garantir la sécurité du système de paiements, la monnaie bénéficie ainsi d'une confiance
d'autant plus grande que les institutions qui sont chargées de sa création et
de sa gestion sont solides.
b) La deuxième condition de crédibilité renvoie, sur le plan externe, à la
fois à la convertibilité de la monnaie et au mode de rattachement qui procure la protection la moins mauvaise. On sait que l'environnement financier des changes flottants caractérisé par une instabilité grandissante du
change constitue une entrave grave aux échanges et à l'investissement. La
définition des francs CFA par rapport à l'euro apparaît comme une solution
à ce problème, en raison notamment du poids que l'on s'accorde à reconnaître à l'UE dans les échanges extérieurs de la zone franc (Semedo et Villieu, 1997; Claassen, 1998).
Mais, compte tenu justement de ce contexte financier, c'est vers un taux
de change flexible ou un taux de change fixe avec parités ajustables qu'il
conviendrait de s'orienter. On définirait alors un taux de change d'équilibre
fondamental du franc CFA par rapport à l'euro, en prévoyant une bande de
fluctuations acceptable. Un tel taux pourrait être fixé par un commun accord
entre les pays africains et les ministres des Finances de l'UE. Si un accord
bilatéral de cette nature n'est pas possible, les pays africains ont la possibilité de fixer unilatéralement la parité fixe du franc CFA par rapport à l'euro.
Cela permettrait, d'une part, d'arriver à un arbitrage optimal entre la stabilité du change et la flexibilité de la politique monétaire, étant donné que les
autorités publiques doivent à la fois parvenir à la souveraineté monétaire et
être soucieuses de la stabilité du change. A cet avantage s'ajoute, d'autre
part, le fait qu'un tel mode de rattachement permettrait de dédramatiser les
modifications de parités. En effet, la banque centrale pratiquerait une politique monétaire plus souple sachant qu'en cas de nécessité, le taux de
change peut être réajusté à l'intérieur de la bande de fluctuations.
Pour éviter les effets de l'instabilité induite par les fluctuations des grandes monnaies comme le dollar, la base référentielle de définition des francs
CFA pourrait être élargie par l'adoption d'un panier de monnaies
122
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
d'ancrage. Mais là n'est pas le nœud gordien, car l'entremise du partenaire
français conduit à des politiques monétaires et de change extraverties. Elle
paraît superflue, puisque la BCEAO et la BEAC ont la possibilité de décider de la mise en commun de leurs réserves de change à un endroit autre
que le Trésor français. La centralisation des réserves de change présente
l'avantage de faire jouer la solidarité. Un pays en difficulté peut effectivement bénéficier de la situation créditrice des autres; le cas d'un assèchement total des réserves pour l'ensemble des quatorze pays africains étant
exceptionnel.
Mais bien au-delà, elle servirait par l'effet de volume qu'elle crée à assurer la convertibilité du franc CFA, ou sa conversion en devises. En effet,
c'est l'importance des réserves qui fait la convertibilité, moyennant certes
quelques arrangements avec d'autres banques centrales du monde, et dans
le cas d'espèce avec la Banque centrale européenne. L'importance des
avoirs extérieurs détermine en même temps la force de la monnaie. Les
réserves variant en fonction du degré de compétitivité des économies
nationales sur le plan international, cela renvoie à des questions bien complexes telles que la quantité et la qualité des produits et des services exportés, la maîtrise des technologies de pointe, etc. Autrement dit, derrière la
monnaie, se profile le poids économique. Et on comprend alors pourquoi le
paradoxe des regroupements, plus spécialement autour d'une monnaie,
dans un contexte de mondialisation, l'union faisant la force. C'est dire que
la monnaie constitue un facteur important du poids économique, qui détermine à son tour la force de la monnaie. Il s'agit donc d'un cercle vicieux,
l'obtention d'un profil approprié pour la monnaie: une œuvre de longue
haleine.
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DEUXIÈME PARTIE
LE BILAN DE LA DÉVALUAnON
5
Bilan de la dévaluation du franc CFA
Par Bruno BEKOLO-EBE
Le Il janvier 1994, après une longue période de pression des organisations internationales et des hésitations de la part de la France et des pays
africains membres de la zone franc, la décision de dévaluer le franc CFA de
50 % a été prise, à l'issue du sommet tenu à cet effet à Dakar. Ce changement de parité marquait la fin d'une longue période de stabilité de la parité
FFIFCFA, fixée depuis octobre 1948 à un franc CFA pour deux centimes ou
50 francs CFA pour un franc français.
L'inéluctabilité de ce changement de parité a été abondamment soulignée par les partisans de la dévaluation, au premier rang desquels on
retrouvait le FMI et la Banque mondiale qui en soulignaient la nécessité
pour compléter le dispositif d'ajustement dans lequel s'était engagé
l'ensemble des pays de la zone franc, à l'instar d'ailleurs de tous les autres
pays du continent.
On a souligné la forte surévaluation du franc CFA qui a accentué la détérioration des termes de l'échange estimés entre 1985 et 1992 à 45 %. Cette
détérioration induisait elle-même un approfondissement de la crise, dont les
manifestations s'exprimaient à travers la croissance négative du PIB estimée à - 0,6 % l'an en volume (- 3,6 % par habitant) pour la période 19861993, contre une croissance de 4,6 % l'an pour la période 1975-1985 1• Elle
se manifestait aussi par l'ampleur des déficits budgétaires passés pour
l'ensemble de la zone de 5 % du PIB en moyenne dans la période 1973-1985
à 7,6 % entre 1986 et 1993 et par l'accroissement des déséquilibres de
balance des paiements. Pour l'ensemble de la zone, le déficit de la balance
des paiements courants passe en effet de 6,5 % du PIB entre 1975 et 1985
à 7,4 % pour la période 1986~ 1993. La détérioration de l'équilibre extérieur.
1. FMI, World Economie Outlook, 1994.
Banque de France, « La zone franc, rapport annuel
»,
1994.
130
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
se traduit d'ailleurs par une forte accumulation d'arriérés significative de la
grave crise d'endettement qui affecte l'ensemble de ces pays.
Si l'ensemble de ces pays s'engage dans un processus d'ajustement, celuici est considéré comme incomplet dans la mesure où l'ajustement interne ne
s'accompagne pas d'un ajustement extérieur, dont le changement de parité
constitue la manifestation la plus tangible. Les premiers accords de confirmation sont en effet signés à la fin des années 1970. La Côte d'Ivoire, par
exemple, a signé son premier accord stand by en 1979, suivi d'un autre le
24 février 1981. Rapidement, ce qui n'apparaissait alors qu'une exception
se généralise à l'ensemble des pays africains qui s'engage ainsi dans un processus dont le Zaïre avait ouvert la voie en 1975.
Mais alors que dans les autres pays africains l'ajustement est interne et
externe, combinant à l'intérieur des mesures touchant aux finances publiques et à la politique monétaire, et à l'extérieur, une modification de la
parité, conduisant en fait et systématiquement à la dévaluation, il n'en va
pas de même pour la zone franc où l'ajustement est essentiellement et uniquement interne.
Un débat oppose certes en France partisans d'un ajustement de parité,
amenés par la Banque de France, et partisans du statu quo, amenés par le
Trésor français plus sensibles aux préoccupations des entreprises françaises
installées en Afrique. Mais le débat est rapidement clos par ce qui apparaît
alors comme un refus définitif de toucher à la parité FCFAIFF.
Il faudra attendre la fin des années 1980 et le début des années 1990 pour
voir s'opérer un renversement de positions des autorités françaises qui peu
à peu se rangent aux arguments du FMI et de la Banque mondiale sur la
nécessité d'une dévaluation. Le gouvernement Balladur fait ainsi sienne
cette position et engage les pays de la zone à conclure des accords avec le
FMI, en préalable à toute aide française à l'ajustement.
La dévaluation de 1994 se présente ainsi comme l'aboutissement du processus d'ajustement engagé par les pays de la zone franc et qui doit leur permettre de renverser la tendance, en restaurant la compétitivité, en facilitant
la résorption des déficits publics, et en créant les conditions d'un retour à la
croissance. Quatre années après la dévaluation, il peut paraître aujourd'hui
nécessaire, de jeter un regard rétrospectif sur l'évolution suivie par les économies membres et d'en dresser un bilan objectif. Pour ce faire, nous nous
intéresserons d'abord à l'évolution quantitative des agrégats, puis nous analyserons les conséquences structurelles et qualitatives de ce changement de
parité en nous intéressant aux effets sur les économies, dans une perspective de développement.
L'évolution quantitative des agrégats et indicateurs
Le bilan de la dévaluation peut se faire en prenant appui sur l'évolution
des agrégats et en s'intéressant aux changements qui les ont affectés.
BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
131
Depuis la décision de changement de parité, la plupart, voire la totalité des
évaluations des effets de la dévaluation s'en tiennent souvent à ces agrégats
pour en relever l'évolution positive depuis le changement de parité intervenu en 1994. On établit alors une relation causale entre cette embellie et la
dévaluation du franc CFA. Si l'analyse de l'évolution des agrégats est effectivement nécessaire, elle ne peut suffire à elle seule pour apprécier l'impact
de la dévaluation sur les économies de la zone. Il faut en effet aller plus loin
en décomposant les divers indicateurs et en s'intéressant aux moteurs de la
croissance de manière à mieux cerner les changements structurels intervenus et la capacité acquise ou non des pays à assurer la pérennité de cette
croissance.
Si l'analyse des agrégats révèle en effet un renversement positif de tendance par rapport à la situation prévalant avant la dévaluation (A), un examen plus fin des moteurs de la croissance donne une vue plus contrastée et
conduit à nuancer fortement l'appréciation positive que l'on peut en avoir,
à la suite de l'analyse des agrégats (B).
Évolution positive des agrégats macroéconomiques
L'analyse des agrégats macroéconomiques conduit à la conclusion que le
changement de parité a eu des effets positifs, ce qui ad' ailleurs été souligné
par les premières études consacrées, dès la première année, à l'analyse des
performances économiques des pays membres 2• Si l'on considère ainsi le
PIB, celui-ci connaît une évolution positive régulière tout au long de la
période, marquant ainsi un renversement net de tendance, par rapport à la
période 1985-1993 précédant la dévaluation, dont on a vu qu'elle est marquée par des taux de croissance négatifs. Pour l'ensemble de la zone, le taux
de croissance passe de 1,8 % en 1994 à 5 % en 1995, 4,7 % en 1996, 4,3 %
en 1997.
Cette évolution n'est cependant pas uniforme pour les deux unions monétaires, en l'occurrence l'UEMOA et la CEMAC. En UEMOA,le rythme de
croissance semble plus soutenu et plus vigoureux, passant de 2,9 % à
5,6 %,5,3 % en 1996 et4,8 % en 1997. L'impulsion est donnée en particulier par l'économie ivoirienne qui passe d'un taux de 1,8 % en 1994 à 7 %
en 1995, sa décélération à 6,1 % en 1996 et 4,8 % en 1987, entraînant de ce
fait celle de l'ensemble de la sous-région. Le « Rapport annuel» de la zone
estime la croissance pour 1997 à 6 % (p. 54). Dans la CEMAC, la croissance connaît un redémarrage lent, de 0,6 % en 1994, soit le tiers du taux de
l'UEMOA, puis le rythme s'accélère, avec un taux de 4,3 % en 1995, et
3,7 %. Là aussi le rythme global est déterminé d'abord par l'économie
camerounaise dont le taux négatif s'élève à - 4,3 % en 1994, puis redevient
positif en 1995,2,8 % et s'accélère en 1996 et 1997 avec respectivement
2. On se reportera ainsi à la Banque de France, « La zone franc, rapport annuel », 1994.
Louis M. Goreux, « La dévaluation du franc CFA, un premier bilan en décembre
1995 », Banque mondiale, 1995.
132
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
5 % et 5,1 %. Mais le rythme de croissance subit aussi les contrecoups des
graves crises sociopolitiques qui affectent deux pays de la sous-région, en
l'occurrence le Congo et la RCA, alors que la Guinée-Équatoriale connaît
une croissance atypique de 80 % qui ne contribue d'ailleurs qu'à hauteur de
2,5 % au PΠglobal de la CEMAC. Le taux de croissance pour 1997 est
estimé à 5 % par le Rapport annuel de la zone (p. 66).
Si la croissance est positive tout au long de la période, elle tend cependant
vers une décélération de son rythme qui amène à se demander si les effets
de la dévaluation ne sont pas en train de s'épuiser. L'évolution positive de
la croissance s'accompagne, tout au long de la période, d'une décélération
de l'inflation. Certes celle-ci s'accroît les deùx premières années qui suivent la dévaluation. La fourchette de croissance de l'indice des prix varie
entre 44 % et 55 % pour les 13 pays de la zone, mais une nette décélération
s'opère à partir de la fin 1995 et se poursuit en 1997.
Pour l'ensemble de la zone, on passe d'un taux d'inflation de 30,6 % en
1994 à 4,8 % en 1996 et 4,1 % en 1997. L'évolution est cependant contrastée entre les deux sous-régions. En UEMOA, on passe d'une hausse de
l'indice des prix à la consommation de 28,9 % en 1994 à 4,1 % en 1996 et
3,4 % en 1997, alors que dans la CEMAC, le taux passe de 33,1 % en 1994
à 5,7 % en 1996 et 5 % en 1997. En cumul pour l'ensemble de la période,
le taux d'inflation est de 60 % pour toute la zone, 56 % pour l'UEMOA et
66 % pour la CEMAC.
La croissance de l'économie s'accompagne aussi d'un redressement des
comptes extérieurs qui traduit un desserrement de la contrainte extérieure.
On observe, en effet, au cours de la période l'apparition puis le maintien
d'un excédent commercial qui permet la réduction du déficit de la balance
courante.
En UEMOA, le solde commercial passe de - 82 milliards CFA en 1993 à
377 milliards CFA en 1995, 525 milliards en 1996 et 702 milliards en
1997, soit par rapport au PŒ de - 1,1 % en 1993 à 4,8 % en 1997. Le déficit des paiements courants passe, quant à lui, de - 820 milliards CFA en
1993 à - 973 milliards CFA en 1995, et - 645 milliards en 1997. Il semble
s'être produit ici entre 1993 et 1995, une sorte d'effet courbe en j, caractéristique habituelle d'une dévaluation.
En CEMAC, la balance commerciale passe de 784 milliards en 1993 à
1 452 milliards en 1995 et 2 153 milliards en 1997, soit par rapport au PŒ,
12,9 % en 1993, 15,5 % en 1995, 13,3 % en 1996, 18,5 % en 1997.
Le déficit des paiements courants passe de ce fait de - 7,1 % du PŒ en
1993, à - 7,3 % en 1995 et - 2,2 % en 1997. L'amélioration différenciée
des comptes extérieurs entre les deux sous-régions reflète les différences de
comportements des exportations et des importations, tant dans leur variation que dans leur structure. Dans la CEMAC, on observe une nette progression des exportations en valeur liée à l'accroissement des exportations
de pétrole qui, notamment en 1997, bénéficie des effets de la hausse du dollar et d'une relative bonne tenue des cours, alors qu'en UEMOA, l'excédent
BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
133
trouve son origine dans le ralentissement du rythme de croissance des
importations qui passe de 21,9 % en 1995 à 7,9 % en 1996 et 10 % en 1997,
alors que les exportations tendent aussi à se ralentir passant d'un taux de
19,4 % en 1995 à Il,1 % en 1996 et 13,4 % en 1997.
L'évolution positive s'observe aussi au niveau des finances publiques, où
l'on note un redressement net caractérisé par une forte réduction des déficits. Ainsi en UEMOA, le solde primaire de base passe de - 2,9 % en 1993
à -0,7 % en 1995, 1,7 % en 1996 et 0,9 % en 1997. Le solde budgétaire
base engagement qui s'élevait à - 9,5 % du PIE en 1993 passe à - 6,1 % en
1995 et - 4,5 % en 1997. Quant au solde budgétaire base versement, il
passe de - 4,7 % en 1993 à - 8,2 % en 1995 et - 6,1 % en 1997. Le redressement semble cependant marquer ici le pas, comme si se dessinait un plafonnement du déficit. En CEMAC, l'amélioration a connu un rythme plus
rapide, en raison notamment du poids de la fiscalité pétrolière. Le solde
budgétaire base engagement est passé de - 9,3 % en 1993 à - 3,2 % en
1995, - 0,9 % en 1997, tandis que le solde budgétaire base versement passait quant à lui de + 0,2 % en 1993 à - 4 % en 1995 et - 4,1 % en 1997.
Si les agrégats macroéconomiques permettent de conclure à un bilan globalement positif, une analyse plus fine de divers autres indicateurs significatifs conduit à une conclusion plus nuancée et à s'interroger sur la relation
causale entre la dévaluation et l'évolution positive observée, d'autant que
les moteurs de la croissance révèlent la persistance de la fragilité des économies et leur vulnérabilité en cas de nouveau retournement de tendance
sur les marchés des matières premières.
Des moteurs de la croissance révélateurs de la fragilité persistante
des économies
L'analyse des performances économiques des pays membres de la zone
franc depuis la dévaluation ne peut se limiter à l'observation de l'évolution
apparente des agrégats macroéconomiques. Cette analyse doit être complétée par une autre axée sur les indicateurs pouvant permettre de cerner les
changements apparus dans ces économies et sur les variables ayant pesé de
manière significative dans l'évolution positive observée. Il faut à cet effet
prendre en compte, d'une part, le contexte économique mondial dans lequel
s'est déroulée la dévaluation et, d'autre part, les moteurs de la croissance
pour cerner le degré d'autonomie acquis par les économies de la zone et
l'ampleur des marges de manœuvre acquises à la suite de la dévaluation.
Lorsqu'on fait un rapprochement entre la dévaluation et le contexte qui a
prévalu tout au long de la période, on observe que ce changement de parité
intervient dans un contexte de reprise générale de l'économie mondiale et
de hausse des cours des principaux produits d'exportation des pays membres, qu'il s'agisse du pétrole, du cacao, du café ou du coton. Les pays producteurs bénéficient par ailleurs pour la plupart de conditions climatiques
favorables. La bonne tenue de la demande mondiale, alliée à des cours
134
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
internationaux élevés, favorise ainsi une croissance vive des productions de
rente et des produits forestiers. Le coton, dont la production augmente considérablement dans tous les pays membres producteurs de la zone, peut à ce
niveau être considéré comme le produit symbole de cette conjonction favorable entre la reprise de l'économie mondiale et la remontée spectaculaire
des cours, qui a pour facteur amplificateur la dévaluation survenue dans les
pays de la zone.
Il est donc difficile d'imputer aussi bien la croissance globale que le
redressement des comptes extérieurs à la dévaluation seule, même si l'on ne
peut nier qu'elle ait amplifié les effets bénéfiques de l'évolution positive
des cours et de l'accroissement des volumes. On peut d'autant moins le
soutenir que les hausses des prix aux producteurs n'ont souvent été que des
répercussions mécaniques des effets de la dévaluation, sans amélioration
significative du pouvoir d'achat des producteurs de nature à stimuler significativement la production.
La décomposition de la croissance conduit tout autant à la nuance. Celleci permet en effet de mettre en évidence les principaux moteurs de la croissance. Ceux-ci peuvent être saisis à partir de l'équilibre ressource-emploi et
l'on observe alors que la croissance sera affectée négativement par le rééquilibrage qui s'opère dans la structure des revenus et qui conduit à une
détérioration nette des revenus urbains, sans que la hausse observée des
revenus des producteurs ruraux compense totalement cette baisse.
Mais on peut aussi saisir les moteurs de la croissance en s'intéressant à la
contribution des différents secteurs d'activités à la croissance et à la
manière dont certaines améliorations, telles celles relatives aux finances
publiques, sont obtenues. On constate alors que le secteur primaire en général, les produits de rente en particulier, constitue la principale source de la
croissance, alors que le secteur industriel ne modifie pas significativement
sa contribution, ce que révèle d'ailleurs l'évolution du taux d' investissement ou la structure des exportations fortement concentrée sur les produits
de rente. Considérons d'abord l'équilibre ressource-emplois.
Les modifications intervenues dans la structure des revenus, avec un rééquilibrage en faveur des zones rurales, affectent la contribution de la
demande intérieure à la croissance. La part de la consommation notamment
privée tend à se réduire du fait de la baisse drastique des revenus urbains
non compensés par un accroissement plus important de la consommation
des ménages ruraux. Ainsi en UEMOA, et pour ne prendre que l'année
1997, c'est la consommation des ménages qui tire la croissance dont on
voit cependant le rythme se ralentir, mais c'est précisément l'année où,
dans la sous-région, la croissance du revenu urbain redevient supérieure à
celle du revenu rural, du fait que les augmentations des prix aux producteurs liées à la croissance n'interviennent qu'avec retard, au début de la
campagne suivante.
La contribution de l'investissement reste faible. Pour l'UEMOA, l'investissement passe de 3 % sur un taux de croissance de la demande intérieure
BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
135
de 8,4 % en 1995, à 0,7 % en 1996 pour un taux de 4,3 %, et 1,6 % en 1996,
pour un taux de 4,8 %. En CEMAC, l'investissement représente - 0,7 %
pour 3,7 % de croissance de la demande intérieure, 4,3 % en 1996 pour
7,3 % et - 1,1 % pour 0,7 % de demande intérieure.
Les exportations jouent un rôle décisif dans la croissance en CEMAC, en
particulier les exportations primaires pétrolières.
La croissance reste en outre tributaire des variations climatiques qui
affectent la production intérieure. Il en est particulièrement ainsi en
UEMOA, où la production vivrière se trouve affectée, en particulier en Côte
d'Ivoire et au Sénégal. Dans le premier pays, la croissance tirée par les
exportations, notamment de cacao en 1995 et 1996, est ralentie en 1997 par
la baisse de la production vivrière de l'ordre de - 20 à-30 % et qui affecte
en particulier le riz. Dans le second pays, la baisse de la production vivrière,
qui est particulièrement ressentie en 1996 et 1997, se conjugue avec le
ralentissement de la croissance des exportations des produits de la pêche et
la baisse de celle du phosphate et de l'arachide.
Cependant, les pays de la zone bénéficient de gains substantiels de compétitivité, grâce à une évolution favorable du taux de change effectif réel.
Une appréciation s'observe certes en 1995, du fait de la persistance de tensions inflationnistes et de la faiblesse du dollar qui se déprécie en nominal de
10 % par rapport au franc français, mais la décélération des prix et la stabilité du dollar en 1996, ou son appréciation en 1997, permettent de maintenir
les gains de compétitivité. Ceux-ci sont évalués depuis 1994 à 29 % pour
l'UEMOA et 22 % pour la CEMAC. L'ampleur des gains de compétitivité
est tout à fait significative du rôle déterminant joué par le secteur primaire
dans le renversement de tendance observé dans l'évolution de la conjoncture
économique dans tous les pays membres. Cette évolution contraste avec la
relative atonie des activités industrielles, malgré la nette reprise des activités
du secteur des hydrocarbures et de la branche textile dans l'ensemble de la
zone, et particulièrement en Côte d'Ivoire, au Cameroun, au Niger.
Les gains de compétitivité expliquent donc le rôle moteur joué par le secteur primaire dans le dynamisme de l'activité et la reprise de la croissance,
la dévaluation amplifiant l'évolution favorable des cours. Les cultures
d'exportations telles que le coton dont la production connaît un véritable
boom et, dans une moindre mesure, le cacao et le café, jouent ainsi un rôle
déterminant, d'autant que des réformes sont entreprises pour rationaliser
les circuits de commercialisation et assurer une rentabilité soutenue des
diverses filières. Ceci est particulièrement remarquable en UEMOA, mais
la CEMAC n'est pas en reste, elle qui bénéficie par ailleurs de l'essor des
exportations pétrolières, qu'affecte positivement la tendance à l'appréciation du dollar. Celle-ci compense ainsi, depuis la fin 1997, la baisse des
cours. Pendant cette période, toutes les sphères agricoles sont redevenues
très rentables.
Si le secteur primaire constitue le principal moteur de la croissance, il
n'en va pas de même de l'industrie qui, malgré la reprise, n'exerce pas un
l36
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
attrait suffisant pour les investissements dont nous avons par ailleurs déjà
souligné la faiblesse, exception faite des divers investissements réalisés
dans le secteur des hydrocarbures. Certes, certains pays de la zone, à l'instar
de la Côte d'Ivoire, connaissent une reprise relativement forte de l'activité
industrielle, mais l'impact global de cette activité sur la croissance reste
limité, alors qu'on aurait pu s'attendre à un effet de substitution stimulant
la production manufacturière locale, du fait du renchérissement des produits concurrents extérieurs. On aurait aussi pu s'attendre à une capitalisation des gains de compétitivité à l'égard de certains pays voisins tels que le
Nigeria. Mais on observe que ni ces gains de compétitivité, ni la pression de
la demande intérieure n'ont suffi à susciter une réelle diversification de la
production manufacturière, ni une extension notable des activités existantes
de transformation.
De ce fait, malgré la relative progression de la formation brute de capital
fixe et du taux d'investissement, celle-ci reste insuffisante pour pouvoir
impulser un véritable décollage de la zone.
S'agissant de la contrainte extérieure, l'analyse des facteurs de desserrement conduit là aussi à tempérer l'optimisme.
L'amélioration est certes en partie liée à la bonne tenue des exportations
déjà relevée, mais elle tient aussi aux divers apports en termes d'aide dont
bénéficient les pays de la zone de la part des bailleurs de fonds, alors qu'on
s'attendait à une augmentation plus forte des flux de capitaux au titre des
investissements directs ou de portefeuille. On peut, de ce point de vue, donner raison à Jean Coussy qui affirme que « pour les pays africains, la dévaluation n'a pas pour but immédiat, de réduire les déséquilibres extérieurs
(ce qui ne semble ni atteignable, ni souhaitable), mais d'obtenir le financement extérieur de ces déséquilibres 3 ». Les flux d'assistance exceptionnelle
en provenance des bailleurs de fonds passent en effet de 3,4 milliards de
dollars en 1993, à Il,1 milliards de dollars en 1994 4 • A ces flux, il faut ajouter les allégements de dettes intervenus tout au long de la période. Ces allégements constituaient une composante du train des mesures d'accompagnement de la dévaluation.
Mais en dépit de ces allégements, la dette extérieure s'est régulièrement
accrue tout au long de la période pour l'ensemble des pays membres. La
dévaluation a d'ailleurs eu pour effet mécanique d'alourdir aussi bien le
stock de dettes que le service de la dette. Les estimations faites à la suite de
la dévaluation montraient que sans rééchelonnement, le service de la dette
dépasserait 80 % des revenus du gouvernement dans six pays de la zone pour
atteindre dans certains cas, tels que le Congo ou le Niger, plus de 100 %.
La dette extérieure constitue ainsi un facteur déterminant de la contrainte
extérieure, expliquant en partie l'incapacité des États à dégager un volume
de ressources suffisant pour financer ou soutenir l'investissement d'équipements, d'infrastructures ou productif. L'encours de la dette est passé de
3. J. Coussy, « Dévaluation, des objectifs évolutifs ", Politique africaine, nO 54, 1994.
4. Louis M. Goreux, op. cit., p. 11.
BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
137
12,7 milliards de dollars en 1994 à 22 milliards de dollars en CEMAC,
25,9 milliards en 1996 et 25,1 milliards en 1997. En UEMOA, l'encours
est passé de 29,6 milliards de dollars en 1993 à 31,9 milliards en 1994,
33,4 milliards en 1997. Cette évolution de l'encours et le service de la dette
qui en découle expliquent ainsi la progression constante du déficit des services aussi bien en UEMOA qu'en CEMAC, du fait notamment de l'augmentation des paiements d'intérêts.
S'agissant enfin des finances publiques, l'analyse de la structure des budgets des États montre qu'au-delà de l'amélioration globale observée significative d'un effort certain de maîtrise de la dépense publique, l'équilibre
des finances publiques de la plupart des pays tant en UEMOA qu'en
CEMAC repose encore sur des financements extérieurs sous forme de dons,
de prêts bonifiés ou de financements exceptionnels, en particulier sous
forme d'allégements de dettes. Ceux-ci expliquent, pour une large part, la
réduction du déficit budgétaire global base engagement en CEMAC en
1996 par rapport à 1995 où il passe de - 3,1 % du PIB en 1995 à - 1,5 % du
PIB en 19965, du fait d'une stabilisation des intérêts sur dette extérieure.
Les arriérés de paiement ont d'ailleurs considérablement diminué passant
de - 369 milliards en 1993 à - 689 milliards en 1994, - 182 milliards en
1996et- 239 milliards en 1997 pourl'UEMOA, et de 582 milliards en 1993
à - 1 780 milliards en 1994, - 939 milliards en 1996 et - 375 milliards en
19976 .
La prise en compte de tous ces indicateurs conduit à la conclusion, d'une
part, que l'amélioration observée ne peut être imputable à la seule dévaluation dont il faut cependant reconnaître une part d'impact positif et, d'autre
part, à mettre en lumière les éléments de fragilité qui accompagnent cette
évolution. On est alors amené à s'interroger sur l'incidence de la dévaluation aussi bien sur l'amélioration des conditions économiques et sociales
que sur le développement général de ces économies.
La dévaluation et la capacité des économies à relever les défis du
développement
La dévaluation, on l'a vu, a été présentée comme un complément indispensable du processus d'ajustement interne des économies de la zone, dont
l'objectif était de les rendre à nouveau compétitives, et de les restituer rapidement sur le sentier de croissance. De ce fait, le rétablissement de l'équilibre extérieur devait s'accompagner d'effets restructurants tant dans la
5. Banque de France, «La zone franc, Rapport annuel » 1996, p. 61.
6. Ministère français de l'Économie et des Finances, « Évolution à deux ans des pays
de la zone franc dans le nouvel environnement mondial né de la crise asiatique », mars
1998.
138
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
répartition du surplus économique que dans l'allocation des facteurs et le
rôle respectif des acteurs de l'économie, notamment l'État et les agents privés en général, les entreprises en particulier. Ces effets restructurants devaient permettre aux économies d'acquérir une capacité forte à soutenir une
croissance durable et d'amorcer un véritable processus de développement.
Peut-on dire que ces résultats aient été atteints?
La réponse à cette question dépend de la prise en compte d'un ensemble
d'éléments dont deux nous paraissent particulièrement importants: les
changements dans les conditions de vie et l'absorption interne, et la nature
des mutations structurelles imprimées aux économies.
Une tendance forte à la détérioration des conditions de vie
La dévaluation devait opérer un ajustement sur l'absorption interne par
une modification de la répartition et donc de la structure des revenus. Il
s'agissait, d'abord, d'induire une substitution entre la production intérieure
et la production extérieure, au détriment de cette dernière. Il s'agissait,
ensuite, d'opérer une modification de la structure de répartition des revenus
au bénéfice des producteurs et au détriment des couches de populations les
plus favorisées, assimilées ici à la population urbaine. Cette modification de
la répartition devait d'ailleurs accélérer l'ajustement de l'absorption intérieure et amplifier l'effet de substitution souhaitée.
L'analyse de l'évolution de la distribution des revenus montre qu'effectivement une modification s'est opérée, se traduisant par une réduction drastique des revenus des populations des zones urbaines. Cette modification se
traduit notamment par les fortes réductions de salaires nominaux ou/et la
perte nette de pouvoir d'achat des revenus salariaux des agents de l'État.
Dans tous les Etats, la masse salariale a fortement diminué dans la dépense
publique totale. Elle passe ainsi de 43 % en 1993 dans l'UEMOA à 32 % en
1997, et de 50 % en 1993 en CEMAC à 37 % en 1997. Cette réduction de
la part des salaires s'accompagne d'une forte réduction de pouvoir d'achat
sous l'effet conjugué et des réductions nominales de l'inflation et de la
dévaluation. La perte de pouvoir d'achat est en moyenne de 35 % mais dans
certains cas elle atteint 60 %, le Cameroun étant ici l'exemple type.
Cette recomposition de la masse salariale publique a par ailleurs pesé
lourd dans la politique salariale des autres secteurs, contribuant de ce fait à
réduire le coût de la main-d' œuvre en devises.
Les revenus des producteurs ont quant à eux suivi une évolution positive,
mais à l'analyse, celle-ci s'est traduite dans la plupart des cas par des hausses mécaniques des prix en valeur nominale. Cet effet mécanique n'a pas
été suffisant pour compenser la baisse du pouvoir d'achat des populations
rurales du fait de l'inflation.
Celle-ci a certes souvent compensé la perte de pouvoir d'achat par de
l'autoconsommation, mais cette substitution traduit une tendance à l'appauvrissement de la même nature que l'effet Veblen où le pauvre consacre une
BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
139
part plus importante de son revenu aux biens inférieurs. D'une manière générale, la dévaluation a provoqué ou amplifié la détérioration des conditions de
vie de l'ensemble de la population, qu'elle soit urbaine ou rurale.
Nombre d'analyses, notamment du côté des bailleurs de fonds, se sont
souvent réjouies de la réduction des revenus de la population urbaine,
comme si celle-ci impliquait nécessairement un transfert vers les populations rurales. Or, il n'en est rien, la réduction des revenus urbains et la perte
de pouvoir d'achat se traduisent en fait par un appauvrissement plus étendu,
avec des conditions de vie plus difficiles, qui ne peut être aisément traduit
au niveau des comptes nationaux et des agrégats économiques.
Cette détérioration des conditions de vie peut se mesurer aux difficultés
de plus en plus fortes pour la majeure partie de la population à accéder à
l'éducation et aux services de santé. On peut à cet effet s'étonner que dans
son bilan de la dévaluation, Goreux affirme que la dévaluation a réduit les
coûts de l'enseignement primaire et des soins de santé? Ceci est d'autant
plus étonnant que s'agissant de l'éducation et de la santé, les prix des deux
composantes essentielles que sont le livre et le médicament ont connu une
forte hausse que n'ont pu compenser les mesures de soutien prises par la
France dans le cas du livre et la politique d'utilisation du générique dont les
résultats sont jusqu'à présent insignifiants. L'OMS a évalué la hausse des
prix de médicaments à 70-80 %.
L'informalisation croissante traduit d'ailleurs en partie cette accélération
de la détérioration des conditions de vie.
La difficulté d'accès à l'éducation et aux soins de santé est d'autant plus
grande que les capacités d'accueil des structures sont restées limitées, les
budgets des États ne permettant ni le financement des investissements qui
y sont liés, ni la maintenance des infrastructures et équipements existants.
La qualité des services s'est d'ailleurs considérablement détériorée du fait
de la faible incitation des enseignants frappés de plein fouet par la perte de
pouvoir d'achat et la dégradation de leurs conditions de travail symbolisée
en particulier par les effectifs pléthoriques et la pénurie des maîtres observée dans la plupart des pays. D'ailleurs, dans pratiquement tous les pays, on
observe des phénomènes de déscolarisation qui traduisent les difficultés des
conditions de vie auxquelles les populations sont confrontées.
La reprise observée ne semble pas jusqu'à présent avoir des répercussions
significatives sur les conditions de vie. Les bénéfices de la croissance sont
dans la plupart des cas absorbés par le service de la dette, qui constitue la
préoccupation majeure des bailleurs de fonds et des gouvernements.
On observe en même temps des substitutions dans la structure de consommation, avec une tendance forte à la consommation de produits intérieurs, en particulier dans l'alimentation, mais la production vivrière qui a
augmenté un peu partout se heurte à de difficiles problèmes de transport et
7. Louis M. Goreux, op. cit., pp. 94 et suiv.
140
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
d'organisation des circuits de distribution, en même temps qu'elle reste
soumise aux aléas climatiques.
La réduction du pouvoir d'achat a d'ailleurs été telle dans certains pays
que l'insuffisance de la demande intérieure constitue aujourd'hui un des
problèmes majeurs auxquels sont confrontées les entreprises et qui freine la
reprise de l'investissement.
Des mutations structurelles renforçant le statu quo
L'analyse des mutations structurelles amène à s'interroger sur la capacité
des économies de la zone à amorcer un véritable processus de développement et à relever les défis d'une mondialisation où la hiérarchie des économies est déterminée par l'aptitude à maîtriser l'invention et la technologie.
Lorsqu'on considère par exemple la croissance, on constate que le principal moteur en est le secteur primaire fait de cultures de rente (cacao,
coton, café) ou de produits miniers non transformés (pétrole, or, phosphate). C'est l'évolution favorable des cours, amplifiée par la dévaluation et
les bonnes conditions climatiques qui a tiré la croissance. C'est sur ces filières qu'ont porté les réformes et leur rentabilité a exercé un effet d' entraînement positif sur l'ensemble de l'économie. En d'autres termes, grâce à la
dévaluation, les pays membres de la zone renforcent leur ancrage dans des
produits dont la part dans le commerce international devient chaque jour
marginale, et dont la dépendance a été précisément un facteur déclenchant
essentiel de la criseS.
Une telle évolution est d'autant moins réjouissante à moyen et long terme
que la dévaluation n'a pas induit une diversification significative de l'économie, ni en faveur de la transformation de ces produits pour en accroître
la valeur ajoutée, ni en faveur de la production manufacturée dont la part ne
s'est pas accrue ni dans les exportations, ni dans la consommation intérieure.
En d'autres termes, il suffirait que se produise un nouveau retournement
de tendance dans l'évolution des cours pour que les pays soient à nouveau
confrontés à des problèmes graves et que la contrainte extérieure se renforce. Ce risque de ralentissement est déjà perceptible depuis 1997, où les
pays semblent avoir épuisé les effets positifs de la dévaluation. Mais il l'est
encore plus depuis que la crise des pays asiatiques fait planer la menace
d'une réduction du rythme de la croissance mondiale, avec les conséquences qui pourraient en découler pour la demande des produits de rente agricoles ou miniers. La crise asiatique fait peser une menace supplémentaire
du fait que la dépréciation continue des monnaies de ces pays risque
d'annuler les gains de compétitivité dus à la dévaluation. Par ailleurs, les
pays producteurs de pétrole de la zone risquent de pâtir de la conjonction
8. B. Bekolo-Ebe, « L'Afrique va-t-elle vers la perte de ses avantages compa-ratifs ? »
(A paraftre dans Africa Development.]
BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
141
des effets de la baisse du dollar et de la baisse des cours que le ralentissement de la croissance accélérera.
Les enquêtes tendent à montrer que certaines branches industrielles ont
bénéficié de la dévaluation. Tel est le cas, en particulier, des industries de
transformation des produits agricoles exportés (huileries, usines d'égrenage de coton ou de décorticage d'arachide, etc.). Mais ceci n'a pas eu
d'incidence significative se traduisant par exemple par une augmentation
des investissements de capacité.
Dans certains cas, la dévaluation a constitué une protection par rapport à
la concurrence extérieure. Cela a concerné en général des entreprises orientées vers l'approvisionnement du marché intérieur. Mais leur potentiel de
développement ne s'en est pas trouvé modifié. Bien au contraire, il a même
été souvent contraint par la réduction et la perte de pouvoir d'achat de consommateurs intérieurs. Certes, les évolutions sont contrastées suivant les
pays. La Côte d'Ivoire, par exemple, a connu une sorte d'euphorie au cours
de la période, du fait notamment de la reprise d'activités dans les branches
de l'électricité, du textile et de l'agroalimentaire, mais il s'agit d'une exception qui contraste par exemple avec la stagnation observée de l'activité au
Cameroun.
La faiblesse du secteur industriel doit d'autant être relevée que la contribution au desserrement de la contrainte extérieure est faible d'un double
point de vue. D'une part, ce secteur contribue peu à la modification qualitative de la structure des exportations, alors la compétitivité des économies
dans le processus actuel de mondialisation est à ce prix. D'autre part, il contribue a contrario négativement à la rigidité de la structure des importations
du fait de l'importance des importations de consommations intermédiaires
et des équipements. Le faible développement du secteur manufacturé rend
d'ailleurs difficile la résolution du problème de l'emploi, qui constitue ici
une caractéristique majeure des économies.
Mais, quel que soit le secteur ou la branche, on ne peut que s'inquiéter de
la fragilité caractéristique de ces économies en considérant la faiblesse de
l'investissement tant l'investissement d'infrastructures et d'équipements,
que l'investissement productif. Nulle part, le taux d'investissement ne
dépasse 18 %, alors que dans certains pays (Côte d'Ivoire, Cameroun) il
avait atteint 30 % en moyenne au cours de la période de croissance contra
cyclique9 . Selon les estimations du Comité monétaire de la zone, le taux
d'investissement en UEMOA est passé de 15,4 % en 1994 à 17,1 % en
1995,16,8 % en 1996 et 18 % en 1997. En CEMAC, il est passé de 22,9 %
en 1994 à 19,7 % en 1997,23,3 % en 1996 et 20,1 % en 1997. Les chiffres
apparemment plus favorables en CEMAC sont essentiellement liés à des
investissements pétroliers exceptionnels au Congo et en Guinée-Équatoriale 1o . Le faible niveau de l'investissement productif comme d'ailleurs de
9. B. Bekolo-Ebe, « Retrospective d'une décennie de croissance de l'économie camerounaise 1975-1986 », Revue camerounaise de management, n° 3-4, avril-juin 1987.
10. «Zone franc, Rapport annuel », p. 54 et 66.
142
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
l'investissement d'infrastructure et d'équipement rend compte du fait que
non seulement l'État a vu ses moyens se restreindre drastiquement en conséquence des politiques d'assainissement des finances publiques, mais
encore et surtout que cette évolution à la baisse n'a pu être compensée ni
par une reprise des investissements privés intérieurs ni surtout par un afflux
de capitaux extérieurs dont on attendait pourtant l'arrivée massive, à la suite
du changement de parité.
Alors que l'investissement reste faible, que la diversification ne s'est pas
significativement amorcée et que la production industrielle plafonne, les
économies voient leurs contraintes se renforcer, avec notamment le poids
de la dette extérieure et de son service que les allégements successifs ne
desserrent pas. La contrainte d'endettement relativise ainsi les performances en matière de finances publiques, surtout lorsqu'on considère le poids
des contributions extérieures dans le rétablissement de l'équilibre.
La maîtrise de la dépense publique n'est d'ailleurs pas sans poser des problèmes graves à l'État quant à sa capacité à tenir ses obligations et à intervenir de manière efficiente. La dévaluation s'est accompagnée, dans la
plupart de ces pays, d'une perte d'efficacité de l'État, d'une augmentation
de l'inefficacité - X, liée à une démobilisation de son personnel chez qui les
réductions de salaires et les pertes de pouvoir d'achat ont développé des
comportements opportunistes de type passager clandestin, et dont rendent
compte l'amplification des phénomènes de corruption et le développement
des prélèvements de type privé. De ce point de vue, l' informalisation accrue
de l'économie, accentuée depuis la dévaluation, ne peut qu'inquiéter, en
tant qu'il révèle la fragilisation d'un État dont le rôle et les activités doivent
certainement être redéfinis et redéployés au moment où il est précisément
le plus faible, et où l'on attend que son pouvoir de coordination rende possible et crédible l'anticipation de l'avenir.
Par ailleurs, cette informalisation pose le problème de la place que
devraient occuper les acteurs privés en général, les entreprises privées en
particulier, dont le développement a besoin de règles claires, alors même
que l'informalisation rampante en constitue la négation, et que la faiblesse
de l'État ne permet pas d'y mettre fin ou de lui marquer des limites.
Il faut enfin évoquer le problème de l'intégration, dont on attendait qu'elle
fût stimulée à la suite de la dévaluation. Si l'on s'en tient aux échanges, on
observe effectivement un certain développement des échanges internes à la
zone, en particulier en UEMüA. Mais ces flux, pour croissants qu'ils soient,
n'en restent pas moins marginaux, dans l'ensemble du commerce extérieur
sous réserve de la part d'échanges informels non répertoriés au niveau de la
comptabilité nationale.
Si les structures se sont mises en place en termes d'institutions dans chaque sous-région, la réalité de l'intégration reste cependant encore bien en
deçà des attentes. Les pays de la zone restent encore polarisés par la France,
alors même que celle-ci s'est totalement déployée en direction de l'Europe.
Le maintien de la convertibilité des billets entre les deux sous-régions illus-
BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
143
tre d'ailleurs à souhait l'absence d'intégration réelle, au-delà des discours
et déclarations d'intention en la matière. Il faut cependant relever l'effort
significatif fait dans la zone UEMOA et les avancées qu'y a réalisées l'intégration. L'essentiel des institutions a été mis en marche pour donner corps
au processus d'intégration. Il en est ainsi de l'union monétaire avec la
réforme de la politique monétaire, la mise en place effective des mécanismes de surveillance des politiques macroéconomiques, le fonctionnement
de la Cour de justice de l' Union. Il en est de même de l'intégration financière
dont le fonctionnement effectif de la Bourse régionale d'Abidjan est le symbole. De même, doit-on souligner l'avancée en matière de libre circulation
des biens et des personnes.
La situation est plus mitigée en CEMAC où les institutions sont encore
pour l'essentiel à leur phase de démarrage. Même des institutions plus
anciennes telles que la COBAC ont encore du mal à imposer leur autorité,
alors que celle-ci est une condition d'approfondissement de la crédibilité
de la CEMAC en général du système bancaire en particulier. De même, la
libre circulation des biens et surtout des personnes reste-t-elle ici encore du
domaine du discours. L'ensemble de la zone ne nous paraît pas encore
avoir suffisamment capitalisé la solidarité de destin de nos économies, dont
la dévaluation à taux unique a été la manifestation contraignante, voire
douloureuse.
Cette absence d'intégration explique d'ailleurs l'absence d'initiative propre aux membres de la zone pour poser et discuter la question des liens
futurs entre le franc CFA et l'euro, les uns et les autres s'en remettant alors
à la sagesse de la France.
Cette situation illustre bien les ambiguïtés des objectifs de la dévaluation
dont on peut se demander s'ils étaient commerciaux ou s'ils tendaient essentiellement à assurer une transition vers une économie d'auto-ajustement
sans remise en cause de l'influence de la France, qui créait ainsi les conditions d'un partage de la gestion de la zone avec ses partenaires européens.
Conclusion
Que la zone ait retrouvé la croissance après l'électrochoc de la dévaluation est une évolution dont il faut se féliciter, et qui peut être, au moins partiellement mis à l'actif de la dévaluation de 1994, ne fût-ce que parce
qu'elle a positivement amplifié la remontée des cours et hâter le retournement de tendance observé. Mais cet effet positif a son revers, lorsqu'on analyse les moteurs de la croissance. Celle-ci révèle toute la fragilité des
économies de la zone franc, étroitement tributaires des cultures de rente
dont nous avons vu qu'elle explique, grâce à la remontée des cours, plus de
la moitié de la croissance retrouvée. La prépondérance de ces produits est
telle que ces économies ne sont pas à l'abri d'une nouvelle crise, aussi grave
et profonde que celle dont elles sortent. Et de ce point de vue, la dévaluation
a plutôt conforté cette dépendance. La mutation structurelle attendue, en
144
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
faveur notamment de la production industrielle locale, ne s'est pas produite.
En d'autres tennes, les gains de compétitivité n'ont pas atteint le secteur
industriel, ni modifié conséquemment la structure du commerce extérieur.
Or une telle modification aurait permis de compenser en quelque sorte la
détérioration des conditions de vie de la population. Et cette détérioration
a amplifié la perception globale négative que les agents économiques ont de
la dévaluation et les appréhensions actuelles quant à l'occurrence d'une
dévaluation qui suivrait l'arrimage à l'euro.
Les craintes actuelles d'une nouvelle dévaluation tiennent pour une large
part à la dureté des conséquences subies aussi bien par les ménages que les
entreprises. Ceux-ci redoutent qu'une nouvelle dévaluation ne soit le signal
d'une détérioration encore plus forte de leurs conditions de vie ou de leur
profitabilité. L'inquiétude est d'autant plus grande que les désordres monétaires des pays asiatiques et la baisse observée du dollar sur les marchés de
change pourraient éroder les gains de compétitivité engrangés et rendre
objectivement plausible un nouveau changement de parité.
Les révisions que le FMI vient de faire des perspectives de croissance mondiale pour l'année 1999 ne sont pas faites pour calmer ces inquiétudes
d'autant que le ralentissement de la croissance mondiale risque d'affecter
négativement la demande de certains produits exportés par la zone franc, et
partant la résorption des déséquilibres budgétaires ou des balances des paiements. Mais ces inquiétudes sont un indicateur de la conscience que les responsables et agents économiques de la zone ont de la fragilité de l'embellie
observée parce que justement, malgré les bénéfices qu'elles ont pu tirer de la
dévaluation, leur nature n'a pas fondamentalement changé. Et là est la question existentielle, celle de savoir comment faire pour fonder un développement durable des économies de la zone franc. A cette question, la dévaluation
n'a manifestement pas apporté de réponse décisive et convaincante.
Bibliographie
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solennelle des Universités du Cameroun, Yaoundé, 12 novembre 1993]
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Camilleri J-L., « L'impact de la dévaluation sur la petite entreprise au Burkina Faso », Notes de recherche, n° 97-62, 1997 [Réseau Entrepreneuriat,
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BILAN DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
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Semedo G. et Villieu P., La Zone franc, mécanismes et perspectives macroéconomiques, Ellipses, 1997.
6
La dévaluation du franc CFA et la
performance économique des filières café,
cacao et riz en Côte d'Ivoire
Kalilou SYLLA
Le modèle de développement ivoirien axé sur l'agriculture a permis d' obtenir une croissance économique remarquable de 7 % en moyenne pendant les
deux premières décennies après l'indépendance (Banque mondiale, 1994).
A partir des années 1980, le pays sera confronté à la baisse des cours
mondiaux de café et de cacao qui lui fournissent l'essentiel de ses revenus,
à une forte importation encouragée par l'urbanisation et un taux de croissance démographique élevé et la surévaluation du franc CFA. L'effet conjugué de ces événements est l'absence de croissance économique dans le
pays entre 1980-1993 (Diomandé, 1994).
La surévaluation est très souvent citée comme étant la cause majeure de
cette absence de croissance. Cette surévaluation provenait de la politique
industrielle protectionniste, dans les années 1970, qui utilisait comme
source de financement les taxes provenant du secteur agricole (Krueger et
al., 1988). De ce fait, les coûts de production du café, cacao et du riz étaient
relativement plus élevés que ceux des pays concurrents compromettant
l'avantage comparatif de la Côte d'Ivoire (Fradet, 1995).
Pour palier cette situation, la Côte d'Ivoire a entrepris les programmes
d'ajustement structurel (PAS) depuis 1981. L'objectif principal de ces programmes étant la réduction de l'inflation par la compression de la demande
globale. Ceci devait permettre l'augmentation des prix relatifs des biens
échangeables. Cependant, les PAS sans dévaluation n'ont pas donné des
résultats encourageants en ce sens qu'ils n'ont pas pu relever les prix relatifs
des biens échangeables pour relancer la production agricole et entraîner la
croissance économique par la suite (Devarajan et al., 1993).
148
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Devant les résultats mitigés des PAS et des politiques de vulgarisation
(rendements bas par rapport aux pays concurrents), il était impérieux de
trouver un autre instrument de politique économique pouvant relever les
prix relatifs des biens échangeables pour relancer la production agricole et
par conséquent l'économie tout entière.
Cependant, Khan et al. (1987) préviennent que la dévaluation seule ne
suffit pas, il faut la mise en place des politiques économiques cohérentes
avec le taux de change. Tout le problème se trouve à ce niveau. C'est pour
cela qu'il faut s'interroger sur l'aptitude de la dévaluation et des mesures
d'accompagnement à rétablir la performance économique des filières
quand on sait le manque de compétitivité de la filière rizicole avant le réajustement monétaire (Coulibaly, 1996) et l'endettement d'environ 167 milliards de la structure chargée des filières café et cacao (CAISTAB) à cette
même période (Ancey, 1994).
En outre, compte tenu de l'importance de ces filières, il est nécessaire de
dégager les actions prioritaires à mener afin d'améliorer la performance des
différentes filières et surtout de déterminer les politiques compatibles avec
le nouveau contexte.
Dans cette perspective, nous avons retenu le centre-ouest qui est la première région productrice de café et de cacao en Côte d'Ivoire. En plus, elle
fait partie des régions importantes en terme de production rizicole.
Le choix de ces trois cultures se justifie par l'attention toute particulière
dont elles bénéficient de la part des pouvoirs publics ivoiriens.
La première section de cette contribution présentera les filières. La
deuxième section se focalisera sur le modèle d'analyse et les données. Les
résultats feront l'objet de la troisième section. La conclusion et les recommandations seront traitées dans la quatrième section.
Les politiques agricoles
Les paysans exercent sur de petites superficies de 5 hectares en moyenne
pour le café et de 3,5 pour le cacao. Les boutures leur sont livrées presque
gratuitement par l'Agence nationale pour le développement rural (ANADER). Les intrants chimiques sont quasiment absents des exploitations,
seuls les pesticides (essentiellement la polytrine) sont utilisés par environ
20 % des exploitants de café contre 29 % pour le cacao. Les intrants échangeables agricoles ont fait l'objet d'une réduction de la taxe. Avant la dévaluation, le taux de taxation sur ces intrants était entre 6 % et 26 %. Avec la
dévaluation, il est entre 6 % et 15 %. Le crédit rural est pratiquement absent
et la dévaluation n'y a rien changé.
Par contre, le riz irrigué est pratiqué sur les superficies de moins d'un hectare contre environ un hectare pour le riz pluvial. Seul le riz irrigué fait
l'objet d'encadrement et de subvention contrairement au riz pluvial.
LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
149
La collecte de café et de cacao est assurée par les traitants qui assurent
environ 80 % de la collecte contre 20 % pour les Organisations professionnelles agricoles (OPA). Ces collecteurs ont recours soit à leur fonds propre,
soit aux exportateurs pour financer la campagne. La fonction de précollecte
est effectuée par les pisteurs qui sont en général préfinancés par les traitants.
Le transport des zones de production au port est subventionné pour permettre au prix d'être le même sur toute l'étendue du territoire. Cette subvention
était de 24,5 F CFAlkg (avant la dévaluation) contre 9 F CFAlkg (après la
dévaluation).
Par contre, deux types de collecteurs cohabitent dans la filière rizicole. La
collecte officielle subventionnée avant la dévaluation pour permettre un
prix à la consommation unique de 160 F CFAlkg conformément à l'arrêté
n° 2 du 9 janvier 1984 fixait le prix le long de la filière. Et, la collecte informelle qui bénéficie d'aucune subvention. La subvention a disparu avec la
dévaluation.
On constate la disparition de la transformation industrielle subventionnée
au profit de la transformation traditionnelle et semi-moderne.
La structure chargée de la filière riz était CGPP qui a été dissoute pour
permettre la libéralisation des importations du riz. Cette structure qui avait
un excédent d'environ 39 000 F CFNtonne est sortie largement déficitaire
de la dévaluation (37 000 F CFNtonne). Cette situation était expliquée par
la subvention apportée au riz importé suite à la dévaluation (Fradet, 1995).
Quant aux exportateurs de café et de cacao, ils sont regroupés au sein du
GEPEX. Il existe trois types d'exportateurs: l'exportateur usinier, l'exportateur transitaire et l'exportateur pur. Ces exportateurs supportent le droit
unique de sortie (DUS) qui était respectivement de 160 et 110 F CFAlkg
pour le cacao et le café durant la campagne 1995-1996. Alors qu'il n'existait pas avant la dévaluation (1993-1994).
La CAISTAB s'occupe de l'exportation et de la qualité des produits. Ses
frais de fonctionnement (appelés le delta) sont passés de 30000 FCFN
tonne (avant dévaluation) à 60 000 après la dévaluation (CIRAD, 1996).
Avec la libéralisation progressive des filières café et cacao, la CAISTAB
est en train de se désengager des ventes des droits de déblocage (quotas à
l'exportation) et de réduire ses ventes au comptant.
Méthode d'analyse
Pour atteindre l'objectif de cette étude, les modèles CHAC (Hazell, 1986),
SAM (Sadoulet, 1995) et le modèle multi-marchés (Lalonde, 1993) pouvaient être utilisés. Mais compte tenu du fait que ces modèles sont exigeants
en données et qu'ils ne permettent pas d'élaborer autant d'indicateurs de politiques agricoles que la MAP, ce dernier a été choisi.
150
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Aussi, la MAP (Matrice d'analyse de politique) sera le principal instrument d'analyse de la politique agricole en Côte d'Ivoire dans le cadre d'un
projet Banque mondiale dénommé PNASA (Projet national d'appui aux
services agricoles).
La MAP (tableau n°1) permet d'analyser l'impact des politiques économiques sur la compétitivité, le revenu des opérateurs de la filière, d'évaluer
l'impact des politiques d'investissement sur l'efficacité économique (Monke
et al., 1989).
Tableau 1. Une MAP simplifiée
COllts
Recette
(F CFA/tonne)
Bénéfice
(F CFA/tonne)
Intrants
Facteurs
échangeables domestiques
(F CFA/tonne) (F CFA/tonne)
Prix de marché
A
B
C
D
Prix de référence
E
F
G
H
Divergence
1
J
K
L
Source: Monke et al. (op. cit.).
Les variables A, B, C, E, F et G sont fondamentales dans la MAP. Elles
permettent de calculer tous les indicateurs de la MAP.
La MAP d'une filière est un ensemble de budgets de quatre types opérateurs (paysans [I], collecteurs [2], transformateurs [3], et commerçants [4])
intervenants dans la filière. Les variables fondamentales sont obtenues de la
façon suivante :
- le bénéfice brut financier A 4 ou A dans la MAP filière.
C'est le bénéfice brut financier des commerçants (quatrième [4] opérateur
de la filière). C'est ce bénéfice brut qui sert à financer toutes les autres opérations (achat produit au niveau des transformateurs, achat produit au
niveau de la collecte et achat du produit aux paysans). Ce bénéfice brut
constitue donc celui de la filière.
Le bénéfice brut financier de la filière est :
A4
_XC pCF
4
4
ou X~ = quantité de riz, café ou cacao vendue par le commerçant
et p~F
prix financier de vente de café, cacao ou riz par le commerçant.
Les coûts financiers des intrants échangeables (B) dans la filière sont:
=
4
Bj
=
a
3
L L XI] PljF- L Xi PiF
j=li=1
j=1
xI] = quantité d'intrants échangeables i nécessaire pour l'activité j
PI]F = prix financier d'achat de l'intrant échangeable concerné
i = 1 ... a éléments échangeables de la filière
ou
LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
151
j = 1. .. 3 activités de la filière (paysans [1], collecteurs [2] et décortiqueurs [3])
Xi
= quantité achetée de café, cacao ou riz pendant l'activitéj
PiF = prix financier de café, cacao ou riz acheté pendant l'activité j.
Cette soustraction est effectuée pour éviter les doubles emplois dans la
filière.
Les coûts financiers domestiques (C) de la filière sont:
C. =
4
b
~
~
~
)
xP ppF
~
1)
1)
j=li=1
XB = quantité d'intrants domestiques i nécessaire pour l'activité j
PBF = prix financier d'achat de l'intrant domestique concerné.
ou
Le bénéfice brut économique de la filière E ou E4 :
pEE
E4 -- XC
4
4
= prix économique de vente de café, cacao ou riz du commerçant.
PrE
Les coûts économiques des intrants échangeables de la filières (F):
a
4
3
Fj = L L Xv PVE - L Xi PrE
j=li=1
j=1
avec PVE = prix économique de vente de l'intrant échangeable concerné
PrE = prix économique de vente du café, cacao ou riz pendant l'activité j.
Les coûts domestiques économiques ou (G) sont :
4
G.
)
=
PBE
b
~ ~
~
~
j=li=1
xP. pPE
1)
1)
= prix économique d'achat de l'intrant domestique concerné par
les opérateurs de la filière.
A part les variables A et E, les autres variables fondamentales sont des
sommations des coûts au niveau de chaque étape de la filière.
Les prix financiers sont les prix observés sur les marchés. Par contre, les
prix sociaux sont des prix sans distorsions. Ces prix ne tiennent pas compte
des taxes et subventions (Gittinger, 1984).
Connaissant les variables fondamentales, une dizaine d'indicateurs peuvent être calculés, à partir de la MAP (Monke et al., op. cit.). Cependant,
compte tenu de l'objectif de l'étude, ils ne seront pas tous utilisés.
Pour les cultures différentes, le ratio coût bénéfice financier (CBF) est utilisé pour comparer les profits financiers et le coût en ressource intérieure
(CRI) et le ratio coût bénéfice économique (CBE) sont utilisés pour l'avantage comparatif. Cette distinction est faite dans la mesure où l'intensité
capitalistique est différente d'une filière à l'autre. En outre, Masters et al.
152
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
(1995) montrent que le CBE est le meilleur indicateur que le CRI pour la
mesure de l'avantage comparatif en ce sens que le CBE est compatible avec
la maximisation du profit et n'a pas une tendance à sous-estimer les activités peu intensives en intrants échangeables comme le CRI.
Cette étude utilisera le CRI pour mesurer l'avantage comparatif, toutefois
lorsqu'il y aura une ambiguïté entre le CBE et le CRI dans la prise de décision, le CBE sera privilégié.
Nous avons construit une MAP avant dévaluation et une MAP après
dévaluation pour chaque culture. Il s'agit de MAP confectionnées avant la
dévaluation (1993) et de MAP confectionnées après la dévaluation (1995).
La MAP après dévaluation a servi à faire des simulations afin de dégager
les actions prioritaires post-dévaluation du gouvernement.
Les données ont été collectées de septembre 1995 à septembre 1996. Pendant cette période, les données relatives à la MAP après dévaluation ont été
collectées. Les données concernant 1993 ont été fournies par les structures
d'encadrement ANADER, CIDT et les données primaires complémentaires
ont été recueillies pendant la période d'enquête susmentionnée.
Pour mener cette étude, la région du centre-ouest, qui produit l'essentiel
du café et du cacao avec respectivement 35 % et 36 % de la production
national, a été retenue (CIRAD, 1996).
Les données primaires concernent les quantités d'intrants (main-d'œuvre,
pesticides, engrais, dabas machettes et limes) ainsi que leur prix pour les
différents opérateurs de la filière.
Les données secondaires ont été collectées pour les taxes, les cours mondiaux et les subventions. Les sites d'enquêtes ont été choisis en fonction de
leur importance agricole.
Les résultats
Avant la dévaluation, les opérateurs économiques des différentes filières
étaient plus protégés (les coefficients de protection effective [CPE] avant
dévaluation sont supérieurs à ceux après dévaluation, voir tableau n° 1).
En outre, ils avaient une piètre performance économique (sauf le cacao)
et financière avec les coûts en ressource intérieure (CRI), le ratio coût bénéfice économique (CBE) et le ratio coût bénéfice financier (CBF) avant dévaluation supérieurs à ceux après dévaluation.
Avec la dévaluation, on assiste à une situation contraire où ces opérateurs
sont moins protégés avec une plus grande rentabilité économique et financière. Par rapport aux incitations, l'introduction du DUS et la taxe parafiscale ont contribué à réduire la protection dans les filières café et cacao. Par
contre, la suppression de la péréquation transport et l'augmentation des
coûts de transport suite à la dévaluation sont responsables de la réduction de
la protection post-dévaluation des filières rizicoles. Les incitations avant
153
LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
dévaluation ont conduit à un profit financier médiocre et une inefficacité
économique dans l'ensemble des filières par rapport à la situation postdévaluation.
Tableau 2. Indicateurs MAP avant et après la dévaluation
INDICATEURS AVANT LA DÉVALUATION
Cultures
CRI
CBE
CBF
CPE
TSP
Cacao
0,72
0,77
0,68
0,85
-0,01
Café
1,51
1,26
1,09
0,99
0,2
Riz pluvial
1,27
1,23
0,64
2,1
0,86
Riz irrigué
2,2
1,6
0,6
3,05
1,21
INDICATEURS APRÈS LA DÉVALUATION
Cultures
CRI
CBE
CBF
CPE
TSP
Cacao
0,27
0,33
0,47
0,55
-0,4
Café
0,27
0,36
0,5
0,36
-0,38
Riz pluvial
0,57
0,6
0,6
0,97
-0,04
Riz irrigué
1,49
1,25
0,51
1,5
0,63
Source: calculs de l'auteur.
En effet, en prenant le ratio coût bénéfice financier (CBF, voir tableau
n° 2) comme indicateur de profit, on se rend compte que la dévaluation a
changé l'ordre de rentabilité. Par ordre décroissant de profit on avait, avant
dévaluation, riz irrigué, riz pluvial, cacao et café. Après la dévaluation, cet
ordre est cacao, café, riz irrigué et riz pluvial. La dévaluation conjuguée à
la hausse des cours mondiaux a bouleversé cet ordre car les opérateurs, bien
que moins protégés, bénéficient de prix plus intéressants que la période
avant dévaluation.
Par rapport à l'efficacité économique (CRI et CBE), le classement, avant
dévaluation, par ordre de compétitivité décroissant est le suivant : cacao, riz
pluvial, café et riz irrigué. Après la dévaluation, l'ordre de compétitivité
décroissant est: cacao, café, riz pluvial et riz irrigué. Avant la dévaluation,
la mauvaise performance des filières s'explique par le bas niveau des cours
des produits concernés et la surévaluation du franc CFA. Les subventions
ont afflué pour soutenir financièrement les filières qui affichaient une mauvaise rentabilité. Après la dévaluation au contraire, la suppression de la
surévaluation et la mise en place de politique macroéconomique judicieuse
dont le relèvement du taux directeur de la BCEAO, le blocage des prix intérieurs ont contribué à freiner l'inflation et donc à accroître la compétitivité.
La compétitivité plus élevée des filières pérennes (café et cacao) s'explique
par un accroissement plus conséquent des prix le long de la filière contrairement aux filières rizicoles.
L'accroissement de la compétitivité des filières suite à la dévaluation a
contribué à la réduction des subventions dans le secteur riz et à accroître la
154
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
taxe sur les cultures pérennes. Ces résultats sont confirmés par les taux de
subvention aux producteurs (TSP).
Pour dégager les actions prioritaires, une analyse de sensibilité, dont les
résultats sont consignés dans les tableaux ci-dessous, a été réalisée. Cette
analyse fait ressortir que les variables telles que le rendement, le prix international, le coût de la main-d'œuvre, le rendement des décortiqueuses, le
taux de change réel, le taux directeur de la BCEAü, les frais de structure et
le fret maritime sont à entreprendre dans l'ordre susmentionné. Cet ordre est
obtenu par les élasticités du CRI par rapport aux variables susmentionnées,
plus l'élasticité est grande plus la variable est importante. En effet, la grandeur des élasticités CRI indique leur propension à améliorer ou à détériorer
la compétitivité des filières concernées.
Tableau 3. Élasticité CRI du rendement et du prix
international
Augmentation
Élasticité CRI du rendement
cacao
1
café
pluvial
irrigué
Élasticité CRI du prix international
cacao
café
pluvial
irrigué
10%
-0,741 -l,III -0,877 - 1,141 -0,370 -1,111 - 1,333 - 1,342
20%
- 1,481 - 1,481 - 1,579 -0,906 -l,Ill -l,Ill -0,917 -1,174
30%
- 1,852 -2,222 - 2,456 - 1,051 - 0,988 - 0,988 - 0,833 - 1,051
40 %
50%
- 2,222 - 2,593 - 2,982 - 1,040 - 0,833 -0833 -0,750 -0,956
Réduction
- 2,593 - 2,963 - 3,509 - 1,020 -0,815 -0,815 -0,667 -0,872
Élasticité CRI du rendement
cacao
café
Élasticité CRI du prix international
pluvial
irrigué
cacao
café
pluvial
1,481
1,481
0,877
1,879
1,667
1,667
1,053
2,282
10%
0,889
1,00
1,053
2,819
20%
2,222
2,222
2,281
3,725
irrigué
30%
3,704
4,074
4,035
5,593
2,099
1,975
1,170
2,953
40%
5,556
6,296
6,140
10,940
2,685
2,593
1,316
4,178
50%
8,519
10,000
9,474
17,718
3,704
3,481
1,544
7,195
Source: calculs de l'auteur.
Le tableau ci-dessus montre qu'un accroissement des cours mondiaux ou
des rendements induit une augmentation de l'avantage comparatif. C'est le
contraire avec une réduction des cours ou des rendements.
155
LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
Tableau 4. Élasticité CRI du coût de la main-d'œuvre et du
rendement décortiqueuse
Augmentation
Élasticité CRI du rendement
décortiqueuse
Élasticité CRI du coût du travail
cacao
café
pluvial
irrigué
café
pluvial
irrigué
10%
0,741
0,667
0,877
0,336
-0,890
-0,880
- 1,540
20%
0,741
0,685
0,877
0,336
-0,800
-0,790
-1,310
30%
0,753
0,679
0,877
0,313
-0,720
-0,700
- 1,160
40%
0,759
0,685
0,833
0,319
-0,670
-0,660
- 1,040
-0,630
-0,940
50%
Réduction
10%
0,763
0,689
0,842
0,322
-0,610
Élasticité CRI du coût du travail
Élasticité CRI du rendement
décortiqueuse
cacao
café
pluvial
irrigué
café
pluvial
irrigué
-0,815
- 0,741
-0,962
-0,268
1,000
1,050
2,280
1,230
2,950
20%
-0,796
-0,704
-0,902
-0,302
1,170
30%
-0,778
-0,704
-0,962
-0,313
1,360
1,400
4,250
40%
-0,778
-0,704
-0,913
-0,319
1,610
1,670
7,480
50%
-0,778
-0,704
-0,923
-0,309
1,970
2,040
15,560
Source: calculs de l'auteur.
L'augmentation des coûts de la main-d'œuvre décroît l'avantage comparatif contrairement à une augmentation du rendement des décortiqueuses
café et riz.
Tableau 5. Élasticité du CRI par rapport au taux de change et
taux d'intérêt
Augmentation
Élasticité du taux de change
cacao
café
Élasticité CRI du taux d'intérêt
pluvial
irrigué
cacao
café
pluvial
irrigué
10%
1,296
1,111
0,030
0,003
0,074
0,000
0,000
0,805
20%
0,926
0,926
0,070
0,007
0,074
0,0119
0;088
0,973
30%
0,864
0,864
0,123
0,013
0,086
0,037
0,058
1,029
40%
0,796
0,843
0,158
0,020
0,083
0,046
0,044
1,074
50%
0,756
0,815
0,193
0,040
4,074
0,052
0,070
1,114
Réduction
10%
Élasticité du taux de change
Élasticité CRI du taux d'intérêt
cacao
café
- 0,815
0,333
-0,526 - 1,812 -0,148 - 0,111
20%
- 0,463
0,037
30%
-0,284
0,012
pluvial
irrigué
cacao
café
pluvial
irrigué
0,000
-1,342
40%
- 0,194
0,000
- 0,386 - 1,376 -1,111 -0,074 -0,088 - 1,141
-0,269 - 1,123 -1,111 -0,074 -0,058 - 1,074
- 0,215 - 0,973 -0,102 -0,065 -0,044 - 1,040
50%
-0,037
0,096
-0,084 - 0,819 -0,096 -0,067 -0,070 -0,993
Source : calculs de l'auteur.
156
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Une hausse des variables monétaires (taux de change réel et taux d'intérêt
directeur de la BCEAO) induit une hausse des coûts de production et détériore la compétitivité. La dévaluation détériore uniquement la compétitivité
de la filière café compte tenu des coûts importants liés au stockage dans
cette filière.
Tableau 6. Élasticité du CRI par rapport aux frais de structure
et aux coûts du fret
Augmentation
Élasticité CRI des frais de structure
cacao
café
irrigué
cacao
café
10%
0,037
0,037
- 0,018 -0,054
0,037
0,000
- 0,070 -0,174
20%
0,056
0,074
- 0,018 -0,050
0,056
0,019
- 0,088 - 0,181
30%
0,062
0,086
- 0,018 -0,047
0,062
0,025
- 0,088 -0,172
40%
0,065
0,093
-0,022 -0,047
0,065
0,037
-0,092 - 1,181
0,067
0,096
- 0,021 -0,040
0,067
0,037
- 0,091 -0,176
50%
Réduction
Élasticité CRI des frais de structure
cacao
10%
pluvial
Élasticité CRI du fret maritime
pluvial
irrigué
- 0, III - 0,111
café
0,035
0,Q20
pluvial
irrigué
Élasticité CRI du fret maritime
cacao
café
- 0,111 - 0,074
pluvial
irrigué
0,088
0,134
20%
-0,093 - 0,111
0,026
0,034
-0,093 -0,056
0,088
0,134
30%
-0,086 - 0,111
0,023
0,036
-0,086 -0,049
0,088
0,145
40%
-0,083 -0,102
0,026
0,037
- 0,083 - 0,046
0,088
0,151
50%
- 0,081 -0,096
0,025
0,038
- 0,081 - 0,044
0,084
0,144
Source : calculs de l'auteur.
Enfin, une hausse du fret et des coûts de structure (delta CAISTAB) peut
être à l'origine de la baisse de compétitivité dans les filières café et cacao
contrairement aux filières rizicoles où cette hausse accroît le coût d'importation du riz importé et elle est donc profitable au riz local. Cependant, il ne
faut pas perdre de vue les consommateurs qui vont payer plus cher. A cet
effet, il faudra penser à une taxe optimale.
Conclusion
La dévaluation a accru la rentabilité économique et financière des différentes filières, par contre elle a réduit la protection des filières. D'importants transferts sont effectués notamment des filières café et cacao vers le
reste de l'économie.
Les taxes collectées au sein des filières doivent profiter aussi à celles-ci,
notamment par la mise en œuvre d'actions prioritaires. Ces actions permettront d'accroître la performance économique des différentes filières. En
LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
157
s'appuyant sur les résultats des tableaux ci-dessus, l'étude recommande la
recherche et la vulgarisation des variétés à haut rendement dans la mesure
où le rendement est la variable qui a le plus d'influence sur la compétitivité.
Ensuite, la transformation industrielle doit être la priorité des décideurs afin
de permettre une hausse des cours mondiaux par la réduction des exportations brutes de café et de cacao. Le coût de la main-d'œuvre notamment
agricole doit être maîtrisé par une politique de maîtrise de l'inflation. Aussi,
le rendement des décortiqueuses pour le café et le riz doit faire l'objet de
recherche dans le sens de l'accroissement de ces rendements. Le taux de
change réel doit être maîtrisé car la surévaluation peut réduire la compétitivité des différentes filières par l'accroissement des coûts intérieurs.
Ces actions prioritaires doivent être effectuées par ordre d'importance
dans le cacao, le café, le riz pluvial et le riz irrigué. Cet ordre est dicté par
l'avantage comparatif des différentes filières (tableau n° 1).
Enfin, une libéralisation plus poussée des filières café et cacao devrait
permettre de réduire le delta et le taux du crédit et donc d'améliorer l'avantage comparatif des différentes filières (Sylla, 1998). Mais une attention
doit être portée sur certaines conditions touchant l'organisation paysanne et
surtout la qualité du café et du cacao. C'est le contraire au niveau de la riziculture où la libéralisation permet de réduire les coûts supportés par le riz
importé et donc de le rendre plus compétitif par rapport au riz local.
Cette étude doit être poursuivie en analysant la performance économique
de chacun des opérateurs (paysans, collecteur, transformateur et commerçant). Ensuite, des questions très importantes concernant la prochaine libéralisation des filières café, cacao et la libéralisation de la filière riz sont en
suspens. Une étude doit se pencher sur ces différents problèmes.
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7
L'impact de la dévaluation du franc CFA
sur les importations et les exportations du
Cameroun
Par Arsène Honoré Gidéon NKAMA
Depuis le début des années 1980, les pays africains de la zone franc
(PAZF) ont connu une profonde dégradation de leurs conditions économiques, ce qui a eu pour conséquence la détérioration de leurs balances extérieures de façon cumulative. Cette situation a conduit ces pays à la mise en
œuvre des programmes d'ajustement structurel (PAS) avec l'aide du Fonds
monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. L'objectif du PAS
est d'adapter les structures de l'économie, telles qu'elles existent, à des
structures considérées comme optimales afin de réaliser une croissance harmonieuse (sans inflation ni chômage), régulière et équilibrée. L'on pensait
alors résoudre le problème des déséquilibres extérieurs à l'aide de la seule
anne des politiques budgétaires et monétaires restrictives (penser aux conditionnalités du FMI et de la Banque mondiale). Cependant, face à la persistance et à l'aggravation des déséquilibres économiques et financiers, la
question de la dévaluation du franc CFA a commencé à alimenter les débats
entre partisans et opposants de la dévaluation. Ces débats prendront fin lorsque, réuni à Dakar, un sommet extraordinaire des chefs d'État des PAZF
décide, le 12 janvier 1994, de dévaluer de 50 % le franc CFA, qui passe
ainsi de la parité de 1 F CFA = 0,02 FF à 1 F CFA = 0,01 FF.
La dévaluation avait pour principal objectif d'améliorer la compétitivité
internationale et la situation de la balance des paiements des PAZE
Nous nous proposons de faire une analyse de l'impact de la dévaluation
du franc CFA sur la balance commerciale du Cameroun. L'objectif principal
est de faire ressortir l'effet de la variation du taux de change sur les importations et les exportations du pays. Pour parvenir à cet objectif, nous pré-
160
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
senterons d'abord l'approche théorique de la dévaluation et ensuite
l'analyse de la réaction des importations et des exportations à la dévaluation.
L'ajustement international par les prix: la dévaluation
L'exemple historique de David Hume qui présente le cas où la GrandeBretagne (GB) perd les 4/5 de sa monnaie au cours d'une nuit est la première illustration de l'ajustement par les prix. En effet, l'auteur montre que,
si au cours d'une nuit, la GB parvenait à perdre les 4/5 de son stock de monnaie, ceci entraînerait un déficit de la balance des paiements. L'application
de la théorie quantitative de la monnaie aura pour effet une baisse des prix
anglais dans les mêmes proportions, ce qui va entraîner une hausse des
exportations et provoquer une rentrée des devises permettant de retrouver
l'équilibre initialement rompu. Il y a un processus de retour au rééquilibre
sans intervention gouvernementale. Mais de nos jours, l'intervention des
autorités est nécessaire compte tenu des déséquilibres chroniques enregistrés de part et d'autre; c'est ce qui a sans doute pesé lourd sur la décision
des chefs d'État des PAZF à dévaluer leur monnaie de 50 %.
En cas de déficits durables de la balance des paiements ou de la balance
commerciale, les autorités peuvent envisager une dévaluation. Une monnaie est appelée à être dévaluée si elle est surévaluée. Plusieurs facteurs ont
favorisé la surévaluation du franc CFA, ce qui a poussé les PAZF à se prononcer pour la dévaluation dont l'objectif principal est le rééquilibrage de
leurs économies comme l'affirme la théorie économique.
Les raisons de la surévaluation dufrane CFA
Jusqu'en 1980, la croissance dans les PAZF est supérieure à celle des
autres pays du continent. Cette croissance est tirée par le Cameroun et la
Côte d'Ivoire. Entre 1980 et 1987, les conditions économiques commencent à se détériorer. Le Cameroun, à cause de ses revenus pétroliers qui couvrent encore les problèmes d'ordre structurel du pays, ne présente les
premiers signes de difficultés qu'en 1986. La croissance agricole qui atteint
4,5 % entre 1965 et 1973 n'est que de 1,5 % entre 1981 et 1987. A cela il
faut ajouter la chute sur le marché mondial des cours du cacao, du café et
du coton pour ne citer que ces produits. Cette situation, largement vécue par
l'ensemble des PAZF, a entraîné des déficits budgétaires, des déficits extérieurs et la détérioration des termes de l'échange. La politique d'un franc
français fort poursuivie en France affectera aussi négativement la compétitivité de ces pays au niveau de leurs exportations.
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
161
A. LES DÉFICITS BUDGÉTAIRES
Pendant une longue période (entre les années 1960 et 1980), les PAZF ont
connu un taux de croissance moyen d'environ 4,2 % contre 3,7 % pour les
pays africains hors zone franc (PAHZF). Les années 1980 à 1986 ont été
marquées par une baisse de la croissance du PIB. Cependant, ce taux
demeure supérieur pour les PAZE Dès 1986, il Yaura renversement des tendances. On a observé des déficits budgétaires chroniques pour le Cameroun. Cette nouvelle évolution de la situation économique du pays a imposé
à l'État camerounais le recours à l'endettement extérieur. D'après les données publiées par la Banque mondiale, l'endettement rapporté au PIB est
passé de 36,8 % en 1980 à 38,5 % en 1985 et 56,8 % en 1990. Cet endettement ne fut pas sans conséquence sur la situation du solde du compte
d'opérations à cause des charges d'intérêts. Cependant comparé à celui de
la Côte d'Ivoire ou encore à celui du Congo, l'endettement du Cameroun
demeure insignifiant, le Congo et la Côte d'Ivoire étant classés parmi les
pays les plus endettés dans la décennie 1980 et au début des années 1990.
Le tableau suivant présente l'évolution de la dette extérieure et du service
de la dette du Cameroun entre 1980 et 1995.
Tableau 1. Évolution de la dette extérieure et du service de la
dette du Cameroun en millions de dollars US
1980 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995
2588 4157 4678 4778 5440 6679 6898 7349 7452 8254 9350
252 636 588 606 349 479 394 362 441 361 385
..
Source; NatIOns umes, ConurusslOn écononuque pour l'Afnque, 1998.
Dette
Sce.d
B. LES DÉFICITS EXTÉRIEURS
Les déficits extérieurs, notamment ceux de la balance courante ont pour
principale conséquence de rendre la monnaie étrangère plus chère. Dans le
cadre des PAZF, la chute accentuée des cours des matières premières, beaucoup plus ressentie par le Cameroun, la Côte d'Ivoire et le Congo, a
entraîné des déficits chroniques des balances commerciales. Cette situation
est aussi entretenue par le fait que les pays importent une importante quantité de produits alimentaires. La balance des transactions courantes du
Cameroun a toujours été négative au cours de la décennie 1985-1995
(BEAC, 1996). Cette situation s'explique par le fait que la balance des services et des transferts unilatéraux est toujours négative pour le pays. Le
solde positif de la balance commerciale est insignifiant pour pouvoir compenser ce déséquilibre. Le tableau suivant présente l'évolution du solde de
la balance courante du Cameroun entre 1985 et 1995.
C. LA DÉTÉRIORATION DES TERMES DE L'ÉCHANGE
Au cours de la période 1985-1993, les termes d'échange des PAZF baissent d'environ 50 %. La principale cause est la chute des prix mondiaux des
162
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 2. Évolution de la balance des transactions courantes
du Cameroun entre 1985 et 1995
Sources: BEAC et Le Cameroun en chiffres. janvier 1997
* =prévisions
principaux produits d'exportation (cacao, café, coton ... ). La détérioration
signifie qu'on achète plus cher et qu'on vend moins cher, ce qui augmente
les coûts intérieurs et affecte négativement la compétitivité extérieure. Il y
a dégradation des parts de marché de l'Afrique en général et des PAZF en
particulier sur les cultures d'exportation au profit des concurrents de l'Asie
du Sud-Est pour les produits tels que le cacao, le café, l'huile de palme. Le
coton en est épargné, le continent ayant augmenté sa part des exportations
dans les exportations mondiales de 9 à 13,4 % entre 1980-1982 et 19881991 (Requier-Desjardins, 1992).
D. LA SITUATION DU FRANC FRANÇAIS
La politique du franc français fort, longtemps poursuivie en France, a
entraîné une appréciation du franc français (FF) par rapport au dollar pour
la période 1985-1992. Le dollar sert de monnaie de facturation pour de
nombreux partenaires commerciaux des PAZE Dans ce contexte, cela
affecte négativement la compétitivité de ces pays au niveau de leurs exportations qui coûteront plus cher en devises pour l'étranger. Parallèlement,
leurs importations coûteront moins cher. Ceci incitera à importer davantage. En fin de compte, la balance commerciale sera négativement affectée.
Le système de change de la zone franc est à l'origine de la perpétuation du
déséquilibre dans les pays périphériques. Le franc CFA, en suivant fidèlement les évolutions du cours du franc français par rapport au dollar, fait
dépendre les termes de l'échange des PAZF de la parité franc français/dollar. Une variation du cours du dollar par rapport au franc affecte l'équilibre
de leur balance commerciale toutes choses égales par ailleurs.
Cette situation a poussé les PAZF à tenter la remise en ordre de leurs
finances publiques, de réintégrer efficacement leurs économies dans la
scène mondiale et de redresser leurs balances extérieures. Ce sont là quelques objectifs qui justifient la dévaluation de 1994.
Le cadre théorique de la dévaluation
Le problème de l'ajustement international fait appel à l'équilibre de la
balance des paiements. Cet équilibre est le plus souvent réduit à celui de la
balance des opérations courantes qui peut être facilement contrôlable. La littérature retient trois modes de rééquilibrage: l'approche financière de la
balance des paiements, l'approche monétaire et l'approche par les élasticités.
L'approche financière se base sur l'absorption en posant que la dépense
interne est égale à la consommation plus l'investissement, ce qui permet
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
163
d'écrire le solde de la balance des paiements comme:
B = C + 1 + (X - M) = A + (X - M)
où X et M désignent respectivement la valeur des exportations et celle des
importations.
Selon l'approche monétaire, le solde extérieur n'est rien d'autre qu'une
variation des encaisses (m) puisque la variation du solde extérieur entraîne
une variation de la quantité de monnaie détenue dans le pays d'où
B = l'J.m.
L'approche par les élasticités, en isolant les effets liés aux revenus, aux
encaisses et aux élasticités croisées, suppose que la demande des biens
importés n'est fonction que des prix, d'où l'appellation d'ajustement par
les prix. L'objectif de notre étude nous permet de mettre en relief cette dernière approche.
A. L'APPROCHE PAR LES ÉLASTICITÉS
La demande d'importations et d'exportations dépend d'une multitude de
facteurs: revenus, comportement des agents, élasticités... Cependant, en
posant que le solde de la balance commerciale (B = X - M) est fonction
des prix, il est intéressant de mesurer la sensibilité des prix sur le courant
des échanges internationaux. Ce problème se pose en termes d'élasticités.
Il s'agit de savoir quelle réponse la demande internationale donne à une
modification des prix suite à une dévaluation. En fait que signifie dévaluer
une monnaie?
Dévaluer une monnaie relève des autorités monétaires du pays. La dévaluation est une décision des autorités monétaires, dans un système de
change fixe, de modifier à la baisse la parité de la monnaie vis-à-vis d'un
étalon donné. La dévaluation se distingue de la dépréciation qui est la baisse
de la valeur d'une monnaie sur le marché de change. L'objectif visé par la
dévaluation est de vendre plus à l'étranger et d'acheter moins, ce qui permet
d'améliorer la balance commerciale. La dévaluation entraîne trois effets.
B. LES EFFETS LIÉS À LA DÉVALUATION
Trois effets sont généralement liés à la dévaluation: un effet sur la détérioration des termes de l'échange (effet valeur), un effet volume et un effet
rentrée des devises. L'effet sur la détérioration des termes de l'échange est
dû au fait que la dévaluation modifie les prix relatifs des exportations par
rapport aux importations. Soient Px le prix des exportations et PM celui
des importations, si le pays vend en sa monnaie, après la dévaluation, Px
reste constant et PM libellé en monnaie nationale augmente, entraînant une
P
détérioration des termes de l'échange (TE) avec TE = ~
PM
L'effet volume est le résultat de la détérioration des TE qui se caractérise
par une baisse des quantités importées et un accroissement des quantités
exportées. L'accroissement des quantités exportées et la diminution des
quantités importées doivent être suffisamment importants de telle sorte que
164
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
l'effet détérioration des TE soit compensé. Le niveau de ces deux effets
détermine l'effet rentrée des capitaux.
En général, les capitaux sortent en cas de menace de dévaluation. Après
la dévaluation, ces derniers reviennent. Cela n'est cependant \;alable que
sous certaines conditions liées à la sécurité, à la rentabilité ... de ces capitaux.
La combinaison de ces trois effets aboutit au mécanisme d'ajustement par
une courbe communément appelée courbe en J.
C. LA COURBE EN J
Un redressement du solde commercial est toujours escompté d'une dévaluation. L'analyse en termes d'élasticités fait reposer le rééquilibrage de la
balance commerciale sur les réactions des quantités échangées aux modifications des prix. Cette réaction ne peut se vérifier qu'après un certain délai.
Une dévaluation réalisée en t o , l'équilibre de la balance commerciale ne
sera restauré qu'en t n lorsque les effets favorables (effets de substitution)
l'emporteront sur les effets pervers (effet valorisation). La raison est que, à
court terme, le volume des importations et des exportations est rigide,
compte tenu de la structure de l'appareil productif et des habitudes de consommation. 11 est aussi possible que les importations et les exportations
correspondent à des contrats signés avant la variation du taux de change.
Dans ce cas, la détérioration des TE fait seule sentir ses effets et le déficit
de la balance commerciale s'accroît dans un premier temps. Ce temps peut
durer quelques mois avant que les quantités ne se modifient. Le mécanisme
d'ajustement par une courbe en J repose sur deux phénomènes: l'effet de la
valorisation (effet-prix) et l'effet de substitution (effet-quantité). C'est
l'effet de la valorisation des prix à l'importation qui détériore la balance
commerciale. L'effet de substitution signifie qu'à terme, il faut que le pays
qui dévalue réussisse à accroître ses exportations
importations
(I:i.: > 0) et à réduire les
(I:i.: < 0). Il y a substitution des importations par les pro-
duits nationaux. Dans le cas contraire, c'est l'existence des effets pervers
pouvant engendrer des dévaluations en cascade sans succès. La courbe en
J retrace l'évolution de la valeur du solde commercial en fonction du temps.
Elle décrit le temps nécessaire pour qu'une dévaluation (ou une dépréciation) améliore la balance courante.
L'existence d'une éventualité des effets pervers avec le phénomène des
dépréciations cumulatives pouvant engendrer des dévaluations en cascade sans
succès autorise à s'interroger sur les conditions de réussite d'une dévaluation.
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
165
Figure 1. La courbe en J
solde
commercial
B =X-M
--7 courbe en J
X>M
1<-------------.,"'-----:;;temps
effet de
substitution
X<M
effet
valorisation
"-
"-
"""" phénomène de déprédations
"'" cumulatives avec dévaluations
~ncascade
'-
--
D. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE D'UNE DÉVALUATION
Une dévaluation améliore la balance courante. Ceci n'est valable que si
les importations et les exportations réagissent favorablement à la modification du taux de change.
La balance courante mesurée en monnaie locale est égale à la différence
entre les exportations (X) et les importations (M). Soit:
B = X-M
(1)
Si l'on maintient constant le revenu à l'étranger, la demande des exportations peut s'écrire comme une fonction du seul taux de change réel
où
(~*)
* désigne l'étranger.
Soit
X= X(~*)
(2)
Les importations sont fonction du taux de change et du revenu disponible(yd) .
M= M(~*, yd)
Appelons cle taux de change réel (c = ~*) et X* les importations du
(3)
pays mesurées en monnaie étrangère. Cela signifie que les importations
166
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
d'un pays, exprimées en monnaie étrangère, sont égales aux exportations
étrangères vers ce pays. Si l'on suppose aussi que le taux de change C
mesure le prix des produits étrangers en monnaie nationale (parité des pouvoirs d'achat), alors X* et M sont liés par la relation M = cX*. La balance
courante s'exprime comme suit:
= B(c, yd) = X(c) _ cX*(c, yd)
B
(4)
L'effet d'une augmentation du taux de change (au certain) sur la demande
d'exportations (Xc) s'écrit:
X
c
= ~X
(5)
~c
De même, l'effet d'une modification de c sur X* est:
X*
c
= ~X*
(6)
~c
Une dévaluation rend les produits locaux meilleur marché et stimule
l'exportation. Cela signifie que Xc > O. Par contre, une augmentation du
taux de change renchérit les importations, ce qui réduit leur demande. De ce
fait, X; < O.
La variation de la balance courante entre la période 1 et la période 2 se
mesure par:
~B = B 2 -B l
= (X 2 - c 2X;) - (Xl - Cl X~)
= X2-XI-C2X;+CIX~
= X 2 - Xl - c 2(X; - X~) - c2X~ + clX~
= X 2 - Xl - c2(X; - X~) - (c2 - cl)X~
= ~X -
(7)
c2~X* - ~cX~
En divisant par ~c puis en utilisant (5) et (6) nous obtenons la réaction de
la balance courante à un changement de c, soit:
~B
=
~c
X
c
-c2X*-X~
c
(8)
Xc - c 2X; représente l'effet volume et -X~ l'effet valeur. L'effet valeur
est précédé d'un signe «-» puisque l'augmentation de c détériore la
balance courante dans la mesure où il y a augmentation en monnaie nationale du volume initial des importations. L'effet volume est toujours positif
car X; < O. Le problème qui reste est de déterminer quand est-ce que le
membre droit de (8) est positif. C'est la condition qui permet d'améliorer la
balance courante. Notons d'abord que l'élasticité de la demande d'exportation par rapport à c s'écrit:
11
=
~Xc
cl
~c X = Xl Xc
(9)
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
167
Celle de la demande sera:
(10)
C
En multipliant le membre droit de (8) par Xl , on l'exprime en termes
1
d'élasticité. Supposons par la suite que la balance courante est nulle à la
première période, c'est-à-dire que XI = cIX;. L'on peut écrire en exprimant l'élasticité en termes de valeur absolue que:
C
z * -1 >0
C
~n--X
'1
X*
1
CI
~n_-X
'1
~ Tl
X
(lI)
* -1>0
C
1
+ Tl* > 1
(X; < 0)
C'est la condition Marshall-Lemer qui s'énonce comme suit: en situation
d'équilibre commercial, la condition pour qu'une faible dévaluation soit
favorable au solde commercial est que la somme des élasticités-prix de la
demande d'exportation et d'importation soit supérieure à l'unité.
En cas de déséquilibre initial, cette condition devient Tc Tl + Tl * > 1 avec
Tc représentant le taux de couverture en valeur. Tc = valeur des exportations/valeur des importations.
Les pays en développement sont plus exposés au risque de connaître des
effets pervers. Cette situation est due à une demande d'importation non
compressible (produits alimentaires notamment). De même, leurs exportations composées essentiellement des produits de base demeurent faiblement élastiques aux prix. Une analyse de l'évolution de la balance
commerciale du Cameroun nous permettra d'apprécier les effets de la dévaluation sur le commerce extérieur du pays.
Dévaluation et balance commerciale du Cameroun
Après la dévaluation du franc CFA, le solde extérieur, notamment le solde
commercial, a globalement suivi une évolution positive. Cependant, une
analyse détaillée permet de découvrir que certains secteurs ont beaucoup
plus bénéficié de la dévaluation que d'autres.
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
168
Dévaluation et solde commercial camerounais: l'effet valeur et
l'effet volume.
Dans ce paragraphe, nous nous contentons d'évaluer l'impact de la dévaluation sur le solde commercial, lequel est facilement contrôlable. Au cours
des six premiers mois qui ont suivi la dévaluation, le commerce extérieur du
Cameroun a été marqué par une augmentation bien sensible du solde commercial. Ce dernier passe de 127,405 milliards en 1992-1993 à 275,206
milliards en 1993-1994; soit une augmentation de 116 %. Ces résultats
prennent en compte les effets de 6 mois de dévaluation puisque l'année
budgétaire commence le 1er juillet et se termine le 30 juin de l'année suivante. C'est cette amélioration principalement attribuée à l'augmentation
sensible des exportations (près de 4 % en quantité et 40 % en valeur), qui a
entraîné une amélioration des termes de l'échange par rapport à 1992-1993
(+ 4 points). Les exportations augmentent de 3,8 % en quantité par rapport
à 1992-1993. Ce faible taux était prévisible, le pays exportant beaucoup
plus les produits de base dont l'une des particularités est leur faible élasticité par rapport au prix. La variation de 40 % en valeur s'explique par l' augmentation automatique, du fait de la dévaluation, des cours libellés en
monnaie nationale des principaux produits agricoles d'exportation.
S'agissant des importations, la baisse des quantités enregistrée depuis
1991-1992 s'est poursuivie en 1993-1994 de sorte qu'elles ne représentent
que 64 % de leur niveau de 1990-1991.
Le tableau 1 de l'annexe présente l'évolution de la balance commerciale.
Si nous observons le solde de 1992-1993 et 1993-1994, nous pouvons, en
utilisant l'équation (8) estimer la réaction de la balance commerciale à la
modification du taux de change qui passe de 50 francs CFA à 100 francs
CFA pour un franc français. Rappelons que cette équation s'écrit:
~~
C
=
Xc-czX:-X~
Dans le cas d'espèce, XI = 418698; X z = 587 161;
z = 100;
LlX = 168463; Llc = 50; Xc =
~~
=
16~~63
CI
= 50;
= 3369,26;
= cX* ~X* = M
M
c
MI = 291 293; M z = 311 955; X~ = 5825,86; X; = 3 119,55
X* = LlX* = -2706,31 = -541262
c
Llc
50
'
LlB = 3369,26 -100(-54,1262) - 5825,86= 2956,02
Llc
Il resssort de ces calculs que l'effet volume est de Xc - czX; = 3 369,29
- 1OO( -54,1262) = 8 781,88 . Cela signifie que la dévaluation a entraîné
169
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
une amélioration du solde commercial de 8 781,88 millions de francs en
rendant les exportations du pays peu onéreuses. En même temps, l'on
estime l'effet valeur à -X~ = -5825,86 millions de francs. L'augmentation du taux de change qui passe de 50 à 100 francs CFA pour 1 pp a détérioré la balance commerciale de 5 825,86 millions dans la mesure où il y a
eu augmentation en monnaie nationale du volume initial des importations.
L'effet total de la dévaluation sur le solde commercial, six mois après, est
de 2 956,02 millions de francs. C'est cette donnée qui mesure la réaction de
la balance commerciale à l'augmentation du taux de change.
A première vue, cet effet est plausible car il est positif. Une analyse des
deux effets nous permet de constater l'importance de l'effet valeur par rapport à l'effet volume. L'effet valeur absorbe environ 66 % de l'effet volume.
Le pays dépend largement des importations de certains produits. Ces
importations incompressibles se composent généralement de produits alimentaires, du matériel de transport et traction et de l'équipement industriel.
L'importance de l'effet valeur explique pourquoi le solde commercial,
après une envolée entre janvier et février 1994, a très vite amorcé une évolution décroissante, sans pour autant atteindre le niveau d'avant la dévaluation. Le graphique suivant retrace l'évolution du solde commercial du
Cameroun entre novembre 1993 et janvier 1995.
Figure 2. Évolution du solde commercial du Cameroun entre
novembre 1993 et janvier 1995
45000
40000
35000
30000
25000
20000
15000
10000
5000
o +----.--_.___~-_.___~-_.___~-_.___~-_.___~-,.____~
nov.
93
janv.
94
mars
mai
juil.
sept.
nov.
janv.
95
Source: MINEFIlDSCN.
Une note d'espoir est cependant à souligner étant donné le niveau appréciable du solde commercial entre 1992-1993 et 1996-1997 (tableau 1 et
annexes). Pourvu que la tendance se maintienne de façon durable. Une
étude détaillée de ce solde nous permettra d'anticiper les tendances à venir.
170
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
L'impact de la dévaluation sur le commerce extérieur
Nous distinguons l'effet sur les exportations de l'effet sur les importations.
A. LES EXPORTATIONS
Si l'effet de la dévaluation sur les produits agricoles est positif grâce à
l'enregistrement des progrès nets, la réaction du secteur industriel reste
beaucoup plus mitigée, étant donné le niveau assez bas des exportations
industrielles. Le pétrole occupe toujours la première place dans le total des
recettes d'exportation.
Le secteur agricole
Le secteur agricole a enregistré des progrès nets. Il y a relance des exportations par la mise en œuvre de politiques appropriées et dont l'objectif est
la libéralisation des marchés, d'une part, et la réduction de l'intervention de
l'État, d'autre part. Les bonnes performances du secteur agricole sont attribuables au secteur forestier, à la montée du fait de la dévaluation des cours
du cacao, du café, du caoutchouc naturel. La « guerre» du marché de la
banane n'aura pas bloqué la progression des bananes fraîches. L'huile de
palme, les fruits et légumes enregistrent un regain de vitalité à l'exportation
malgré des volumes de production encore faibles.
a) Le secteur forestier
Il connaît une période de prospérité en 1993-1994 avec une reprise exceptionnelle des exportations, qui passent de 521 304 tonnes pour une valeur de
36,656 milliards de francs CFA à 794 891 tonnes pour une valeur de 80,368
milliards, soit une augmentation de près de 50 % en volume et 119 % en
valeur par rapport à l'année 1992-1993. La dévaluation a permis d' enregistrer une hausse substantielle de la valeur unitaire des exportations d'environ
50 %. Cette évolution se poursuivra surtout en ce qui concerne les quantités, soit 1 062978 tonnes en 1995-1996 et 1 556555 tonnes 1996-1997. Les
prix ont connu un ralentissement en 1994-1995, ce qui a permis aux quantités de croître plus vite que ces derniers. Les exportations camerounaises
de bois brut représentent 10,5 % du total des exportations. C'est la filière la
plus importante après le pétrole et le café. L'exploitation du bois a pris la
place qu'occupait jusque-là le cacao.
b) Le cacao brut
Les quantités du produit ont connu une baisse depuis 1991-1992. Cette
mauvaise performance a aussitôt cédé place à une reprise dès 1994-1995,
correspondant à la première campagne cacaoyère après la dévaluation. La
flambée des cours qui a suivi a redonné confiance aux planteurs, d'où l' augmentation des quantités exportées en 1995-1996. En 1996-1997, la baisse
de 13 % par rapport au volume exporté de 1995-1996 serait due aux problèmes climatiques, une sécheresse ayant décimé des plantations entières
dans certaines régions proches de la savane.
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
171
c) Le café
L'évolution du produit est semblable à celle du cacao. Le volume exporté
a régulièrement baissé entre 1991-1992 et 1993-1994. La reprise en 19951996 s'expliquerait par la hausse des cours mondiaux observés au lendemain de la dévaluation. La situation des cours a redonné confiance aux
planteurs. Ces derniers ont mieux entretenu leurs plantations. II a fallu
attendre 1995-1996 pour que cela ait un effet sur les quantités produites et
exportées. Les exportations de café représentent 13,92 % du total des
exportations.
d) Le caoutchouc brut
Pendant que le cacao et le café présentent des signes de ralentissement en
1996-1997, le caoutchouc naturel continue sa course, aidé en cela par les
cours mondiaux. Sous l'impulsion de la nouvelle parité du franc CFA le
produit maintient la croissance entamée depuis 1994-1995 de la valeur de
ses exportations.
e) Le coton brut
II fait partie des produits qui ont enregistré une augmentation de leur
valeur unitaire soutenue par la hausse des cours. Cette hausse est maintenue
au cours de l'année 1996-1997. On estime à près de 80 % l'augmentation
en quantité et en valeur des exportations du produit par rapport à l'année
précédente qui a connu elle-même une évolution nette par rapport à l'exercice 1994-1995. Malgré la guerre entre la banane CFA et la banane dollar,
les bananes fraîches camerounaises se sont mieux comportées sur le marché international.
ft
Les bananes fraîches
La répartition du marché européen de la banane a donné lieu à ce que certains n'ont pas tardé d'appeler« guerre de la banane CFA contre la banane
dollar ». Cependant, l'augmentation de la qualité et du rendement a joué
pour le Cameroun. Un autre exemple est celui de la Côte d'Ivoire.
D'ailleurs, c'est un même groupe qui contrôle les structures de production
dans les deux pays. Dans les bananeraies du littoral, souligne l' International Trade, le rendement annuel est passé de 25 tonneslhectare avant avril
1994 à près de 40-45 tonneslhectare aujourd'hui. Le produit se maintient
sur le marché international grâce à sa qualité dite extra qui l'emporte sur
celle des pays de la zone dollar et notamment des Antilles. Les quantités
exportées augmentent sans cesse malgré le recul de 15 % en 1996-1997.
Tableau 3. Évolution des exportations des fruits et
légumes camerounais par avion et bateau
Années
1994/95
1995/96
1996/97
Exportations en tonnes
796
9584
10 676,9
Sources: Jeune Afrique économie, n° 254, déc. 1997.
172
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
g) Les fruits et légumes
Les ananas et les oléagineux sont aussi des filières qui enregistrent un
regain d'intérêt à l'exportation malgré des volumes de production encore
faibles. Il en est de même du haricot vert, du haricot sec, des oignons et
d'autres produits vivriers. Le tableau suivant présente l'évolution des
exportations des fruits et légumes camerounais par avion et bateau en tonnes, entre 1994-1995 et 1996-1997.
h) La pomme de terre: une fausse note dans le concert
Dans la région de Dschang, souligne La Sentinelle, la production de la
pomme de terre nécessitait environ 500 000 francslhectare. L'achat des
semences représentait 70 % du coût total de production, compte non tenu
de la main-d' œuvre. Après la dévaluation, le coût de production a augmenté
pour se situer à 700 000 francslhectare. Ceci a eu pour conséquence la
réduction de la marge bénéficiaire de 260 000 francs environ à près de
100000 francslhectare. La pomme de terre fut ainsi l'une des cultures les
plus affectées par la dévaluation à cause des exigences en intrants importés
(engrais et pesticides). Cette augmentation des coûts de production a
entraîné la substitution de la culture de la pomme de terre à celle de maïs,
du haricot ou encore de l'arachide. La baisse de la production qui s'en est
suivie a provoqué une chute des exportations du produit dans la sousrégion, notamment vers le Gabon, qui est l'un des principaux clients des
produits vivriers camerounais.
Les produits bruts hors pétrole ont connu une progression. Cette progression s'explique surtout par la hausse soutenue des cours mondiaux qui a eu
pour effet l'augmentation des prix aux producteurs. Le graphique suivant
retrace l'évolution des cours moyens internationaux des principaux produits de base.
Figure 3. Évolution des cours moyens internationaux exprimés en
FCFAlkg des principaux produits exportés
2000
1800
1600
1400
___ cacao
1200
___ café arabica
1000
- - coton
800
600
400
200 -/'
"..-
o l~~------'. . . . . . . . ----r--·'----------'---~-.---,~--------.-----~-----.------r-""'-_·Î
Source: Le Cameroun en chiffres, janvier 1997.
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
173
La tendance à long tenne donne une courbe en « M » pour tous les produits. Après une légère stabilité entre 1972 et 1975, la première envolée
date des années 1976-1977. La chute qui suivra correspond à la crise de la
tin des années 1970. La reprise des cours amorcée après cette crise s'explique par la hausse des cours du dollar par rapport au franc français, les
exportations du pays étant libellées en dollars. Les effets de la crise actuelle
ressentis au Cameroun dès 1986 expliquent la nouvelle chute des cours. La
baisse se poursuivra jusqu'en 1993. Il faudra attendre la dévaluation du
franc CFA pour observer la présente flambée des cours pour des raisons
évoquées plus haut. Les prix des principaux produits exportés suivent les
variations du taux de change. Ils ont plus que doublé entre 1993 et 1994
pour tous les produits. Le principal effet est l'augmentation de la part des
produits agricoles dans les recettes d'exportation. Cette part passe de
30,9 % en 1992-1993 à 38,5 % en 1993-1994, six mois après la dévaluation. Elle représente 37,2 % en 1995-1996 et 37,4 % en 1996-1997. Si les
produits agricoles ont fait un bon en avant soutenu tantôt par les cours,
comme l'illustre le graphique, et tantôt par l'augmentation des quantités, tel
n'a pas été le cas des produits industriels.
Dévaluation et compétitivité à l'exportation des produits industriels
« made in Cameroun»
La part des recettes d'exportation des produits industriels est demeurée
stable (16-17 % du total des exportations). La moyenne pour les dix dernières années est de 15,6 %. La dévaluation a provoqué une légère hausse
par rapport à 1992-1993. Cependant, en 1996-1997, la part des exportations
industrielles atteint le niveau le plus bas depuis 1989-1990, soit 10,5 %. Si
l'industrie marque le pas sur place quand elle ne recule pas comme l' illustrent ses perfonnances de 1996-1997, l'on se pose la question de savoir si
l'augmentation de la production agricole pourrait à elle seule apporter à
tenne une solution au problème de l'emploi.
Les tinnes camerounaises ont été créées dans l'optique d'imports substitution. Il fallait produire des biens destinés pour la consommation locale.
Les distorsions du taux de change du franc CFA (monnaie restée surévaluée) ont longtemps pénalisé l'industrie du pays. Vu la situation, les experts
de la Banque mondiale se sont prononcés pour la dévaluation qui devait
rendre les tinnes locales compétitives tant sur le marché local qu'international. Cependant, après la correction du taux de change, tout n'est cependant pas au mieux dans l'industrie camerounaise.
La mauvaise perfonnance des produits industriels « made in Cameroun»
peut être observée à travers le comportement de leurs exportations. La
baisse tant en quantité qu'en valeur de ces produits est observée depuis plus
d'une décennie. Cette baisse se continne après la dévaluation. La dévaluation n'a entraîné qu'une progression limitée des exportations; soit 8 % en
1993-1994. La progression n'aura été qu'éphémère. Déjà en 1996-1997,les
exportations industrielles représentent environ 214 711 tonnes. C'est le
niveau le plus bas jamais atteint depuis 1989-1990. La situation préoccu-
174
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
pante de l'industrie locale a poussé les autorités locales à créer dès le 31
décembre 1997 un comité de compétitivité chargé d'identifier les obstacles
à la compétitivité de l'industrie locale et de proposer des mesures pour
abaisser les coûts de transaction. La composition de ce comité (le secteur
privé y est largement représenté) fait croire que l'État voudrait compter sur
le secteur privé pour la relance de l'économie. Le graphique suivant montre
l'évolution des exportations industrielles de 1989-1990 à 1996-1997.
Figure 4. Évolution des exportations industrielles entre 1989/90
et 1996/97
600000
500000
___ valeur en millions de
F.CFA
400000
____ quantitée en tonnes
300000
89/90
90/91
91/92
92/93
93194
94/95
95/96
96/97
Source: MINEFIIDSCN.
La baisse continue des quantités exportées illustre la mauvaise performance du secteur industriel sur le marché international. Dans l'hypothèse
où l'ensemble des exportations est réalisé en devise, la légère hausse en
valeur s'explique par le fait que la dévaluation a entraîné une augmentation
du prix à l'exportation exprimé en monnaie nationale. Le mauvais comportement du secteur industriel nous amène à nous poser la question de savoir
si le franc CFA sert effectivement, du moins dans le cadre du Cameroun, à
développer l'industrie locale qui demeure peu compétitive sur le marché
international. La question est de savoir pourquoi cette contre-performance
sur le marché international?
En effet, la théorie du commerce international repose, entre autres, sur les
avantages comparatifs et les distorsions qui affectent la compétitivité industrielle. L'avantage comparatif répond à la question de savoir si une économie gagne à produire un bien exporté. En d'autres termes, il faut vérifier si
une activité locale de production utilise plus efficacement les ressources
que ne le fait le reste du monde. Si tel est le cas, le pays gagne plus à produire un bien qu'à l'importer. Le CCRI!, qui compare la valeur ajoutée
internationale à la valeur au prix de référence (sans distorsions) des ressources locales entrant dans la production, permet de répondre à cette question.
1. Coefficient de Coût en ressources intérieures.
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
175
CCRI < 1 signifie que la valeur du produit au prix mondial dépasse celle des
ressources consacrées à sa production. Le pays utilise alors plus efficacement ces ressources que le reste du monde. Lorsque la valeur ajoutée internationale (VAl) est négative, le calcul du CCRI pose problème. Nous
pouvons aussi définir le coût unitaire (CU) comme étant égal au rapport du
coût total (CT) sur la valeur du produit (PQ). Le coût total au prix de référence (CUPR) sera le même coût exprimé sans distorsions. Ce coût permet
d'expliquer pourquoi une entreprise qui al' avantage comparatif n'exporte
pas. En effet, lorsque CCRI < 1 et que l'entreprise n'exporte pas, cela signifie que les distorsions lui sont défavorables.
Nous nous proposons de donner une explication à la contre-performance
du secteur industriel en nous basant sur le CCRI (ou le cas échéant sur le
CUPR). Pour ce faire, nous utilisons les résultats d'une enquête menée
auprès de quelques entreprises produisant les principaux produits exportés.
Les données sont relatives aux années 1991-1992 et 1994-1995. Nous distinguons les monopoles des firmes en situation de concurrence.
1) Les produits des monopoles
Le Cameroun détient le monopole de certains produits en UDEAC. Il
s'agit des planches en aluminium, des piles électriques et des allumettes.
a) Les planches
Le pays exporte les planches vers la République centrafricaine, le Congo,
le Gabon et hors UDEAC. Ces planches servent à la fabrication des tôles.
Les exportations des planches ont normalement augmenté, passant de
3,612 milliards en 1991-1992 à 8,782 milliards en 1994-1995. Malgré cette
évolution, le monopole est coûteux pour l'économie du pays. Ses intrants
échangeables proviennent à 95 % de la multinationale européenne. Pour un
franc de production, l'entreprise dépense 0,77 franc uniquement en intrants
échangeables 2• MSA (1988) souligne que le monopole consomme 53 % de
l'électricité vendue au Cameroun à un tarif parmi les plus bas du monde. La
valeur ajoutée au prix international est négative pour les deux périodes.
b) Les allumettes
Le monopole des allumettes n'a pas assez augmenté ses exportations. Le
produit est exposé à la concurrence internationale ainsi qu'à la contre
bande.
c) Les piles électriques
Ce produit bénéficie de la dévaluation de 1994. Les exportations qui
perdent leur valeur entre 1991-1992 et 1992-1993 reprennent légèrement
en 1993-1994. La reprise durera jusqu'en 1995-1996 avant que le recul ne
s'observe en 1996-1997. Le monopole des piles exporte en UDEAC plus
de 30 % de sa production. Les exportations hors UDEAC augmentent
entre 1991-1992 et 1994-1995 (225 millions contre 2,4 milliards. La
2. Le coût unitaire en intrants échangeables est égal au rapport du coût total des intrants
échangeables sur la valeur de la production.
176
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
firme n'étant pas efficace dans l'allocation de ces ressources, ces exportations ne pouvaient que tomber très vite pour atteindre 1,7 milliards en
1996-1997. La dévaluation a permis à l'entreprise de réduire son inefficacité. Sa valeur ajoutée internationale qui était négative en 1991-1992
est largement positive en 1994-1995. Cependant, la firme n'a toujours pas
d'avantage comparatif.
Certains indicateurs des monopoles sont résumés dans le tableau suivant.
Les résultats sont obtenus à l'aide du logiciel JAVINAC de Cockburn
Tableau 4. Quelques indicateurs de performance des
monopoles
Piles électriques
Allumettes
Planches
1991/
92
1994/
95
1991/
92
1994/
95
1991/
92
1994/
95
CU
CU en intrants échangeables
CUPR
distorsions totales
CCRI (Balassa)
exportations en milliards de
francs
1,07
0,63
1,38
-0.31
1,15
0,72
1,11
0,04
1,85
4,538
0,98
0,40
1,45
-0,47
1,16
0,52
1,07
0,09
1,27
1,605
1,1
0,77
1,33
-0,22
1,03
0,78
1,18
-0,14
Source: nos calculs
* = valeur ajoutée internationale négative
*
3,007
*
1,246
*
3,612
*
8,782
Les coûts unitaires sont supérieurs à 1. Les firmes restent cependant en
activité, car elles couvrent les coûts en travail et en intrants. La dévaluation
fait augmenter les coûts en intrants échangeables pour toutes les entreprises.
Les distorsions englobent la protection du produit, la protection des intrants,
les distorsions du taux d'intérêt et les distorsions du taux de change. Elles
diminuent en valeur absolue du fait de la disparition de la surévaluation (distorsion du taux de change) et de la nouvelle réforme fiscalo-douanière.
Aucun monopole n'a l'avantage comparatif. Leur activité fait perdre des
devises à l'économie. Le cas des planches l'illustre fort bien. Les entreprises
sont plus inefficaces en 1991-1992 (valeur ajoutée internationale négative)
qu'en 1994-1995 (valeur ajoutée internationale positive). La dévaluation a
réduit l'inefficacité des monopoles sans les rendre compétitifs.
La réaction des firmes en concurrence ne sera pas uniforme.
2) Les produits des firmes en situation de concurrence
A titre d'illustration, nous n'avons retenu que quelques produits: les
tôles, le plastique, les savons et détergents, les cigarettes et les peintures.
a) Les tôles en aluminium
Pour les cinq entreprises sélectionnées, le produit consomme moins
d'intrants étrangers dans sa production (8,5 % en 1991-1992 contre 3,5 %
en 1994-1995). L'explication est que le Cameroun a une usine de traitement
d'aluminium. C'est un monopole en UDEAC. Parmi ces entreprises, deux
concernaient les exportations en 1991-1992, une seule en 1994-1995. Une
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
177
entreprise fait faillite. La valeur des exportations totales régresse. Elle passe
de près de 4 milliards en 1991-1992 à 2,26 milliards en 1994-1995. Le
résultat reflète la performance des entreprises qui n'ont pas d'avantage
comparatif avant et après la dévaluation.
b) Les plastiques
Il s'agit des plastiques ménagers, des plastiques industriels et des chaussures en plastique. Quatre entreprises n'ont pas exporté en 1991-1992.
Parmi ces entreprises, une a exporté 53 % de sa production en 1994-1995.
Les ventes de cette entreprise connaissent une évolution nette: 1 milliard en
1991-1992 contre 1,5 milliards de francs en 1994-1995. Deux entreprises
exportent en 1991-1992. Leurs exportations représentent 2 % du total des
ventes pour la plus grande et 13 % pour la seconde. Les valeurs à l'exportation de ces entreprises augmentent de 55 millions à 1,2 milliard. Cette
progression est attribuable à la plus grande firme.
Les six entreprises retenues dans le secteur des plastiques ont exporté
59 % de leur production en 1994-1995 contre 6 % seulement en 19911992. Il faudra ajouter une explication autre que la dévaluation à cette évolution favorable. La dévaluation a rendu la plus grande entreprise compétitive. La firme al' avantage comparatif en 1994-1995. Les autres entreprises
réduisent leur inefficacité.
c) Les savons et détergents
Ces produits enregistrent une baisse considérable. La plus grande firme
exporte 70 % de sa production en 1991-1992. Ce taux est de 52 % en 19941995. La libéralisation et la dévaluation entraînent une perte des parts de
marché des entreprises. Une des explications est que les entreprises augmentent leur coût de production. La régression du produit sur le marché
international se confirme en 1996-1997, soit une baisse de 92 % en quantité
et 96 % en valeur par rapport à 1995-1996 pour l'ensemble des savonneries.
d) Les cigarettes
Les cigarettes enregistrent une avancée nette. Leurs exportations ont augmenté de 847 millions en 1992-1993 à 2,8 milliards en 1994-1995. Les
deux entreprises du pays ont l'avantage comparatif pour les deux périodes.
C'est ce qui explique leur compétitivité sur le marché international après la
dévaluation et la nouvelle réforme fiscalo-douanière.
e) Les peintures et vernis
Les deux fabricants de peintures n'ont pas d'avantage comparatif en
1991-1992. Leur valeur ajoutée au prix international est d'ailleurs négative.
Les distorsions leur sont favorables pour la même année. Ils exportent ainsi
pour 694 millions de francs. Après la dévaluation, une seule firme continue
à exporter. C'est la plus importante. Celle-ci, qui améliore ainsi sa performance, a l'avantage comparatif. Les distorsions favorables baissent en
valeur absolue en 1994-1995 du fait de la dévaluation et de la réforme fiscalo-douanière. Les exportations ne sont plus que de 203 millions de francs.
178
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Le tableau suivant présente l'évolution de quelques indicateurs des entreprises retenues.
Tous les produits retenus enregistrent une baisse de la proportion
d'intrant consommée sauf les bières. Trois produits améliorent leurs exportations. Il s'agit des cigarettes, des plastiques et des bières. Les tôles, les
savons et détergents et les peintures reculent. Aucun fabricant de tôles n'a
l'avantage comparatif pour les deux périodes. Le plus important a une
valeur ajoutée internationale négative pour les deux années. Le fabricant
des savons a l'avantage comparatif. Cependant, les distorsions lui sont
défavorables. Ces distorsions augmentent ses coûts de production au-dessus de 1 (voir annexes). La firme souffre aussi de la contrebande.
Tableau 5. Quelques indicateurs relatifs aux produits exportés
Produits
(nombre d'entreprises retenues)
Exportations
(en milliards de francs
CFA)
1991192
Consommation
intrants importés
(en %)
1994/95
1991192
1994/95
3,731
2,26
8.5
3.2
1,78
6,92
58
54
22,672
24
60
76
6,13
5,9
35
29
Peintures et vernis (2)
0,69
0,203
85
84
Cigarettes (2)
0,847
2,831
97
76
Tôles et bandes en aluminium (5)
Plastiques (6)
Bières (4)
Savons et détergents (1)
Source: nos calculs.
Les exportations des produits industriels n'ont pas augmenté comme on
l'aurait souhaité. Cela est-il dû au fait que la réforme était insuffisante pour
apporter un changement convaincant dans la structure des incitations ou
alors à l'augmentation des prix à l'importation des produits intermédiaires?
La seconde hypothèse est vérifiée dans le cadre de l'industrie manufacturière du Cameroun où on a constaté une nette augmentation des coûts en
intrants échangeables après la dévaluation (voir en annexe). La réaction du
secteur industriel est différente suivant le type de produit et de marché.
Malgré leur inefficacité, les monopoles augmentent leurs ventes à l'étranger. Plusieurs firmes soumises à la concurrence reculent. L'importance du
secteur pétrolier masque cette attitude de l'industrie manufacturière.
Le pétrole brut
Les quantités vendues du pétrole brut n'ont pratiquement pas varié entre
1992-1993 et 1993-1994 (0,2 %). Cependant, les valeurs ont progressé de
25,6 %. La contribution du produit aux recettes d'exportation est de 43,2 %
en 1993-1994; 34,8 % en 1995-1996 et 41,5 % en 1996-1997 contre 50 %
en 1992-1993. Ce léger recul s'explique plutôt par la bonne tenue des produits agricoles. Ces derniers ont augmenté leur contribution dans les recettes d'exportation au cours de la même période. Le pétrole demeure la
principale source des recettes d'exportation du pays.
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
179
Une analyse des importations permettra de mieux comprendre l'évolution du solde commercial du pays.
B. LES IMPORTATIONS
Par rapport à l'exercice 1992-1993, il y a eu une réduction des quantités
importées. Cette réduction concerne essentiellement les produits d' équipement industriels qui perdent environ 40 % de leur volume, le matériel de
transport qui enregistre une baisse de 32 %, les produits intermédiaires et
les consommations des ménages (produits agroalimentaires et autres). La
raison de cette baisse est que la dévaluation a entraîné une inflation en
moyenne de 35 %. Cette inflation accompagnée par le bas niveau des salaires au Cameroun a provoqué une paupérisation des populations des zones
urbaines consommatrices des produits importés. Les importations étant
devenues onéreuses, il a fallu se retourner vers les produits locaux tels que
le maïs, le sucre, l'huile de palme ... Il y a substitution des produits importés
faute de pouvoir d'achat. Cette substitution a été limitée. En 1994-1995 les
importations ont connu une croissance positive tant en quantité qu'en
valeur. L'on note une croissance moyenne de 81,5 % en quantité et 52 % en
valeur entre 1994-1995 et 1996-1997. La croissance ainsi observée est attribuable à l'équipement industriel, au matériel de transport et traction, aux
produits agroalimentaires et aux produits miniers bruts. La reprise de certaines de ces importations (équipement industriel et matériel de transport)
constitue un indicateur de relance pour le secteur des investissements, car
l'importation des biens de production a pour objectif le renforcement des
capacités de production nationale, ce qui à terme devrait relancer les exportations des produits finis au cas où l'industrie serait compétitive.
La dévaluation a aussi provoqué un regain d'intérêt pour le commerce
entre le Cameroun et les pays ouest-africains de la zone franc. A titre
d'illustration, les importations du pays en provenance de la Côte d'Ivoire
qui ont difficilement atteint une valeur de 6 milliards sont évaluées à 21,174
milliards de francs CFA en 1996-1997. Celles en provenance du Sénégal
doublent entre 1995-1996 et 1996-1997 et atteignent 8,136 milliards.
Conclusion
L'impact de la dévaluation sur le solde commercial du Cameroun est
positif. On note une amélioration par rapport au niveau d'avant la dévaluation. Malgré un effet valeur important, l'effet volume est appréciable six
mois après la dévaluation. Parallèlement, on observe aussi un renversement
des tendances dans l'évolution du taux de croissance réel, qui passe de 3,2 % en 1993, - 2,6 % en 1994 pour atteindre 3,3 % en 1995 et 5 % en
1996. Ce résultat globalement positif ne nous permet pas d'apprécier la
situation de l'industrie locale dont les performances laissent à désirer. Ce
180
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
qui signifie que le pays compte encore beaucoup sur les produits agricoles
d'exportation qui totalisent en 1996-1997 37,4 % du total des recettes
d'exportation, contre 30,9 % en 1992-1993. C'est la filière la plus importante après le pétrole. Cependant, il y a une note d'inquiétude si l'on s'en
tient, d'une part, à l'évolution des cours de ces produits dont la courbe en
«M )) est synonyme d'instabilité et, d'autre part, à la concurrence des pays
de l'Asie du Sud-Est qui est tellement forte qu'on se demande ce que
deviendra le secteur dans le long terme étant donné la perte des parts de
marché par le continent africain au profit de l'Asie.
L'instabilité des cours a plusieurs sources. La principale est le taux de
change dollar/franc. Cette situation permet de se poser la question de savoir
de quoi sera fait l'avenir face à la toute prochaine disparition du franc français. Est-ce la parité euro/dollar qui gouvernera les cours des produits de
base d'ici quelques mois (cas où le franc CFA est rattaché à l'euro), la parité
dollar/« monnaie commune entre les pays africains )) (cas où les PAZF
décident de créer une zone monétaire autonome) ou alors la parité dollar/
«monnaie camerounaise))? Ce dernier cas signifierait renonciation à
l'intégration des économies africaines. Qu'à cela ne tienne, la dévaluation
a beaucoup plus apporté au secteur agricole qu'elle ne l'a fait aux activités
industrielles. La part des exportations industrielles est restée stable avant et
après la dévaluation. La dévaluation a diminué l'inefficacité de la firme
camerounaise sans la rendre efficace. Le secteur pétrolier demeure très
important dans les recettes d'exportation du Cameroun.
Bibliographie
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dévaluation )) La Sentinelle, n° 88 juin.
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Washington Oc.
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L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
181
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.....
Annexes
00
N
Tableau 6. Évolution de la balance commerciale du Cameroun entre 1989-1990 et 1996-1997.
Quantités en tonnes. Valeurs en millions de francs CFA
1989/90
1990/91
v
V
Q
Q
Exportations
825993 553610 806927 545106
dont industrielles
5
103688
2
86675
18,9 408284 15,9
258092
299833
673523
676538
2
9
159151 425810 161563 381150
1
3
127800
156956
598561
(%)
dont pétrole
Importations
1991192
v
Q
835531 518184
2
78812
331036 15,2
262131
696900
3
139489 311091
2
207093
Balance
Source: Direction de la statistique et de la comptabilité nationale
1992/93
1993/94
v
Q
Q
744216 418698 772668
7
62698
5
293824 14,9 317562
195585
563542
615337
4
1
156348 291293 145132
7
1
128456
1994/95
1995196
1996/97
v
v
v
Q
Q
587161 731044 704385 689410 821608
7
93111
116550
8
139988
15,8 344115 16,6 370667 17,1
253392
268728
286064
553894
492452
8
1
311955 176186 442286 207240 572617
3
5
221290
262099
248991
V
Q
763108 982805
102858
3
214711 10,5
408039
529810
9
253435 708169
6
274636
* =estimation
1994/95
1995196
Q
v
ND
ND
ND
ND
ND
ND
ND
ND
ND
ND
ND
ND
v
Q
168055
32957
1062978 76303
113703
72676
75510
69351
51298
33808
42968
35808
~
()
1996/97
Q
147121
155655
100607
82461
78053
78053
~
m
Z
Tableau 7. Évolution des exportations des principaux produits de base entre 1992-1993 et 1996-1997.
Quantités en tonnes; valeur en millions de francs CFA
1991192
1992/93
1993/94
Produits
V
v
v
Q
Q
Q
119814
bananes fraîches
111691
13224
14611
152514
19150
37514
bois brut
568707
521304
36656
794891
80368
cacao brut
88411
31743
83256
25907
77745
30550
31487
cafés
117553
85743
20598
81308
47052
caoutchouc brut
45578
10708
49625
11218
20583
7953
coton brut
44379
17439
49495
28290
48982
29432
Source: Direction de la statistique et de la comptabilité nationale. ND = non disponible
~
v
27938
103295
63222
68405
65421
65421
183
L'IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA
Tableau 8. Cours moyens des principaux produits exportés
Années
1972
1973
1974
1975
1980
1985
1990
1991
1992
1993
1994
1995
cacao
FCFAJkg
café arabica
FCFAJkg
banane
FCFAJkg
coton
FCFAJkg
bois brut
FCFAlM3
161
173
473
318
555
1039
382
381
300
336
720
700
301
324
397
349
771
1456
532
521
431
473
1890
1 710
59
67
81
101
142
248
260
297
227
226
ND
ND
188
264
319
219
380
572
470
476
317
350
850
990
14915
28424
28168
28873
55555
69833
100 347
99722
99167
99340
ND
ND
Source: Le Cameroun en chiffres.
Tableau 9. Évolution de l'avantage comparatif (du coût en
intrants échangeables) de quelques entreprises
camerounaises
Produits
Tôles et bandes en aluminium
- entreprise 1
- entreprise 2
- entreprise 3
- entreprise 4
- entreprise 5
Plastiques
- entreprise 1
- entreprise 2
- entreprise 3
- entreprise 4
- entreprise 5
- entreprise 6
1991/92
1994/95
* (0,69)
5.01 (0,54)
* (0,83)
* (0,72)
1,78 (0,55)
* (0,88)
faillite
5,78
*
*
3,76 (0,54)
* (0,50)
* (0,55)
* (0,59)
ND
ND
0,78 (0,61)
2,41 (0,55)
* (0,78)
1,16 (0,57)
* (0,61)
* (0,66)
0,38 (0,49)
2,74 (0,48)
Savons; une entreprise
0.31 (0,51)
0.55 (0,60)
Cigarettes
- entreprise 1
- entreprise 2
0,48 (0,69)
0,49 (0,44)
0,54 (0,53)
0,54 (0,45)
Peintures et vernis
- entreprise 1
- entreprise 2
Source: nos calculs
*
2,16
* =valeur ajoutée internationale négative;
ND =données non disponibles
8
Performances macroéconomiques au
Cameroun et dévaluation du franc CFA
Par Bondoma Yokono DIEUDONNÉ
La dévaluation fait partie des instruments de politique économique dans
un régime de parité fixe. En particulier, un pays peut être amené à dévaluer
sa monnaie en cas de déséquilibre externe. Théoriquement, la dévaluation
provoque deux types d'effets dans l'économie: un effet prix et un effet de
substitution. L'effet prix a trait à la modification des prix relatifs des biens
(hausse du prix des importations exprimé en monnaie nationale et baisse du
prix des exportations exprimé en devise). Quant à l'effet de substitution, il
résulte de l'effet prix, ce dernier devant susciter une réorientation de la
demande interne vers les produits nationaux. Une telle réorientation de la
demande exerce alors un effet positifsur la production nationale. Par ailleurs,
étant donné la baisse du prix des exportations, exprimé en devise, ce qui traduit un gain de compétitivité au plan international, les quantités exportées
s'accroissent, renforçant ainsi l'impact attendu sur la production nationale.
Mais présentée de cette façon, c'est prétendre que la dévaluation entraîne
partout et toujours les mêmes effets. Or, dans les analyses traditionnelles, la
réussite d'une dévaluation est subordonnée à certaines conditions. Généralement, celles-ci ne sont pas toujours favorables dans les pays africains de
la zone franc.
Pourtant, le Cameroun enregistre, depuis la modification de parité de janvier 1994, des résultats macroéconomiques satisfaisants.
La présente communication se propose de donner quelques éléments de
réponse à la question de savoir quelles sont les variables qui ont ainsi permis
au Cameroun d'enregistrer de telles performances, sans décalage temporel.
L'intérêt d'un tel travail peut être relevé à deux niveaux:
• l'on a souvent eu beaucoup d'appréhensions par rapport aux effets
d'une dévaluation, eu égard à la nature des économies d'Afrique subsaha-
186
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
rienne, au sein desquelles la plus grande partie des recettes d'exportation
provient des produits dont l'offre n'est pas variable à court terme;
• les schémas théoriques présentent généralement un décalage temporel
entre le moment où la dévaluation est réalisée et le moment où elle commence
à générer des effets positifs, notamment au niveau du solde commercial.
Cette étude procède alors par la présentation, dans un premier temps, des
arguments qui fondent les appréhensions des petits pays à procéder à la
modification de leur taux de change et, dans un deuxième temps, des facteurs explicatifs des bonnes performances enregistrées au Cameroun après
la dévaluation de janvier 1994.
Les appréhensions en matière de dévaluation
Les pays africains appartenant à la zone franc n'ont pas souvent manifesté un enthousiasme pour cet instrument de politique monétaire qu'est la
dévaluation. C'est qu'ici, on avance un certain nombre d'arguments qui,
s'appuyant essentiellement sur la structure de ces économies, présentent la
dévaluation comme susceptible d'engendrer plutôt des effets pervers. Ces
arguments ont principalement trait à la « condition de Marshall-LernerRobinson «(condition fondamentale), aux délais d'ajustement, à d'autres
éléments dont la prise en compte n'est pas moins importante, pour la réussite d'une opération de dévaluation.
La condition fondamentale
En se limitant à l'équilibre extérieur, l'effet positif d'une dévaluation sur
la balance commerciale est subordonnée à la réalisation d'une condition
fondamentale, connue sous le nom de «condition de Marshall-LernerRobinson» ou théorème des élasticités critiques. Ce théorème est libellé par
Guillonchon (1993: 205) en ces termes: «Si les élasticités prix d'offre
d'exportations et d'importations sont infinies et si la balance courante, évaluée en monnaie nationale, est initialement équilibrée, la dévaluation
(dépréciation) du change national améliore le solde courant, à condition que
la somme des élasticités soit supérieure à l'unité. » Ceci signifie que si un
pays est en situation de déficit courant avant la modification du change, le
succès de la dévaluation ne peut être assuré (même lorsque la condition relative aux élasticités prix des demandes d'exportations et d'importations est
remplie) que si ce déficit est limité en termes relatifs (Guillonchon, 1993).
S'agissant des pays en développement exportateurs de produits primaires, on estime généralement que la réalisation de la « condition de Marshall-Lerner-Robinson» n'est pas évidente (Raffinot, 1991: 177). Le
volume des exportations n'est pas très sensible aux variations des prix. Les
quantités des produits exportés (de par la nature de ceux-ci) sont en général
PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES AU CAMEROUN
187
fixes à court terme, soit que les récoltes aient déjà été effectuées, soit que
l'augmentation de la production suppose d'importants investissements supplémentaires, ou un délai nécessaire à la maturation des plantes. Par
ailleurs, le volume des importations est souvent peu sensible aux prix. En
effet, les importations sont, pour une grande partie, constituées de biens alimentaires de première nécessité, de produits pétroliers, de biens d'équipement, ou encore de consommations intermédiaires dont les pays en
développement peuvent difficilement réduire la demande sans compromettre le bien-être des populations. Ainsi, la part des produits importés pour
lesquels le mouvement des prix relatifs est susceptible de jouer est assez
faible.
Ces réserves étant formulées sur les élasticités, il faut également tenir
compte des délais d'ajustement.
Les délais d'ajustement
Une modification du taux de change ne se répercute pas initialement sur
le solde commercial. Une dévaluation ou une dépréciation est généralement
suivie d'une dégradation du solde commercial, puis, après un certain délai
variable, d'un redressement de ce solde. On parle ici de la courbe en J pour
illustrer ce profit d'évolution du solde commercial.
Ce phénomène a pu être observé dès la fin des années 1960. L'évolution
en deux temps, et dans une tendance inverse, du solde commercial peut être
expliquée de la manière suivante:
• la manifestation des effets prix (la détérioration des termes de l'échange) : elle est due à la rigidité à court terme des volumes exportés. En effet,
d'une part, les prix à l'exportation en monnaie nationale réagissent très peu,
et même pas du tout, à la modification du taux de change. Ces prix sont
quelques fois fonction de coûts qui sont eux-mêmes rigides. Parfois, ils sont
fixés par contrats, avant la dévaluation, contrats dont les clauses restent
valables dans les mois qui suivent le changement de parité; par ailleurs, les
prix à l'importation en monnaie nationale augmentent du fait du renchérissement de la monnaie étrangère;
• la manifestation des effets quantité (l'amélioration de la balance commerciale). Elle est due à l'augmentation en volume des exportations et à la
diminution en volume des importations. Cette nouvelle tendance, qui apparaît généralement plusieurs mois (parfois même plus d'un an) après la dévaluation, est consécutive à une adaptation des flux commerciaux aux
nouveaux prix. Ainsi, la demande étrangère de produits nationaux s'accroît,
en raison de la diminution en monnaie étrangère des prix à l'exportation, et
la demande nationale de produits étrangers diminue, en raison de l'augmentation en monnaie nationale des prix à l'importation.
Dans le cas des États-Unis, une étude par P.D. Koch et J.A. Rosenweig
(1988) à partir de données mensuelles, pour la période 1973-1986, montre
que la baisse du cours du dollar:
188
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
• engendre une hausse du prix des importations exprimé en cette monnaie, mais avec un décalage élevé (I2 à 18 mois) ;
• ne provoque pas de réaction du volume des importations américaines
avant un délai très long (19 à 42 mois) ;
• ne provoque pas de réaction du prix à l'exportation;
• possède un effet positif, mais faible, sur le volume exporté.
On voit donc, même dans le cas des États-Unis, que tous les effets attendus d'une modification à la baisse de la parité de la monnaie n'ont pas lieu,
compte tenu principalement de l'insensibilité, pendant une longue période,
des importations au taux de change.
D'autres éléments existent, dont la prise en compte est nécessaire pour la
réussite d'une dévaluation. Il s'agit:
• de la possibilité pour les entreprises, d'avoir des comportements de
marge, qui réduisent les effets positifs de la dévaluation sur le solde commercial. En effet, si les importateurs réduisent leurs marges, les prix des produits importés augmenteront moins que prévu et la diminution en volume
des importations sera moindre. Quant aux exportateurs, s'ils augmentent
leurs marges, on assistera à une moindre hausse en volume des exportations;
• de l'existence de capacités de production inutilisées au sein de l'économie nationale;
• de la nécessité de mettre en œuvre un plan de lutte contre l'inflation
importée, celle-ci étant susceptible d'annuler les gains de compétitivité prix
des produits nationaux.
Les facteurs explicatifs des performances du Cameroun
Al' observation des faits et des chiffres, l'on se rend compte que les résultats macroéconomiques du Cameroun se sont améliorés au lendemain de la
dévaluation de janvier 1994. Le taux de croissance du PIB en termes réels
a atteint 3,3 % en 1994-1995, contre - 3,8 % l'année précédente. Il faut
d'ailleurs relever que ce taux de croissance positif est intervenu après pratiquement huit années de récession ininterrompue. Depuis lors, le taux de
croissance du PIB en termes réels s'est situé à une moyenne d'environ 5 %.
L'inflation, après avoir atteint la pointe d'environ 48 % en 1994-1995, a pu
aujourd'hui être maîtrisée. Le commerce extérieur a connu un regain de
vitalité, avec un excédent de la balance commerciale de 291,6 milliards de
francs CFA en 1994-1995 (<< La zone franc », 1997: 150). C'est donc au
double plan du secteur réel et du secteur extérieur, que nous essaierons de
dégager les facteurs explicatifs de ces bonnes performances du Cameroun
après la dévaluation de janvier 1994.
PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES AU CAMEROUN
189
Au niveau du secteur réel
Du côté de l'offre, l'activité a été soutenue dans presque tous les secteurs
d'activité. Dans l'agriculture d'exportation, à l'exception du cacao dont la
production, après avoir culminé à 134000 tonnes en 1994-1995, a ensuite
chuté pour se situer à 125 800 tonnes en 1996-1997, les autres principales
productions d'exportation ont connu une forte augmentation en volume au
lendemain de la dévaluation du franc CFA. C'est le cas notamment du café,
du coton et du bois. Pour ce dernier produit, l'augmentation de la production
a été régulière depuis la dévaluation du franc CFA. De 2 430 000 m 3 produits
en 1993-1994, l'on est passé à 3 500 000 m 3 en 1996-1997. Il est de même
du café, dont la production a presque doublé. De 270 000 tonnes en 19931994, la production est passée à 520 000 tonnes en 1996-1997. Quant au
coton graine, sa production a également connu une augmentation régulière
et très sensible, depuis la dévaluation de janvier 1994. En 1996-1997, la production de coton graine a été de 219 000 tonnes, contre 126 000 tonnes en
1993-1994.
Le secteur des industries manufacturières, après un déclin en 1994-1995
de l'ordre de - 1,35 %, a enregistré une croissance de 8 % au cours des
deux années suivantes (FMI, 1997: 8).
Du côté de la demande globale, celle-ci est passée de 2 915,6 milliards en
1994-1995 à 3 092,1 milliards en 1995-1996, puis à 3 288 milliards en
1996-1997, en francs constants de 1989-1990, ce qui correspond à une augmentation de plus de 6 % entre les deux périodes. Celle-ci est tirée principalement par l'investissement, dont le taux s'est situé à 16 % en 1995-1996
et 17 % en 1996-1997.
Au niveau du secteur extérieur
Face au déséquilibre persistant du compte des transactions courantes du
Cameroun, le réajustement monétaire de janvier 1994 avait pour principal
objectif de rétablir l'équilibre dudit compte, notamment en améliorant le
solde de la balance commerciale. La dévaluation devait alors combiner ses
effets à la libéralisation, pour engendrer une forte expansion tant en volume
qu'en valeur des exportations, une réduction en volume des importations,
celles-ci étant remplacées par les produits locaux.
L'examen de la balance des paiements du Cameroun permet de voir que
le solde de la balance commerciale est passé de 181,2 milliards de francs
CFA en 1993-1994 à 291,6 milliards l'année suivante. Malgré une diminution de l'ordre de 15,5 % en 1995-1996, ce solde est remonté à 374,8 milliards en 1996-1997 (<< La zone franc », 1997).
Quant au solde des transactions courantes, il est redevenu positif au lendemain de la dévaluation, passant de - 94,2 milliards en 1993-1994 à
69,6 milliards en 1994-1995.
L'on relève que les exportations de produits industriels sont celles qui ont
le plus contribué à l'amélioration de ces soldes (commercial et transactions
190
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
courantes). En effet, ces exportations ont progressé de 45,8 % en volume et
de 93,1 % en valeur, entre 1993-1994 et 1994-1995 (Marchés tropicaux,
1997: 2(05). La filière bois en particulier a parfaitement réagi à la dévaluation, avec une hausse des exportations de bois transformé de 139,3 % en
volume et 251,7 % en valeur (ibid.). La plupart des autres exportations
industrielles ont elles aussi connu une forte augmentation, y compris les
produits tels que les tissus textiles, les piles électriques, les savons et autres
produits cosmétiques, qui ont trouvé dans la zone de la CEMAC un marché
privilégié après la dévaluation, se substituant à des biens autrefois importés
d'Europe.
Ainsi, la dévaluation, aidée par une conjoncture mondiale favorable
(hausse des cours des principaux produits exportés) a donné un élan particulier au secteur industriel au Cameroun.
Les performances enregistrées au niveau des secteurs réel et extérieur ont
contribué à alimenter les finances publiques et les comptes monétaires.
Ainsi, le solde primaire par exemple, qui était seulement de 27,8 milliards
de francs CFA en 1993-1994, est passé à 157,8 milliards l'année suivante.
En 1996-1997, il s'est situé à 287,1 milliards (FMI, 1997: 20).
Donc, en dépit des réserves théoriques et des appréhensions d'avant la
dévaluation, l'on se rend compte que l'économie camerounaise a positivement réagi à la mesure de changement de parité monétaire. Cependant, les
bons résultats macroéconomiques enregistrés par le Cameroun ne se sont
jusqu'ici pas fait ressentir au niveau du bien-être des populations. Il apparaît même que la pauvreté s'est quelque peu accentuée. C'est du moins ce
qui ressort de l'étude de la Banque mondiale sur l'évaluation de la pauvreté
au Cameroun (1995), de l'enquête camerounaise auprès des ménages
(1996) et du Rapport sur le développement social (1997). Ces différentes
études ont permis de noter que la pauvreté est un phénomène multidimensionnel, qui se manifeste à travers l'aggravation du chômage (surtout celui
des jeunes), les difficultés d'accès aux services sociaux de base (santé, éducation, eau potable) pour les populations à faibles revenus, la dégradation
des infrastructures économiques et sociales, et la déstabilisation de l'équilibre écologique. Du point de vue alimentaire, près de la moitié de la population totale en 1996 consommait moins de 2 400 calories par jour
prescrites par la FAO comme étant le seuil minimum. La proportion de la
population concernée par cette insuffisance alimentaire est en moyenne de
55 % en milieu rural, et 22 % en milieu urbain (Cameroun, 1998: 5).
Il est alors fort à craindre que les impératifs liés au remboursement de la
dette extérieure ne contribuent pour longtemps encore, à absorber en
grande partie les bons résultats macroéconomiques du Cameroun, au détriment de l'amélioration du bien-être des populations.
PERFORMANCES MACROÉCONOMIQUES AU CAMEROUN
191
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Aupelf.
9
Dévaluation du franc CFA
et importations dans les pays membres
Par Gabriel TATI
Depuis la dévaluation du franc CFA, les exportations des produits primaires ont connu une hausse significative, comme en attestent des études
d'impact. Cependant, les tentatives pour évaluer l'évolution des importations font défaut. Les connaissances sont parcellaires sur ce qu'il en advient
des importations. Ont-elles baissé comme la théorie conventionnelle de la
dévaluation le prédit? Dans quelle mesure ont-elles été affectées par cette
hausse des exportations devenues plus «compétitives»? C'est sur ces
questions que l'étude se penche.
Le présent document se propose d'examiner l'impact de la dévaluation du
franc CFA sur les importations, alimentaires et autres. Il tente d'expliquer
la performance différenciée des pays de la zone franc en focalisant l'analyse sur l'évolution des importations. Dans le débat scientifique sur les
effets positifs de la dévaluation, l'accent est mis sur la dynamique des
exportations. Des liens de cause à effet sont d'ailleurs établis avec facilité
entre la croissance des exportations (minières et agricoles) et celle du produit intérieur brut réel (PIB). On s'empresse maintenant d'établir des parallèles entre la croissance démographique et la croissance du PIB. Un taux de
croissance du PIB plus élevé que celui de la population sert désormais
d'indicateur de la bonne performance économique dans la période postdévaluation du franc CFA. Cette approche analytique soulève plusieurs critiques évoquées dans la contribution. La principale parmi elles relève simplement du fait que le PIB réel est un indicateur d'équilibre général dont
l'une des composantes est le volume des importations. La bonne performance économique d'un pays ne pourrait donc pas se réduire à la croissance de ses exportations ou de celle de son PIB. D'un point de vue de
l'analyse de l'impact de la dévaluation du franc CFA, le volume des impor-
194
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
tations semble donc être un détenninant crucial des retombées de celle-ci.
D'un point de vue de politique économique, les importations sont soumises
à des facteurs structurels qui relèvent parfois des tendances lourdes du
développement (démographie galopante, urbanisation rapide et concentrée,
militarisation excessive, etc.). Ces tendances constituent des contraintes qui
ne rendent pas aisée toute modification profonde de la structure des importations sur le court ou moyen tenne comme le suggèrent les mesures de stabilisation macroéconomiques des programmes d'ajustement structurel
(PAS). Une évolution en hausse est notée des importations parallèlement à
celle des exportations. D'où l'intérêt d'examiner les comportements des
pays par rapport à leurs importations. En plus des questions mentionnées
tout au début de cette introduction, le document tente aussi d'apporter des
réponses aux questions suivantes: quel est le profil des pays par rapport aux
importations après la dévaluation du franc CFA? A quel degré cette dévaluation a-t-elle affecté la structure des importations? Quels sont les facteurs
structurels qui en limitent les modifications profondes? De quelle manière
la croissance du PIE observée après la dévaluation du franc est-elle tributaire de la dynamique des importations?
L'étude cherche à décrire et à expliquer le comportement des pays francophones de la zone CFA par rapport à leurs importations. Elle prend
comme référence temporelle les deux périodes pré et post-dévaluation du
franc CFA. Les variables descriptives et explicatives sont tirées des données
structurelles nationales portant sur l'urbanisation, les exportations, la composition des importations, la dette publique externe, le service de cette
dette, les dépenses militaires, les dépenses de l'administration centrale,
l'assistance internationale au développement. Le modèle statistique utilisé
s'appuie sur une série de régressions multiples, qui pennettront d'identifier
la contribution de ces variables explicatives structurelles sur la variation des
importations. Les données couvrent la période 1980-1996 et se rapportent
aux statistiques produites par plusieurs organisations internationales.
La première section propose un cadre théorique et méthodologique qui
pennet de construire une hypothèse globale de travail à tester et une approche analytique à suivre. Les sources des données y sont aussi présentées.
Dans la seconde section, un examen de la structure des importations est
faite pour en dégager les tendances lourdes qui pèsent sur elles. La troisième section prolonge cet examen en considérant un aspect fondamental
de ces contraintes, à savoir l'environnement financier international qui définit les limites des ressources financières pouvant infléchir la marge de
manœuvre des pays. La quatrième section est une analyse quantitative qui
comporte deux volets. Le premier est l'identification de la force et du type
de relation qui existent entre les variables susceptibles d'influer les importations. Le second volet, s'appuyant sur des modèles de régression multiple, cherche à mesurer leurs effets partiels sur les évolutions annuelles
observées. Une discussion des résultats fournis par les modèles est menée
dans cette section afin de renforcer l'interprétation statistique. Dans la der-
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
195
nière section, on dégage quelques implications de ces résultats sur la définition d'une politique économique pour la période post-dévaluation.
Les relations entre dévaluation du franc CFA et importations:
un cadre théorique
Lorsque au Il janvier 1994, les quatorze l États africains qui forment la
zone franc CFA ont recouru à la dévaluation, tous étaient, à divers degrés,
impliqués dans la mise en œuvre d'un programme d'ajustement structurel
(PAS). Jusqu'à cette date, les pays concernés préféraient recourir à la politique monétaire et budgétaire pour juguler l'inflation et conduire leur PAS,
plutôt qu'à une dévaluation pour ajuster leurs structures économiques (Jacquemot et Raffinot, 1993 : 254). Cette dévaluation a mis fin à une parité du
franc CFA avec le franc français, qui est restée fixe depuis 1948.
Envisagée dans une perspective théorique privilégiant le raisonnement en
termes d'équilibre courant des échanges par le biais de l'élasticité prix, une
telle dévaluation doit faire croître mécaniquement les exportations et
réduire les importations, améliorant ainsi la balance commerciale. Le
renouement avec une compétitivité économique en perte de vitesse est activement recherché à travers cette opération monétaire. C'est d'ailleurs sous
cet aspect fondamental que sont appréciés les effets de cette dévaluation
monétaire en Afrique dans le contexte des programmes d'ajustement structurel (PAS) de type orthodoxe (Banque mondiale, 1996). L'un des principaux objectifs visés à travers la dévaluation du franc CFA est de rendre plus
compétitifs les produits vendus par les pays de la zone sur le marché
international; donc de relancer les économies de ces pays sur le plan international. En dévaluant, le résultat escompté est que les produits d' exportation des pays respectifs, devenus moins chers, se· vendront mieux à
l'étranger, tandis que la demande des produits importés diminuera selon
toute vraisemblance du fait de leur renchérissement. Cependant, cette
réduction mécanique des déséquilibres est largement discutée par de nombreux économistes ayant examiné cette question de dévaluation du FCFA.
La discussion porte essentiellement sur la capacité des pays à réduire leurs
importations et si cela se réalise sur les conséquences négatives que cela
pourrait avoir sur l'activité économique dans son ensemble. D'un autre côté
aussi, on se demande si ayant dévalué leur monnaie, les pays de la zone
FCFA pourraient soutenir des volumes d'importation comparables à ceux
d'avant la dévaluation et contrôler l'inflation qui en résulte. Cette dernière
1. Ces pays sont: le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine,
le Tchad, les Comores, le Congo, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Équatoriale, le Gabon, le
Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. La Guinée-Bissau, qui en est devenue membre en janvier 1997, est exclue de toute l'analyse qui suit.
196
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
préoccupation soulève sans nul doute le problème de l'aide nécessaire pour
soutenir de telles actions. Dans les deux sous-sections qui suivent, ces deux
préoccupations sont examinées dans le but de guider la confrontation de ces
points de vue théoriques avec la réalité empirique observée avant et après
la dévaluation.
Une compression des importations est-elle envisageable dans le
contexte de la zone franc CFA après la dévaluation?
De façon générale, il est reconnu qu'en Afrique, la demande nationale en
biens importés (équipements et autres) est soumise à de fortes rigidités. La
zone franc CFA ne fait pas exception à cette contrainte. Presque partout dans
la zone, il est difficile à un pays de compresser une grande variété de ses
importations. Cette difficulté se trouve d'ailleurs confirmée par différentes
observations portant sur la structure des importations au niveau de chaque
pays. Le besoin en intrants, en biens d'équipement comme en biens finaux
est maintenu important du fait de la faiblesse technologique qui caractérise
ces pays. A quelques exceptions près, les pays africains importent tout. La
liste des importations couvre pratiquement une gamme variée de produits
qu'il serait difficile de rendre compte de façon exhaustive ici. Comme on le
sait aussi, les politiques nationales visant à créer des industries de substitution pour ce qui est de certains produits importés, ont abouti à des échecs.
Cette stratégie industrielle stagne à la phase primaire. Contrairement à ce
qui s'est passé dans de nombreux pays asiatiques et d'Amérique latine, la
progression vers la seconde phase ne s'est pas encore déclenchée (Snider,
1995 : 149-185). Ces industries de substitution sont partout en délabrement
et fonctionnent en deçà de leur capacité. Certaines ont arrêté de fonctionner
depuis longtemps faute de pièces de rechange; elles-mêmes doivent être
importées. D'autres ont cessé toute activité sous la pression des mesures du
PAS. Caricaturant dans un ouvrage le spectacle triste que ces industries (que
certains n'ont pas hésité à nommer éléphants blancs) offrent en Afrique, un
observateur de l'espace francophone dira que « l'Afrique est en panne».
La dévaluation vient trouver les structures industrielles qui ne permettent
plus d'approvisionner les marchés nationaux en produits locaux. Dans ces
conditions marquées par une problématique de substitution des produits
importés par les produits locaux, on peut se demander si la dévaluation pourrait être suivie d'une baisse durable des importations. A cette question, la
CEA dans son rapport CARPAS (NU-CEA, 1989 : 20) adopte une position
très critique. Dans ce rapport, il est souligné que la dépendance excessive des
économies africaines à l'égard de l'extérieur compromet profondément, du
fait de la sous-utilisation de la capacité industrielle, les bénéfices tirés d'une
croissance des exportations des produits de base. Selon les termes du rapport
CARPAS:
« Les conditions relatives à l'offre et à la demande intérieures des produits locaux ainsi qu'à la demande extérieure des produits locaux devant
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
197
être nonnalement remplies pour que la dévaluation soit couronnée de succès ne le sont pas souvent, à cause de la limitation des moyens technologiques qui ne pennettent pas de substituer facilement des produits locaux
[souvent non concurrentiels 2] aux produits importés, tandis que la dévaluation ne joue pas de façon appréciable sur l'élasticité de la demande
extérieure» (CEA, 1989 : 20).
Mbock (1994: 107) a aussi émis des réserves quant à la possibilité d'un
impact positif de la dévaluation du franc CFA sur les importations dans les
pays de la zone. Selon lui, si une diminution des achats à l'étranger, du fait
de l'augmentation du coût des importations, se réalise effectivement « cela
ne saurait être en soi un objectif de politique économique et un élément de
satisfaction ». Aucun pays de la zone du franc CFA ne possède une capacité
productive pour offrir des biens pouvant se substituer à ceux importés.
M'Bock reconnaît aussi les contraintes qu'impose la dépendance technologique sur l'incompressibilité à un niveau considérable les importations
habituelles. D'après ses termes:
« ••• même dans le cas de figure optimiste d'une substitution aux importations, la période d'adaptation nécessaire est trop longue pour ne pas rendre le pari perdu d'avance» (Mbock, 1994 :107).
En relation avec ces deux opinions, Hawken (cité par Goffaux, 1986:
121) souligne que la baisse des importations du fait de la dévaluation serait
une arme à double tranchant lorsque le pays dépend de l'étranger pour un
grand nombre d'approvisionnements essentiels, comme les biens d'équipement, la technologie, l'énergie pétrolière, etc.
Comme on le voit, des doutes sont donc généralement exprimés non seulement sur la capacité d'une dévaluation à stimuler de façon durable les
exportations grâce à des prix davantage compétitifs et à juguler une
demande intérieure de produits importés. Cette dernière porte surtout sur
des biens dont la demande est peu élastique comme les céréales, les produits manufacturés et d'équipement que le pays ne produit pas 3 . C'est la
situation qui prévaut dans les pays de l'Afrique subsaharienne comme le
souligne Martinussen (1995 : 108-111). On peut prédire que toute baisse
d'importations qui se serait produite à la suite de cette dévaluation du
Il janvier 1994, ne pourrait être que de courte durée. Dans cette perspective, il reste à mesurer l'ampleur et la durée de cette baisse. Aussi, il faut
s'interroger sur les mécanismes sous-jacents qui vont intervenir dans la
reprise de ces importations lorsqu'on sait que les recettes d'exportations
sont à elles seules insuffisantes pour soutenir une telle reprise (en plus il y
a la dette à payer et d'autres dépenses internes à assurer).
2. Les mots entre crochets sont de l'auteur.
3. Les regroupements régionaux n'offrent pas d'alternative pour importer un grand
nombre de ces produits à partir d'un pays africain.
198
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Un maintien des importations à leur niveau d'avant la dévaluation
dufranc CFA est-il possible sans aide financière extérieure?
Lorsqu'on confronte certaines considérations portées à l'égard des
importations dans le cadre des PAS actuels et celles à l'égard de la dévaluation, l'on est quelque peu forcé de relever des contradictions liées aux
objectifs et aux conséquences. D'un côté, pour ce qui est des PAS, il est préconisé de libéraliser les échanges avec l'extérieur. Une telle libéralisation
n'a de chance de produire des effets positifs que dans une situation où le
pays est capable d'exporter des produits moins tributaires des chocs extérieurs. Ce qui n'est pas le cas des pays de la zone du franc CFA dont les
exportations subissent fortement ces chocs. D'un autre côté, à travers la
dévaluation, c'est un renchérissement des importations que l'on obtiendrait
si ce n'est une baisse des importations.
Examinant ce point, Jacquemot et Raffinot (1993 : 266) ont souligné que
la forte inflation qui résulte d'une dévaluation sur les produits importés peut
provoquer une modification dans la répartition des revenus au seul profit des
commerçants et des entrepreneurs locaux. La consommation est également
affectée du fait de la réduction des revenus réels des autres catégories sociales, ainsi qu'une augmentation de l'épargne. Inéluctablement, une consommation en baisse ne peut rester sans effet sur l'activité économique. Le
résultat final de toutes ces interactions serait une réduction des importations
dont la cause majeure n'est pas dans la substitution des produits locaux aux
produits importés, mais dans la récession. Les PAS actuels cherchent à éliminer les comportements de recherche de rente (rent-seeking) que créent
certaines de ces importations considérées comme «mauvaises 4 ». Cette
recherche de rente est, dit-on, une caractéristique des groupes urbains en
Afrique subsaharienne.
En effet, l'urbanisation est généralement présentée comme l'un des facteurs liés aux biens concurrents des importations. Elle s'accompagne de
nouvelles habitudes de consommation qui génèrent une demande importante à satisfaire par des volumes croissants de biens et services que le pays
ne produit pas. Ainsi, l'industrie qui s'est fortement implantée dans les villes est une industrie qui utilise très peu de matières locales; ce qui exige par
conséquent d'autres importations très onéreuses. Dans son rapport relativement célèbre, la Banque mondiale (1989) attribue l'accélération du rythme
d'urbanisation dans les pays africains aux politiques tendant à favoriser les
villes. Comme cela apparaît dans cette publication, la position de la Banque
mondiale est extrêmement critique vis-à-vis des modèles de gestion du phénomène urbain en Afrique. Selon cette institution, de nombreux gouvernements africains ont mené des politiques macroéconomiques favorisant
nettement le secteur urbain (Banque mondiale, 1989: 51). L'implantation
de grandes industries à forte intensité de capital s'est développée dans les
4. Ce tenne sera discuté dans la section qui examine la structure des importations.
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
199
grandes villes, encouragée pour cela par des politiques commerciales et de
crédits « biaisées» en faveur des citadins. Le secteur agricole a été délaissé
et appauvri au seul profit des consommateurs urbains. Cette position de la
Banque est fortement liée à celles qui ont préconisé la stabilisation et les
réformes sectorielles menées dans le cadre des politiques d'ajustement
structurel et du changement de parité du franc CFA. Les objectifs visés ont
été de réduire le biais urbain et d'accroître les revenus des paysans par la
relance des exportations rendues plus compétitives.
Sur un autre plan, l'assistance financière internationale extérieure a
connu aussi l'émergence d'une position ferme sur sa disponibilité et son
utilisation de la part des bailleurs de fonds. La raison étant que cette aide est
détournée au profit de ces importations mauvaises qui encouragent le biais
urbain (Lipton, 1977; Bates, 1981). Cependant, l'aide internationale apparaît également comme un facteur important de la réussite de la dévaluation
(Conté, 1994 : 40). Le retour à l'équilibre externe est obtenu grâce à l'effet
combiné de l'accroissement des exportations et de la réduction des importations. Il est aussi présagé qu'étant donné l'ampleur de la modification de
la parité, les importations chuteront (et notamment celles des produits de
luxe). Cette prédication est très problématique étant donné la structure des
importations de la zone du franc CFA. Il reste à savoir si la dévaluation
aurait amélioré la balance commerciale des pays de la zone par l'effet simple des exportations (sans aide). Au plan théorique, cette amélioration
n'obéit pas à une relation causale. Lindert et Kindelberger (1983 : 347) soulignent que ce résultat n'est pas évident. En effet, s'il est vrai qu'à la suite
d'une dévaluation, une évolution dans le sens d'une baisse des prix et des
quantités peut être observée, il n'en reste pas moins que des exportations en
baisse ou en stagnation ne sont pas susceptibles d'affecter positivement la
balance commerciale nette. Cette question devient plus complexe dans les
pays de la zone CFA pour lesquels il y a peu (sinon pas) d'informations sur
les élasticités sous-jacentes de la demande et de l'offre à la fois sur le marché des exportations et sur le marché des importations.
Il est aussi admis par beaucoup d'économistes que la dévaluation du franc
CFA ne reposait sur aucune analyse sérieuse et objective de la réalité économique prévalant dans ces pays. Cela est souligné avec force par de nombreux auteurs dans un volume de la revue Politique africaine (1994)
consacré à la dévaluation du franc CFAs. La flambée des prix (et dans certains cas le doublement mécanique) observée dès le début de la période
post-dévaluation (tableau 1) rend compte de cette faiblesse structurelle au
niveau des systèmes nationaux de production. Cela est un indicateur que
certains économistes bien avertis ont d'ailleurs bien prédit (Krugmann et
Taylor cité par Jacquemot et Raffinot, 1993 : 227). La raison dominante de
cette mesure, au demeurant impopulaire, résidait dans la très problématique
5. Il convient de souligner ici que certaines des spéculations émises dans ce volume sont
indirectement prises en compte dans l'hypothèse de travail testée dans la présente analyse.
200
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
retombée financière engendrée par un financement extérieur d'origine
publique ou caritative (Coussy, 1994). La dévaluation était la condition
posée par les bailleurs de fonds pour espérer recevoir l'assistance financière
de l'extérieur. A ce propos, Coussy souligne que:
« En refusant explicitement de consentir des avances aux pays qui ne
dévalueraient pas, le but de la dévaluation devient explicitement, pour les
pays de la zone franc, d'obtenir le retour des aides multilatérales, puis
après l'alignement français, d'obtenir le maintien de l'aide bilatérale. Les
pays de la zone ont procédé à la dévaluation quelles que soient leurs anticipations sur l'impact commercial de la dévaluation. Il est probable que,
tôt ou tard, on leur reprochera, une fois de plus, de ne pas avoir "intériorisé" ce discours» (Coussy, 1991 : 22).
Ce qu'il convient de souligner au sujet de cette conditionnalité relative au
maintien du financement extérieur, c'est la génération d'une demande supplémentaire des aides dans le cadre des mesures d'accompagnement de la
dévaluation. Ces mesures avaient été jugées nécessaires du fait que toute
dévaluation crée des tensions inflationnistes dont les répercussions sont
visibles sur la hausse des prix des produits importés. Des contradictions très
pertinentes ont été relevées pour ce qui est de l'évolution future des relations entre l'aide, la dévaluation du F CFA et l'ajustement structurel proprement dit. Pour Coussy par exemple (1994), la dévaluation du F CFA est
génératrice d'une demande supplémentaire d'aide financière de l'extérieur.
Du fait des effets inflationnistes qui peuvent en découler, cette demande,
comme tout financement extérieur, peut freiner l'ajustement préconisé par
un effet de glissement vers le haut des dépenses publiques, une perpétuation
du déséquilibre commercial. Comme on le sait, la réduction des dépenses
publiques est l'un des objectifs premiers de l'ajustement. La crainte de voir
ces effets pervers de la dévaluation se matérialiser dans les faits devait susciter un intense débat entre les institutions financières (auxquelles s'était
jointe ouvertement la France) et les gouvernements des pays de la zone
F CFA sur ce que devraient contenir ces mesures d'accompagnement de la
dévaluation. L'on se rappellera d'ailleurs que bien après cette dévaluation,
tout au long de l'année 1994, ce débat a perduré car les « fameuses» aides
promises se faisaient toujours attendre pour beaucoup de pays de la zone.
Ceux qui avaient commencé à les percevoir, comme la Côte d'Ivoire et le
Sénégal (pour des raisons obscures), elles leur étaient versées au « comptegouttes ». Le processus d'octroi était (et il l'est toujours jusqu'ici) sélectif
pour des raisons qui ne sont pas toujours purement économiques. Pour
Coussy, « la dévaluation a été non seulement une conditionnalité de l'aide
mais aussi une occasion de renforcer, sous le terme de mesure d'accompagnement, les autres conditionnalités ».
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
201
Tableau 1 - Niveau de l'inflation dans
quelques pays après la dévaluation
Pays
Bénin
Burkina Faso
Cameroun
Centrafrique
Tchad
Comores
Congo
Côte d'Ivoire
Guinée Équatoriale
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
1994
54
nd
48
45
nd
nd
61
32
nd
35
35
36
nd
nd
Source: CIA (1996)
Une hypothèse de travail
Au regard de tout ce qui précède et tenant compte des questions posées
dans la section introductive, on peut à présent prédire que toute baisse des
importations ne peut être que temporaire compte tenu des besoins importants que le système économique national ne peut satisfaire à partir des ressources locales. Dans cette reprise, l'aide internationale a certainement
joué un grand rôle. L'hypothèse globale pour ce qui est du comportement
des pays de la zone vis-à-vis des importations peut être formulée dans les
termes suivants: suite à la dévaluation, les importations ont connu une
baisse dans tous les pays de la zone en 1994. En réponse à cette baisse, un
ajustement vers la hausse s'est opéré par la suite, du fait de l'incompressibilité des besoins internes. Cet ajustement a été variable selon le positionnement du pays par rapport aux marchés extérieurs pour les produits
primaires exportés et à l'assistance financière internationale.
Pour tester cette hypothèse, des données structurelles de nature macroéconomique sont utilisées. Elles sont passées en revue dans la section qui
suit, avec quelques informations sur leurs sources et leur utilisation dans le
modèle d'analyse.
Sources statistiques et méthodes d'analyse des informations
Les sources statistiques
Compte tenu de la complexité que comporte l'interprétation des résultats
à venir, il semble indiqué de fournir quelques détails sur la démarche qui a
prévalu tout au long de la sélection des statistiques. Il convient tout d'abord
202
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
de souligner certaines exigences techniques liées à la constitution d'une
base de données à la fois cohérente et pertinente pour un travail statistique
comme celui qui est effectué dans ce document.
La première exigence est celle d'utiliser des données produites sur la base
des mêmes méthodes de mesure. Cela permet d'établir des comparaisons à
la fois dans le temps et dans l'espace. C'est pour cette raison que l'auteur
du présent travail a jugé indispensable le recours à des sources statistiques
internationales. La deuxième exigence renvoie à l'établissement de séries
chronologiques assez fournies et robustes pour pouvoir cerner les tendances instructives sur les faits observés. Pour cette seconde exigence, force est
de reconnaître la grande difficulté de (re)construire de telles séries pour toutes les variables retenues dans ce document. Les données ne sont pas disponibles pour cela. Pour certaines variables, les raisons à cela tiennent tout
simplement à la nature des opérations de collecte au cours desquelles les
informations sont obtenues. Un indicateur d'urbanisation comme par
exemple la proportion de citadins à l'échelle nationale est généralement
dérivé d'un recensement de population effectué tous les dix ans dans le cas
des pays africains. Une série détaillée par année pour un tel indicateur est
difficile à obtenir, à moins d'utiliser les estimations établies par les Nations
unies qui sous-estiment quantitativement l'urbanisation de manière considérable. Pour les autres variables surtout économiques, bien que des séries
soient reconstituables, l'information est relativement plus fournie avant la
dévaluation qu'après celle-ci. D'une manière générale, les sources statistiques internationales consultées se rapportent aux rapports annuels publiés
à la fin de 1997. Par conséquent, une série lorsqu'elle est fournie de façon
maximale ne peut couvrir que jusqu'à l'année 1996. (Dans la plupart des
cas, seule l'année 1995 y figure.) Encore faut-il souligner que pour de nombreuses statistiques publiées, les chiffres disponibles sur l'année 1996 ne
sont que provisoires. De même l'information sur l'année 1997 ne sera disponible que dans les rapports annuels qui seront publiés à la fin de 1998.
Cette contrainte a nécessité que l'analyse soit beaucoup plus concentrée
dans la période 1993-1996. Cela bien entendu n'exclut pas qu'on tienne
compte des tendances observables durant les années antérieures d'ajustement structurel. La troisième exigence est celle de manipuler des données
issues d'une même source internationale ou des sources assez voisines.
Cette exigence est relativement facile à satisfaire pour ce qui est des variables macroéconomiques relevant du commerce extérieur et des transferts
financiers internationaux.
Ces quelques exigences évoquées, le tableau 2 ci-après indique les différents types de données qui ont été examinées et leurs sources d'obtention.
Les références complètes figurent en bibliographie. Au total, la base de
données constituée comporte 39 variables. Ces dernières ont été utilisées
dans l'analyse lorsque leur pertinence s'est avérée nécessaire pour soutenir
l'argumentation.
DÉVALUATIaN DU FRANC CFA ET IMPORTATIaNS
203
Méthodes d'analyse des données
Comme cela a été indiqué dans l'introduction, l'approche analytique se
propose dans un premier temps de décrire les tendances sur les importations
pour en dégager les différentiels selon certaines variables et, en fin de
compte, de les expliquer. Tout au long de cette analyse, la variable dépendante sera donc le montant exprimé en millions de dollars (US) des importations. Les détails sur les procédures statistiques sont exposés ultérieurement. Il convient de souligner ici que l'analyse quantitative n'examine
pas l'effet qu'exerce l'appartenance des pays à l'une des deux sous-zones
monétaires que sont l'UMOA (l'Union monétaire ouest-africaine) et la
CMCAC (Communauté monétaire et économique de l'Afrique centrale) sur
l'ampleur des importations. Cette omission est valablement justifiée pour
deux motifs. En premier lieu, les importations proviennent des pays situés
hors du continent. Sur ce plan, les échanges entre pays d'une même organisation régionale sont relativement marginaux. En second lieu, L'influence
de l'appartenance à l'une de ces deux zones sur les importations doit être
appréhendée à travers un modèle statistique s'appuyant sur la régression
logistique (dans un tel modèle, les variables zone et importation sont dichotomiques 6), différente de la régression multilinéaire retenue dans le présent
document.
Les importations dans la zone F CFA après la dévaluation
Comme cela a été indiqué dans le tableau précédent, l'observation porte
sur deux aspects des importations à savoir leur valeur en millions de dollars
(américains) et leur structure exprimée en pourcentage de biens importés.
Les services n'y sont pas inclus par nécessité de bien traiter cette variable.
Les tableaux 3 et 4 font ressortir, respectivement, les fluctuations annuelles
par pays dans les ratios exportation sur importation et dans les volumes des
importations.
Un premier constat fait ressortir que pour l'ensemble de la zone, le ratio
exportation importation est demeuré supérieur à 1 sur la période observée.
6. Il est envisagé d'appliquer cette méthode statistique dans une étude ultérieure qui
prolongera celle-ci.
204
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 2 - Variable selon la source internationale fournissant
l'information
Variable
Indicateurs
Dernière année
couverte
Source
Urbanisation
Degré d'urbanisation
1995
CEPED (1993)
et Banque mondiale (1997)
Exportations
-Montant en millions de $
des marchandises (f.à.b)
-Taux de croissance
-Structure (%)
1996
Banque mondiale
(1997)
CEA (1996)
Importations
-Montant en millions de $
des marchandises (f.à.b)
-Taux de croissance
-Structure(%)
1996
Banque mondiale (1997)
CEA (1996)
Assistance financière
internationale
Montant en millions ($)
1996
OCDE (1997)
Dette totale extérieure
-Montant en millions ($)
-Ration sur exportations
1996
Banque mondiale (1997)
Service de la dette
-Montant en millions de $
des dépenses militaires
CIA (1997)
1996
(selon le pays)
Dépenses de l'administration centrale
-Proportion du PIB
Produit intérieur brut
Taux de croissance
1996
Inflation
Taux d'inflation
1994
(selon pays)
Banque mondiale(1997)
CIA (1997)
Cela reflète probablement le poids des pays producteurs de pétrole. Ce
ratio est cependant variable d'un pays à un autre. Pour de nombreux pays,
il s'est sensiblement rapproché de l'unité après 1994; signe de l'effet de
hausse enregistré au niveau des exportations 7 . Les volumes d'importations
par pays connaissent aussi ces fluctuations annuelles. Ces variations
annuelles sont liées aux besoins et aux moyens financiers dont dispose chaque pays. Toutefois, au-delà de ce constat quelque peu trivial, des tendances
frappantes apparaissent. En premier lieu, lorsqu'on se positionne un an
avant la dévaluation, l'on peut observer que 1993 et 1994 sont visiblement
des années qui marquent une rupture nette. Pour 1994, à l'exclusion de trois
pays (le Niger, le Tchad et le Congo), tous les autres pays de la zone F CFA
ont enregistré une baisse très nette de leurs importations. Pour certains de
ces pays, la baisse confirme une tendance qui s'est amorcée depuis les
années 1980; d'où une certaine difficulté pour attribuer la baisse observée
à la seule dévaluation.
7. Le tableau sur l'évolution des exportations figure en annexe (tableau 20).
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
205
Tableau 3 - Ratio exportations (f.à.b) sur importations (f.à.b)
Pays
1987
1990
1992
1993
1994
1995
1996"
Bénin
Burkina
Cameroun
Centraf.
Tchad
Comores
Congo
Côte
d'Iv.
GuinéeEquatoriale
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
0,790
0,406
0,933
0,671
0,522
1,311
0,661
0,461
1,892
0,634
0,486
1,617
0,826
0,539
1,404
0,727
0,501
1,547
0,774
0,588
1,434
0,652
0,482
0,300
2,088
1,669
0,624
0,749
0,367
2,579
1,761
0,614
0,749
0,362
2,686
1,484
0,835
0,745
0,440
2,238
1,412
1,086
0,637
0,244
1,564
1,784
0,920
0,899
0,204
1,805
1,560
1,154
0,860
0,122
1,112
1,516
0,709
0,731
0,839
1,000
1,912
1,131
1,792
1,757
0,764
2,986
0,702
0,908
3,093
0,747
0,926
0,767
0,773
2,545
0,707
1,113
0,695
0,799
2,753
0,735
0,969
0,650
0,857
3,044
0,761
0,878
0,286
1,067
2,943
0,824
1,026
0,796
1,014
3,210
1,321
1,029
0,771
0,932
1,908
1,367
1,329
1,300
1,346
1,370
1,337
Total
a. Les chiffres de 1996 sont considérés comme provisoires à la date de la publication.
Source: calcul à partir du tableau 4 et du tableau 20 (annexe).
Tableau 4 - Importations totales (f.à.b) en millions de dollars
américains
Pays
1987
1990
1992
1993
1994
1995
1996"
Bénin
Burkina
Cameroun
Centraf.
Tchad
Comores
Congo
Côte d'Iv.
GuinéeEquatoriale
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
463
475
1853
428
542
1454
561
516
1024
539
541
1021
373
349
1016
557
485
1074
548
519
1200
198
226
40
420
1852
55
242
259
49
515
1705
52
189
243
58
439
1984
62
158
205
50
500
1784
52
139
212
45
613
1608
34
188
278
54
650
2420
76
117
301
49
1364
2847
96
732
335
138
956
444
805
442
338
1165
511
887
512
266
1192
409
845
475
256
1087
251
777
440
263
1027
212
898
557
274
1218
350
969
358
272
1325
370
8187
8507
8342
7764
7108
9179
10535
Total
a. Les chiffres de 1996 sont considérés comme provisoires à la date de la publication.
Source: extrait du tableau 5.2 (Banque mondiale 1997 : 74).
Exprimée en tennes d'écart dans la valeur des importations entre deux
années consécutives, la baisse devient plus significative pour ces deux
années comme le montre le tableau suivant.
En confonnité avec la logique de toute dévaluation, cette baisse considérable des importations peut être attribuée à la dévaluation du F CFA. Cette
206
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 5 - Écarts annuels dans le volume des importations
(f.à.b) de 1992 à 1996
Pays
1992-93
1993-94
1994-95
1995-96"
Bénin
-22
- 166
+184
-9
Burkina
-192
+25
+136
+ 34
Cameroun
-5
-3
+ 58
+126
Centraf
-19
- 31
-71
+ 49
Tchad
- 38
+7
+ 66
+ 23
Comores
-5
-8
-5
+ 9
Congo
+61
+113
+ 37
+714
Côte d'Ivoire
-200
-176
+427
+812
-18
Guinée-Equatoriale
-10
+ 42
+20
-42
Gabon
- 68
+121
+ 71
- 37
Mali
- 35
+117
+ 99
Niger
-2
-10
+7
+11
Sénégal
- 105
-60
+191
+107
- 158
Togo
-39
+138
+20
Total
-578
-659
+2071
+1356
,
a. Les chIffres de 1996 sont consIdérés comme provIsOIres a la date de la publIcatIOn.
Source: calculs à partir du tableau 4.
dernière, comme cela a déjà été souligné, provoque une réduction des importations suite à leur renchérissement en monnaie locale. Cependant, le fait
que l'année 1993 soit considérablement marquée par le même phénomène
de baisse générale soulève quelques ambiguïtés quant à l'interprétation de
cette baisse. Le tableau 6 indique que le nombre de pays touchés par la
baisse est plus élevé d'un point par rapport à 1994. Il est fort possible que la
dévaluation ait renforcé une situation de dégradation qui prévalait dans la
balance commerciale de nombreux pays. De ce fait, les importations étaient
déjà soumises à de nombreuses contraintes liées à la mise en œuvre des PAS.
Ce sont ces contraintes qu'il faudra cerner dans la suite de cette analyse.
Tableau 6 - Nombre de pays ayant connu une baisse de leurs
importations selon l'année
1990
---::1-;;"99;:;-;2:---1
1993
3
6
12
Source: calculé à partir du tableau 2.
1--l;-;:9:-;;:94-;---,-I---::1-;;"99;:;-;5=------r-""7
;:;-;9::-:;6,---19
11
0
4
-------'-----
En prolongeant l'observation au-delà de 1994, on peut se rendre compte
que l'année 1995 marque aussi une rupture nette avec le déclin des deux
années précédentes. Aucun pays n'a subi une baisse de ses importations.
Tout au contraire, la hausse est générale. Certains dépassent même le
niveau qu'ils avaient deux ans avant la dévaluation du F CFA. La reprise
nette des importations dans tous les pays a été interprétée par certains analystes comme une réponse à la croissance économique retrouvée après le
changement de parité (Bollé, 1997 : 405; Goreux, 1997 8). Cette interpréta8. Le premier auteur rapporte à partir des conclusions d'une réunion de travail de l'OIT
tenue à Yaoundé en avri11997. Le second auteur, quant à lui, souligne cette relation dans
un rapport préparé pour la Banque mondiale.
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
207
tion est tentante lorsqu'on met « mentalement» en parallèle l'évolution des
importations et celle de la croissance de l'économie exprimée en taux
annuel de croissance du PIB réel. Il est vrai, comme le montre le tableau 7,
que les années 1994 et 1995 sont marquées par une amélioration du taux de
croissance réel du PIB. L'amélioration se confirme pour l'année 1996. Évidemment, peu de pays exhibent un taux dépassant 5 % comme cela est
constamment vanté par les partisans de l'économie exclusivement basée sur
l'exportation des produits primaires «bon marché ». L'argument qui est
avancé par Bollé (op. cir.) pour conforter sa thèse selon laquelle la croissance positive a relancé les importations, est que dans un premier temps,
comme les importations (essentiellement les biens de consommation)
étaient plus chères en termes de monnaie locale, une baisse de leur
demande devait s'en suivre après la dévaluation. Cette baisse a entraîné du
coup une réduction des volumes des importations.
Avec la forte reprise, le besoin d'importer des biens servant de capital
pour la production est devenu plus pressant. Ces deux auteurs considèrent
ces importations comme étant « bonnes» en opposition aux importations
de biens de consommation. La justification étant que les« bonnes» contribuent à la croissance et au renforcement de la situation améliorée. Cependant, une étude (à paraître) de Conté indiquerait qu'il y a des signes que les
importations considérées comme « mauvaises» ont repris d'intensité dans
certains pays comme le Sénégal et la Côte d'Ivoire par exemple. Cette interprétation soulève cependant de nombreuses réserves tant du point de vue de
sa logique sous-jacente que de sa justification empirique. S'il est vrai que
les taux annuels de croissance du PIB réel se sont nettement améliorés
depuis la dévaluation (tableau 7), il n'en reste pas moins qu'il est difficile
d'établir un lien de cause à effet entre cette amélioration et la hausse des
importations observée en 1995.
L'absence d'une forte corrélation positive renforce cette difficulté (le
coefficient de corrélation de Pearsan atteint à peine + 206). Par conséquent, lier la hausse des importations, qu'elles soient «bonnes» ou
« mauvaises », à un effet exclusivement induit par la dévaluation (et par
ricochet à la croissance des exportations), semble être un raisonnement
superficiel de la réalité. En outre, ce raisonnement n'est pas appuyé par un
support statistique du fait que l'information sur la composition des importations en 1995 et 1996 fait défaut dans la plupart des rapports disponibles.
L'on se demande alors sur la base de quelles données ce raisonnement, qui
distingue les bonnes et les mauvaises, est fondé. Il s'agit probablement là
d'une appréciation à caractère spéculatif s'appuyant sur des projections.
Le coefficient de corrélation de Pearsan9 indique aussi l'absence de corrélation forte, qu'elle soit positive ou négative, entre les importations et le
taux annuel de croissance du PIB réel pour les années 1993, 1994, 1995 et
9. Tous les coefficients de corrélation sont indiqués dans la section sur l'identification
des facteurs ayant influencé les importations avant la dévaluation.
208
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
1996. Cette information pourrait indiquer l'existence des rigidités dans la
structure interne de ces importations ou peut être aussi l'opération d'autres
forces économiques dictant leur dynamique. Par rapport à la rigidité, on
peut la confirmer (ou l'infirmer) en examinant la composition des importations et son évolution dans le temps. Cet examen est fait dans la section qui
suit. Pour ce qui est de l'opération d'autres forces économiques, la discussion théorique menée antérieurement permet de concevoir l'aide financière
comme un déterminant majeur des importations. Un examen de l'évolution
de l'aide pourrait révéler des orientations pour expliquer la hausse de ces
importations après la dévaluation. La contribution de l'aide comme facteur
explicatif sera mesurée grâce à l'analyse multivariée qui est prévue.
Tableau 7 - Taux annuel de croissance du PIB réel depuis la
dévaluation
Pays
Bénin
Burkina
Cameroun
Centrafrique
Tchad
Comores
Congo
Côte d'Ivoire
Gabon
Guinée-Équatoriale
Mali
Niger
Sénégal
Togo
1993
1994
1995
1996
- 3.2
0.9
- 3.1
- 2.3
-15.8
3.8
-1.0
-0.2
2.2
7.3
2.4
1.4
-2.1
-18.2
4.6
1.3
-2.4
7.8
9.8
-2.3
-5.5
2.0
3.0
6.8
2.3
3.9
4.8
12.8
4.6
4.2
3.5
2.4
4.0
-2.3
2.2
7.0
3.7
11.2
6.4
3.2
5.1
7.1
5.6
5.5
5.0
-2.1
2.8
1.0
4.8
6.8
3.2
n.d
4.0
3.7
2.3
6.2
n.d: non disponible
Source: extrait du Tableau 2.18 GDP Growth. World bank (1997 :34).
Les rigidités dans la structure des importations
Contrairement à un point de vue dominant qui établit une dichotomie
entre les « bonnes» et les« mauvaises» importations, cette section privilégie une approche beaucoup plus fonctionnelle de ces importations. Une
telle approche se justifie par le fait que la frontière entre les deux types
d'importations n'est pas toujours aisée à établir. Un jugement à la fois partial et partiel est dans cet ordre de choses très tentant lorsqu'on ne prend pas
en compte les potentielles finalités de ces importations. Pour cerner des
changements dans la structure des importations, une classification en cinq
types de biens importés a été faite en tenant compte des classifications en
vigueur. Le tableau 23 en annexe rend compte de la situation qui a prévalu
dans chaque pays jusqu'en 1994. Les données pour 1995 (sauf pour le Mali
et le Niger) ne sont pas disponibles dans tous les rapports consultés.
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
209
Il ressort de ce tableau que pour chaque type de biens importés, l'évolution ne suit pas une tendance bien définie (hausse ou baisse régulière) au
cours des trois années pour lesquelles on dispose des données. Cependant,
la part consacrée aux importations des biens manufacturés autres que les
machines et le matériel de transport conserve visiblement le niveau le plus
élevé. Il faudrait cependant se garder de penser qu'il s'agit là exclusivement
de produits de luxe destinés aux populations urbaines. Une structure
détaillée des importations de quelques pays de la zone présentée dans le
rapport EUROPA (1998) révèle que ce type de produits comprend en
grande partie des produits pharmaceutiques, des produits chimiques nécessaires aux unités industrielles de production. Une usine locale de textile, par
exemple, a besoin de volumes importants d'éléments chimiques, voire de
tissu synthétique pour réaliser ses objectifs de production. Comme on peut
l'imaginer, tous ces intrants chimiques dont l'usine a besoin doivent être
importés, compte tenu de la faiblesse technologique dont souffrent les pays.
Lorsqu'on met de côté la catégorie « Autres» du tableau 23, les combustibles semblent occuper la portion la plus faible des importations. Cependant, pour 1990 et 1994, on peut observer que seuls 5 pays ont connu une
légère hausse de leurs importations en combustibles. Ceux qui ont connu
une baisse sont au nombre de 7. Trois pays importent très peu de
combustibles: Cameroun, Gabon et Congo. Les raisons à cela résident dans
leur forte capacité de production pétrolière pour une partie raffinée sur
place. Cela dit, ce type de produits est de toute évidence celui pour lequel
une baisse importante est notée pour certains pays. La dévaluation y seraitelle pour quelque chose? Sûrement oui car leur offre présente une plus
grande flexibilité dans la source d'approvisionnement que les autres produits importés n'ont pas. Au niveau des transports urbains par exemple, gros
demandeurs de ces produits, les opérateurs peuvent recourir à des substituts
fournis sur des marchés des pays voisins à bas prix. Les pays considérés
comme gros producteurs de pétrole eux aussi n'échappent pas à ce recours
aux substituts.
Pour le Cameroun, par exemple, on rapporte qu'un marché parallèle de
carburant (populairement connu sous le nom de Zoua-Zoua) en provenance
du Nigeria a maintenu, contre toute attente, son intensité après la dévaluation. Le prix du litre d'essence d'origine nigériane vendue au Cameroun
dans la zone frontalière s'est maintenu après la dévaluation. D'après Herrera (1994 : 58-65), une récupération totale des gains générés par la dépréciation du taux de change s'est opérée par suite d'une augmentation des
marges brutes dans la période même où la variation du taux de change a eu
lieu. Le comportement du prix de l'essence nigériane, selon Herrera, refléterait un mécanisme d'adaptation des marges afin de maximiser le rendement des exportations d'essence en termes de quantité de devises que
celles-ci rapportent.
Un autre exemple de substitution dans le domaine des carburants est
offert par le Congo. Une situation analogue s'est développée à Brazzaville
210
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
et Pointe-Noire, les deux principales villes du pays, par suite des problèmes
de ravitaillement en carburant. Un commerce informel d'essence en provenance du Congo démocratique (ex- Zaïre) prit de l'ampleur dans la ville de
Brazzaville à cause des pénuries fréquentes de carburant qu'elle connaissait. La défectuosité du trafic ferroviaire (elle-même liée à l'incapacité à
importer du matériel pour le maintien des équipements) y était en grande
partie responsable. Pour ce qui est de la ville de Pointe-Noire, les difficultés
financières de l'unique raffinerie du pays eurent pour effet une interminable
rupture des stocks. La pénurie qui s'ensuivit déclencha une prolifération
des points de vente de l'essence (localement dénommée Khafafi) et du
kérosène en provenance de l'enclave du Cabinda voisin.
Des informations parcellaires font état d'une situation analogue qui a
failli se développer au Gabon, un autre pays grand producteur de pétrole.
De nombreux autres pays de la zone du franc CFA comme le Bénin, le
Togo, le Tchad et le Niger, connaissent eux aussi ce commerce informel
d'essence, principalement en provenance du Nigeria. Cependant, ce commerce, aussi informel soit-il, est relativement toléré et ne fait pas souvent
l'objet d'intenses pressions de la part des autorités gouvernementales. Tout
laisse croire que les pouvoirs publics considèrent, dans une certaine
mesure, ce trafic frontalier comme un mal nécessaire à l'économie de
l'approvisionnement en carburant. Cette tolérance est renforcée dans les
situations de pénurie; ce d'autant plus qu'il permet non seulement de combler un déficit dans la distribution des carburants, mais aussi de faire des
économies au niveau des dépenses publiques. Il reste que la faiblesse des
importations en combustibles rend compte, dans une large mesure, des
besoins très limités des industries nationales en ce domaine.
Un autre type de produits retient aussi l'attention dans cet examen de la
structure des importations. Il s'agit des importations classées dans la catégorie « Machines et matériel de transport ». En importance, cette catégorie
occupe la seconde place pour la moitié des pays de la zone. Il s'agit là souvent d'équipements lourds et sophistiqués d'un point de vue technologique.
Les industries nationales ont grand besoin de ces équipements pour maintenir leur fonctionnement. De même, les programmes nationaux de développement des infrastructures produisant des services d'utilité publique
(transports publics, distribution d'eau et d'électricité, télécommunication)
génèrent des importations du même type. Dans leur état actuel, il est difficile (voire impossible) à un pays de les contourner du fait des contraintes
technologiques qui pèsent sur le fonctionnement des infrastructures existantes. L'option qui consisterait à changer les sources d'approvisionnement
pour développer l'infrastructure peut s'avérer très coûteuse tant d'un point
de vue financier que de celui de la maîtrise technologique. La plupart des
importations de machines rentrent dans le cadre de la maintenance des
équipements préalablement acquis. En dépit des problèmes chroniques de
faible productivité, ces pays importent des équipements lourds pour maintenir en fonctionnement leur infrastructure de production, évitant ainsi un
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
211
arrêt définitif des activités. Ils importent aussi souvent du matériel technologiquement avancé pour se mettre en phase avec le reste du monde et éviter
d'autres formes de marginalisation. Le fait que le gouvernement soit le plus
souvent le principal propriétaire de l'infrastructure de production (par le
biais des entreprises d'État) à haute intensité de capital renforce, par
ailleurs, leur effet financier sur les dépenses publiques.
Une autre catégorie d'importations permet de prolonger le débat quelque
peu controversé sur leur bien-fondé. Il s'agit de l'importation des produits
alimentaires qui pendant longtemps a suscité une intense discussion sur les
relations entre l'urbanisation (considérée comme pathologique) et l' approvisionnement alimentaire en Afrique subsaharienne. Le point de vue, en
ligne avec la thèse du biais urbain évoquée dans une section précédente,
dominant de cette polémique est que les volumes croissants des importations alimentaires seraient une dimension des politiques favorisant les citadins au détriment des ruraux. Une tendance assez radicale dans ce courant
d'idées soutient que ces importations font partie de ces biens qu'on qualifie
de luxe. De ce fait, elles rentrent dans la classe des « mauvaises importations ». Des études menées au niveau global ont mis en défaut cette relation présumée entre l'urbanisation et les importations alimentaires en Afrique subsaharienne. On peut citer à ce propos l'étude réalisée par Hugon et
al. (1991) qui a montré la difficulté d'établir une relation (mécaniciste) de
cause à effet entre l'urbanisation et les importations alimentaires. Cette relation n'est pas confirmée pour l'ensemble des pays. Et même pour les sousgroupes de pays où cette relation semble se confirmer, plusieurs autres
variables (par exemple l'effet de rente pétrolière) semblent intervenir dans
la chaîne causale.
Cette réserve émise, il convient de cerner autant que possible l'importance de ces importations alimentaires dans le cheminement des pays vers
un rééquilibrage de leur commerce extérieur après la dévaluation du F CFA.
D'un point de vue structurel, les importations alimentaires sont relativement plus importantes que celles des combustibles. Pour plusieurs pays,
elles sont aussi importantes, voire plus, que celles des machines et des véhicules de transport. Cela peut paraître surprenant pour des pays qui restent
jusqu'ici, à l'exclusion du Congo et du Gabon, majoritairement ruraux. De
plus, le degré d'urbanisation reste globalement modéré par rapport à celui,
par exemple, des pays d'Amérique latine. La question est de comprendre
les raisons pour lesquelles ces pays importent tant de denrées alimentaires.
Une réponse à cette question est difficile à formuler vu l'état actuel des
informations statistiques dont on dispose. Toutefois, une esquisse de
réponse peut être élaborée en examinant ce que ces pays importent comme
produits alimentaires. Cela exige donc qu'on utilise une information beaucoup plus détaillée sur les agrégats alimentaires. Le rapport publié par
EUROPA (1998) révèle les détails sur les importations alimentaires des
pays de la zone F CFA. Des problèmes d'espace recommandent qu'on ne
cite que quelques cas de figure dans le présent document.
212
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Les importations alimentaires à deux comportements obéissent à deux
schémas bien distincts. Tout d'abord, il y a un comportement qui tend à
combler un déficit présent dans la production locale. Le cas des importations de poissons par exemple pour certains pays disposant de larges côtes
maritimes et supposés avoir quelques entreprises de pêche est très parlant à
ce sujet. Par ailleurs, il y a un comportement qui tend à accompagner l'évolution des choix alimentaires de type urbain (riz, farine de blé et conserverie). Cela ne témoigne pas pour autant de l'existence d'une relation de
cause à effet entre la croissance urbaine et ces choix alimentaires. Dans
quelle mesure peut-on dire que ces importations alimentaires sont
« mauvaises» et mériteraient d'être réduites? Cette question demeure fondamentale et y répondre nécessiterait la prise en compte à deux niveaux
(mésoéconomique et macroéconomique) de plusieurs paramètres sociaux,
économiques et culturels. Cela dépasse, bien entendu, le cadre de cette
étude.
Cette « autopsie» des importations ne saurait être complète sans l' examen de certaines importations pour lesquelles l'étiquette de « luxe» ou
celle de « mauvaise» est généralement vite attribuée par de nombreux analystes. Il s'agit des importations de tabac, d'alcool et d'armement militaire
qui occupent une grande place dans le volume des biens en provenance de
l'extérieur.
Pour les premières (tabac et alcool), leur importance (tableaux 8 et 9)
avant la dévaluation, variable selon le pays, n'en laisse pas moins dévoiler
leur poids dans le volume des importations nationales. La situation de cette
catégorie d'importations dans les années post-dévaluation n'est pas quantifiable par manque de statistiques. Tout laisse cependant présager que leur
importance s'est maintenue au regard de la tendance observée dans les
années antérieures. Par rapport à cette tendance, on observe que la consommation d'alcool et de tabac s'est amplifiée de façon considérable. Cette
évolution à la hausse est certainement liée à la forte demande qui y est associée. Les positions officielles vis-à-vis de ces produits dont l'usage est de
plus en plus contrôlé dans de nombreux pays sont par contre beaucoup plus
favorables à l'expansion de ce marché. Les partisans de la réduction des
importations rangent le plus souvent cette catégorie dans les importations
de « luxe ». On pense que l'on peut faire des économies en réduisant les
dépenses publiques associées au tabac et à l'alcool. En réalité, il s'est avéré
difficile de réduire de manière directe les quantités de paquets de cigarettes
et de bouteilles d'alcool du fait de la compétitivité des prix pratiquée par les
grandes firmes étrangères par rapport aux fabrications locales. L'alternative
qui s'est offerte à de nombreux pays de la zone est d'opter pour une fabrication sous-licence de certaines marques; encore faut-il importer de la
matière première brute de bonne qualité. Des tentatives de produire localement certaines matières premières en tenant compte des normes techniques
pour préserver les droits de marque sont menées dans différents pays. Au
Cameroun par exemple, suite à la dévaluation, une société locale de fabri-
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
213
cation de cigarettes a lancé une initiative : cultiver localement, à grande
échelle, du tabac de très bonne qualité au lieu de l'importer. L'objectif final
pour la société est de produire de la cigarette pouvant rivaliser (aux dires du
président de l'entreprise) avec certaines grandes marques internationales.
Cette initiative a cependant engendré des comportements très hostiles de la
part de quelques représentants des firmes étrangères installées au Cameroun.
Tableau 8 - Importations de tabac et produits dérivés et
d'alcool au Bénin (millions de F CFA)
Année
Boissons
alcooliques
Boisson et tabac
1988
1989
1990
4643
4688
5268
50.1
50.0
50.2
1863
1199
2241
20.1
12.8
21.4
Produits dérivés
du tabac
Total
2760
3482
2983
9266
9369
10492
29.8
37.2
28.4
Source: EUROPA (1998)
Tableau 9 - Importations de tabac et d'alcool dans trois autres
pays africains
Année
1988
1989
1990
1991
Burkina Faso *
Cameroun **
Centrafrique *
2775
2911
3251
-
-
. .
(*) en nullions de F CFA
Source: EUROPA (1998)
5706
21.0
31.8
27.5
..
(**) en mIllions de dollars US.
Pour terminer, considérons les importations liées à l'armement militaire.
Ce domaine demeure largement tabou en Afrique, sans parler de nombreuses controverses dont il fait l'objet. En termes relatifs, les dépenses liées à
l'acquisition de l'armement militaire ne semblent pas être déterminées par
la capacité réelle du pays à importer ou à exporter. L'absence de corrélation
significative (mesurée mais non reportée ici) entre le volume des importations militaires et les exportations tend à confirmer ce manque de schéma
pré-établi qui lie la capacité militaire à la capacité économique. Il n'en reste
pas moins que ce qui ressort des tableaux 10 et Il ci-après est une image de
pays pour lesquels les importations liées à la défense sont importantes. Il est
difficile de commenter les chiffres absolus de ce tableau 10. Cependant, si on
dérive un ratio de ces dépenses militaires en le rapportant aux importations,
on en arrive à un résultat très éloquent qui témoigne de la priorité accordée
à l'armée dans de nombreux pays de la zone F CFA. Pour aucun des 12 pays
pour lesquels l'information est disponible, cette proportion ne se situe en
dessous de 7 %. La valeur extrême pour cette catégorie de dépenses est
10. Ces chiffres absolus sont fournis par la Centrale Inteligence Agency et disponibles
sur Internet. Le site est http//www.africances.fr/afrint/data.htm.
214
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
observée pour le Tchad suivie du Togo. Pour le premier pays, l'histoire
récente du pays au plan politique pourrait offrir une explication à sa position.
Un autre ratio particulièrement intéressant entre les dépenses militaires et
le volume des exportations laisse aussi apparaître une autre forme de tension
dans toute tentative de rééquilibrage des dépenses publiques. Si l'on suppose
que le financement des dépenses militaires s'effectue sur la base des revenus
générés par les exportations, le degré de cette tension, tel qu'il apparaît à travers le ratio, est sans exagération élevé pour la majorité des pays de la zone
F CFA. Seule la Côte d'Ivoire montre une proportion inférieure à 5 %. Pour
trois pays, cette proportion avoisine 40 %. L'importance des dépenses militaires par rapport aux exportations reflète un aspect fondamental des pesanteurs qui s'exercent sur le processus de développement des pays de la zone.
La défense, pour des raisons couvertes par le terme « stratégique» et restant
en grande partie injustifiées, est un secteur qui se voit continuellement
octroyé une grande partie des ressources nationales. De par ce fait, c'est l'une
des rigidités susceptibles de contrarier toute politique de réajustement des
dépenses publiques dans le sens d'une priorité à donner aux biens considérés
comme capital de production (capital goods).
Visiblement, pour certains pays, lorsqu'on compare le poids des dépenses
militaires à celui du volume des importations ou à celui des exportations, la
situation semble similaire à celle générée par le « fardeau de la dette» sur
un point: la création de ce qu'on peut appeler un cercle vicieux de l'armement. La difficulté pour y mettre fin est grande du fait de l'effet sécuritaire
que procure cet armement vis-à-vis de la pression politique interne. Nonobstant la problématique question de sécurité nationale contre les attaques
armées venues de l'extérieur, les importations de matériel militaire sont un
domaine où des réallocations de ressources en faveur d'autres secteurs plus
économiquement productifs peuvent être opérées. La situation qu'on vient
de décrire montre à quel point ces importations créent des distorsions et des
rigidités tant du point de vue de la composition et du coût des importations
que de l'utilisation des recettes générées par les exportations. A la question
de savoir comment ces dépenses ont évolué après 1994, il est difficile d'y
répondre par manque de données sur cette période. Il faut cependant espérer
qu'avec l'ouverture démocratique, ces importations de matériel militaire ont
été revues à la baisse du fait de la rupture avec la hantise des coups d'État.
Toutefois, la fragilité des régimes démocratiquement élus, la menace (qui se
confirme) d'un retour des dictateurs militaires au pouvoir et, dans beaucoup
de pays, l'absence de changement véritable d'équipe dirigeante, n'encouragent pas à trop d'optimisme dans le sens d'une réduction de ces
dépenses.
L'examen de l'importance des dépenses militaires, comme celle des
autres biens, a permis de soulever une question fondamentale qui est celle
de savoir comment des pays apparemment contrariés par la dévaluation du
F CFA sont-ils parvenus à relancer et à soutenir de manière significative
leurs importations? Il s'agit là d'une question qui renvoie à l'explication de
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
215
Tableau 10 - Dépenses pour le matériel militaire importé
Pays
Année
Dépenses
% du PIB
% des
importations
% des
exportations
Bénin
Burkina Faso
Cameroun
Centrafrique
Tchad
Comores
Congo
Côte d'Ivoire
Guinée Equatoriale
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
1994
1994
1995
1994
1994
nd
1994
1994
nd
1993
1994
1993
1996
1993
33
104
102
30
74
nd
110
140
nd
154
66
32
82
48
3,2
6,4
9,4
2,3
7,4
nd
3,8
1,4
nd
2,4
2,2
1,3
2,1
2,9
7,7
15,4
12,6
13,9
28,4
nd
18,3
8,8
nd
19,3
7,8
13,7
7,5
22,6
10,4
38,1
8,5
38,1
38,9
nd
11,0
4,8
nd
7,3
15,9
13,8
8,7
29,6
Source: CIA (1996) pour les dépenses et le pourcentage du PIB.
Les pourcentages des deux dernières colonnes ont été calculés par l'auteur.
Tableau 11- Indice d'évolution des dépenses
gouvernementales pour la défense dans 7 pays de la zone
(indice 1980 = 100)
Pays
1990
1994
Moyenne annuelle
(1985-1989)
Burkina Faso
Centrafrique
Cameroun
Gabon
Niger
Sénégal
Togo
162,8
133,9
292,5
249,4
102,9
151,2
187,4
102,2
95,9
109,2
190,5
162,1
83,2
93,6
124,1
-
116,8
235,6
109,8
156,1
-
Source: Extratt du Tableau 7-9, Banque mondiale (1997: 207)
la remontée des importations observée après le changement de parité. Avant
d'aborder cet aspect très complexe, il faut d'abord cerner quelques relations
entre ces importations et d'autres variables macroéconomiques susceptibles de les affecter.
Venvironnement financier international de l'évolution des
importations après la dévaluation du franc CFA
L'objectif principal de cette section est d'identifier quelques variables
macroéconomiques qui sont supposées avoir eu un impact sur l'évolution
des importations dans le sens observé. Dans la section précédente, il est ressorti que les importations, bien qu'ayant baissé de façon significative en
216
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
1994, se sont redressées en 1995 et 1996. La baisse prédite par la théorie
conventionnelle de la dévaluation monétaire n'a pas duré longtemps. Selon
certains observateurs, cette reprise des importations serait à mettre au
compte de la croissance retrouvée à travers la relance des exportations. En
toute vraisemblance, cette explication, dans la mesure où elle a une validité,
ne peut être que partielle. L'absence de corrélation forte et positive entre,
d'une part, importations et exportations et, d'autre part, entre importations
et taux de croissance annuel du PIE réel après la dévaluation rend compte de
la difficulté de prendre cela comme explication totale. Il faut donc rechercher d'autres éléments de réponse au sujet des facteurs qui sous-tendent
cette évolution en hausse des importations. Dans l'exercice d'identification
de ces relations, l'accent est mis sur les variables présentées dans le cadre
théorique, tout au début de ce document (tableau 1). En guise de rappel, ces
variables sont relatives à l'urbanisation, aux exportations, à l'assistance
financière, à la dette extérieure et aux dépenses de l'administration centrale.
Les indicateurs retenus pour chacune de ces variables figurent également
dans le tableau 1.
Avant d'établir les corrélations entre les importations et ces différentes
variables, il convient de retracer en quelques lignes l'évolution suivie par
l'aide financière internationale et le service de la dette dans la période 19921996. Ce retraçage facilite l'interprétation et la compréhension des résultats
de l'analyse statistique. Ces deux variables constituent la trame du débat sur
le rééquilibrage des dépenses publiques dans le contexte de la dévaluation.
Le rééquilibrage par la croissance des exportations, permettant un solde
commercial positif, est souvent présenté comme le mécanisme pouvant
conduire les pays à mieux assurer le service de la dette extérieure. Dans
cette vision des choses, la réalité qui est souvent ignorée est que le déficit
(ou déséquilibre) dans la balance des paiements des pays de la zone F CFA
est beaucoup plus le résultat de l'endettement que celui du déficit commercial. Pour ce qui est de l'assistance financière, l'on sait qu'elle a beaucoup
pesé dans l'acceptation des pays de la zone de cette dévaluation. Sur ce
plan, les attentes étaient nombreuses et portaient principalement sur le rééchelonnement de la dette, sur la reprise des aides multilatérales et sur la
relance des transferts publics et privés. La continuité de l'assistance financière est aussi apparue, lors des discussions sur le bien-fondé de la dévaluation, comme un instrument de persuasion. D'où l'intérêt de voir si
l'évolution de l'assistance financière a bien répondu aux attentes des gouvernements des pays de la zone. Dans la section consacrée à l'analyse multivariée, il sera question de tester l'hypothèse fondamentale selon laquelle
l'aide aurait permis de relancer les importations.
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
217
Des concessions dans le service de la dette très sélectives et quelque
peu préférentielles
Les difficultés que rencontrent les pays africains et particulièrement ceux
de la zone F CFA pour assurer le service de leur dette sont bien connues et
suffisamment rapportées dans la littérature sur l'économie de ces pays. Ces
difficultés débouchent, à l'issue des renégociations intenses avec les
bailleurs de fonds, sur des concessions de la part de ces derniers sous forme
de rééchelonnement du service de la dette et, dans les cas des plus heureux,
de suppression partielle ou totale de certaines dettes. Lors du débat sur la
dévaluation du F CFA, ces concessions ont été plus que jamais à l'ordre du
jour. Dans le langage des bailleurs de fonds, l'approche « du cas par cas»
a prévalu, évitant ainsi de régler le problème de la dette de manière globale.
Suivant cette approche, deux catégories de pays ont été distinguées. Une
catégorie formée par les pays fortement endettés - d'où un service important de la dette - mais qui sont en même temps relativement riches du fait
de leur grande capacité à exporter de produits primaires (agricoles, minerais et pétrole). Les pays formant cette catégorie sont le Cameroun, le
Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon et le Sénégal. L'autre catégorie est formée par le reste des pays dans le tableau 22 (en annexe). Ces pays se caractérisent non seulement par un service de la dette nettement moins élevé,
mais aussi par une relative faiblesse dans leur capacité à exporter des produits primaires fortement prisés sur le marché international. On remarquera, pour ce qui est de cette seconde catégorie, qu'elle est formée par des
pays généralement considérés comme faisant partie des « moins avancés ».
Cependant, l'appartenance à l'un de ces deux groupes ne semble pas avoir
servi de seule base pour appliquer une forme quelconque de concessions
sur la dette. S'il en avait été ainsi, on aurait pu déceler une tendance nette
selon les deux groupes. Il est fort possible que d'autres critères, parfois de
nature beaucoup plus subjective et discrétionnaire Il, aient prévalu dans
l'approche du «cas par cas». Il est difficile d'en connaître les contours
exacts. Cependant, on peut ici faire allusion à cette relation de fait établie
par les bailleurs de fonds entre la renégociation de la dette et le degré des
efforts accomplis par le pays dans la consolidation des mesures du PAS.
Cette conditionnalité (supplémentaire !), en fonction de la nature du donateur, était parfois accompagnée d'une autre sur le développement et/ou le
renforcement des institutions démocratiques. Par conséquent, aussi bien
dans le groupe des pays « moins avancés et faiblement endettés» que dans
celui des pays « relativement riches et fortement endettés », les bailleurs de
fonds ont appliqué une politique d'allègement du poids de la dette ouvertement sélective, privilégiant plus certains pays que d'autres.
11. Il est fait allusion ici au degré de considération dont le pays jouit dans ses relations
internationales et dans les efforts que le gouvernement du pays accomplit pour sauvegarder
les intérêts économiques et politiques d'un donateur particulier.
218
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 12 - Évolution du service de la dette (en millions de
dollars US)
Pays
1985
1990
1992
1993
1994
1995
Bénin
Burkina Faso
Cameroun
Centrafrique
Tchad
Comores
Congo
Côte d'Ivoire
Guinée-Equatoriale
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
38
32
661
30
15
2
404
918
373
56
124
175
78
48
36
572
36
15
3
558
1087
7
298
80
136
392
124
35
39
586
22
12
6
211
1269
4
334
60
82
274
66
38
42
546
Il
15
3
178
3018
2
204
49
106
162
40
31
47
517
24
15
3
425
1260
2
277
117
69
227
28
42
61
471
17
17
1
210
859
3
333
83
61
268
34
Total Zone
2918
3528
3000
4414
3042
2460
12
Source: OCDE (1998) - Statistiques de la dette extérieure 1985-1996. Supplément.
Dans le groupe des pays « relativement riches », la Côte d'Ivoire se présente comme le pays ayant le plus bénéficié d'annulation ou de rééchelonnement de dettes après la dévaluation. Le tableau 12 fait ressortir que c'est
le seul pays qui a connu une baisse (de plus de 50 %!) du service de sa dette.
Cette baisse reflète en grande partie l'effet combiné des opérations d'annulation et de rééchelonnement de dette; ce qui lui a permis d'améliorer les
déséquilibres de sa balance de paiement (déséquilibres causés eux-mêmes
par les dettes antérieurement contractées). Du coup, la balance de paiement
améliorée et les exportations redynamisées par la dévaluation, ce pays a été
en position de relancer ces importations en 1995 et 1996 comme cela ressort dans le tableau 4. Le Sénégal, dans une certaine mesure, a eu aussi à
bénéficier de ce traitement de faveur pour le problème de sa dette.
Une conclusion essentielle qui dérive du tableau 12 est qu'il n'est pas
assez aisé d'établir que le service de la dette a été suffisamment allégé pour
de nombreux pays. La tendance dominante semble avoir été une stabilité de
ce service. Cette stabilité est d'ailleurs renforcée par la reconnaissance que
de 1994 à 1996, les pays de la zone ont tous bénéficié, à des degrés divers
tout au moins, d'une annulation et/ou d'un rééchelonnement d'une partie
de leurs dettes. Individuellement, ces pays ont aussi bénéficié de l'assistance financière internationale qui leur a permis de soutenir leur service de
la dette. Un aspect qui va être à présent examiné.
L'assistance financière internationale: un autre champ du traitement
préférentiel
Au moment de la dévaluation, de nombreux observateurs s'accordaient à
dire que l'aide extérieure, tout au moins sous sa forme d'assistance finan-
DÉVALVATIaN DV FRANC CFA ET IMPORTATIONS
219
cière, devait être un facteur important pour réussir la dévaluation. Ce point
de vue n'était pas sans fondement compte tenu de la nature même des déséquilibres financiers au niveau de la balance de paiements des pays de la
zone F CFA. Cette importance accordée à l'aide dans la réussite de la dévaluation devient aisée à comprendre lorsqu'on se réfère à l'évolution du
débat entre les bailleurs de fonds et les gouvernements sur le changement
de parité. Bien que quelques aspects de ce débat aient été évoqués dans la
section théorique du présent document, il semble utile d'y revenir brièvement pour guider les commentaires du tableau 13.
Dans les négociations qui avaient impliqué les différents acteurs de la
« bataille )) sur la dévaluation du F CFA, la continuité de l'assistance financière (sous quelque forme que ce soit) avait progressivement pris le devant
de la scène par rapport aux conventionnels arguments sur la dévaluation
(Coussy, 1994). Le maintien de l'aide extérieure devint au contraire l'objet
des négociations (utilisé d'ailleurs de manière persuasive par les bailleurs de
fonds). Il fallait dévaluer le F CFA ou ne plus espérer recevoir l'assistance
financière nécessaire aux actions de développement. La réalité est que les
pays de la zone ont besoin de cette aide pour financer leurs dépenses courantes. Un aspect qui n'a pas suffisamment retenu l'attention jusqu'ici dans
l'analyse macroéconomique des pays africains est l'existence d'une relation
étroite entre l'assistance financière et les importations au niveau des pays.
La question« avec quel financement (fonds propres générés par le pays ou
fonds provenant de l'aide extérieure) les pays assurent-ils leurs
importations? )), n'a pas fait l'objet de profondes investigations. La balance
commerciale des pays de la zone F CFA, comme c'est le cas de la plupart
des pays africains, ne génère pas assez de surplus pour assurer le financement total des importations. La difficulté dans ce domaine devient d'autant
plus grande que ces pays doivent en même temps assurer le service de la
dette examiné dans la section précédente. Un service de la dette qui est aussi
présenté comme un « fardeau lourd 12 )) à porter pour des pays chroniquement déficitaires. On peut alors penser que, comme cela s'est fait pour certaines dépenses liées aux revenus de transfert et à l'investissement, que les
importations sont financées en grande partie par l'assistance financière
internationale.
Cette pensée est pertinente lorsqu'on considère la position adoptée par les
bailleurs de fonds (particulièrement la France) pour orienter une partie de
l'aide vers le service de la dette. Une telle orientation, obéissant, pour une
fois, à une logique qui sous-tend la dette et le déséquilibre extérieur, a fait
assortir toute assistance internationale de certaines conditionnalités. Globalement, pour les bailleurs de fonds, la crainte était de voir l'aide financière détournée par des dépenses estimées nuisibles à l'allocation des
12. Ce terme fait référence aux deux aspects, réel et virtuel, que plusieurs lui attribuent
(Jacquemot et Raffinot, 1993).
220
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
ressources, à la hiérarchie optimale des revenus ou à l'équilibre des finances publiques.
Sur la base de cette prudence financière sur l'affectation de l'aide, l'on
s'attend alors à observer sur la période post-dévaluation des tendances
quelque peu similaires à celles sur les concessions sur les dettes. Au niveau
national, cette prudence ne pourrait pas complètement mettre fin au financement des importations, bonnes ou mauvaises, par l'aide financière venue
de l'extérieur. Comme l'analyse explicative tentera de le montrer, l'assistance financière, pourrait s'avérer comme l'un des facteurs cruciaux de
l'évolution des importations après la dévaluation (comme cela a d'ailleurs
été le cas avant le changement de parité).
Il est à présent utile d'observer, aux niveaux global et national, le parcours suivi par cette assistance depuis la dévaluation. Le tableau 22 en
annexe rend compte de la fluctuation dans le volume de l'assistance financière entre 1992 et 1996 13 fournie dans le cadre de l'Assistance officielle au
développement (Official Development assistance, ODA). Contrairement à
l'évolution des importations (tableau 5), la hausse n'a pas été générale
après la dévaluation intervenue en janvier 1994. Au-delà de l'incertitude
statistique sur les chiffres de 1996, on peut constater une certaine baisse de
cette aide financière et cela après une progression lente à partir de 1994 (+ 2
points en 1994 et + 1 point en 1995). Cette évolution quelque peu stagnante
du volume de l'assistance financière rend compte des comportements de
prudence, précédemment évoqués, de la part des bailleurs de fonds 14.
Tableau 13 - Nombre de pays ayant vu augmenter leur
assistance financière internationale
1992-1993
1993-1994
1994-1995
1995-1996
6
8
9
4
Source: calculé à partir des chiffres du tableau 22 (en annexe)
Au niveau de chaque pays, ces fluctuations ressortent avec beaucoup de
visibilité à travers le calcul d'écarts sur la période 1992-1996 (le tableau des
chiffres absolus figure en annexe). Lorsqu'on considère la destination de
l'aide, trois pays ont été largement bénéficiaires des flux financiers. Il s'agit
de la Côte d'1voire, du Cameroun et du Sénégal. Les deux premiers cités ont
cependant connu une baisse de cette aide en 1995. Durant les deux premières années de la période post-dévaluation, des pays comme le Mali et le
Burkina Faso semblent aussi avoir bénéficié d'un traitement de faveur.
Comme cela a déjà été dit, la baisse généralisée de l'aide en 1996 est à con-
13. Pour 1996, l'OCDE (1998) indique que les chiffres reportés en annexe (du présent
document) doivent être considérés comme provisoires.
14. L'on devra se référer à ce sentiment de déception exprimé dans les milieux ministériels des pays de la zone F CFA. Ce sentiment, rapporté par de nombreux médias, s'exprimait à travers des propos du genre « l'aide promise tarde à se mettre en place ».
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
221
sidérer avec beaucoup de réserves compte tenu du caractère provisoire des
chiffres. Nonobstant ces réserves, on peut observer qu'au cours de l'année
1996, le Congo, le Mali et la Côte d'Ivoire semblent avoir été traités avec
faveur en ce qui concerne les flux financiers nets fournis dans le cadre de
l'assistance au développement.
Tableau 14 - Écarts dans l'évolution de l'assistance financière
internationale totale par pays
1992-1993
1993-1994
1994-1995
1995-1996
Bénin
Burkina Faso
Cameroun
Centrafrique
Tchad
Comores
Congo
Côte d'Ivoire
Guinée-Equatoriale
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
+20
+ 356
- 170
-4
- 13
+1
+11
+7
-9
+ 33
- 68
-23
- 171
- 125
-32
-34
+ 186
-7
- 13
-10
+239
+ 829
-23
+ 80
+77
+ 30
+ 141
+ 20
+ 25
+ 51
- 287
+2
+24
+3
- 237
- 382
+4
- 37
+ 102
-107
+24
-7
+ Il
-69
- 31
- l
+66
-3
+ 305
-244
-3
- 18
-40
-20
-87
Total Zone
- 155
+ 1491
-748
- 152
Pays
-27
Source: calculs à partir du tableau 22 (annexe)
L'évolution du volume de l'assistance financière telle qu'elle ressort du
tableau précédent reflète dans une large mesure le caractère à la fois sélectif
et prudent qui gouverne l'octroi de l'aide. Cet aspect devient plus frappant
lorsqu'on voit la distribution de l'aide au niveau de l'ensemble des pays en
développement qui y bénéficient. Une distinction entre l'aide fournie dans
le cadre du CAO (Comité d'aide au développement) et celle fournie par
l'Union européenne permet de se rendre compte du petit nombre de pays de
la zone F CFA figurant sur la liste des 15 premiers pays bénéficiaires de chaque type d'aide. Pour ce qui est de l'aide du CAO, les statistiques de
l'OCDE (1998) montrent que sur la période 1994-1995, seule la Côte
d'Ivoire y figure 15. Pour ce qui est de l'assistance financière en provenance
de l'Union européenne on retrouve trois autres pays de la zone F CFA à côté
de la Côte d'Ivoire. Il s'agit du Cameroun, du Sénégal et du Mali l6 . Les
mêmes statistiques révèlent qu'au cours de la période 1995-1996, la Côte
d'Ivoire est l'unique pays figurant sur la liste des pays classés parmi les
15 premiers bénéficiaires de l'aide (à côté des mêmes pays africains qu'en
1994). Pour ce qui est de l'assistance financière fournie par l'Union européenne, ce pays (une fois de plus) et le Mali sont les deux seuls membres de
15. Trois autres pays africains (hors zone F CFA) y figurent aussi: l'Égypte, le Mozambique et la Tanzanie.
l6. Les autres pays africains (hors zone CFA) sont: le Maroc, l'Éthiopie, l'Égypte, le
Mozambique, le Zimbabwe, l'Uganda et la Tanzanie.
222
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
la zone F CFA à figurer sur cette liste des 15 premiers États bénéficiaires de
l'aide à côté de 6 autres pays (hors zone) comme le Maroc, l'Égypte, la
Tunisie, l'Angola et le Mozambique.
Quels enseignements peut-on tirer de cette distribution de l'assistance
internationale? Tout d'abord, au-delà de la sélectivité, il y a comme une
option préférentielle de la part des bailleurs de fonds. La Côte d'Ivoire semble bien s'en tirer dans cette compétition pour bénéficier de l'assistance
financière internationale. Cette position de pays relativement privilégiés,
lorsqu'elle est combinée à d'autres traitements de faveur comme le rééchelonnement ou l'annulation de certaines dettes, peut dans une certaine
mesure expliquer le niveau élevé de son taux de croissance annuel du PIB
réel. Quelques autres pays jouissent aussi, à des degrés divers, de considérations similaires. L'importance de l'aide reçue après la dévaluation est un
facteur qu'il faut prendre en compte avec d'autres pour comprendre les différents paramètres internationaux qui ont influencé les performances
accomplies par chaque pays après le changement de parité intervenu en janvier 1994. Il est question à présent d'aborder de manière quantitative
l'influence de ces facteurs en suivant l'approche suggérée au tout début de
cette section. La première étape est celle de la mesure de la force des relations entre ces facteurs et les importations.
Les facteurs qui ont influencé l'évolution des importations
Cette section commence par identifier le type et la force des relations (sur
la base des coefficients de corrélation et du test de linéarité) entre les variables considérées comme indépendantes et les importations (variable dépendante). A partir de cette identification, une sélection des variables indépendantes les plus pertinentes est faite et ce sont ces variables qui vont
entrer dans le modèle explicatif.
Mesure des corrélations entre importations et les variables
dépendantes
Le tableau 15 rend compte de la direction et de la force des relations entre
les importations et les variables considérées comme indépendantes dans la
présente étude. Pour mesurer ces relations, le choix a porté sur le coefficient
de corrélation de Pearsan du fait que la condition de normalité est confirmée
par ces variables (toutes scalaires). C'est l'une des trois méthodes quantitatives les plus connues (à côté du coefficient de Spearrnan et celui de Kendall tau-b) pour mesurer la force de la relation entre deux variables
scalaires. Le lecteur intéressé à cette technique pourrait consulter n'importe
lequel des nombreux ouvrages statistiques existant dans la littérature. Les
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
223
valeurs du coefficient de corrélation de Pearson examinées ici sont produites par le logiciel SPSS (Statistical Package for Social Sciences). La région
critique pour rejeter l'hypothèse nulle (absence de linéarité) est prise à
p =0,05 pour tous les couples de variables. On teste ici l'existence d'une
relation linéaire entre les importations et les variables dépendantes 17.
L'année 1993 est incluse du fait qu'elle sert de référence.
La distribution des coefficients de corrélation de Pearsan montre bien
l'existence d'une très forte liaison (la valeur du coefficient est proche de 1)
entre les importations et, respectivement, l'assistance financière internationale, les exportations, la dette et le service de la dette. Leur direction de
variation va dans le même sens que celui du vecteur importation. Le test de
linéarité est statistiquement significatif; ce qui commande de retenir ces
variables dans le modèle de régression multiple de type linéaire qui sera
appliqué ultérieurement.
Cette forte liaison n'apparaît pas pour le taux de croissance. Par contre
pour l'urbanisation, seule l'année 1996 affiche une faible liaison linéaire
avec les importations. L'absence de corrélation forte (confirmée aussi par le
coefficient de Spearman et de Kendall) entre le taux de croissance annuelle
du PIB réel et les importations ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas
de relation quelconque entre les deux variables 18. Il en est de même de
l'urbanisation et cela mérite qu'on s'y attarde un peu, surtout pour l'année
1993. Dans la littérature traitant du développement des pays africains,
l'urbanisation fait jusqu'ici l'objet d'un débat controversé dans ces effets
sur les importations. L'absence d'une forte corrélation et la présomption de
l'existence d'une relation non linéaire entre l'urbanisation et les importations tendent à renforcer les réserves sur la thèse selon laquelle l'urbanisation « rapide» et « parasitaire» aurait généré des importations destinées à
satisfaire les besoins de citadins.
Toujours pour ce qui est de l'urbanisation, deux autres liaisons non reportées dans le tableau ci-dessous montrent elles aussi l'absence de toute corrélation forte entre, d'une part, les importations et le pourcentage de la
population vivant dans la ville la plus importante 19 et, d'autre part, entre
cette dernière variable et les importations alimentaires. Pour les deux premières variables, le coefficient de corrélation de Pearsan est égal à - 0,073
et le test n'est pas significatif (P = 0,09). Pour les deux dernières variables,
le coefficient est égal à - 0,440 et le test n'a aussi aucun aspect significatif
(P = 0,012). Lorsqu'on considère la liaison entre les importations non ali17. Pour le lecteur non habitué à cette méthode statistique, le signe indique la direction
de la liaison (opposée ou même sens). La force de la liaison est donnée par la valeur absolue du coefficient (par rapport à 1), i.e plus cette valeur est proche de 1, plus la liaison est
forte. Une valeur de p < 0,05 indique que l'hypothèse nulle est rejetée (i.e.Ie test de linéarité est significatif).
18. Dans tous les cas, si une relation existe, elle doit être beaucoup plus complexe (par
exemple curviligne) pour ne pas être représentée dans un modèle de type linéaire.
19. Pour treize pays, cette ville correspond à la capitale politique. Le Cameroun y fait
exception du fait que la ville la plus importante, en termes de population, est Douala.
224
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
mentaires et l'urbanisation, on trouve un coefficient égal à 0,295 avec un
test qui n'est pas significatif (P = 0,307); indiquant une fois de plus
l'absence de liaison forte entre l'urbanisation et ces importations. Ce résultat qui se rapporte une année avant 1994 contribue à dire que la détermination de la nature exacte des relations entre l'urbanisation et les importations
(qu'elles soient alimentaires ou non) est un champ plein d'incertitudes et
qui mériterait de plus amples investigations. Les relations, si elles existent,
ne sont pas aussi directes, mécaniques et simplistes que les positions de certains cercles de réflexion tentent de les présenter2o .
Tableau 15 - Coefficient de corrélation de Pearson
et test significatif de linéarité entre les importations
et les variables dépendantes
Couple de variables
Importation *
exportation
1993
1994
1995
1996
+ 0,844
+ 0,880
+ 0,905
+ 0,891
P =0,000
signif.
P =0,000
signif.
P = 0,000
signif.
P = 0,000
signif.
Importation*
assistance
+ 0,813
P = 0,000
signif.
+ 0,897
P = 0,000
signif.
+ 0,881
P =0,000
signif.
Importation *
dette exté.
+ 0,893
P = 0,000
Signif.
+ 0,916
P = 0,000
signif
+ 0,939
P = 0,000
signif.
nd
Importation *
service de la dette
+ 0,808
P = 0,000
signif.
+ 0,903
P =0,000
signif.
+ 0,961
P = 0,000
signif.
nd
Importation *
taux de croissance
du PIB réel
+ 0,090
P =0,759
non signif.
-0,342
P =0,232
non signif.
+ 0,206
P = 0,480
non signif.
+ 0,470
P =0,105
non signif.
Importation *
urbanisation
+ 0,274
P =0,343
non signif.
+ 0,485
P =0,790
non signif.
+ 0,419
P =0,137
non signif.
+ 0,693
P = 0,001
signif.
+ 0,863
P = 0,000
signif.
De toutes ces corrélations mesurées, il ressort que quatre variables suggèrent l'existence d'une forte relation linéaire entre elles et les importations
sur la période 1993-1996. Ces variables sont représentées par le volume des
exportations, le volume de l'assistance internationale, la dette extérieure et
le service de cette dette. Ces variables vont entrer dans les différents modèles de régression dont il est fait ici une présentation de leur construction
générale.
20. Ce constat d'incertitude rejoint dans une large mesure celui qui ressort du travail
réalisé par Hugon et al. (1991) évoqué dans la section théorique du présent document.
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
225
Présentation du modèle
De ce qui précède, il ressort que le volume des importations (lmpo) peut
être présenté comme une fonction du volume des exportations (Exportation), de l'assistance financière internationale (Assistance), de la dette extérieure (Dette) et du service de la dette (Service). Le modèle de base
s'exprime donc sous la forme:
Importation = f (Exportation, Assistance, Dette, Service).
L'existence des relations linéaires suggère que le modèle mathématique
peut s'écrire explicitement:
Import =I.B(i)X(i) + C où les B(i) sont les coefficients de régression non
standardisés; les X(i) les variables dépendantes et C la constante de l'équation de régression.
Cependant, statistiquement parlant, du fait que le nombre de pays est relativement faible (quatorze !), l'application de la régression exige quelques
précautions préliminaires. Le problème de nature technique qui se pose
dans le cas présent se pose au niveau du choix du nombre de variables indépendantes à introduire dans l'équation du modèle. Dans la pratique, il est
fortement recommandé que le nombre (N) de cas observés (dans la situation présente, il y a 14 cas observés représentant les pays de la zone) et celui
(n) des variables introduites dans le modèle obéissent à la contrainte
suivante: N ~ 5n (Tabacnick et Fidel, 1989; Crauser et al., 1989 : 80). En
d'autres termes, la méthode gagne en efficacité et en validité lorsque les cas
(pays ici) sont en nombre nettement plus élevé que les variables 21 • L'application de cette contrainte impose donc que le nombre de variables dépendantes ne doit pas dépasser deux. Cela revient à dire qu'il faudrait envisager
d'alterner les variables indépendantes dans l'équation de régression multiple et cela pour chacune des années 1993, 1994, 1995 et 1996. Ce qui conduit à une série de 16 régressions multiples à réaliser 22 . Les variables non
introduites dans le modèle serviront de variables de contrôle. L'analyse se
fait par année, ce qui conduit à une régression de type transversale. Cela
permet de cerner les ruptures ou les continuités annuelles dans la contribution des variables au pouvoir explicatif du modèle.
Rappelons que l'objectif visé à travers le modèle de régression multiple
comporte deux volets. Le premier est de déterminer avec quel degré les
variables retenues contribuent à la prédiction de la variable dépendante, à
savoir le volume des importations. Le second, comme cela a été déjà dit, est
de déterminer la contribution de chacune de ces variables dans l'explication
de l'évolution des importations dans les années post-dévaluation.
21. Lorsque cette contrainte n'est pas respectée, le modèle produit une solution parfaite
mais qui a très peu de validité.
22. Les variables « dette extérieure » et « service de la dette » ne seront pas introduites
simultanément dans]' une des régressions du fait de leur très forte corrélation.
226
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Résultats des différentes applications du modèle et discussion
Ces résultats seront présentés selon les années 1993, 1994, 1995 et 1996.
L'année 1993 est prise comme année de référence pour déceler toute rupture, toute continuité ou toute combinaison de ces deux possibilités.
1993: le point culminant de la persuasion pour dévaluer
Tous les résultats relatifs à cette année sont présentés dans le tableau 16.
L'analyse commence par examiner l'effet de l'assistance financière internationale et celui des exportations sur les importations (modèle 1). Les
résultats de la régression attestent que les deux variables indépendantes ont,
de manière très significative, positivement influencé les importations (le
test T est statistiquement significatif pour chacune des variables de même
que le test F). Ces variables expliquent la variance totale à près de 92 %
(mesurée par le carré du R ajusté). La mesure des effets partiels 23 indique
que la variable « exportation» a beaucoup plus contribué dans l'explication
de la variance totale que la variable « assistance internationale ». Un constat qui semble logique compte tenu de nombreuses contraintes auxquelles
se trouvait fortement soumise cette assistance durant cette année ayant précédé la dévaluation.
Dans le modèle 2 (même tableau), on confronte les exportations à la dette
totale extérieure. Il ressort que seule pour cette dernière variable, l'influence
est statistiquement significative sur les importations. Elle explique à près de
83 % la variance totale. Lorsqu'elle est confrontée à l'assistance financière
internationale, la dette apparaît également (modèle 3) comme la seule variable qui a une influence statistiquement significative sur les importations.
Que le service de la dette ait eu de l'influence sur les importations en 1993,
cela n'a rien d'étonnant lorsqu'on prend en compte le fait qu'une partie des
importations n'est pas financée sur fonds propres (provenant de l'épargne
interne); l'autre partie étant financée sur les recettes issues des exportations.
La combinaison des résultats des modèles 2 et 3 tendant à soutenir la
croyance selon laquelle le niveau d'endettement a une influence significative sur la balance commerciale des pays en développement. Évidemment,
ceux de la zone F CFA ne font pas exception à cette croyance. Toutefois, il
ne faut pas s'empresser de conclure que cette influence est à tous les coups
négative car, historiquement, les efforts de développement ont été financés
par l'endettement (Bekolo-Ebe, 1986; Jacquemot et Raffinot, 1993). La
question est de bien gérer cette dette par rapport aux objectifs de développement et aux capacités réelles du pays à la rembourser. Par conséquent, audelà de la complexité dans l'interprétation des résultats des modèles 2 et 3,
il faudrait peut-être considérer cet effet de la dette sur les importations soit
23. Pour mesurer les effets partiels des variables, on élève au carré leur corrélation partielle (non indiquée dans le tableau).
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
227
comme un effet de prudence ou un effet de limitation si le pays doit emprunter pour financer ces importations. Cette considération est acceptable dans
la mesure où pour l'année 1993 de nombreux pays avaient connu une baisse
sensible de leurs importations (tableau 5). Il faut aussi ajouter que cet effet
de la dette peut avoir été renforcé par le fait que les pays fortement endettés
(et aussi relativement plus riches) sont aussi ceux qui ont tendance à beaucoup importer. Dans la relation dette-importation, il y a comme un effetrichesse (pour ne pas dire effet rente-produits primaires). C'est probablement pour cette raison que le coefficient de corrélation de Pearsan reste
constamment fort et positif aux différentes années.
Dans tous les cas, l'effet de la dette demeure avant tout potentiel (à retardement) car cette dette n'est pas payée du coup. C'est pour cette raison que
l'analyse de son effet a été prolongée en considérant une variable plus dynamique dans le court terme, à savoir le service de la dette dans le modèle 4.
Ce dernier examine les effets de cette variable en combinaison avec les
exportations sur les importations. Les résultats montrent que les deux variables indépendantes ont une influence statistiquement significative. Cependant, la variable « service de la dette» l'a de justesse. Au total, ces deux
variables expliquent la variance totale à près de 77 %. La contribution partielle à l'explication de cette variance est d'environ 15 % pour la variable
« exportations» alors qu'elle est de près de 10 % pour la seconde.
Le modèle 5 termine cette première série de régressions pour l'année 1993.
Il confronte la variable « service de la dette» à la variable « assistance
internationale ». Les tests sont à peine statistiquement significatifs bien que
celui de la seconde variable soit relativement plus élevé. L'ordre de grandeur
de la valeur de t (dans le tableau) est d'ailleurs le même pour chacune des
deux variables. Cela ressort aussi de leur contribution partielle à l'explication de la variance totale; cette dernière étant expliquée globalement à 74 %.
Les résultats du modèle 5 confirment ceux du modèle 4 confrontant le service de la dette aux exportations. Ce qu'il convient de souligner concernant
cette influence quasi identique de ces deux variables, c'est que les résultats
du modèle 5 doivent être interprétés en ayant à l'esprit le caractère fortement
sélectif qui oriente l'évolution de ces deux variables. On reviendra sur cet
aspect tout au long des prochains modèles.
Pour résumer ces résultats qui servent en quelque sorte de référence par
rapport à la période post-dévaluation, il semble important de mentionner que
deux variables ont une influence statistiquement très significative sur les
importations. Il s'agit des exportations (quoique soumises à une monnaie
considérée comme surévaluée) et de l'assistance financière internationale.
Ces deux variables expliquent parfaitement l'ampleur des importations
observée en 1993. La combinaison de l'une de ces deux variables avec la
variable « dette» annule quelque peu cette influence du fait que l'endettement se positionne comme un facteur potentiel de la capacité à importer. Par
contre, leur combinaison avec la variable« service de la dette », montre, elle
aussi, une influence statistiquement significative (moins élevée que dans le
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
228
premier cas). Le service de la dette apparaît comme une variable qui a relativement peu d'influence (mais elle existe quand même!) sur les importations. Il en est ainsi pour des raisons déjà évoquées.
Tableau 16 - Estimations des paramètres de la régression
multiple (année 1993)
Variables indépendantes
Exportations
Assistance internationale
(Constante)
Modèle 1
Coefficient
de régression
Coef. Beta
T-ratio
SigT
1,21
0,33
(- 45,10)
0,54
0,59
6,36
7,05
(- 0,74)
0,001
0,000
(- 0,477)
SigF =0,000
(p < 0,05)
R2 (ajusté) = 0,92
F = 83,94
Variables indépendantes
Exportations
Dette extérieure
(Constante)
Modèle 2
Coefficient
de régression
Coef. Beta
T-ratio
SigT
0,19
0,06
(199,89)
0,34
0,61
l,6O
2,87
(2,62)
0,137
0,015
(0,024)
R2 (ajusté) = 0,81
F= 27,94
Variables indépendantes
Dette extérieure
Assistance internationale
(Constante)
SigF= 0,000
Coefficient
de régression
Coef. Beta
T-ratio
SigT
0,06
0,79
(99,03)
0,64
0,35
3,89
2,14
(1,05)
0,002
0,055
(0,318)
R2 (ajusté) = 0,83 F = 32,92 SigF= 0,000
Coefficient
de régression
Coef. Beta
T-ratio
SigT
0,26
0,31
(248,02)
0,42
0,54
2,22
2,87
(2,89)
0,048
0,015
(0,015)
R2 (ajusté) = 0,76
F = 22,16
SigF = 0,000
(p < 0,05)
Modèle 5
Variables indépendantes
Service de la dette
Assistance internationale
(constante)
(p < 0,05)
Modèle 4
Variables indépendantes
Service de la dette
Exportations
(Constante)
(p < 0,05)
Modèle 3
Coefficient
de régression
Coef. Beta
T-ratio
SigT
0,29
1,09
(140,59)
0,47
0,49
2,42
2,50
(1,12)
0,034
0,299
(0,286)
F = 19,35
SigF = 0,0002
R2
(ajusté) = 0,74
(p < 0,05)
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
229
1994 : le début de la période de repositionnement après la
dévaluation
Globalement les résultats de cette première année, marquée également
par une baisse presque générale des importations, de la période post-dévaluation semblent indiquer une relative démarcation par rapport à l'année
antérieure.
Tout d'abord, la confrontation dans le modèle 6 des variables indépendantes «exportation» et «assistance internationale» comme facteurs
ayant pu influencer les importations indique des résultats très statistiquement significatifs. Cependant, le niveau de cette influence semble se situer
en dessous de celle observée en 1993. La variance totale est expliquée à
90 % par ces deux variables. La contribution partielle de chacune de ces
variables à la variance totale expliquée montre que l'assistance internationale contribue plus au pouvoir prédictif du modèle par rapport aux exportations (l'écart est de - 0,03 au détriment des exportations). Les coefficients
de régression sont tous deux inférieurs à l'unité, ce qui présage d'une variation faible des importations lorsque l'une des deux variables indépendantes
est maintenue constante. Ces résultats reflètent certainement une situation
de repositionnement des pays vis-à-vis d'une part des marchés internationaux demandeurs des produits primaires et d'autre part de l'assistance
financière. Ce repositionnement semble logique du fait que les prix compétitifs créés par la dévaluation sur les produits primaires devraient prendre un
certain temps avant de susciter des réponses de la part des demandeurs.
L'assistance, quant à elle, atteint durant l'année 1994 sa valeur maximale
sur la période 1992-1996 (tableau 22 en annexe).
Le modèle 7 indique clairement que lorsque la dette extérieure est confrontée aux exportations, seule la première variable montre un test (T) statistiquement significatif dans l'explication des importations. La dette
contribue à 36 % dans le pouvoir du modèle à prédire les importations. Ce
résultat est similaire à celui observé en 1993 pour ce qui est de l'influence
de la dette. Ici, cependant, l'influence est peu significative et le modèle ne
retient qu'une seule variable (la dette). Certainement, le processus de repositionnement vis-à-vis des bailleurs de fonds y est pour quelque chose. Le
repositionnement doit être considéré dans ce contexte en rapport avec les
diverses renégociations sur la dette évoquées précédemment. En 1994,
cette dette donnant lieu à d'intenses négociations, la capacité des pays à
importer repose potentiellement sur elle. L'effet de la dévaluation sur les
exportations pèse peu par rapport à celui de la dette.
La place que la dette occupe progressivement dans le repositionnement
après la dévaluation est aussi examinée à travers le modèle 8. Ce dernier
confrontant l'assistance internationale à la dette extérieure donne des résultats non statistiquement significatifs pour ces deux variables. Il est fort possible que la situation de baisse générale des importations durant l'année
1994 y ait quelque peu contribué. L'on sait aussi que l'assistance internationale, quoique maximale, était soumise à une distribution sélective et pré-
230
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
férentielle. En dépit du test de non-linéarité (F = 0,000) très significatif, le
modèle 8 ne peut pas être retenu pour prédire les importations tout comme
l'est le modèle 7. Les effets produits par les variables «exportations» et
« assistance» sont difficiles à cerner dans un modèle associant l'une des
deux avec la dette extérieure.
Des résultats analogues à ceux du modèle 8 sont reproduits par le
modèle 9 confrontant le service de la dette à l'assistance financière internationale. Les tests (T) ne sont pas statistiquement significatifs pour les
deux variables en dépit de l'acceptation que le modèle est bien linéaire
(F =0,000). Les raisons pour lesquelles, ces deux variables n'influencent
pas les importations résident probablement dans l'attitude prudente affichée en 1994 par les bailleurs de fonds durant l'année 1994 en matière
d'assistance. La prudence s'est beaucoup plus manifestée pour les aspects
liés à l'utilisation de cette assistance. Les bailleurs de fonds attribuaient la
priorité au paiement du service de la dette (arriérés). Des détails ont été
fournis sur le caractère sélectif et préférentiel observé à travers cette attitude dans les sections consacrées à l'évolution de la dette et à celle de
l'assistance.
De manière similaire, les résultats du modèle 10 confirment ceux produits
par le modèle 7 confrontant les exportations à la dette extérieure. Seul le
service de la dette influence de manière significative (mais modérée) les
importations. Dans un tel modèle, les exportations ne contribuent pas à son
pouvoir prédictif. Ce résultat n'étonne pas lorsqu'on imagine l'existence
d'une relation entre la dette extérieure et son service.
En guise de conclusion partielle pour ces résultats de l'année 1994, on
retiendra que seul le modèle 6 convient parfaitement pour prédire l'évolution des importations observée durant cette année. Les deux variables indépendantes (exportation et assistance) du modèle ont eu une influence
statistiquement significative sur les importations. En d'autres termes, la
baisse généralisée des importations observée en 1994 peut être expliquée
par une assistance internationale prudente surl'utilisation de celle-ci et une
demande des produits primaires qui reste encore modérée malgré la dévaluation du F CFA. On retiendra que ce modèle rejoint quelque peu le
modèle 1 de l'année 1993.
Tableau 17 - Estimations des paramètres de la régression
multiple (année 1994)
Modèle 6
Variables indépendantes
Exportations
Assistance internationale
(Constante)
Coefficient
de régression
Coef. Geta
T-ratio
SigT
0,24
0,62
(82,84)
0,49
0,55
4,08
4,56
(l,56)
0,002
0,001
(0,1476)
R2 (ajusté) == 0,90
F== 65,04
SigF== 0,000
(p < 0,05)
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
231
Tableau 17 - Estimations des paramètres de la régression
multiple (année 1994)
Modèle 7
Variables indépendantes
Exportations
Dette extérieure
(Constante)
Coefficient
de régression
Coef. Beta
T-ratio
SigT
0,18
0,06
(165,87)
0,36
0,61
1,67
2,79
(2,64)
0,123
0,018
(0,023)
R2 (ajusté) = 0,84
F = 36,19
Variables indépendantes
Dette extérieure
Assistance internationale
(Constante)
Modèle 8
Coef. Beta
T-ratio
SigT
0,06
0,39
(143,87)
0,59
0,35
1,85
1,08
(1,87)
0,092
0,302
(0,088)
F = 31,32
Variables indépendantes
SigF = 0,000
(p < 0,05)
Modèle 9
Coefficient
de régression
Coef. Beta
T-ratio
SigT
0,75
0,19
(204,35)
0,56
0,39
2,40
1,65
(3,09)
0,035
0,126
(0,010)
R2 (ajusté) = 0,83
F = 31,71
SigF= 0,000
(p < 0,05)
Modèle 10
Variables indépendantes
Service de la dette
Assistance internationale
(constante)
(p < 0,05)
Coefficient
de régression
R2 (ajusté) = 0,82
Service de la dette
Exportations
(Constante)
SigF= 0,000
Coefficient
de régression
Coef. Beta
T-ratio
SigT
0,67
0,48
(165,81 )
0,51
0,43
1,73
1,48
(1,99)
0,111
0,166
(0,071)
R2 (ajusté) = 0,82
F = 30,27
SigF = 0,000
(p < 0,05)
Pour ce qui est de la dette extérieure et du service de la dette, leur combinaison avec l'une des deux variables précédentes n'aboutit pas à un modèle
parfait avec deux variables. Les tests (T) pour les exportations et l'assistance
internationale ne sont pas statistiquement significatifs comme celui de la
dette extérieure ou du service de celle-ci (quoique l'influence soit modérée).
On est enclin à dire que dans un tel modèle, les importations en 1994 sont
restées tributaires du poids de la dette ou du service de celle-ci. Comme cela
a été maintes fois souligné, l'interprétation des résultats dans ce type de
modèle considérant la dette comme une variable indépendante doit prendre
en compte l'approche «du cas par cas» évoquée précédemment. Tout
comme elle doit prendre en compte le repositionnement de chaque pays par
rapport aux marchés internationaux de matières premières et l'utilisation de
l'assistance distribuée exclusivement pour le service de la dette.
232
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
1995: le renouement avec la hausse des importations
Deux années après la dévaluation, la démarcation avec 1993 devient plus
prononcée comme cela ressort en premier lieu dans les résultats produits
par modèle Il. Ce dernier, confrontant les exportations à l'assistance financière internationale, confirme une fois de plus les résultats des modèles 1 et
6. Pour les variables, les tests (T) sont statistiquement très significatifs indiquant un pouvoir prédictif relativement fort pour ce modèle. La variance
totale expliquée est de 96 %. C'est au niveau des contributions partielles de
chacune des deux variables dans le pouvoir explicatif du modèle qu'un
changement important est noté. Contrairement à 1994, la contribution des
exportations est plus élevée que celle de l'assistance financière. L'écart est
de + 0,043 au profit cette fois-ci des exportations. En d'autres termes, on
peut dire que l'influence des exportations a relativement été plus significative que celle de l'assistance. Est-ce là le signe d'une capacité accrue des
pays à importer du fait de la dévaluation? La réponse à cette question peut
être dans une certaine mesure affirmative. Cependant, il faut prendre en
compte deux faits pour bien appréhender ce changement. Le premier est
que l'année 1994 a été une année de repositionnement en attendant que les
marchés répondent aux prix « compétitifs» produits par le changement de
parité du F CFA. Cette réponse intervient avec beaucoup de force en 1995
car les effets d'une dévaluation se manifestent toujours sur le court terme.
Les effets monétaires produits par les exportations en forte hausse durant
cette année (tableau 20 en annexe) se répercutent également sur les importations dont les pays ne peuvent pas se passer (même s'ils l'ont fait pendant
1994). Le deuxième fait est que l'assistance internationale promise, après
une année d'utilisation prudente (pour ne pas dire de surveillance), est progressivement utilisée à la fois pour renouveler les stocks des biens (éviter
les pénuries afin de juguler l'inflation galopante) et soutenir le service de la
dette. Toutefois, malgré les craintes des bailleurs de fonds à ce sujet, une
. partie de cette assistance a certainement été utilisée pour financer les importations. Ces dernières ne pouvaient pas être financées seulement avec les
recettes provenant des exportations. Tous ces faits sont corroborés par
l'absence de baisse des importations observée dans tous les pays de la zone
(tableau 5).
Pour se faire une idée de l'influence de la dette extérieure sur les importations au cours de 1995, le modèle 12 confrontant cette variable aux exportations a été utilisé. Le résultat est radicalement différent ici. La dette n'est
plus une variable dont l'effet est statistiquement significatif comme dans
tous les modèles précédents qui l'ont confrontée avec la variable
« exportations ». C'est au contraire cette dernière qui influence de manière
très significative les importations. Il en est de même du modèle 13 qui confronte la dette extérieure à l'assistance finançière internationale. L'absence
d'effet statistiquement significatif pour la dette doit être interprétée en se
référant aux détails fournis dans la section qui a discuté des attitudes ayant
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
233
prévalu sur cette variable. En effet, l' année 1995 peut être considérée comme
celle durant laquelle tous les pays de la zone F CFA ont eu à bénéficier, et
cela à des degrés divers, soit d'un rééchelonnement, soit d'une annulation
(partielle ou totale) de leurs dettes. Sur un plan général, le rééchelonnement
semble avoir été l'approche la plus adoptée par les bailleurs de fonds dans
le traitement de la question de la dette. Un accord de ce type pouvait être considéré comme une « prime» à la dévaluation de la part des bailleurs de
fonds. Ce rééchelonnement une fois obtenu apporte une « bouffée
d'oxygène» à des pays qui étaient jusque-là quelque peu « asphyxiés» par
le poids de la dette; gagnant ainsi un peu de champ libre pour financer leurs
importations. Cela ne signifie pas, pour autant, que le service de la dette n'est
plus assuré pour ces pays. Compte tenu des conditionnalités sur l'utilisation
de l'aide financière, ce service est assuré, en partie, par l'assistance financière promise lors des négociations sur la dévaluation. La mise en place de
cette assistance, variable selon le pays, se maintient en 1995 quoique son
intensité ait été plus faible que celle de l'année précédente.
Du modèle 14 qui confronte le service de la dette aux exportations, il ressort que seule la première variable exerce un effet statistiquement significatif sur les importations. Cet effet doit être mis en relation avec le fait que
l'année 1995 connaît une baisse substantielle de ce service dans la plupart
des pays. C'est donc une baisse qui permet aux pays d'importer plus. Cependant, le modèle, en dépit de son pouvoir explicatif élevé, ne peut pas être
retenu ici car il n'y a qu'une seule variable qui contribue à l'explication.
L'influence du service de la dette et de celui de l'assistance est cernée à
travers le modèle 15. Les deux variables exercent une influence statistiquement significative sur les importations. La variance totale est expliquée à
95 % et le test de linéarité pour le modèle est confirmé significatif lui aussi.
La contribution partielle du service de la dette est visiblement beaucoup
plus élevée que celle de l'assistance financière (18 % contre 4 %). Le coefficient de régression pour la première variable est supérieur à l, un autre
signe de son pouvoir de prédiction fort (lorsque l'assistance reste constante) dans le modèle. Si on considère que l'année 1995 se caractérise également par une baisse relativement importante du service de la dette par
rapport à 1993 (près de - 56 % de chute), on peut faire un rapprochement
entre cette baisse et l'augmentation généralisée de la hausse des importations. En d'autres termes, un service de la dette allégé (quel qu'en soit le
mécanisme) aurait permis aux pays de la zone F CFA de relancer leurs
importations. Indiscutablement, cette relance devait être facilitée par un
234
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
environnement économique favorisant les exportations du fait des prix
compétitifs sur les produits primaires.
Tableau 18 - Estimations des paramètres de la régression
multiple (année 1995)
Variables indépendantes
Exportations
Assistance internationale
(Constante)
Modèle Il
Coefficient
de régression
Coef. Geta
T-ratio
SigT
0,32
1,01
(13,69)
0,57
0,51
8,32
7,35
(0,284)
0,000
0,000
(0,782)
R2 (ajusté) = 0,96 F = 173,44 SigF = 0,000 (p < 0,05)
Variables indépendantes
Exportations
Dette extérieure
(Constante)
Modèle 12
Coefficient
de régression
Coef. Geta
T-ratio
SigT
0,08
0,17
(181,69)
0,66
0,30
2,92
1,32
(2,41)
0,014
0,211
(0,034)
R2 (ajusté) = 0,88 F = 48,190 SigF = 0,000 (p < 0,05)
Modèle 13
Variables indépendantes
Dette extérieure
Assistance internationale
(Constante)
Coefficient
de régression
Coef. Geta
T-ratio
SigT
0,08
0,73
(86,14)
0,64
0,37
5,06
2,90
(1,20)
0,0004
0,0144
(0,2550)
R2 (ajusté) = 0,175 F = 76,21 SigF =0,000 (p < 0,05)
Modèle 14
Variables indépendantes
Exportations
Service de la dette
(Constante)
Coefficient
de régression
Coef. Geta
T-ratio
SigT
-0,01
2,50
(199,59)
-0,19
0,98
-0,08
3,88
(3,07)
0,940
0,003
(0,015)
R2 (ajusté) = 0,91 F = 66,18 SigF = 0,000 (p < 0,05)
Variables indépendantes
Service de la dette
Assistance internationale
(constante)
Modèle 15
Coefficient
de régression
Coef. Geta
T-ratio
SigT
1,82
0,62
(100,19)
0,71
0,31
7,03
3,11
(1,79)
0,000
0,010
(0,106)
R2 (ajusté) = 0,74 F= 129,064 SigF = 0,000 (p < 0,05)
Comme conclusion partielle à ces résultats portant sur l'année 1995, l'on
retiendra que dans la hausse généralisée des importations au niveau de
l'ensemble des pays, rompant ainsi avec une baisse qui s'est maintenue sur
une longue période, trois variables ont, dans une large mesure, contribué à
ce redressement. Il s'agit des exportations, de l'assistance financière internationale et du service de la dette. Les effets de la première ont été produits
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
235
par une demande accrue des matières premières devenues plus compétitives. L'effet de la seconde variable a été généré par une offre ayant conservé
son ampleur de 1994 et bénéficiant à tous les pays. Quant à la dernière, c'est
beaucoup plus, à travers les renégociations dont elle a fait l'objet dans les
conditions du changement de parité, que son effet doit être compris. En
d'autres termes, un service de la dette «relativement supportable », une
assistance financière elle aussi « relativement consistante» et une demande
forte de produits primaires exportés ont permis aux différents pays de
redresser les importations qui restent indispensables à leur bon fonctionnement. C'est là trois déterminants cruciaux de l'évolution des importations.
On reviendra sur ce point dans la section consacrée aux implications. L'un
des changements significatifs notés dans l'explication de l'évolution des
importations est que, contrairement à 1994, les exportations expliquent plus
cette évolution à la hausse.
1996 : la réapparition des incertitudes
Une seule régression sera faite ici du fait que les informations sur la dette
ne sont pas disponibles dans toutes les sources de données consultées 24 . Le
modèle 16 confronte les exportations à l'assistance financière internationale. Une fois de plus, les résultats sont conformes aux observations précédentes. L'influence de ces deux variables sur les importations reste
statistiquement significative et la linéarité du modèle est aussi confirmée
(F =0,(00). Le pouvoir prédictif est donc réalisé par ces deux variables
comme en témoigne aussi la variance totale qu'elles expliquent à près de
95 %. Comme en 1995, la contribution partielle des exportations est plus
élevée que celle de l'assistance financière internationale (21 % contre 16 %
respectivement). Il apparaît donc que l'écart se resserre dans les contributions partielles à l'explication des importations. Au-delà du caractère provisoire des chiffres de 1996, ce resserrement doit être rapproché de deux
évolutions parallèles. En premier lieu, celle des importations pour laquelle
on constate de nouveau l'apparition d'une baisse au niveau de quatre pays
(tableau 5). En second lieu, la baisse de l'assistance financière internationale qui, au niveau de l'ensemble des pays, passe de 4 856 en 1995 à 4 704
en 1996; soit une chute de - 152 points.
Au niveau de l'ensemble du continent, cette chute est de - 1 717. Répartie
de manière uniforme à travers les quatorze pays, cette chute serait à peu
près de Il millions de dollars (US), chiffre qui est énorme. Par conséquent,
le resserrement de l'écart entre les contributions de ces deux variables à
l'explication de la variance totale reflète la difficulté qu'ont les pays de la
zone F CFA à soutenir une hausse des importations lorsque l'assistance
internationale baisse considérablement. L'aide financière est indispensable
aux efforts de financement des importations. C'est là un point de discussion
24. Les statistiques sur ces variables ont été recueillies dans le rapport annuel de
l'OCDE (1998). La dernière année couverte, en dépit du fait que ce rapport est très récent,
est 1995.
236
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
qui renvoie à la dure réalité ayant prévalu du côté des pays de la zone;
l'espoir que l'assistance serait distribuée une fois le franc CFA dévalué. Cet
espoir s'est forgé malgré les incertitudes sur les potentiels gains qu'apporterait ce changement de parité sur la balance de paiements. Cette réflexion
conduit tout droit à l'examen des implications des diverses évolutions pour
l'avenir de ces pays.
Tableau 19 - Estimations des paramètres de la régression
multiple (année 1996) variable dépendante: importations
Variables indépendantes
Exportations
Assistance internationale
(Constante)
Modèle
Coefficient
Coef. Beta
de régression
1,52
0,51
0,34
0,58
(- 84,56)
R2 (ajusté) = 0,95 F = 115,81
16
T-ratio
SigT
6,26
0,0001
7,13
0,0000
(- 1,06)
(0.3092)
SigF= 0,000 (p < 0,05)
Quelques implications pour le développement futur des pays de
la zone du franc CFA
Avant de dégager ces implications, il convient de souligner que tous les
résultats fournis par la description de l'évolution et de la structure des
importations et par l'analyse explicative mesurant les effets des variables
dépendantes retenues confirment bien l' hypothèse de travail formulée au
départ. En effet, il a été constaté que la baisse considérable des importations
en 1994 a été suivie en 1995 par un redressement significatif tant au niveau
global que de celui de chaque pays. L'année 1994 a constitué un repositionnement pour les exportations en attendant que la demande réagisse favorablement aux prix compétitifs provoqués par la dévaluation. La continuité de
l'assistance financière internationale tant recherchée s'est bien réalisée en
1994. Après l'évolution en baisse observée de 1992 à 1993, on peut dire que
le volume de l'assistance a connu lui aussi un redressement. Toutefois, la
baisse des importations constatée en 1994 ne peut être attribuée totalement
à la dévaluation car une tendance analogue a été observée à partir de 1990.
Un autre déterminant de cette baisse serait la chute des recettes d'exportation qui, pour l'ensemble, a été plus forte durant l'année 1994 par rapport
aux quatre années précédentes. L'assistance internationale, assez consistante durant la même année, a probablement atténué l'effet de la faiblesse
des exportations. La reprise des exportations en 1995 et 1996, du fait des
prix compétitifs, combinée à la disponibilité de l'aide financière internationale a permis de relancer les importations. On peut ainsi penser que sans
cette assistance, les pays de la zone F CFA auraient éprouvé quelques difficultés pour réaliser les importations observées en 1995 uniquement sur la
base d'une relance de leurs exportations devenues plus compétitives. Cette
pensée est appuyée par les différents modèles de régression multiple confrontant les exportations à l'assistance financière.
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
237
Par ailleurs, les effets de ces deux variables restent conditionnés, en filigrane, par la place qu'occupent progressivement la dette extérieure et le
service de celle-ci dans le processus de repositionnement déclenché par la
dévaluation. Les modèles (à trois variables), combinant les deux dernières
variables aux deux premières, produisent des résultats quelque peu ambigus quant au rôle que jouerait la dette ou son service sur l'évolution des
importations. Pour la dernière variable, les diverses renégociations ou les
mesures d'accompagnement dont elle a fait l'objet dans le contexte de la
dévaluation ont probablement accru de manière relative la marge de
manœuvre dont disposent les pays pour importer.
La baisse escomptée des importations sous l'effet de la dévaluation n'a
été que de courte durée. La relance des exportations des produits primaires
et l'assistance financière internationale (accordée dans le cadre de l'assistance officielle au développement) ont été les facteurs qui ont, de manière
significative, influencé l'évolution en hausse des importations observée
après 1994. L'influence des exportations sur cette hausse est légèrement
supérieure à celle de l'assistance financière à partir de 1995. Par rapport à
la situation d'avant janvier 1994, la dévaluation n'a pas tellement changé
(sauf pour les prix!) l'ordre des choses compte tenu des demandes structurelles internes auxquelles sont soumises ces importations dans chaque pays.
Les résultats de la présente étude confirment indirectement un argument
avancé par plusieurs observateurs selon lequel pour les pays de la zone
F CFA, le maintien et la continuité de l'assistance étaient avant tout les raisons pour lesquelles cette dévaluation avait été acceptée et non pour les
effets potentiels sur la balance de paiements. On en arrive ainsi à l'examen
de ce que ces résultats peuvent impliquer pour le futur de cette zone en termes de développement économique.
La mise en lumière de la nature spécifique des structures des importations
dans les pays de la zone F CFA permet de comprendre pourquoi, contrairement à ce que prédit la théorie conventionnelle, la dévaluation ne peut pas
produire de façon durable les baisses attendues sur les importations. Les
modalités et les contextes nationaux dans lesquels s'est opérée cette dévaluation ont contribué à la reproduction des niveaux antérieurs des importations dès 1995 par la dépendance, le déséquilibre et l'asymétrie. L'assistance financière, les recettes d'exportations et, selon les concessions faites,
la dette extérieure et le service de celle-ci, contribuent à la reproduction de
ce rapport baisse-hausse des importations qui fait que l'économie des pays
de cette zone est amenée constamment à s'ajuster aux pressions externes et
aux besoins internes. Un ajustement aussi s'opère par rapport aux préférences des bailleurs de fonds. Le développement dans ces pays, comme partout
d'ailleurs en Afrique subsaharienne, est perçu d'abord comme un processus
imitatif du fait d'une vision économique fortement alignée sur le taux de
croissance économique (pour lequel on veut qu'il soit supérieur au taux de
croissance démographique). Il s'agit là d'une vison économique de type
linéaire. Pour un tel développement, l'achèvement d'une adaptation des
238
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
modèles de consommation plus sophistiqués est demandé sans pour autant
que le processus correspondant d'accumulation du capital et des progrès
dans les méthodes de production soit mis en place.
Cette recherche d'adaptation se manifeste, entre autres, par une importation massive de technologie et d'autres biens qui engendre justement cette
dépendance technologique caractéristique de la plupart des pays en développement. Ce cheminement vers l'adaptation fait aussi que la dynamique
d'accumulation dans ces pays est fondée sur un ajustement structurel des
économies aux mutations des économies développées exportatrices des
capacités de production. Comme les importations coûtent cher, les pays sont
amenés à emprunter massivement, selon les mécanismes de l'assistance
financière, ajoutant ainsi une nouvelle chaîne de dépendance financière à la
dépendance technologique et à celle relative à d'autres types de biens.
L'infrastructure industrielle existante et le besoin en équipement pour la
maintenir en fonctionnement reposent sur une importation massive d'équipements des pays industrialisés. En grande partie, ces importations ont été
favorisées par la mise à disposition de ces pays des moyens financiers
nécessaires pour pallier l'insuffisance de l'épargne interne. Importations de
technologie, d'équipements et transferts financiers sont ainsi allées de pair,
les organismes internationaux et les pays de la zone F CFA eux-mêmes
s'employant à éliminer les obstacles au transfert financier. La réalité est
qu'aujourd'hui toutes ces importations et ces flux financiers en provenance
de l'extérieur n'ont pas donné à ces pays une capacité autonome d'évolution vers ce modèle auquel ils aspirent tous. Bien au contraire, c'est la
dépendance des économies des pays de la zone qui s'est accrue, renforçant
d'autres formes de dépendance et d'inégalités dans les échanges qui les
caractérisent déjà. Jusqu'ici, la rupture avec la dépendance ne s'est manifestée ni pour les pays ayant bénéficié d'un afflux financier lié à la vente des
produits pétroliers ou agricoles, ni pour les pays dans lesquels s'est développée, de façon limitée, une structure industrielle essentiellement tournée
vers la substitution des produits importés. Pour la seconde catégorie de
pays, la plupart des industries peu compétitives mises en place, ellesmêmes utilisatrices de technologie importée, ont cessé toutes activités.
Contrairement à ce qui s'est passé en Asie ou en Amérique latine, l'industrie de substitution aux importations stagne à sa phase primaire en Afrique
subsaharienne (Snider, 1995 : 223-169).
La triste réalité qui apparaît au regard du cheminement (la dévaluation
n'est qu'une autre étape) suivi par ces pays depuis leur indépendance tout
au début des années 1960, est que leur maîtrise des enjeux du développement économique n'a pas été suffisamment forte dans le domaine de la
technologie. Sans la maîtrise technologique, la rupture avec toutes les formes de dépendance est difficile à réaliser. Par conséquent, le risque de voir
s'éterniser le cycle: importation de technologie et de biens d'équipement
~ exportation de produits primaires ~ assistance financière internationale
(dette) et inversement. Un tel cycle exclut toute transformation interne de
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
239
ces pays leur permettant à la fois de répondre aux besoins de la société et
d'acquérir une accumulation soumise à une dynamique autonome.
La relation qui est apparue entre la dette et les importations peut être
entrevue comme une autre relation de dépendance dont la dette est un instrument central. La décision d'emprunter devient dans cette relation un
choix structurel qui engage, selon une durée variable, tout pays emprunteur
dans cette dépendance. Toutefois, la dépendance liée à l'endettement est un
résultat de la gestion dont chaque pays en a fait. L'histoire du monde est
riche d'exemples de pays qui ont su gérer de manière efficace leur dette
pour mettre en place une dynamique autonome assise sur un système économique concurrentiel. Cela pose inévitablement le problème de la définition et de la conception des relations entre importations, exportations et
assistance financière pour les pays de la zone F CFA dans les années postdévaluation. C'est de ces variables que dépend en gros tout leur développement futur, qui ne peut être défini que par rapport à la capacité de mobilisation interne des ressources et de l'insertion de ces ressources internes
dans le processus de croissance durable.
Le problème des importations accentuant la dépendance se pose d'abord
à l'intérieur des pays de la zone, c'est-à-dire au niveau de leur politique de
développement (surtout industrielle), de leur capacité à restructurer leurs
économies et à mobiliser pour cela leurs ressources internes. Plusieurs
observateurs recommandent souvent le renforcement des regroupements
régionaux dans la période post-dévaluation. Mais ce n'est là qu'un aspect
de la solution à apporter à un problème qui est de nature multidimensionnelle. Indiscutablement, la dévaluation apporte de nouvelles opportunités
que certains pays ont déjà commencé à saisir à travers la relance de leurs
exportations. Un aspect fondamental qui demeure cependant est celui du
développement industriel. Aujourd'hui en Afrique subsaharienne, ce développement se trouve confronté à une crise non seulement sur le terrain mais
également au niveau du débat intellectuel. Ce débat est dans l'impasse du
fait qu'aucune alternative viable n'est proposée dans le discours théorique.
Cependant, pour autant que ces relations évoluent dans le sens favorable,
les options internes doivent tenir compte des contraintes liées à l' environnement national, ce qui pose le problème des transformations (institutionnelles, formes de propriété, droits civiques, participation, genre, etc.) à
apporter à ce dernier pour minimiser les risques d' hypothèques évoqués par
Coquet (1994); de la nécessaire rupture qu'implique toute dévaluation.
Toute la question des avantages à tirer du changement de parité intervenu le
Il janvier 1994 repose là-dessus.
La principale orientation de politique économique qui émane de cette
situation est, tout en poursuivant la stratégie des exportations, les efforts de
restructuration économique et de démocratisation, qu'il faudrait que les
pays de la zone F CFA repensent leur politique d'industrialisation. Cette
dernière devrait donner une grande priorité à l'aspect technologique. Il faudrait que les instruments pour maîtriser la technologie soient imaginés et,
240
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
une fois identifiés, leurs applications devraient être encouragées au sein des
États. Cette recommandation qui renvoie directement à la création des
capacités productives, au développement des connaissances (théoriques et
pratiques) et à l'innovation, exige qu'une autre priorité soit donnée au renforcement du capital humain dans les stratégies futures de développement.
Conclusion
La section précédente a présenté, dans ses quelques grandes lignes, une
orientation de politique économique pour parvenir à une croissance du PIB
capable de persister sur le long terme dans la période post-dévaluation.
L'environnement national d'une telle croissance permet d'aboutir à un
modèle de développement qui s'accompagne d'une transformation des
structures économiques et sociales adaptées à ces pays. Il est à présent utile,
avant de clore la présente étude, de mentionner ce que l'analyse faite
apporte comme contribution au débat théorique sur le développement des
pays de l'Afrique, qu'ils soient de la zone F CFA ou d'ailleurs.
L'analyse offre des résultats théoriquement importants. Elle a montré en
quoi une approche s'appuyant exclusivement sur la reprise des exportations
est insuffisante pour expliquer la hausse des importations. Les causes internes et externes de l'évolution des importations sont expliquées à la fois par
la théorie conventionnelle de la dévaluation (hausse des exportations et renchérissement des biens importés), des théories structuralistes (faiblesse de
la technologie) et celle de la dépendance (faiblesse dans l'accumulation du
capital). Les résultats de l'étude suggèrent que toute analyse de l'impact de
la dévaluation sur les importations et donc sur la balance commerciale doit
s'appuyer sur plusieurs théories afin de fournir un tableau assez complet
des avantages et des limites de cet instrument de politique monétaire qu'est
la dévaluation. Toutes ces théories sont, à divers degrés, à confirmer dans
l'analyse.
En outre, les résultats de l'analyse contribuent empiriquement aussi au
débat théorique et critique sur les formes d'insertion des pays de la zone
F CFA dans le système capitaliste mondial. Elle a montré comment cette
insertion s'opère à travers la chaîne formée par les importations de technologie et de biens d'équipement, les exportations de produits primaires et
l'assistance financière internationale. C'est cette chaîne qui traduit la forme
persistante d'une participation inégale de l'Afrique (y compris les pays de
la zone F CFA) à la division internationale du travail comme cela a été souligné par Amin (1972,1992). La dévaluation n'a rien changé à cette réalité.
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
241
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DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
243
Annexes
Tableau 20 - Exportations totales (f.à.b) en millions de dollars
américains
Pays
1987
1990
1992
1993
1994
1995
1996"
Bénin
Burkina
Cameroun
Centraf.
Tchad
Comores
Congo
Côte d'I.
Guinée-É.
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
366
193
1729
129
109
12
877
3091
39
1286
256
412
671
403
287
283
1906
151
194
18
1328
3003
38
2490
330
313
894
395
371
238
1937
116
182
21
1179
2945
52
2257
362
269
828
327
341
263
1651
132
152
22
1119
2519
52
2326
349
248
707
215
308
188
1432
151
135
Il
959
2869
65
2365
335
231
294
226
405
243
1662
173
250
11
1173
3870
86
2643
459
281
969
355
424
305
1721
135
259
6
1517
4316
172
3111
473
280
1022
345
Total
9573
11630
11084
10096
9569
12580
14086
a. Les chiffres de 1996 sont considérés comme proVISOires à la date de la publication.
Source: extrait du tableau 5.1 (Banque mondiale 1997: 73)
Tableau 21 - Évolution de la dette extérieure
Pays
1985
1990
1992
1993
1994
1995
Bénin
Burkina
Cameroun
Centraf.
Tchad
Comores
Congo
Côte d'I.
Guinée-É.
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
774
574
3269
354
172
135
2735
9847
111
1675
1463
1318
2467
984
1351
1137
6085
860
583
210
4390
17692
197
3937
2632
1879
4451
1504
1326
1147
6216
758
717
187
4167
16545
225
3782
2325
1475
3825
1312
1363
1164
6325
816
738
180
4187
16137
240
3622
2364
1446
3645
1189
1430
1147
6563
834
739
186
4563
14144
260
3751
2291
1591
3499
1230
1732
1587
7761
1052
954
239
5332
14463
258
4415
2894
1754
4366
1418
Total
27341
46908
44007
43416
42228
48225
Source: OCDE (1998).
244
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 22 - Évolution de l'assistance financière internationale
par pays
Pays
Bénin
Burkina Faso
Cameroun
Centrafrique
Tchad
Comores
Congo
Côte d'Ivoire
Guinée Equatoriale
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
Togo
Total Zone
Total Afrique subsaharienne
1992
1993
1994
1995
1995
269
114
715
177
241
49
112
758
62
69
434
370
675
223
289
470
545
173
228
50
123
765
53
102
366
347
504
98
257
436
731
166
215
40
362
1594
30
182
443
377
645
126
282
487
168
239
43
125
1212
34
145
545
270
669
193
293
418
413
167
305
40
430
968
31
127
505
259
582
166
4268
4113
5604
4856
4706
na
17330
18912
18463
16746
444
Source: OCDE (1998).
Tableau 23 - Structure (en pourcentage) des importations
(1985-1994)
1985
1990
1994
Bénin
A
C
M
BM
AU
Pays
Il,7
4,8
21,6
45,6
16,8
20,1
Il,7
13,6
41,3
13,3
20,7
12,5
14,0
39,9
12,9
Burkina Faso
A
C
M
BM
AU
29,9
12,9
19,5
27,8
9,9
18,5
Il,7
26,2
36,3
7,4
20,7
9,2
26,1
37,7
6,3
Cameroun
A
C
M
BM
AU
7,9
3,6
34,8
48,8
4,9
16,2
1,5
27,8
48,2
6,3
14,4
2,1
29,5
46,6
7,4
Centrafrique
A
C
M
BM
AU
13,8
1,8
33,3
41,3
10,1
14,5
3,0
37,0
35,5
10,0
14,6
4,0
36,0
37,2
8,2
DÉVALUATION DU FRANC CFA ET IMPORTATIONS
245
Tableau 23 - Structure (en pourcentage) des importations
(1985-1994) (suite)
Tchad
A
C
M
BM
AU
11,6
14,2
28,9
40,0
5,3
1l,7
14,1
28,9
40,2
5,1
Il,8
14,0
28,7
40,0
5,5
Comores
A
C
M
BM
AU
44,4
16,7
11,1
25,0
2,8
41,9
13,3
9,7
22,5
12,5
40,0
10,9
8,4
19,2
21,5
Congo
A
C
M
BM
AU
16,4
3,1
35,3
41,5
3,8
14,0
2,9
37,0
42,6
3,4
12,8
2,9
37,4
43,0
3,9
Côte d'Ivoire
A
C
M
BM
AU
15,1
22,0
222
36,1
4,6
17,8
16,9
22,8
37,9
4,5
16,7
13,4
22,9
42,2
4,8
21,4
17,9
17,9
25,0
17,9
22,2
19,4
19,4
27,0
Il,9
21,6
18,4
19,5
28,7
Il,8
Gabon
A
C
M
BM
AU
13,8
1,7
38,6
39,8
6,1
Il,7
1,7
40,0
40,9
5,7
14,1
1,8
39,0
38,9
6,2
Mali
A
C
M
BM
AU
15,3
16,7
35,9
29,3
2,7
16,5
16,2
36,1
27,6
3,6
19,3
17,6
23,3
33,1
6,7
Niger
A
C
M
BM
AU
34,7
Il,O
20,5
26,3
7,5
31,5
Il,3
20,2
27,9
9,0
29,9
9,0
22,2
30,3
8,6
Sénégal
A
C
M
BM
AU
21,2
26,2
16,3
25,5
10,8
24,9
16,0
21,2
30,4
7,5
23,0
17,9
21,4
31,4
6,3
Guinée-Équatoriale A
C
M
BM
AU
246
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 23 - Structure (en pourcentage) des importations
(1985-1994) (suite)
Togo
A
C
M
HM
AU
17,8
6,8
18,5
47,9
8,9
14,8
8,3
22,6
44,5
9,8
16,7
8,1
24,8
41,0
9,4
Source: NU-CEA (1995) 1994 Indicateurs socio-économiques africains
Nomenclature des abréviations: A-produits alimentaires; C-combustibles; M-machines et
matériel de transport; HM-autres biens manufacturés; AU-autres.
10
Les effets économiques et sociaux
de la dévaluation du franc CFA
dans les pays de l'UEMOA
Malick SANÉ
Face à l'ampleur de la crise économique et financière des pays africains
membres de la zone franc (PAZF) et à la dégradation de leurs principaux
indicateurs depuis le contre-choc pétrolier (1979), deux stratégies étaient
envisageables. La première, dans laquelle plusieurs pays s'étaient engagés,
consistait à rétablir la compétitivité par une diminution des rémunérations
nominales et un effort pour réduire les gaspillages et augmenter la productivité. La seconde s'appuyait sur la dévaluation de façon à obtenir à travers
l'illusion monétaire une baisse du niveau réel des rémunérations (salaires,
marges, ... ) et ainsi une réduction des coûts (Banque mondiale, 1994).
Cette stratégie l'a emporté, car les institutions de Bretton Woods qui ne
croyaient pas à la possibilité de poursuivre efficacement la première ont finalement obtenu le ralliement de la France à leur point de vue après un débat
intense entre partisans d'un ajustement de parité, amenés par la Banque de
France, et partisans d'un statu quo, amenés par le Trésor français. Les pays
africains, fortement endettés vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale,
avaient impérativement besoin que ces institutions reprennent leur financement, auquel la France conditionnait désormais ses propres concours.
Les arguments décisifs avancés par les organismes de Bretton Woods
pour justifier la dévaluation du franc CFA se rapportaient aux résultats
médiocres des politiques d'ajustement mises en œuvre par les pays africains, en particulier, à l'accumulation de déséquilibres économiques et
financiers. Ces pays ont finalement décidé d'adopter la dévaluation du franc
CFA (50%) et du franc comorien (33 %), par rapport au franc français (FF)
et donc à toutes les autres devises, le 12 janvier 1994.
248
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Cette dévaluation se présentait comme l'aboutissement du processus
d'ajustement engagé par les pays de la zone franc et qui devait leur permettre de renverser la tendance, en restaurant la compétitivité, en facilitant la
résorption des déficits publics, et en créant les conditions d'un retour de la
croissance.
L'ajustement de la parité du franc CFA par rapport aux monnaies extérieures s'est accompagné d'une politique de rigueur macroéconomique et
de vastes mesures structurelles conçues pour améliorer les perspectives de
croissance des pays et rétablir la confiance dans une démarche plus conforme à leur ouverture internationale.
Quatre années après la dévaluation, il paraît nécessaire de jeter un regard
rétrospectif sur l'évolution suivie par les économies membres et d'en dresser un bilan objectif. En effet, au-delà des rapports de pouvoir, qui se nouent
au niveau international, la dévaluation du franc CFA a eu des incidences
dissemblables pour les membres de la zone franc, et, au sein de chaque
pays, pour les différentes catégories sociales. Sans la connaissance de
l'ampleur des coûts sociaux de la dévaluation, il est difficile de maîtriser la
gestion de l'économie nationale. Une baisse du niveau de vie peut déclencher des tensions sociales qui rendent difficile, voire impossible, l'application des politiques économiques devant renforcer l'action de la
dévaluation pour qu'elle atteigne les objectifs économiques visés. Ces considérations suffisent pour porter une attention toute particulière aux implications sociales de la dévaluation. Cette étude s'efforce de prendre en
compte ces retombées sociales.
Cette contribution tente d'évaluer les effets économiques et sociaux de la
dévaluation du franc CFA sur l'économie des pays de l'UEMOA, en général, sur celle du Sénégal, en particulier. Pour ce faire, la première partie présente la problématique et les effets immédiats de cette mesure. La seconde
partie analyse les conséquences structurelles et qualitatives de ce changement de parité en s'intéressant aux effets sur les économies, dans une perspective de développement.
Problématique et effets de la dévaluation à court terme
La manipulation du taux de change n'est pas une opération très fréquente
dans la zone franc. La relative stabilité du taux de change entre le franc CFA
et le franc français en témoigne. Pendant près de 46 ans (entre 1948 et
1994), ce taux est resté inchangé. Il aurait certainement pu être le même
encore aujourd'hui si le point de vue des principaux concernés (en l'occurrence les PAZF) avait été pris en considération. Ceux-ci ont, pour la plupart,
toujours été sceptiques quant aux effets positifs d'une dévaluation sur leurs
économies.
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
249
La problématique de la dévaluation
Détenniner la pertinence d'une dévaluation est un exercice complexe, qui
pose le délicat problème de la définition d'un éventuel « taux de change
d'équilibre ». Cette question s'est notamment posée au lendemain de la
seconde guerre mondiale, lorsqu'il s'agissait de définir les principes de
coopération monétaire internationale dans le cadre des accords de Bretton
Woods. Elle est réapparue de façon permanente durant les années 1970,
avec l'instabilité des changes flexibles et la construction monétaire européenne. Elle se pose à nouveau avec insistance depuis le début des années
1990, avec la crise du système monétaire européen (SME), la marche vers
la monnaie unique et l'instabilité monétaire dans les pays en développement (d'Amérique latine et d'Afrique notamment).
Il existe deux manières d'appréhender le problème de l'équilibre du taux
de change: par la parité des pouvoirs d'achat et par le solde de la balance
des paiements. Les approches monétaires de la balance des paiements,
comme le modèle de Dornbusch (1976) et ses développements monétaristes, appartiennent à la première école, héritée de la tradition de Cassel
(1923). La théorie qui y est développée indique que les dévaluations doivent
se produire dès que le taux de change en vigueur ne permet plus l'égalité des
pouvoirs d'achat des monnaies à long terme. Les approches de la balance
des paiements par les élasticités (Marshall-Lerner-Robinson) ou par le
revenu (Mundell-Fleming) appartiennent à la deuxième école, héritière des
travaux de Nurske (1945). Selon cet auteur, les réajustements sont nécessaires lorsque la parité interdit le retour à un équilibre fondamental de la
balance des paiements, c'est-à-dire à un solde des paiements acceptable
sans recourir à un endettement excessif, à la mise en place de restrictions aux
échanges ou à l'adoption des mesures déflationnistes. Cette seconde approche, retenue par l'analyse libérale de la crise africaine (FMI, Banque mondiale, ... ) à travers la notion de taux de change « réaliste », appliquée depuis
une dizaine d'années pour critiquer le maintien du franc CFA à sa parité de
1948, est également proche des recommandations de Williamson sur la
défense d'un« taux de change d'équilibre fondamental» par un système de
flottement dirigé à l'intérieur d'une zone cible (Siroen, 1991).
Les partisans de la dévaluation, avec à leur tête les institutions de Bretton
Woods, concluent notamment à la surévaluation du franc CFA. Celle-ci
entraîne ou renforce l'apparition d'effets pervers tant au niveau de la production que de la consommation. Par exemple, l'importation de produits
alimentaires à bas prix ne serait pas étrangère à l'effondrement de l'agriculture vivrière et à la modification des habitudes alimentaires. D'un autre
côté, les exportations de produits manufacturés ne pourraient se développer
faute d'une compétitivité-prix suffisante.
Le FMI et la Banque mondiale préconisent donc l'ajustement de la parité
du franc CFA dès le milieu des années 1980. En effet, au même titre que le
contrôle du crédit, la réduction des déficits publics, la libéralisation des
250
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
prix, des échanges commerciaux et financiers ... , la dévaluation fait partie
intégrante des instruments spécifiques de politiques économiques inclus
dans les programmes d'ajustement proposés (ou imposés ?) par les institutions de Bretton Woods.
Les prémices apparaissent dès la deuxième moitié de l'année 1993 à travers, d'abord, les mesures prises par les Banques centrales (BCEAO et
BEAC) le 4 août 1993, de ne plus procéder au rachat des billets changés
hors de la zone franc. Ensuite, l'évolution progressive de l'attitude des
autorités politiques, notamment de la France, semble se modifier. Cela
implique que les PAZF devront mettre réellement en œuvre les programmes
d'ajustement supportés par le FMI et la Banque mondiale, qui incluent
habituellement un changement de parité de la monnaie. Enfin, on note les
anticipations de certains agents économiques (les multinationales), qui
n'hésitent pas à payer d'avance leurs fournisseurs étrangers et à se désendetter auprès de leur maison mère afin de réduire au maximum leur trésorerie en franc CFA. Dans les dernières heures précédant la décision
officielle de dévaluer, la suspension des transferts bancaires confirmait le
caractère inéluctable de cette mesure.
Effets de la dévaluation à court terme
Le choix de la dévaluation représente un changement important de stratégie économique. Il s'agit d'imposer une modification substantielle de la
structure interne des prix relatifs, des objectifs que la politique d'ancrage
nominal a vainement cherché à réaliser de manière progressive. Trois effets
sont attendus à court terme: une amélioration de la compétitivité-prix, une
certaine réallocation des ressources vers les secteurs exportateurs (au détriment des villes et au profit des campagnes) et un assainissement des finances publiques. Examinons ces trois effets successivement.
A) L'IMPACT SUR LA COMPÉTITIVITÉ-PRIX
Un changement de parité permet théoriquement de compenser la détérioration des termes de l'échange (augmentation du prix des importations
exprimé en franc CFA sans changement du prix des exportations et exprimé
dans la même monnaie) en restaurant une meilleure compétitivité externe:
développement des volumes d'exportation et réduction des volumes
d'importation. Toutefois, cet effet favorable sur la balance commerciale ne
se produit que si les conditions de validité du « théorème des élasticités
critiques» sont remplies. Il faut donc que les élasticités - prix des importations et des exportations - soient suffisamment importantes. Cependant, la
mesure de l'évolution de la compétitivité est toujours une tâche ardue. Elle
l'est particulièrement dans le cas de l'économie sénégalaise, en raison du
manque de statistiques fiables sur l'évolution des prix des différents secteurs.
On dit que le taux de change effectif réel (TCER), soit le taux de change
effectif nominal (TCEN), est l'indicateur standard le plus couramment utilisé pour mesurer la compétitivité globale d'une économie.
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
251
Selon Diaw l'approche traditionnelle, basée sur la parité des pouvoirs
d'achat (PPA) et utilisant une pondération en fonction de la seule origine
des importations, permet de refléter la compétitivité d'un pays comme le
Sénégal sur son propre marché. Cet auteur soutient que cette approche du
TCER, compatible avec le modèle de Salter-Swan d'une économie
« dépendante)) (Edward, 1989 ; Guillaumont, 1992 ; Elbadawi et Soto,
1993), s'applique parfaitement à l'économie sénégalaise. La principale
conclusion que tire finalement A. Diaw de son analyse de l'évolution du
TCER multilatéral et bilatéral du Sénégal pour la période 1964-1994 est la
suivante:
- il n'y a pas eu d'augmentation systématique du TCER multilatéral du
fait de la relative maîtrise de l'inflation au plan interne ;
- l'évolution du TCER bilatéral vis-à-vis des pays asiatiques, du Nigeria
et du Maroc révèle, en revanche, une perte significative de la compétitivité
extérieure du Sénégal, surtout dans les années 1980.
A. Diagne (1995) a procédé à la détermination du taux de change d'équilibre du CFA au Sénégal en ajustant le taux de change officiel par l'utilisation de la méthode des élasticités. L'écart entre le taux de change d'équilibre
calculé et le taux de change officiel indique l'ampleur de la surévaluation du
franc CFA au Sénégal. Plus la surévaluation est importante, moins l'économie est compétitive. Les principaux enseignements tirés des calculs effectués par cet auteur sur la période (1980-1991) sont les suivants :
- le franc CFA au Sénégal a été fortement surévalué entre 1980 et 1985
(le taux moyen est de 41 %). Cette période fut caractérisée par de grands
déséquilibres macrofinanciers qui n'ont pas pu être résorbés par les différents plans de stabilisation et d'ajustement structurel. Ces déséquilibres se
sont traduits par un important écart entre le taux officiel et le taux
d'équilibre;
- on observe, à partir de 1986, une légère diminution de la surévaluation,
qui se situe néanmoins, selon A. Diagne, à un niveau encore élevé (30 %).
A. Diaw (1997) a relevé les inconvénients majeurs de cette méthode quant
au caractère significatif des résultats obtenus, d'une part, et à l'applicabilité
d'une telle approche pour un pays en développement comme le Sénégal,
d'autre part. A cet égard, les gains de la dévaluation en termes de compétitivité
semblent sérieusement limités. Tout d'abord, les exportations des PAZF sont
quasi exclusivement composées de matières premières, dont la demande est
peu élastique aux prix et dont les cours se forment en devises sur les marchés
mondiaux (les PAZF sont price-taker). Ces cours sont relativement indépendants des coûts de production de la zone franc, et les effets-prix paraissent
donc négligeables. Les pays africains, fortement spécialisés dans les exportations de produits de base dont ils n'ont pas la maîtrise de l'évolution des
cours, ne devraient pas profiter de gains de compétitivité importants dans ce
domaine. Par ailleurs, l'élasticité de la demande d'importation aux prix est
faible : elle dépend à long terme de facteurs structurels, tels que les techniques
de production et les modes de consommation. Les seuls effets rapides et signi-
252
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
ficatifs de compétitivité ne portent que sur les consommations alimentaires
urbaines: substitution des produits vivriers (maïs, mil, sorgho, tubercules)
aux produits importés (blé, riz).
L'examen des notions de prix et de compétitivité à court terme, c'est-àdire la structure des taux de change, des prix et des frais de production de
l'économie sénégalaise, relativement à celle de ses principaux partenaires
commerciaux, révèle toutefois que la compétitivité des prix s'est améliorée,
suite à l'adoption, en 1994, du programme de réformes structurelles (Pigato
et al., 1997). Selon une étude de la Banque mondiale, les coûts des facteurs
au Sénégal, sont désormais compétitifs avec ceux des pays comparables
d'Asie et d'Afrique, bien qu'ils soient encore élevés par rapport à la
moyenne pour la région de l'UEMOA. Ceci s'applique particulièrement
aux coûts unitaires de la main-d'œuvre.
Pendant les années 1980, le coût des intrants intermédiaires, en $EU, était
beaucoup plus élevé pour les entreprises sénégalaises, bien qu'il se soit rapproché de celui des concurrents depuis la dévaluation. Néanmoins, les
coûts de l'énergie, surtout ceux de l'électricité et de l'eau, sont désavantageux par rapport à ceux de la région de l'UEMOA. Les frais de transport
externes sont beaucoup plus élevés pour le Sénégal que pour ses concurrents asiatiques, ce qui annule les avantages de la proximité géographique.
Les bons résultats dans la lutte contre la hausse des prix ont permis de stabiliser la compétitivité retrouvée. En décembre 1994, la hausse des prix à la
consommation locale avait été de l'ordre de 33 % en moyenne, et de 39 %
en glissement, avec 35,2% et35% dans l'UEMOA et 35,5% et47,5% dans
la CEMAC, c'est-à-dire des résultats légèrement inférieurs aux prévisions
du FMI.
En 1995, des baisses de prix sont apparues, permettant de présenter sur
l'année un taux d'inflation plus conforme aux objectifs: 9,9% dans
l'UEMOA et 11,1 % dans le CEMAC, et en glissement 6,5% dans
l'UEMOA et 6% dans la CEMAC. En 1996 et 1997, l'inflation a été ramenée à moins de 5 % pour les pays de la zone franc. Le surcroît d'inflation dû
à la dévaluation a ainsi été maîtrisé, ce qui a permis de préserver des gains
de compétitivité-prix substantiels (le taux de change effectif réel s'est
déprécié de 30% pour la Côte d'Ivoire, 25 % pour le Cameroun et le Sénégal depuis décembre 1993).
B) LES COMPTES EXTÉRIEURS
Le changement de parité permet théoriquement de compenser la détérioration des termes de l'échange en restaurant une meilleure compétitivité
externe. Les revenus nominaux des secteurs exportateurs de matières premières devraient augmenter un peu plus vite que leurs coûts de production
(comportant des intrants souvent importés) et inciter à une augmentation de
la production.
La dévaluation de 35 % du taux de change réel en 1994 a provoqué une
reprise étendue des entrées en devises et surtout un rebondissement impor-
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
253
tant des exportations des marchandises clés ainsi que du tourisme et des services privés. Après avoir diminué de 3,7% par an pendant la période 19911993, le volume global des exportations a augmenté de 6,5 % pendant la
période 1994-1996. Le taux de croissance des exportations de marchandises a été marginalement plus élevé, soit 7 %. Cette croissance a été appuyée
par une forte reprise de la demande mondiale, soit une augmentation de
6,4% par an entre 1994 et 1996.
Les exportations globales du Sénégal (biens et services non-facteurs)
représentent actuellement environ 31 % du PIE, soit un pourcentage plus
élevé que celui de 1980. Les exportations de marchandises ont progressé
plus rapidement que les services non-facteurs. Au sein de la catégorie des
marchandises, les exportations de produits primaires représentent 90% et
les produits manufacturés les 10% restants, soit une augmentation par rapport au 6,2 % de 1993. Mais cette hausse est encore loin en dessous des
17,2 % enregistrés en 1985. Les produits manufacturés ont pourtant progressé de 30% par an pendant la période 1994-1996, contre 8,6% pour les
produits primaires.
Le poisson, l'huile d'arachide et les engrais restent au premier plan des
exportations, bien que les produits arachidiers, les phosphates naturels et
les produits pétroliers aient perdu de l'importance parmi les produits exportés. Les gains réalisés par le poisson et ses produits annexes (poisson frais,
crustacés et dérivés de poisson) ont été substantiels : ils sont passés de 41 %
à la fin des années 1980 à 56 % entre 1994 et 1996.
Les exportations de services non-facteurs représentent 11,7% du PIE et
38 % du total des exportations. Un tiers est constitué par les services publics
(transactions effectuées par les ambassades, consulats, ...) et le reste par des
services commerciaux privés (services aux entreprises, activités du tourisme et des voyages, des transports, de l'assurance). Les services commerciaux ont subi une croissance annuelle de 14,6 % entre 1994 et 1996,
poussés par des gains réalisés par les services aux entreprises (27 %) et le
tourisme (8,2%). Le tourisme représente 40% des services commerciaux.
Depuis le changement de parité, les échanges commerciaux se sont donc
multipliés et les excédents attendus ont été confirmés. L'effet prix de la
dévaluation, aidé par la hausse des prix mondiaux, s'est prolongé, les
exportations et les importations ont très fortement augmenté en valeur en
1994 (+ 89 % et + 70 %) avec des excédents qui ont permis de réduire les
déficits courants, à l'exception de la balance des services (+ 54 %). Se confirme donc le rétablissement de la compétitivité de l'économie sénégalaise
qui favorise la substitution des importations, en particulier pour les produits
agricoles et agroalimentaires, avec un retour vers les productions locales
traditionnelles.
La dévaluation devait avoir pour effet mécanique de multiplier par deux
l'encours et le service de la dette extérieure alors que l'accroissement projeté des recettes publiques était de 20%. Le déficit budgétaire devrait par
conséquent s'aggraver. Toutefois, le rééchelonnement et la remise d'une
254
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
partie de la dette consentie par des bailleurs de fonds ont permis une augmentation modérée des intérêts et du principal. En dépit des apports extérieurs et des mesures de réaménagement des dettes extérieures, la charge de
remboursement constitue une contrainte majeure pour les membres de la
zone franc, à l'image du Sénégal où l'encours de la dette publique atteint
encore 1 730 milliards et le service de la dette 170 milliards nets. Le service
de la dette continuera donc de peser sur les finances publiques pendant les
prochaines années.
Aidées également par le retour des capitaux et les versements nombreux
liés aux accords bilatéraux et multilatéraux, les balances de paiements se
sont redressées. En 1994, le total des aides décaissées représente 12 milliards FF, ce qui est conforme aux engagements, et confirme l'attention portée à cette opération ainsi que son bon déroulement.
C) L'ASSAINISSEMENT DES DÉPENSES PUBLIQUES
L'impact de la dévaluation sur les recettes publiques résulte de deux
effets de sens contraire. D'une part, la dévaluation doit apporter un surplus
de recettes, grâce aux prélèvements sur le secteur exportateur dont les revenus exprimés en franc CFA augmentent, et qui constitue la principale
matière fiscale imposable. De plus, le retour de l'aide des institutions financières internationales devrait être un «ballon d'oxygène» pour les États
africains de la zone franc. D'autre part, la dévaluation occasionne un alourdissement instantané de la charge de la dette libellée en devises (60% de la
dette extérieure est exprimée en francs français). Ceci provoque immédiatement une détérioration importante de la balance des transactions courantes (la charge de la dette représente près de 100 % de l'excédent
commercial). La dévaluation ne semble donc pas être un moyen de rétablir
l'équilibre de la balance des paiements, sauf si elle est accompagnée d'un
rééchelonnement de la dette, comme lors du changement de parité en zone
franc.
De manière générale, le redressement budgétaire a été faible, lent et très
inégal. La hausse des recettes attendue des flux commerciaux a tardé, du
fait de la mise en place à peine commencée au 2e semestre 1994, des mesures de restructurations économiques. La modernisation de la fiscalité et des
services fiscaux a d'abord conduit à un affaiblissement de rendement. Par
contre, en 1995 et 1996, l'accélération de la croissance, jointe à l'efficacité
accrue des services fiscaux, a amélioré de manière substantielle les rentrées
fiscales.
Les dépenses n'ont pas été fortement réduites. Le seul résultat positif a
été la baisse des dépenses de personnel. De 60 % des dépenses budgétaires
primaires en 1993, elles sont passées à 54 % en 1994, et à 35 % en 1995, permettant au solde primaire de retrouver une position excédentaire. Le poids
de la dette est resté très élevé avec 50 % des recettes (hors dons) dans
l'UEMOA, malgré les annulations nombreuses qui sont intervenues. Les
arriérés de paiements extérieurs, ainsi que le déficit courant, ont été résor-
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉV
ION
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~ ~.f'8t.
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bés avec l'aide internationale, ce qui revient à dire que les c ' dtt consentis
par la Banque mondiale en 1994 et 1995 ont servi au rembou e~
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propres créances.
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Indéniablement, la reprise de la croissance économique nomina
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tue le fait le plus significatif de la période. Elle souligne le retour de la compétitivité, indispensable à la restauration d'une dynamique de production
tirée par les exportations. Pour l'UEMOA, elle a atteint, en termes réels,
+ 2,6%, + 5,8% et + 6,3% respectivement en 1994, 1995 et 1996. Le secteur primaire a connu une forte activité en raison de la hausse des prix
d'achat aux producteurs agricoles, de la forte pluviométrie et de l'augmentation des cours mondiaux.
Ainsi, pour le Sénégal par exemple, après une vive poussée au lendemain
de la dévaluation, l'inflation a été rapidement maîtrisée ; en effet, elle a été
ramenée de 32,1 % en 1994, à 8,1% en 1995 et 2,8 % en 1996. La croissance
réelle du PIB est devenue positive en 1994 avec 2,0% et est passée à 4,8 %
en 1995,5,6% en 1996 et 5,2% en 1997, signe d'un retournement marqué
par rapport à la période 1990-1993, où le PIB réel était stagnant avec 0,0%.
Les déficits fiscaux et courants (dons exclus) sont passés de 5,7% et 9,3%
du PIB, respectivement, en 1994 à 3,2 % et 7,9 % du PIB en 1995. Le déficit
courant a été financé en grande partie par des transferts publics (y compris
les créanciers et bailleurs bi et multilatéraux, le rééchelonnement et l' annulation de la dette). L'épargne intérieure brute est passée de 7,4 % du PIB en
1994 à 10,4% en 1995, suite à un effort concerté d'ajustement fiscal et, à
partir de 1995, à une reprise de l'épargne privée.
En fin de compte, les premières années qui ont suivi le changement de
parité montrent que les chaos tant redoutés ne se sont pas produits. A part
quelques émeutes localisées et qui se sont révélées sans lendemain, les choses se sont passées à peu près comme prévu. Mais les risques de dérapage
demeurent, sous l'effet d'augmentations de salaires qui pourraient nourrir
des anticipations inflationnistes, et il est encore trop tôt pour porter un jugement définitif sur la réussite de l'entreprise.
Néanmoins, les conditions d'un développement véritable permettant
d'assurer une hausse effective du niveau de vie ainsi que les investissements
lourds nécessaires aux infrastructures économiques mais aussi sociales,
sont apparemment réunies.
Il restera encore à montrer qu'elles pourront être maintenues sur les
moyens et longs termes, c'est-à-dire qu'au-delà des effets mécaniques de la
dévaluation, le plan de restructuration est parvenu à créer les gains de crédibilité nécessaires à l'investissement privé. C'est l'objet du paragraphe
suivant d'analyser cette question.
256
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Les effets de la dévaluation à moyen et long terme
La question fondamentale soulevée par la dévaluation du franc CFA est
celle des effets restructurants tant dans la répartition du surplus économique que dans l'allocation des facteurs et le rôle respectif des acteurs de
l'économie notamment l'État et les agents privés en général, les entreprises
en particulier. Ces effets restructurants devaient permettre aux économies
d'acquérir une capacité forte à soutenir une croissance durable et d'amorcer
un véritable processus de développement.
Cet objectif dépasse largement le cadre de l'ajustement macroéconomique de la balance commerciale à court terme. Dès lors, la question est de
savoir si la dévaluation peut favoriser des changements dans les conditions
de vie et l'absorption interne, d'une part, des réformes structurelles souhaitées d'autre part. De la même façon, une meilleure maîtrise de l'évolution
probable de l'environnement économique et politique notamment au sein
de la zone franc s'avère indispensable à la reprise de la croissance et du processus de développement économique.
Les conséquences sociales de la dévaluation
La dévaluation devait opérer une modification de la répartition et donc de
la structure des revenus. Il s'agissait d'abord d'induire une substitution
entre la production intérieure et la production extérieure, au détriment de
cette dernière. Il s'agissait ensuite d'opérer une modification de la structure
de répartition des revenus au bénéfice des producteurs, et au détriment des
couches de populations les plus favorisées, assimilées ici à la population
urbaine.
Cette modification de la répartition devait d'ailleurs accélérer l'ajustement de l'absorption intérieure et amplifier l'effet de substitution souhaitée.
La dévaluation a entraîné un phénomène important de renversement de la
tendance à la baisse du revenu des ruraux par rapport à celui des urbains.
Ainsi pour le monde rural, le revenu monétaire réel moyen a augmenté
notamment du fait que l'évolution des termes de l'échange sur le marché
intérieur a été plutôt favorable aux producteurs agricoles. Malgré l' annulation des mesures de baisse des salaires dans la fonction publique, le prélèvement obligatoire d'une journée de travail pour les salariés du secteur
privé et la hausse de 10% des salaires au lendemain de la dévaluation pour
atténuer les pressions inflationnistes, le pouvoir d'achat des salariés du secteur formel a chuté.
Dans tous les États, la masse salariale a fortement diminué dans la
dépense publique totale. Elle passe ainsi de 43 % en 1993 dans l'UEMOA
à32% en 1997, etde50%en 1993 enCEMAC à37% en 1997. Cetteréduction de la part des salaires s'accompagne d'une forte réduction de pouvoir
d'achat sous l'effet conjugué et des réductions nominales, et de l'inflation
et de la dévaluation. La perte de pouvoir d'achat est en moyenne de 35 %.
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
257
Cette recomposition de la masse salariale publique a par ailleurs pesé
lourd dans la politique salariale des autres secteurs, contribuant de ce fait à
réduire le coût de la main-d'œuvre en devises.
Les revenus des producteurs ont quant à eux suivi une évolution positive.
Cet accroissement a été facilité par la hausse soutenue des cours de plusieurs produits agricoles en 1994 (coton 32 % ; arachide [huile] 39 %) sur
les marchés internationaux. Cet accroissement n'a pas été suffisant pour
compenser la baisse de pouvoir d'achat subie par les populations rurales du
fait de l'inflation.
Celle-ci a certes souvent compensé la perte de pouvoir d'achat par de
l'autoconsommation, mais cette substitution traduit souvent une tendance à
l'appauvrissement de la même nature que l'effet Veblen où le pauvre consacre une part plus importante de son revenu aux biens inférieurs.
La dévaluation a provoqué ou amplifié la détérioration des conditions de
vie de l'ensemble de la population, qu'elle soit urbaine ou rurale malgré les
mesures sociales d'urgence qui ont été prises, sous forme d'octroi de subventions et de diminution ou de suppression de taxes sur les produits importés. Ces mesures, contraires aux principes de libéralisation des marchés
promus par les organismes de Bretton Woods, avaient pour but de limiter les
risques d'explosions sociales.
Nombre d'analystes, notamment du côté des bailleurs de fonds, se sont
souvent réjouis de la réduction des revenus de la population urbaine,
comme si celle-ci impliquait nécessairement un transfert vers les populations rurales. Or, il n'en est rien, la réduction des revenus urbains et la perte
de pouvoir d'achat se traduisent en fait par un appauvrissement plus étendu,
avec des conditions de vie plus difficiles, qui ne peut être aisément traduit
au niveau des comptes nationaux et des agrégats économiques.
Cette détérioration des conditions de vie peut se mesurer aux difficultés
de plus en plus fortes pour la majeure partie de la population à accéder à
l'éducation et aux services de santé.
Pour permettre aux plus pauvres capables de sortir du cercle vicieux de
pauvreté, la méthode la plus efficace à long terme consiste à leur ouvrir plus
largement l'accès au marché du travail, en leur permettant d'acquérir un
minimum d'éducation et de rester en bonne santé. Mais, avec les difficultés
budgétaires connues par les pays de la zone CFA de 1985 à 1993, la qualité
de l'éducation primaire et des services de santé de base s'est dégradée.
C'est pourquoi la dévaluation soulève légitimement l'inquiétude de voir
s'amenuiser les moyens destinés aux secteurs principaux du «capital
humain» que sont la santé et l'éducation.
L'informalisation croissante traduit d'ailleurs en partie cette accélération
de la détérioration des conditions de vie.
La difficulté d'accès à l'éducation et aux soins de santé est d'autant plus
grande que les capacités d'accueil sont restées limitées, les budgets des Etats
ne permettant ni le financement des investissements, ni la maintenance des
infrastructures et équipements existants. La qualité des services s'est
258
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
d'ailleurs considérablement détériorée du fait de la faible incitation des
enseignants frappés de plein fouet par la perte de pouvoir d'achat et la dégradation de leur condition de travail symbolisée en particulier par les effectifs
pléthoriques et la pénurie des maîtres observée dans la plupart des pays.
Dans pratiquement tous les pays, on observe des phénomènes de déscolarisation qui traduisent les difficultés des conditions de vie auxquelles les
populations sont confrontées.
La reprise observée ne semble pas jusqu'à présent avoir des répercussions
significatives sur les conditions de vie. Les bénéfices de la croissance sont
dans la plupart des cas absorbés par le service de la dette qui constitue la
préoccupation majeure des bailleurs de fonds et des gouvernements.
On observe en même temps des substitutions dans la structure de consommation, avec une tendance forte à la consommation de produits intérieurs, en particulier dans l'alimentation, mais la production vivrière qui a
augmenté un peu partout se heurte à de difficiles problèmes de transport et
d'organisation des circuits de distribution, en même temps qu'elle reste
soumise aux aléas climatiques.
La réduction du pouvoir d'achat a d'ailleurs été telle dans certains pays
que l'insuffisance de la demande intérieure constitue aujourd'hui un des
problèmes majeurs auxquels sont confrontées les entreprises et qui freine la
reprise de l'investissement.
La poursuite des réformes structurelles
L'analyse des mutations structurelles amène à s'interroger sur la capacité
des économies de la zone franc à amorcer un véritable processus de développement et à relever les défis d'une mondialisation.
Si l'analyse des agrégats macroéconomiques conduit effectivement à la
conclusion que le changement de parité a eu des effets positifs, il n'en
demeure pas moins intéressant d'aller plus loin en analysant les moteurs de
la croissance de manière à mieux cerner les changements structurels intervenus et la capacité acquise ou non des pays à assurer la pérennité de cette
croissance.
Lorsqu'on considère par exemple la croissance, on constate que le principal moteur en est le secteur primaire fait de cultures de rente (cacao,
coton, café) ou de produits miniers non transformés (pétrole, or, phosphate). C'est l'évolution favorable des cours, amplifiée par la dévaluation et
de bonnes conditions climatiques, qui a tiré la croissance.
C'est sur ces filières qu'ont porté les réformes et leur rentabilité a exercé
un effet d'entraînement positif sur l'ensemble de l'économie. En d'autres
termes, grâce à la dévaluation, les pays membres de la zone renforcent leur
ancrage dans des produits dont la part dans le commerce international
devient chaque jour marginale, et dont la dépendance a été précisément un
facteur déclenchant essentiel de la crise.
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
259
Une telle évolution est d'autant moins réjouissante à moyen et long terme
que la dévaluation n'a pas induit une diversification significative de l' économie, ni en faveur de la transformation de ces produits pour en accroître la
valeur ajoutée, ni en faveur de la production manufacturée dont la part ne
s'est pas accrue ni dans les exportations, ni dans la consommation intérieure.
En d'autres termes, il suffirait que se produise un nouveau retournement
de tendance dans l'évolution des cours pour que les pays soient à nouveau
confrontés à des problèmes graves et que la contrainte extérieure se renforce. Ce risque de ralentissement est déjà perceptible depuis 1997, où les
pays semblent avoir épuisé les effets positifs de la dévaluation. Mais il l' est
encore plus depuis que la crise des pays asiatiques fait planer la menace
d'une réduction du rythme de la croissance mondiale, avec les conséquences qui pourraient en découler pour la demande des produits de rente agricoles ou miniers. La crise asiatique fait d'autre part peser une menace
supplémentaire du fait que la dépréciation continue des monnaies de ces
pays risque d'annuler les gains de compétitivité dus à la dévaluation. Par
ailleurs, les pays producteurs de pétrole de la zone risquent de pâtir de la
conjonction des effets de la baisse des cours que le ralentissement de la
croissance accélérera et de la baisse du dollar.
Les enquêtes tendent à montrer que certaines branches industrielles ont
bénéficié de la dévaluation. Tel est le cas, en particulier, des industries de
transformation des produits agricoles exportés (huileries, usines d'égrenages de coton ou de décorticage d'arachide, etc.). Mais ceci n'a pas eu
d'incidence significative se traduisant par exemple par une augmentation
des investissements de capacité.
Dans certains cas, la dévaluation a constitué une protection par rapport à
la concurrence extérieure. Ceci a concerné en général des entreprises orientées vers l'approvisionnement du marché intérieur. Mais leur potentiel de
développement ne s'en est pas trouvé modifié. Bien au contraire, il a même
été souvent contraint par la réduction et la perte de pouvoir d'achat de consomniateurs intérieurs.
La faiblesse du secteur industriel doit d'autant être relevée que la contribution au desserrement de la contrainte extérieure est faible d'un double
point de vue. D'une part, ce secteur contribue peu à la modification qualitative de la structure des exportations, alors que la compétitivité des économies dans le processus actuel de mondialisation est à ce prix. D'autre part,
il contribue a contrario négativement à la rigidité de la structure des importations du fait de l'importance des importations de consommations intermédiaires et des équipements.
Le faible développement du secteur manufacturé rend d'ailleurs difficile
la résolution du problème de l'emploi qui constitue ici une caractéristique
majeure des économies.
Mais quels que soient le secteur ou la branche, on ne peut que s'inquiéter
de la fragilité caractéristique de ces économies en considérant la faiblesse
de l'investissement tant rinvestissement d'infrastructures et d' équipe-
260
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
ments, que l'investissement productif. Nulle part, le taux d'investissement
ne dépasse 18%, alors que dans certains pays (Côte d'Ivoire, Cameroun), il
avait atteint 30 % en moyenne au cours de la période de croissance contra
cyclique. Selon les estimations du Comité monétaire de la zone, le taux
d'investissement en UEMOA est passé de 15,4% en 1994 à 17,1 % en
1995 ; 16,8% en 1996 et 18% en 1997. En CEMAC, il est passé de 22,9%
en 1994 à 19,7% en 1995 ; 23,3% en 1996 et 20,1 % en 1997. Les chiffres
apparemment favorables en CEMAC sont essentiellement liés à des investissements pétroliers exceptionnels au Congo et en Guinée-Équatoriale.
Au Sénégal, le ratio investissement national brutIPIB est passé de 13,1 %
en 1991-1993 à 16,6 % en 1996. Le ratio investissement privélPIB a suivi
une courbe similaire, ce qui semble indiquer une réaction positive à la dévaluation et aux réformes d'accompagnement. Le ratio investissement public/
PIB a augmenté en 1994 aussi bien qu'en 1995, grâce à des entrées importantes de fonds à titre de don. En termes nominaux, l'investissement privé
a augmenté de 25 % en 1995 et de 12 % en 1996, et le rapport investissement
privélPIB a atteint Il,54% en 1996. Certains de ces investissements pourraient toutefois ne représenter qu'une compensation du sous-investissement antérieur.
Le faible niveau de l'investissement productif, comme d'ailleurs de
l'investissement d'infrastructure et d'équipement rend compte du fait que
non seulement l'État a vu ses moyens se restreindre drastiquement en conséquence des politiques d'assainissement des finances publiques, mais
encore et surtout que cette évolution à la baisse n'a pu être compensée ni par
une reprise des investissements privés intérieurs, ni surtout par un afflux de
capitaux extérieurs dont on attendait pourtant l'arrivée massive, à la suite
du changement de parité.
Une simulation des conséquences de la dévaluation sur la Côte d'Ivoire,
réalisée par Collange et Plane (1994) à l'aide d'un modèle d'équilibre général calculable, peut servir de point de repère pour cerner les conséquences
à moyen et long terme, selon que les mesures restrictives d' accompagnement annoncées par le gouvernement ivoirien sont adaptées (scénario 1) ou
non (scénario 2).
Ces deux scenarii illustrent l'étroitesse de la marge de manœuvre des
pouvoirs publics pour réussir la dévaluation. Ils font également apparaître
un résultat qualitatif important: la dévaluation, pourvu qu'elle s'accompagne d'une dépréciation réelle du taux de change, doit développer l'activité,
puisque l'effet stimulant sur le commerce extérieur (accroissement des
exportations et réduction des importations) l'emporte sur l'effet restrictif
sur la consommation. Néanmoins, les gains en termes de croissance paraissent faibles: 3,8% (contre 7,6% dans les prévisions du FMI) sur deux ans.
L'étude conclut en affirmant que la dévaluation ne peut constituer à elle
seule une solution aux problèmes des pays africains de la zone franc :
l'issue doit résider dans des mesures structurelles permettant l'extension
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
261
des capacités, dans le secteur exportateur traditionnel, et la création de nouveaux secteurs exportateurs.
L'enjeu majeur pour les PAZF est de consolider les progrès accomplis, en
veillant à ne pas perdre le bénéfice des gains de compétitivité. Ils devront
aussi redoubler d'effort dans les domaines où des dérapages ont eu lieu.
Des mesures seront nécessaires pour améliorer les rentrées fiscales. Un
changement profond de la base imposable et de la structure des recettes ne
se fera que progressivement. Aussi, l'effort d'amélioration doit-il se porter
d'abord sur une plus grande efficacité des administrations fiscales. Cependant, les pouvoirs publics devront sans tarder prendre des mesures pour
élargir l'assiette de l'impôt et réduire les exonérations, afin que les recettes
soient moins vulnérables aux chocs extérieurs et pour alléger la charge fiscale des secteurs modernes, ainsi que des exportations.
Les pouvoirs publics devront assurer une meilleure exécution des programmes sociaux et être plus attentifs à la programmation et à la réalisation
des investissements publics. Une saine politique budgétaire exige une maîtrise plus stricte de la dépense publique, y compris des dépenses extrabudgétaires. Il faut aussi que la politique budgétaire adapte le niveau des
dépenses en fonction de l'évolution des recettes, afin d'éviter une dégradation éventuelle du solde budgétaire. La réussite de cette stratégie dépendra
notamment de la poursuite d'une politique salariale prudente, y compris de
la rationalisation de la fonction publique.
Il est aussi primordial d'intensifier les réformes structurelles. Le renforcement des capacités administratives du secteur public, notamment des services du fisc et du Trésor, devrait faciliter une meilleure gestion des
ressources limitées disponibles et la réalisation des objectifs gouvernementaux en matière de dépenses sociales et d'investissement.
Le développement d'un secteur privé dynamique capable de devenir le
moteur de la reprise et de la croissance est aussi une des clés de la réussite.
Il faudra à cet effet simplifier les formalités administratives, accélérer les
privatisations, libéraliser le système des prix, le marché du travail et le commerce intérieur et extérieur, achever la restructuration du secteur financier.
Pour étayer ces réformes structurelles, la mise en place d'un cadre législatif
stable comme l'OHADA 1 facilite l'activité du secteur privé.
Les débats qui ont entouré la ratification du traité de Maastricht dans chacun des pays de l'Union européenne ont concerné les chances que représentait pour eux la mise en place d'une monnaie unique à la fin de la
décennie. Cette perspective trouve un large écho en Afrique, particulièrement dans les pays de la zone franc qui ont décidé de constituer entre eux
un véritable système monétaire régional. La construction monétaire européenne est en effet susceptible d'avoir des conséquences importantes pour
ces pays.
1. Un traité instituant l'organisation pour l'harmonisation en Afrique du Droit des affaires (OHADA).
262
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Les positions des acteurs et des observateurs de la scène économique et
financière africaine diffèrent sur cette question.
Conclusion
L'examen des effets de la dévaluation du franc CFA montre que le changement de parité est globalement favorable pour les pays de l'UEMOA, ne
fût-ce que parce qu'elle a positivement amplifié la remontée des cours et
hâter le retournement de tendance observée.
A l'image des autres pays de la sous-région, l'analyse de l'impact de la
dévaluation dans l'économie sénégalaise révèle, qu'en dépit du bilan bénéfique à court terme, la diminution probable des effets immédiats de cette
décision historique et la persistance des contraintes structurelles ne permettront pas de maintenir l'augmentation annuelle du PIB de 5 à 6 % des trois
dernières années.
Aussi ces résultats ne doivent-ils pas masquer la fragilité des économies
de la zone franc étroitement tributaires des cultures de rente dont la fluctuation des cours ne les met pas à l'abri d'une nouvelle crise, aussi grave et profonde que celle dont elles sortent. Et de ce point de vue, la dévaluation a
plutôt conforté cette dépendance. La mutation structurelle attendue, en
faveur notamment de la production industrielle locale, ne s'est pas produite.
En d'autres termes, les gains de compétitivité n'ont pas suffisamment
atteint le secteur industriel, ni modifié conséquemment la structure du commerce extérieur.
Or, une telle modification aurait permis de compenser en quelque sorte la
détérioration des conditions de vie de la population. Et cette détérioration
a amplifié la perception globale négative que les agents économiques ont de
la dévaluation et les appréhensions actuelles quant à l'occurrence d'une
dévaluation dans les prochaines années. C'est pourquoi d'immenses progrès restent à faire. La reprise de la croissance globale et le retour à l'équilibre financier nécessitent, si on veut se situer dans le cadre d'un processus
durable, la consolidation des mesures structurelles de développement et
l'élargissement de la base sociale des performances réalisées.
Le défi pour le Sénégal, comme pour ses voisins de l'UEMOA, consistera
à accélérer le rythme des réformes, y compris une nouvelle stratégie de promotion des exportations, afin d'élargir sa participation aux marchés internationaux et de soutenir son taux de croissance.
Mais, par-delà les effets sur les économies africaines, la dévaluation du
franc CFA pose le problème de l'existence même de la zone franc. Faut-il
défendre la nouvelle parité et continuer l'ancrage au franc français ou à une
autre monnaie forte avec l'avènement de la monnaie unique européenne, ou
au contraire, les institutions de la zone franc ont-elles définitivement présenté leurs limites à l'occasion de la dévaluation ? Ce dilemme est au centre
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
263
des interrogations des acteurs de l'économie africaine.
Annexes
Tableau 1- Comparaison zone CFA 1Afrique subsaharienne
hors zone CFA (1986-1993)
Zone Franc
Hors Zone
Franc
0,1
-2,8
1,1
-7,6
-7,4
22,3
18,7
73,7
2,5
-0,3
22
-5,6
-0,8
24
20,9
57
Taux de croissance réel du PIB (% annuel moyen)
Taux de croissance réel du PIBlhabitant (% annuel
moyen)
Taux d'inflation (% annuel moyen)
Solde budgétaire (% PIB moyenne)
Compte courant extérieur (% PIB moyenne)
Exportations de marchandises (% PIB moyenne)
Importations de marchandises (% PIB moyenne)
Dette extérieure (% PIB moyenne)
Source: FMI, Perspectives économiques mondiales, 1994.
Tableau 2 -Évolution (en franc français) des coûts portuaires
après la dévaluation de janvier 1994
Douala
Redevances portuaires
Setevdoring
Aconage et transit
+60%
+7%
-22%
Source: Bulletin d'information économique, n0163.
Abidjan
+7%
-20%
-27%
Dakar
-35%
0%
-30%
264
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 3 - Salaires horaires en dollars US
après la dévaluation du FCFA
Pays
Salaire Horaire
1,08
0,69
0,35
0,50
0,51
0,45
0,15
0,20
0,45
1,20
Concurrents moyens
Concurrents médians
Moyenne CFA
Moyenne non CFA
Sénégal
Ghana
Madagascar
Nigeria
Côte d'Ivoire
Maurice
Source: Rapport de la Banque mondiale sur la compétitivité du secteur privé au Sénégal.
Tableau 4 - Dette extérieure des pays de l'UEMüA
(encours en millions de dollars)
Dette à court et long terme
Dette à long terme
Dette publique garantie
Dette privée non garantie
Recours aux crédits FMI
Dette à court terme
Dont arriérés d'intérêts sur dette à long terme
envers créanciers publics
envers créanciers privés
Pour mémoire
Arriérés sur principal de dette à long terme
envers créanciers publics
envers créanciers privés
Crédits à l'exportation
1993
31915
25229
22382
2848
724
5962
1644
710
935
1994
30292
25430
22615
2816
1003
3860
1228
283
944
1995
32531
26694
23857
2837
1243
4595
1245
231
1014
1996
32241
26848
23346
3502
1325
5071
1133
157
975
3473
1067
2406
5152
3460
829
2632
5327
3556
760
2796
5074
3332
723
2609
4614
Indicateurs de dettes (en pourcentage)
Dette totale/export biens et services
Dette totalelPNB
Serv. Dette/export biens et services
Intérêts dette/export biens et services
Dette multilatérale/dette totale
Taux de change officiel FCFA/USD (en fin de
période)
Source: Banque mondiale, FMI.
457,0 440,3 369,1 351,7
140,2 164,8 136,6 129,2
25,2
20,7
21,3
18,1
7,9
9,5
9,1
6,8
29,8
33,9
33,7
32,8
294,78 534,60 490,00 523,70
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
265
Tableau 5 - La hausse des prix en 1994 et 1995 (%)
UEMOA
Bénin
Burkina
Côte d'Ivoire
Guinée-Bissau
Mali
Niger
Sénégal
Togo
UEMOA - Prix à la consommation * (en glissement annuel)
UEMOA - déflateur du PIB (en moyenne annuelle)
1994
1995
1996
1997
53,9
24,7
32,5
19,3
31,9
40,6
36,1
54,0
36,0
31,9
3,1
7,8
7,1
49,7
8,7
5,5
6,0
6,4
6,6
10,2
6,8
6,9
3,5
65,6
2,8
3,6
2,4
5,5
4,0
4,1
1,8
-0,1
5,2
16,8
0,9
4,1
1,9
7,2
3,5
3,0
,
* Somme des indices pondérés par le poids de chaque Etat dans le PIB de la zone.
Source: La Zone franc, 1997 : prix en glissement
Tableau 6 - Export share in GDP, 1980-1996
Total export (GNFS)
Merchandise*
Nonfactor services*
1985
1985
1990
1996
28,3
14,0
(49,4)
14,3
(50,6)
29,7
20,0
(67,2)
9,7
(32,8)
26,5
15,7
(59,1)
10,8
(40,9)
30,8
19,1
(62,1)
11,7
(37,9)
Note : * Numbers in parentheses are share in total exports
Source : World Bank.
266
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Tableau 7 - Dette extérieure des pays de l'UEMOA (encours en
millions de dollars)
1993
1994
1995
1996
31915
25229
22382
2848
724
5962
1644
710
935
30292
25430
22615
2816
1003
3860
1228
283
944
32531
26694
23857
2837
1243
4595
1245
231
1014
32241
26848
23346
3502
1325
5071
1133
157
975
3473
1067
2406
5152
3460
829
2632
5327
3556
760
2796
5074
3332
723
2609
4614
Dette totale/export biens et services
Dette totalelPNB
Serv. Dette/export biens et services
Intérêts dette/export biens et services
Dette multilatérale/dette totale
457,0
140,2
21,3
9,5
29,8
440,3
164,8
25,2
9,1
33,9
369,1
136,6
18,1
6,8
33,7
351,7
129,2
20,7
7,9
32,8
Taux de change officiel FCFAlUSD (en fin de période)
294,78 534,60 490,00 523,70
Dette à court et long tenne
Dette à long tenne
Dette publique garantie
Dette privée non garantie
Recours aux crédits FMI
Dette à court tenne
Dont arriérés d'intérêts sur dette à long tenne
envers créanciers publics
envers créanciers privés
Pour mémoire
Arriérés sur principal de dette à long tenne
envers créanciers publics
envers créanciers privés
Crédits à l'exportation
Indicateurs de dettes (en pourcentage)
Source: Banque mondiale, FMI.
Tableau 8 - Croissance du PIB réel
UEMOA
CEMAC
1993
1994
1995
1996*
-1,2%
-0,5%
+2,6%
-2,3%
+5,8%
+ 3,1 %
+6,3%
+5,5%
* estImatIOns
Source: La Zone franc, 1995.
Tableau 9 - Macroeconomie indicators
(annual averages, 5 %) - Senegal
GDPgrowth
GDP per capita growth
Gross domestic investment / GDP
Private investmentlGDP
Gross domestic saving/GDP
Growth in export,GNFS
Inflation rate (CPI)
REER
CUITent account deficitl GDP a
Fiscal deficit / GDP a
Tenns of trade (S)
a. Exludmg grants
Source: DECPG, World Bank.
1986090
199193
1994
1995
1996
1997
(estim.)
3,3
0,3
12,6
8,6
6,5
7,9
0,1
0,4
-10,7
-3,1
- 3,7
0,0
-2,8
13,1
8,9
5,6
- 3,7
-0,8
-2,0
-9,5
-1,9
-4,4
2,0
-0,6
13,7
9,0
7,4
5,3
32,1
-35,1
9,3
- 5,7
4,1
4,8
2,2
15,6
10,8
10,4
9,4
8,1
8,3
-7,9
-3,2
-2,4
5,6
3,0
16,3
115
11,4
4,8
2,8
0,6
-7,2
-2,0
-1,7
4,7
2,1
16,7
11,7
Il,8
0,8
2,5
-2,9
- 6,1
- 1,3
6,4
LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DE LA DÉVALUATION
267
Figure 1. Évolution du taux de change effectif réel du Mali, du Niger,
du Sénégal et du Togo (Base 100 =1985)
200
180
160
140
---6---Su'....
120
....~N..,t::i~~
~~r::t;h~
100
~
--"---Mmi
---r-"Nger
---..-SIr<lgej
80
60
40
~
1-+-1+-1-+-1-II-+-I+-1-+1--+1-+-+-1-+1-II-+-I-+-1-+I-+-+--+---+-t-+--+---I-+-+--+-+-+--+-+--I--+--+-+-<
196J
1963
19i6
1961
1972
1~
1911
1981
11'84
196'
1990
HW
Figure 2. Évolution de l'indice des termes de l'échange du Burkina,
du Mali, du Niger et du Sénégal (Base 100 = 1987)
200
180
160
140
120
100
80
&l
40
20
o +--+-+--+--+---1-+--+-1-+1-+-+--1+-1-+1-+--+--+-1-+I--II--+-I-+-1-+1--+--1+--+--+1-+-1-+-1-+1-It-+-I-+-1--+1-+-1+--<11
196J
1963
19i6
1961
1972
1~
1911
1981
l!1l4
196'
1990
l!1l3
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Il
Les impacts probables de l'euro sur
l'économie du Burkina Faso
THIOMBIANO Taladidia,
TIENDREBEOGO Yamsékré,
ZONON Abdoulaye
De 1975 à 1985, la zone franc a enregistré un taux de croissance réel du
PIB de 4,6% contre 1,4% pour les pays subsahariens hors zone franc. Le
cours favorable des matières premières, l'appréciation du dollar vis-à-vis
du franc français limitant la surévaluation du franc CFA sont les principaux
facteurs extérieurs de cette bonne performance économique (Hadjimichael
et Galy, 1997).
La situation s'est inversée à partir de 1985. Ainsi, la période 1986-1993
s'est traduite par une baisse du taux de croissance réel du PIB de 98 % comparativement à la période 1975-1985 (Hadjimichael et Galy, 1997).
Ayant peu d'emprise sur le cours mondial des matières premières, la
dévaluation se présentait alors comme le principal instrument dont la manipulation judicieuse pourrait conduire à une relance de la croissance économique de la zone. Pendant que le bilan de la dévaluation à très court terme
semble favorable pour la majorité des pays de la zone franc, des interrogations subsistent avec l'avènement de l'euro en 1999.
Parmi les cinq scénarios envisageables, (1) maintien de la zone franc avec
indexation du franc CFA à l'euro; (2) maintien de la zone franc avec
indexation du franc CFA à un panier de monnaies; (3) création d'une monnaie unique CEDEAO; (4) dislocation de la zone franc avec création de
monnaies nationales; et (5) institutionnalisation d'un fonds monétaire africain (Allechi et Niamkey, 1997, p. 23), cette étude opte pour le premier scénario. Il est le plus plausible dans le court terme (Allechi et Niamkey, op.
cit.; BNP, Lettre de conjoncture, janvier 1998, p. 2; Hadjimichael et Galy,
1997, p. 12) et bénéficie du soutien des décideurs français et de la zone
272
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
franc. Que le maintien de la zone franc avec indexation du franc CFA à
l'euro se solde par l'existence de deux banques centrales (BCEAü et
BEAC) liées à l'euro ou par la création d'une banque centrale unique pour
l'ensemble des pays de la zone franc, ce scénario est considéré comme la
solution la plus optimale.
En effet, du point de vue théorique, l'entrée en vigueur de l'euro qui est
perçu comme une zone monétaire optimale se traduira au niveau mondial,
par une plus grande stabilisation des taux de change, un faible niveau
d'inflation, de taux d'intérêt et, partant, une croissance de la production. La
zone franc est censée davantage bénéficier de ces avantages à cause essentiellement de sa liaison monétaire avec l'euro et de l'importance de ses
échanges avec les pays de l'Union européenne. Cette étude a pour objectif
de nuancer cette perception en s'interrogeant sur le cas spécifique du Burkina. Elle part du constat selon lequel la zone franc ne constituant pas une
zone monétaire optimale, les pays pris individuellement vont subir, suite à
la mise en œuvre de l'euro selon le premier scénario examiné plus haut, des
chocs spécifiques de nature et d'ampleur à déterminer. Dans un premier
temps, les caractéristiques générales de l'économie du Burkina seront exposées. Ensuite, l'impact probable de l'euro sur ses exportations et ses importations sera examiné.
L'économie burkinabè : un aperçu
La particularité du Burkina est d'avoir cultivé une tradition d'austérité
budgétaire (années 1970 et 1980) en partie à cause de la faiblesse des ressources du pays qui limitaient la mise en œuvre des politiques expansionnistes. C'est ainsi que durant la période 1983-1989, le Burkina enregistrait
un taux de croissance réel du PIE de 1,1 % alors que dans la plupart des pays
de la zone franc, le taux de croissance du PIE était soit négatif, soit inférieur
au taux de croissance démographique. Durant la période 1983 à 1990,
l'inflation a accusé une baisse de 2 %, les transferts publics et l'excédent du
compte capital ont permis aux pays d'avoir un solde positif de la balance
des paiements sauf en 1985 où elle a accusé un déficit de 1,5 milliard (Zagré
cité par Kazianga et al., 1997).
Le système bancaire était surliquide (thésaurisation) avec un taux de couverture des crédits par les dépôts de 124% alors qu'en moyenne les pays
membres de l'UMüA présentaient un taux autour de 70% (Kazianga et al.,
1997). De manière globale, l'accès aux services de base s'est amélioré sensiblement pendant les années 1970 et 1980 (Banque mondiale, African
Development Indicators).
Dans un tel contexte, l'objectif du PAS mis en œuvre à la fin des années
1980 était plutôt d'engager des réformes qui permettraient de préserver ces
équilibres qui avaient commencé à amorcer une dégradation: la restructuration profonde des dépenses publiques (i), la réalisation d'un taux moyen
IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA
273
de croissance du PIB réel supérieur à 4% (ü), la limitation du taux d'inflation calculé sur la base de l'indice des prix à la consommation (IPC) de
l'ordre de 4 % (Hi), la maîtrise du déficit du compte courant extérieur à
14,6% du PIB (iv), la réduction d'au moins 0,7% du PIB du déficit des
finances publiques (v) et l'élimination de tous les arriérés extérieurs et intérieurs de l'État.
La réalisation de ces objectifs repose en grande partie sur le principal secteur de l'économie qu'est l'agriculture. Elle occupe une place importante
dans la formation du PIB. Comme le montre le tableau l, l'agriculture est
la principale source de création de valeur ajoutée du secteur primaire. De
1991 à 1994, le secteur primaire a contribué au PIB pour plus de 30%.
L'agriculture représente 51 à 61 % du PIB primaire, et 16,45 à 23,43 % du
PIB global. Elle emploie environ 90 % de la population active et contribue
du même montant aux recettes d'exportation (PASA, 1991).
Tableau 1 - Répartition du pm et du PIB primaire en millions
de francs courants et en %
PlB (millions)
1991
1992
1993
1994
784192
793732
843788
987338
1995
1996
1017665 1128212
- Primaire
32.5
31
30.1
32.2
40.8
41.87
- Secondaire
20.6
22.1
23
23.8
21.99
20.08
- Tertiaire
PlB Primaire (millions)
- Agriculture
43.5
42.2
42.8
37.6
37.73
38.05
290056
283014
283550
354432
409916
472417
61.2
58
57.8
51.1
50.7
55.97
29.4
32.43
28.2
19.5
17
15.83
- Élevage
23.6
25.1
23.6
Forêt/pêche
15.2
16.9
18.6
Source: PASA, 1996; IAP, 1997.
La position stratégique de l'agriculture justifie la mise en œuvre du PASA
qui s'est assigné pour objectifs (i) la modernisation et la diversification de
la production agricole, (H) le renforcement de la sécurité alimentaire et (Hi)
l'amélioration de la gestion des ressources naturelles.
Les productions agricoles d'exportations ont connu une croissance,
notamment celle du coton et de l'arachide en période de PASA et après
dévaluation comme l'attestent les tableaux 2 et 3.
Au regard des quantités physiques, le Burkina Faso est le quatrième producteur de coton de la zone franc d'Afrique de l'Ouest. Sa production a
enregistré un taux d'accroissement moyen de 5 % entre 1985 et 1997 avec
une moyenne annuelle de 152 000 tonnes de coton graine durant la période
1991-1996.
Le taux de croissance positif constaté au niveau de la production résulte
plus de l'extension des superficies. Celles-ci ont enregistré au Burkina, une
croissance annuelle moyenne de 7,2% durant la période alors que la quan-
274
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
tité d'intrants consommés par hectare a connu une baisse (Tiendrébéogo et
al., 1998).
Tableau 2 - La production de coton graine
(en milliers de tonnes)
Année
Monde
Burkina
Bénin
Cote
d'Ivoire
Mali
Togo
Afrique
1991
167
177
261
273
97
3739
60177
1992
163
153
194
320
93
3498
52594
1993
116
146
245
317
84
3710
49059
1994
143
260
253
276
120
3442
53876
1995
151
369
210
347
140
3702
57928
1996
170
370
217
406
140
4585
54132
3940.66
Écart type
20.24
104.03
26.76
49.43
24.50
413.39
Moyenne
151.67
245.83
230.00
323.17
112.33
3779.33 54627.67
0.13
0.42
0.12
0.15
0.22
Coefficient
de variation
0.11
0.07
Source: ADI (1996) et calcul des auteurs.
Le tableau 2 montre également que le risque lié à la fluctuation de la production cotonnière au Burkina, en Côte d'Ivoire et au Mali est sensiblement
identique à celui de l'ensemble des pays africains, même si l'on constate,
exception faite du Bénin, que le coefficient de variation baisse quand on
passe du Sahel à la Côte.
Tableau 3 - Évolution de la production des autres cultures
d'exportation (tonnes)
Campagne
Arachide
Karité
Sésame
1991-92
98800
90000
5800
1992-93
143400
82800
9400
1993-94
206300
76200
8253
1994-95
202974
70100
1676
1995-96
213200
75700
nd
Source: DSAP.
La croissance annuelle moyenne la plus importante a été constatée au
niveau de la production d'arachide (23%) contre 5% pour le coton durant
la période 1992 à 1996. On constate en particulier que pour l'ensemble des
producteurs de coton, le rendement s'est accru de 78 % entre les campagnes
1993-1994 et 1996-1997, passant de 852 kg à l' hectare à plus de 1 500 kg
à l'hectare en moyenne (Tiendrébéogo et al., 1997, p.13).
De façon générale, la période 1992 à 1996 se caractérise par une reprise
du niveau de l'activité dans la plupart des secteurs.
IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA
275
Au niveau du sous-secteur élevage (tableau 4), la période après 1990 est
marquée par la libéralisation du secteur, sa réorganisation administrative et
une série d'actions de soutien ponctuel aux acteurs.
Le souci de valorisation des sous-produits conduit les autorités burkinabè
à considérer la filière viande comme celle de l'avenir devant remplacer
l'exportation du bétail sur pied.
Le manque d'encadrement et d'adoption des nouvelles technologies a eu
pour conséquence un taux de mortalité élevé lié au système d'élevage traditionnel extensif.
Tableau 4 - Effectif du cheptel du Burkina en milliers
Bovins
Ovins
Caprins Porcins
Asins
Équins
1990
Année
3937,2
5047
6561,1
505,9
411,1
22,2
Camelins Volailles
1991
4015,6
5198,4
6692,6
518
419,1
22,3
12,4
17351,1
1992
4095,9
5354,2
6859,9
529,5
427,7
22,3
12,6
17784,9
12,2
17010,5
1993
4177,5
5514,9
7031,3
514,1
436,3
22,5
12,8
18229,4
1994
4260,9
5680,6
7242,1
552,3
445,3
23,032
13,056
18776,4
1995
4345,9
5850,9
7459,4
563,4
454,2
23,262
13,317
19339,8
1996
4432,9
6026,5
7682,8
575
463,3
23,5
13,6
19920
1997
4521,6
6207,3
7913,3
586,5
472,6
23,735
13,872
20517,6
Source: DSAPIMARA, 1996.
En ce qui concerne les céréales locales comme le sorgho, il ressort que la
production nationale, compte tenu de la faiblesse de la productivité de la
terre et de la main-d'œuvre, n'est pas compétitive par rapport au sorgho
importé comme l'indique le tableau 5. En effet, le coefficient de protection
nominal pour l'année 1997 a été estimé à 1,193 par Thiombiano et al.
(1998).
Tableau 5 - Calcul du CPN du sorgho en 1997
Structure
Montant ou niveau
Prix FCFAIt Dakar TTC
163000
Prix FCFAIt CAF Dakar
140500
Frêt Lomé Rotterdam FCFAltonne
32000
Assurance 2,25% (fret+FOB)=O,0220 CAF
2800
Prix FOB Dakar FCFAlt
Mise en FOB
105700
6250
Coûts de transport Ouaga-Lomé FCFAlt
21500
Prix Ouaga FCFAIt
77950
Prix observé à Ouaga FCFAlt
93000
Coefficient de protection nominal à Ouaga
1,193
Source: ThlOmblano et al. (1998).
276
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Le constat de manque de compétitivité du Burkina par rapport au marché
international n'est pas propre à la filière sorgho. En effet, le maïs produit au
Burkina est 1,6 fois plus cher que le maïs importé sur le marché international. Cependant, dans un cadre sous-régional, on constate que les coûts de
production sont plus élevés au Mali comparativement au Burkina. Le Burkina a en fait exporté dans la sous-région 212 millions de FCFA de maïs en
1994 et 526 millions de F CFA en 1995 (Thiombiano et al. CFA 1998).
L'euro et l'avenir des importations de blé, de riz et de maïs
La nécessité d'examiner la relation entre l'euro et les importations alimentaires est d'une importance capitale pour les décideurs dont l'objectif
est la lutte contre la pauvreté en améliorant l'accessibilité des ménages aux
aliments de base.
Le riz, le blé, les céréales traditionnelles sont les principales importations
alimentaires du Burkina. Ces importations sont dominées par celles du riz
et du blé.
Tableau 6 - Provenances des importations de blé du Burkina en %
des quantités
Provenances
1994
1995
1996
France
74,87
91,02
81,67
Allemagne
0,00
0,00
17,01
USA
17,48
8,37
0,24
CI
7,65
0,61
0,00
Autres
0,00
0,00
1,08
Sources: INSD.
Les quantités de blé importées sont évaluées à 25 000 tonnes en 1995 et
39000 tonnes en 1996. Plus de 75 % de ces importations proviennent de la
France. Les États-Unis d'Amérique et l'Allemagne viennent en seconde
position après la France avec moins de 18 % des importations.
Les importations de riz ont baissé aux lendemains de la dévaluation du
FCFA, passant de 87 000 tonnes en 1992 à 40 000 tonnes en 1994 et 63 000
tonnes en 1995, pour remonter à 97 000 tonnes en 1996.
Pour le riz, les pays d'Extrême-Orient sont les principales sources
d'approvisionnement. La république de Chine, le Pakistan et le Vietnam
sont les principaux fournisseurs en 1994 avec 82,82 % des importations. En
1995 et 1996 l'Inde, le Vietnam et le Pakistan fournissent au Burkina
87,72% et 97,73% du riz importé.
Les importations commerciales de maïs proviennent essentiellement de
la Côte d'Ivoire et du Ghana. Le Burkina a bénéficié de dons de maïs des
IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA
277
Tableau 7 - Provenances des importations de riz du Burkina en %
des quantités
Provenances
1994
République de Chine
48,37
Pakistan
18,62
Taïwan
6,36
Thailande
8,80
Inde
Vietman
17,83
Panama
1995
1996
7,20
15,26
3,15
40,23
51,87
40,29
30,60
9,13
1,87
Japon
0,02
Autres
0,00
0,40
Sources: INSD.
États-Unis d'Amérique pour une quantité atteignant 71 % des importations
totales en 1995.
Tableau 8 - Provenances des importations de maïs du Burkina en %
des quantités
Provenances
1994
1995
1996
Ghana
0,06
5,31
16,46
CI
89,21
21,92
83,35
USA
2,44
71,14
0,00
Allemagne
0,00
1,57
0,00
France
5,26
0,00
0,00
Pays-Bas
2,47
0,00
0,00
Bénin
0,57
0,00
0,00
Sources: INSD.
La structure et la provenance des importations alimentaires ci-dessus
décrites montrent que le niveau des échanges commerciaux de céréales
entre le Burkina et les pays de la sous-région est très faible et se limite aux
céréales traditionnelles. Les pays asiatiques ont l'exclusivité de l'approvisionnement du Burkina en riz, tandis que la France est le premier fournisseur de blé. La mise en œuvre de l'euro, sous l' hypothèse du maintien de la
parité actuelle du CFA et de la substitution de l'euro au franc français, pourrait se traduire par un renforcement des importations alimentaires (blé) du
Burkina en provenance surtout de la communauté européenne.
Il est peu probable qu'à court terme, on assiste à des importations en provenance de la communauté européenne pour le riz. Le volume des importations de riz pourrait cependant augmenter si l'on assiste à une dépréciation
des monnaies asiatiques vis-à-vis de l'euro. Une telle hypothèse n'est pas
à exclure dans le contexte actuel caractérisé par une récession des écono-
278
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
mies asiatiques dont la relance pourrait se poser en termes de dévaluation
de leurs monnaies.
L'hypothèse de l'entrée en vigueur de l'euro avec une hausse des importations de riz et de blé pour le Burkina est confortée compte tenu de la faible
compétitivité du riz local et l'existence d'une production domestique de
blé.
Tableau 9 - Niveau du CRD selon le type d'exploitation
Riz pluvial
Bas-fonds
Fil de l'eau
Pompage
Hors amortissements:
0,94
0,53
0,90
1,27
Amortissements compris:
0,94
0,68
1,18
2,19
Source: CFDlMinicoop - Étude sur la protection tarifaire des céréales, du sucre et des
intrants agricoles au Burkina Faso, septembre 1995
Seuls le riz pluvial et le riz de bas-fonds affichent des CRD inférieurs à
l'unité. Si l'on comptabilise les amortissements, la culture la plus compétitive est la culture en bas-fonds. La rentabilité de la filière riz après dévaluation est marginale mais réalisable pour autant que certains niveaux de
productivité économique et technique puissent être atteints en riziculture
de bas-fonds. La concurrence de riz importé à bon marché pourrait compromettre la possibilité de mettre en place une riziculture de bas-fonds
compétitive.
En ce qui concerne les céréales locales, les importations du Burkina en
provenance des autres pays de la zone franc notamment la Côte d'Ivoire,
pourraient être affectées négativement suite à la mise en œuvre de l'euro.
Le blé et le riz importés à bon marché vont exercer une influence négative
sur la consommation de maïs au Burkina. Ce constat résulte du comportement des consommateurs burkinabè. Kazianga (1996, p. 103) montre qu'il
y a une substitution entre céréales locales et les autres aliments (riz, blé) au
niveau du consommateur. Une baisse du prix de riz et de blé va se solder par
une réduction de la consommation urbaine de maïs et, partant, une baisse
des importations et de l'offre locale de maïs. La mise en œuvre de l'euro
pourrait donc se solder par un renforcement de l'extraversion des habitudes
alimentaires au Burkina tout en réduisant les échanges alimentaires entre
pays de la zone franc.
L'euro et la compétitivité des exportations du Burkina
Le Burkina exporte principalement des produits agricoles aussi bien en
direction de l'Afrique que du reste du monde. Ces produits agricoles et
d'élevage sont: les fruits et légumes, les animaux et le coton.
IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA
279
Cas des fruits et légumes
Les exportations sont assurées par des opérateurs privés regroupés au sein
de l'Association des exportateurs des fruits et légumes du Burkina
(ASEFLIB). Entre 1992 et 1995, les exportations de fruits et légumes ont
plus que doublé en passant de 8 110 à 17260 tonnes. Le volume des exportations dans la sous-région s'est accru après la dévaluation. Cependant,
l'essentiel des exportations est destiné au marché européen. De 1992 à
1995, elles sont estimées à 44%.
Les contraintes majeures à l'exportation relevées par les exportateurs sont:
- le coût élevé des emballages;
- le coût élevé du fret aérien que Air Afrique estime pourtant être sousévalué.
La mise en œuvre de l'euro et du marché commun se traduira, sous
l'hypothèse d'un remplacement du franc français par l'euro et du maintien
de la parité actuelle du CFA, par une augmentation de la demande d'exportation des fruits et légumes. L'effet probable est la hausse des exportations
des fruits et légumes à destination des pays membres de l'euro. Au niveau
de ce sous-secteur, il est peu probable que l'on assiste à une réduction des
exportations à destination des pays membres de l'UEMOA. En effet, c'est
essentiellement le haricot vert qui est exporté en Europe alors que la tomate,
les choux, les oignons sont exportés dans la sous-région.
Cas des produits animaux
Les exportations de bétail ont cru de façon substantielle au lendemain de
la dévaluation. Les exportations de bovins de 92 000 têtes à 150000 têtes
entre 1992 et 1996. En valeur, les recettes ont plus que doublé. Dans la
même période, les exportations de petits ruminants ont été multipliées par
2,13, passant de 116000 têtes à 247 000 têtes.
Le Burkina Faso pratique également une politique de protection de la production locale par une forte taxation des importations (53 % pour le bétail
et 21 % pour les reproducteurs) jusqu'en mars 1997 où les taxes ont été remplacées par une série de restrictions quantitatives: protocole d'accord pour
déplacement des animaux en provenance de pays tiers, établissement de
laisser-passer sanitaire de certificat de transhumance, de passeport pour les·
animaux venant de pays tiers.
La Côte d'Ivoire est le principal marché de destination des produits d'élevage burkinabè. Ce marché absorbe environ 60% des exportations de
bovins. On remarque une très forte bipolarisation des exportations. Cela
s'est traduit par une nette progression des exportations à destination du
Ghana qui passe de 4 % durant la période 1981-1995 à 29 % en 1997. Cette
hausse résulte d'une réduction de la part du traditionnel pays importateur
(Côte d'Ivoire), mais surtout de la réduction des exportations à destination
du Togo et du Bénin. De plus en plus, le marché ghanéen est devenu l'un des
plus importants marchés d'exportation.
280
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
L'indexation du franc CFA à l'euro ouvrira le marché européen de viande
à la Côte d'Ivoire, principal pays exportateur du bétail du Burkina. Dans
une situation du maintien des subventions des viandes européennes et avec
l'hypothèse d'une monnaie européenne forte, la Côte d'Ivoire aura tendance à importer les viandes extra-africaines. Cela va compromettre la
volonté des décideurs du Burkina de remplacer les exportations de bétail
par les exportations de viande. Comme l'indique le tableau 10, le Burkina
et le Mali n'ont pas un avantage comparatif dans les exportations de viande
sur le marché ivoirien où la viande importée revient moins chère. Le Burkina est légèrement plus compétitif que le Mali du point de vue du coefficient de protection nominal. Les deux pays ne gagnent cependant que dans
l'exportation du bétail sur pied.
Tableau 10 - Rentabilité des exportations bovines du Burkina et du
Mali en Côte d'Ivoire
Intitulé
Burkina!
Ouaga
Mali!
Bamako
Poids animal vif
140 kg
142.5 kg
1. Achat de l'animal vif
1
97500
125000
2 Commission intermédiaire
847
1000
3. Taxe de marché
586
200
4. Taxe d'abattage
2195
3995
5. Frais de gardiennage
200
500
6. Prix de revient animal sorti de l'abattoir
101328
130695
7. Perte et saisies (2 %)
2026.56
2615
8 Valorisation du
5e
-12000
-12000
9. Prix de revient à la carcasse chaude
quartier
91354.56
121310
10. Perte de ressuyage (3 %)
2740.6368
3640
4825
4825
Il. Manutention et emballage et frais de conservation
12. Frais de transport
13. Marge bénéficiaire (12 %)
13750
18350
13520.42362
17775
14. Prix de revient carcasse livrée à Abidjan
126190.6204
165900
15. Prix de revient du kg de carcasse livrée à Abidjan
934.7453364
1164.2105
16. Prix CAF d'un Kg de viande extra africaine à Abidjan
633
633
17. Prix d'un kilo de viande à Ouaga
1040
1230
1,95
2,4200062
18. CPN*
,
,
...
Sources: Edouard de Troyes et al. (1997); Evaluation des possibIlItés de rrnse en place
d'une filière de commercialisation de la viande malienne en Côte d'Ivoire;
Agence pour la promotion des filières agricoles; Kaboré T. Samuel et al. (1997);
Analyse de l'impact de la dévaluation sur la filière bovine au Burkina; CILSSIPRISAS et
calculs des auteurs.
* Le CPN a été calculé en tenant compte du coût de transport.
La mise en œuvre de l'euro aura, entre autres conséquences, la nécessité
pour les pays du Sahel et du Burkina en particulier, de maintenir les expor-
IMPACTS PROBABLES DE L'EURO SUR L'ÉCONOMIE DU BURKINA
281
tations du bétail vif ce qui valorise moins la valeur ajoutée du secteur et ne
permet pas le développement des industries utilisant les sous-produits de
l'élevage.
Tableau 11 - Répartition des exportations selon les pays
1996
1997
Bovin Ovins Caprins Total
1996
Bovin Ovins Caprins Total
1997
Pays
Période 1981-95
de destination
Toute espèce
confondue
Côte d'Ivoire
0.89
0.60
0.78
0.53
0.64
0.58
0.72
0.50
0.60
Ghana
0.04
0.25
0.06
0.19
0.17
0.34
0.18
0.34
0.29
Togo
0.14
0.14
0.25
0.18
0.08
0.08
0.12
0.09
Bénin
0.01
0.02
0.03
0.02
0.01
0.02
0.04
0.02
Source: Thiombiano et al. 1998.
La principale alternative consiste à orienter les exportations vers les pays
frontaliers hors zone franc. Ces dernières années on remarque une croissance des exportations en direction du Ghana (tableau 11) de 36% entre
1996 et 1997. Cependant, le développement des exportations en direction
du Ghana est confronté à des contraintes de commercialisation du moins
dans le cout terme. Celles-ci se résument à la cherté des transports liés à
l'absence d'une voie ferrée, au délai d'acheminement long entraînant des
pertes de poids, à l'inexistence d'un système d'information fiable sur les
marchés et à l'inorganisation des acteurs intervenant sur le marché ghanéen. De plus, l'intégration à l'euro dans l'hypothèse envisagée rendra trop
cher la viande et le bétail burkinabè par rapport à la monnaie ghanéenne.
Cas du coton
Le coton fournit entre 25 et 40% des recettes d'exportation du Burkina
Faso. 70% de ces exportations sont destinées aux pays d'Asie du Sud-Est,
25 % à l'Europe et 5 % aux pays africains (Maroc, Tunisie, Nigeria). Le
coton est, de ce fait, la plus importante culture de rente et constitue la principale source de devises du pays. La filière joue un rôle majeur dans la
mobilisation des recettes publiques au Burkina. A travers les impôts directs
et indirects, la filière coton a, durant la période 1994 à 1996, fourni 2 % des
recettes propres de l'État (Kagoné, 1998) et a contribué en moyenne de 3%
au PIB de 1993 à 1997.
L'arrimage à l'euro pourrait se traduire par une augmentation des parts de
marché de l'Union européenne. Cette hausse des exportations de coton en
direction de la communauté européenne se fonde sur la perspective d'une
dévaluation des monnaies asiatiques et partant d'une perte de compétitivité
du coton burkinabè sur ces marchés. A moins d'une surévaluation du
franc CFA, cette réorientation des exportations de coton au détriment des
282
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
marchés asiatiques n'aura pas pour effet une baisse du prix mondial de
coton. Cependant, la dévaluation des monnaies asiatiques et le fait que les
pays d'Asie constituent de gros producteurs de coton peuvent entraîner un
manque de compétitivité internationale du coton burkinabè. Dans le très
court terme, il est peu probable que l'on assiste à une baisse des recettes
d'exportation de coton, mais les gains de compétitivité issus de la dévaluation disparaîtront avec l'avènement de l'euro et la dévaluation des monnaies asiatiques.
Conclusion
Cette étude avait pour objectif d'évaluer les impacts probables de l'euro
sur les exportations et les importations du Burkina. A court terme, le Burkina qui est un petit pays même dans la zone franc ne semble pas pouvoir
tirer un grand avantage de la zone euro.
En ce qui concerne les consommations alimentaires, l'arrimage à l'euro
pourrait se solder par un renforcement de l'extraversion des habitudes alimentaires du pays tout en réduisant les échanges de produits agricoles entre
pays de la zone franc.
Le coton et le bétail qui constituent les principaux produits d'exportation
du Burkina courent le risque d'une perte de compétitivité internationale si
l'avènement de l'euro s'accompagne d'une dépréciation de la monnaie des
pays concurrents asiatiques (coton) et sud-américain (viande).
La principale recommandation qui se dégage est que l'indexation du
franc CFA à l'euro ne peut être profitable pour le Burkina en particulier, que
si les pays membres de la zone ont la possibilité de réviser à tout moment
la parité du CFA par rapport l'euro de sorte à maintenir leur compétitivité
internationale résultant de la dévaluation de 1994.
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d'élevage au Burkina, MARAIPSO. Rapport d'étape.
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Productivité et rentabilité du coton au Burkina Faso au lendemain de la
dévaluation: performances et contraintes, CEDRESIPRISAS, Bamako,
Mali.
TROISIÈME PARTIE
ARRIMAGE À L'EURO ET AVENIR DU FRANC CFA
12
Les conséquences du rattachement
du franc CFA à l'euro
Par Albert Ondo OSSA
L'ancrage, en janvier 1999, du franc CFA à l'euro suscite de nombreuses
interrogations et inquiétudes dans les quatorze pays africains de la zone
franc!. Aussi, les autorités françaises n'ont-elles cessé de réaffirmer leur
engagement politique à l'égard de la zone et de rappeler la volonté de la
France de maintenir les mécanismes monétaires de la zone franc par-delà
l'avènement de l'euro 2 .
L'existence de la zone franc n'est donc pas remise en cause par l' établis1. La zone franc comprend aujourd'hui, en dehors de la France métropolitaine, les territoires et départements d'outre-mer, la Collectivité territoriale de Mayotte et la principauté
de Monaco, quinze États indépendants dont quatorze États africains plus la république des
Comores.
Les quatorze États africains appartiennent à deux zones monétaires distinctes et ont une
monnaie commune, émise par deux banques centrales régionales. L'Union économique et
monétaire ouest-africaine (UEMOA) comprend aujourd'hui huit pays: la Côte d'Ivoire, le
Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau (qui y a adhéré le 2 mai 1997), le Mali, le Niger,
le Sénégal et le Togo. Ces pays sont membres de la Banque des États de l'Afrique de
l'Ouest (BCEAO) qui émet le franc CFA (Franc de la Communauté financière africaine).
L'Union monétaire de l'Afrique centrale (UMAC) compte six pays: le Cameroun, le
Congo, le Gabon, la Guinée-Équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. Ces
pays sont membres de la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC) qui émet le franc
CFA (Franc de la Coopération financière en Afrique centrale).
2. Sur le plan juridique, l'existence de la zone franc n'est pas remise en cause par l'établissement de la monnaie unique. L'article 234 du traité dispose que « les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du traité ne
sont pas affectés par les dispositions du Traité ».
De plus, l'article 1095 du traité, bien que ne se référant pas explicitement à la zone
franc, précise que : « Sans préjudice des compétences et des accords communautaires dans
le domaine de l'union économique et monétaire, les États membres peuvent négocier dans
les instances internationales et conclure des accords internationaux. »
288
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
sement de la monnaie unique européenne. L'option choisie à court terme
par les autorités françaises et africaines est que la zone franc se glisserait
naturellement, le 1er janvier 1999, dans la zone euro. Elle a été confirmée,
le 6 juillet 1998, par la Commission européenne qui a proposé au Conseil
européen d'autoriser le Trésor français de continuer à garantir la convertibilité, à parité fixe, des francs CFA et comorien lors du passage à l'euro 3 .
Le rattachement du franc CFA à l'euro consacre ainsi l'avènement de la
zone euro à la place de la zone franc. Cet arrimage soulève cependant de
nombreuses interrogations:
1°) les pays africains de la zone franc ont-ils véritablement intérêt à lier
leur monnaie, le franc CFA, à une monnaie forte ?
2°) le passage à l'euro ne servirait-il pas de prétexte à une nouvelle dévaluation du franc CFA ?
30) la liaison fixe entre le franc CFA et l'euro exclue-t-elle la définition
d'un taux de change différencié en fonction des performances économiques
de chaque pays ou de chaque groupe de pays ?
Incidemment se pose le problème d'une reconfiguration de la nature et de
l'intensité de la coopération entre les protagonistes de cette nouvelle
« donne» monétaire. C'est pourquoi la présente réflexion s'attache à indiquer quelques implications et perspectives de la phagocytose de la zone
franc par la zone euro.
Implications de la zone euro
L'analyse des implications de la zone euro suggère une approche duelle :
en termes de pertinence et de limites
Pertinence de la zone euro
La zone euro présente principalement l'avantage de préserver les acquis
de la zone franc. Celle-ci a fait l'objet d'une controverse qui n'a cessé de
prendre des aspects nouveaux entre économistes favorables et hostiles à ce
système.
3. C'est le samedi 2 mai 1998 à Bruxelles que les quinze chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne ont confinné la liste des onze premiers participants à l'euro:
Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg,
Pays-Bas et Portugal. La liste a été entérinée le vendredi 1er mai par les quinze ministres de
l'Economie et des Finances, puis approuvée le samedi 2 mai par le Parlement européen.
L'engagement du Trésor français n'entraînera aucune obligation pour la Banque de
France. Les autorités françaises devront simplement tenir la Commission européenne et le
Comité économique et financier infonnés des conditions de mise en œuvre de ces engagements.
LES CONSÉQUENCES DU RATIACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 289
Les économistes favorables au système monétaire de la zone franc reposent leur argumentation sur les éléments suivants:
1°) la garantie monétaire permet l'afflux des capitaux. A cet effet, la permanence de la zone franc et la relative stabilité qui la caractérise contrastent
avec l'instabilité économique et politique de l'ensemble du continent africain;
2°) la rigueur de la politique monétaire qui limite les risques d'inflation et
maintient l'équilibre de la balance extérieure;
3°) la crédibilité dont jouit le franc CFA grâce à la zone franc donne aux
pays membres des possibilités d'endettement plus grandes pour promouvoir leur développement économique;
4°) la zone franc a permis d'éviter, comme dans les pays anglophones, la
balkanisation monétaire. Elle apparaît de ce point de vue comme un facteur
de promotion du commerce inter-africain.
Cependant les économistes hostiles à ce système lui reprochent d'être
fondamentalement un vestige de la colonisation. Ils dénoncent notamment:
1°) la domination et l'extraversion des économies membres, du fait que la
France exerce un haut degré de contrôle sur ces économies;
2°) le développement de l'esprit de facilité, peu compatible avec celui
qu'exige un véritable développement;
3°) la fuite des capitaux que ce système favorise, grâce au principe de la
libre transférabilité et la transmission des variations de prix de la France
vers les pays membres;
4°) les conséquences néfastes de la liaison directe entre le franc CFA et le
franc français, autrement dit les effets de la dévaluation (ou de la réévaluation) de fait du franc CFA suivant la tenue du franc français sur le marché
des changes.
Aujourd'hui le bilan de la zone franc est contrasté. D'une manière générale, les rapports privilégiés de la France avec les pays africains de la zone
franc confèrent à celle-ci un avantage en termes de débouchés. En contrepartie, la France assure le risque associé à la garantie illimitée de couverture
des éventuels déficits.
On retiendra par ailleurs que :
1°) la discipline monétaire a permis à la BEAC et à la BCEAO de disposer
d'un solde excédentaire au compte d'opérations jusqu'à la décennie 80
(8,9% en 1969 et 1% en 1980). Depuis cette date, les comptes sont tendanciellement déficitaires. La zone franc aura donc permis une faible inflation
et une croissance relativement forte jusqu'à la période de turbulence et la
perte de compétitivité des années 1980 (Devarajan & Walton, 1994);
2°) l'existence d'un système monétaire stable et unifié n'a pas permis
l'émergence d'un système bancaire et financier efficace dans les pays africains de la zone franc. Les réseaux bancaires qui s'y sont constitués sont
restés embryonnaires et fortement dépendants des banques de l'ancienne
métropole à l'origine de leur création. La prééminence de la monnaie fiduciaire (de l'ordre de 30% de la masse monétaire) témoigne du faible rôle
des systèmes bancaires de ces pays.
290
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
La zone euro, à l'image de la zone franc, présente donc pour les pays africains membres plusieurs avantages:
1°) une plus grande stabilité de leur monnaie, le franc CFA (désormais lié
à l'euro), en raison de la limitation du risque de change;
2°) la possibilité de diversifier davantage leurs partenaires commerciaux
et de privilégier, par la même occasion, l'aide multilatérale au détriment de
l'aide bilatérale souvent contraignante et exclusiviste;
3°) une plus grande facilité de mobilisation des ressources. L'appartenance commune à une zone euro peut être l'élément moteur d'une politique
de relance des investissements étrangers dans le cadre des projets
régionaux;
4°) une possibilité d'intégration accrue par la coordination des politiques
économiques (Diffo Nigtiopop, 1993).
Le rattachement du franc CFA à l'euro, malgré les avantages que nous
venons de relever, comporte néanmoins des contraintes et des limites.
Contraintes et limites de la zone euro
Avec l'avènement de la zone euro, il faut s'attendre à des contraintes plus
fortes en matière de gestion monétaire, d'équilibre budgétaire et d'équilibre
extérieur. En effet, l'appartenance à une telle zone exige indéniablement
des performances économiques en termes de croissance, d'inflation et de
déficit public conformes aux normes européennes telles que redéfinies par
« le pacte de stabilité4 ».
La zone euro imposerait donc aux pays membres une discipline monétaire plus rigoureuse qui interdirait tout financement important des déficits
budgétaires ou toute avance aux Trésors nationaux, afin que ces pays ne
procèdent pas à une nouvelle dévaluation de leur monnaie.
A cet égard, il est à redouter qu'aucun mécanisme d'atténuation de la
contrainte extérieure ne soit mis en place, à l'instar de la possibilité de crédit automatique qu'offre le compte d'opérations en vue de préserver les
pays membres des crises des balances de paiements qui les contraindraient
à renoncer à la convertibilité du franc CFA.
De plus, il existe la crainte que le passage à l'euro serve de prétexte à une
4. Les ministres des Finances des pays participant à l'euro ont approuvé, le vendredi 1er
mai 1998, une « déclaration de stabilité » budgétaire qui accompagne le passage à l'euro.
Cette déclaration réaffirme la nécessité pour ces pays d'observer une politique de rigueur.
Ce texte demande « des efforts spéciaux » pour les pays - non désignés - ayant une
dette publique trop élevée. Il affirme par ailleurs que l'entrée dans la monnaie unique ne
signifiera pas, une fois les négociations achevées, un relâchement de la discipline budgétaire et que la zone euro « ne pourra pas être invoquée » pour demander aux plus vertueux
de payer les dettes des autres.
La déclaration de Bruxelles établit clairement le principe longtemps contesté en France
de considérer l'assainissement des finances publiques, la recherche de l'équilibre budgétaire, comme conditions prioritaires de la croissance et de l'emploi. Les États s'engagent à
tenir les objectifs de déficit budgétaire pris pour 1998 et à prendre, en cas de dérapage, les
mesures de rattrapage nécessaires.
LES CONSÉQUENCES DU RATIACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 291
nouvelle dévaluation du franc CFA. Même si, pour de nombreux économistes, les données macroéconomiques de la zone ne la justifient pas pour
l'instant, il reste que le mode de gestion actuel des économies africaines
incline à admettre l'inéluctabilité d'un réajustement de la parité du franc
CFA. Ce réajustement entraînerait indéniablement l'aggravation de la crise
qui secoue l'Afrique, car l'euro va certainement ouvrir la voie à un ultralibéralisme à tous crins et exacerber du même coup la concurrence internationale. Cette situation ne créera pas d'emplois parce que de nombreux secteurs industriels et de services seront inévitablement touchés.
En fait, la préoccupation majeure à ce niveau est de pouvoir contenir les
excès de certains membres de la zone, pour qu'ils se maintiennent dans la
voie de bonne conduite macroéconomique. De la sorte, les problèmes budgétaires d'un pays n'amplifieront pas les difficultés des autres.
Malheureusement, l'histoire récente de la zone franc semble indiquer
qu'il y a peu de chance pour que tous les pays membres adoptent des politiques macroéconomiques exemplaires (Devarajan, Walton, 1994) ; surtout
que la banque centrale n'a pas le pouvoir d'obliger un pays à appliquer une
politique rigoureuse de restriction du crédit intérieur.
Dans ces conditions, les défaillances des pays qui constituent les
«noyaux durs» de chaque sous-région (Côte d'Ivoire et Sénégal pour
l'Afrique de l'Ouest, Gabon et Cameroun pour l'Afrique centrale) seraient
particulièrement coûteuses.
Les avantages de la zone euro, d'une part, les multiples contraintes qui
s'exercent sur les pays membres ainsi que les risques qui planent sur eux,
d'autre part, nous amènent à entrevoir l'avenir de cette zone monétaire.
Perspectives de la zone euro
L'avenir de la zone euro dépend d'un certain nombre de mesures de politique économique qui conditionnent du reste son succès. Ce futur s'analyse
essentiellement en terme de scénarios.
Conditions de réussite de la zone euro
L'arrimage du franc CFA à l'euro pose, dans tous les cas, le problème de
l'avenir d'une telle zone de coopération monétaire, construite cette fois à
partir des bases réglementaires différentes de celles qui ont présidé à la
création de la zone francs. En effet, la transition douce de la zone franc vers
la zone euro ne réglera pas seule, il faut bien s'en convaincre, le problème
5. La zone franc est née formellement le 9 septembre 1939 lorsque, dans le cadre des
mesures liées à la déclaration de guerre, un décret instaura une législation commune des
changes pour l'ensemble des territoires appartenant à l'empire colonial français. Les structures actuelles de la zone franc sont donc le résultat des mutations politiques et économiques intervenues depuis 1939.
292
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
de fond qui est celui du développement de l'Afrique. Elle pose par ailleurs
le problème de l'adhésion d'autres pays africains (non membres de la zone
franc) qui, pour la plupart, effectuent une grande partie de leur commerce
avec les pays de l'Union européenne.
C'est dire que la réussite d'une telle zone dépend tout d'abord de la
volonté des pays qui y adhèrent, car il ne s'agit pas ici d'un simple changement de référence. La nouvelle zone devra nécessairement conjuguer rigueur et souplesse en garantissant un taux de change fixe du franc CFA en
euro, mais sans totalement exclure la possibilité de modifier la parité entre
le franc CFA (ou les monnaies africaines) et la monnaie unique européenne.
Le problème reste donc entier ou presque, d'autant que les enjeux ne sont
pas les mêmes.
Deux objectifs devraient donc être ciblés :
- la poursuite de l'ajustement;
- la promotion du développement.
Concernant l'ajustement, il s'agit essentiellement à court terme de renforcer la nouvelle parité du franc CFA (celle définie en janvier 1994 à
Dakar) qui devra être confirmée à partir du 4 janvier 19996 .
Les mesures suivantes s'imposent à cet effet:
1°) la maîtrise de l'inflation en vue d'améliorer la compétitivité, car un
bas niveau d'inflation couplé avec des taux d'intérêt suffisamment rémunérateurs apparaît comme une mesure essentielle pour consolider la parité de
la monnaie commune.
Ainsi, les taux d'inflation susceptibles de favoriser et de garantir la compétitivité des économies africaines doivent être maintenus à un niveau inférieur à la moyenne des principaux partenaires commerciaux 7• L'objectif
étant d'éviter que les pays africains se retrouvent dans la situation qui a précédé le changement de parité de 1994 et que ne se déclenche une dynamique
perverse qui conduise irrémédiablement à une nouvelle dévaluation du
franc CFA.
Pour ce qui est des taux d'intérêt, il est nécessaire d'élever les taux créditeurs à un niveau supérieur à celui des grands partenaires commerciaux (les
pays de l'Union européenne) afin de pallier l'effet défavorable de la taille de
6. C'est en réalité le 4 janvier 1999 au matin, premier jour ouvrable de l'année que
l'euro verra le jour. Mais, pour connaître la valeur de l'euro, il aura fallu attendre le
31 décembre 1998, car à cette date, l'euro se sera substitué de façon conventionnelle à
l'écu sur la base d'un pour un et on connaîtra jusqu'à cinq chiffres après la virgule, de
combien « feu le franc» vaudra un nouvel euro. L'écu est un panier de monnaies européennes et l'écu-panier actuel comporte trois monnaies (sterling, drachme, couronne danoise)
qui n'entreront pas dans l'euro, il faudra attendre la fixation des derniers cours, le 31
décembre 1998 à Il h 30, pour établir définitivement la valeur de la monnaie unique.
7. Ce différentiel est particulièrement élevé et défavorable aux pays de la CEMAC au
cours des années 1980. En effet, il est de + 6,1 en 1988 pour le Cameroun contre + 3,6 en
1987 et + 6,1 en 1986, + 2,7 pour la RCA en 1989 contre + 6,7 en 1988, + 5,5 en 1987 et
+ 6 en 1986, + 0,6 en 1989 pour le Congo contre + 1,2 en 1988, + 3,8 pour le Gabon en
1990 contre + 3,1 en 1989 et + 19,4 en 1987, + 3,3 pour la Guinée-Équatoriale en 1989 et
enfin + 19,2 pour le Tchad en 1988.
LES CONSÉQUENCES DU RATIACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 293
certains pays sur les possibilités d'investissement. De même, les taux débiteurs devront être revus à la baisse pour ne pas pénaliser l'activité 8
2°) la réduction sensible des dépenses publiques qui impliquerait une plus
grande rigueur dans les choix budgétaires, ainsi qu'un frein aux dépenses
somptuaires et improductives. Il est important, à cet égard, de ramener le
déficit public à un niveau acceptable (de l'ordre de 3 % du PIB pour se rapprocher de la norme européenne), grâce à une révision de la structure fiscale
de ces pays. De même, le ratio endettementIPIB devrait être ramené à un
niveau inférieur à 60%9;
3°) la restauration du rachat des billets CFA entre les deux Banques centrales (la BEAC et la BCEAO) et ceux exportés hors des territoires africains
afin de ne pas entraver les principes de la libre transférabilité et de la libre
convertibilité qui sous-tendaient la zone franc et qui devront caractériser la
zone euro;
4°) la mise en œuvre de mesures de protection en faveur des couches les
plus vulnérables de la population. Ce qui revient notamment à:
- initier une politique de soutien sélectif aux entreprises les plus performantes ou exerçant dans des secteurs porteurs afin de promouvoir et garantir l'emploi 10,
- réduire de manière substantielle (ou supprimer selon les cas) les impôts
qui frappent les ménages à faibles revenus,
- réduire (ou supprimer selon les cas) les droits de douane qui frappent
les produits de première nécessité afin de maintenir, autant que possible, les
prix de ces biens à leurs niveaux antérieurs.
En matière de développement la zone euro devrait garantir des ressources
suffisantes aux pays membres. Cette allocation des ressources leur éviterait
un endettement onéreux auprès des tiers qui les contraindraient à rembourser en devises, à des taux d'intérêt élevés.
En somme, cet ensemble cohérent de mesures solidaires affectera à la fois
8. Après la dévaluation du franc CFA, le taux d'escompte de la BEAC est passé de
11,50% en décembre 1993 à 14% en janvier 1994. Celui de la BCEAO de 10,5% à 14,5%
avant d'être ramené à 9% le 23 janvier 1995. Depuis juillet 1994, date de l'instauration du
marché monétaire dans la zone BEAC, le taux d'escompte a été remplacé par le taux directeur de la BEAC (taux des appels d'offre). Ce taux directeur, qui était de 12,5%, est tombé
à 8% le 25-10-1995.
9. Le ratio endettementIPIB était de l'ordre de 107% pour le Cameroun en 1994 contre
65,8% en 1993, 101,8% pour la RCA en 1994 contre 73,2% en 1993,454,1 % pour le
Congo en 1994 contre 237,6% en 1993, 168% en 1992 et 177,7% en 1991, 122,5% pour
le Gabon en 1994 contre 79,9% en 1993 et 64,20% en 1992, 180,1 % pour la GuinéeÉquatoriale en 1994 contre 180,3 % en 1993 et 135,8 % en 1992, 91 % pour le Tchad en
1994 contre 64,2 % en 1993. Voir rapport annuel de la zone franc, 1995.
10. Ce soutien pourrait être, soit un allégement des charges fiscales au bénéfice des
entreprises qui vendent à l'extérieur (les entreprises qui produisent des biens échangeables
intemationalement), soit une assistance par laquelle l'Etat pourrait temporairement doter
certaines PME-PMI d'experts (financiers et commerciaux) qu'il prendrait en charge financièrement. Certaines unités de production pourraient également bénéficier de l'assistance
technique étrangère financée par des organismes multilatéraux tels que le FED.
294
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
la demande et l'offre, afin de réduire le déficit extérieur, d'accroître la production, de contenir l'inflation, de résorber le chômage et en définitive de
restaurer la confiance.
A une période où l'État ne parvient plus à prélever suffisamment sur
l'économie, ces mesures nécessitent des arbitrages complexes. Elles présentent néanmoins l'avantage de placer les pays africains de la zone euro
dans une véritable perspective de partenariat et de développement visant à
les faire passer de la logique de rente à celle de production.
Les possibilités de mise en œuvre de ces mesures nous font entrevoir plusieurs scénarios d'évolution de la zone euro.
Les scénarios possibles
Dans la configuration actuelle des économies africaines, tout ou presque
peut arriver: de l'implosion de la zone euro au réaménagement des accords
en passant par le renforcement des liens existants. Dans tous les cas, quatre
scénarios sont envisageables au-delà de 2002 11 :
- scénario 1: l'éclatement de la zone euro et la création d'une monnaie
nationale dans chaque ancien pays membre;
- scénario 2: l'éclatement de la zone euro au profit de regroupements
plus étroits, l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et
la Communauté économique et monétaire en afrique centrale (CEMAC 12),
ou de la création d'une monnaie autonome dans chacun des regroupements;
- scénario 3: la disparition de la zone euro au profit d'une zone rand dirigée par l'Afrique du Sud et/ou d'une zone naira dirigée par le Nigeria;
- scénario 4: l'élargissement de la zone euro à d'autres pays (ne faisant
pas partie de la zone franc).
Les scénarios 1 et 2 sont des scénarios pessimistes. Ils découleraient d'une
détérioration de la situation économique et financière de la zone euro africaine. Il s'ensuivrait inévitablement une nouvelle dévaluation du franc CFA.
Les disparités dans des perforrriances économiques des États membres
amèneraient à rejeter, cette fois-ci, l'option d'un taux de dévaluation unique. Dès lors, les velléités jusque-là contenues de certains États (ou groupes
d'États) à se désolidariser des autres membres de la zone s'affirmeraient
Il. C'est le 1or juillet 2002 que les billets en francs, en marks ou en lires disparaîtront
de la scène. Entre le lundi 4 janvier 1999, date à laquelle la monnaie européenne va être
cotée pour la première fois sur les marchés et le lor juillet 2002, trois ans et demi se seront
écoulés. Et dans chaque pays, on continuera à s'exprimer dans sa propre devise nationale.
C'est donc un système intermédiaire qui prévaudra. Or, tout système intermédiaire est vulnérable car soumis à des crises spéculatives récurrentes, comme on a eu à le constater en
1992 et en 1993 dans le système monétaire européen.
Pour s'imposer durablement, l'euro devra être accepté. Ce qui suppose qu'on laisse les
gouvernants œuvrer pour que la monnaie unique finisse par s'imposer davantage par ses
succès avérés plutôt que par ses contraintes supposées.
12. La CEMAC regroupe en fait deux institutions:
- l'Union économique de l'Afrique centrale (UEAC);
- l'Union monétaire de l'Afrique centrale (UMAC).
LES CONSÉQUENCES DU RATIACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 295
ouvertement et conduiraient à l'éclatement de la zone euro. Ce qui déboucherait sur la création, soit d'une monnaie nationale dans chaque pays, soit
d'une monnaie sous-régionale pour chaque regroupement.
Dans le scénario l,l'adoption par chaque État d'une monnaie autonome
conduirait sans doute à la faillite. Aucune économie subsaharienne n'a des
ressources suffisamment stables pour soutenir une monnaie capable de faire
face aux nouveaux enjeux qui se dessinent à l'horizon à l'heure de la mondialisation des économies. L'adoption d'une monnaie propre entraînerait
dans chacun de ces pays:
- une politique monétaire trop restrictive qui risquerait de bloquer la
croissance ;
- une perte de crédibilité et de convertibilité de cette monnaie qui ne
garantirait plus l'arrivée des capitaux étrangers nécessaires au
développement;
- la réduction des échanges entre pays africains.
Dans le scénario 2, des regroupements sous-régionaux du type UEMOA,
CEMAC n'auraient sans doute pas une meilleure efficacité. Il est à redouter
que les difficultés soient plus grandes au moment où le concours de la
France fera certainement défaut. Ces regroupements pourraient alors donner lieu à des effets pervers cumulatifs.
Dans le scénario 3, la zone euro disparaîtrait au profit d'une zone rand
dirigée par l'Afrique du Sud et/ou d'une zone naira dirigée par le Nigeria.
Les économies subsahariennes si faibles ne pourront longtemps y résister.
Ce scénario, qui suppose une meilleure prise de responsabilité des africains, permet du reste de passer à une phase plus avancée du processus
d'intégration. Il procède d'une action conjuguée des institutions internationales (FMI, Banque mondiale) et des africains eux-mêmes, en vue de faire
échec à la logique de rente.
Le scénario 4 traduit une évolution favorable de la zone euro. Cette évolution pourrait se faire en trois étapes :
- première étape: mise en place d'une« zone de changes» en vue d'un
alignement des monnaies africaines sur l'euro qui servirait de monnaie de
facturation ;
- seconde étape: adoption d'un régime unifié de contrôle de changes
vis-à-vis des pays tiers;
- troisième étape : mise en commun des réserves et création de trois banques centrales dans les trois sous-régions (Afrique de l'Ouest, Afrique centrale et Afrique australe).
L'élargissement de la zone euro sera, pour les pays qui définissent leur
monnaie par rapport aux dollars américain et australien, au rand sud-africain, au DTS ou à un panier ad hoc, certainement plus qu'un changement
de référence. Car le taux de change ne serait pas, ainsi que nous l'avons
indiqué plus haut, forcément le même pour tous les pays. On pourrait, à
cette occasion, déterminer un taux de change par région (Afrique de
l'Ouest, Afrique centrale et australe) afin de mieux coordonner les politi-
296
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
ques de développement. On pourrait par ailleurs envisager l'usage des parités glissantes (système crémaillère). Ainsi, les taux de change des monnaies
africaines seraient périodiquement réajustés, soit en fonction du montant
des réserves de chaque pays, soit par rapport au différentiel d'inflation.
L'élargissement de la zone euro constituera un changement profond pour
les pays dont les monnaies flottent, dans la mesure où il consacrera pour eux
le retour aux changes fixes.
La réalisation de ce scénario exige des pays africains membres de la zone
euro une discipline plus stricte. Et il existe généralement trois mécanismes
possibles pour imposer une discipline:
- le mécanisme basé sur le marché (alourdissement du coût des emprunts
pour les États prodigues);
- les mécanismes réglementaires (obligation de maintenir le budget en
équilibre ou le plafonnement du déficit budgétaire par rapport au PIB);
- les mécanismes discrétionnaires (par lesquels le suivi des performances macroéconomiques est assuré par un organe indépendant ou supranational).
Pour les pays africains de la nouvelle zone euro, les mécanismes par le
marché sont difficiles à mettre en œuvre à cause de l'étroitesse du marché
(et essentiellement le marché des capitaux).
De ce fait, Devarajan (1994) propose:
1°) que la règle de la limitation des avances faites au Trésor public à 20 %,
des recettes fiscales de l'année précédente, principe essentiel dans la zone
franc, soit étendue à toutes les sources de financement;
2°) de limiter les emprunts extérieurs des États prodigues. Ce qui ferait
jouer un rôle plus important à la communauté internationale des bailleurs
de fonds.
Dans tous les cas, il faut éviter que les pays qui sont incapables de se conformer aux règles édictées ne soient tentés de quitter la zone. Pour cela,
deux solutions sont envisageables:
1°) la crédibilité de la zone euro, qui seule pourrait dissuader les pays
membres d'en sortir, en raison précisément des avantages que confèrent la
stabilité des prix et la convertibilité totale de leur monnaie ;
2°) l'octroi des ressources internationales en fonction des performances
économiques des pays membres de la zone.
De cette façon, on arriverait à une situation telle que les pays qui s'estiment bridés du fait de leur appartenance à la zone euro comprennent qu'ils
feront face aux mêmes contraintes s'ils la quittent.
Conclusion
Quelle que soit l'orientation choisie ou imposée par les faits, la préoccupation essentielle doit être la manière de permettre aux pays africains de
LES CONSÉQUENCES DU RATTACHEMENT DU FRANC CFA À L'EURO 297
développer des avantages comparatifs et d'améliorer leurs performances
économiques dans un monde en mutation.
Le changement de la monnaie de référence n'est en cela qu'un aspect de
la réforme générale à entreprendre. Il est attendu une réforme dont l'objectif est d'adapter les règles institutionnelles de fonctionnement de la nouvelle zone ainsi que l'opportunité de son élargissement.
A cet égard, l'élément déterminant est moins le niveau du taux de change
que la confiance des partenaires et des investisseurs. Une confiance qui
repose essentiellement sur le sérieux des politiques mises en œuvre par les
États. Dès le départ, il sera dans l'intérêt des pays africains membres de la
zone euro de préserver une parité fixe qui apparaît comme le meilleur gage
de stabilité. La nouvelle zone euro, pour être viable, devra par la suite contribuer à faire passer ces pays de la logique de rente à celle de production.
Bibliographie
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internationale des économistes de langue française, Luxembourg, mai.
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Devarajan S., Walton M. (1994), « Préserverla zone CFA: la coordination
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Ondo Ossa A. (1992), « Taux de change du franc CFA et construction
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13
De la zone franc
à la zone euro en Afrique ?
Les incertitudes et les enjeux
de la construction monétaire
en Afrique francophone
Pacôme N'GUINDZA-OKüUYI
Les crises et les mutations intervenues au sein de la zone franc ont chaque
fois remis au-devant de l'actualité la problématique du lien monétaire spécifique qui sous-tend cette zone et conditionne l'avenir des pays qui y prennent part.
Aujourd'hui c'est l'imminence de l'aboutissement de l'unification économique et monétaire en Europe qui, avec son corollaire, la disparition prochaine du franc français, conduit au questionnement pressant sur l'avenir
de la zone franc. La réflexion à ce sujet n'a pas manqué d'inspirer de nombreux observateurs et, la systématisation puis l'approfondissement de cette
réflexion sont aujourd'hui vivement souhaités.
C'est dans un contexte de crise grave et persistante que se posent à l'heure
actuelle les enjeux du devenir des pays africains de la zone franc (PAZF) ;
un environnement caractérisé au plan international par de profondes mutations de l'économie mondiale. Dans un tel contexte, l'avenir économique et
monétaire des pays de la zone CFA se trouve marqué de fortes incertitudes,
accentuées par le pessimisme lié aux prévisions économiques peu prometteuses pour la majorité des pays, et par les remises en cause de plus en plus
prononcées des fondements de leurs systèmes économique et monétaire.
Des auteurs qui se sont penchés sur le devenir des pays du franc CFA ont
diversement esquissé des schémas retraçant les évolutions souhaitables de
leur situation économique et monétaire.
300
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Nous considérons, pour notre part, que l'avenir des pays de cette zone
reste étroitement lié à la restructuration de ses systèmes monétaires et
financiers, ainsi qu'à la restauration des dynamiques économiques
nationales; ces processus s'inscrivant désormais dans l'entrelacs des rapports de force qui caractérisent les évolutions mondiales actuelles. C'est
ainsi que nous situons l'avenir monétaire des pays du franc CFA par rapport aux cas de figure qui nous paraissent les plus significatifs des dynamiques en cours. Mais surtout, nous l'analysons au regard des impératifs
que leur impose aujourd'hui l'enjeu d'une recherche de compatibilité
entre l'ordre monétaire et la structuration de leurs économies ; une adéquation entre la gestion monétaire et la construction économique, qui permettrait de répondre le mieux aux aspirations au progrès, et au bien-être de
leurs sociétés.
Nous partons de l'observation des évolutions passées et récentes de la
zone franc, et d'une analyse critique de l'insuccès des politiques économiques menées dans l'environnement institutionnel de cette zone, pour poser
comme une nécessité et une exigence pour leur progrès, l'opportunité pour
les PAZF d'engager une transformation profonde de leur régime de change
actuel. Car les rigidités du système monétaire franco-africain, l'inadéquation de son cadre institutionnel et du régime de change en vigueur ont fait
peser de fortes contraintes sur les économies des pays d'Afrique centrale et
de l'Ouest. Si bien que l'amorce d'une mutation conséquente de l'ordre
monétaire promu - depuis près d'un demi-siècle maintenant - au sein de la
zone franc apparaît comme le préalable essentiel au redressement des économie africaines.
Dans une analyse de scénarios, nous brossons un tableau synoptique de
l'évolution de la question monétaire en Afrique atlantique, et par extension,
en Afrique au sud du Sahara, en retraçant les principaux cas de figure susceptibles de caractériser cette évolution.
L'avenir de la zone franc est ainsi envisagé autour de trois axes d'évolution possibles, représentés par les scénarios suivants.
• L'éclatement ou le démantèlement de la zone franc
- pour la création de monnaies nationales qui seraient gérées de façon
autonome dans chaque ancien pays membre;
- pour sa recomposition autour de regroupements sous-régionaux
actuels que sont l'UEMOA et la CEMAC, avec la création d'une monnaie
sous-régionale autonome dans chacun de ces regroupements ;
• La disparition de la zone franc dans ses contours institutionnels
actuels au profit d'autres dynamiques monétaires sous-régionales s'étendant au-delà des cadres institutionnels de ses unions traditionnelles ...
• L'option pour la continuité, qui est celle du statu quo et qui consiste au maintien dufranc CFA sous saforme institutionnelle actuelle
et son rattachement entre 1999 et 2002 à l'euro, la monnaie unique
européenne.
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
301
L'étude se donne également d'examiner l'opportunité de l'émergence,
dans les pays africains de l'actuelle zone franc, d'une ou de constitutions
monétaires nouvelles à même de représenter une alternative viable à
l'actuel système de change. Lequel système, reposant sur des principes peu
évolutifs, car empreints de rigidité, s'est soldé par un échec en matière de
contribution au développement des pays africains et offre aujourd'hui, à
nos yeux, peu d'opportunités pour un redressement véritable de leurs économies en difficulté.
De ce point de vue, notre propos se situe dans l'optique d'une réflexion
sur les conditions et les modalités d'une accession bénéfique des pays
d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest à un ordre monétaire nouveau
qui dépasserait les anciens schémas.
La réflexion conduite s'inscrit précisément dans la croyance en ce que
dans un contexte où l'échec du système monétaire franco-africain est
manifeste, et où il est désormais improbable que ce système puisse insuffler une nouvelle dynamique au sein des économies africaines, l' autonomie monétaire est aujourd'hui souhaitable et possible en pays africains de
l'actuelle zone CFA, et qu'elle apparaît plus que jamais comme l'option à
explorer pour le redressement des économies d'Afrique centrale et de
l'Ouest, par une prise en main responsable par les pays eux-mêmes de leur
destinée.
Le regard prospectif que nous posons au sujet de l'avenir de la zone CFA
à travers l'analyse des principales hypothèses qui sont portées à caractériser
son évolution peut, schématiquement, se présenter sous les deux options
suivantes, renfermant chacune deux cas de figure et pouvant s'articuler
comme suit:
- une ligne d'évolution où la construction monétaire en Afrique se
trouverait liée à celle de l'Europe. Dans cette conception que nous allons
analyser, nous examinons:
• l'optique de la thèse officielle franco-africaine, et
• l' hypothèse d'un possible glissement vers une coopération monétaire
eurafricaine ;
- une ligne d'évolution où la construction monétaire de l'Afrique
pourrait se réaliser par des moyens exclusivement africains. Dans cette
option que nous étudierons ensuite, les deux hypothèses suivantes sont
envisagées:
• l'hypothèse où les PAZF opteraient pour la création de monnaies nationales autonomes, gérées individuellement par chacun des États;
• l'idée de la construction ou du cheminement, à terme, des dynamiques
nationales vers des monnaies régionales, voire vers une union monétaire
africaine, si tel est le souhait des Africains et le nécessaire aboutissement
(au plan continental) de leurs élans de solidarité.
302
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
L'hypothèse d'une évolution de la construction monétaire en
Afrique sous la houlette de l'Europe: un point de vue critique
Depuis plus de deux décennies, une constante du débat sur l'avenir de la
zone franc pose comme alternative à la crise des économies africaines, la
coopération moné.taire avec l'Europe de l'Union économique et monétaire
(UEM). Plusieurs auteurs ont élaboré des scénarios allant dans ce sens, qui
tendent invariablement à montrer l'opportunité pour les pays africains
d'une approche eurafricaine de la coopération monétaire, laquelle viendrait
se substituer à l'ancienne coopération franco-africaine et apporter un nouveau souffle à la construction économique de l'Afrique.
Pour conforter cette opinion et en démontrer la justesse, on évoque, sur
fond de la grande déprime des économies du continent : le caractère hétéroclite des monnaies africaines, qui limite toute possibilité actuelle ou
future pour ces pays de dépasser le cadre de la seule coopération monétaire
pour s'acheminer vers celui d'une véritable coopération économique; et
l'avantage commercial indéniable que les Africains trouveraient à établir
une coopération monétaire avec l'Europe unifiée, qui absorbe près de 50%
de leurs exportations ...
Ainsi, les considérations les plus avantageuses de l'idée d'une coopération monétaire entre l'Afrique de la zone franc et l'Europe de Maastricht
inspirent les réflexions les plus avancées à l'heure actuelle sur l'avenir de
cette zone, et ont influencé les décisions en la matière. La thèse officielle
franco-africaine au sujet de l'évolution de la zone franc s'inscrit résolument
dans cette optique, et son prolongement tendrait à confinner l'hypothèse
d'un glissement à tenne vers une coopération monétaire eurafricaine.
Pourtant, la nature des enjeux qu'impliquent ces évolutions (et d'autres
possibles) commande que soit regardée avec lucidité la juste articulation de
tels choix, lesquels sont portés à marquer profondément le devenir des peuples des pays impliqués.
Il est alors utile d'examiner quelles perspectives les données réelles en
Afrique et l'enjeu de l'achèvement du processus unitaire européen par le
passage à la monnaie unique (à partir de 1999), réservent-ils à l'évolution
de la construction monétaire en zone franc.
L'optique de la thèse officielle franco-africaine
La thèse officielle -la ligne d'évolution décidée par les autorités politiques
et monétaires de la zone franc - on le sait depuis 1996, est celle du rattachement des francs CFA à l'euro ... à l'horizon 2002. Le cheminement le plus
probable à l'heure actuelle est que l'évolution selon les vœux des officiels
français et africains se concrétisera dans un premier temps - et certainement
à brève échéance -le franc CFA sera aligné sur l'euro quand sera amorcée
la disparition du franc français (entre 1999 et 2002), puis peut-être assisterat-on, à tenne, à la concrétisation du projet d'une coopération eurafricaine...
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
303
Examinons les implications d'une telle évolution qui, du fait qu'elle se
déroule sous le couvert de l'euro, nous paraît clairement devoir se tenir sous
le parrainage de l'Europe de Maastricht. Ce qui n'est pas le cas. Car la
France, au bénéfice du principe de subsidiarité - très avantageusement évoqué par elle - entend, en toute exclusivité, se charger par continuité naturelle de la gestion du lien entre le franc CFA et l'euro.
A) LES RELATIONS ENTRE LE FRANC CFA ET L'EURO, VUES PAR LES OFFICIELS FRANÇAIS
La vision française des relations futures entre le franc CFA et l'euro est
présentée sous l'angle le plus avantageux et le plus rassurant: elle pose que
le rattachement des francs CFA et comorien à l'euro ne modifiera pas les
liens privilégiés entre la France, les pays de la zone franc et sera un atout
pour ces pays. Pour rassurer, on répète que l'alignement du CFA sur l'euro
ne se traduira pas par une nouvelle modification de la parité du franc CFA.
Et mieux, que le passage à l'euro sera un progrès pour les pays de la zone
franc, en ce qu'il garantira la stabilité monétaire et facilitera le commerce
et les investissements.
Il est légitime d'interroger ce point de vue, pour voir si cette voie ouvre
de réelles opportunités aux économies africaines, et si elle leur offre des
perspectives favorables d'évolution.
B) OPPORTUNITÉS ÉCONOMIQUES ET VIABILITÉ
Les avantages économiques que l'on prête à l'option du rattachement des
francs CFA à l'euro - posée comme la solution aux problèmes des économies africaines - sont-ils réels, ou bien ces idées ne procèdent-elles que
d'un opportunisme qui ne fera qu'entériner l'état actuel, et n'apportera
donc pas de véritable changement à la situation des pays d'Afrique centrale
et d'Afrique de l'Ouest?
a) Opportunités ou opportunisme?
L'avenir de la zone franc n'est pas pris en compte par les institutions de
Bruxelles dans le traité instituant l'UEM en Europe, la question a été complètement ignorée. Les considérations actuelles sur le devenir du franc CFA
procèdent d'une interprétation par la France de quelques dispositions du
traité de Maastricht, notamment l'article 109 1• Cette lecture plutôt opportuniste passe sous silence des aspects essentiels touchant aux questions de
forme et de fond.
1. Lequel, dans son cinquième alinéa, dispose que « les États membres peuvent négocier dans les instances internationales et conclurent des accords internationaux dans le
domaine monétaire ». La lecture «opportuniste» de cette disposition pose que celle-ci
« vise explicitement la zone franc qui pourra subsister sans qu'il y ait à demander une quelconque autorisation préalable à Bruxelles ».
304
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
1) Des vices de forme
Au plan de la forme, l'assertion qui pose que les dispositions du traité de
Maastricht n'affectent en rien les principes de la zone franc est loin de faire
l' unanimité.
En effet, l'idée selon laquelle le passage à la monnaie unique et à la Banque centrale européenne (BCE) serait compatible avec les règles institutionnelles de la zone franc, rencontre des objections portant à la fois sur
l'usage extérieur de l'euro, les possibilités d'action du Trésor public français (soucieux d'éviter les déficits budgétaires excessifs), la gestion de la
politique monétaire dont les objectifs sont loin d'être les mêmes pour les
pays de l'Union européenne (UE) et ceux de la zone franc en Afrique.
Mais l'objection la plus importante concerne la question du pouvoir de
décision dans la prochaine coopération monétaire euro-africaine. Cette
question est de nature à compliquer sérieusement le fonctionnement du lien
euro/CFA. En d'autres termes, après l'alignement des CFA sur l'euro, qui
aura, à l'avenir, le droit de décider de l'adhésion de nouveaux membres à la
zone franc ou du changement de parité entre le CFA et l'euro? La France
ou l'Union européenne? Les Africains étant désormais complètement
exclus du cercle de décision concernant la gestion de cette nouvelle coopération monétaire.
Ces considérations soulèvent des points d'ombre qui se posent comme
autant de limitations à la concrétisation de l'euro-arrimage des francs CFA,
et donne une idée des difficultés que rencontrera la mise en application de
cette option, qui en fait ne va pas de soi. Car, si selon le Trésor public français, le franc CFA demeure, après la création de l'euro, un « arrangement
purement bilatéral », et un« accord budgétaire» entre la France et les Africains, il reste tout de même irréaliste de penser que l'adoption de la monnaie unique européenne permettra toujours à Paris de gérer des comptes
d'opérations « franco-africains» sans que l'Allemagne ou les Pays-Bas ne
s'en inquiètent.
2) Des défauts sur le fond
Dans le fond, est-il juste de croire que le passage à l'euro sera un progrès
pour les pays de la zone franc? Les économies africaines tireront-elles un
profit réel de cet alignement sur la monnaie européenne?
En réalité, des doutes importants subsistent quant aux changements de
fond qu'est censé apporter le rattachement à taux fixe des CFA à l'euro et
la gestion de ce nouveau lien par la France. De fortes objections amènent à
relativiser le caractère « potentiellement favorable» attribué à l'accrochage
des francs CFA à la monnaie européenne, aux fins du redressement et de la
construction économiques des pays d'Afrique centrale et de l'Ouest.
L'alignement à parité fixe des francs CFA sur l'euro et la gestion de ce
lien par le Trésor français reste une variante, juste un peu plus compliquée,
de la situation actuelle, du lien fixe franc CFA/franc français. Ce nouvel
arrangement monétaire ne présente aucune caractéristique décisive de
nature à assurer aux économies africaines l'avènement en leur sein de chan-
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
305
gements structurels porteurs d'un nouveau dynamisme. Au demeurant, les
causes qui ont conduit à l'échec de la coopération monétaire franco-africaine dans le cadre de la zone franc subsistent bel et bien, et sont de nature
à miner les velléités transformatrices des nouveaux arrangements monétaires dans le cadre de la zone «euro/CFA ». Les forces d'inertie subsistent,
tout comme les contraintes et les rigidités en tous genres, et leurs manifestations négatives peuvent s'accentuer, du fait même des ambiguïtés qui
caractériseraient la curieuse situation d'une gestion solitaire (<< quasi
clandestine »), par la France, des situations monétaires d'un ensemble de
pays étrangers au système, cela à l'aide de l'instrument monétaire commun
- dont la gestion est elle-même codifiée et strictement surveillée.
Et puis, rien, aujourd'hui, ne permet d'être absolument sûr et certain que
l'euro sera une «bonne monnaie », une monnaie viable, stable et promise
au rôle international idéal qu'on lui prête déjà. Il n'y a donc aucune certitude que l'euro soit une monnaie qui, de par ses qualités, subviendra, au
même titre que pour les économies d'Europe, aux besoins de développement économique et social des pays africains. Par ailleurs, l'existence de
forces centrifuges au sein même de l'Europe communautaire amène à
craindre qu'elles n'en viennent à œuvrer négativement contre la viabilité de
la future monnaie; dans une telle éventualité, les retombées en pays africains sont à redouter.
Les nombreux avantages attribués au rattachement des CFA franco-africains à l'euro sont plus théoriques que réels. Monga et Tchatchouang notent
à ce propos que le caractère asymétrique et primitif du commerce extérieur
des pays de la zone franc, les limitations quotidiennes imposées à la convertibilité du franc CFA et, ces dernières années, au transfert des capitaux,
le poids des déficits budgétaires et leurs conséquences, l'inexistence de
structures de production industrielle, constituent autant de facteurs qui obligent à relativiser les avantages annoncés 2 •
b) Quelle viabilité en définitive?
Ne serait-ce qu'à cause de ses nombreuses contraintes et insuffisances,
l'option officielle franco-africaine présentée ci-dessus n'est pas le scénario le
plus viable. Et puis, les déclarations (qui se veulent rassurantes) sur le maintien de la parité actuelle des francs CFA (au moment du passage à l'euro) sont
loin de convaincre. Tout porte au contraire à penser que l'alignement du franc
CFA sur l'euro impliquera nécessairement la détermination d'une nouvelle
parité plus fiable et plus conforme à l'évolution des économies africaines. Ce
genre de contradiction est pour le moins symptomatique du caractère équivoque de ce lien de seconde main qui va consacrer l'arrimage des monnaies
africaines à la monnaie européenne. Qui plus est, un tel arrimage suppose des
performances économiques en matière de croissance, de stabilité des prix et
2. C. Monga et J.-c. Tchatchouang, Sortir du piège monétaire, Paris, Economica, 1996,
p. 116.
306
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
de contrôle des déficits publics, pour répondre aux exigences européennes qui
s'imposeront de facto aux économies africaines.
L'alignement des CFA sur l'euro conduit ainsi à cette situation paradoxale et intenable que l'on demande aux économies africaines d'être aussi
compétitives que les meilleures économies européennes. Si elles n'y parviennent, une nouvelle dévaluation est inévitable et elle condamnera les
pays africains.
En tout état de cause, les contraintes et les ambiguïtés qui entourent la
vision officielle du rattachement des francs CFA à l'euro montrent que la
transition douce de la zone franc vers la zone euro, que beaucoup appellent de tous leurs vœux, soulève bien plus d'incertitudes qu'elle n'est portée à régler le problème de fond, qui est celui du développement de
l'Afrique.
L'hypothèse d'un « glissement» vers une coopération monétaire
eurafricaine et les enjeux de l'évolution de la zone franc
A) L'OPTION OFFICIELLE FRANCO-AFRICAINE D'UN« EURO-ARRIMAGE»
DES FRANCS CFA: D' HYPOTHÉTIQUES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION POUR LA
ZONE FRANC
Dans la décision des autorités françaises et africaines de lier de l'avenir
du franc CFA à l'euro, il n'apparaît aucun indice de ce que sera la future
coopération au sein de la zone« euro-CFA », au-delà du cadre institutionnel
régissant l'actuel système de change franco-africain (dont la pérennité est
garantie si l'on s'en tient aux mots du discours officiel). Rien ne laisse
augurer de l'évolution des rapports entre les pays africains de la zone CFA
- qui auront leur monnaie liée, via la France, à l'euro - et leurs voisins hors
zone franc. Dans tous les cas, le choix des officiels franco-africains, qui est
celui du statu quo, n'offre aux économies africaines que d'hypothétiques
perspectives d'évolution.
a) Au niveau des rapports intra-zone franc
La situation particulièrement préoccupante des économies nationales en
Afrique centrale comme en Afrique de l'Ouest, leurs difficultés à restaurer
puis à stabiliser les principaux équilibres macroéconomiques internes, ainsi
que la vulnérabilité à l'égard de la conjoncture internationale (manifeste
aujourd'hui à travers les incidences de la crise asiatique), laissent très présente l'éventualité d'un éclatement de la zone franc, notamment en cas de
persistance et d'aggravation des pressions internes, à la suite par exemple
de la dégradation de la conjoncture internationale.
Par ailleurs la difficile avancée - sinon le blocage - du processus d'intégration régionale dans les unions de la zone franc (qui sont des « unions
monétaires inachevées ») accroît l'éventualité d'une dislocation de la zone.
Tout comme le jeu des forces centrifuges en œuvre dans cet ensemble, vont
jusqu'à laisser prédire son éclatement inéluctable.
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
307
b) Quant aux rapports interafricains et avec le reste du monde?
La gestion du rattachement des monnaies CFA à l'euro, que la France
entend s'octroyer - par le truchement des comptes d'opérations du Trésor
français - n'ira pas sans poser de problèmes, à la longue, au sein même de
la Communauté européenne. Ce qui fait que l'évolution de la construction
monétaire en Afrique de la zone franc se trouve, une fois de plus, tributaire
de facteurs extérieurs, sur lesquels les Africains eux-mêmes n'auront
aucune prise directe. Cette situation dénature les rapports interafricains et
des pays africains avec le reste du monde.
La conception de l'évolution de la zone franc selon l'approche officielle
ne présage d'aucun progrès substantiel dans les rapports des pays de la zone
franc avec les autres pays africains. Ces rapports ne seront pas différents
des relations qui ont prévalu jusqu'à présent. Et quand on sait combien les
relations franco-africaines au sein de la zone franc sont dominées par des
considérations bilatérales qui font de la France le point de convergence des
intentions particulières de chaque État du regroupement, on conçoit clairement que l'extension éventuelle de cette zone au-delà de ses frontières quasi stratégiques - actuelles ne saurait aller de soi. En l'occurrence, sur
plus de trente années (si l'on excepte les quelques défections précédentes et
le retour du Mali en 1984), le club très fermé de la zone CFA ne s'est pas
véritablement enrichi en nouveaux adhérents; il n'aura accueilli que deux
nouveaux membres: la Guinée-Équatoriale qui a intégré la BEAC en 1985 et
la Guinée-Bissau qui a intégré l'UEMOA, le 17 avril 1997.
Par sa dynamique propre, l'intégration monétaire promue dans la zone
franc ne s'est guère consolidée ni élargie dans le cadre africain, et encore
moins n'a-t-elle amélioré les relations de quelque sorte entre ses membres
africains. La zone franc, en ce sens, aura plus contribué à cloisonner la
dynamique économique en Afrique qu'elle n'aura favorisé sa consolidation
et son expansion.
Quant aux perspectives d'évolution de cette zone, qui découleraient des
arrangements actuels, on doute quelque peu qu'elles en viennent à révolutionner la situation.
B) DE LA ZONE FRANC À UNE ZONE EURO EN AFRIQUE: UN GLISSEMENT
BÉNÉFIQUE?
L'optique du glissement eurafricain de la question monétaire africaine
considère que, dans une conception plus large, une zone monétaire pourrait
se constituer entre l'Union européenne et l'Afrique. La construction de
cette zone monétaire eurafricaine pourrait être évolutive et se faire « à la
carte ». L'un des schémas envisagés à moyen terme étant alors que rUE
prenne en charge les mécanismes de la zone franc, une institution européenne se substituant au Trésor public français. Et à terme sera envisagé
l'élargissement à d'autres pays africains.
Cette perspective qui dépasse l'approche franco-africaine mettrait donc
directement les institutions de Maastricht au cœur de cette vaste dynamique
308
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
économique et monétaire intercontinentale. Un tel glissement vers une
zone eurafricaine serait-il la voie salutaire de l'évolution de la question
monétaire en Afrique et du redressement économique du continent?
a) Les considérations les plus optimistes
1. Pour Daniel Bach 3, si le scénario du rapprochement de la zone franc et
de la communauté européenne venait à se matérialiser, il pourrait avoir sur
l'intégration économique régionale en Afrique de l'Ouest et en Afrique
centrale un effet de big bang comparable à celui qu'eut la signature de la
convention de Lomé sur l'établissement de la CEDEAO. Cette perspective
allégerait incontestablement les contraintes financières imposées par la
zone franc au Trésor français. Elle imposerait également une redéfinition
des bases de la présence française sur le continent africain 4 •
Dans ce propos, la préoccupation semble avant tout de trouver une alternative qui allégerait la contrainte d'une gestion trop particularisée des
« affaires monétaires africaines » par la France. Mieux, de redistribuer les
cartes de la position stratégique et privilégiée de la France en Afrique: c'est
sans doute, souligne Olivier Vallée (1989), cette redéfinition d'une présence actuelle alliant coopération et intervention, rentabilité et passivité,
qui est le prélude à une mutation de l'espace monétaire du franc CF A.
2. Patrick et Sylviane Guillaumont pensent pour leur part qu'à l'avenir
« une coopération euro-africaine, se substituant en partie à la coopération
franco-africaine, pourrait faciliter le développement de la coopération institutionnelle en Afrique au-delà de la zone franc ou des pays francophones 5. » L'avancée ici est pourtant encore trop peu décisive, l'Europe ne
pouvant se substituer que partiellement à la France, laquelle tient à maintenir la garantie de convertibilité des monnaies africaines.
« En revanche, il est concevable que la Communauté européenne apporte
son appui à la convertibilité des autres monnaies africaines. Elle pourrait
mettre en place, à la demande de pays ou groupements de pays de dimension analogue à celle des actuelles unions monétaires, des mécanismes de
garantie en échange de l'acceptation de règles de gestion monétaire et budgétaire. Les pays (ou ensembles de pays) auraient à arbitrer entre l'autonomie qu'ils veulent conserver dans leur politique macroéconomique et le
degré de garantie qu'ils souhaitent pour leur monnaie [...]. Une fois les
monnaies africaines stabilisées par rapport à une même référence, en
l'occurrence la monnaie européenne, et rendues plus convertibles, un des
principaux obstacles à une intégration monétaire, mais aussi économique,
élargie serait levé» (ibid.).
3. Dans une contribution à la table ronde d'Oxford (28-30 avril 1988) sur Les Afriques
francophones depuis leurs indépendances.
4. D. Bach, « Régionalismes francophones ou régionalisme franco-africain? », Oxford,
28-30 avril 1988, cité par O. V ALLÉE, Le Prix de l'argent CFA: heurs et malheurs de la
zone franc, Paris, Karthala, 1989, pp. 251-252.
5. Cf. P. et S. Guillaumont, « L'intégration économique: un nouvel enjeu pour la zone
franc », Revue d'économie du développement, 2c semestre 1993, pp. 108-109.
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
309
3. Albert Ondo Ossa a écrit en 1992 que « la liaison du franc CFA à
l'écu, proposée par la France à la suite du sommet européen de Maastricht,
peut contribuer [au redressement des économies africaines] ». L'auteur
fonde son argumentation sur ce que cette liaison, en renforçant l'intégration
en Afrique, pourrait permettre à celle-ci de négocier le moratoire de sa dette
globale avec l'ensemble des pays créanciers. Il pense encore que le lien
CFNeuro pourrait également être le prélude à une coopération plus
intense, notamment si les autres monnaies africaines envisagent leur rattachement. Cette option viendra enfin palier l'échec flagrant de la coopération monétaire franco-africaine, laquelle a largement œuvré à la
constitution de logiques de rentes, loin de la nécessaire adaptation à un
environnement international de plus en plus compétitif. La conclusion de
l'auteur est alors des plus optimistes lorsqu'il écrit qu' « en prenant l'initiative d'une [zone euro], l'Europe contribue assurément à la reconnexion du
continent africain dans les échanges internationaux et pose les jalons d'un
développement harmonieux qu'il appartient aux Africains eux-mêmes
d' asseoir6. »
Dans le concert des considérations les plus optimistes qui versent dans
l'espoir en la perspective, jugée favorable, d'un glissement eurafricain de la
question monétaire africaine, d'aucuns suggèrent d'élargir la perspective
de la coopération monétaire eurafricaine à la dimension des pays ACP:
cette coopération pourrait s'inscrire dans un cadre plus vaste, en intégrant
d'autres pays du groupe Afrique-Caraibes-Pacifique (ACP). Mais visiblement, l'obstacle numérique est de taille, qui fait qu'outre des charges élevées pour les pays européens, cette solution semble peu probable, eu égard
à la diversité des 70 pays ACP.
Les appréhensions qui motivent le scepticisme quant à l'opportunité et à
la viabilité de l'idée d'une évolution eurafricaine de l'intégration monétaire
de pays d'Afrique ne se limitent pas à ces seules considérations numériques, ni au coût pour l'Europe d'une prise en charge globale du problème
monétaire africain, les objections se fondent sur des aspects plus fondamentaux encore.
b) Quand le scepticisme est vivace et le doute persistant etfondé
De nombreux doutes amènent à considérer avec circonspection l'idée
d'une régionalisation transcontinentale qui unirait l'Afrique et l'Europe par
le truchement d'institutions communes et à travers une forme élargie de
coopération économique, monétaire, culturelle, etc. D'aucuns y voient le
meilleur moyen d'exporter sur le continent africain - qui en aurait grand
besoin -l' « expérience communautaire» et, par ce biais même, d'apporter
aux peuples de cette partie du monde «une caution d'indépendance ».
Donc des chances de progrès pour l'Afrique, en perspective !
6. A. Ondo Ossa, «Taux de change de la zone franc et construction européenne »,
Monde en développement, tome 20, n° 77178, 1992, pp. 59-74.
310
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Pourtant, en regardant de plus près, on doit comprendre que malgré les
bonnes intentions, le marché unique européen ne résoudra pas les problèmes de l'Afrique, et qu'il n'ouvrira réellement des perspectives qu'ailleurs.
Qui plus est, une intégration monétaire eurafricaine verrait inévitablement
la substitution de critères purement économiques (performances économiques, rôle international des monnaies de rattachement...) aux considérations politiques ; ce qui reviendrait pour la France à mesurer le poids de ses
partenaires européens puissants monétairement (RFA en l'occurrence).
En réalité, les visées de l'Europe se situent loin de l' œuvre salvatrice que
l'on veut lui prêter pour le progrès de l'Afrique: bien que le chantier de la
construction européenne soit largement ouvert sur le reste du monde,
l'orientation, écrit Jean-Luc Laurent, est telle, que l'efficacité se mesure
plus à la densité des relations avec les concurrents partenaires qu'au critère
d'une quelconque responsabilité à assumer vis-à-vis des pays les moins
développés? C'est là la réalité que trop de défenseurs de l'idée d'une coopération monétaire eurafricaine aiment à ne pas considérer de plus près.
C) POUR QUE CESSENT LES AMBIGUÏTÉS ET LES FAUX ESPOIRS SUR L'IDÉE
D'UNE ZONE EURO EN AFRIQUE
Sur ce qui n'est pas très clairement perçu et qui laisse penser que le cap
européen serait celui du meilleur espoir pour le progrès de l'Afrique, il faut
réitérer la mise en garde, en précisant que malgré son attrait et l'intérêt
qu'elle peut susciter a priori pour les pays africains, l'idée d'une zone euro
en Afrique est pleine d'incertitudes et elle peut, si elle se concrétise, conduire à l'impasse. Les ambiguïtés qu'elle renferme portent à penser que les
économies africaines n'en tireront pas de réels profits: ni au plan politique
ni aux plans technique et commercial.
• Sur le plan politique, il faut noter que pour la Communauté européenne
les enjeux, aujourd'hui, ne concernent pas l'Afrique, mais plutôt l'élargissement de son espace en Europe et l'affermissement de ses relations avec
les nouvelles démocraties émergeant de l'ex-Empire soviétique.
• Sur le plan technique, lorsque l'on compare les bénéfices escomptés
aux coûts réels, le rattachement à l'euro n'est pas nécessairement profitable
aux pays africains; car la stabilité monétaire et la convertibilité d'une
devise ne suffisent ni à attirer les investissements ni à relancer les économies. « De nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte. La confiance, qui est le principal paramètre dans l'équation d'investissement, fait
défaut aujourd'hui dans les pays du CFA; elle fera encore défaut demain,
malgré la zone euro, tant qu'un certain nombre d'incertitudes sociopolitiques ne seront pas levées. »
7. Cf. J.-L. Laurent, « La zone franc, la crise, l'Europe. Ambiguïté et avantages », in La
Zone franc. Du franc CFA à la monnaie unique européenne, R. Sandretto (éd.), Paris, Les
Éditions de l'Épargne, 1994, p. 196.
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
311
• L'autre attrait de la proposition du rattachement du CFA à l'euro repose
sur la perspective d'un accroissement spectaculaire du volume des produits
africains vendus en Europe. «Mais l'on oublie de mentionner que
l'accroissement en quantité n'implique pas forcément un accroissement
des revenus. )) Il se trouve aussi qu'au niveau même de chaque pays de la
zone CFA, la rigidité des systèmes et des circuits de production est telle que
les entreprises exportatrices n'y auraient pas les moyens de répondre à un
accroissement de la demande sur le marché (idem).
Ces objections devraient contribuer à mettre fin à certaines ambiguïtés et
faux espoirs suscités par l'idée - posée d'emblée comme bénéfique pour
l'Afrique - d'une construction monétaire et économique de ce continent
par le truchement d'une intégration eurafricaine.
En définitive, si le doute est établi à propos de l'opportunité d'une zone
euro en Afrique, l'hypothèse d'une possible émergence de dynamiques
monétaires intra-africaines à même de sous-tendre une évolution de la
construction monétaire partant du continent même nous paraît une optique
intéressante à envisager, non seulement par les potentialités qu'elle est susceptible de dégager, mais, au plan théorique, par le caractère inexploré de
cette perspective.
Sur une possible dynamique monétaire en Afrique par des
moyens exclusivement africains
Habituellement, les seules évolutions auxquelles est promise la construction monétaire en zone franc sont celles prescrites par la pensée dominante
actuelle, foncièrement acquise à l'idée d'un parrainage européen, voire
d'une « européanisation )) de la structuration monétaire de l'Afrique. Fautil donc définitivement souscrire à la croyance qu'en dehors de la perspective européenne il n'existe aucune autre possibilité, et que d'autres formes
d'évolution de la construction monétaire de l'Afrique ne sont pas
concevables? L'avenir monétaire de l'Afrique n'est-il envisageable que par
le truchement d'un parrainage extérieur? Et les Africains seraient-ils incapables à jamais de prendre véritablement en main leur destinée monétaire
et économique et donc le progrès et l'avenir de leurs sociétés?
La vraie souveraineté en Afrique, la responsabilisation des Africains dans
la construction de leurs sociétés passent par la création dans ces États des
conditions d'une gestion optimale de la monnaie, aux fins d'une véritable
relance des économies par le rétablissement de la compétitivité et de la crédibilité extérieure, dans l'autonomie d'initiative et la justesse de décisions
et d'actions.
L'enjeu serait alors de concevoir en Afrique de l'actuelle zone franc (et,
par extension, en Afrique subsaharienne), un réaménagement monétaire
312
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
fondé sur l'instauration et la gestion de monnaies nationales, dans un premier temps, appelé à progresser méthodiquement vers des structurations
monétaires et économiques sous-régionales ou régionales autonomes, qui
se construiraient selon la méthode de groupe, et qui mobiliseraient au
mieux des forces proprement africaines.
Nous examinons cette ligne d'évolution possible - où l'organisation
monétaire de l'Afrique partirait du continent, sur la base de moyens et
d'orientations prioritairement africains - à travers les deux options, potentiellement complémentaires, que sont:
- l'hypothèse d'un choix des États africains de l'actuelle zone franc de
créer et gérer des monnaies nationales autonomes, à la suite du démantèlement de la zone franc ;
- l'hypothèse de la construction ou du cheminement, à terme, des dynamiques monétaires nationales vers une union monétaire africaine.
Et si les États africains de l'actuelle zone franc optaient pour la
création de monnaies nationales autonomes?
Il est reconnu que l'autonomie dans la gestion de la politique monétaire
est nécessaire pour une conduite efficace de la politique économique nationale. Les pays africains de la zone franc, lesquels ont renoncé à leur souveraineté monétaire, pensent encore, aujourd'hui et à l'avenir, pouvoir assurer
leur développement économique et social par le truchement d' arrangements institutionnels entérinant la dépendance monétaire.
En l'état actuel des données économiques et politiques en Afrique et au
regard des évolutions en cours, l'alternative pour une solution viable aux
problèmes qui les accablent est le recouvrement par les pays de la zone CFA
de leur souveraineté monétaire; entendue comme la capacité à se réapproprier et à maîtriser la gestion de l'outil monétaire, en l'orientant de façon
constructive aux fins du développement économique et social de leurs États
et pour le bien-être des plus larges populations. D'où l'intérêt, voire l'obligation, pour chacun d'eux d'accéder à une identité monétaire qui lui soit
propre, et qui implique, à un niveau élevé, sa responsabilité nationale.
A) LE DÉMANTÈLEMENT DE LA ZONE FRANC ET DE SON CADRE INSTITUTIONNEL COMME PRÉALABLE À LA VIABILITÉ DE L'OPTION DE MONNAIES
NATIONALES AUTONOMES
Le démantèlement de la zone franc et donc la disparition de son cadre institutionnel constituent un préalable essentiel pour l'accession des pays africains à l'autonomie monétaire individuelle et/ou collective. C'est la
condition nécessaire pour la création de monnaies nationales qui seraient
gérées par chacun des pays africains, ou pour l'émergence, à terme, de
monnaies régionales dans le cadre de nouveaux regroupements sous-régio-
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
313
naux (à l'instar des sous-ensembles actuels que sont l'UEMOA et
CEMACS).
a) Pour un démantèlement concerté et organisé de la zone franc
L'opinion la plus répandue actuellement récuse l'idée de création de
monnaies nationales dans chaque pays de la zone CFA, arguant que cette
voie conduirait à la faillite de ces États, lesquels manquent d'expérience en
la matière et de ressources suffisamment stables pour soutenir une monnaie
capable de faire face aux enjeux de l'heure. On s'arrête généralement à ce
type d'arguments pour rejeter l'option de l'autonomie monétaire 9 .
Mais pourquoi donc ne s'est-on jamais situé dans l'hypothèse, que nous
suggérons, d'un démantèlement volontaire et organisé de la zone franc, que
les protagonistes rendraient le plus constructif possible? Un processus dans
lequel la France accepterait de s'impliquer pleinement et pour lequel sera
sollicité le concours des institutions financières internationales (le FMI et la
Banque mondiale en l'occurrence). Et si l'alternative au refus de cette
option est le départ individuel d'un des États de la zone, qui déciderait de
se désolidariser des autres membres, et par ce fait même, occasionnerait la
dislocation de l'ensemble dans des conditions les plus incontrôlables?
C'est pour mieux prendre le contre-pied des considérations défaitistes qui
rejettent l'opportunité de l'émergence de monnaies nationales en pays africains de la zone franc, que nous posons l'hypothèse audacieuse de la mise
en œuvre, par l'ensemble des membres de cette construction, d'un processus de démantèlement concerté, organisé et constructif du système monétaire franco-africain, dans le but:
1°) de restaurer dans chaque État membre la souveraineté monétaire et
de rétablir chaque entité nationale dans son identité monétaire propre ;
2°) de préparer chacun des États concernés à se prendre en main et donc
à assumer les pleines responsabilités de son devenir monétaire, et économique.
• De façon plus concrète, quelles modalités paraissent donc les plus
opportunes pour le démantèlement de la coopération monétaire franco-africaine dans un sens qui soit compatible avec la création de monnaies nationales autonomes dans chaque pays de l'actuelle zone franc et leur gestion
8. Lesquelles entités sous-régionales n'auraient, à l'issue de l'éclatement de la zone
franc, sans doute pas une meilleure efficacité. En effet, si l'on considère que ces regroupements n'ont d'essence véritable que du fait du soutien de la France et rien que de ce fait-là,
il faut évidemment redouter que les difficultés ne s'accentuent si le concours de la France
fait défaut. Quant à l'expérience, doit-on croire qu'il n'y a pas en Afrique des personnes
compétentes et suffisamment aptes pour gérer des institutions monétaires ?
Cette logique d'une mainmise de la France sur les relations avec l'Afrique non seulement obère l'évolution normale des rapports des États d'Afrique avec le reste du monde,
mais que la conception dynamique des perspectives de progrès des sociétés africaines commande que l'on récuse cette vision qui, pour cela, est promise à déchoir.
9. C. Monga et J.-c. Tchatchouang (op. cit.) ont infirmé l'argument qui veut que des
disponibilités en ressources suffisantes soient un préalable obligatoire à l'adoption d'une
monnaie nationale autonome.
314
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
optimale? L'occasion que les pays africains doivent saisir est, pensonsnous, la perspective du passage à l'euro, entre 1999 et 2002, où théoriquement la zone franc n'aura plus d'existence de droit, quand le franc viendra
à disparaître.
La voie de la négociation organisée et concertée étant la plus appropriée
en l'état actuel et la plus apte à déboucher sur un résultat bénéfique pour les
parties prenantes, nous proposons que:
~ l'ensemble des pays africains de l'actuelle zone franc reconnaissent la
nécessité d'une évolution autonome et responsable de leur construction
monétaire et se concertent pour en approuver le bien-fondé;
~ la France approuve cette réalité comme étant une nécessité catégorique... et s'engage à soutenir l'évolution dans ce sens;
~ les deux parties - africaine et française - entrent en négociation pour
étudier les modalités d'un démantèlement organisé du système monétaire
actuel, selon un processus à mettre au point avec chaque partenaire et avec
l'ensemble des participants dans le cadre des unions économiques et monétaires actuelles;
~ s'engagent des concertations bilatérales entre les États africains et la
France ou d'autres partenaires occidentaux, y compris les institutions financières internationales - FMI et Banque mondiale en particulier -, pour le
traitement des aspects techniques en vue de la concrétisation du projet. ..
De véritables négociations et un esprit constructif sont donc nécessaires
pour parvenir à une solution acceptable, qui préserve les intérêts des parties
prenantes. L'évolution dans ce sens appelle un engagement décisif et surtout une mobilisation politique au plus haut niveau. Elle mérite également
un investissement d'efforts et des volontés des parties impliquées, et nécessite le concours des institutions financières internationales.
• L'implication de la France, son rôle et son concours, sont importants
dans ce processus dont l'impact s'avérera bien plus historique que celui la
dévaluation de janvier 1994. C'est l'occasion pour la France - promoteur
de la zone franc - d'achever une décolonisation ratée; c'est le moment pour
elle de mettre fin à une coopération infantilisante, ayant généré une forme
d'assistance déresponsabilisante. L'acte responsable de la France dans ce
sens signera la responsabilisation même des États africains.
• La responsabilité des institutions financières internationales devrait
être engagée dans l'aide à la reconstruction monétaire de l'Afrique. On peut
avancer que si le Fonds monétaire international s'est impliqué dans le traitement de la question du réajustement du franc CFA, et que la Banque mondiale, son alliée, n'a pas ménagé son soutien à l'accompagnement de
l'opération, la sollicitation des deux institutions de Bretton Woods pour un
démantèlement constructif de la zone franc peut insuffler un nouvel élan et
avoir une réelle allure libératrice pour les économies africaines.
Toutefois, si la France n'est pas prête à envisager ce mal nécessaire et à
œuvrer en toute responsabilité dans ce sens, c'est l'optique du départ indi-
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
315
viduel qu'il faut envisager; cette éventualité est d'ailleurs prévue dans les
conventions de 1972 et 1973.
Dans la configuration actuelle de la zone franc, tout départ individuel d'un
quelconque membre de cette construction nous paraissant devoir constituer
à coup sûr l'onde d'implosion de la structure, celle-ci s'effondrera.
b) En cas d'implosion de la zone franc
Beaucoup redoutent qu'en cas d'éclatement incontrôlé de la zone franc
(qui serait par exemple lié au départ d'un de ses membres) des mesures de
rétorsion de la part de la France n'exposent à la déstabilisation le pays qui
aurait pris la décision de partir.
S'il est vrai que l'idée du démantèlement de la zone franc risque de ne pas
être acceptée aussi facilement par les autorités françaises, il faut pourtant
considérer les suites de cette éventualité avec réalisme. En effet, bien que
dans l'immédiat des réactions en tous genres soient à redouter, on doit convenir avec les auteurs de Sortir du piège monétaire que le réalisme reprendrait vite le dessus, à savoir que les entreprises françaises (ou toutes autres)
ne cesseront pas d'exploiter le pétrole, l'uranium ou le bois gabonais parce
que le nom et la gestion de la monnaie locale auront changé 10.
Ce réalisme appelé à reprendre le dessus veut que les acteurs - aussi bien
français qu'africains - de l'épineuse problématique de la zone franc comprennent que «ce qui compte, c'est la poursuite d'intérêts mutuels bien
identifiés et bien compris »; et qu'ils conviennent de ce que « l'aménagement du cadre institutionnel et politique dans lequel se conçoit et
s'exerce la politique monétaire des pays africains de la zone franc ne peut
que faire de ceux-ci des pays véritablement producteurs, c'est-à-dire des
partenaires économiques à part entière, et non des bureaucraties entretenues et des États assistés» et qu'enfin, cela ne peut que s'avérer« un bien
pour la France et pour l'Afrique Il ».
Réalisme ou utopie? Seule l'orientation des événements dans le sens qui
motive ces opinions peut nous le dire. Et même si l'histoire s'est habituée à
ne toujours suivre que le cours que lui tracent ceux-là qui se donnent de la
faire et de l'écrire, au moins, les esprits sensibles à la cause comprendront.
B) POUR QUE SOIT VIABLE L'OPTION DE MONNAIES NATIONALES EN
AFRIQUE DE L'ACTUELLE ZONE CFA
De nombreux préalables sont nécessaires pour que l'expérience de création et de gestion de monnaies nationales soit bénéfique et pour qu'elle soit
viable, ils touchent des aspects à la fois conceptuels, techniques, organisationnels et politiques par-dessus tout. Évoquons ici quelques conditions
essentielles et d'ordre général.
10. Monga et Tchatchouang en veulent pour preuve le fait que le départ de la zone franc
du Maroc, de la Tunisie, voire du Vietnam communiste, n'a pas suscité la marginalisation
de ces pays (op. cit.).
Il. Idem.
316
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
a) Dans le cas d'un démembrement concerté de la zone franc
Dans ce cas - qui est le plus souhaitable des scénarios -, la mobilisation
des efforts de tous les États concernés est essentielle pour que cette révolution monétaire puisse avoir quelque chance de réussite. Il est par ailleurs
évident que le concours des institutions financières internationales, en soutien au projet d'émergence de monnaies nationales autonomes en Afrique
de l'actuelle zone franc, est capital pour la viabilité du projet. Le défaut
d'un tel soutien contribuera à entamer la crédibilité de l' opération. Un appel
doit donc être adressé à ces institutions (FMI, Banque mondiale, communauté internationale ... ) pour leur contribution décisive à la reconstruction
monétaire de l'Afrique.
Au plan économique, le préalable essentiel à la viabilité de toute option
transformatrice en pays de l'actuelle zone est la remise en cause des modèles actuels d'économie de rente. Les États doivent absolument œuvrer à la
mise en échec de ces choix structurels qui sont aujourd'hui largement
décriés, pour s'être avérés économiquement et socialement nuisibles l2 ; la
persistance de telles orientations ne pourra que conduire à des pressions et
à des risques réels, aux effets imprévisibles.
b) Dans le cas d'une dislocation incontrôlable de la zone franc
Dans ce cas de figure - qui pourrait procéder du refus des autorités de la
zone de décider d'un commun accord de mettre fin à cette aventure qui n'a
que trop duré -, la bonne foi et la bonne volonté de la France doivent se
manifester pour reconnaître à l'État ou aux États qui choisiraient de sortir
de cette organisation, leur droit d'opter pour une autre forme de gestion de
leur devenir monétaire et économique.
Le sens de responsabilité du principal promoteur de la zone franc voudrait que la France trouve à encourager l'initiative de ses partenaires africains et à les aider dans leurs nouveaux choix. Sa caution morale, au plan
international, ne sera que des plus utiles pour le ou les pays africains qui
préféreront l'autonomie monétaire.
Par-dessus tout, ce sera aux pays africains, individuellement, de réfléchir
en toute connaissance de cause, sur les options et les modalités par rapport
auxquelles ils voudront que s'inscrive la réussite de l'aventure de l'autonomie monétaire.
c) Sur les modalités pratiques de gestion d'une monnaie nationale autonome en zone franc
Ces modalités portent sur des aspects techniques de gestion optimale de
l'instrument monétaire, et concernent à la fois la recherche de la converti12. Serges Michailof qui, tout en dénonçant le caractère protectionniste de la zone
franc, souligne que les pays de cette zone se sont depuis vingt ans engagés dans une
impasse, du fait, entre autres, des stratégies rentières, recommande que l'économie administrée soit mise au rancart et que soient vigoureusement pourchassées les rentes de situations ... qui ont jusqu'ici miné le progrès des pays africains (cf. Serges Michailof,
«Protectionnisme ou libre-échange en zone franc? », in Politique africaine, n° 58, juin
1995, pp. 101-125).
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
317
bilité extérieure et le choix du régime de change le plus approprié pour
assurer la viabilité des monnaies nationales et leur garantir une crédibilité
interne et internationale auprès des opérateurs économiques et des autres
pays partenaires.
• L'obtention de la convertibilité de sa monnaie est considérée comme le
point d'achoppement de toute prétention à l'autonomie monétaire pour un
pays quelconque de la zone franc. Cependant, bien que la conquête de la
convertibilité soit un processus difficile, qui nécessite des réformes économiques judicieuses et une gestion macroéconomique saine et rigoureuse,
elle n'est pas pour autant insurmontable. Quatre conditions essentielles doivent être remplies pour obtenir la convertibilité 13:
1°) il faut réaliser l'équilibre financier interne, grâce à une politique budgétaire et monétaire saine ;
2°) l'équilibre financier externe doit être obtenu en fixant le taux de
change à un niveau qui équilibre la demande et l'offre de devises sans restriction de change ;
3°) pendant la période d'ajustement de la politique intérieure ou du taux
de change, il faut maintenir un niveau suffisant de réserves pour permettre
au pays d'absorber les chocs endogènes ou exogènes sans devoir réintroduire de restrictions;
4°) il faut libéraliser le système des incitations afin que l'effet bénéfique
de la convertibilité sur l'allocation des ressources s'étende au reste de l'économie.
De tous ces critères, l'équilibre financier externe reste, en théorie, une
condition nécessaire et suffisante de la convertibilité. Mais remplir ces critères et réunir les conditions pour atteindre l'objectif de l'équilibre financier extérieur peut nécessiter beaucoup de temps. Pour résoudre cette
situation, le pays africain confronté au problème de convertibilité de sa
monnaie nationale nouvellement créée pourrait, dans un premier temps,
négocier avec la France ou tout autre pays, des facilités temporaires de
devises qui lui permettraient, pendant la période de réforme ou d'ajustement, de faire face à des chocs éventuels l4 .
• L'adoption d'une politique de taux de change appropriée est un critère
fondamental dans la recherche d'une gestion optimale de la monnaie nationale. En effet, le choix du régime de change conditionne la nature et l'efficacité des ajustements nécessaires à la stabilisation des grands équilibres
macroéconomiques et financiers.
Dans la diversité des régimes de change et des formes de garantie monétaire auxquels un pays peut librement souscrire s'il se donne de remplir les
conditions qui s'y prêtent, c'est le critère de souplesse qui doit guider le
choix en la matière; les deux qualités principales d'un système monétaire
convenable étant 1°) la flexibilité de ses mécanismes, laquelle souplesse
13. Cf. S. Nsouli, P. Cornelius et A. Georgiou, « Striving for Currency Convertibility in
North Africa », Finance and Development, December 1992.
14. La formule pourrait être celle du compte d'avances ou des facilités « swap ».
318
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
permet à l'économie de s'ajuster assez rapidement aux circonstances
changeantes; 2°) la garantie d'une monnaie stable, c'est-à-dire une monnaie essentiellement non inflationniste.
Ainsi, la flexibilité du change étant reconnue comme le meilleur moyen
à même de permettre des ajustements économiques en cas de chocs intempestifs qu'un pays est amené à subir, l'adoption d'une politique de change
active nous paraît un choix recommandable pour les économies africaines.
La réhabilitation de l'arme du taux de change comme instrument de politique monétaire, et donc de gestion économique, est essentielle pour ces
économies; et c'est la maîtrise de cet aspect de la politique monétaire qui
peut permettre, aux pays de l'actuelle zone CFA de faire évoluer la question
monétaire vers une stratégie de développement dont ils auront eux-mêmes
à tenir les leviers.
Pour les pays du franc CFA dont le régime de change est la fixité, la pratique d'une politique de change active implique le choix d'une formule de
rattachement plus appropriée : nous proposons un système de rattachement
à un panier de monnaies 15 des principaux partenaires commerciaux. Cette
forme de rattachement assurerait, d'une part, une connexion permanente à
l'environnement réel de ces économies, d'autre part, assurerait des fluctuations en douceur de la monnaie nationale, sans préjuger a priori du sens de
cette fluctuation.
La préférence doit aller au système de parité discrétionnaire dans lequel
le taux de change n'est pas déterminé par le marché, mais il est loin d'être
arbitraire : la parité de la monnaie est fixée en fonction de critères bien précis, le critère principal étant le panier de devises des principaux partenaires
commerciaux. Des expériences existent, qui montrent que l'option pour un
tel système de rattachement, s'il s'accompagne de politiques économiques
et monétaires nationales rigoureuses, est à même de conduire à des performances économiques appréciables 16 .
Outre le respect d'autres conditions nécessaires relevant du domaine politique et institutionnel, et de critères techniques, la réussite de l'instauration
d'une nouvelle monnaie dans un quelconque pays de l'actuel système
monétaire de la zone franc dépendra étroitement de la façon dont ce projet
s'inscrira dans une stratégie de développement d'ensemble, mûrement élaborée par le ou les pays qui retiendraient cette option. Le projet de développement dont il s'agit doit se fonder sur une politique économique
nationale, soutenue par une politique monétaire volontariste favorisant
l'accroissement de l'épargne intérieure et l'industrialisation.
15. Celles dans lesquelles sont libellées les exportations des pays de la zone franc.
16. On cite assez souvent les cas du Maroc et de la Tunisie (pour ne considérer que ces
deux anciens pays africains de la zone franc) dont le système de change est le rattachement
à un panier de monnaies de leurs principaux partenaires commerciaux. Lesquels pays présentent des résultats économiques appréciables. Mais l'on sait par ailleurs que de nombreux autres pays ont adopté le rattachement à un panier de monnaies pour neutraliser les
effets des incertitudes résultant des fluctuations dans les taux de change sur leur économie.
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
319
Une possible évolution vers une structuration et une consolidation
régionale, voire continentale, des monnaies en Afrique?
L'histoire de l'ambitieux projet d'union monétaire en Afrique de l'Ouest
de la CEDEAO a montré l'utopie que constitue l'idée de création d'une
zone monétaire exclusivement africaine. Cette tentative n'est en effet connue aujourd'hui que par l'échec qu'on lui prêtait d'avance et par l'insuccès
qu'elle a subi.
Mais si ce genre d'échecs - et il s'en compte tant d'autres - ont émaillé
l'histoire monétaire et économique de l'Afrique, est-ce à dire que toute possibilité d'une évolution à terme vers une union monétaire régionale, voire
continentale ne peut être envisagée? Est-ce que, une fois reconnue comme
nécessaire, et tout aussi périlleuse, la mise en œuvre d'importantes réformes structurelles au sein des économies africaines, les États de ce continent
ne sont-ils alors condamnés qu'à se contenter d'œuvrer pour « diffuser les
dépendances 17 »?
N'est-il pas envisageable, ainsi que s'interrogeait déjà Mamadou KoulibalylS, de concevoir les conditions possibles de création, à terme, d'un
espace monétaire indépendant et stable en Afrique?
A) À PROPOS DE COOPÉRATION INTERAFRICAINE ET DE LA CONTRIBUTION
AU DÉVELOPPEMENT PAR L'INTÉGRATION RÉGIONALE ... , IL FAUT REPOSER
LE PROBLÈME...
« Le "développement" socio-économique [... ] postule des seuils minima
indispensables en termes d'espace géopolitique, de dimension de population, de ressources naturelles, de débouchés, etc. », écrit T. G. Tété Adja10go 19. « Or, poursuit l'auteur, en Afrique, les États disposant de ces seuils
minima se comptent au bout des doigts, la norme étant plutôt une multitude
de micro-États d'évidence incapables d'accéder séparément à une envergure économique, culturelle et politique imposante ... » « Voilà pourquoi
les jeunes Africains n'ont de cesse de proclamer la nécessité d'un réaménagement géopolitique de leur continent. Réaménagement qui tournerait
résolument le dos au pernicieux héritage de la fameuse conférence de Berlin (fin l884-début 1885)20 ».
17. «Par une intégration euro-africaine» principalement... comme l'a constamment
suggéré R. Sandretto (voir R. Sandretto, « Zone franc. Système monétaire européen. Système monétaire international », Information et commentaire, juillet-septembre 1987, article repris sous le titre « Rôle et place de la zone franc et du SME dans le système monétaire
international », in Problèmes économiques, n° 2 065,9 mars 1989, pp. 9-15.
18. Voir M. Koulibaly, Le Libéralisme. Nouveau départ pour l'Afrique, Paris, L'Harmattan, 1992, p. 31.
19. Dans Lo. Question du plan Marshall et l'Afrique, Paris, L'Harmattan, 1989, pp. 77·78.
20. Ibid.
320
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
a) Une nécessaire redéfinition de l'espace géopolitique des entités à
intégrer
Le processus d'intégration régionale en Afrique - lequel a été mal posé
dès le départ - rencontre, dans ce problème du réaménagement géopolitique des sous-régions et régions du continent, son point d'achoppement
véritable. En effet, le cloisonnement actuel, émanant du néfaste partage de
l'Afrique à Berlin, empêche les complémentarités naturelles de jouer et
prive les PVD d'Afrique des avantages de spécialisation et d'économies
d'échelle, la dimension des marchés d'un grand nombre de ces pays étant
insuffisante 21 .
Dans les conditions d'un tel cloisonnement, aucune forme d'intégration
parmi celles jusqu'ici suggérées (surtout pas ces fallacieuses intégrations
institutionnelles, et bureaucratiques) ne saurait être porteuse. Car, ce n'est
que de la solution à ce problème de l'émiettement arbitraire de l'espace
socioculturel, économique et politique du continent que l'on peut véritablement penser que « l'encouragement de la coopération régionale entre PVD
serait un moyen efficace de contrecarrer [les évolutions dissonantes connues jusqu'ici] et [à même de contribuer] à une accélération de leur processus de développement 22 ».
Sans un redimensionnement conséquent de l'espace géopolitique africain, les résultats de ces intégrations bureaucratiques sans véritables fondements économiques et basées sur « des critères exogènes, inadaptés et,
partant, inopérants» sont connus à l'avance: ces constructions ne peuvent
conduire qu'à l'échec; ou, pour le moins, aux maigres résultats qu'on leur
connaît.
Dans tous les cas, c'est en cette circonstance que la manifestation de la
solidarité africaine devra se montrer effective et agissante; car, plus encore
que dans les arrangements traditionnels (postcoloniaux pour la plupart),
c'est ici que la solidarité dans l'action constructive et nouvelle aura son vrai
sens. Ainsi, de la coopération renforcée entre les États africains (coopération dans l'autonomie) dépendra la dynamique susceptible d'effet de stimulation et, à terme, par le jeu de l'effet de groupe, pourra-t-on peut-être
assister à l'émergence de dynamiques plus efficientes aux niveaux sousrégional, régional, voire continental.
b) Juguler les entraves à l'intégration peut nécessiter de revoir les
approches actuelles
« Bien que de nombreuses tentatives de regroupement aient été faites
dans les pays africains, avec plus ou moins de succès, il existe des difficultés considérables pour la réalisation d'une politique économique régionale
21. La Commission des communautés européennes. dans un Mémorandum de juillet
1971, a bien reconnu cette situation préjudiciable au développement de l'Afrique, cité par
T. G. Tété Adjalogo, op. cit., p. 77.
22. Comme voulait encore le croire la Commission des communautés européennes
dans le Mémorandum de 1971 (idem).
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
321
et interrégionale. Ces entraves sont aussi bien politiques qu'économiques[concurrence entre les différents systèmes et choix de développement,
divergences sur les lieux des implantations industrielles, manque de recherche des complémentarités entre États [... F3, etc. »
Telles sont quelques raisons qui fondent la nécessité de reconsidérer le
problème de l'intégration régionale en Afrique. Cette question doit être
revue de fond en comble, et cela à tous les niveaux:
- dans la définition même du concept d'intégration régionale;
- dans le sens que l'on veut ou que l'on doit lui donner dans les sousrégions et régions de l'Afrique considérées;
- dans la précision des objectifs que l'on tente d'atteindre par le recours
à la régionalisation;
- et enfin, dans les compatibilités mêmes de l'espace et des entités à intégrer.
En outre, nous considérons que c'est au moment où, dans leurs orientations politiques, économiques et diplomatiques, les États africains auront
fini de n'accorder la primauté qu'aux relations bilatérales verticales, et
qu'ils prendront conscience de la nécessité d'affermir et d'intensifier la
coopération horizontale ... dans le continuum des complémentarités socioculturelles qui caractérisent plusieurs des entités nationales de leurs
régions, que ces pays et ces ensembles pourront donner un sens véritable au
concept d'intégration régionale, et s'en servir pour la conception et la construction d'un développement véritablement communautaire.
B) ... ET RECONSIDÉRER L' AMBmON AFRICAINE DE MONNAIES RÉGIONALES
Le vieux rêve de l'unité africaine, repris par les tenants du courant panafricaniste et transposé au domaine de la construction monétaire, a fait concevoir par des auteurs l'idée d'une possible monnaie commune africaine 24 •
En fait le report au domaine monétaire et économique des convictions qui,
au plan politique, n'ont jamais eu d'écho véritable 25 commande que soit
complètement reconsidérée l'essence même de ces ambitions.
a) Purger les vieilles ambitions de leurs considérations naïves et de leurs
aspirations utopiques
Si l'on peut concevoir avec le professeur Abdoulaye Wade que
« l'Afrique peut se développer avec des monnaies régionales 26 », nous pensons que c'est dans un espace régional redéfini (redimensionné) sur le plan
géopolitique que peut s'inscrire une telle possibilité. La régionalisation des
23. Ibidem.
24. C'est par exemple le fondement du projet de création d'un Fonds monétaire africain
tel que les chefs d'État africains, réunis au Sommet économique de Lagos, l'ont suggéré en
1980.
25. L'Organisation de l'unité africaine (OUA) n'aura guère, en plus de trente années
d'existence, contribué véritablement au rapprochement politique des États africains, l'unité
prônée est restée au stade d'une simple ambition que les chefs d'État et de gouvernement
africains se contentent de se rappeler annuellement...
322
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
monnaies et des économies en Afrique, pour être désirable, n'a pas, en l'état
actuel des structures et des systèmes politiques et économiques, de véritables assises. Cette base reste à construire. Et une option importante de la
construction de ce socle est la conception d'une évolution selon la méthode
de groupe, où les pays, sur la base d'appartenance géographique sousrégionale ou régionale, concevraient des regroupements sociopolitiques,
économiques et monétaires dans le but de constituer, à terme, de grands
blocs régionaux viables, lesquels intensifieraient les rapports entre eux, qui
s'achemineraient alors vers des constructions plus intégrées pour créer une
dynamique à l'échelle africaine.
C'est cette perception qui inspire le schéma suivant dans lequel nous pensons que pourrait s'inscrire l'évolution prospective de la construction
monétaire en Afrique.
b) Schéma d'Une possible évolution de la construction monétaire en
Afrique
Ayant montré notre scepticisme quant aux opportunités qu'ouvrirait la
perspective d'une zone euro en Afrique, qui conçoit qu'au plus tard en
2002, le franc CFA s'alignerait sur l'euro et la zone franc se glisserait naturellement dans la zone euro, et qui constitue le choix des officiels francoafricains, c'est l'optique de l'accession à l'autonomie monétaire et de la
nécessité de consolider les dynamiques régionales africaines qui inspire le
schéma ci-après ; lequel pose les grandes orientations que pourrait prendre
la progression de la construction monétaire en Afrique.
L'évolution de la construction monétaire en Afrique peut, selon l'optique
des considérations développées dans cette réflexion, s'articuler comme
suit:
• démantèlement de la zone franc ;
• consolidation sous-régionale de ses fragments après leur restructuration économique et monétaire ... sous l'expérience de gestion autonome de
monnaies nationales ;
• évolution des monnaies nationales (...), à terme, vers des monnaies
sous-régionales consolidées (méthode de groupe). Il se construirait dans les
différentes régions d'Afrique des unions monétaires à la dimension des
entités sous-régionales ou régionales à constituer; par exemple:
- en Afrique du Nord (Maghreb), émergerait et se consoliderait une
union monétaire du Maghreb;
- en Afrique de l'Ouest, serait instituée une union monétaire plus large
qui transcenderait l'actuelle UEMOA en réintégrant les autres anciens
membres;
26. Thèse défendue, entre autres, par Samir Amin qui, dès 1971, a développé des raisons pour lesquelles il lui semble que le dossier de la création éventuelle d'une "monnaie
africaine" peut être valablement plaidé (cf. Samir Amin, in Impérialisme et sous-développement en Afrique, op. cit., p. 485, citant A. Wade, « L'Afrique peut se développer avec des
monnaies régionales », Décennie Il, n° 7, oct. 1971).
DE LA ZONE FRANC À LA ZONE EURO EN AFRIQUE
323
- en Afrique centrale, se construirait une unification monétaire partant
d'un regroupement des États de cette sous-région qui dépasserait le cap
actuel des pays de l'actuelle CEMAC, sur des bases nouvelles;
- en Afrique australe, devrait se concrétiser l'émergence d'une zone
rand, qui sous-tendrait la structuration monétaire de cette sous-région ;
- monnaies uniques en Afrique du Nord, en Afrique de l'Ouest, en Afrique centrale et en Afrique australe;
• évolution vers un rapprochement de ces entités monétaires sous-régionales, et cheminement vers une dynamique continentale, par le truchement
d'une coopération politique, économique et monétaire interafricaine.
• vers la concrétisation du rêve de l'unité monétaire du continent africain (?)...
Conclusion
La question des difficiles convergences entre les dynamiques économiques et monétaires au sein des pays africains de la zone franc est au centre
de la problématique actuelle de cette construction ; elle interpelle toute
réflexion sur l'avenir de ces pays. Les crises auxquelles les économies du
franc CFA sont soumises depuis plus de deux décennies s'inscrivent dans
cette inadéquation fondamentale entre les exigences d'une gestion optimale de la politique monétaire et la réalité d'évolutions économiques contraintes.
Cette situation d'une impossible harmonisation des rythmes de progression des économies nationales et du mode de gestion monétaire communautaire - dont l'explication s'est trouvée dans le jeu d'un ensemble de
contraintes multidimensionnelles inextricables qui minent les évolutions
souhaitables - a placé les États africains dans une difficile conjoncture qui,
aujourd'hui, rend nécessaire une mutation profonde de l'ordre monétaire
établi, et indispensable la restructuration des économies nationales. Un
double enjeu pour lequel seule l'option pour de nouveaux choix structurels
plus judicieux nous semble à même de permettre aux États africains
d'escompter un redressement véritable de leurs situations.
Nous avons considéré l'avenir de la zone CFA en le situant par rapport
aux enjeux qui se dessinent à l'horizon proche et lointain. Les termes de la
réflexion ont conduit à inviter les PAZF à tourner résolument le dos aux
logiques peu évolutives pour lesquelles ils ont opté jusqu'ici et qui ont irrémédiablement miné leurs évolutions respectives. Si bien que c'est d'une
mutation totale de la logique monétaire de cette construction que nous est
apparue pouvoir émerger une solution de redressement de l'économie de la
zone franc. Ainsi, avons-nous suggéré non un simple réaménagement des
mêmes mécanismes du système de change actuel- à l'instar des palliatifs
trop souvent apportés jusqu' ici aux problèmes de cette organisation -, mais
une mutation profonde et radicale de cette structure.
324
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Le démembrement de la zone franc - dans l'immédiat ou à terme - nous
apparaît la solution qui s'impose pour l'évolution des entités qui la composent, afin de faire place à des conceptions novatrices qui seraient empreintes
d'un esprit de responsabilité nationale, lequel esprit doit animer chaque
pays et imprégner profondément les peuples et les dirigeants, qui seraient
désormais placés devant les conséquences de leurs choix et de leurs actes,
et surtout rendus pleinement acteurs du devenir de leurs peuples.
Concevant que le redressement des pays d'Afrique centrale et d'Afrique
de l'Ouest dépend de la restructuration de leurs économies, autant que
d'une mutation complète de leur système de change, et que ce redressement, pour être viable doit s'inscrire dans le cadre d'une restauration de la
responsabilité de chaque État dans la gestion de sa politique économique et
monétaire, nous pouvons penser que le sursaut pour ce continent réside
dans l'invention d'une nouvelle « utopie directrice» (selon le mot de Maurice Allais).
Dans les États africains de l'actuelle zone CFA, l'option pour la réappropriation du pouvoir monétaire et économique, et leur domiciliation dans
chaque entité nationale qui s'en servirait avec justesse pour la restauration
de dynamiques nationales viables et, à terme, pour la consolidation des
dynamiques sous-régionales et régionales selon un nouvel esprit et un nouvel élan de solidarité empreints de liberté et de responsabilité, peuvent-elles
offrir des arguments à cette nouvelle « utopie directrice» à concevoir, et
susceptible de représenter une voie de rechange à l'impasse actuelle?
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14
L'ancrage du franc CFA à l'euro
et la compétitivité internationale des pays
de la zone franc
Par Karamoko KANE
Le franc CFA et le double ancrage
Depuis le début des années 1980, les politiques des économies dominantes sont fondées sur l'idée de l'inexistence d'un arbitrage entre l'inflation et
le chômage parce que les agents économiques souffrent de moins en moins
d'illusion monétaire et parce que l'ouverture internationale leur donne la
possibilité de se protéger contre la hausse des prix. Sous l'hypothèse d'une
courbe verticale de Phillips, sinon croissante l , tout arbitrage à moyen et
long terme entre l'inflation et le chômage est impossible et la priorité de
toute politique monétaire doit être la lutte contre l'inflation.
Ainsi de la politique monétaire allemande qui s'est adossée depuis la
période de l'entre-deux-guerres, aux deux principes selon lesquels la banque centrale doit lutter contre l'inflation et qu'elle atteint d'autant plus facilement cet objectif qu'elle est indépendante des gouvernements qui sont
soumis à l'alternance démocratique et sont, en conséquence, incapables de
s'engager de manière crédible à développer ou à appliquer une politique
désinflationniste. Le modèle monétaire allemand est une application pratique du modèle de Rogoff2. Devant la difficulté d'éliminer le biais inflationniste associé à la politique monétaire discrétionnaire par la définition d'une
règle, qui sera forcément contingente à tous les états de la nature, la politi1. M. Friedman, « Nobellecture: inflation and uneployment », Journal of Political Economy, vol. 85,1977, pp. 451-472.
2. K. Rogoff, « The optimal degree of commitment to a monetary target », Quarterly
Journal ofEconomies, 100, 1985, pp. 1169-1190.
328
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
que monétaire peut être confiée à un agent indépendant (le banquier central). Celui-ci accorde une plus grande pondération à la lutte contre
l'inflation que le gouvernement. Les autorités politiques se lient ainsi les
mains, en se dessaisissant de la politique monétaire au bénéfice d'un banquier central conservateur3.
Sous ce rapport, le système monétaire européen (SME), du point de vue de
la France, a fonctionné, comme un substitut au mécanisme du banquier central indépendant anti-inflationniste: la Bundesbank se présente comme le
banquier central conservateur au sens de ROGOFF et la France, en ancrant
sa monnaie sur le Mark, emprunte la crédibilité de la Bundesbank afin de
faciliter sa politique de désinflation. L'engagement dans le SME revient ainsi
pour le gouvernement français à se lier les mains du point de vue de la politique monétaire par un accord international qu'elle a conclu dans le cadre de
la construction européenne. Avant le passage à l'indépendance de la Banque
de France, l'ancrage du franc français au Mark a donc permis à l'économie
française de crédibiliser sa politique de désinflation compétitive, réduisant
ainsi les anticipations inflationnistes des agents économiques.
Le choix de la France de l'aligner sur le Mark par le biais des mécanismes
de change du SME traduit les liens entre le franc CFA et le système monétaire international caractérisés par un double ancrage: l'arrimage du franc
français au Mark et la parité fixe entre le franc CFA et le franc français.
C'est ce double ancrage qui a déterminé les rapports entre le franc CFA et
les autres grandes monnaies comme le dollar et le yen. L'ancrage direct sur
l'euro à partir du 1er janvier 1999 par le biais d'une parité fixe va correspondre à la disparition d'un échelon dans le positionnement du franc CFA
face à la construction monétaire européenne. Les rapports entre le dollar, le
yen, etc., et le franc CFA transiteront par l'euro et vont donc refléter le statut
futur de la monnaie unique européenne.
L'euro, monnaie de substitution au Mark
Tous les observateurs se sont posé une question: pourquoi l'Allemagne
accepte-t-elle l'unification monétaire avec des pays à monnaie et banque centrale moins crédibles, et ayant une plus faible aversion pour l'inflation? Le
Mark domine en effet l'europe, et il est le pilier du SME. La monnaie allemande étant stable, et en conséquence l'Allemagne étonne lorsqu'elle accepte
de troquer le Mark contre une monnaie européenne à l'avenir incertain.
Le choix de ce pays a d'abord été un choix politique. Compte tenu de ses
3. Dans le modèle du banquier central conservateur de Rogoff, la réduction du biais
inflationniste obtenue en confiant la responsabilité de la politique monétaire à un banquier
central indépendant s'accompagne d'une plus grande variabilité de l'activité, ce qui conduit à imaginer « un degré optimal de conservatisme monétaire » comme le résultat d'un
compromis social entre le besoin de stabiliser l'activité et celui de lutter contre l'inflation.
L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO
329
antécédents historiques, ce pays veut être le centre de l'Europe sans encourir une réaction de rejet de la part des peuples européens, il n'a aucun intérêt
à brandir des signes extérieurs d'arrogance. En effet, la Bundesbank et les
Allemands dans leur majorité ont été, dès le départ, défavorables à la substitution de l'euro au Mark, ce qui explique l'acharnement des dirigeants à
obtenir la fixation de conditions suffisamment contraignantes pour convaincre leur opinion publique nationale que l'euro sera aussi bon que le Mark.
D'autant que l' hyperinflation allemande des années 1920 a définitivement convaincu les habitants de ce pays que l'inflation est le mal absolu. Du
16 janvier 1923 au 15 septembre de la même année, le cours moyen mensuel du dollar en Mark est passé de 7185 à 98 860000 alors qu'un dollar
coûtait 4,2 Marks en 1913 4 . De cette expérience, les Allemands ont tiré la
conviction que la création monétaire doit être mise hors de portée de l'État,
confiée à une Banque centrale indépendante des pouvoirs publics et dont la
fonction unique est de maintenir la stabilité des prix, c'est-à-dire de défendre le pouvoir d'achat de la monnaie.
Il existe ainsi deux conceptions de la politique économique, de la place
qu'y occupe la politique monétaire ainsi que du rôle de la Banque centrale.
Selon la première conception, la politique économique dans tous ses volets,
y compris le volet monétaire, doit relever du gouvernement, responsable
devant les électeurs et leurs représentants élus, devant aussi assumer la définition et l'application, rechercher la croissance économique, un niveau
d'emploi élevé, l'équilibre extérieur et la stabilité des prix, qui n'est qu'un
objectif parmi d'autres. Selon la seconde conception, qui s'est finalement
imposée pour l' europe de la monnaie unique, la stabilité des prix est un élément essentiel de l'ordre économique de tout pays démocratique, au même
titre que le respect de la propriété privée et la libre entreprise. La Banque
centrale reçoit la mission, pouvant être inscrite dans la constitution, de
défendre la stabilité des prix, le gouvernement exerçant son autorité en
fixant les procédures de nomination des dirigeants de la banque, et en exigeant d'eux des rapports périodiques devant les pouvoirs exécutif et législatif. La Banque centrale allemande a toujours fonctionné dans le cadre de
cette sacralisation de son rôle et de son indépendance.
En France, la politique d'arrimage du franc français au Mark a autant de
partisans que de détracteurs. Leurs positions respectives sur cette politique
du « franc fort» se sont bruyamment manifestées lors de la crise du SME,
en août 1993, lorsque les marchés - entendez les spéculateurs - ont obligé
les autorités monétaires européennes à élargir les zones de fluctuation des
monnaies entre elles autour de leurs cours-pivots de ± 2,25% ou ± 6%
(pour l'escudo et la peseta) à ± 15 %. Le franc français pouvait désormais
monter à 2,888 1 francs pour un Mark (contre 3,279 2 francs) ou descendre
à 3,894 8 francs pour un Mark (au lieu de 3,430 5 francs) sans que les Ban4. A. Or1ean, « Une nouvelle interprétation de l'hyperinflation allemande
nomique, vol. 30, nO 3, mai 1979, pp. 518-539.
»,
Revue éco-
330
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
ques centrales soient obligées d'intervenir sur le marché des changes, ou de
faire varier leurs taux d'intérêt. La spéculation, dénoncée par les hommes
politiques n'était, bien entendu, en rien coupable. Les spéculateurs ne font
que s'engouffrer, lorsqu'ils les identifient, dans les désalignements existant
entre les politiques économiques nationales. Lorsque, pendant l'été 1993,
ils ont anticipé un décrochage du franc, ils ont acheté des Marks pour pouvoir les revendre plus cher. La Banque de France et la Bundesbank, de
guerre lasse, ont jeté l'éponge et les ministres des Finances de la Communauté européenne ont, le 2 août 1993, entériné l'orientation décelée par les
marchés en élargissant les marges de fluctuations. Un franc « trop» solide
avait poussé les opérateurs économiques à anticiper sa dépréciation
d'autant plus que l'Allemagne, encore une fois, avait choisi d'éponger les
conséquences inflationnistes d'un choc économique, la réunification allemande, par une politique monétaire restrictive.
En août 1993, la France avait le choix entre les deux politiques économiques au centre du débat. Les uns lui signalaient qu'elle n'avait aucune obligation de suivre la politique des taux d'intérêt élevés de la Bundesbank et
l'exhortaient, tout simplement, à une baisse importante de ses taux d'intérêt
pour relancer l'activité économique en faisant enfin, de l'emploi, la priorité
de sa politique économique. Les partisans de ce décrochage n'ignoraient
pas qu'un tel choix exercerait un mouvement dépressif immédiat sur le
change du franc par rapport au Mark, mais c'était le prix à payer pour une
politique de relance ; ce processus impliquait la sortie du mécanisme de
change du SME. L'inflation étant désormais vaincue, la France, estiment
les partisans de cette thèse, peut faire l'économie de la récession en n'alignant pas sa monnaie et sa politique monétaire sur celles de l'Allemagne.
Les adversaires de la thèse du désalignement, quant à eux, rappellent que
l'expérience de la France, au cours des années 1970 et au début des années
1980, a suffisamment prouvé l'inexistence d'un arbitrage entre l'inflation et
le chômage. La rupture du lien entre le franc français et le Mark signifierait,
aux yeux des agents économiques, l'abandon de la préférence pour la stabilité des prix, or une faible inflation est dans une économie mondialisée le
préalable à une croissance saine, durable et favorable à la création
d'emplois productifs. Les partisans de l'arrimage du franc au Mark attribuent le chômage, élevé en France et dans les pays de l'Union européenne,
principalement aux rigidités structurelles du marché du travail que les gouvernements doivent combattre, en réduisant les cotisations sociales des
employeurs pour les emplois peu qualifiés, et en freinant l'accroissement
du salaire minimum dans les pays comme la France où ce dispositif existe.
Dans ce débat, bien entendu, aucun économiste n'acceptera l'idée de se
prononcer pour l'inflation; plus personne ne défendant l'idée qu'une politique monétaire active soit efficace pour lutter contre le chômage. Le débat
sur la politique économique en France se réduit alors à la possibilité ou non
d'une inflation contrôlée. En dernière analyse, le choix pour un arrimage du
franc français au Mark pour un voyage commun vers la monnaie unique est
L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO
331
un choix politique que tous les grands partis politiques en France ont finalement entériné, même si l'Allemagne, en apparence, est la « perdante» de
l'unification monétaire européenne. Aujourd'hui, elle possède une monnaie crédible qu'elle va échanger contre une monnaie dont la crédibilité
reste à asseoir aux yeux des marchés. Mais l'Allemagne a pris des garanties
puisque l'euro sera le nouveau Mark européen. Seulement, ces garanties
selon le modèle monétaire allemand feront en même temps de l'euro une
monnaie abonnée à la surévaluation.
Le pouvoir d'émission de l'euro sera confié à la Banque centrale européenne (BCE), organisme doté de la personnalité juridique et dont le capital
sera réparti entre les Banques centrales nationales en fonction des critères
du PIB et de la population 5 . La BCE jouira d'une totale indépendance puisque l'article 107 du traité indique clairement et précisément que « dans
l'exercice de leurs pouvoirs et dans l'accomplissement des missions et des
devoirs qui leur auront été conférés [...] ni la BCE, ni une Banque centrale
nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres ou de tout autre
organisme [... ] ». Nommés par les chefs d'État ou de gouvernement des
pays membres de l'Union économique et monétaire (UEM), les membres
du conseil des gouverneurs exerceront un mandat de huit ans non renouvelable et ils définiront la politique monétaire de l'Union. Le Système européen des Banques centrales (SEBC) sera l'organe de coordination entre la
BCE et les Banques centrales nationales.
Une question, essentielle pour l'avenir des relations monétaires internationales, les relations États-Unis-europe et pour la compétition entre les
pays en développement, selon la monnaie de rattachement de leur monnaie
nationale, est de savoir si l'euro sera une monnaie forte ou une monnaie faible. La réponse à cette question réside déjà dans les mécanismes de gestion
de la future monnaie unique et l'unanimité réalisée autour du choix d'une
politique monétaire restrictive. Certes, il n'y a aucune liaison automatique
entre l'existence d'une Banque centrale européenne et la pratique d'une
gestion monétaire restrictive, mais le traité de Maastricht définit la lutte
contre l'inflation comme la mission fondamentale, sinon exclusive, de la
future Banque centrale européenne (BCE). Selon l'article 2 du traité, elle
« a pour mission [...] de promouvoir un développement harmonieux et
équilibré des activités économiques dans l'ensemble de la communauté,
une croissance durable et non inflationniste, respectant l'environnement, un
haut degré de convergence des performances économiques, un niveau
d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la
qualité de la vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les
Etats membres». L'article 105 précise alors la mission de la BCE:
«L'objectif principal du SEBC (Système européen de Banques centrales)
5. L'Allemagne détiendra environ 24% du capital et la France 18%.
332
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de stabilité
des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la communauté en vue de contribuer à la réalisation des objectifs
de la communauté tels que définis à l'article 2. »
Dès lors, toutes les conditions sont réunies pour que l'euro soit demain
une monnaie forte; ce qui est d'ailleurs la condition minimale de réussite de
la monnaie unique. D'ailleurs, l'importance relative d'une monnaie dépend
de plusieurs facteurs pour certains desquels l'Union européenne semble
posséder un avantage net sur les États-Unis d'Amérique: la taille de l'économie, la force de sa position extérieure, le poids de son marché financier.
Pour ce dernier élément, l'avantage est, certes, en faveur de l'économie
américaine dont le marché financier représente le double des marchés
financiers européens intégrés, ce résultat devant être atténué par la valeur
supérieure des obligations publiques émises dans l'Union européenne.
Tous les experts conviennent, cependant, que les portefeuilles libellés en
dollars vont se diversifier inéluctablement en faveur de l'euro, le seul désaccord portant sur la rapidité de ce mouvement. Or, les achats d'euro en vue
de la diversification des portefeuilles auront un impact sur le taux de change
entre l'euro et le dollar, qui en sera affaibli même si l'on peut penser que la
diversification des réserves des pays tiers en faveur de l'euro ne se fera que
graduellement. Dans tous les cas, la « phobie obsessionnelle de l'inflation 6 » des Allemands transposée à l'échelle européenne, conduira de l'avis
quasi unanime des experts, ou bien à l'éclatement du système ou à une surévaluation permanente de l'euro face au dollar, au yen et aux autres monnaies. Mais n'est-ce pas l'un des objectifs fondamentaux de l'unification
monétaire européenne que de contester le quasi-monopole du dollar
comme monnaie de réserve mondiale? En effet, la substitution partielle de
l'euro au dollar par les investisseurs internationaux, la politique monétaire
restrictive de la BCE, les déficits commerciaux américains, le pacte de stabilité adopté par l'Union européenne pour empêcher tout dérapage budgétaire une fois que l'euro sera mis en circulation, sont des facteurs incitant à
prendre le pari, sans grand risque de le perdre, que l'euro sera demain l'une
des monnaies fortes du système monétaire international.
Déjà, l'économie allemande est structurellement adaptée au choix d'une
monnaie forte dont elle a su tirer tous les avantages tout en limitant les coûts
par sa pratique de l'économie sociale de marché, synonyme d'un compromis dynamique entre les syndicats et le patronat. Une monnaie forte permet, au pays qui la pratique, d'obliger ses industriels à se spécialiser dans
«le haut de gamme ». Elle permet aussi d'obtenir les produits intermédiaires étrangers à un moindre coût et de ne pas subir d'inflation importée. Elle
implique, néanmoins, la pratique continue d'une désinflation compétitive.
6. G. Lafay, L'Euro contre ['europe?, Paris, Éd. ARLEA, 1997.
L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO
333
Le taux de change du FCFA et la compétitivité internationale des
PAZ
C'est en s'inscrivant dans le sens de la nouvelle économie mondialisée, et
en n'oubliant pas le rôle stratégique du taux de change pour un pays en
développement, qu'il convient d'envisager les implications d'un franc CFA
surévalué. Selon le scénario le plus probable, le franc CFA sera rattaché à
l'euro par un taux de change fixe, ce qui signifie qu'il suivra l'euro dans ses
appréciations par rapport au dollar américain ou au yen et aussi, dans le
même mouvement, par rapport aux monnaies des pays en développement,
notamment d'Asie et d'Amérique latine rattachées au dollar, au yen et
même aux DTS.
Selon la thèse de R. Reich 7 , le monde du vingt et unième siècle sera de
plus en plus un vaste champ de compétition pour les emplois parce que
l'entreprise-réseau l'unifiera de plus en plus. L'analyse développée par
Reich sur les emplois de l'avenir montre comment les pays en développement concurrenceront de plus en plus les pays industrialisés, pour la localisation des emplois standardisés liés à la production de masse. La
population de chaque pays constitue pour l'entreprise-réseau une partie du
marché international du travail et trois catégories d'emplois émergent sur
ce marché: les services de production courante, les services personnels et
les services des manipulateurs de symboles.
Les premiers se caractérisent, non pas par leur secteur d'exercice, mais
par leur nature répétitive. Étapes d'une séquence dont l'objet est d'élaborer
des produits finis vendus dans le monde entier, ils incluent également les
tâches de contremaître consistant en un contrôle répétitif du travail des
subordonnés et la mise au point de codages standards pour les logiciels.
Somme toute, ce sont de travaux routiniers rémunérés en fonction du temps
de travail ou de la quantité de produit. Surtout, les services de production de
masse, qui exigent des travailleurs essentiellement la fiabilité, la loyauté et
la capacité à suivre des instructions, sont produits par l'entreprise-réseau là
où le travail est le moins cher et le plus accessible.
Aussi, Robert Reich 8 met-il en garde ses concitoyens américains, et incidemment les autres pays industrialisés: «Les travailleurs routiniers aux
États-Unis sont, de ce fait, en concurrence directe avec des milliers d'autres
travailleurs dans le monde. Chaque heure, la population mondiale s'accroît
de plusieurs dizaines de milliers d'habitants, dont la plupart seront plus tard
heureux de travailler pour une fraction des salaires que les travailleurs routiniers reçoivent aux États-Unis. »
Les travailleurs routiniers des pays industrialisés sont ainsi placés en concurrence directe avec les travailleurs des pays en développement « pour saisir les manuscrits de grands éditeurs de Dallas ou Chicago, traiter aux
7. R. Reich, op. cit., chapitre 12.
8. R. Reich, op. cit., p.I92.
334
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Barbades et en République dominicaine, les billets utilisés par les clients
d'Américan Airlines, «reçoivent de l'information, la mettent sous une
forme lisible par un ordinateur et la renvoient à son point de départ, à la
vitesse des impulsions électroniques 9 ». Ainsi, la compétition pour le travail routinier ne se limite pas à la production industrielle. Elle inclut
aujourd'hui, et pour l'avenir, la programmation de routine lO •
Les services personnels, deuxième catégorie d'emplois de l'avenir, concernent les employés de commerce, d'hôtels, d'agences immobilières, les
serveurs et serveuses de restaurants, les caissiers, les infirmières, les babysitters, les femmes de ménage, les chauffeurs de taxi, les secrétaires, les
coiffeurs, les mécaniciens, les hôtesses de l'air et stewards, les kinésithérapeutes et les agents de sécurité. Ces travailleurs effectuent également des
tâches répétitives mais leurs services fournis de personne à personne, ne
peuvent en conséquence être vendus dans le monde entier, si bien que ces
travailleurs sont à l'abri de la concurrence directe de leurs homologues du
reste du monde. Ils sont néanmoins des victimes indirectes de la compétition mondiale pour le travail routinier, parce que ces travailleurs, lorsqu'ils
perdent leur emploi, vont concurrencer ceux-là dans leurs activités.
Enfin, les services de manipulation de symboles correspondent aux chercheurs, ingénieurs, informaticiens, avocats, consultants, conseillers fiscaux
et financiers, journalistes, publicitaires, éditeurs et professeurs d'université.
Par la manipulation de symboles, des algorithmes mathématiques, des principes scientifiques, des techniques de persuasion, etc., ils montrent comment économiser du temps ou de l'énergie ou comment mieux transférer
des actifs financiers. Ils inventent des technologies, des arguments juridiques, de nouveaux stratagèmes pour payer moins d'impôts, etc. Ils sont en
concurrence dans une économie mondialisée, ou en tout cas ils le seront de
plus en plus, avec des étrangers même dans leur propre pays. Pour R. Reich,
seules des compétences dans ces services de manipulations de symboles
contèrent un avantage compétitif parce que toute position reposant sur un
travail de routine, facile à copier par définition, est vulnérable à la compétition mondiale. Le monde assistera à un transfert progressif des emplois de
production courante des pays industrialisés vers les pays en développement, parce que l'avantage compétitif repose pour ce type d'emplois sur le
coût salarial. Cela implique que les pays en développement seront en compétition pour accueillir ces emplois, et toutes choses égales par ailleurs,
l'entreprise-réseau dirigera ses investissements vers les pays en développement où les coûts salariaux sont les plus faibles.
En conséquence, une zone du monde en développement à monnaie surévaluée s'exclut elle-même de cette compétition mondiale. C'est le risque,
quasi certain, que courent les pays dont la monnaie est le franc CFA, si leur
monnaie devrait être rattachée par une parité fixe à l'euro, monnaie unique,
au siècle prochain, des pays de l'Union européenne.
9. R. Reich, op. cit., p. 194.
10. L'anglais est donc la langue de la mondialisation.
L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO
335
Cette perspective amène à se poser la question de l'opportunité d'un rattachement du franc CFA à l'euro. L'inquiétude n'est pas qu'un tel mécanisme soit techniquement impossible. En termes techniques et de coût, le
rattachement ne poserait aucun problème de coût ou de principe à la France
et il faut croire les dirigeants français lorsqu'ils réaffirment leur disponibilité de continuer à garantir la convertibilité du franc CFA. La vraie question
est de savoir si, dans un contexte de mondialisation, les pays africains n'ont
pas plutôt intérêt à assumer un décrochage qui permettra à leur monnaie de
refléter les « fondamentaux» de leurs économies.
L'hypothèse d'une flexibilité gérée du change du franc CFA
La création de la zone franc date de la seconde guerre mondiale, en 1939,
lorsque la France instaura un système généralisé de contrôle des changes
qu'elle dut, par la force des choses, étendre à ses possessions coloniales, le
franc des colonies françaises d'Afrique (F CFA) circulant en Afrique-Occidentale française (AOF) et en Afrique-Équatoriale française (AEF). En 1960,
tous ces pays accédèrent, isolément, à l'indépendance. Malgré cette dislocation des entités fédérales, les deux groupes de pays, chacun de son côté, maintinrent leur coopération monétaire sous la forme de deux monnaies
communes dont ils conservèrent même les sigles: franc de la Communauté
financière africaine - F CFA - en Afrique de l'Ouest et franc de la Coopération financière en Afrique - Franc CFA également - en Afrique centrale.
L'Union monétaire ouest-africaine (UMOA), qui nous sert ici à illustrer
les problèmes généraux du franc CFA, fut créée en 1962. La monnaie des
pays membres est émise par la Banque centrale des États de l'Afrique de
l'Ouest (BCEAO) dont le siège est à Dakar. Le franc CFA d'Afrique de
l'Ouest est rattaché au franc français" par une parité fixe mais révisable.
Cette révision est intervenue en janvier 1994 après plus de 50 ans de stabilité, même lorsque la France, à la fin des années 1950, a échangé l'ancien
franc contre le nouveau franc. Les accords par lesquels la France à l'heure
actuelle assure la convertibilité du franc CFA datent de 1973, bâtis autour
du mécanisme du compte d'opérations.
Un compte -le compte d'opérations -, français sur lequel sont placées, à
concurrence de 65 %, les réserves de change de cette banque centrale est
ouvert au profit de la BCEAO dans les livres du Trésor. Le compte est
libellé en francs français et il peut devenir débiteur pour des montants illimités et sans délai de remboursement. Ces découverts, en principe illimités,
garantissent que les besoins en devises des pays de l'UMOA seront toujours
11. En même temps que les deux francs CFA, deux monnaies sont rattachées au franc
français par une parité fixe dans le cadre de la zone franc: le franc comorien et le franc de
la Communauté française du Pacifique (FCFP).
336
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
satisfaits, les francs français tirés sur le compte permettant d'obtenir
n'importe quelle devise étrangère. Le franc CFA bénéficie ainsi, indirectement par le biais du franc français, d'une convertibilité illimitée 12.
La garantie de convertibilité accordée par la France relève de l'ordre normal des choses, équilibrée par des dispositions prudentielles portant sur le
niveau des avoirs extérieurs et le niveau des avances de la BCEAO aux différents Trésors nationaux. Le conseil d'administration de l'institut d'émission doit se réunir et prendre des mesures correctrices dès que le rapport des
engagements à vue sur les avoirs extérieurs nets s'établit à un niveau égal
ou inférieur à 20%, pendant au moins trois mois. La BCEAO doit aussi, en
cas d'épuisement de ses disponibilités extérieures, ratisser à l'intérieur de
l'union en demandant à tout organisme ressortissant détenant des devises
de les lui céder contre sa propre monnaie. Dans le domaine des concours
aux États, les avances que la BCEAO peut consentir aux différents Trésors
publics sont plafonnées, en théorie, à 20% des recettes fiscales intérieures
du dernier exercice écoulé.
Étant entendu que toutes ces mesures prudentielles relèvent, finalement,
des simples règles de la bonne gestion monétaire et c'est faire preuve, analytiquement, d'une mauvaise foi incommensurable que de les considérer
comme des manifestations de la volonté de domination de la France. En
supposant même la résiliation de l'accord de compte d'opérations, il s'agit
de mesures qui demeureraient et qu'il faudrait éventuellement renforcer
pour maintenir une monnaie digne de ce nom.
Toutes les économies africaines sont entrées dans une crise profonde à
partir du début des années 1980 sous l'effet de chocs exogènes, comme
l'accroissement du prix du pétrole et les cycles de sécheresse conjugués à
une mauvaise gestion macroéconomique. Dans les autres pays africains,
hors zone CFA, la crise s'est répercutée rapidement sur la valeur interne et
externe de la monnaie nationale. Mais dans l'UEMOA et en raison de la
rigidité du rapport entre le franc français et le franc CFA, des économies
malades et sous perfusion ont continué à présenter une monnaie dont la
bonne santé constituait un défi à toute logique économique. Le franc CFA
devint la monnaie de référence de tous les pays d'Afrique de l'Ouest qui
s'en procuraient en dévaluant leur monnaie pour relancer leur compétitivité, obligeant la Banque de France à racheter du CFA par milliards en
dehors de la zone franc. Entre 1985 et 1992, le franc CFA, arrimé au franc
français, s'était apprécié par rapport au dollar américain, étranglant économiquement les pays de l'UEMOA, les marchandises des pays voisins, et
même d'Asie, envahissant leurs territoires et réduisant à néant les efforts
douloureux qu'ils avaient souvent accomplis dans le cadre des programmes
d'ajustement structurel.
12. Lorsque le solde est débiteur, la BCEAO est endettée vis-à-vis du Trésor français et
doit verser des intérêts. En sens inverse, un solde créditeur est rémunéré et en cas de dépréciation de la monnaie de compte - le franc français -, le solde créditeur est multiplié par un
coefficient de correction de manière à maintenir sa valeur constante en DTS.
L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO
337
Cette surévaluation du franc CFA fut traitée, comme à l'accoutumée et à
l'instar de tous les problèmes économiques franco-africains, comme un
problème sentimental. La dévaluation du franc CFA par rapport au franc
français, exigée par les institutions de Bretton Woods comme condition
d'éligibilité de ces pays à leurs concours, fut présentée comme la catastrophe qu'elle ne fut point lorsqu'elle intervint le 12 janvier 1994.
Quatre ans après la modification de la parité entre le franc français et le
franc CFA, par une dévaluation de 50% du franc CFA, toutes les statistiques disponibles indiquent une nette amélioration des performances de
croissance globale dans l'UEMOA 13 même s'il est bien vu, dans certains
milieux, de s'indigner parce que chaque ménage n'a pas encore ressenti
cette amélioration dans sa vie quotidienne. L'inflation, inévitable après une
dévaluation, a été maîtrisée et les finances publiques dans tous les pays se
sont nettement redressées pendant que les réserves de change ont été
reconstituées. Ce bilan est cependant négligeable par rapport aux réorientations sectorielles qui sont attendues, à moyen et à long terme, et qui sont
encore loin de se manifester. Les pays de l'UEMOA demeurent toujours à
l'écart des flux internationaux privés de capitaux. Certes près de 40%14 de
ces flux sont constitués d'investissements de portefeuille qui, à la moindre
incertitude, quittent le pays d'accueil pour aller s'investir ailleurs 1S . Mais
les capitaux privés représentent, à l'heure actuelle, plus des trois quarts des
ressources extérieures totales des pays en développement, et sur ce total
l'Afrique subsaharienne reçoit dix fois moins que l'Asie et autant que le
seul Mexique. Or, le moteur de l'intégration à la partie dynamique de l'économie mondiale est l'investissement direct étranger et c'est par rapport à
cette nécessité qu'il faut envisager le futur lien organique entre l'euro et le
franc CFA.
Les pays de l'UEMOA connaissent, désormais, les coûts extrêmement
élevés de la surévaluation de la monnaie nationale et, en toute logique, ils
ne sauraient s'engager dans une coopération monétaire dont la tendance
prévisible les conduirait à une telle situation. Le mécanisme finalement
retenu est celui d'un simple basculement du franc français sur l'euro. A
priori, rien n'empêche techniquement ou politiquement, que la convertibilité indirecte que le franc français assure à l'heure actuelle au franc CFA lui
soit désormais conférée par l'euro, l'accord de compte d'opérations étant
reconduit, le seul changement portant sur le fait que le compte sera libellé
désormais en euro. Le franc CFA flotterait alors par rapport au dollar et
même par rapport aux monnaies des autres pays en développement exacte13. Le traité de l'UEMOA, signé en janvier 1994, n'a en rien aboli celui de l'UMOA,
ajoutant simplement d'autres volets à la coopération monétaire. C'est la raison pour
laquelle on peut encore légitimement parler de pays de l'UMOA, comme nous le faisons
dans ce chapitre où notre intérêt porte sur le volet monétaire de la coopération.
14. Global Development Finance, Banque mondiale, Washington, 1997.
15. Les pays émergents d'Asie l'apprennent actuellement à leurs dépens (Thai1ande,
Corée du Sud... ).
338
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
ment comme le ferait l'euro puisqu'il serait rattaché par un taux de change
fixe à la monnaie unique de l'Union européenne. En d'autres termes, le
franc CFA pourrait devenir une monnaie abonnée à une appréciation et une
surévaluation permanente sans aucun rapport avec les variables économiques fondamentales des pays dont il est la monnaie nationale. La conséquence serait une perte continue de compétitivité de leurs économies et la
fuite des investisseurs directs étrangers vers d'autres régions du monde en
développement. Il y a, techniquement, deux solutions à cette surévaluation
structurelle possible du franc CFA. La première consisterait à conduire une
politique de désinflation compétitive pour compenser la politique monétaire restrictive que ne manquera pas de pratiquer la Banque centrale européenne. Cette solution relève, à l'évidence, d'une vue de l'esprit et elle ne
serait même pas suffisante pour empêcher un mésalignement du franc CFA.
La deuxième solution consisterait à entrer dans un cycle de dévaluations du
franc CFA par rapport à l'euro. Mais les dévaluations interviennent toujours avec retard sur les appréciations du taux de change réel. Cependant,
les périodes de surévaluation entraînent des pertes de capacité de production à l'exportation et de parts de marché intérieur. Lorsque la dévaluation
intervient, il faut du temps pour utiliser l'avantage qu'elle procure en terme
de compétitivité pour reconquérir les positions perdues, parce que les capacités de production seront insuffisantes ou parce que les réseaux commerciaux auront été affaiblis. Dans le cas précis évoqué ici, l'euro aura eu le
temps de se renforcer encore par rapport aux autres monnaies, aggravant la
surévaluation du franc CFA.
Une procédure envisageable consisterait à introduire une marge de flexibilité entre le franc CFA et l'euro permettant au franc CFA de s'apprécier
ou de se déprécier par rapport à l'euro, chaque fois que les variations des
« fondamentaux» des économies nationales l'exigeraient. Cette modalité
ne devrait même être adoptée que pour une période transitoire. L'idéal
serait que la BCEAO opte purement et simplement pour un taux de change
flottant. Rien ne garantit, en effet, que le taux de change d'équilibre du franc
CFA ne va pas rapidement se situer en dehors de la marge de fluctuation
autorisée.
Aussi, le seul comportement rationnel qui, aujourd'hui, s'offre à la
BCEAO est d'accepter d'assurer la gestion du taux de change du franc
CFA. C'est une nécessité qui découle de l'adoption par les pays de
l'UEMOA d'une stratégie d'insertion dans le marché mondial. La surévaluation de leur monnaie, inévitable si elle était rattachée à l'euro par une
parité fixe, entraînerait rapidement une demande de protection de la part des
entreprises et conduirait au repli sur soi et au développement des importations frauduleuses. La gestion interne de la monnaie s'étant fortement libéralisée, il faut en généraliser la gestion externe par une intervention
adéquate pour maintenir un taux de change équilibré ou même légèrement
sous-évalué. Le rôle de la Banque centrale sera de stabiliser la valeur
externe de la monnaie aux alentours de cette valeur d'équilibre de long
L'ANCRAGE DU FRANC CFA À L'EURO
339
tenne. Elle devra distinguer dans ses interventions l'influence des facteurs
transitoires qui, à court tenne, affectent le taux de change - facteur qu'il
faut neutraliser - et les influences des facteurs pennanents qui détenninent
le taux de change d'équilibre de long tenne. Les accords de coopération
monétaire pourront être révisés avec la France. Si cette dernière souhaite
apporter son concours à la BCEAO, lorsqu'elle estime son appui favorable
à ses intérêts dans le cadre général d'une coopération rénovée, sous fonne
de prêts ou d'avances en devises. Une fois l'habitude acquise par l'institut
d'émission, commun aux pays de l'UEMOA, de gérer sa monnaie, aux
plans interne et externe, ces accords deviendront progressivement caducs.
La thèse de la nécessité d'aligner le taux de change sur les variables fondamentales de l'économie n'a d'ailleurs nullement besoin, il faut le préciser, que se vérifie l'hypothèse d'un euro fort à l'image du Mark, monnaie à
laquelle va se substituer, dans les faits, la monnaie unique européenne. Imaginons une économie à monnaie CFA, lourdement endettée, et dont la dette
serait principalement libellée en dollars. Cette économie, dans ce contexte,
aurait tout à redouter d'une dépréciation du franc CFA par rapport à la monnaie américaine. Or, si la stratégie monétaire choisie par l'Union européenne, pour une raison quelconque, est de laisser l'euro se déprécier par
rapport au dollar et si le franc CFA est rattaché à l'euro par un taux de
change fixe, il y aurait une dépréciation mécanique du franc CFA par rapport au dollar, entraînant un alourdissement tout aussi mécanique de la
dette.
C'est pourquoi l'adoption d'un régime de flottement corrigé correspondrait à une véritable réorientation géographique de la stratégie monétaire
des pays de l'UEMOA. Sur l'espace mondial, ces pays sont en compétition
avec les autres économies africaines et simultanément avec les autres
régions du monde en développement. C'est par rapport à ces économies
concurrentes qu'ils doivent gérer la valeur externe de leur monnaie. Il vaut
mieux que cette valeur externe reflète leurs propres données structurelles au
lieu de refléter, artificiellement, les évolutions futures de l'euro, monnaie
unique d'une Union européenne qui s'apprête à devenir la première puissance économique mondiale. L'enjeu est d'une importance fondamentale
au moment où à travers l'Union économique et monétaire ouest-africaine
(UEMOA), ces pays s'essayent à donner, enfin, un marché intégré à une
monnaie dont l'existence résulte beaucoup plus d'une histoire économique
commune -la période coloniale - que d'une coopération rationnellement
définie et mise en pratique.
Bibliographie
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15
1 FCFA = 0,001 54 euro?
Macroéconomie du masochisme
Par Célestin MONGA 1
Discipline is either self-discipline or it is nothing at all.
(Chinua Achebe, The Trouble with Nigeria)
Certains États abusent de la malchance au point de banaliser la notion de
crise économique. C'est pourquoi le fait de discuter de l'optimalité du
régime de change et du système monétaire adopté par les pays africains de
la zone CFA depuis 1939 et toujours en vigueur en ce début du xx~ siècle
semble relever d'une querelle banale, une de plus, sans grand intérêt. L'on
hausse d'autant plus facilement les épaules à propos de cette affaire que,
d'une manière générale, l'Afrique noire en général est mal partie: qu'ils
soient ou non membres de la zone CFA, les pays africains affichent de bien
piètres performances économiques pour les trente dernières années à quelques rares exceptions près. Le consensus silencieux est donc que l'on
s'accommode discrètement de ce constat. Et que l'on postule la permanence de l'échec comme une espèce de contrainte quasi métaphysique
nécessaire à la crédibilité de tout modèle de projection macroéconomique.
Cette contribution exprime trois idées simples:
• à cause d'arrangements monétaires opérés pendant la période coloniale et validés après les indépendances par divers textes, (dont notamment
les conventions de 1972 et 1973), les pays de la zone CFA ont vécu dans
l'illusion de disposer d'une monnaie convertible supposée permettre
l'afflux de capitaux privés dont ils avaient besoin pour financer leur développement;
• Cette construction idéologique défiant la logique macroéconomique et
pourtant érigée en science explique largement certaines des principales dif1. L'auteur s'exprime ici à titre personnel. Les idées exposées dans cet article ne sauraient engager la Banque mondiale.
342
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
ficultés macroéconomiques observées aujourd'hui dans toutes les capitales
francophones, de Dakar à Brazzaville;
• soucieux d'améliorer le fonctionnement de la zone CFA avec l'adoption de l'euro comme monnaie unique des Quinze, les pays africains, la
France et l'Europe organisent actuellement une convergence artificielle
des économies africaines, ceci au travers d'une opération de
« tropicalisation» hâtive du traité de Maastricht. Or, ils gagneraient tous à
organiser un démantèlement de l'actuelle zone CFA, la création de monnaies nationales, et l'établissement de nouveaux mécanismes de solidarité
budgétaires et monétaires correspondant davantage aux logiques d'intégration économique, sociale et politique des pays considérés.
La première partie du texte explore quelques-uns des mythes qui ont alimenté le discours dominant sur cette question au cours des dernières décades. La deuxième esquisse quatre scenarii d'avenir, se focalisant sur celui
qui semble rallier le plus de suffrages dans la communauté des décideurs,
l'hypothèse d'un rattachement du franc CFA à l'euro après l'an 2002.
Quelques idées fausses au sujet de la zone CFA
A quoi reconnaît-on un bon système de change 2 ? Rudi Dombusch
affirme que c'est celui qui apparaît comme étant le plus ennuyeux possible
à ceux qui voudraient faire de l'arbitrage, celui dont on est tellement
accoutumé à tous les méandres du fonctionnement que nul n'en parle plus.
Car à partir du moment où des chercheurs et des hommes d'affaires discutent de l'efficacité du système de change d'un pays lors des repas, à partir
du moment où l'on spécule à longueur de journée dans les bistrots sur ce
que devrait être la prochaine décision de politique monétaire, c'est qu'il y
a un problème ... Cette boutade d'un des spécialistes les plus connus des
problèmes de change exprime simplement la problématique de fond à propos de l'avenir de la zone CFA. C'est en effet le premier paradoxe de la
zone CFA que près de soixante ans après sa création, l'on discute encore de
sa validité, du fonctionnement de ses mécanismes, et de l'opportunité de
son système de parité fixe. Pourtant, cette union monétaire continue de
jouir dans de nombreux cercles académiques et politiques d'une extraordinaire présomption d'efficacité. Rarement une incongruité économique
aura si longtemps bénéficié de l'assentiment des chercheurs et des concepteurs de politiques économiques.
L'objet de cette étude n'est pas d'effectuer un bilan de la zone CFA. Je
m'intéresse surtout aux différents scenarii d'avenir, utilisant pour cela
2. Il existe des querelles d'écoles sur la sémantique des expressions « système de
change» et « régime de change ». Par souci de clarté, l'une ou l'autre expression est utilisée indifféremment dans ce texte.
1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
343
l'information disponible aujourd'hui. Avant d'en esquisser les plus probables, je voudrais consacrer la première partie de ce texte à quelques-uns
des mythes colportés au sujet de la zone CFA, mythes qui lui ont permis
d'échapper longtemps à une analyse économique rigoureuse.
Mythe n° 1 : «Le franc CFA est une monnaie africaine.» Tchundjang Pouémi avait ouvert un débat inachevé sur cette question en écrivant
que « le franc CFA, c'est une chimère: ce qui circule à Abidjan, à Dakar
comme à Lomé, c'est bien le franc français à cent pour cent. .. La France
est en effet le seul pays au monde à avoir réussi l'extraordinaire exploit de
faire circuler sa monnaie dans des pays politiquement libres» (1980 : 2527). Certains y ont vu un « faux débat », proclamant que la nationalité
d'une monnaie n'a qu'une importance marginale et que seules comptent sa
fonction et son importance économiques pour la société. Or, s'agissant du
franc CFA, c'est précisément là que le bât blesse. Si l'on définit la monnaie
comme étant avant toute chose une créance à vue sur le système bancaire,
comme le suggère Tchundjang lui-même, force est de reconnaître que les
coupures qui circulent actuellement de Dakar à Brazzaville remplissent
assez bien cette fonction. Mais il faut aller au-delà de cette définition pour
percevoir l'importance de la question. En effet, si Feldstein observe que
tous les États du monde ayant une certaine dimension disposent de leur
monnaie - « There is no sizable country anywhere in the world that does
not have its own currency» (1997: 61) -, c'est parce que l'histoire du
développement économique dans le monde et l'équation du progrès social
à travers les âges semblent lui accorder une place capitale.
En tout cas, sur le plan historique et politique, il est pour le moins hasardeux d'affirmer que le franc CFA est une monnaie africaine. Il suffirait
d'ailleurs de se rappeler la définition originelle de ce sigle (( franc des
colonies françaises d'Afrique») pour se rappeler les conditions de sa création. Le fait que la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest
(BCEAO) émette désormais le « franc de la Communauté financière de
l'Afrique », alors que la Banque des États de l'Afrique centrale émet le
« franc de la coopération financière africaine» ne change rien aux circonstances qui ont déterminé la mise en place de la zone CFA3.
L'importance de la dimension politique, sociale et psychologique de la
monnaie n'est donc pas négligeable. Mais sa nationalité a également une
grande importance économique puisqu'elle détermine son destin. Par définition, la notion de frontière nationale disparaît dans le cadre d'une union
monétaire. Il est cependant utile de noter que la zone CFA a ceci de particulier qu'elle ambitionne de regrouper comme « partenaires égaux»
d'anciennes colonies et l'ancienne métropole. Les conventions de coopération monétaire et les statuts de la banque centrale prévoient une place de
choix pour la France, y compris au conseil d'administration des deux ban3. Sur l'histoire de la naissance de la zone franc, voir Yansané (1984). Sur l'interprétation juridique et politique des circonstances de cette naissance, voir Monga (1997b).
344
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
ques centrales de la zone. Dirait-on du dollar qu'il s'agit d'une monnaie
américaine si le conseil des gouverneurs de la Fédéral Réserve Bank était
dominé par des cadres nommés par le gouvernement britannique, si sa
parité se déterminait par rapport à la livre, si la productivité et le revenu par
habitant à Londres étaient quarante fois supérieurs aux niveaux enregistrés
à Washington, et si les grandes décisions de politique monétaire et de
change étaient exclusivement déterminées par les considérations de stratégie de croissance en Grande-Bretagne?
Mythe n° 2: «Le franc CFA est une monnaie totalement convertible
garantie par le Trésor français. » Que signifie la convertibilité externe
d'une monnaie? En théorie, c'est sa capacité à servir librement d'instrument de transactions commerciales internationales entre les agents économiques de tout pays. En pratique, une telle définition pose des problèmes
de mise en œuvre. On s'aperçoit en effet que les autorités monétaires de
tous les pays disposent de divers moyens directs ou indirects de limiter la
convertibilité d'une monnaie. Il suffit par exemple d'augmenter la pression
fiscale sur les opérations de transfert de fonds de façon à décourager les
éventuels acheteurs de devises. C'est pourquoi certains auteurs comme
Sachs et Wamer (1995) tiennent désormais compte du niveau de taxation
des transferts dans la définition de la convertibilité.
S'agissant de la zone CFA, il convient d'abord de se rappeler que la convertibilité totale et les possibilités de transferts libres de fonds qui découlent des accords de coopération monétaires de 1972 et 1973 ne sont plus
véritablement respectées: depuis août 1993, le rachat des billets de banque
exportés en dehors du circuit bancaire officiel est «provisoirement
suspendu» (selon les termes de communiqués officiels publiés par les
deux banques centrales à cette occasion). Quelles que soient les justifications financières et économiques fournies par les autorités à cette occasion
(Ossie 1995), le fait est que la convertibilité du franc CFA est soumise
depuis cette date à des restrictions officielles.
Le corollaire de la convertibilité tant célébrée du franc CFA est la notion
de «garantie illimitée» accordée par la France. Ce mythe défie toute
logique: l'idée d'avoir une devise partagée par plusieurs pays souverains
mais nécessitant tout de même le soutien d'un autre pays pour être prise au
sérieux devrait paraître suspecte. Pour en mesurer l'incongruité, il faut
observer le schéma d'une transaction commerciale impliquant l'achat de
devises.
Un homme d'affaires burkinabè, désireux de s'offrir une machine-outil
américaine auprès d'un fournisseur installé à San Antonio au Texas, ouvre
un crédit documentaire auprès de sa banque à Ouagadougou. Celle-ci
s'adresse alors à la BCEAO nationale qui, à son tour, sollicite les services
centraux à Dakar. L'institut d'émission demande alors à la Banque de
France, intermédiaire obligée, d'acheter des dollars pour couvrir cette opération, et de débiter en contrepartie le compte BCEAO tenu dans ses livres
1 FCFA
=0,001 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
345
et géré par le Trésor français.
Où intervient la garantie de la France dans ce circuit? On peut se poser la
question, puisque la Banque de France n'exécute l'ordre d'achat de dollars
qu'en contrepartie d'un débit, soit sur un compte largement créditeur car
centralisant 65 % des avoirs en devises de l'ensemble des pays de
l'UEMOA, soit sur un compte débiteur dans des limites préalablement
autorisées (Yansané, 1984), et selon des conditions de taux qui ne sauraient
pénaliser sa propre trésorerie. De quoi parle-t-on lorsque l'on proclame
une « garantie illimitée» ?
Mythe n° 3: « Le franc CFA favorise la stabilité macroéconomique. »
La stabilité macroéconomique au sein de la zone CFA est actuellement
assurée par le biais de dispositions limitant les avances annuelles que les
banques centrales peuvent accorder aux États: ces concours ne devraient
pas excéder 20 % des recettes fiscales nationales de l'exercice précédent.
Cette règle s'impose dans une union monétaire; en effet, si chaque État
avait le loisir de financer son déficit public par la création monétaire, la
pression inflationniste épuiserait rapidement les réserves de change de la
zone. Si l'on admet l'équation:
(1)
<1>
= 0+E+y
où <1> représente le déficit budgétaire, 0 la création monétaire, E les
emprunts intérieurs (crédits accordés par le secteur privé), et y les
emprunts obtenus à l'extérieur, la question qu'il faut alors se poser dans le
cas des pays de la zone CFA est celle de savoir quelle est l'efficacité pratique des dispositions adoptées. Or, diverses études empiriques sur la question montrent que la discipline budgétaire et la stabilité macroéconomique
n'ont jamais été véritablement respectées au sein de la zone 4 . En effet,
l'équation (1) indique bien qu'il ne suffit pas de contrôler 0 pour maîtriser
l'évolution de <1>: en se focalisant sur la création monétaire directe
(emprunts des États auprès des banques centrales), les concepteurs de la
zone ont délaissé E et y, n'appliquant aucun plafond ni aux emprunts à
l'étranger, ni aux refinancements des emprunts d'États auprès des banques
centrales, ni aux emprunts garantis par l'État. Par ailleurs, à différentes
époques, des pays comme le Bénin et le Niger ont été expressément dis4. Voir Devarajan et Walton, 1994.
346
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
pensés de la règle des 20%, ceci en raison des circonstances particulièrement difficiles auxquelles ils étaient confrontés.
En théorie, le plafond sur les emprunts extérieurs est fonction de la réputation, la crédibilité et la solvabilité de chaque État. En pratique, l'on s'est
aperçu que des banquiers imprudents n'avaient pas hésité à prêter bien audelà de la capacité d'endettement de nombreux pays en développement.
Dans le cas de la zone CFA, certains pays comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal ou le Cameroun ont sollicité des crédits fort coûteux auprès des marchés
financiers où ils ont, bien souvent, trouvé des prêteurs imprudents. Le
fameux compte d'opérations qui devait servir, entre autres, à limiter l' endettement extérieur n'a pas fonctionné comme prévu. Les « grands » États de
la zone ont ainsi vécu et continuent de vivre sur le dos des « petits », puisque
leurs déficits budgétaires pèsent sur l'ensemble de l'union.
Ceci est encore plus évident lorsque l'on considère les montants et l' évolution des emprunts intérieurs autres que les avances dérivées de la règle
des 20%. Certes, ceux-ci n'influencent pas mécaniquement le niveau des
prix mais ils altèrent le niveau d'endettement réel de chaque pays, ainsi
que les comptes globaux de la banque centrale. Ainsi, depuis une dizaine
d'années, un des aspects les plus importants des programmes de restructuration des systèmes financiers des pays de la zone a été de transférer les
créances bancaires non recouvrées auprès des États sur la banque centrale.
Les « grands» pays (Côte d'Ivoire, Sénégal, Cameroun) sont ainsi parvenus à imposer à la BCEAO et à la BEAC leurs dettes impayées auprès des
banques commerciales. Or la banque centrale ici appartient à tous les pays
de l'union, et ceux-ci se retrouvent en fait en train de régler des factures qui
ne les concernent pas. Comme l'observent Devarajan et Walton, « en finançant une partie de leur déficit budgétaire par accumulation d'arriérés à
l'égard du secteur privé, [ces États] ont exporté leur déficit dans l' ensemble de l'union ». (1994: Il).
Le succès des pays CFA en matière d'inflation, par opposition aux pays
africains non membres de la zone, est la raison principale pour laquelle
certains auteurs recommandent non seulement le maintien de l'union, mais
son extension. Collier (1991) estime ainsi que la présence d'un partenaire
comme la France permet d'exercer une vraie discipline sur la gestion de la
politique monétaire et suggère la généralisation de ces instruments de contrainte (agencies afrestreint). A cette thèse, l'on peut opposer le fait que la
seule maîtrise du niveau d'inflation ne saurait constituer un objectif de
politique économique. Pour emprunter le langage du président gabonais
Omar Bongo (1998), « On ne mange pas la paix! », On ne « mange» pas
la maîtrise de l'inflation! Ce d'autant que l'idée largement répandue selon
laquelle le franc CFA favorise les investissements en Afrique francophone
ne résiste pas à l'analyse empirique (Monga, 1997a).
Mythe n° 4:« La parité actuelle du franc CFA est la bonne•.. » Cette
déclaration ponctue chacun des communiqués publiés ces dernières années
à l'issue des réunions de la zone franc. Le sous-entendu ici est évident: « II
1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
347
n'y aura pas de dévaluation du franc CFA. » Dans une étude récente, deux
économistes du FMI la reprennent à leur compte: « The prospective shift in
the link of the CFA franc from the French franc to the Euro will constitute
a significant political and psychological change for the economic operators
in the CFA franc zone. However, the shift willleave the CFA franc arrangements and operatingfeatures of the zone essentially unchanged, white the
CUITent parity of the CFA franc could be considered as broadly in line
withfundamentals [... ] At any rate, the authorities ofthe CFA countries have
already announced their intention to maintain the parity of the CFA franc
vis-à-vis the French franc in shifting the peg to the Euro, thus precluding any
new dévaluation of their CUITency » (Hadjimichael and Galy, 1997, 5, 22).
Il s'agit là d'une approche plus politique et émotionnelle que technique
de la monnaie. C'est la même perception qui a conduit le président gabonais Omar Bongo à confesser récemment: «Je ne le cache pas: j'étais un
fervent antidévaluation. Quand je suis arrivé à Dakar, je l'ai dit au ministre
français de la Coopération, Michel Roussin, et à mon ami directeur général
du FMI Michel Camdessus, ainsi qu'au représentant de la Banque mondiale. Devant tous mes collègues, je leur en ai fait baver. Ah oui! Ils ont
obtenu ce qu'ils voulaient, mais ils en ont bavé!... Le Gabon n'a pas beaucoup profité de la dévaluation parce qu'il n'est pas un pays à vocation agricole. Ce sont surtout ceux-là qui ont profité de la dévaluation. Pas les pays
tournés vers l'industrie ou les matières premières. Effectivement, on s'est
fait avoir. .. » (1998: 88.) Les responsables politiques et les dirigeants
d'institutions financières qui profèrent ce type de déclarations ne font que
leur travail - il ne manquerait plus qu'ils annoncent à l'avance l'imminence d'un changement de parité de la monnaie dont ils sont supposés
défendre la valeur. .. Mais l'illusion du propos tient ici au fait qu'en toutes
circonstances et pour toute monnaie, il est présomptueux de proclamer que
la parité du moment est la bonne. Car en fonction des méthodes et des indicateurs que l'on choisit d'observer, de la période de base définie, et des
postulats adoptés pour un certain nombre de variables reflétant les
« fondamentaux de l'économie », le taux de change réel d'équilibre peut
avoir des valeurs très différentes 5 . Lorsque l'on affirme avec conviction
que la parité de la monnaie est « la bonne », sans expliquer les raisons
techniques qui ont conduit à une telle conclusion, le diagnostic ressemble
à une incantation liturgique ou idéologique.
5. Par ailleurs, il est important de préciser l'horizon temporel dont il est question lorsque l'on évalue le taux de change réel (TCR) et ses déterminants. Car les facteurs qui
influencent le TCR à court terme (différentiels de taux d'intérêt par exemple) ne sont pas
les mêmes que ceux qui l'influencent sur la longue durée (propension à épargner ou à
investir par exemple). De plus, selon que l'on choisit une année de base en examinant les
périodes d'équilibre dans le passé, ou que l'on essaie de prédire quel sera le TCR d'équilibre dans le futur, ceci par projection des « fondamentaux » de l'économie, les méthodes de
travail et les résultats peuvent être très différents. Cf Clark et al. (1994). Voir également la
synthèse de Bénassy (1993).
348
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Problèmes méthodologiques. Il y a plus de cinquante ans, Nurkse a défini
les caractéristiques d'un taux de change d'équilibre: celui-ci doit permettre
l'équilibre de la balance des paiements tout en respectant trois conditions:
(i) ne pas poser des restrictions aux flux commerciaux; (ii) ne pas offrir
d'incitations spéciales aux entrées ou aux sorties de capitaux; (iii) ne pas
provoquer de chômage excessif (1945). Autrement dit, le taux de change
d'équilibre doit faciliter l'équilibre interne - défini comme étant, grosso
modo, une situation de plein emploi sans distorsions importantes au niveau
des politiques économiques - et l'équilibre externe -, c'est-à-dire un solde
soutenable de la balance des paiements. Un changement de parité n'intervient donc que pour ramener le taux de change réel (TCR) à son niveau
d'équilibre. Les déclarations tonitruantes, démentant catégoriquement plusieurs années à l'avance l'opportunité d'une dévaluation du franc CFA, ne
reposent sur aucun argument scientifique sérieux. Car aucun des États de la
zone CFA ne dispose actuellement de l'appareillage et des outils statistiques nécessaires à une évaluation précise du TCR. Les estimations disponibles dans ce domaine sont généralement les indices publiés par les
banques centrales et les institutions financières internationales. Elles sont
effectuées soit selon la méthode de la parité des pouvoirs d'achat (PPA),
soit selon la méthode FMI. Or, l'une et l'autre méthode ont d'importantes
limitations qui altèrent la force des conclusions que l'on peut en tirer.
Les limites de la parité des pouvoirs d'achat. S'agissant de la méthode
PPA6, il existe trois variantes: (i) la loi du prix unique qui considère que les
prix individuels des marchandises homogènes dans différents pays
devraient s'égaler; (ii) la variante de PPA absolus, qui étend la loi du prix
unique par produit à l'ensemble des produits commercialisés et implique
que le prix d'un panier de biens et services identiques, exprimé dans la
même devise, devrait s'égaler dans tous les pays; (iii) la variante de PPA
relatifs, qui considère seulement que l'évolution du taux de change nominal exprime la différence entre les taux d'inflation domestique et étranger,
sur les mêmes paniers de biens et services.
Les travaux empiriques consacrés à l'examen de ces différentes variantes
de la méthode PPA tendent à conclure que la loi du prix unique est valide
pour les matières premières et les produits homogènes vendus sur des marchés bien organisés, moyennant les ajustements imposés par les conditions
particulières de chaque contrat. Mais elle résiste mal à l'analyse lorsqu'on
l'applique aux produits manufacturés soumis à la compétition internationale. La validité des deux autres variantes est également pénalisée par les
différences de coûts de transport et d'information entre les pays, et les barrières institutionnelles au commerce international (tarifs et quotas), qui
limitent la capacité des entreprises et des ménages à profiter des différences de prix entre pays.
6. Voir la collection d'articles publiés autour de ce thème par Dombusch (1988).
1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
349
Résumons: bien qu'étant intuitivement séduisante, la méthode PPA
n'offre pas de résultats suffisamment solides, il est donc imprudent de se
satisfaire d'un TCR calculé sur la base de la méthode PPA pour conclure
que la parité actuelle du franc CFA est la bonne. Il y a plusieurs explications à cela: d'abord, les effets d'hystérésis 7 dus aux coûts d'ajustement en
matière commerciale, peuvent provoquer des déviations du TCR.
Exemple: les exportateurs sénégalais de thon peuvent ne pas profiter d'un
accroissement des prix sur le marché parce que les structures de production
ne permettent pas de satisfaire le surcroît de demande. Les flux commerciaux ne réagiront alors pas aux changements survenant au niveau du TCR.
Deuxième cause possible de déviation: l'existence de produits différenciés
implique que les différentiels de taux de croissance et d'élasticité de
revenu entre pays peuvent constituer d'importants déterminants des tendances à long terme du TCR.1l n'est donc pas aisé de distinguer les évolutions de TCR reflétant des changements structurels et ceux correspondant à
de véritables gains de compétitivité. Ainsi, si la demande mondiale pour le
coton malien baisse, les prix baisseront et le TCR d'équilibre aura tendance à se déprécier, les autorités maliennes auraient tort dans ce cas-là
d'interpréter cette dépréciation réelle comme étant un gain de compétitivité. Une troisième cause de déviation du TCR est la rigidité des prix des
biens et services lorsque ceux-ci sont exprimés en monnaie dans laquelle
ils sont commercialisés. En cas de changements imprévus du niveau de la
masse monétaire, les prix tendent à évoluer de façon erratique. Ainsi, face
à un accroissement permanent du volume de monnaie en circulation, le
taux de change nominal se déprécie d'abord, passant même en dessous de
son niveau d'équilibre, puis, il remonte progressivement pour se stabiliser
à son niveau d'équilibre 8 • Ce phénomène provoque donc un décalage dans
les processus d'adaptation des marchés financiers (qui réagissent immédiatement aux chocs exogènes) et des marchés de biens et services (qui s'ajustent à moyen terme). Enfin, un quatrième facteur affectant le taux de
change d'équilibre et perturbant la théorie des PPA est le différentiel de
productivité dans les secteurs des biens échangeables et non échangeables.
Pour le comprendre, il faut se rappeler que dans ce monde de plus en plus
globalisé, l'offre et la demande de biens échangeables s'équilibrent audelà des frontières des nations, ce qui n'est pas le cas pour les biens non
échangeables. En effet, la compétition internationale finit par égaliser
grosso modo les prix des biens échangeables, alors que les prix des biens
non échangeables peuvent varier considérablement d'un pays à l'autre. Si
l'on utilise comme base de calcul du TCR entre deux pays des indicateurs
incluant les deux catégories de biens-indice des prix à la consommation ou
7. Le tenne « hystérésis » provient de la physique. Il est utilisé par les économistes pour
désigner un phénomène dont les effets demeurent quand bien même la cause a disparu.
Blanchard en énonce bien le principe d'une phrase lapidaire: «The dependence of a variable on its whole history » (1997: 418). Voir également Blanchard and Summers (1986).
8. C'est la fameuse notion du « overshooting » élaborée par Dombusch (1988).
350
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
le déflateur de PIB, le résultat est évident: les pays enregistrant des gains
de productivité plus rapides dans le secteur des biens échangeables (industries tournées vers l'exportation) que dans celui des biens non échangeables (services) afficheront une nette tendance à l'appréciation de leur TCR.
Si demain la Côte d'Ivoire, comme le Japon hier - et d'ailleurs la plupart
des pays industrialisés -, réalisait des gains de productivité plus rapide que
ses partenaires commerciaux de l'UEMOA dans le secteur des biens
échangeables, la monnaie ivoirienne s'appréciera d'autant.
Au-delà de l'indicateur FMI. A une époque où les changements structurels de l'économie mondiale influencent largement le taux de change
d'équilibre des économies ouvertes, il est donc clair que la compétitivité
d'une économie ne saurait se mesurer simplement au travers des indicateurs du style PPA comme le font les services des banques centrales de la
zone CFA. Il importe d'évaluer l'ensemble des facteurs qui affectent cette
notion pour établir un diagnostic complet. Allant au-delà des méthodes de
PPA, le FMI utilise pour les pays en développement une méthode de calcul
plus ambitieuse du taux de change effectif réel (TCER) basée sur l'indice
des prix à la consommation et une estimation de la répartition des exportations par principal partenaire commercial. Cette méthode a également de
nombreuses limites: d'abord, le calcul des indices de prix et celui des
exportations posent de nombreux problèmes dans les pays de la zone
CFA9. Ensuite, cet indicateur se focalise sur la notion de compétitivité
internationale et postule le caractère immuable du taux de change d'équilibre sur une durée relativement longue - ce qui n'est évidemment pas le
cas pour des économies soumises à d'importants changements structurels.
En fait, il serait utile d'étendre l'analyse du TCER au cadre macroéconomique global et d'étudier tous les facteurs qui influencent le taux d'équilibre.
En zone CFA comme ailleurs, pour identifier véritablement les déterminants du TCER et calculer le niveau d'équilibre, deux étapes sont
nécessaires: identifier les variables macroéconomiques qui permettent à
chaque pays d'atteindre l'équilibre interne et externe et calculer les taux du
change qui est cohérent avec ces variables. Un diagramme suggéré par
Krugman et Obstfeld (1996) permet de poser schématiquement le problème. Si l'on met le TCR sur l'axe des ordonnées et la demande résultant
d'une politique budgétaire expansionniste en abscisse, l'on peut représenter graphiquement les équilibres macroéconomiques. Pour le comprendre,
il faut reprendre l'équation initiale des comptes nationaux. Celle-ci prescrit
9. Un seul exemple: il y a toujours une différence de 25 à 50 milliards de FCFA entre
les chiffres d'exportations dans les balances de paiements du Burkina Faso publiées par le
FMI et la BCEAO. Ce montant non négligeable - de 17 à 35 % du total des exportations en
1997 - représente ce que les experts burkinabè considèrent comme étant d'« autres
exportations» échappant à la sagacité des services douaniers, mais reconstituées sur la
base de billets de banque rachetés aux pays voisins par l'agence nationale de la BCEAO.
S'ils ont raison, alors le TCER calculé par le FMI ne reflète pas la réalité économique du
terrain.
1 FCFA =0,001 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
351
Figure 1. Évolution du TCER-FMI dans trois pays de l'UEMOA
120.0
100.0
b....n.
...A.~
80.0
~
60.0
40.0
-Sénégal
- -+ -
Côte d'Ivoire
--O--Burkin4
20.0
0.0
....
a:>
~
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Cl<
~
....
Cl<
Source: FMI, International financial statistics, and World bank, African development
indicators, 1997
que la demande globale pour la production d'un pays est la somme de la
consommation C, de l'investissement J, des dépenses publiques G, et de la
balance courante BOP. La consommation est une fonction croissante du
revenu disponible (Y - T), Y étant la production et T le niveau net des
impôts et taxes. Le surplus courant de la balance des paiements est une
fonction croissante du taux de change réel EP* /P et une fonction décroissante du revenu disponible (E est le taux de change nominal, P* le prix
d'un panier de biens à l'étranger, et P le prix local du même panier). Si l'on
suppose l'investissement constant, la condition d'équilibre macroéconomique interne peut s'écrire:
yi - C(Y - T) + 1 + G + BOP(EP*/P, Yf - T)
Cette équation montre bien les instruments de politique économique qui
influencent la demande et donc la production, tout au moins à court terme.
Une politique budgétaire active (augmentation des dépenses publiques ou
baisse des impôts et taxes) stimule la demande globale et accroît la production. De même, une dépréciation du TCR rend les produits locaux moins
chers et augmente également la production. Les autorités peuvent donc
théoriquement maintenir la production à un niveau de plein emploi stable
en jouant sur la politique budgétaire ou la politique du taux de change.
L'équilibre interne est représenté par la courbe I* , qui exprime les combinaisons de niveaux de TCR et de politique budgétaire assurant le plein
emploi. Sa pente est descendante car une dépréciation du TCR (exprimé en
unités de francs CFA pour un dollar) ou une politique d'expansion budgétaire tendent à augmenter la production. Pour maintenir celle-ci constante
et assurer l'équilibre interne, toute appréciation de la monnaie ayant pour
effet de réduire la demande devrait être compensée par une politique budgétaire active. A droite de la courbe I* , la politique budgétaire est plus
expansionniste que nécessaire pour maintenir le plein emploi, ce qui signifie
(2)
352
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
TCER
Politique budgétairr .ctI"e
que les facteurs de production sont sur-utilisés. A gauche, c'est le contraire:
la politique budgétaire est trop rigide et il y a un chômage excessif.
Par ailleurs, le recours à ces outils affecte évidemment l'équilibre extérieur. Pour en analyser schématiquement les effets, l'on peut imaginer un
objectif précis défini dans ce domaine par les autorités. Appelons-le
BOP* . Pour atteindre ce niveau de balance courante, les autorités doivent
adopter des politiques budgétaires et de taux de change satisfaisant l' équation suivante:
Compte courant (EP*/P, Y - T)BOP
Pour des niveaux de prix donnés (p* et P), une augmentation du taux de
change nominal E (dépréciation) améliore la balance courante. Mais une
politique budgétaire expansionniste a l'effet inverse car l'augmentation du
revenu disponible est souvent détournée vers les importations, si le gouvernement dévalue la monnaie (il augmente E) et voudrait tout de même
maintenir sa balance courante à un niveau donné de BOP, il doit donc en
même temps augmenter les dépenses publiques ou diminuer les impôts et
taxes. L'équilibre externe est illustré ici par la courbe BOP*, dont la pente
est ascendante pour indiquer cette relation.
Ces deux courbes divisent le graphique en quatre zones représentant chacune les effets combinés possibles des instruments utilisés. Le recours
simultané à la politique budgétaire et au taux de change peut aider à mouvoir l'économie nationale vers le point d'équilibre que représente l'intersection des courbes (A). Il suffit de regarder les statistiques macroéconomiques des pays de la zone CFA pour conclure que la plupart d'entre eux
sont bien loin du point A. La situation était certes plus grave encore au
début de la décennie quatre-vingt-dix: après avoir mis en œuvre pendant
plusieurs années et sans succès des politiques budgétaires nationales destinées à modifier la demande totale des biens et services (politique de changement des dépenses), ces pays ont dû en janvier 1994 recourir au
changement de parité du franc CFA. Cet ajustement ambitionnait de modifier la direction de la demande (politique de substitution) en décourageant
les importations pour rendre la production nationale plus attrayante.
(3)
1 FCFA
=0,001 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
353
y sont-ils parvenus? L'objet de cette étude n'étant pas d'évaluer l'impact
de la dévaluation de] 994,je me garderai d' un jugement péremptoire et globalisant. Mais il est clair cependant que les principaux objectifs énoncés par
le communiqué publié le jour de l'annonce de cette opération sont encore
loin d'être vraiment atteints (amélioration de la compétitivité, afflux des
capitaux privés et reprise des investissements, règlement du problème de la
dette extérieure, accroissement de la production et amélioration
« substantielle» du revenu par habitant. .. ). Il suffit d'ailleurs d'essayer de
placer les pays de la zone CFA sur le graphique ci-dessus pour réaliser
l'ampleur du travail qui reste à faire: la plupart d'entre eux se trouveraient
en zone 3, là même où le chômage cohabite avec un déficit excessif de la
balance courante. En conclusion, peut-on affirmer que la parité du franc
CFA actuellement est la bonne? La réponse juste, mais triste et décevante,
est que les concepteurs de politiques publiques n'en savent rien du tout.
Mythe n° 5: « La zone CFA facilite l'intégration économique et politique en Afrique. »
La plupart des partisans de la zone CFA affirment que celle-ci contribue
au rapprochement des économies et des peuples africains. Un tableau fourni
par Hadjimichael et Galy (1997) et présentant la part du commerce intrazone pendant près d'un quart de siècle (1970-1993) donne une assez bonne
idée de la faiblesse des relations commerciales entre les membres de la zone.
Tableau 1 - En pourcentage du total du commerce extérieur
Au sein de la zone CFA
Part du commerce
Bénin
5,1
Burkina
22
Cameroun
6,1
Centrafrique
Tchad
Comores
Congo
3,5
14,5
0,0
1,5
Côte d'Ivoire
Guinée-Équatoriale
Gabon
Mali
Niger
Sénégal
16,6
2,6
23,3
6,3
9,0
Togo
Moyenne des pays CFA
6,5
8,9
Au sein de l'UEMOA
Bénin
Burkina
Côte d'Ivoire
4,9
21,9
Mali
7,6
6,5
23,2
354
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Niger
Sénégal
Togo
Moyenne des pays de l'UEMOA
6,2
6,0
5,8
10,6
Au sein de la CEMAC
Cameroun
4,3
Centrafrique
3,2
Tchad
Congo
13,3
0,7
Guinée-Équatoriale
16,2
Gabon
0,8
En moyenne, le commerce intra-zone CFA représente environ 9 % du
commerce extérieur des États membres de l'union (10,6% en Afrique de
l'Ouest et 6,4% en Afrique centrale). Par comparaison, plus de 60% du
commerce extérieur des pays de l'Union monétaire européenne s'effectue
actuellement entre eux - ceci avant l'adoption de la monnaie unique.
Même si l'on admet qu'une fraction non négligeable des échanges commerciaux en Afrique se fait de manière informelle et n'est pas enregistrée
dans les statistiques douanières, la part du commerce intra-zone CFA
demeure très faible. L'intégration économique dont on parle tant tarde à se
matérialiser. Une des principales explications à ce paradoxe tient à l'adoption de politiques protectionnistes, comme l'explique Michailof (1995).
Mais de nombreuses autres raisons peuvent être invoquées, tenant aussi
bien à l'histoire qu'à la culture.
S'agissant du rapprochement politique, il faut noter que les deux traités
créant l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la
Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC) ont
été signés au lendemain de la dévaluation du franc CFA pour accélérer
l'intégration. Il suffit cependant d'observer les entraves à la libre circulation
des personnes en Afrique centrale pour mesurer le chemin à parcourir en
matière de flexibilité du marché du travail. De même, il faudrait écouter certains dirigeants politiques ivoiriens célébrer le culte de 1'« ivoirité » pour
s'interroger sur la réalité de leur agrément en faveur de l'intégration.
Quatre scénarios d'avenir
La discussion ci-dessus montre bien pourquoi l'avenir de la zone CFA
est incertain. Dans cette deuxième partie, je présente et commente quatre
scénarios parmi les plus probables, tout en étant bien conscient de ne pouvoir être exhaustif ni sur les options possibles, ni même sur les détails de la
mise en œuvre des scénarios retenus ici.
1 FCFA =0,001 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
355
Scénario A: s'arrimer à un taux fixe à ['euro? Macroéconomie de
['illusion
Le scénario officiel de la transition. Confinné par les communiqués
publiés à l'issue de chacune des réunions des ministres de la zone franc, ce
scénario est le suivant: le franc français devient le 1er janvier 1999 une
dénomination nationale de l'euro, à une parité qui est irrévocablement
fixée à cette date. Le franc CFA subira automatiquement la même transformation, devenant subrepticement une subdivision africaine de l'euro. Toujours selon la thèse officielle, ces évolutions ne modifieront pas la garantie
de convertibilité à taux fixe du franc CFA et du franc comorien par rapport
à la monnaie européenne. Un communiqué de la zone l'affinne (Zone
franc, 1998): « Les accords de coopération qui lient la France et les unions
monétaires de la zone franc et les Comores seront maintenus dans leur contenu actuel» - même si le contenu en question n'est pas forcément clair
pour tout le monde.
Le franc CFA conservera son cours légal et la France « continuera d'en
garantir la convertibilité ». Sa parité étant définie par rapport au franc français (au taux actuel de 1 FCFA = 0,01 FF) et le franc français étant une subdivision de l'euro jusqu'en 2002, la valeur de l'euro en francs français
connue le 1er janvier 1999 détermine mécaniquement le même jour la
valeur de l'euro en francs CFA. La valeur de l'euro en francs français est
exprimée avec six chiffres significatifs (1 euro = 6,559 57 FF); au cours
actuel, 1 euro vaudrait 6,56 FF, soit 656 FCFA, et 1 FCFA vaudrait
0,001 54 euro.
Confinnant ces arrangements, le chef de l'État ivoirien Henri Konan
Bédié résume bien le propos de ses pairs de la zone CFA lorsqu'il affinne:
« Le franc CFA, depuis sa dévaluation de 1994, est parfaitement compétitif
et assure pleinement sa fonction de relance de l'économie ouest-africaine.
Au nom de quelles règles voudrait-on changer la parité? L'euro ne fera que
conforter les tendances positives qui contribuent à sa stabilité. L'Union
européenne vient de donner son accord à la garantie de notre monnaie par
le Trésor français. Notre monnaie se convertira librement en euro le jour où
le franc français disparaîtra. Avec la garantie du franc français» (1998: 31).
L'euro sera très probablement une monnaie forte. C'est un choix politique inspiré notamment par l'Allemagne, et justifié sur le plan technique
par le fait que cette nouvelle devise ambitionne de se poser directement en
concurrent du dollar américain comme unité de compte des transactions
internationales et valeur-refuge lO • La politique monétaire envisagée par la
future Banque centrale européenne (BCE) reflète d'ailleurs cette volonté
d'établir la crédibilité de la monnaie en privilégiant l'objectif de stabilité
10. Dornbusch.(1998) doute de fa capacité de la Banque centrale européenne d'imposer
l'euro comme concurrent du dollar. tout au moins pendant les premières années de son lancement. Quant à Krugman (1998), il s'interroge sur les bénéfices réels de disposer d'une
monnaie qui sert de devise internationale.
356
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
des prix clairement exprimé dans le traité de Maastricht, et confirmé par
différentes dispositions du Pacte de stabilité et de croissance. Le simple
suivi d'objectifs préalablement fixés pour les agrégats monétaires ne saurait suffire pour atteindre cet objectif, dans un contexte d'incertitude à propos de la demande de monnaie et du fonctionnement des mécanismes de
transmission. Agissant comme « agent )) d'un groupe de pays aux situations économiques différentes, la BCE devra établir des règles de mise en
œuvre d'une stratégie monétaire draconienne impliquant notamment la
poursuite d'objectifs d'inflation et la manifestation d'une réputation
d'indépendance (Begg, 1997).
Dès lors, la question qui se pose pour les pays de la zone CFA est de
savoir si, du point de vue économique, ils ont véritablement intérêt à établir
une parité fixe avec une monnaie aussi forte. Quand bien même ils auraient
intérêt à le faire, l'autre question qui vient à l'esprit est de savoir s'ils
auraient les moyens d'une telle politique.
Les attraits de l'euro-CFA. D'un point de vue purement conceptuel,
l'idée d'un franc CFA rattaché à l'euro peut susciter un certain enthousiasme a priori. Les défenseurs de cette thèse soulignent:
- (i) la possibilité offerte aux économies africaines d'accéder librement
au large marché européen. Cette possibilité apparaît d'autant plus probable
aux yeux des optimistes qu'actuellement, les pays de l'Union européenne
constituent le premier marché et les principaux fournisseurs de la zone
CFA: entre 1990 et 1996, l'Union européenne a fourni en moyenne 46,3%
des importations de l'UEMOA, et 66,3 % de celles des pays de la CEMAC.
Elle a également acheté 49,3% des exportations de l'UEMOA, et 50,2%
de celles de la CEMAC II ;
- (ii) le gain de stabilité dans la gestion des transactions commerciales
internationales et l'attrait procuré par la puissance de l'euro. La nouvelle
monnaie européenne aura besoin d'établir rapidement sa crédibilité. La
BCE adoptera donc une politique monétaire visant à inciter les détenteurs
de capitaux à détenir des actifs libellés en euros. Ceci provoquera dans un
premier temps une réallocation des portefeuilles d'actifs en dollars, et une
nette appréciation de cette devise (overshooting 12 ) ;
- (iii) le faible niveau d'inflation procuré par la baisse des taux d'intérêt
en Europe.
Quelques dangers pour l'Afrique de l'euro-CFA. Il ne faudrait pas céder
à l'illusion: ce scénario est trop optimiste pour être vrai.
(i) Il n'est absolument pas sûr que le rattachement du CFA à l'euro ouvre
davantage les marchés européens aux industries africaines. Ceci pour plusieurs raisons: l'élasticité-prix des exportations est assez faible en zone
CFA comme on a pu le voir après la dévaluation de 1994 (inefficacité des
systèmes financiers, problèmes juridiques administratifs structurels de
Il. Source: Direction of Trade Statistics.
12. Voir Artus (1996) et Bergsten (1997).
1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
357
l'environnement des affaires, médiocre qualité des systèmes de transports
et de communication, etc.). Par ailleurs, la dépréciation des monnaies asiatiques au cours des douze derniers mois, estimée de l'ordre de 30 à 40%,
affecte indirectement la compétitivité des pays africains qui offrent les
mêmes produits.
(ii) Le rattachement du franc CFA à un euro fort provoquera une appréciation continue et progressivement insoutenable du TCER. Pour des économies ouvertes, aucun danger n'est plus menaçant que celui-là. Car si des
mesures ne sont pas prises pour ramener le TCER à son niveau d'équilibre,
l'on enregistrera une nette baisse des investissements, l'aggravation du
chômage et la fuite des capitaux.
(iii) L'instabilité des revenus d'exportations et du poids de la dette pourrait s'aggraver. Les économies des pays CFA dépendent largement des
cours des matières premières libellés en dollars. Or il est hautement probable que la Volatilité de l'euro (et donc de l'euro-CFA) à l'égard des
autres grandes devises sera plus importante que par le passé. BénassyQuéré et al. estiment qu'à cause de l'importance accrue du commerce
intra-européen, la BCE se préoccupera moins de l'instabilité de la parité
euro-dollar ou euro-yen. Pour les pays africains, cela signifiera aussi une
plus grande incertitude sur les coûts financiers des importations et de la
dette extérieure.
(iv) La vulnérabilité des économies CFA se percevra davantage dans
l'évolution des termes de l'échange. Si, pour l'instant, les statistiques disponibles indiquent un certain maintien depuis la dévaluation de 1994, l'on
est encore bien en deça du niveau de 1987. Par ailleurs, les projections de
l'évolution des prix des principales matières premières sont peu optimistes. Lorsque l'élasticité-prix de la demande d'importations est faible et les
possibilités de substitution des biens échangeables par les biens non échangeables réduites, toute dégradation des termes de l'échange requiert une
dépréciation importante de la monnaie pour maintenir l'équilibre macroéconomique.
Scénario B: décrocher de l'euro et maintenir la zone CFA? Les
dilemmes de lafratemité
Pourquoi ne pas maintenir l'existence d'une zone CFA dont la France se
serait retirée? Cette thèse est le plus souvent exprimée par les économistes
africains plus soucieux de la prédominance du rôle joué par la France au
sein de la zone, que des principes théoriques de sa validité. Car si les avantages d'une telle option paraissent indéniables, l'on s'aperçoit à l'analyse
qu'ils demeureraient cependant essentiellement de nature politique.
L'argumentation développée ici a donc généralement un caractère plus
politique qu'économique. Or la principale critique que je formule ici à
l'endroit de l'union monétaire africaine est précisément la primauté des
considérations idéologiques sur les arguments techniques.
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
358
Figure 2. Evolution des termes de l'échange de quelques pays CFA
160.0 - r - - - - - - - - - - - - - - ,
140.0
_. -6-' Bwtina
120.0
100.0 )ll!l'iQoo-oo::-\.J*-n
~.O
~---Benin
'x~'.:.:X':':'X:':' ~
60.0
--o--MaIi
••••••••. Sébégal •.
40.0
-Je-Côte d'Ivoire
20.0
0.0
+--+--+-~+--f-__+-+__+__+--j
~
~
~
~
~
~
~
~
~
~
S
Source: World bank, African development indicators, 1997.
(i) Les charmes de l'utopie et les leçons de la théorie. Conserver une
zone CFA débarrassée du poids prépondérant de la France équivaudrait à
sortir la France du groupe actuel. L'argument essentiel avancé par les partisans de cette thèse est que la « tyrannie» du compte d'opérations par
laquelle la France gère les avoirs extérieurs des pays africains serait abolie,
les États africains décidant librement soit de rattacher leur monnaie commune à une autre devise (le dollar américain par exemple) ou à un panier
de devises, soit de la laisser flotter librement - ce qui, dit-on, permettrait
aux économies de s'ajuster plus facilement aux chocs extérieurs. Se poseraient alors simplement les problèmes de la gestion des recettes en devises
de la zone et de « garantie de convertibilité» actuellement assurée par la
France, et l'élaboration des règles d'une politique monétaire commune
conduite sans l'intervention de Paris.
. .
Ce scénario constitue une belle ùtopie qui a certes son charme l 3, mais
demeure pour l'instant peu souhaitable sur le plan macroéconomique.
Disons-le tout net: le fait de déconnecter le franc CFA du franc français ou
de l'euro ne changerait pas fondamentalement le problème de la viabilité
technique de l'union monétaire entre les pays africains. Autrement dit,
l'actuelle zone franc ne deviendrait pas du jour au lendemain une zone
monétaire optimale simplement parce que la France n'en ferait plus partie.
Rappelons-nous que les principaux arguments à prendre en compte pour
juger de la désirabilité d'un système de change fixe entre plusieurs pays
incluent le degré d'intégration économique entre ceux-ci.
Un cadre conceptuel simple et désormais standard 14 aide à exprimer la
13. Une des raisons de l'attrait de cette idée tient probablement au fait qu'elle semble
correspondre au rêve panafricaniste. Elle a donc une résonance politique positive pour
beaucoup d'auteurs africains et africanistes.
14. Voir Krugman (1992) et De Grauwe (1992).
1 FCFA:: 0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
359
problématique qui se pose lorsque deux pays ayant chacun leur monnaie
nationale et commerçant ensemble envisagent de fixer irrévocablement
leur taux de change.
En pour<entage
du PIB natiQnaI
Bénéfices de l'union
COOls de l'union
selon les Keynésiens
Coûts de l'union
~"-7----- selon les monétaristes
Commerce Intra-zone
en pourcentage du PIB
de la zone monétaire
En abscisse, l'on mesure le commerce entre les deux pays considérés en
proportion de leur produit intérieur brut global. Sur l'axe des ordonnées,
les coûts et bénéfices d'une éventuelle intégration monétaire sont mesurés
en pourcentage du produit intérieur brut. La courbe illustrant les bénéfices
a une pente montante parce que plus la part du commerce intra-zone est
importante, plus les avantages d'un taux de change fixe au sein de la zone
sont considérables, car l'incertitude au sujet du taux de change est réduite
et la fonction d'unité de compte jouée par chacune des monnaies nationales est accrue. La courbe des coûts a une pente descendante pour deux raisons principales: d'abord, plus le niveau de commerce initial au sein de
l'union est élevé, moins sont importants les ajustements de prix nécessaires pour amortir les chocs extérieurs.
Si l'on veut appliquer le modèle à l'actuelle zone CFA, l'indice que j'ai
suggéré (Monga, 1997a) peut permettre de quantifier les bénéfices et coûts
de l'union monétaire, et donc d'affecter une valeur au fameux point P*.
Cet indice prend en compte plusieurs éléments: (i) les leçons de la théorie
monétaire des zones monétaires optimales; (ii) les conclusions des travaux
plus récents dans le domaine des finances publiques; (iii) et d'autres considérations d'économie politique non explorées par la théorie de Mundel,
mais qu'il conviendrait de prendre en compte lorsque l'on envisage une
analyse coût-bénéfice d'une union monétaire.
(ii) Désaccords au sujet de la politique monétaire. Le défi le plus important qui se poserait aux dirigeants africains dans ce scénario serait de pouvoir s'entendre sur: les objectifs de la politique monétaire et de change
qu'ils mèneraient sans la France; les institutions chargées d'en définir les
modalités et de la mettre en œuvre; le degré d'indépendance de la nouvelle
banque centrale; les instruments de politique à utiliser pour atteindre ces
objectifs. Ces problèmes ne sont pas perçus dans la situation actuelle où, du
fait de son poids politique, historique et financier, la France joue le rôle de
catalyseur et de« gendarme» de l'union. Mais si les représentants français
360
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
quittent les conseils d'administration de la BCEAü et de la BEAC, il y a fort
à parier que la bataille de leadership entre les « grands» et les « petits» pays
s'engagera immédiatement - et d'ailleurs fort légitimement.
• En effet, des logiques contradictoires se feront alors jour lors des discussions de choix des objectifs de la politique monétaire et de la politique
de change, certains exigeront que l'objectif primordial de l'institut d'émission soit de maintenir la stabilité des prix, sur le modèle de la BCE. D'autres
opteront pour la lutte contre le chômage et la baisse du loyer de l'argent
comme moyen de stimuler leurs économies asphyxiées. De tels débats ne
seront pas faciles à trancher, surtout dans un contexte où la plupart des gouvernements sont politiquement illégitimes et ne se préoccupent que des problèmes à très court terme. Si l'objectif de lutte contre le chômage est
finalement retenu, la tentation inflationniste deviendra vite un risque majeur.
• La bataille se déclenchera également sur la réorganisation du cadre
institutionnel de l'union monétaire, la définition des rôles entre les
« technocrates» et les « politiques », et l'attribution des postes clés par
État. Certains souhaiteront que les gouvernements définissent la politique
monétaire et de change, et assurent une réelle supervision sur les organismes qui seront chargés de sa mise en œuvre. S'inspirant du traité de Maastricht, d'autres voudront que la banque centrale soit contrainte de tenir
informé de ses choix stratégiques le futur Parlement africain issu d'une
refonte des traités de coopération monétaire. Beaucoup de dirigeants souhaiteront sans doute que la répartition des responsabilités entre la banque
centrale et le Conseil des ministres de l'union s'effectue sur la base de la
primauté du pouvoir politique, réputé pourvu d'une responsabilité sociale
plus importante du fait de la légitimité proclamée ... Tout cela pourrait se
décider « démocratiquement» sur la base d'un vote par pays, quel que soit
le poids économique du pays, ce qui conduirait forcément à l'adoption
d'un processus chaotique de prise des décisions.
• Le degré d'indépendance et les fonctions précises de la banque centrale, devenue de facto plus influente du fait du départ de la France de
l'union, serait également un important désaccord. Diverses études empiriques récentes montrent qu'il s'agit là d'une importante condition à la stabilité macroéconomique, notamment dans les pays en développement 15.
Dans le cas de la nouvelle zone CFA, il est probable que « les grands»
pays voudraient s'assurer le contrôle de la banque centrale.
15. Voir notamment Cukierman (1992) et Alesina and Summers (1993). Tout en soutenant l'idée d'une banque centrale indépendante, Stiglitz (1997) souligne cependant
l'importance des mécanismes institutionnels à mettre en place pour s'assurer que les responsables des instituts d'émission rendent compte au pouvoir exécutif de leurs actions et
soient sensibles au verdict des urnes: « There is a rationale for a degree of dependence of
the central bank, even in a democratic society; But the central bank must be accountable,
and sensitive, to democratic processes, there must be more democracy in the mariner in
which the decision makers are chosen and more representativeness in the governance structure. The movement in the opposite direction in sorne places is particularly disturbing. »
1 FCFA
=0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
361
• Quels instruments utiliser pour mettre en œuvre la politique monétaire
et de change finalement choisie? Ici encore, l'on peut s'attendre à de
sérieux désaccords entre les parties. Car selon les objectifs assignés à la
politique monétaire, selon le système de change choisi (parité fixe avec
l'euro ou le dollar, changes flottants), selon les attributions de l'institut
d'émission et selon les rapports de force entre les États qui dominent cette
nouvelle union monétaire, différents outils peuvent être utilisés 16. Il ne
s'agira pas d'une affaire simple. Même au niveau de l'Union européenne
où les débats sur ces questions sont déjà anciens, de nombreuses incertitudes subsistent sur les choix à opérer (Begg, 1997).
(iii) L'improbable convergence budgétaire. L'intégration économique et
monétaire suppose évidemment une étroite coordination des politiques
macroéconomiques entre les membres de l'union. Bien que la rhétorique
de la coordination ait dominé le discours des dirigeants africains depuis
plusieurs décennies, les progrès réalisés dans ce domaine sont encore très
limités. Un bref aperçu des performances des pays CFA le montre: si l'on
excepte l'uniformisation des taux d'inflation - et pour cause -, les performances des pays CFA ne semblent pas vraiment converger vers les objectifs de stabilité annoncés dans les communiqués officiels. L'évolution du
déficit budgétaire sur une assez longue période en témoigne.
Tableau 2 - Évolution du déficit budgétaire en pourcentage du PIB
(dons exclus)
1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Bénin
-4.4
-3.4
-10.2 -9.5
-7.1
-6.7
-4.9
-7.3
- 4.8
Burkina
- 11.2 - 9.6
-15.2 -7.3
-8.2
-9.1
-10.0 - 10.6 -9.3
-7.9
Cote d'Ivoire
19.0
-16.6 -12.0 -13.2 - 12.1 -12.3 - 6.9
Mali
-10.6 -10.5 -9.9
Niger
- 8.8
-9.7
-10.5 -12.4 -8.4
-8.6
-9.4
-12.5 -8.2
-5.1
Sénégal
-2.5
-2.5
- 3.2
-3.4
- 3.0
-4.0
-5.7
-1.9
Togo
-9.0
-5.3
- 6.1
-6.2
-8.0
- 5.9
-15.9 -13.6 -7.9
-6.5
Moyenne UEMOA
- 3.9
-3.4
-10.2 -8.5
-8.0
- 8.1
-9.5
-10.0 -7.2
-5.3
Nigeria
-7.5
-13.0 -7.2
-3.4
-7.1
-8.9
-18.1 - 9.1
-2.4
-9.1
Ghana
-5.1
-5.3
- 5.7
-4.9
-12.7 -14.8 - 13.0 -10.4 -13.6
17.4
-5.3
-8.5
- 12.1 - 11.0 -9.6
1.2
-7.3
- 3.7
- 3.1
-13.7 -10.5 -7.9
- 3.2
Reprenant à leur compte les principales dispositions du traité de Maastricht, les pays CFA ont amorcé timidement en 1994 un processus de coordination des politiques budgétaires qui inclut l'adoption d'un tarif
extérieur commun, l'harmonisation du droit des affaires et des règles de
comptabilité publique, l'adoption des critères de convergence, etc. Mais
outre le fait que les critères choisis pour parvenir à cette convergence ne
sont pas toujours clairementjustifiés l7 , le problème de fond qui se pose est
16. Pour un cadre théorique sur cette question, voir Masson et al. (1997).
362
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
0.0 1--+--+--+-+--+--+--+---1---;
-Moyenne
UEMOA
-10.0
-lt-Nigéria
-15.0
-A-Ghana
-20.0 .........
---1
celui de l'efficacité de ces décisions. Car la faiblesse des mécanismes de
mise en œuvre et de sanction (<< enforcement mechanisms ») prévus par les
différents textes régissant l'UEMOA prive la zone d'une certaine dose de
crédibilité.
(iv) Asymétrie des chocs, fédéralisme budgétaire etfédéralisme politique.
Une union monétaire implique l'institutionnalisation de la solidarité pardelà les frontières. Car en adoptant une monnaie unique, des États souverains abandonnent le privilège de l'utilisation de la politique monétaire
pour se protéger des chocs externes. Le seul puissant outil de politique économique qui demeure alors à la disposition des dirigeants est l'arme budgétaire qui, elle-même, doit être maniée avec doigté pour ne pas provoquer
l'inflation, la hausse des taux d'intérêt, et des mouvements erratiques du
taux de change. Dans le cas des pays CFA, il n'existe pas actuellement de
système de solidarité permettant une politique budgétaire centralisée. Dès
lors, un pays de l'union qui serait victime d'un choc extérieur asymétrique
(ne perturbant pas les autres économies), comme la chute brutale du cours
de ses principales matières premières, n'aurait pas de moyens d'y résister,
car le fédéralisme budgétaire qui permettrait d'organiser une telle solidarité
implique une forme de fédéralisme politique que les États ne sont pas prêts
à accepter. La zone ne disposant donc pas des stabilisateurs fiscaux transfrontaliers qui permettraient de protéger les économies en difficulté, il
serait indispensable d'organiser la flexibilité du marché du travail - de
façon à permettre à la main-d'œuvre de se déplacer aisément d'un pays à
l'autre sans subir aucun blocage politique ou juridique.
Or, l'examen des principes du droit du travail en vigueur au sein des pays
CFA 18, et des pratiques quotidiennes à l'égard de la main-d' œuvre africaine
migrante montre bien que le marché de l'emploi demeurera longtemps
inflexible dans les pays francophones - surtout s'agissant de la main
17. Les critères de convergence de l'UEMOA prévoient: un ratio masse salariale/recettes fiscales de moins de 40%; la variation annuelle d'arriérés intérieurs et extérieurs doit
être négative; le ratio solde primaire de base/recettes fiscales doit être au moins égal à
15%; et le ratio investissements sur ressources intérieures/recettes fiscales doit être d'au
moins 20%. Outre les problèmes de coordination des méthodes de calcul et de fiabilité des
statistiques, la surveillance du respect de ces critères n'est pas encore très stricte.
18. Voir Ediino Nana (1994).
} FCFA = D,DO} 54 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
363
d'œuvre qualifiée. En fait, le rejet et l'arbitraire semblent déterminer non
seulement les politiques dictées par les gouvernements à l'égard des travailleurs étrangers, mais également l'attitude des entreprises du secteur
privé, qui n'estiment d'ailleurs pas opérer dans un environnement véritablement compétitif. Par ailleurs, à cause de la mosaïque culturelle et historique que constitue l'Afrique actuelle, et de la dégradation persistante des
conditions de vie, les brassages des nationalités dans tous les segments du
marché du travail sont difficilement acceptés. C'est peut-être ainsi qu'il faut
interpréter les propos récents du président gabonais Omar Bongo, justifiant,
sans le savoir, la rigidité du marché du travail au sein de l'union économique et monétaire d'Afrique centrale. Interrogé sur l'état d'avancement du
processus d'intégration régionale et précisément sur le fait que la libre circulation des personnes n'est toujours pas une réalité en Afrique centrale, il
répond que l'immigration au Gabon« a dépassé le seuil de tolérance. Il y a
trop d'immigrés ... Si demain en plus il y a la libre circulation, s'il n'y a plus
de visas, tous les bandits du monde viendront ici sous prétexte de chercher
du travail» (1998: 89). L'on comprend qu'avec ce type d'attitude mentale,
la réalisation du scénario B soit encore plus aventureuse pour les États africains que le scénario précédent, celui de la création d'une zone euro-CFA.
Scénario C: battre des monnaies nationales? Le divorce par
consentement mutuel
Interrogé récemment sur l'opportunité d'une monnaie nationale ivoirienne, le président Henri Konan Bédié déclarait: «N'épousons pas les
concepts brillants de technocrates avertis qui sacrifient volontiers les réalités économiques au plaisir d'imaginer de remarquables formules sans rapport avec les aspirations des hommes. La Côte d'Ivoire a d'autres
urgences» (1998: 32). La fin de non-recevoir est clairement exprimée.
L'idée de créer des monnaies nationales en Afrique suscite souvent ce type
de réaction épidermique, rarement fondée sur des arguments techniques.
Les dirigeants africains sont généralement prompts à la balayer d'un revers
de la main et à agiter le syndrome guinéen ou zaïrois. Les analyses précédentes indiquent cependant que je considère ce scénario comme étant pour
l'instant le scénario optimal. Explorons d'abord les risques réels d'une
liberté monétaire recouvrée (i), avant d'esquisser les conditions du succès
d'une monnaie nationale (ii).
(i) Les risques de l'autonomie monétaire. Il est nécessaire de souligner
ici que l'aventure monétaire individuelle ne serait pas le grand saut dans
l'inconnu que certains commentateurs décrivent avec un certain sensationnalisme. En fait, la très grande majorité des États africains ont chacun leur
monnaie nationale et l'utilisent avec plus ou moins de bonheur comme ils
le font de n'importe quel autre instrument de politique économique.
Dans le cas d'une séparation à l'amiable des pays membres de la zone
CFA (ce que j'appelle un divorce par consentement mutuel), le principal
364
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
défi auquel seraient confrontés les États qui créeraient chacun leur monnaie
nationale serait celui de la crédibilité. Comment parvenir à établir aussi
bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières une réputation de sérieux
qui assure les agents économiques nationaux et les investisseurs et potentiels financiers étrangers que la nouvelle monnaie aura de la valeur? Comment se faire accepter comme acteur valable dans les clubs privés
internationaux où se joue la «grande finance»? Et comment continuer
d'entretenir avec les anciens partenaires africains de la zone CFA et avec la
France des relations économiques et politiques qui assurent une certaine
stabilité à la nouvelle monnaie? Telles sont les grandes questions qui se
poseraient aux nouveaux responsables des politiques monétaires et de
change au niveau des États. Un pays qui serait incapable d'apporter de bonnes réponses à ces questions pourrait sombrer dans une spirale inflationrécession-crises sociales - à la manière de l'ex-Zaïre de Mobutu Sese Seko.
(ii) Les conditions du succès. Bien que d'importants risques soient associés à cette aventure, il est clair cependant que n'importe quel pays de
l'actuelle zone CFA, qui voudrait créer sa monnaie, pourrait réussir le pari
d'en faire un puissant outil de développement économique si ses dirigeants
s'imposaient le respect de quelques règles de bonne conduite dans ce
domaine. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait en leur temps le Maroc et la Tunisie,
anciens membres de la zone franc disposant aujourd'hui de monnaies nationales convertibles et affichant des performances macroéconomiques
qu'envieraient les pays francophones d'Afrique subsaharienne. Pour conquérir ce type d'indépendance et de crédibilité, les pays CFA devraient
chacun:
• organiser méticuleusement et planifier la sortie de l'actuelle union
monétaire. Un aspect crucial de cette stratégie consisterait à engager des
négociations au niveau de l'union pour la liquidation des banques centrales
existantes. Ensuite, il faudrait former une équipe de cadres supérieurs qui
seront chargés de la mise en œuvre de la nouvelle politique monétaire.
Puis, l'on étudiera le processus de production des espèces (pièces métalliques, nouveaux billets de banque) qui nécessite en général plusieurs
années de préparation lorsque l'on veut minimiser les risques de contrefaçon. Enfin, il faudra concevoir et mettre en œuvre une grande campagne de
communication nationale et internationale destinée à faire accepter la nouvelle monnaie ;
• définir clairement les objectifs de la politique monétaire. Une autre clé
du succès de ce scénario est dans la définition des fonctions de l'autorité
monétaire. La tentation est forte, en effet, lorsque l'on se réapproprie la souveraineté monétaire de vouloir en faire un instrument utilisable pour atteindre tous les objectifs macroéconomiques (amortissement des chocs
externes, stimulant de l'activité, etc.). Dans un premier temps, il serait prudent de s'en tenir à la stabilité des prix. Un amendement constitutionnel assignant cette responsabilité à la nouvelle banque centrale serait le bienvenu.
Ceci aiderait l'institut d'émission à conquérir l'indispensable crédibilité.
1 FCFA =0,00154 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
365
• élaborer un cadre institutionnel répartissant les rôles et créant une banque centrale largement indépendante. La décision de répartir les différents
niveaux de responsabilité dans le domaine de la politique monétaire et de
change (entre les autorités politiques et la banque centrale) devra s'énoncer
en fonction des circonstances propres à chaque pays. Certains pays CFA
suivront le modèle suisse ou suédois, dans lequel la banque centrale se
charge de tous les aspects de la politique monétaire et de change (choix du
régime de change fixe ou flottant; choix de la parité dans le cadre du régime
retenu; codification des directives dans le cas d'un flottement dirigé; décisions quotidiennes d'intervention sur les marchés et exécution de la politique adoptée). D'autres, probablement plus nombreux, opteront pour le
modèle japonais, la banque centrale se limite à exécuter la politique de
change, le gouvernement assumant tous les autres aspects de la question ;
• choisir prudemment les hommes et fixer des règles. Une fois cette répartition des rôles opérée, codifiée et constitutionnalisée, il importera d'immuniser la banque centrale des pressions gouvernementales qui sont souvent
dictées par des considérations sociopolitiques de court terme. Reprenant les
conclusions de divers auteurs ayant étudié les problèmes de crédibilité et de
timing des politiques économiques 19, Honohan et O'Connell soulignent les
enjeux de la politique monétaire en Afrique et énoncent la marge de manœuvre disponible pour ceux qui rechercheront la crédibilité: « African experience suggests that restraining the public sectors demand for monetary
finance is the essential requirement for long-run price stability. Shock
absorption is a more complicated issue. A successful shock absorber will
attempt to ensure not only that exogenous shocks have little effect on aggregate price levels, but also that they do not have avoidable effects on real
aggregates. The volatility of market expectations considerably complicates
achievement of the latter function, as policy responses to shocks may be
misinterpreted by the markets as representing a shift in the government's,
commitment to price stability. Two standard remedies are to design policy
rules that enhance stability without requiring discretionary intervention; and
to develop the central banks' , expertise and reputation, so that private sector
expectations are robust to discretionary intervention» (1997: 7) ;
• assurer la stabilité macroéconomique. Outre l'adoption d'une politique monétaire prudente, ceci implique aussi l'adoption d'une politique
budgétaire plutôt restrictive, ne serait-ce que dans un premier temps. Une
telle politique sera forcément impopulaire et les gouvernants qui voudront
la mettre en œuvre devront s'armer de légitimité et de courage.
Mais il est important de combattre le biais inflationniste limitant le seigneuriage au moins à son niveau d'avant la création de la monnaie nationale (Monga, 1997a) ;
• enfin, libéraliser et assainir le cadre de la vie des affaires. Tous les
efforts mis en œuvre pour le succès d'une nouvelle monnaie nationale
19. Voir Kydland and Prescott (1977) et Barro (1986). Sur le cas particulier de l'euro,
voir Begg (1997).
366
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
n'aboutiraient à rien si celle-ci ne suscite pas d'intérêt du côté des agents
économiques nationaux et des investisseurs étrangers. Or comme je l'ai
déjà dit plus haut, ces derniers s'intéressent plus aux opportunités d'affaires existant dans un pays qu'au système de change en vigueur. C'est pourquoi les nouvelles autorités monétaires de chaque pays devront améliorer
considérablement l'environnement économique national. Synthétisant
l'essentiel de la littérature économique consacrée à l'Afrique, Collier et
Gunning (1999) énoncent quatre raisons principales aux médiocres performances du continent depuis les indépendances: la fermeture au commerce
international; l'instabilité sociopolitique qui en fait des marchés à hauts
risques; la faiblesse du capital social qui facilitait la circulation de l'information et assouplissait les contraintes dans les sociétés traditionnelles et la
mauvaise qualité des infrastructures. A long terme, la crédibilité monétaire
au niveau de chaque pays se mesurera à la capacité des États à faciliter
l'émergence d'un environnement où des institutions publiques et privées
permettent de résoudre ces problèmes-là.
Scénario D: quitter unilatéralement la zone CFA? Les vertiges de la
liberté
Il existe un quatrième scénario: celui qui verrait les relations entre les
membres de la zone se dégrader brutalement, au point de déboucher sur
des désaccords de fond entre les membres de l'union monétaire et une dislocation désordonnée de celle-ci. Si l'on s'en tient aux discours officiels
tenus par les responsables politiques français et africains, une telle hypothèse paraît pour l'instant improbable. Je ne lui accorderai donc que bien
peu de place dans cette réflexion. Mais il est intéressant de réfléchir aux
problèmes qui se poseraient au chef d'État africain qui, en l'an 2002, déciderait de sortir unilatéralement son pays de la zone CFA, reprenant de la
sorte le chemin emprunté par Sékou Touré lorsque ce dernier lâcha son
fameux «non» à la France de de Gaulle en 1958.
Du point de vue de l'analyse technique d'un tel choix, il n'y aurait pas de
différence fondamentale avec le scénario C: les défis de la création d'une
monnaie nationale seraient exactement les mêmes, avec simplement une
importance particulière à la conquête de la crédibilité monétaire et économique. Si l'on s'en tient aux expériences de la Guinée ou du Mali de
Modibo Keita, l'on peut supposer que ce pays-là serait soumis à d'intenses
pressions de la part des États les plus influents de la zone, cela pour des raisons politiques évidentes 2o . Pour faire face à l'exacerbation des problèmes
d'économie politique et gérer l'adversité, celui qui empruntera ce chemin
devra s'assurer tout de même que son pays dispose d'un minimum de
20. Foccart offre plusieurs exemples de ce type de pressions dans ses mémoires posthumes (1997, 1998). Encore que la classe politique dirigeante française ne soit ni monolithique, ni forcément convaincue de la justesse et de l'efficacité des méthodes de rétorsion
utilisées à une époque par le gouvernement français ...
1 FCFA =0,001 S4 EURO? MACROÉCONOMIE DU MASOCHISME
367
réserves de change - ne serait-ce que le temps d'adopter les politiques économiques à mettre en œuvre.
Il devra également démanteler le système des quotas, licences et subventions aux exportateurs politiquement établis et persuader les groupes
d'intérêt du monde des affaires, trop accoutumés à la facilité que contèrent
quelques marchés captifs dérivés de la convention de Lomé, de changer de
mentalité et de se montrer simplement compétitifs sur la scène internationale. Cela suppose une légitimité politique beaucoup plus forte que celle
dont disposent la plupart des dirigeants africains d'aujourd'hui.
Conclusion
L'ambition de cette étude était de montrer comment des considérations
politiques et idéologiques peuvent provoquer une certaine forme de masochisme en macroéconomie. En quelque soixante ans d'existence, la zone
CFA a vécu dans l'obscurité de la pensée économique. Maintenant que le
débat sur sa viabilité commence à émerger, il est important que l'on réévalue ses performances en donnant la priorité aux arguments techniques.
Les quatre scenarii d'avenir esquissés ici ne sont absolument pas mutuellement exclusifs, et je ne prétends pas avoir été exhaustif sur les différentes
options possibles après la disparition du franc français et la création de
l'euro. La principale conclusion est que, dans un monde désormais globalisé pour le meilleur et pour le pire, les pays d'Afrique francophone
devraient abandonner à la fois leur régime de change fixe et leur obstination à construire une intégration artificielle, pour élaborer chacun, au
niveau national, une véritable politique de développement maximisant les
avantages d'une politique monétaire indépendante. Il convient également
de souligner la nécessité pour tous les États africains de concevoir et mettre
en œuvre des stratégies de développement qui aillent bien au-delà d'une
discussion sur les questions monétaires. Car il ne faut pas oublier le mot de
Malinvaud selon lequel l'économie est « une discipline qui vise à l'objectivité et qui, pour ce faire, a défini de façon assez limitative son domaine
d'étude ». (1988: 594). La véritable intégration économique et politique de
l'Afrique (francophone et non francophone) se fera entre des pays qui économiquement se portent bien, et non entre des États mendiants relégués à
solliciter continuellement la charité internationale.
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16
Le franc CFA à l'heure de l'euro :
le temps de la réforme est-il arrivé?
Par Chicot EBOUÉ
L'instauration définitive de l'euro lors du Conseil européen de Bruxelles
les 5 et 6 mai 1998 a remis à l'ordre du jour la question du statut du FCFA
en tant que monnaie rattachée au FE La disparition programmée du FF
conduit en effet à s'interroger sur le maintien de la convertibilité intégrale
du FCFA, sur le respect des accords de coopération monétaire avec la
France, et sur l'opportunité de conserver le mécanisme du compte d'opérations, en tant que dispositif de stabilisation des cours nominaux de
change des pays membres de la zone franc.
Ces trois interrogations sont motivées par trois considérations principales.
- En premier lieu, de nombreux observateurs s'interrogent sur l'aptitude
de la France à imposer à ses partenaires européens l'ancrage à l'euro d'une
monnaie africaine. A ce titre, les craintes sont motivées par une interprétation stricte du traité de Maastricht, lequel donne désormais une souveraineté totale à la Banque centrale européenne, en matière de politique
monétaire dans le but de préserver l'objectif final de stabilité des prix. Par
ailleurs, l'article 109 section 1 de ce traité, autorise le Conseil des chefs
d'État et de gouvernement, à signer des accords formels et informels, définissant les parités externes de l'euro vis-à-vis des monnaies tierces. Toutefois, la section V du même article du traité stipule que les pays membres
sont habilités à signer des accords internationaux, dans le cadre d'institutions internationales, sans que ceci n'induise de préjudice aux compétences des institutions et aux accords communautaires européens.
C'est sur cette disposition que s'appuient les Autorités françaises, telle
ministre des Finances Dominique Strauss-Khan en avril dernier à Libreville, pour rassurer les Autorités africaines des pays membres de la zone
CFA, sur le maintien de la zone franc dans ses modalités actuelles. Dans
372
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
ces conditions, l'instauration de l'euro dès janvier 1999 va tout simplement
conduire à un changement du référentiel du FCFA, c'est-à-dire de la monnaie de rattachement : l'euro se substitue au FF, sans qu'en Afrique un tel
changement n'entraîne des coûts de transition. En revanche, la banque centrale imprime de nouveaux billets et pièces afin de solder les échanges
intra-zone franc!. De même, l'instauration de l'euro en elle-même ne justifie pas une dévaluation du FCFA.
- En second lieu, les contradicteurs du régime de change de la zone franc
affinnent que cette position française représente tout simplement « une fuite
en avant », dont le risque est d'exposer les pays de la zone franc à un changement inévitable de régime aussitôt qu'en 2002, la circulation d'une monnaie unique en Europe deviendra effective. Ils soutiennent qu'à l'évidence
la France ne pourra pas peser seule contre ses dix partenaires actuels, et
peut-être ses quatorze partenaires futurs, lorsque viendra l'heure de décider
des parités de l'euro vis-à-vis des monnaies tierces. Compte tenu des dispositions du traité d'Union monétaire en Europe (traité de Maastricht), une
dévaluation ne peut donc être évitée car l'appartenance à l'euro étant conditionnée par des critères financiers stricts, ces pays n'accepteront l'ancrage
d'une monnaie tierce à la leur que si les pays émetteurs de cette monnaie
étrangère ne sont pas sujets à une discipline identique.
- En troisième lieu et consécutivement au point précédent, l'instauration
de l'euro donne l'opportunité aux pays africains de se démarquer de la
France et de créer une véritable devise africaine, élargie aux pays
anglophones; cette monnaie servira de levier à l'intégration régionale par
le commerce international en Afrique. Une telle réfonne impose le démantèlement du compte d'opérations, auquel se substituera un nouveau dispositif de gestion des réserves de change, ce nouveau régime de change se
caractérisera par des marges de fluctuation autorisant des parités fixes mais
ajustables, voire des parités flexibles.
Au-delà de ces arguments favorables à la réfonne du régime de change,
la question fondamentale est celle de savoir si une réfonne de fond se justifie
aujourd'hui en Afrique francophone. La réadaptation du régime de change
en faveur de la flexibilité intégrale, ou de la flexibilité limitée, est-elle de
nature à modifier la structure du commerce extérieur intra-africain et interafricain? Va-t-il en résulter de nouvelles opportunités de développement?
La réponse à ces différentes questions est relativement difficile à énoncer. Toutefois, notre point de vue est qu'il n'existe pas de régime de change
1. Bien entendu, les transactions internationales se feront en euros, pour les contrats
libellés dans les devises européennes, et la conversion se fera de façon automatique dans la
période transitoire allant de 1998 à 2002. Après cette date, il est évident que les nouveaux
contrats seront libellés en euros, aux cours des monnaies nationales européennes vis-à-vis
de l'euro, qui seront désormais irrévocables. Dans ces deux hypothèses, le passage à l'euro
n'impose pas des coûts de réforme, puisqu'il n'est pas nécessaire de changer la comptabilisation de la facturation, contrairement au cas des pays européens (Rapport annuel zone
franc, 1997).
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
373
optimal. Le fait de déconnecter le FCFA du FF, et de définir un régime de
parités ajustables vis-à-vis d'un étalon-panier centré autour de l'euro, ne
suffira pas de lui-même à induire de nouvelles opportunités de développement. Celles-ci dépendent d'autres facteurs que de l'unique nature du taux
de change ou du régime de change.
C'est pourquoi nous envisagerons de traiter:
- d'abord, les arguments favorables à la déconnexion du franc CFA;
- ensuite, les arguments favorables à la reconnexion du franc CFA.
Les arguments favorables à la déconnexion du franc CFA
Deux arguments principaux sont retenus comme étant favorables à la
déconnexion du FCFA vis-à-vis du FF. D'une part, l'objectif de développement doit conduire à arbitrer en faveur du régime de changes flexibles au
détriment du régime de changes fixes. D'autre part, le mécanisme du
compte d'opérations est un signal inefficace des situations de déséquilibres
persistants.
Objectifde développement et arbitrage favorable à la flexibilité des
changes
Cet argument peut être illustré par deux critiques principales de la fixité
des changes et des zones monétaires : la première est relative à l'efficacité
inférieure de la fixité par rapport à la flexibilité, tandis que la seconde établit que la zone franc n'est pas une zone monétaire optimale.
A) L'EFFICACITÉ INFÉRIEURE DE LA FIXITÉ PAR RAPPORT À LA FLEXIBILITÉ
DES CHANGES
La première critique porte en effet sur le choix d'un régime de changes
flexibles en substitution à un régime de changes fixes, dans le cadre de pays
retrouvant l'autonomie de leurs politiques monétaires respectives. Célestin
Monga et Jean-Claude Tatchouang (1996) ou Claude d'Almeida (1998 :
15-30) ont avancé ce raisonnement en ce qui concerne la zone franc, à la
suite de Devarajan, de Melo et al. Cette approche s'inspire de la critique du
régime de changes fixes.
- Ce régime n'autorise pas le « pilotage à vue» (fine-tuning) de l'économie, lorsque la conjoncture internationale est défavorable. En effet, c'est
la rigidité totale de la parité nominale du FCFA qui a interdit aux pays
membres de la zone franc, de pratiquer des dévaluations compétitives dans
les années 1980, alors que d'autres pays africains, tels que le Nigeria ou le
Ghana, ont utilisé cet instrument pour restaurer leur compétitivité 2 • En
2. Entre 1985 et 1993, le Naïra s'est déprécié vis-à-vis du FCFA de 89%.
374
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
théorie, le modèle canonique de la macroéconomie ouverte, dit aussi le
modèle Mundell-Fleming, enseigne qu'un petit pays perd l'autonomie de
la politique monétaire, et voit se réduire l'efficacité de sa politique budgétaire, en régime de changes fixes et de mobilité parfaite des capitaux. Cette
notion est bien illustrée par le triangle de Mundell qu'a repris PadoaSchioppa, dans son interprétation de l'efficacité de la politique économique en Europe. Dès lors, le régime de changes fixes devient déflationniste
lorsqu'il impose aux pays suiveurs (la France, l'Espagne, etc.) les coûts
associés à une désinflation compétitive découlant de la rigidité du taux de
change nominal vis-à-vis de la monnaie du pays leader (Allemagne). Le
passage au régime de changes flexibles ou flottants se justifie alors, car il
permet la restauration de l'autonomie de la politique monétaire, et surtout
il assure que l'efficacité de l'action instrumentale en matière de stabilisation des prix, de poursuite de la croissance ou de retour à l'équilibre de la
balance des paiements, est réalisée grâce à une stratégie de combinaison
optimale des instruments.
Appliqué à la zone franc, cet argument recommande par conséquent
l'éclatement de la zone, chaque pays retrouvant sa souveraineté monétaire
en émettant sa propre monnaie sur son territoire. Ces monnaies nationales
pouvant être ensuite ancrées à l'euro ou à des monnaies tierces, dans le
cadre de l'établissement des paniers de monnaies optimaux. Ceux-ci
seront à construire en fonction de pondérations dépendant soit des flux
commerciaux avec les principaux partenaires commerciaux, soit des parts
sur les marchés internationaux des pays concurrents asiatiques, en matière
de produits tropicaux, ou en matière de produits pétroliers. Dans le premier
cas, le taux de change effectif réel serait centré autour de l'euro, alors que
dans le second le taux de change effectif ferait intervenir les prix pratiqués
par les producteurs asiatiques, latino-américains et moyen-orientaux, qui
concurrencent les producteurs africains.
Cette analyse, pour intéressante qu'elle soit, ne suffit pas à motiver une
réforme intégrale de la zone franc. Le régime de changes flexibles a induit
une volatilité des taux de change nominaux et réels plus grande qu'en
période de fixité. Contrairement aux arguments des monétaristes Milton
Friedman et Harry Johnson, ou ceux plus contemporains dans ce débat
comme Frenkel et Goldstein, Devarajan et de Melo, la flexibilité n'a pas
toujours permis la réduction automatique du déficit de la balance des paiements, et l'annulation du risque de change et/ou des primes de risques sur
les monnaies à faible rendement. Au contraire, l'expérience du Système
monétaire européen (SME) dans les années 1980 a montré que la fixité des
changes s'accompagne d'une stabilité nominale et réelle des parités plus
grandes.
En Afrique, l'expérience des régimes de change a montré que la zone
franc a été une zone de stabilité réelle plus forte que dans les pays à régime
de changes flottants. Les graphiques ci-dessous comparent l'évolution du
taux de change effectif réel du FCFA au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
375
Nigeria, à partir des données issues de World Development Indicators
1998, dont la base est 100 pour l'année 1979. Le taux de change effectif du
FCFA reste relativement stationnaire autour de sa valeur initiale, même si
le Cameroun enregistre une surévaluation de 10 à 20 % entre 1983 et 1987,
et une autre de la même ampleur survient en Côte d'Ivoire à partir de 1985.
Le taux de change effectif réel reste stable jusqu'en 1993, et la dévaluation
nominale permet alors de diminuer de moitié le prix réel des monnaies
étrangères. Par contre au Nigeria, le taux de change effectif réel reflète une
appréciation continue du naïra en termes de devises étrangères, sa valeur
augmentant du plus du double entre 1979 et 1986. La dévaluation nominale de 1986 ainsi que le programme des dévaluations répétées, corrigeront la surévaluation antérieure, ramenant le prix effectif réel au niveau de
celui du franc CFA en 1989.
De 1990 à 1993, la compétitivité du Nigeria est même meilleure que
celle des pays de la zone franc. La dévaluation nominale du FCFA en 1994
restaurera l'avantage de compétitivité de ces pays par rapport au Nigeria.
Le deuxième graphique établit clairement que c'est entre 1990 et 1993 seulement que le taux de change du naïra est stable, sa variabilité étant toujours largement plus importante que celle du franc CFA. Une variabilité
plus grande du taux de change effectif réel ne milite donc pas en faveur des
changes flottants, surtout lorsqu'elle s'accompagne d'une tendance à
l'appréciation des monnaies.
Tau)I de change effectif réel en Zone Franc (CamelOun et COte d'Ivoire) et Hors Zone Franc
(Nigéria) de 1979 ~ 1996; Source WDI98
l
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Par ailleurs, il peut paraître paradoxal, qu'au moment où des espaces
régionaux se constituent avec le choix d'une monnaie unique pour régler
les échanges, en Europe certains préconisent l'abandon d'une monnaie
unique telle que le FCFA ayant bénéficié de quarante ans de coopération
entre États. Pourtant ils soutiennent que la pertinence de leurs observations
376
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
:1
Variabilité du Taux de Change Effectif Réel en Zone Franc (Cameroun. Côte d'Ivoire) et hors Zone
Franc (nigéria) eoue 1980 et 1996; Source WDI 98
100
50
~
u
-sa
~
-100
.ll
-150
-200
-350
~
-300
-----1
repose sur l'argument selon lequel la zone franc n'est pas une union monétaire optimale.
B) LA ZONE FRANC, UNE UNION MONÉTAIRE NON OPTIMALE
La deuxième critique est un corollaire de la première. Elle repose sur
l' hypothèse selon laquelle la zone franc n'est pas une zone monétaire optimale. La théorie des ZMO énumère un certain nombre de conditions
nécessaires à la constitution d'une union monétaire, dont les avantages
l'emporteraient sur les coûts liés à la perte de l'usage du taux de change en
tant qu'instrument de politique monétaire et de stabilisation. Lorsque les
pays sont caractérisés par une forte mobilité du travail (critère de Mundell), et donc une flexibilité des taux de salaires et des prix, un degré
d'ouverture commerciale élevé (critère de Kenen), ou une intégration
financière importante (critère de McKinnon), l'identité des préférences de
structures (Scitovsky, Kindleberger et F. Perroux), alors la fixité des taux
de change apparaît comme un substitut parfait à la flexibilité des taux de
change, en vue de réaliser l'équilibre interne (stabilité des prix et chômage
faible) et l'équilibre externe (solde équilibré de la balance des paiements).
L'amélioration de cette analyse amène à considérer qu'une ZMO est un
espace homogène qui absorbe de façon symétrique les chocs exogènes en
utilisant un fédéralisme budgétaire. Ce type d'analyse conduit à modéliser
à l'aide de la technique des vecteurs autorégressifs (modèles VAR), les différentes écononties en présence; il induit qu'il y existe une convergence
entre ces dernières, lorsque ces écononties absorbent de façon symétrique
des chocs de demande ou d'offre, en particulier ceux relatifs à des différentiels de productivité ou de compétitivité.
Cependant, l'analyse des faits montre que la zone franc ne satisfait pas
ces différents critères. En matière d'intégration par les flux réels, 10% seu-
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
377
lement des échanges intra-zone sont effectués en Afrique de l'Ouest et à
peine 5 % en Afrique centrale, en raison d'un réseau d'infrastructures peu
développé, et des structures de production non complémentaires. Par
ailleurs, ces pays n'absorberaient pas de façon symétrique les chocs exogènes de demande ou d'offre (Mpacko Priso, La Tchuente, 1998). Suite à
cette analyse les critiques de la zone franc rejettent ce dispositif.
En réalité l'argumentation de la convergence préalable des économies
avant l'adhésion à une zone ou à une union monétaire est discutable à la
lumière de la théorie contemporaine. Un petit pays ouvert sur l'extérieur a
d'autant intérêt à ancrer sa monnaie vis-à-vis d'un grand pays, qu'importe
la discipline financière, la crédibilité monétaire qui sont pour l'un nécessaires à la stabilisation de son économie, et pour l'autre utiles à des entrées
des capitaux et à la stabilisation de sa monnaie sur les marchés des changes
consécutivement à l'efficacité de sa politique économique. Paul Collier
(1998) prétend que l'incitation (kt) d'un petit pays à former une union
monétaire avec un grand pays peut être représentée sous la forme d'une
parabole inversée.
kt
Temps
La première partie de la parabole significative d'une décroissance de cette
incitation, révèle les effets déflationnistes sur la production et l'emploi attachés à l'adhésion du petit pays, compte tenu des différentiels de productivité
et de compétitivité avec le grand pays, qui induisent immanquablement une
pression à la surévaluation de la monnaie du petit pays.
La deuxième partie de la courbe correspondant à la zone croissante traduit les gains d'efficience attachés à l'adhésion à une union avec un grand
pays. La contrainte extérieure renforcée induit une discipline financière
plus grande, conduit à une plus grande stabilité du taux de change réel, elle
autorise le petit pays à bénéficier plus intensivement des avantages comparatifs dans des échanges inter-branches liés à l'exportation des produits
primaires ou semi-finis, puis de rendements croissants à l'échelle découlant du commerce international intra-branche de produits finis de plus
grande valeur ajoutée avec le grand pays (cas du nouveau SME-Espagne,
Portugal, Grèce à partir de 1987).
378
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Malgré cette réserve importante, ces deux critiques conduisent pourtant
leurs auteurs à récuser le dispositif de la zone franc et en particulier du
mécanisme d'ancrage du FCFA au FF à partir du mécanisme du compte
d'opérations. Celui-ci ne jouerait pas son rôle de signal des déséquilibres
des paiements courants nécessitant l'adoption immédiate des réformes.
L'inefficacité du compte d'opérations à signaler des déséquilibres
persistants
L'objet de la troisième critique de la zone franc et du dispositif de garantie d'émission et de convertibilité du FCFA porte sur l'utilité du mécanisme du compte d'opérations, qui est considéré comme inefficace en
matière de discipline financière. Or, la prise en compte des extemalités de
ce mécanisme affaiblit fortement cette critique.
A) LE COMPTE D'OPÉRATIONS, UN DISPOSITIF INEFFICACE DE LA DISCIPLINE FINANCIÈRE
Certains critiques affirment qu'en mettant à la disposition des Autorités
de la zone franc une disponibilité totale en devises, la France n'a pas aidé
les pays africains francophones à se discipliner. Le mécanisme du compte
d'opérations offre un droit de tirage illimité à chaque Banque centrale de la
zone franc en cas de déséquilibre de la balance des paiements. En réalité,
les opérations sont plus complexes qu'elles paraissent. En contrepartie du
droit de tirage, les Banques centrales doivent déposer dans ce compte au
moins 65 % de leurs avoirs extérieurs. Lorsqu'il est créditeur, le compte
d'opérations est rémunéré par le Trésor français au taux du marché monétaire (le TMM). Lorsque ce compte est débiteur, la Banque Centrale paie
des intérêts au Trésor français. En cas de déficit prolongé, la politique
monétaire doit être resserrée et des mesures d'accompagnement sont adoptées de façon à préserver la limite basse des avoirs extérieurs à hauteur
minimum de 20% des recettes fiscales de l'année antérieure.
Les critiques avancent que ce mécanisme n'a pas joué le rôle de signal
attendu en matière de dérive du taux de change par rapport à sa valeur
d'équilibre, et de repère d'un déficit prolongé de la balance des paiements.
Par ailleurs, ce dispositif en ne disciplinant pas les pays, les a plutôt encouragés à multiplier les importations de biens finals à la place de biens d'équipement, compte tenu de la garantie illimitée de la convertibilité
(D'Almeida, 1998). Par contre, ils suggèrent que soit donc substitué à ce
mécanisme celui d'un fonds de stabilisation de change ou d'un currency
board, en élargissant la zone franc actuelle aux pays africains anglophones.
Le scénario de cette substitution propose de partir des actuelles UEMOA
et UMAC, comme base du processus d'intégration régionale en Afrique
subsaharienne, et d'utiliser les facilités à l'ajustement de la balance des
paiements de l'Union européenne pour constituer le fonds de stabilisation
de changes, et d'inviter les pays africains à y participer. Le fonds aurait
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
379
deux avantages: il accélérera l'instauration d'un marché des changes élargi
d'un côté à toute l'Afrique francophone, voire anglophone, et de l'autre
côté, il autorisera une meilleure surveillance multilatérale en cas de déficit
prolongé d'un pays. La définition des mécanismes d'alerte, en cas de
dérive de la parité officielle, et l'adoption d'un régime de parités glissantes
permettraient alors d'avoir un «.fine-tuning »des économies concernées.
Cette proposition utile pose cependant trois difficultés.
a) Le problème de la constitution du fonds. En l'absence de la France ou
d'un pays leader, le principe de la coopération monétaire entre pays africains aurait pu être à plusieurs reprises remis en cause. Ces différents fonds
de compensation douanière posent problèmes non seulement en CEDEAO
et en UDEAC, mais également en Afrique australe. Leur fonctionnement a
été souvent handicapé par certains pays (Nigeria, Zaïre) qui n'ont pas toujours honoré leurs engagements vis-à-vis de leurs créanciers.
b) La disponibilité des devises: l'importance des avoirs externes nets
nécessaires pour assurer la crédibilité externe de la monnaie émise constitue une importante contrainte, imposant la création d'un fonds de stabilisation de changes. Or l'originalité du système de la zone franc est d'avoir
permis aux pays d'avoir un mécanisme comparable à celui d'un tel fonds,
tout en évitant les inconvénients qui y sont attachés, à savoir l'importance
de l'épargne en devises susceptible d'autoriser une convertibilité illimitée.
De plus, ces pays n'ont donc pas eu besoin de constituer des réserves en
devises ou en bons du Trésor américain ou français, comme base de la
garantie d'émission de leur monnaie commune.
c) L'hypothèse d'un « currency board» génère les mêmes problèmes
que ceux posés par un fonds de stabilisation de changes. Une telle option
implique le passage d'une couverture de 20% à une couverture de 100%
par les avoirs extérieurs nets ; elle alourdit la contrainte extérieure. Par
contre, le « currency board» présente l'avantage de forcer à la réduction
de la base monétaire en cas de déficit prolongé du compte courant, c'est-àdire à clarifier les mécanismes de sauvegarde. Toutefois, ceci n'est le cas
aujourd'hui, par exemple, en zone BCEAO. Mais, chacune de ces deux
options laisse de côté les externalités positives de la zone franc.
B) LES EXTERNALITÉS POSITIVES DE LA ZONE FRANC
Parmi ces externalités, on peut retenir que la coopération monétaire
constitue un élément de sécurité face aux chocs exogènes d'un côté, et de
l'autre, il est un facteur de lissage important du déficit du compte courant
et par conséquent de l'endettement extérieur, en utilisant le dispositif du
compte d'opérations.
La coopération monétaire: un coussin de sécuritéface aux chocs exogènes
Les trois graphiques suivants montrent bien l'utilité de la coopération
monétaire en zone franc. Contrairement à l'hypothèse couramment admise
suivant laquelle les grands pays ont plus à perdre de leur intégration avec
les petits pays, ce ne sont pas toujours les petits pays qui sont déficitaires.
380
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
Ainsi, dans la zone BCEAü, la Côte d'Ivoire et le Sénégal sont les deux
pays principalement déficitaires depuis 1994. Et pourtant c'est pour la quatrième année consécutive que les avoirs extérieurs nets sont en augmentation, à hauteur de 195 milliards de FCFA en 1996 et 190 miIl iards en 1997
en intégrant la Guinée-Bissau. Les facteurs explicatifs de cette progression
sont à rechercher dans l'accroissement des recettes d'exportation, la poursuite du rapatriement des capitaux, la mobilisation des ressources au titre
des facilités d'ajustement structurel avec le FMI, et l'allégement du service
de la dette résultant du rééchelonnement ou de l' annulation.
Avoirs Nets EX1érieurs de la Zone BCEAO 0994-1997): Source Rapport annuel de la Zone franc
.997
1l<XXl00 - . -
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• TOTAL
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-100001 .L-
_
Il convient également de retenir que les petits pays contribuent à cette
progression notable, en raison de leurs positions excédentaires qui compensent les positions débitrices des grands pays comme le Sénégal. Ainsi
le Bénin, le Burkina Faso ou le Mali bénéficient de positions excédentaires
en termes de réserves extérieures auprès de la BCEAü, qui se vérifient
également du point de vue des réserves de change brutes. Celles-ci représenteraient 6,1 mois d'importations de biens et services au Mali, 5,8 mois
au Burkina, contre 1,5 mois au Niger et 2,2 mois en Côte d'Ivoire.
En zone BEAC, on observe également une augmentation de 80,6 milliards de FCFA des avoirs extérieurs nets en 1997 par rapport à 1996, et
153,3 milliards en 1996 par rapport à l' année précédente. Cette situation
persiste malgré le déficit important du Cameroun et celui de la GuinéeÉquatoriale, même si l'on observe leur rétrécissement depuis 1994.
L'accroissement de l'excédent commercial du Cameroun, la mobilisation
des ressources auprès du FMI au titre de la facilité d'ajustement spécial
expliquent la réduction du déficit pour ce pays.
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
381
Av,,", Nets ExtéOOurs de la Zoœ BEAC (1 994- 1997) : Source RappoI1 annuel de la Zoœ franc
1997
<ml0 r--------------.;.:-'-----~~~------__,
-----_..,.------~-
J<m)0
lOOOOO
•
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• CAMEROUN
100000
.RCA
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-100000
.-1--
·200000
- - - -__- - --~----_.-
• TCHAD
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----------1 •
TOTAL
------------
·lOOOoo ~f----.---------·--·-----·
-"00000 L -_ _
_
- ' - - - " = - ~
E'1olution des Avoirs N en Extérieurs en MilrkHds de Fe FA en UE MOA et C E MAC (1984' '991)
Source; BCEAO, BEAC el Rapport Annuel Zone Franc 1997
1200
1000
800
600
·200 L -
~ ~ - -
En longue période (1984-1997), les avoirs nets de la zone sont généralement positifs, à l'exclusion des années 1987-1988 et 1993 en CEMAC, et
1988-1989 en UEMOA. La fin de la période montre d'ailleurs depuis
1994, l'impact positif de la dévaluation sur les avoirs extérieurs, dont les
effets d'accroissement des réserves de change liés à l'excédent commercial
dans de nombreux pays sont venus renforcer les entrées de capitaux au titre
des programmes de stabilisation avec le FMI.
Outre la coopération monétaire, le solde du compte d'opérations a joué
un rôle de couverture face au risque d'explosion de l'endettement extérieur
associé à l'approfondissement du déficit du compte courant.
382
L'A VENIR DE LA ZONE FRANC
Le solde du compte d'opérations, un facteur de couverture face au risque
d'explosion de la dette extérieure
CAMEROUN: Service de la Dene Extérieure (% PNB) el Solde du Comple d'~r8lions (% PNB)
10.-
_
- - + - - - + 1 - ---r1988
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19§1O
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1991
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1
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CAME AOUN
Relation entre le Se,vice de la Dette Extérieure et le Solde du Compte d'Opérations
(1984 -19951
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o
Solde du
Compt~ d'O~r"bon\ ('lib
PNBI
Ces deux graphiques montrent que dans le cas du Cameroun, le service
de la dette extérieure en termes de PNB a faibli, passant de 8 % à moins de
5 %, au fur et à mesure que le solde du compte d'opérations devenait déficitaire, notamment à partir de 1986. Lorsque le service de la dette est
revenu en 1992 à son niveau initial de 1985, le déficit du compte d'opérations en termes de revenu national a alors triplé pour se situer aux environs
de 23 % du PNB (à prix constants). Lorsqu'on prend la valeur absolue de
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
383
ce solde, on établit une corrélation négative avec le service de la dette
extérieure: une augmentation du solde du compte d'opérations en valeur
absolue, significative ici d'un droit de tirage de plus en plus important
auprès du Trésor français, pennet alors de réduire le service de la dette
extérieure. Pour certains, un tel droit de tirage ne constitue pas un signe
d'alerte des déséquilibres macroéconomiques suffisant pour forcer à des
ajustements nécessaires. A l'évidence, un tel point de vue est discutable,
car si le trésor français a pu accorder un droit de tirage important, comme
c'est le cas pour le Cameroun entre 1986 et 1993, c'est vraisemblablement
après avoir constaté l'épuisement des dispositifs d'ajustement interne via
la réduction de l'absorption. En l'absence d'un tel droit de tirage, le poids
de la dette extérieure dans le PNB et l'économie domestique eût été largement plus important.
Ces différents éléments évoqués au titre de la déconnexion conduisent à
instruire les arguments favorables à une reconnexion du FCFA.
Les arguments favorables à une reconnexion du FCFA
Deux arguments principaux militent en faveur de la reconnexion du
FCFA, outre ceux évoqués par ailleurs.
- D'un côté la zone franc n'est pas incompatible avec l'efficacité en
matière conjoncturelle et l'indépendance de la politique monétaire.
- D'autre part, une marge de manœuvre existe dans le cadre d'un
ancrage du FCFA à l'euro.
Zone franc et indépendance de la politique monétaire
L'idée qu'en changes fixes, la politique monétaire perd toute efficacité et
toute autonomie peut être remise en cause dans le cadre de la zone franc.
On peut en effet montrer que non seulement la masse monétaire affecte
l'activité dans certains pays, mais également que la politique monétaire
redevient efficace en pennettant l'insularisation partielle de l'économie
vis-à-vis de la contrainte extérieure.
A) L'EFFICACITÉ DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE SUR L'ACTIVITÉ
Revenons sur les arguments théoriques et empiriques fondant la neutralité ou la non-neutralité de la politique monétaire sur l'activité, avant
d'évaluer l'intensité de la causalité monnaie-activité en zone franc.
a) Les arguments de la neutralité ou la non-neutralité monétaire
En ce qui concerne l'économie fennée, l'idée de la neutralité monétaire
est très ancienne, remontant au débat entre néokeynésiens et monétaristes
dans les années 1960. Pour les premiers, l'instabilité de la demande de
monnaie découlant des anticipations de taux d'intérêt invalide l'utilité de la
384
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
politique monétaire et favorise la politique budgétaire. Néanmoins, la politique de relance par la monnaie a une efficacité réelle sur l'activité, dès lors
que la préférence pour la liquidité est normale. Tandis que pour les
seconds, la politique monétaire doit toujours être préférée à la politique
budgétaire, en raison de l'instabilité de la consommation en courte période,
alors qu'à l'inverse la demande de monnaie est stable. Néanmoins, une
telle politique doit, selon Milton Friedman (1968), consister en une règle
d'accroissement à taux constant de la masse monétaire (règle monétaire à
k %), en relation avec le produit potentiel en longue période. La neutralité
de la politique monétaire comme de la politique budgétaire d'ailleurs,
découle de ce que les anticipations des agents deviennent parfaites à long
terme, ce qui invalide toute relance inflationniste par la monnaie ou le budget. C'est le message de la Courbe de Phillips augmentée des anticipations
(Barro Jr., 1978: 549-580; Sargent & Zallace ; 1976).
Cette hypothèse de la neutralité monétaire a été renforcée en présence
d'anticipations rationnelles de la part des agents privés. Le résultat de superneutralité monétaire invalide alors l'efficacité de la politique monétaire à
induire l'activité même à court terme, contrairement à ce que Friedman
admettait. C'est la leçon que l'on peut tirer de la proposition de neutralité
monétaire de Lucas-Sargent-Wallace, reprise d'ailleurs par Barro (1978) à
l'occasion du renouvellement de la fonction d'offre de Lucas en présence
d'innovations monétaires. L'approfondissement de ces analyses dans les
théories du cycle réel conduit alors à renforcer l' hypothèse d'une neutralité
de la monnaie sur l'activité en volume.
Ces développements purement théoriques ont donné lieu à une importante
littérature dont les conclusions sont assez controversées. Selon en effet que
l'on admet une rationalité imparfaite des agents privés, un avantage informationnel des décideurs publics sur ces derniers, l'hypothèse de non-neutralité de la politique monétaire est restaurée. Les évaluations empiriques
sont donc nécessaires pour trancher entre ces différentes hypothèses. En
effet, les tests de causalité Granger-Sims menés dans les années 1970-1985
n'ont pas toujours permis d'éclairer le débat, la causalité monnaie-activité
et monnaie-prix étant alternativement forte ou faible, selon la taille de
l'échantillon ou l'ordre des retards dans les formes autorégressives considérées (Eboue, 1986). Tandis que les équations de régression classiques produisent la même incertitude. Pour les partisans des anticipations rationnelles
et des cycles réels par exemple, les innovations ou surprises monétaires, à
savoir les variations discrétionnaires de l'offre de monnaie à des fins de
relance de l'activité, n'ont aucun effet significatif sur cette dernière (Blanchard et Watson, 1986 ; King et P10sser, 1984).
- A l'inverse, Stock et Watson (1989 3) obtiennent des résultats différents
à partir des modèles à vecteurs autorégressifs. L'originalité de cette méthode
3. J.H. Stock et N.W. Watson (1989) «Interpreting the evidence on money-output
causality », Journal of Econometries, vol. 40, pp. 161-181.
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
385
est de mieux examiner les tendances déterministes ou stochastiques des
séries, et d'éviter de conclure à des corrélations factices contrairement à la
méthode précédente, notamment lorsque les séries considérées possèdent
une tendance commune. Appliquant alors la méthode de cointégration de
Engle et Granger (1987 4 ), ces auteurs aboutissent au résultat que la liquidité
parfaite (Ml) affecte bien l'activité aux États-Unis, les coefficients des
innovations de la quantité de monnaie (en conséquence expurgée du trend)
étant améliorés par rapport à ceux d'un test de causalité multivariée à la
Granger. Pourtant, utilisant la même méthode, Krol et Ohanian (1990 5 )
n'arrivent pas à une conclusion identique pour les cas du Royaume-Uni, du
Canada ou de l'Allemagne. Il semble que les résultats soient biaisés par la
méthode de cointégration de Engle et Granger, qui ne permet d'étudier
qu'une seule relation de cointégration dans un système multivarié ne comportant pas plus de deux variables.
Enfin, les études relatives aux pays en développement sont davantage
limitées notamment en ce qui concerne les pays africains. Certes, on admet
l'hypothèse théorique que l'imperfection des marchés financiers justifie la
place de la politique monétaire, et son rôle dans le transfert de l'épargne
privée vers l'investissement. Mais les études au mieux portent généralement sur la fonction de demande de monnaie, dont la stabilité est examinée
dans le cadre statique. Récemment, des spécifications dynamiques de la
demande de monnaie ont été étudiées, notamment dans le cas du Kenya.
Elles ont conclu à son instabilité à la faveur du processus de libéralisation
financière (Adam, 1994).
En économie ouverte, la politique monétaire peut affecter l'activité suivant le régime de changes ou le degré de mobilité des capitaux. Les cadres
canoniques de base sont le modèle Mundell-Fleming et l'approche monétaire de la balance des paiements. Dans les deux cas, en régime de changes
fixes et en présence de la mobilité forte des capitaux, la politique monétaire
n'a aucun effet réel sur l'activité. Dans le .premier modèle, la baisse des
taux d'intérêt consécutive à une politique monétaire expansive fait fuir les
capitaux, raréfie les réserves de change, et donc ramène l'offre de monnaie
à son niveau initial. En déprimant l'investissement en volume, cette hausse
des taux d'intérêt génère un deuxième effet déflationniste qui, en réduisant
les importations, crée l'excédent courant compensateur du déficit de la
balance des capitaux consécutif au choc initial. La politique monétaire est
donc neutre sur l'activité.
Dans le deuxième modèle, l'inefficacité de la politique monétaire s'analyse différemment. D'abord, la flexibilité des prix relatifs et du niveau
général des prix est admise, ce qui conduit à définir le taux de change
4. Robert Engle et Clive Granger (1987) « Cointegration and error correction: representation, estimation and testing », Econometrica, vol. 55.
5. R. Kral et L.E. Ohanian (1990) « The impact of stochastic and deterministic trends
on money-output causality: a multi-country investigation », Journal of Econometries, vol.
45, pp. 291-308.
386
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
d'équilibre en relation avec la parité des pouvoirs d'achat. Ensuite et surtout, les variations de la balance des paiements reflètent les déséquilibres
du marché de la monnaie. Un excédent de la demande sur l'offre est compatible avec une offre de devises abondante et en conséquence un excédent
des paiements courants. Alors qu'un excédent de l'offre de monnaie sur la
demande traduit simplement une raréfaction des réserves de change et par
conséquent un déficit des paiements courants. Une politique monétaire
expansive en créant un excès de liquidité dans l'économie entraîne comme
première conséquence la hausse du taux d'inflation (théorie quantitative),
et ensuite la surévaluation de la monnaie domestique en termes de devises.
De cette dernière découle le renchérissement des exportations par rapport
aux importations, un déficit du compte courant. Toutefois, l'accroissement
du niveau des prix conduit les agents à reconstituer leurs encaisses désirées
via un processus de réallocation de richesses ou de portefeuilles. La baisse
des réserves liée au déficit du compte courant crée la diminution de l'offre
de monnaie, qui vient égaliser la nouvelle demande de monnaie, de sorte
que marché de la monnaie et balance de paiements sont à nouveau équilibrés. L'activité réelle revient à son niveau initial de sorte que la politique
monétaire est neutre.
De ces deux analyses canoniques, il ressort que les déséquilibres du marché des changes ainsi que les variations du taux de change déterminent
également l'activité économique comme les variations de la masse monétaire, les variations du taux d'intérêt ayant été limitées jusqu'en 1994 en
zone franc, notamment en régime de répression financière.
b) L'intensité de la causalité monnaie-activité en zone franc
La causalité monnaie-activité des pays de l'UEMOA a fait l'objet d'une
étude récente par Kalulumia etYourougou (1997 : 197-2306). Les données
sont trimestrielles et portent sur la période 1964.1-1993.4. Cinq des sept
pays de l'Union sont considérés: la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Niger, le
Togo et le Burkina Faso. Le Mali et le Bénin sont exclus de l'échantillon,
en raison de l'absence de données sur les prix et le PNB. Deux indicateurs
de masse monétaire sont considérés: la monnaie au sens strict (M 1) et la
monnaie au sens large (M2). L'activité est mesurée par le PNB en volume
et le taux de change réel bilatéral en termes de $ est l'indicateur du taux de
change.
La méthode de Johanssen (1988) se caractérise par trois étapes.
Elle part d'un système vectoriel autorégressif, qui peut alors être écrit
sous la forme d'un modèle à correction d'erreur, permettant de distinguer
l'effet de long terme des coefficients d'impact. Ce modèle à correction
d'erreur est ensuite reformulé, de telle façon que le vecteur des variables de
long terme soit stationnaire même si les variables d'origine ne le sont pas.
6. Pene Kalulurnia et Pierre Yourougou (1997) « Money and incorne causality in developing countries: a case study of selected countries in Subsaharan Africa », Journal ofAfrican Economies, vol. 6, nO 2, pp. 197-230.
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
387
Le rang de cette matrice fournit alors le nombre de relations de cointégration. Un rang plein signifie une stationnarité en niveau des variables, alors
qu'un rang nul signifie l'absence de stationnarité des variables, et ramène à
un système autorégressif traditionnel en différences premières. L'originalité de la méthode réside alors ici dans la détermination du nombre de
relations de cointégration. La troisième étape consiste alors à déterminer
les coefficients du modèle à correction d'erreur par le maximum de vraisemblance.
Les résultats indiquent que:
- toutes les séries utilisées possèdent une racine unité, elles sont donc
intégrées au même ordre en différences premières. L'analyse des relations
de cointégration révèle que la masse monétaire au sens de M2 est reliée
dans une liaison de long terme à toutes les autres variables, pour tous les
pays. Par contre, MIn'est reliée dans une liaison de long terme avec toutes
les autres variables que dans trois cas sur cinq (Côte d'Ivoire, Sénégal et
Togo). Le modèle à correction d'erreur permet enfin d'étudier l'hypothèse
de non-neutralité de la monnaie, puisqu'il fournit le moyen de distinguer le
coefficient de long terme des coefficients d'impact des innovations sur la
masse monétaire par rapport à l'activité. Il apparaît alors que les innovations sur M2 sont non neutres sur l'activité en Côte d'Ivoire, et neutres sur
l'activité au Niger. Par contre les innovations sur Ml causent l'activité au
Sénégal. Donc la masse monétaire au sens large (M2) est un prédicteur
adéquat de l'activité en Côte d'Ivoire alors que la liquidité parfaite (Ml)
est un bon prédicteur de l'activité au Sénégal;
- enfin, les innovations sur le taux de change réel affectent également
l'activité en Côte d'Ivoire, justifiant largement la dévaluation nominale
dans ce pays en 1994.
Ces résultats montrent donc bien que la politique monétaire conserve son
efficacité en changes fixes, car dans le cas de la zone franc, des pays
comme le Sénégal et surtout la Côte d'Ivoire peuvent utiliser les variations
de l'offre de monnaie au sens strict ou large pour déterminer le cours de
l'activité économique. Elle permet également d'insulariser, du moins partiellement, l'économie domestique vis-à-vis de la contrainte extérieure.
B) L'EFFICACITÉ DANS L'INSULARISATION DE L'ÉCONOMIE VIS-À-VIS DE
LA CONTRAINTE EXTÉRIEURE
Le modèle Mundell-Fleming établit l'inefficacité de la politique monétaire en l'absence de stérilisation des entrées de capitaux. Supposons : un
supplément d'entrées de capitaux découle par exemple d'une politique
budgétaire expansionniste. La conséquence est alors une hausse des taux
d'intérêt, laquelle induit la croissance mécanique de l'offre de monnaie,
avec un risque de déficit ultérieur du compte courant en raison du jeu de
l'effet de liquidité sur l'activité. En changes fixes, elle se traduit aussi par
une tendance à l'appréciation de la monnaie domestique. Afin de l'éviter,
les Autorités peuvent alors stériliser cette entrée de capitaux et donc de
388
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
devises, en diminuant le volume de crédit intérieur à l'économie, en vendant de la monnaie domestique contre des devises sur le marché des changes. Cette opération fait baisser la valeur, et permet en retour de maintenir
ainsi la parité externe officielle de la monnaie domestique. Dans le même
ordre d'idées, supposons un cas d'une politique monétaire expansionniste
dont la conséquence réside dans une baisse des taux d'intérêt. En régime
de mobilité imparfaite forte, il en résulte aussi une sortie des capitaux qui
crée un déficit de la balance des capitaux et donc de l'ensemble de la
balance des paiements. En changes fixes, elle se traduit aussi par une tendance à la dépréciation de la monnaie domestique. Les Autorités ayant une
parité officielle à défendre peuvent chercher à s'abriter d'un tel effet
néfaste, en tentant de raréfier l'offre de la monnaie domestique sur le marché des changes pour en faire remonter le prix. La stérilisation consistera
alors à agir d'un côté pour préserver la stabilité du taux de change par une
diminution de la composante réserves, et à agir, de l'autre côté, par l'augmentation de la composante crédit de façon à éviter des effets déflationnistes sur l'activité.
Par contre, l'approche monétaire de la balance des paiements ne reconnaît pas l'utilité de la stérilisation, dans un contexte de marchés monétaires
et de change fonctionnant avec le minimum d'interventions publiques,
l'ajustement se faisant par la flexibilité des prix relatifs en changes fixes, et
par le taux de change en changes flottants.
Or, les Autorités monétaires même en changes fixes tentent de stériliser
les entrées de capitaux ou les variations des réserves de change. On peut
alors tenter de rendre compte de cette stratégie en mettant en exergue une
fonction de réaction des Autorités monétaires de la forme suivante, à l'instar de Savvides (1998 : 809-827 7 ):
~CCI/PIB)t
= aO + Lb; ~CAEN/PIB)ti+ Lc;CCG/PIB)ti
+ Ld;CTCR)ti + Lf;CDetteIPIB)ti
Cette fonction de réaction fait apparaître la variation du volume de crédit
intérieur rapporté au PIB comme variable endogène. Parmi ses déterminants, se range la variation des avoirs nets extérieurs en termes de PIB. Un
degré de stérilisation élevé signifie un coefficient égal à l'unité, alors qu'un
degré de stérilisation faible signifie un coefficient nul de cette variable. Le
second déterminant est la variation du crédit au gouvernement par le système bancaire, dont le niveau est également rapporté au PIB. Un coefficient
nul de cette variable signifie également une neutralisation complète des
variations des créances sur le gouvernement par une diminution des créances sur le secteur privé. Un coefficient inférieur à l'unité signifie que la compensation est simplement partielle. Le taux de change réel est aussi une des
7. Savvides Andreas (1998)« Inflation and monetary policy in selected west and central
african countries ». World Development, vol. 26, n° 5, pp. 809-827.
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
389
variables de cette fonction de réaction. Une augmentation de TCR est inflationniste, carelle traduit une dépréciation et réelle source d'inflation importée qui requiert une politique de crédit restrictive: en pareille situation, le
coefficient de TCR serait négatif. Toutefois, une telle augmentation alourdit
le service de la dette extérieure en monnaie nationale, et peut induire une
demande de crédit domestique plus forte. Dans ce cas, le coefficient de TCR
est alors positif. Enfin, en présence d'un endettement extérieur important, la
Banque centrale peut tenter de diminuer la croissance du crédit au secteur
privé.
Cette équation est estimée principalement pour la Côte d'Ivoire sur la
période 1979-1995, les données étant issues des World Development Indicators (1996).
Coefficients
estimés
Écart-types estimés
T de Student
probabilités
Constante
(AEN /PIB)
d(CG / PIB)
DETEXT/PIB
-2.607
- 0.386
-0.007
- 0.041
4.65
0.118
0.008
0.014
-0.56
- 3.261
-0.968
- 2.929
0.58
0.0068
0.351
0.0126
Statistiques
R2
13-2 ajusté
EcartTyp Régre
SCR
Log Vraiss
D'w.
0.926
0.902
2.289
65.928
- 35.246
2.18
Moyenne CIIPIB
Écart-TypCIIPIB
Critère d'Akaike
Crit SCHWARZ
F
ProbF
31.60
7.33
1.89
2.14
37.98
0.0000
Variables
exogènes
Elle donne les résultats suivants. Toutes les variables sont stationnaires
en différences premières d'ordre 2, sauf le crédit au gouvernement est stationnaire en différences premières d'ordre 1. Par conséquent l'équation
précédente se présente comme une régression classique, la variation du
crédit au gouvernement est intégrée d'ordre alors que toutes les autres
variables sont intégrées d'ordre 1. Enfin, le coefficient de compensation
entre la variation des avoirs extérieurs nets et du crédit intérieur au secteur
privé est de (- 0,38), alors que celui du taux de change réel est de même
ampleur (+ 0,38), celui de la variation de la dette extérieure rapportée au
PIB étant plus négligeable (- 0,04). Il Y a donc une stérilisation significative des avoirs extérieure en Côte d' Ivoire de près de 40 % pour toute entrée
de devises de 100%, traduisant une relative autonomie de la politique
monétaire. Cependant, on constate que sur la période, la variation du taux
de change réel requiert une demande de crédit de plus en plus forte par le
secteur privé. Cette situation n'étonne pas puisqu'on est en période de
diminution des termes de l'échange.
En gros ces facteurs montrent que les pays de la zone franc possèdent des
marges de manœuvre, dans le contexte d'un rattachement éventuel du
FCFA à l'euro.
°
390
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
L'euro: une marge de manœuvre pour la zone franc
Aujourd'hui, il est important de comprendre les critères de choix d'un
régime de change pour saisir l'intérêt du choix d'un régime de parités ajustables pour la zone franc. Par ailleurs, l'ancrage du FCFA à la zone euro
peut être source d'entrées de capitaux qui peuvent financer la croissance
dont on attend des effets plus importants que ceux potentiellement pervers.
A) LA NÉCESSAIRE ADOPTION D'UN RÉGIME DE PARITÉS AJUSTABLES
Depuis 1982, le Fonds monétaire international distingue cinq régimes de
change: le taux de change fixe par rapport à une seule monnaie, le taux de
change fixe par rapport à un panier de monnaies, le taux de change avec
flexibilité limitée (changes quasi fixes), le flottement contrôlé et le flottement indépendant. Cependant, il est difficile de classer les régimes de
change pour deux raisons principales. D'une part, la Banque centrale peut
annoncer un mode de gestion flexible du taux de change et, en même temps
en déterminer la valeur sur la base d'un ensemble d'indicateurs tels que le
différentiel d'inflation avec l'étranger, le niveau du solde du compte courant ou des prévisions de demande ou d'offre du marché des changes. Le
taux est donc flottant en apparence mais il demeure non flottant en réalité.
D'autre part, des interventions stabilisantes se réalisent en permanence
même en régimes de changes dits flottants, ce qui signifie qu'il s'opère un
lissage du cours des monnaies non compatible avec l'idée d'une flottaison
intégrale. Quoi qu'il en soit, depuis le début des années 1980, l'ère où on
assiste à la montée en puissance du régime de flottement des monnaies est
plutôt favorable à un flottement contrôlé qu'à un flottement libre.
L'analyse macroéconomique contemporaine fait désormais apparaître les
cinq critères comme déterminants du choix des régimes de change. La taille
du pays et son degré d'ouverture constituent le premier critère. Un pays dont
la part des échanges extérieurs dans le PIB est élevée subira de plein fouet
le coût d'une volatilité excessive de son taux de change, alors qu'un petit
pays faiblement ouvert pourra opter pour un régime de fixité. Un pays dont
le différentiel d'inflation vis-à-vis de ses partenaires commerciaux lui est
défavorable devra opter pour un taux de change flexible de façon à corriger
les écarts de compétitivité afin de maintenir des prix relatifs favorables à ses
exportations. Le degré de flexibilité du marché du travail intervient aussi,
car lorsque les salaires sont rigides, la flexibilité du taux de change est nécessaire pour absorber les chocs externes. Tandis que le degré de développement du marché financier est un déterminant du choix du régime de changes.
Car un système financier peu développé où les transactions en devises sont
en nombre faible rend peu viable le choix d'un régime de flottement. Aussi,
le degré de crédibilité des décideurs publics affecte ce choix comme
d'ailleurs le degré de mobilité des capitaux ainsi que vu précédemment.
Dans le premier cas, une réputation fragile de la Banque centrale est de
nature à accroître la confiance dans un taux de change fixe, lorsque l'objectif
poursuivi est la lutte contre l'inflation. Toutefois, le fait de fixer le taux de
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
391
change ne constitue pas en soi une condition suffisante de crédibilité de la
politique suivie. Une forte mobilité des capitaux affaiblit la viabilité d'un
régime de changes fixes car les spéculateurs peuvent alors mettre en œuvre
des « attaques spéculatives» lorsque le taux de change leur paraît incohérent avec la politique macroéconomique suivie.
De plus en plus d'études examinent la performance des régimes de
change (FMI, 1997 Edwards: NBER, 1998). Quatre conclusions en découlent. Généralement les pays ayant maintenu un taux de change fixe, n'ont
pas atteint un taux de croissance du PIB réel plus élevé que ceux ayant
choisi un régime de flottement. Par contre les premiers ont montré une
maîtrise plus grande de l'inflation, même s'il est vrai que l'écart tend à se
réduire dans les années 1990. Le taux de change réel a été moins variable
dans les pays à taux de change fixe. En réalité, c'est davantage la cohérence
globale de la politique économique globale qui semble avoir joué un rôle
déterminant dans les performances macroéconomiques que le choix du
régime de changes lui-même.
Ce constat justifie l'examen de l'intérêt d'un régime de changes ajustables. Ainsi, un régime de bandes, c'est-à-dire l'ancrage d'une monnaie à
un panier de devises avec une marge de variation (de plus ou moins 10%),
combine les avantages d'un régime de changes fixes avec ceux d'un régime
de changes flexibles. Car du fait de l'ancrage au panier de monnaies étrangères, un tel régime permet d'imposer une discipline sur la politique monétaire. En revanche, en raison de la marge de variation, il offre un degré de
flexibilité pour s'ajuster aux chocs externes tels que les sorties de capitaux,
les hausses des prix du pétrole ou des intrants importés ou des taux d'intérêt mondiaux. La marge de fluctuation limite également la volatilité du
taux de change, tout en permettant de prévenir contre une surévaluation de
la monnaie nationale et ses conséquences négatives sur le solde du compte
courant. Dans la mesure où elle introduit enfin une relative incertitude sur
le prix de la devise étrangère, elle permet de limiter l'incitation à l'endettement extérieur. Tous ces éléments ne sont favorables à l'évidence à un tel
régime de changes, que lorsque les pressions sur la monnaie domestique
sont limitées, sinon le régime expérimente « le collapsus du taux de
change» comme dans le cas du peso mexicain.
Ces éléments justifient donc l'intérêt du choix d'un régime de parités
ajustables en vue d'un ancrage du FCFA à l'euro. En raison de l'importance du commerce extérieur des pays membres de la zone franc vis-à-vis
de l'Union européenne (50%), un régime de fixité est donc nécessaire. Par
contre la faiblesse des marchés financiers, la rigidité relative des taux de
salaires sur des marchés réels où de nombreuses conventions salariales
subsistent et une réputation affaiblie à tenir la parité officielle depuis la
dévaluation du FCFA forment des hors facteurs militant en faveur d'une
dose de flexibilité. Néanmoins, il reste le problème de la parité d'entrée au
moment de l'ancrage à l'euro, qui pose plus généralement le problème des
avantages attendus, notamment l'attraction des capitaux étrangers.
392
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
B) L'APPARTENANCE À LA ZONE EURO UNE ATIRACnON POUR DES CAPITAUX ÉTRANGERS
L'appartenance du FCFA à l'euro est de nature à susciter un changement
institutionnel dont l'effet est somme toute limité, contrairement aux
impacts économiques attendus.
a) Le changement institutionneL
A priori, le maintien de la zone franc n'est pas incompatible avec le traité
de Maastricht, du moins tant qu'il relève de la politique budgétaire française (Cour, 1998 : 3). De même, le passage du peg sur le franc au peg sur
l'euro n'entraînera pas de changement majeur, car la conversion se fera au
taux de change de l'euro contre le franc français.
Par contre, en matière de garantie de convertibilité un changement
important est à prévoir: cette garantie ne faisait intervenir qu'une relation
entre la France et les pays de la zone CFA. Avec l'introduction de l'euro et
la disparition du franc, le Trésor français a un engagement potentiellement
illimité dans une monnaie qui n'est pas française. En fait, la situation existait déjà avec le nouveau statut de la Banque de France conférant à celle-ci
une indépendance par rapport à l'autorité budgétaire. Mais elle est aggravée par le fait que si les statuts de la Banque de France excluent le financement monétaire des dépenses publiques, celle-ci pouvait accommoder la
situation par une politique monétaire adéquate dans le cadre d'un « policy
mix» approprié. Il n'en est plus de même avec une politique monétaire
européenne unique. Le Trésor français assume désormais pleinement cet
engagement.
L'accord liant la France aux pays de la zone franc devra désormais impliquer une reconnaissance de facto par les partenaires européens, qui
devront être régulièrement informés (Rapport annuel de la zone franc,
1997). A ce titre on peut s'interroger sur le fait que le peg sur l'euro soit un
accord formel de change? Deux conceptions possibles sont identifiables.
Il s'agit d'un accord de change: alors la BCE est concernée et les décisions doivent être prises non par la France mais par le Conseil des chefs
d'États et de gouvernements. Dans le cas d'un arrangement budgétaire, le
Franc CFA repose sur un accord entre le Trésor français et les gouvernements de la zone CFA. L'UE n'a pas à intervenir. Mais, en pratique, les
montants engagés au titre du compte d'opération pèsent peu à la fois dans
le budget français et sur les marchés européens. En bonne gestion le gouvernement français devrait compenser les concours aux autorités de la
zone CFA par des recettes fiscales ou des réductions d'autres postes de
dépenses. S'il a recours à l'emprunt, il existe un risque potentiel d'augmentation des taux d'intérêt en Europe. Mais le risque est infime compte
tenu des montants prévisibles qui sont relativement fixés à la taille des
marchés des capitaux européens. Cependant, il est probable que, dans le
futur, toute crise d'une certaine ampleur impliquera l'UE, notamment sur
le plan de la gestion des effets économiques.
LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
393
b) Les effets économiques attendus
Les effets réels sur l'activité sont distincts des effets sur le taux de
change.
Dans la mesure où elle accélérera la croissance européenne produisant
des effets directs sur l'activité, l'introduction de l'euro devrait accroître les
exportations des pays de la zone franc et stimuler leur croissance en
volume. Cet élargissement de rUE devrait encore renforcer cet effet car
c'est la périphérie de l'UE qui va le plus profiter de cet effet positif de
l'euro sur la croissance, via une entrée de capitaux dont le rendement marginal attendu serait plus élevé comme cela a été le cas lors de l'adhésion de
l'Espagne et du Portugal à la Communauté européenne.
A propos de l'effet sur les taux de change, l'élimination de la variabilité
des taux de change à l'intérieur de l'europe devrait favoriser le commerce
entre l'Union européenne et la zone CFA. Mais cet effet est déjà acquis
dans la mesure où les taux de change sont stables depuis un certain temps
à l'intérieur de rUE. Si les exportations vers les pays autres que ceux de
rUE sont essentiellement en $ (matières premières, pétrole), les importations proviennent d'origines diversifiées et faiblement des États-Unis. Les
pays de la Zone CFA sont sensibles aux fluctuations du taux de change du
dollar pour leurs ressources extérieures, et par ce biais, ce processus
influence la demande de crédit domestique (problème de stérilisation évoqué ci-dessus). Dès lors, la volatilité du taux de change euro/dollar est donc
de ce point de vue un inconvénient dont il faudra que les pays de la zone
CFA apprennent à se prémunir, cependant que la volatilité en elle-même
n'est pas un obstacle majeur. Son effet sur le commerce international et
même sur le bien-être n'est pas démontré. Par ailleurs, il existe des moyens
de se prémunir contre les risques de change. Par contre, les désajustements
durables sont bien plus dommageables. Beaucoup prévoient une appréciation de l'euro. Ce désajustement poserait des problèmes de compétitivité
aux économies de la zone. En sens contraire, la dette extérieure des pays de
la zone CFA est pour une très large part en dollars. Une dépréciation du
dollar, si elle affaiblit les revenus extérieurs, réduit également le poids du
service de la dette. Ce dernier l'emporte sur l'effet défavorable sur la compétitivité. Enfin l'expansion de la zone euro peut conduire certains partenaires à changer leurs habitudes de facturation. Il est possible que certaines
matières premières puissent être cotées en euros plutôt qu'en dollars.
Conclusion
Dans ces conditions, il faut prévoir à moyen terme une réforme de la
zone franc, avec la définition d'une parité en Euro se traduisant par la dévaluation du CFA, la définition d'un régime de parités fixes ajustables à partir
de l'entrée effective en 2002 de l'euro. Il serait alors dans ce cas plus
394
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
adapté que les pays africains négocient une convertibilité de leur monnaie
en euros pour avoir plus facilement accès au marché international. On peut
également s'attendre à ce que cette devise, en accroissant sa part dans la
facturation des échanges internationaux, soit un levier pour des investissements directs et des entrées de capitaux plus grands en Afrique.
En attendant que l'évolution de la conjoncture interne à l'espace CFA
ainsi que l'apparition de pays africains plus influents en Afrique (Nigeria,
Afrique du Sud) induisent une évolution du régime de changes en Afrique,
la tendance est au renforcement de l'intégration régionale intra-africaine
comme au sein de l'Union européenne.
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LE FRANC CFA A L'HEURE DE L'EURO
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17
L'avènement de l'euro : une opportunité
pour les pays de la zone franc de modifier
la gestion du taux de change du franc CFA
Par Adama DIAW
Le 1er janvier 1999 a constitué une étape cruciale dans le processus d' intégration économique et monétaire des pays membres de l' Union européenne.
C'est en effet à cette date que l'euro a été introduit comme monnaie unique
des pays membres de l'Union économique et monétaire européenne sur la
base des critères de convergence établis par le traité de Maastricht!.
Les débats qui ont entouré la ratification de ce traité ont trouvé un large
écho en Afrique, particulièrement dans les pays de la zone franc qui ont
constitué entre eux un véritable système monétaire régional. Le problème
de l'avenir de la zone franc se trouve dès lors posé avec acuité.
Les questions suivantes sont, ces derniers temps, récurrentes:
- le Franc CFA sera-t-il rattaché à l'euro? Si oui, selon quelles modalités?
- s'achernine-t-on vers une disparition de la zone franc? Assistera-t-on
dans ce cas à la naissance d'une zone monétaire autonome entre les pays de
la zone franc, ou chaque union monétaire africaine créera-t-elle sa propre
monnaie?
1. L'inflation ne doit pas être supérieure de plus de 1,5 % à celle de la moyenne des trois
États membres les plus performants.
- Le déficit public ne doit pas être supérieur à 3 % du PIB.
- La dette publique ne doit pas être supérieure à 60 % du PIB sauf si elle diminue régulièrement vers cette valeur.
- Le taux d'intérêt à long terme ne doit pas être supérieur de plus de deux points au
taux moyen à long terme des trois États membres les plus performants en la matière.
- L'adhésion au système monétaire européen doit dater de deux ans au moins et aucun
ajustement monétaire ne doit être effectué durant cette période.
398
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
Ces questions légitimes que se posent à l'heure actuelle les élites africaines - et qui trouvent un écho naturel en France - ne sont pas seulement
d'ordre monétaire et financier. En effet, les choix monétaires que les pays
africains de la zone franc seront amenés à effectuer conditionneront de
façon cruciale leurs stratégies de développement. Ainsi, au-delà des perspectives du FCFA, l'avènement de l'euro implique que c'est ce devenir
politique, économique et social des pays de la zone franc qui est en jeu.
n semble à l'heure actuelle établi qu'un choix politique clair a été fait en
faveur d'un rattachement du FCFA à l'eur0 2•
Mieux les ministres des Finances de l'Union européenne ont décidé le
6 juillet 1998 de maintenir la parité actuelle entre le FCFA et le franc français à l'avènement de l'euro. L'Allemagne qui avait émis des doutes et des
réserves, s'est finalement rangée aux vues de ses alliés après avoir
demandé que la Banque centrale européenne puisse se prononcer sur cet
accord.
Les deux questions fondamentales qu'on peut se poser sont dès lors les
suivantes:
- le maintien des accords régissant la zone franc est-il compatible avec
les dispositions de l' Union économique et monétaire (UEM)?
- quelle sera l'incidence du rattachement du FCFA à l'euro sur le taux
de change effectif réel du FCFA et la compétitivité extérieure des pays de
la zone franc?
Cette contribution tente d'apporter des réponses à ces deux importantes
questions.
Le rattachement du FCFA à l'euro est-il techniquement possible?
Au plan monétaire, l'appartenance à la zone franc se traduit, pour les
pays membres, par l'adhésion à trois grands principes relatifs au régime
des changes.
- L'existence d'une monnaie propre à chaque union qui est dans un rapport de change absolument fixe à l'égard du franc français (l FCFA =
0,01 FF depuis la dévaluation de 50% du franc CFA en janvier 1994).
- Une gestion commune des réserves de change: chaque Banque
centrale -la BCEAü et la BEAC - verse au moins 65 % de ses disponibilités constituées en dehors de la zone dans un compte d'opérations ouvert
auprès du Trésor français 3 •
2. Cf. à ce sujet: les engagements par écrit du président français J. Chirac au sommet
France-Afrique de 1996; les conclusions de la réunion de Libreville des ministres des
Finances de la zone franc - avril 1998 - l'article du gouverneur de la BCEAO dans le
Soleil du 17 avril 1998.
3. Les États ont la faculté de tirer sans limite fixée a priori les ressources dont ils ont besoin
pour leurs paiements externes, sous réserve que les disponibilités extérieures détenues par
ailleurs aient été entièrement utilisées au préalable. Des clauses sont prévues pour la rémunération dudit compte lorsqu'il est créditeur. En cas de débit, des intérêts sont payés à la partie
française.
L'AVÈNEMENT DE L'EURO
399
- Une liberté de transfert au sein de la zone ne pouvant être enfreinte
même dans l'hypothèse où un pays éprouve de sérieuses difficultés de
balance des paiements.
Ces principes confèrent au régime des changes des pays africains de la
zone franc une spécificité certaine par rapport au régime de change des
autres pays en développement.
A compter du 1er janvier 1999, la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire dans l'Union monétaire européenne incomberont à la Banque centrale européenne (art. 105.2 du traité de Maastricht). Les banques
centrales nationales exécuteront les missions qui leur seront confiées, mais
elles n'auront plus le pouvoir monétaire ni celui de financer - ce qui est déjà
le cas depuis le 1er janvier 1994 -les déficits budgétaires excessifs4 .
De manière formelle, jusqu'à une date récente, le problème du rattachement du FCFA à l'euro n'avait été considéré par aucune institution européenne et il n'y avait pas de position officielle par rapport à la question de
savoir si ce lien devai t requérir un engagement des pays de l' Union monétaire
autres que la France. Les dispositions du traité de Maastricht laissaient en
effet la porte ouverte à diverses interprétations (Hadjimichael et Galy, 1997).
Selon l'article 109 (1), le Conseil des ministres est habilité à conclure des
accords de taux de change entre l'euro et d'autres monnaies et d'adopter,
d'ajuster ou d'abandonner les taux centraux de l'euro dans chaque accord
de change. En l'absence d'un système de taux de change en relation avec
une ou plusieurs monnaies, le Conseil des ministres peut formuler des
orientations générales pour la politique de taux de change en relation avec
ces monnaies compatibles avec l'objectif premier de la Banque centrale
européenne qui est de maintenir la stabilité des prix (article 109 [2]).
L'article 109 (3) stipule que lorsque des accords concernant des questions monétaires ou de régime de change doivent être négociés par la Communauté avec un ou plusieurs États ou organisations internationales, le
Conseil des ministres, agissant à la majorité qualifiée sur recommandation
de la Commission et après avoir pris l'avis de la Banque centrale européenne, décidera des termes de la négociation et de la conclusion de tels
accords. Le souci, à ce niveau, est de faire en sorte que la Communauté
exprime une seule position.
Cependant, le pouvoir conféré au Conseil des ministres en la matière
n'exclut pas des actions indépendantes de la part des pays membres. En
effet, l'article 109 (5) permet expressément aux pays de l'Union monétaire
européenne de négocier et de conclure des accords internationaux dès
l'instant que ces accords ne portent pas préjudice aux compétences de la
Communauté et aux accords relatifs à l'Union économique et monétaire.
Un protocole annexé au traité de Maastricht prévoit que la France conservera le privilège d'émission dans les départements et territoires d'outre4. Art. 109 E.4: les États devront « éviter les déficits excessifs ».
Art. 104.C.2.: la Commission surveille l'évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique de chaque État membre.
400
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
mer et qu'elle sera habilitée à déterminer la parité du franc CFA. On ne
trouve pas la moindre mention de la zone franc.
A la lumière des articles 109 (1), 109 (2) et 109 (3), la libre convertibilité
du FCFA en euro garantie par la France pourrait donc être interprétée
comme un accord de taux de change qui concerne tous les pays de l'UEM
et donc sujet à l'approbation du Conseil des ministres, laquelle est devenue
effective en juillet 1997. L'impact quantitatif de cet accord est cependant
quasi nul sur la politique monétaire de l'Union.
La libre convertibilité du FCFA garantie par la France est un accord budgétaire entre le Trésor français et les deux Banques centrales de la zone franc
qui ne nécessite pas une approbation du Conseil des ministres. La garantie
de convertibilité n'est pas un accord de nature monétaire. Elle ne fait entrer
en jeu ni la Banque de France ni la Banque centrale européenne et semble
conforme aux dispositions de l'article 109 (5) du traité de Maastricht.
Les comptes d'opérations des deux Banques centrales africaines ne sont
pas ouverts auprès de la Banque de France mais du Trésor français qui convertit les francs CFA en francs français. Le Trésor français pourra continuer de le faire en cédant aux Banques centrales africaines des euros
lorsque ceux-ci deviendront la seule monnaie ayant cours légal en France.
Ce sera donc toujours le budget de l'État français qui financera les besoins
éventuels de la zone franc.
Le passage à la monnaie unique est donc tout à fait compatible avec les
règles institutionnelles de la zone franc.
Que l'avènement de l'euro n'affecte en rien les règles de la zone franc ne
fait pas cependant l'unanimité.
L'argument suivant est couramment évoqué: les dispositions du traité de
Maastricht vont considérablement restreindre les marges de manœuvre des
Trésors publics nationaux, en particulier celle du Trésor français pour
financer les déficits futurs des comptes d'opérations de la zone francs.
A proprement parler, il n'y aurait problème que si les volumes en cause
n'étaient pas si faibles et les déséquilibres globaux des comptes d'opérations si marginaux.
Il s'agit en effet de déficits globaux, ce qui signifie que l'excédent d'un
compte d'opérations pourra compenser partiellement le déficit de l'autre.
A la veille de la dévaluation du franc CFA, le déficit des comptes d'opérations de la zone franc représentait moins de 0,5 % du déficit budgétaire
français 6 .
5. Une réduction des avoirs extérieurs de la zone franc et un possible usage de la facilité
de tirage auprès du Trésor français pourraient théoriquement, s'ils ne sont pas compensés
par des mesures budgétaires correctrices, accroître le besoin de financement du Trésor
français et entamer la hausse des taux d'intérêt provoquant une éviction du secteur privé du
marché du crédit.
6. L'année 1990 a été celle où le déficit combiné des deux comptes d'opérations a été le
plus élevé mais n'a représenté que 0, 1% de la masse monétaire française (3 milliards
de FF). Cependant à la suite de la dévaluation, ce déficit a atteint 0,3% de la masse monétaire de la France en 1994 c'est-à-dire 10,5 milliards de FE
L'AVÈNEMENT DE L'EURO
401
Ainsi, si l'avènement de l'euro peut ne pas remettre en cause l'existence
du FCFA ni la garantie de change de la France, il ne se pose pas moins la
question de savoir si les modalités prévues pour le rattachement du FCFA
à l'euro sont réalistes.
Un taux de change fixe entre l'euro et le FCFA est-il économiquement
souhaitable?
Du 1er janvier 1999 au 1er janvier 2002, l'euro coexistera avec les monnaies nationales. Celles-ci ne disparaîtront définitivement qu'à partir de
cette dernière date. Le FCFA s'en trouverait automatiquement rattaché à
l'euro. La substitution des billets se fera dans un délai qui sera fixé d'ici là,
mais cela n'a guère une grande importance pour le FCFA. Le choix des
cours de conversion en aura beaucoup plus. C'est le Conseil européen qui
les arrêtera, de façon à ce que l'euro ait la même valeur que l'actuel écupanier (art. 109L.4).
Bien que cela ne soit pas précisé, les cours seront déterminés à partir de
la valeur officielle de l'écu, c'est-à-dire de la valeur du panier en chacune
de ses monnaies composantes, telle qu'elle est publiée chaque jour par les
services de la Commission. C'est sur une telle disposition que le gouverneur de la BCEAO s'est basé pour écrire dans Le Soleil du 17 avril 1998
qu'au vu du cours actuel de l'écu, le taux de change entre l'euro et le FCFA
s'établira selon toute vraisemblance aux alentours de 670 FCFA pour un
euro au 1er janvier 1999. Cette valeur pourrait cependant changer d'ici là
car elle se trouve modifiée chaque fois qu'une monnaie est réévaluée ou
dévaluée. La parité du FCFA avec l'euro ne sera donc connue que le 1er
janvier 1999 car si les pays qui entrent dans l'Union monétaire ne doivent
pas avoir modifié leur taux de change nominal dans les deux années qui
précèdent, les pays qui n'entreront pas dans l'Union ce jour-là7 pourront
avoir dévalué leur monnaie quelques jours plus tôt. Faut-il ajouter que cette
valeur ne pourra être arrondie, ce qui reviendrait à modifier la valeur de
l'écu en FP.
L'entrée en vigueur du traité de Maastricht peut compliquer le fonctionnement de la zone franc dans la mesure où la politique monétaire de
l'Union sera orientée vers la stabilité des prix et sera donc très rigoureuse.
On connaît l'attachement des Allemands à une monnaie forte. Cette solution est-elle réaliste pour les pays de la zone franc? Est-il souhaitable et
économiquement soutenable que la monnaie du Niger, du Tchad ou de la
Guinée Bissau soit aussi forte que celle de l'Allemagne ou de la France?
Un taux de change effectif nominal (TCEN) élevé risque d'impliquer, tou7. On en connaît à l'heure actuelle quatre: la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark
et la Grèce.
402
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
tes choses étant égales par ailleurs, un taux de change effectif réel (TCER)
élevé8 .
Le TCER est l'indicateur standard le plus couramment utilisé pour mesurer la compétitivité globale d'une économie.
Il indique la rentabilité des biens et services faisant l'objet de transactions internationales par rapport à ceux qui sont produits et consommés à
l'intérieur du pays exclusivement.
L'approche traditionnelle du TCER est basée sur la parité des pouvoirs
d'achat. L'hypothèse de base est que la valeur d'une monnaie se trouve
fondamentalement déterminée par la quantité de biens qu'elle permet
d'acquérir. En d'autres termes, le taux de change est le prix qui réalise une
parité entre les monnaies de deux pays Pet i telle qu'il permet d'acheter
indifféremment un panier donné de biens dans P ou dans i. Le taux de
change joue un rôle essentiel dans la définition de la stratégie économique
et financière d'un pays. Ainsi, un niveau trop élevé du taux de change
(monnaie nationale surévaluée) risque d'entraîner la disparition d'un certain nombre d'entreprises par manque de compétitivité, une hausse des
importations et une baisse des exportations. Le prix à payer à moyen terme
de cette politique de facilité à court terme peut être un affaiblissement de la
capacité industrielle du pays et une réduction du niveau de vie de ses habitants. Plus les structures de production d'un pays sont vétustes, plus les
parts de marché qu'il occupe sont traditionnelles, moins il a intérêt à pratiquer une politique de monnaie forte. Il aura en effet à restructurer complètement son appareil industriel, tâche rendue difficile par les rigidités
économiques et sociales. S'il n' y parvient pas, il perdra simultanément sur
tous les tableaux: il perdra ses marchés traditionnels 9 , la parité élevée de sa
monnaie empêchant ses entreprises de consentir les sacrifices de prix
nécessaires; il ne conquerra pas de parts de marchés sur les créneaux nouveaux, ses entreprises n'étant ni assez mobiles, ni assez rentables pour saisir les opportunités.
L'évolution de la balance commerciale d'un pays est donc reliée à la
compétitivité de ses entreprises sur les marchés étrangers et celle-ci va
dépendre de la politique de change suivie par les autorités monétaires. Le
choix d'un taux de change nominal approprié doit être lié aux facteurs
ayant conduit à la surévaluation de la monnaie nationale. Un ajustement du
8. TCER = 7-TCEN xwilp-d
où: TCEN est l'indice du taux de change effectif nominal ou la moyenne des indices des
taux de change bilatéraux vis-à-vis des principaux partenaires commerciaux (calculés à
partir des cours de change de la monnaie nationale cotée au certain) d'un pays donné (P)
par rapport à la monnaie d'un pays (i).
Pd = indice des prix à la consommation dans le pays P.
Wi = coefficient de pondération: il mesure le poids de chaque pays partenaire i dans les
importations totales du pays P.
Mi= importations du pays P en provenance du pays i.
W = Mi avec Mt: importations totales du pays P.
9. Les pays africains de la zone franc présentent de telles caractéristiques.
L'AVÈNEMENT DE L'EURO
403
taux de change est nécessaire et même inéluctable en présence de chocs
extérieurs défavorables (détérioration des termes de l'échange, récession
au niveau mondial, politiques publiques inadéquates).
Dans le contexte économique international actuel, il ne semble pas stratégique, pour des pays en développement, de se priver totalement de l'arme
du taux de change dans l'optique de la recherche d'une plus grande compétitivité externe de leurs économies. Il peut apparaître souhaitable pour
les pays de la zone franc d'introduire une dose de flexibilité dans leur
régime de changes. La totale flexibilité engendre des déviations importantes et durables par rapport aux taux de change d'équilibre de long terme 10.
Les changes fixes aboutissent à des rigidités fortes. C'est pourquoi la mise
en place de fluctuations du FCFA autour d'un cours pivot par rapport à
l'euro peut sembler préférable (zone cible). Un tel système permettrait des
ajustements fréquents du taux de change en fonction de l'évolution des
fondamentaux. Etant donné le mauvais effet produit sur les plans politique
et psychologique par une dévaluation dans le contexte d'un système de rattachement, il apparaît plus réaliste de se ménager des marges de fluctuation. Un tel système pourrait permettre aux autorités de la zone franc de
tirer profit des fluctuations des principales monnaies pour camoufler une
dépréciation effective de leur monnaie et d'éviter ainsi les répercussions
politiques d'une dévaluation souvent vécue comme un psychodrame par
les populations (Aghevli, Khan et Montiel, 1991).
Le raisonnement qui précède aboutit à une conclusion d'ordre pratique.
En s'engageant à gérer avec souplesse le taux de change, les autorités de la
zone offriraient des garanties utiles aux producteurs de biens échangeables
favorisant en cela l'ajustement extérieur.
Une politique d'arrimage à une monnaie telle qu'on l'envisage pour le
FCFA vis-à-vis de l'euro peut créer des distorsions dans le système financier. En effet, dans la mesure où elle est considérée comme une garantie
implicite de stabilité de la monnaie, elle incite à emprunter en devises
étrangères et encourage les institutions financières et les entreprises à prendre des risques de change excessifs. En outre, lorsque le taux est fixe, les
investisseurs savent que la garantie implicite de convertibilité est limitée
par les réserves internationales disponibles et par la capacité du pays à
emprunter à l'étranger.
Par conséquent, lorsque la viabilité de ce régime devient incertaine, le
pays attire essentiellement des capitaux spéculatifs à court terme. Les crises mexicaine de 1994-1995 et asiatique de 1997 ont mis à nu les dangers
d'une politique de fixité du taux de change. Dans les deux cas, l'appréciation du taux de change réel, l'augmentation de la dette extérieure à court
10. Celui-ci selon la définition de Welliamson est susceptible de maintenir à long terme
l'activité économique au niveau le plus élevé. Il doit réaliser l'équilibre de la balance de
base et répondre au sentier de croissance acceptable.
404
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
tenne et la taille du déficit des transactions courantes amplifiées par la faiblesse du système financier ont déclenché la crise, (Ortiz, 1998).
Une leçon à tirer de la crise asiatique est que l'arrimage du taux de
change est un régime très difficile à défendre contre les attaques spéculatives, surtout lorsque le système financier du pays est faible. En effet, les
hausses des taux d'intérêt nécessaires pour consolider le régime de change
minent sérieusement le système financier et peuvent même y provoquer
une crise.
A la lumière de ces considérations, il est plus que temps que les autorités
politiques et monétaires des pays africains membres de la zone franc se
départent de leur religion d'un taux de change fixe qui serait sans grand
rapport avec les réalités économiques et sociales de ces derniers. L'évolution du monde rend indispensable, à l'heure actuelle, une réfonne des
modalités de fonctionnement de la zone franc.
S'il peut sembler opportun de lier le FCFA à l'euro, il serait plus réaliste
que ce lien soit lâche, adaptable en fonction des circonstances et non
rigide.
L'usage à bon escient du taux de change peut pennettre de faire repartir
une économie sur des bases plus saines et d'inverser ainsi des tendances
économiques défavorables.
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18
Le franc CFA:
autonomie ou rattachement à l'euro?
Une analyse coûts avantages à partir des effets potentiels sur l'économie
gabonaise
Par Fidèle MAGOUANGOU
La fin du vingtième siècle est caractérisée par un environnement économique qui présente trois caractéristiques majeures:
1. la mondialisation de l'économie;
2. le regain de l'intérêt pour le régionalisme;
3. la marginalisation de l'Afrique dans les échanges internationaux.
L'économie mondiale, désormais plus intégrée, est regroupée essentiellement autour de trois blocs (ALENA, CEE, ASEAN) mais laissant de moins
en moins de place à l' Afrique. Pour augmenter le poids du continent noir
sur les marchés internationaux, les économies africaines doivent élargir leur
base productive afin de les rendre moins vulnérables aux chocs exogènes et
de renforcer leur compétitivité. Le taux de change est l'un des instruments
qui, bien utilisé, permettra d'atteindre ces deux objectifs à la fois.
Le rôle que peut jouer le taux de change dans l'ajustement externe et
interne d'une économie dépend du régime de change choisi. Avec ou sans
l' avènement de l'euro, la marginalisation continue de l'Afrique dans les
échanges internationaux devrait inévitablement amener les responsables
politiques, les chercheurs et les hommes d'affaires africains à réfléchir et à
choisir le régime de change qui soit approprié à la réalité de l'économie
mondiale d'aujourd'hui.
Pour les pays de la zone franc cette réflexion ne peut plus attendre car
l'introduction de l'euro le 1er janvier 1999 marquera le début de la disparition du franc français qui sera effective en 2002. Cette disparition annoncée suscite déjà des inquiétudes sur l'avenir du franc CFA.
406
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
Faut-il profiter de cette occasion pour remettre en cause la tutelle française ou européenne et aller vers une autonomie totale dans la gestion du
taux de change? Ou faut-il au contraire militer pour le rattachement du
franc CFA à l'euro et continuer ainsi à renoncer à la souveraineté
monétaire?
L'objectif de cette contribution est d'essayer de répondre à ces deux
questions en indiquant les coûts et les avantages de chaque option du point
de vue de l'économie gabonaise. L'article comprend trois parties. Dans la
première, nous examinons les déterminants fondamentaux des taux de
change et les différents régimes de change. La deuxième partie décrit
l'économie gabonaise et les mécanismes institutionnels de fonctionnement
de la zone franc. Enfin, la troisième partie analyse, à la lumière des fondamentaux de l'économie gabonaise, les effets potentiels de l'autonomie du
franc CFA et de son rattachement à l'euro. Dans cette partie, nous indiquons notre préférence pour le rattachement à l'euro mais avec des parités
ajustables activement.
Déterminants fondamentaux des taux de change et choix du
régime de change!
La discussion sur les déterminants fondamentaux du taux de change
n'est possible qu'à la condition de préciser au préalable la notion du taux
de change. Dans notre cas, nous parlerons soit du taux de change nominal
(TCN), c'est-à-dire le prix relatif de deux monnaies, soit du taux de change
réel (TCR) qui exprime le prix relatif des biens échangeables par rapport
aux biens non échangeables. Le principal intérêt du TCR est qu'il donne
une bonne indication de la compétitivité d'un pays. Dans le cas du Gabon,
l'hypothèse est que les objectifs des responsables politiques sont d'assurer
une croissance économique saine et équilibrée, de restaurer la compétitivité sur les marchés internationaux et de promouvoir l'intégration régionale. Dans ces conditions, le TCR sera un indicateur macroéconomique
fondamental.
TeR = e· (PT* IPN)
e: taux de change nominal, c'est-à-dire le nombre d'unités de monnaie
nationale par unité de monnaie étrangère (une augmentation correspond à
une dépréciation).
PT* : prix mondial des biens échangeables;
PN: prix intérieurs des biens non échangeables.
Si on fait l'hypothèse que les prix relatifs ne varient pas dans le reste du
1. Cette partie du texte s'appuie pour l'essentiel sur les écrits de Sebastien Edwards
(1986) et de W. Max Corden.
LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RATTACHEMENT À L'EURO?
407
monde, la baisse du TCR s'interprète comme une détérioration de la compétitivité internationale du pays. En d'autres termes, le pays produit désormais des biens échangeables avec moins d'efficience qu'auparavant, par
rapport au reste du monde 2. A l'inverse, une hausse du TeR représente une
amélioration de la compétitivité internationale.
L'idéal serait que ce TCR soit un taux de change réel d'équilibre, c'est-àdire le taux de change qui assure à la fois l'équilibre interne et l'équilibre
externe. L'équilibre interne signifie que le marché des biens non échangeables est équilibré dans le présent et dans le futur. L'équilibre externe signifie que la somme actualisée des soldes extérieurs successifs doit être égale
à zéro. En d'autres termes, lorsque l'équilibre extérieur est réalisé, les soldes extérieurs courants (actuels et futurs) sont compatibles avec des mouvements de capitaux soutenables à long terme 3 .
Pour agir sur le TCR, il faut connaître au préalable ses déterminants les
plus significatifs. Les déterminants fondamentaux du TCR peuvent être
rangés en deux groupes: les facteurs externes et les facteurs internes.
1. Les termes de l'échange internationaux;
2. les transferts internationaux (y compris les flux d'aide) ;
3. les taux d'intérêt réels mondiaux.
Les facteurs internes sont les suivants:
4. les droits de douane, les contingents et les taxes à l'exportation;
5. le contrôle de change et les mouvements des capitaux;
6. les autres taxes et subvention;
7. la structure des dépenses publiques;
8. le progrès technique.
Le progrès technique est le principal déterminant fondamental interne
qui ne dépende pas de la politique économique.
Une détérioration des termes de l'échange a les mêmes effets sur le TCR
que l'application d'un droit de douane. Dans les deux cas, le prix domestique des biens importés augmente et la demande de ces biens baisse. La
demande de biens non échangeables augmente ce qui entraîne une hausse
des prix de ces derniers (l'hypothèse étant que l'effet de substitution est
plus fort que l'effet revenu). La hausse du prix des biens échangeables provoque également une hausse du TCR d'équilibre et correspond à une
dépréciation de la valeur réelle d'équilibre de la monnaie.
Les transferts internationaux influencent également l'évolution du TCR.
Lorsqu'un pays effectue un transfert vers le reste du monde, les revenus et
les dépenses actuels et futurs vont baisser en valeur. La conséquence est
qu'il y aura également une baisse du prix relatif des biens non échangeables. Cette baisse va, à son tour, provoquer une dépréciation de la valeur
d'équilibre de la monnaie. De la même manière, la valeur réelle d'équilibre
2. Sebastien Edwards (1986), « Exehange rate misalignment in developing eountries:
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3. Sébastien Edward, op. cit.
408
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
de la monnaie s'apprécie lorsque le pays reçoit une aide extérieure. Cette
appréciation, en rendant les exportations plus chères, réduit la compétitivité internationale du pays bénéficiaire.
Le contrôle des mouvements des capitaux influence le TCR à travers la
consommation intertemporelle et donc à travers l'évolution des prix relatifs. Une entrée de capitaux, due à un contrôle souple des mouvements des
capitaux, provoque une augmentation des dépenses courantes pour tous les
biens, y compris les biens non échangeables. La conséquence est une
hausse des prix de ces derniers ou une appréciation de la monnaie.
Le progrès technique influence le TCR à travers l'amélioration de la productivité. Plusieurs auteurs ont attiré l'attention sur l'importance de la productivité relative réelle dans l'explication des variations du cours de
change4 . Selon le théorème de Ba/assa-Samuelson, le taux de change du
pays, dont la productivité croît plus vite, aura tendance à s'apprécier en
terme réel. L'explication est la suivante: une forte croissance de la productivité dans le secteur manufacturier; secteur produisant les biens
échangeables; cela provoque une hausse des salaires aussi bien dans le
secteur des biens échangeables que dans celui des biens non échangeables, dont la productivité augmente moins vite. Cela provoque non seulement une hausse des prix du secteur où les gains de productivité étaient
plus élevés, mais aussi une hausse du niveau général des prix.
Le taux de change réel courant ou taux de change réel effectif n'est toujours pas égal au TCRE. Bien que ce dernier dépende uniquement des
variables réelles, le taux de change réel effectif, lui, dépend des variables
réelles et des pressions macroéconomiques globales (masse monétaire,
déficit budgétaire).
La gestion optimale du taux de change dépend des fondamentaux analysés ci-dessus, des objectifs économiques fixés par les autorités et du
régime de change choisi. Les objectifs du gouvernement gabonais sont
d'assurer une croissance économique saine et durable en limitant les variations du produit réel autour du niveau de plein emploi, de préserver la compétitivité et de favoriser l'intégration régionale. Ces objectifs sont
poursuivis dans un contexte de mondialisation caractérisé par des marchés
incertains et instables, donc de chocs inattendus.
En ce qui concerne le choix du régime de change, il est reconnu
qu' « aucun des choix extrêmes (taux de change permanent fixe ou taux de
change flexible) n'est optimal dans la recherche de la stabilité économique.
Par contre, un degré intermédiaire de flexibilité aurait plus de chance de succès dans la stabilisation de l'économie en réponse aux chocs inattendus S ».
Dans la réalité, le choix d'un régime de taux de change fixe ou flexible
dépend de la nature des chocs auxquels est exposé le pays considéré. Lors4. Harrod (1939), Balassa (1964), Samuelson (1964), 1. Kravis et R. Lypsey (1983),
L. Officer (1976) et D. Hsieh (1982).
5. Celestin Monga et Jean-Claude Tchatchouang (1996), Sortir du piège monétaire,
Economica, p. 51.
LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RATIACHEMENT À L'EURO?
409
que l'économie est confrontée à des chocs extérieurs, il est préférable
d'adopter un taux de change flexible. Dans l'hypothèse d'une baisse des
cours du pétrole par exemple, les prix domestiques gabonais peuvent être
stabilisés par un ajustement approprié du taux de change 6 . Si les chocs sont
internes, faut-il adopter des taux de changes fixes ou ajustables? Le choix
dépend de la nature des chocs. S'ils sont d'origine monétaire, il est reconnu
que le maintien du taux de change fixe est plus efficace dans la stabilisation
du produit national. Par contre, lorsque les chocs sont réels, il est préférable d'ajuster le taux de change pour stabiliser le produit national.
En ce qui concerne l'objectif de la compétitivité, l'option des changes
fixes devrait être exclue si les principaux concurrents sur les marchés internationaux ont des monnaies qui flottent. La promotion de l'intégration
régionale possède un avantage certain: le régime de change peut être fixe
ou flexible, l'essentiel est que les pays candidats au processus puissent
avoir ou conserver une monnaie commune.
Les fondamentaux de l'économie gabonaise et les règles de
fonctionnement de la zone franc
Les fondamentaux de l'économie gabonaise
A) LA STRUCTURE DE L'ÉCONOMIE GABONAISE
L'économie gabonaise dépend essentiellement de l'exploitation des
richesses de son sol et de son sous-sol: pétrole, mines (manganèse et uranium ) et bois. Dans ce groupe de produits destinés essentiellement à
l'exportation, le pétrole est l'activité économique dominante 7• A titre
d'illustration, les recettes pétrolières représentent, depuis 1980, plus de
50% de l'ensemble des recettes du budget de l'État et la production pétrolière représentent près de 40% du PIB alors que les mines et le bois représentent à peine 5% du PIB.
Tableau 1 - Évolution du pm en francs courants (rnds de FCFA)
Année
PIB
Taux de croissance réel1e (%)
1993
1994
1995
1996
1530,5
2326,7
2549,8
2897,0
3.9
3.7
5
3.8
Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France et auteur.
La décomposition par secteur du PIB confirme la prédominance du secteur pétrolier et la faiblesse du secteur primaire et plus particulièrement de
6. Celestin Monga et Jean-Claude Tchatchouang , op. cit.
7. H. A. Barro Chambrier, L'Économie du Gabon, analyse politique d'ajustement et
d'adaptation, Economica.
410
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
l'agriculture.
Tableau 2 - Répartition du PIB en 1996 (en pourcentage)
SECTEURS
Secondaire
Primaire
1
8,9
Tertiaire
1
1
12
1
38,3
1
Pétrolier
40,8
1
Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France.
Le poids des exportations de pétrole dans les exportations totales s'est
accentué dans le temps. Il est passé de 27 % en 1960 à 77 % en 1991 avec
un pic de 83 % en 1984.
B) LA STRUCTURE DES EXPORTATIONS
Tableau 3 - Évolution du taux de concentration des exportations
En milliards
1960
1971
1980
1984
1989
1991
735.7(83)
361(71)
512(77)
(et %)
Produits pétrole
2.5(27)
21.7(44) 406.8(77.6
)
Bois
8.6(73)
14.9(31)
47.6(9.2)
51.7(6)
48.1(9.4)
57(11)
0
9.4
28.0(5.3)
26.9(3)
59.3(11.
6)
30(6)
Manganèse
0
1.5
23.5(4.5)
57.1(7)
21.1(4.1)
28(5)
Divers
1.2
1.9
18.0(3.4)
10.3(1)
20.1(3.9)
44(1)
Total exportations
11.8
49.4
Uranium
523.9(100) 881.7(100) 509(100) 667(100)
Source: H. A. Barro Chambrier (1990) et auteur.
La spécialisation quasi exclusive de l'économie dans des industries
extractives et extraverties provient plus de la présence d'importants gisements en ressources naturelles du Gabon que d'un choix délibéré de politique économique.
C) LA BALANCE DES PAIEMENTS
Tableau 4 - Balance des paiements du Gabon en milliards de FCFA
Transactions courantes
1993
1994
1995
3,3
206,9
63,6
Balance commerciale
411,2
903,0
904,3
Exportations
650,8
1324,0
1352,4
Importations
239,6
421,0
448,1
Services
- 372,8
- 625,1
-734,9
Transferts unilatéraux
- 35,1
-71,0
- 105,8
LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RATIACHEMENT À L'EURO?
411
Tableau 5 - Balance des paiements du Gabon en milliards de FCFA
Flux financiers
-163,8
-274,9
-279,6
Longtenne
- 107,8
- 146,5
- 212,8
Court tenne
-56,0
- 128,4
-66,8
Erreurs et omissions
-9,3
-21,3
+2,5
-169,8
-89,3
- 213,5
169,8
89,3
213,5
Balance globale
Financement
Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France.
L'examen de la balance des paiements montre que l'économie gabonaise
bénéficie de manière structurelle des entrées des capitaux pour financer
une partie de ses opérations sur biens et services. Ces entrées de capitaux
gonflent le stock cumulé de la dette et pourraient influencer le taux de
change.
D) L'INFLATION ET LES TERMES DE L'ÉCHANGE
Tableau 6 - L'indice de prix
1994
136
1995
109.6
1996
105
Tableau 7 - Les termes de l'échange
1993
90
1994
83.6
1995
79.9
Source: DGE.
Sur la période 1994-1996, le taux d'inflation a été maîtrisé, malgré la
dévaluation de 1994. Par contre, sur la période précédente, l'économie
gabonaise a connu une détérioration de ces termes de l'échange 8 .
8. Les tennes de l'échange ont été obtenus en divisant le déflateur des exportations par
celui des importations.
412
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
E) LE TABLEAU DES OPÉRATIONS FINANCIÈRES DE L'ÉTAT
Tableau 8 - Le tableau des opérations financières de l'État 9
1993
1994
1995
350,9(23)
554,4(24)
730,6(29)
Recettes
346,9
546,0
730,6
Recettes fiscales non pétrolières
189,6
221,1
288,2
Recettes fiscales pétrolières
157,3
324,9
442,4
4,0
8,4
0,0
440,1
592,3
651,0
ReceUes totales
Dons extérieurs
Dépenses totales et prêts nets
362,4(24)
461,1(20)
515,0(20)
Salaires
149,1
165,1
178,1
Intérêts
108,9
156,2
201,0
Intérêts sur la dette intérieure
23,7
38,8
37,4
Intérêts sur la dette extérieure
85,2
117,4
163,6
Autres dépenses courantes
104,4
139,8
135,9
Dépenses en capital
77,7
131,2
136,0
Dépenses de restructuration
0,0
0,0
0,0
Dépenses courantes
Solde primaire (hors dons)
Solde base engagement (dons compris)
Arriérés
15,7
109,9
280,6
- 89,2(-6)
- 37,9(-2)
+ 79,6(3)
146,6
- 791,8
-53,6
Arriérés intérieurs
5,8
-89,1
-53,6
Arriérés extérieurs
140,8
-702,7
0,0
Solde (base caisse)
+57,4(4)
- 829( -36)
+26,0(1)
-57,4
+ 829,7
-26,0
1
Financement
Financement intérieur
15,3
30,6
-78,8
Financement extérieur
-72,7
799,1
52,8
Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France.
Sur la période considérée, le tableau des opérations financières de l'État
montre, le budget de l'État dégageant un excédent primaire qui est en augmentation constante. Entre 1993 et 1995, il est passé de 15,7 milliards à
9. 0 en % du PIB
Solde primaire = recettes-dépenses totales (hors intérêts).
Solde (base engagement) recettes totales (y compris dons) - dépenses totales.
Solde (base caisse) =solde (base engagements) + arriérés.
=
LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RAITACHEMENT À L'EURO?
413
280,6 milliards, soit une augmentation de 265 milliards. Cette situation
satisfaisante des finances publiques s'explique par la progression des
recettes pétrolières qui sont passées de 157,3 à 442,4 milliards entre 1993
et 1995. Une baisse inattendue des cours du baril de pétrole suffirait pour
dégrader les comptes de l'État.
F) LA DEITE EXTÉRIEURE
Le Gabon, au regard du tableau ci-dessous, est un pays relativement très
endetté. En 1995, la dette extérieure avoisinait les 4 milliards de dollars
américains, soit un ratio dette sur PIB de plus de 120%. Mais le service de
la dette demeure supportable grâce aux mesures d'allégement consenties
par les créanciers du Club de Paris.
Tableau 9 - La dette extérieure du Gabon
(encours en millions de $ US)
1993
1994
1995
Dette à court et long terme
3861
3986
4493
Dette à long terme
2933
3509
4099
Dette publique garantie
--
--
2933
3509
4099
Dette privée non garantie
0,0
0,0
0,0
Recours aux crédits FMI
45
90
97
Dette à court tenne
883
387
297
INDICATEURS en %
Dette totale / Export biens et services
144,6
154,5
160,3
Dette totale / PNB
80,7
123,0
121,6
Service dette / Export biens et services
5,9
10,4
15,8
Intérêts dette / Export biens et services
3,2
5,8
8,1
Dette multilatérale 1 dette totale
10,6
Il,5
14,8
Source: Rapport annuel de la zone franc 1996, Banque de France.
Pourtant, l'économie gabonaise présente une situation contrastée. D'une
part, la croissance économique est bonne (supérieure à 3 %) depuis la dévaluation, l'inflation maîtrisée a retrouvé le niveau d'avant la dévaluation.
D'autre part, les déséquilibres extérieurs persistent, l'équilibre des finances publiques fragile dépend essentiellement des cours du baril de pétrole;
le niveau d'endettement reste élevé avec un service de la dette qui représente près de 40% des recettes publiques.
La principale faiblesse de l'économie gabonaise est qu'elle est une économie de rente, extravertie et très peu diversifiée, ayant entraîné la forte
414
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
dépendance vis-à-vis de la conjoncture internationale et des cours mondiaux des matières premières. Cette situation rend la gestion à moyen et à
long terme problématique car les marges de manœuvre en matière de politique économique sont réduites et incertaines.
Depuis l'indépendance, le Gabon a connu une augmentation considérable de son niveau de vie. Le PNB par tête et même l'indice du développement humain le placent parmi les pays les plus riches d'Afrique noire (en
dehors de l'Afrique du Sud). Les résultats économiques obtenus depuis
une vingtaine d'années auxquels s'ajoute la stabilité politique, montrent
que le Gabon est sur la bonne voie, même si des efforts restent à faire dans
le domaine de la répartition des richesses, de la diversification de l' économie et de la poursuite de l'intégration régionale.
Les fondements de la zone franc
La zone franc est un système de coopération monétaire entre la France et
13 pays africains. Elle fonctionne à partir de quatre principes 10 .
A) LA FIXITÉ DES PARiTÉS
Le franc CFA s'échange à un taux fixe contre le franc français. Le changement de parité ne peut se faire que d'un commun accord entre la France
et les pays africains. Le franc CFA et le franc français ont gardé une parité
fixe pendant 48 ans. En janvier 1994, elle est passée de 1 FF = 50 FCFA à
1 FF = 100 FCFA attendant une dévaluation de 50% du franc CFA.
B) LA LIBERTÉ DES TRANSFERTS
Elle a pour objectif de favoriser la libre circulation des capitaux, aussi
bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. « La libre transférabilité représente une
condition permissive du rapatriement des bénéfices et de la fuite des
capitaux ll )) (A. Samuelson, 1990: 45).
C) LA RÉGLEMENTATION COMMUNE DE CHANGE
Tous les pays membres appliquent une même réglementation de change,
qui est définie, pour l'essentiel, par la France.
D) LA CONVERTIBILITÉ DES FRANCS CFA
Chaque pays de la zone franc est tenu de déposer 65 % de ses réserves de
change dans le compte d'opération qui est géré par le Trésor français. Les
devises ainsi mises en commun permettent d'assurer la convertibilité du
franc CFA et de soutenir la parité du franc français sur les marchés des
changes.
10. Hubert Gérardin (1994), «La zone franc face à son histoire et aux autres zones
monétaires-: rapports de domination et dynamique d'intégration », in René Sandretto (sous
la direction de), Zone franc: du franc CFA à la monnaie unique européenne, Les Éditions
de l'Épargne, Paris VIle.
11. Cité par Hubert Gérardin, op. cit.
LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RATTACHEMENT À L'EURO?
415
Cependant, la zone franc a eu des effets contrastés sur les économies des
pays membres. D'une part, elle a contenu les tensions inflationnistes par une
maîtrise de l'évolution des agrégats monétaires, crédibilisant ainsi la politique monétaire des pays membres aux yeux des opérateurs économiques.
Toutefois, la victoire sur l'inflation dans les pays membres est due, en
grande partie, à la zone franc. D'autre part, les règles de fonctionnement de
la zone franc n'ont favorisé ni l'investissement, ni l'industrialisation. Par la
garantie de la convertibilité, elles ont favorisé l'endettement; par la fixité du
taux de change, elles n'ont pas permis d'améliorer la compétitivité.
Le franc CFA: autonomie ou rattachement à l'euro?
lA question de l'avenir du franc CFA ne doit pas se poser en termes de
souveraineté ou de dépendance mais en termes d'efficacité. Par rapport
aux caractéristiques des économies des PAZF (déficit extérieur, économie
de rente extravertie, endettement considérable), quel est, entre l'autonomie
et le rattachement monétaire, le système de change qui permet d'atteindre
les objectifs que se sont fixés les gouvernements aux moindres coûts?
Le démantèlement de la zone franc: avantages et inconvénients du
point de vue de l'économie gabonaise
L'intérêt d'analyser les conséquences économiques potentielles du rattachement ou non du franc CFA à partir de l'économie gabonaise est que
toutes les économies africaines de la zone franc présentent presque les
mêmes caractéristiques. La différence essentielle réside sur quelques produits de base exportés. Le pétrole au Gabon et au Congo, la banane au
Cameroun, le café et le cacao en Côte d'Ivoire, le coton au Burkina, l'arachide au Sénégal, etc. Il analyse des fondamentaux d'une de ces économies
et fournit une connaissance relativement précise de la réalité économique
de l'ensemble de ces pays.
Bien que l'hypothèse du démantèlement ait été écartée pour le moment,
l'analyse de ses implications garde néanmoins un intérêt certain pour le
chercheur. Après tout, il n'est pas exclu que dans quelques années les
Européens, ou même la France, décident, pour des raisons que nous ignorons aujourd'hui de rompre la coopération monétaire.
La déconnexion du franc CFA peut engendrer deux cas possibles:
1. déconnexion sans éclatement de la zone CFA;
2. déconnexion avec éclatement de la zone CFA et adoption des monnaies nationales.
Dans le premier cas, la solution a donc l'avantage de préserver la monnaie commune pour les treize États membres et fournit le point de départ
de la formation d'un système monétaire africain, voire d'une monnaie unique africaine. Cette monnaie unique pourrait servir de point d'ancrage à
416
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
l'intégration économique et politique tant souhaitée. Cette solution a
cependant l'inconvénient de nécessiter « ... des préalables politiques
(renoncement à la souveraineté, instauration d'une certaine forme de fédéralisme) que l'on imagine difficilement accepté par les chefs d'État africains d'aujourd'hui» (cf. Monga et Tchatchouang, 1996). A ces
contraintes politiques, s'ajoutent des préalables économiques telles la
garantie de la mobilité des facteurs, une large ouverture des frontières au
commerce régional, la diversification de l'économie, la flexibilité des prix
et des salaires, etc. Par ailleurs, les problèmes organisationnels risquent
d'être quasi insurmontables en raison de l'existence des rigidités structurelles (surtout sur les marchés du travail) à l'intérieur de la zone CFA. Celles-ci feront que la monnaie unique pénalisera gravement certains pays en
en favorisant d'autres. L'asymétrie des chocs, lorsqu'elle s'ajoute aux rigidités du marché du travail, par exemple, exige la mise en place d'un mécanisme de compensation ou d'assurance complexe et difficile à mettre en
œuvre. Dans ces conditions, les forces centrifuges risquent de l'emporter
sur les forces centripètes et la pérennité de l'union ne sera pas assurée.
La deuxième solution revient à démanteler la zone franc et à instaurer
des monnaies nationales. Ce choix a l'énorme avantage de restituer la souveraineté monétaire aux différents PAZE Ces derniers pourront ainsi utiliser le taux de change comme instrument de la politique économique,
surtout dans la neutralisation des chocs économiques exogènes ou même
internes et dans la promotion du développement industriel. Le principal
inconvénient est le risque de recourir à la planche à billet, relançant l'inflation en cas de récession. Ce risque est souvent sous-estimé par les défenseurs de cette solution autant qu'il est souvent exagéré par les défenseurs
de la zone franc. Pour éviter les situations extrêmes et la caricature, nous
pensons que ce risque n'est pas négligeable. Le choix des monnaies nationales dépendra essentiellement de la capacité des pays concernés à gérer
de manière efficace leur monnaie.
Ce choix dépend à la fois des facteurs politiques, institutionnels et économiques.
La stabilité politique est un préalable incontournable à la réussite d'une
monnaie nationale. Le Gabon et beaucoup d'autres pays de la zone remplissent cette condition. Une gestion sereine de la monnaie nécessite des
institutions solides. Sur ce dernier point, de sérieuses réserves peuvent être
émises même si des progrès énormes ont été réalisés dans ce domaine.
Enfin, sur le plan économique, la construction d'un environnement macroéconomique sain passe notamment par la mise en place d'une politique
monétaire et fiscale restrictive.
Pour le rattachement à l'euro mais avec des parités ajustables
régulièrement
La création de la monnaie unique à l'échelle de onze pays européens
représente un événement politique et économique d'une ampleur sans pré-
LE FRANC CFA: AUTONOMIE OU RAITACHEMENT À L'EURO?
417
cédent. La Banque centrale européenne qui émettra l'euro est située en
Allemagne; la participation de l'Allemagne à l'euro contribuera à stabiliser
cette devise et à maîtriser l'inflation. l'euro sera une monnaie crédible et
forte au vu de la qualité des économies des membres de l'union. Les pays
membres de la zone CFA peuvent-ils être« les passagers clandestins» de la
monnaie unique européenne? La réponse est affirmative mais sous certaines
conditions.
Pour que cette solution ait des effets positifs sur les économies des pays
membres, certaines règles de fonctionnement de la zone franc doivent
changer notamment le principe de la parité fixe. Des parités régulièrement
ajustables 12 permettront aux économies africaines de ne pas subir automatiquement l'appréciation de l'euro. Elles ajusteraient le taux de change
euro-FCFA de sorte à maintenir la compétitivité, à neutraliser les chocs
exogènes tout en attirant les investissements étrangers. L'avantage de cette
solution est qu'elle oblige les États membres à mettre en place des politiques économiques orthodoxes et les réformes économiques mêmes
deviennent quasi irréversibles quelles que soient les évolutions politiques.
Le rattachement du franc CFA à l'euro permettra également de relancer
le processus d'intégration en Afrique. Il faut pour cela veiller à ce que la
zone ne se ferme pas aux autres pays africains. Les Africains pourraient
d'ailleurs tirer des leçons de l'expérience européenne en matière d' intégration régionale. Le niveau des échanges actuels entre les deux groupes de
pays justifie pleinement le choix de cette option.
L'investissement, qui est la base de la croissance économique, dépend
fondamentalement de la confiance que les agents économiques ont à l'égard
d'une économie. Les économies africaines de la zone CFA présentent à
l'heure actuelle des déséquilibres internes et externes qui ne sont toujours
pas de nature à rendre crédible le franc CFA. Des réformes économiques ont
été entreprises depuis la dévaluation du FCFA mais il reste encore beaucoup
de chemin à parcourir. Le rattachement à l'euro peut donner une crédibilité
supplémentaire aux pays de la zone franc et orienter les anticipations des
agents dans un sens qui leur soit profitable. Il est vrai qu'à long terme la
valeur du franc CFA dépendra de la crédibilité des politiques monétaires et
budgétaires qui seront mises en œuvre et du degré de flexibilité nécessaire
aux ajustements qu'imposent les changements de l'environnement.
Conclusion
Le choix de rattacher le franc CFA à l'euro qui a été fait par les Africains
et les Européens paraît acceptable. En effet, à l'image de l'économie gabo12. On peut penser que des révisions mensuelles du taux de change pourraient être
appropriées à l'image de la proposition de Williamson (1984).
418
L' AVENIR DE LA ZONE FRANC
naise, les pays africains de la zone franc présentent des caractéristiques
économiques qui réduiraient la crédibilité du franc CFA et donc entraîneraient la confiance des opérateurs économiques. Bien que la véritable crédibilité s'acquière par la mise en place des politiques macroéconomiques
appropriées, le rattachement à l'euro peut faire bénéficier ces pays d'un
supplément de crédibilité qu'ils n'auraient pas, même s'ils appliquaient les
« bonnes politiques économiques ». Cette externalité positive ne peut être
profitable que si des réformes de fonctionnement de la zone franc sont
envisagées pour neutraliser les effets négatifs d'un euro fort sur la compétitivité des pays concernés et limiter la transmission des chocs du centre
vers la périphérie. La principale réforme concerne l'adoption des parités
régulièrement ajustables à la place des parités fixes. Il n'en demeure pas
moins vrai qu'à long terme, lorsque« les institutions seront plus fortes que
les personnes », il faudra envisager un « destin monétaire» africain indépendant de celui des Européens.
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QUATRIÈME PARTIE
MONNAIES AFRICAINES ET FRANC CFA
19
Le dinar tunisien et l'euro
L'illusion d'un ancrage formel
Par Chedly AYARI
« Tellement de barbarisme continue de prévaloir dans les transactions
entre la plupart des nations civilisées que presque tous les pays indépendants choisissent d'affirmer leur souveraineté en se donnant, à leur propre
détriment et au détriment de leurs voisins, une monnaie nationale qui est la
leur. » Cet extrait des Principles of Political Economy de J.S. Mill (1894:
176) avait tout le parfum de l'internationalisme monétaire, si caractéristique de la deuxième moitié du XIXe siècle qui a vu naître en Europe la première zone monétaire internationale, pour ainsi dire l'Union monétaire
franco-latine entre la France, l'Italie, la Belgique, la Suisse, la Bulgarie et
la Grèce (1869). Et même si le processus d'unification politique (obtenue
par la force, il est vrai), qui a précédé l'émergence de monnaies nationales
uniques, au cours de ce même XIX e siècle, en l'occurrence le Mark dans
l'espace prusso-allemand (1871), paraissait comme une confirmation du
concept de monnaie-souveraineté, il traduisait aussi, aux yeux des internationalistes milliens, les vertus de la monnaie commune dans des espaces
reconstitués en comparaison d'espaces politiquement et monétairement
atomisés.
Comme le rappelait Goodhart (1997) en évoquant la controverse entre les
« centralistes » - pour qui la valeur d'une monnaie est fonction de la puissance politique et économique de l'autorité qui l'émet - et les
« Métallistes »- pour qui la valeur d'une monnaie est «intrinsèque »,
c'est-à-dire dépendante seulement du poids de l'actif qui la couvre -la fin
du siècle dernier a été également animée par le débat ouvert entre
« mengériens » et « étatistes» en ce qui concerne la nature et les origines de
la monnaie. Un débat au centre de la nature/vocation privative vs la naturel
vocation publique de la monnaie et dont les retombées marqueront - non
424
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
sans quelque confusion - la théorie de Mundell sur « les zones monétaires
optimales» - ZMO - (1961,1997) sur laquelle nous reviendrons plus longuement dans cette contribution.
La controverse soulevée par la théorie de Menger (1892) relative à
«l'origine de la monnaie» n'est pas seulement historique. Elle marque
aujourd'hui fortement le renouveau des unions monétaires (UEM), des systèmes de change fixe, des zones cibles et autres « Conseils monétaires»
(currency boards) en Asie du Sud-Est, en Amérique latine, en Russie et
ailleurs. Et c'est justement à la lumière de ce renouveau, précipité, il est
vrai, par l'adoption de l'euro à partir du 1er janvier 1999, et aussi par la saga
des crises financières dans le monde émergeant d'une transition depuis l'été
1997 que les pays tiers méditerranéens -les PTMI -, partenaires de
l'Union européenne puis de l'Union économique et monétaire -l'UEM2se trouvent confrontés au dilemme de l'ancrage/non-ancrage de leurs devises nationales à la monnaie unique européenne.
Dans la logique mengérienne qui constituera, soixante-dix ans plus tard,
un des fondements de la théorie mundellienne des ZMO et donc de l'option
ancrage des monnaies PTM à l'euro, le concept, l'origine et la nature de la
monnaie comme unité de compte et comme moyen d'échange procèdent
uniquement de la recherche pennanente d'une minimisation des coûts de
transactions - une fonction dévolue au seul secteur privé en économie de
marché, à l'exclusion de toute intervention de l'État. Certes, l'argument
« coûts de transactions» ne constitue qu'un des 17 arguments invoqués par
Mundell dans son article de 1961 en faveur des ZMO, comme nous le verrons plus loin, mais il reste une des motivations les plus fréquemment évoquées par les prosélytes contemporains de l'ancrage des monnaies PTM à
l'euro. En conférant un caractère exclusivement privatif à la monnaie au
nom de ce seul critère, l'approche mengérienne justifie - en théorie - la
déconnection entre la monnaie d'un côté et l'État-nation, l'État-souveraineté, l'État-espace territorial spécifique, de l'autre. La zone monétaire
n'aura pour domaine ou espace physique que celui dicté par l'optimisation
(minimisation) de ces coûts, c'est-à-dire le marché. Privatisation de l'économie productive et privatisation de l'économie monétaire procèdent donc
de la même « rationalité»: celle du marché efficient. Rien ne s'oppose à ce
1. Dans le langage de Bruxelles et de la déclaration de Barcelone sur le partenariat
euro-méditerranéen (novembre 1995), les PTM correspondent aux pays situés à l'ouest, à
l'est et au sud du Bassin méditerranéen, non-membres actuels ou putatifs de l'Union européenne et liés à celle-ci par des accords de partenariat déjà conclus (Tunisie, Maroc, Israël
et Jordanie) ou à conclure dans son avenir prévisible (Algérie, Égypte, Liban et Syrie).
Sont donc exclues de l'appellation « PTM »: la Lybie, l'Albanie et l'ex-Yougoslavie (raisons politiques ou sécuritaires) et la Turquie (liée à l'Union européenne par une union
douanière et éternelle candidate à l'entrée dans l'Union). Quant à Chypre - éligible à
l'entrée - et Malte - qui pourrait l'être -, ils ne figurent pas non plus sur la liste PTM.
2. Il s'agit de la France, de l'Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg,
de l'Irlande, de l'Italie, de l'Espagne, de l'Autriche, de la Finlande et du Portugal.
LE DINAR TUNISIEN ET L'EURO
425
qu'un même État-nation se dote d'un nombre de monnaies variant de zéro
à n, ni qu'une ZMO comprenne un nombre d'États-nations variant de 1 à n.
Perçue exclusivement comme un espace-marché optimisant des coûts de
transactions, la ZMO peut, dans l'optique de la globalisation, évoluer vers
une zone mondiale dotée d'une Banque centrale mondiale. A cet internationalisme monétaire extrême, Mundell apporte, toutefois, un bémol de
taille, en montrant que le domaine de la monnaie optimale n'est pas le
monde mais la région, entendue non pas comme un ensemble d'Étatsnations mais comme un espace spécifique caractérisé par une mobilité
interne/une immobilité externe des facteurs (le travail, notamment). De ce
fait, la région transcende les frontières de la nation et aboutit à des découpages transversaux (accross the countries) des ZMO. A l'argument
«minimisation des coûts de transactions» de Menger, Mundell ajoute
celui de la stabilité et de l'homogénéité économiques et sociales des espaces régionaux promus au rang de ZMO. Mais la rationalité est la même:
désétatiser la monnaie et en faire un bien échangeable soumis à la loi de
l'efficience des marchés.
Comme le fait remarquer Goodhart (1997), l'évidence empirique a rarement été du côté des «mengériens ». L'histoire monétaire ancienne et
récente a donné davantage raison à leurs adversaires, « les étatistes », dont
le modèle basé sur l'activisme de l'État en matière de création et de gestion
de la monnaie s'est révélé supérieur sur les plans explicatif et normatif. La
prolifération des monnaies nationales au sein de l'ex-bloc socialiste en
Europe de l'Est, après l'effondrement de l'URSS au début des années 1990,
ou au sein de l'ex-Empire austro-hongrois, au lendemain de la première
guerre mondiale, en est bien l'illustration. L'unification de petits États en
un grand État fédéral - les États-Unis d'Amérique, l'Allemagne ou
l'Australie - suivie d'une unification monétaire, en est une autre. Si
l'URSS était effectivement une ZMO avant son éclatement, elle le serait
restée après. Parallèlement, si la Prusse et la Bavière avaient été deux ZMO
avant l'unification, elles le seraient demeurées après aussi. Il en est de
même des États-Unis d'Amérique ou de l'Allemagne ou de l'Australie
avant/après l'unification.
Le débat sur la valeur explicative/normative du modèle mengérien-mundellien vs le modèle étatiste n'est pas épuisé pour autant (Bayoumi et
Eichengreen, 1997).
Mais ce n'est pas à cette controverse-là que nous nous intéressons particulièrement ici pour introduire et analyser la problématique de l'ancrage
des monnaies PTM - et plus particulièrement du dinar tunisien - à l'euro.
Cette problématique soulève des difficultés spécifiques majeures dont la
formalisation en terme de modèle mengérien-mundellien ou autre n'est
guère possible (Cartapanis, 1994). A la différence du passage de l'Union
européenne à la monnaie unique - passage préparé par quarante années
d'intégration, vingt années de coopération monétaire étroite (SME) et cinq
années de marché unique des biens et des services, l'ancrage - formel en
426
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
tout cas - des monnaies PTM à l'euro est envisagé à partir du vide. Un vide
à la double échelle régionale et bilatérale euro-méditer-ranéenne: absence
d'intégration, absence de coopération monétaire, absence de marché unique de biens et de services. Ainsi, quand l'avènement de l'euro constitue
pour l'Europe une continuité, le projet d'ancrage représente pour les PTM
une rupture et un saut dans l'inconnu.
Envisagé en termes de coûtslbénéfices, l'ancrage vs le non-ancrage devra
résoudre le problème suivant: comment comparer des coûts et des bénéfices effectifs engendrés par les systèmes de change flexibles ou semi-flexibles actuellement en vigueur dans les PTM, c'est-à-dire avant ancrage 3
avec les coûts certains et des bénéfices potentiels de systèmes de change
fixes ou semi-fixes, voire d'une union monétaire parfaite entre l'Europe et
les PTM, c'est-à-dire après ancrage?
L'approche mundellienne répond à cette interrogation en affirmant
péremptoirement que le choix entre système de change flexible et système
de change fixe est un débat « faux et biaisé ». En déniant à la flexibilité des
taux de change tout pouvoir particulier en matière d'ajustement de la production et de l'emploi en cas de chocs exogènes - argument majeur invoqué
par les tenants du change flottant - Mundell rappelle «qu'en équilibre
général, il n'y a qu'un seul degré de liberté ... Un pays a le choix de stabiliser (seulement) l'un ou l'autre de ces objectifs: le niveau des prix ou
l'offre de monnaie ou le taux de change ou le prix de l'or ou le taux de
salaire ». Une fois l'objectif à stabiliser choisi, les grandeurs restantes
demeurent des variables qui échappent à tout ajustement possible - via les
taux de change ou tout autre instrument.
Poussons ce raisonnement plus loin, en l'actualisant un peu. En vidant les
politiques monétaires et salariales nationales de tout pouvoir d'ajustement
effectif, l'intégration et la globalisation des marchés réduisent - même en
régime de change flottant - les degrés de liberté des autorités nationales à
un seul: la stabilisation du niveau des prix, que seul un régime de change
fixe peut assurer au mieux. La zone monétaire basée sur une monnaie unique (euro) ou sur des taux de change fixes/rigides (l'ancrage est une des
modalités possibles) devient, seule, garante de la stabilité vis-à-vis des
chocs asymétriques - endogènes/exogènes - auxquels les partenaires sont
susceptibles d'être exposés. Toute la littérature sur le choix du régime de
change optimum devient ainsi redondante. Trente années avant l'avènement de la globalisation et de l'universalisation de l'économie de marché,
3. Les PTM pratiquent trois grandes variétés de régime de change:
* régimes de change fixe:
- vis-à-vis d'une seule monnaie de référence, le dollar US: Syrie;
- vis-à-vis d'un panier de monnaies de référence: Jordanie et Maroc. A noter
que la composition du panier est soit publiquement connue, soit gardée secrète (Maroc) ;
* régimes de change semi-fixes ou semi-f1exibles ou de flottement contrôlé: Tunisie,
Égypte, Israël, Algérie, Turquie;
* régime de change flottant pur ou indépendant: Liban.
LE DINAR TUNISIEN ET L'EURO
427
la théorie mundellienne des ZMO exprimait en termes forts ce que les antilibres échangistes contemporains dénoncent aujourd'hui sous le nom de
pensée unique.
Si la théorie mundellienne des ZMO qui constituera plus tard, sous
l'appellation du «modèle Mundell-Fleming », la base du «Washington
consensus 4 », fonde aujourd'hui le renouveau de l'unification monétaire
sous ses différentes variantes: monnaie unique, taux de change fixes, zones
cibles, conseils monétaires et projets d'ancrage des monnaies PTM à
l'euro, le retour aux arguments proposés par Mundell dans son article séminal de novembre 1961 (American Economie Review) et dans son
« Updating the agenda for Monetary Union» de décembre 1996 (conférence de Tel Aviv sur les ZMO) nous paraît approprié. C'est à une analyse
critique de l'argumentaire mundellien que nous consacrerons la première
partie de cette contribution. L'examen de la politique de change tunisienne
actuelle, de type flexible/contrôlé, donc hors rationalité mundellienne, nous
révélera jusqu'où la stratégie monétaire adoptée par la Banque centrale
tunisienne (BCT) dans la gestion des parités internationales du dinar notamment vis-à-vis des grandes monnaies européennes nationales - a
permis d'assurer les ajustements et la stabilité nécessaires - notamment du
taux de change effectif réel (TCER) de long terme, indicateur de la compétitivité réelle du dinar et aussi de la qualité de la gestion macroéconomique
nationale. Ce constat éclairera nécessairement la décision tunisienne de
maintenir sa politique de change présente ou de lui substituer une autre,
basée sur un ancrage à l'euro. C'est à cette problématique-là que nous consacrerons la deuxième partie de cette contribution.
L'argumentaire de Mundell en faveur des ZMO : une appréciation critique du point de vue des PTM
La théorie matrice des ZMO due à Mundell est structurée autour d'un
argumentaire en clair-obscur où sont alignées d'une manière« équilibrée»
pas moins de dix-sept raisons« pour» contre pas moins de dix-sept raisons
« contre». Quoiqu'en partie redondants, les arguments « pour» et les arguments « contre », rapportés dans le tableau l, peuvent être recentrés autour
de trois grands thèmes qui nous semblent être au cœur du débat ancrage/
non-ancrage des monnaies PTM à l'euro. Il s'agit:
- de la nature et de la qualité de la gouvernance macroéconomique dans
les pays candidats vs les pays non candidats à l'union monétaire;
- de la stabilité économique en régime de change fixe ou d'union moné4. Le «Washington consensus» équivaut à l'orthodoxie monétariste rigide ou assouplie. appliquée par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale en matière de
stabilisation des balances des paiements, d'ajustement structurel et de financement du
développement.
428
L'AVENIR DE LA ZONE FRANC
taire vs l'instabilité en régime de change flexible;
- des gains nés du jeu des économies d'échelle/économies externes inhérents à l'union monétaire vs l'absence de ces gains hors union.
Mundell et la « bonne» gouvernance macroéconomique
L'argumentaire développé par Mundell à propos de la gouvernance
macroéconomique optimale - celle qui habilite un pays donné à être partenaire d'une zone monétaire réduite ou large - se résume comme suit:
- substituer au pouvoir discrétionnaire des autorités nationales des
mécanismes automatiques forçant la discipline en matière monétaire et
fiscale;
- rechercher l'efficience monétaire mengérienne en réduisant/éliminant
les coûts de transactions liés à l'émission et à la gestion d'une monnaie
nationale propre.
Si le deuxième volet de la gouvernance macroéconomique optimale mundellienne, invoqué avec insistance pour les tenants de l'ancrage des monnaies tierces méditerranéennes à l'euro, soulève quelques commentaires,
sur lesquels nous reviendrons plus loin, la référence «au pouvoir
discrétionnaire» des autorités monétaires et fiscales nationales demande à
être approfondie
Tableau 1 - Argumentaire pour/contre les ZMO
ARGUMENTS
POUR
ARGUMENTS
CONTRE
1) alignement du
taux d'inflation
domestique sur celui
delaZMO.
10) participation
pleine et plus équitable aux marchés
financiers et de capitaux de la ZMO.
1) maintien du taux
d'inflation domestique indépendant du
taux de la ZMO.
10) dénomination du
revenu / tête dans la
monnaie nationale.
2) réduction des
coûts de transactions
en matière d'échanges.
2) utilisation du taux 11) maintien de
11) création d'un
catalyseur favorable de change comme
l'indépendance
à l'alliance politique instrument d'ajuste- monétaire en vue
ment de l'emploi et d'utiliser l'expanou à l'intégration.
des salaires.
sion monétaire ou la
taxe inflationniste en
cas de guerre.
3) élimination des
coûts d'émission et
de gestion d'une
monnaie nationale
séparée.
12) création d'un
bloc apte à s'opposer
à la domination des
puissances voisines.
3) utilisation du taux
de change comme
moyen de créer de
l'emploi domestique
au détriment d'autres
pays.
12) préservation du
caractère confidentiel des statistiques
nationales.
LE DINAR TUNISIEN ET L'EURO
429
4) participation à une
zone ppA renforcée
par un système de
change fixe et plus
encore par une union
monétaire.
13) association à la
décision politique en
matière de ciblage du
taux d'inflation des
ZMO.
4) refus (dans le cas
d'un grand pays)
d'étendre à un pays
hostile les avantages
des économies
d'échelle d'une zone
monétaire large ou
crainte que l'intégration d'une nouvelle
monnaie ne complique la politique
macro-économique
nationale.
13) absence de leadership politique et
économique capable
de maintenir en équilibre un système de
change fixe.
5) ancrage de la politique économique à
un point fixe autour
duquel les anticipations peuvent être
formulées et les
actions économiques
ajustées.
14) création d'une
monnaie internationale concurrente du
dollar et produisant
des revenus de seigneuriage.
5) utilisation de
l'expansion monétaire et de la taxation
inflationniste pour
financer les dépenses
publiques.
14) incapacité des
autorités politiques
de garantir l' équilibre budgétaire ou la
viabilité d'un système de change fixe.
6) privation des autorités monétaires et
fiscales nationales de
tout pouvoir discrétion
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