Témoignage du Docteur Jean Dominique JOURNET

publicité
Témoignage du Docteur Jean Dominique JOURNET
auprès des orthophonistes du GATPOA
(Groupe d’Approfondissement Théorique et Pratique pour les Orthophonistes en Aphasiologie)
Depuis son Accident Vasculaire Cérébral en 1992, Jean Dominique a parcouru un long et difficile chemin.
Malgré la fatigue, les déceptions parfois, il n’a jamais baissé les bras.
Après des années de rééducation, il reprend une activité médicale à Médecin du Monde (une ou deux
demi-journées par semaine) et devient secrétaire de notre association. Il accepte ensuite un poste au Conseil
d’Administration de la F.N.A.F. dont il devient Président en 2003. Il accepte de raconter son histoire parce qu’il
pense qu’elle peut servir à d’autres aphasiques pour les aider à se battre.
JEAN DOMINIQUE JOURNET: Je pourrai vous parler des heures de mon histoire mais j’ai besoin
de lire un peu pour m’aider. J’ai demandé aussi de venir à Odile Chabroud, orthophoniste et à Chantal
Picano, médecin de M.P.R.(Médecine Physique et Réadaptation), car elles m’ont suivi toutes les deux à
l’hôpital.
Je me souviens maintenant de certaines choses mais à cette époque, je ne comprenais rien et
ensuite je ne me rappelais pas.
Comment ça a commencé… C’était le 17 juin 1992. Ce jour-là, j’étais en train de faire des visites
mais c’était impossible d’écrire les ordonnances chez mes patients. Alors je suis revenu à mon cabinet
et puis là… je me suis effondré, je suis tombé dans un coma. J’ai été pris en charge par SOS Médecin
et au SAMU puis j’ai été envoyé directement en neurochirurgie. Le Professeur Brunon m’a hospitalisé
pour 15 jours. Il avait trouvé un « volumineux hématome temporal gauche ». J’ai eu une intervention
neurochirurgicale.
Bien sûr après, j’ai eu des séquelles importantes:
- une hémiplégie droite, je ne pouvais pas marcher ni même me tenir debout.
- une aphasie globale.
- une hémianopsie latérale homonyme droite.
Quelques semaines après, une algodystrophie (Algodystrophie: le travail de renouvellement de l’os qui est
permanent se fait de façon déréglée, la destruction est trop rapide par rapport à la reconstruction. On pense que c’est
d’origine vasculaire du fait de l’immobilisation de l’épaule chez l’hémiplégique) de l’épaule droite est apparue et j’ai
beaucoup souffert pendant plusieurs mois.
Ensuite, je suis allé en rééducation au service de MPR, 6 mois. D’abord alité, bien sûr, après en
fauteuil roulant, j’étais content de sortir du lit, après pour remarcher c’était très difficile, très fatiguant.
Au niveau de la rééducation orthophonique, quand j’ai commencé, je n’avais plus rien, plus
d’expression ni de compréhension. J’étais mutique. Lorsque j’étais dans le coma, j’ai été intubé et les
médecins étaient très inquiets sur le pronostic de récupération.
Odile Chabroud qui a vu Jean Do, dès son arrivée au MPR, confirme que la situation apparaissait
désespérée! « A un mois de son AVC, le tableau était plutôt noir. Jean-Do fait partie de ses patients dont on se
souvient car à la première visite, il était très impressionnant. L’hémiplégie était totale, il avait une hypotonie et
ne pouvait pas tenir sa tête, il était figé sur son lit. Le visage restait inexpressif, il n’y avait que les yeux qui
fonctionnaient et qui demandaient qu’on s’occupe de lui. Pas du tout de tentatives pour parler ni faire des
gestes. Il n’y avait que le hochement de tête pour dire « oui » quand il avait compris quelque chose.
Cet AVC fut pour moi une espèce de choc, une explosion. J’étais comme dans une sorte de
brouillard. Souvent j’avais des pleurs qui me soulevaient quand des amis venaient me voir, quand je
ne pouvais plus exprimer ma souffrance. Dans ma nouvelle maison, l’hôpital, je ne pouvais pas
communiquer mais un simple sourire, un petit mot d’un membre de l’équipe du service, surtout des
aides soignantes qui m’ont aidé beaucoup. Les médecins ont 3 secondes, les infirmières ont 10
minutes mais les aides soignants je les voyais plus fréquemment. J’avais besoin de voir quelqu’un qui
me sourit, qui me parle, qui me tienne la main.
Lorsqu’une personne me parlait lentement, j’essayais de comprendre. Mais je ne comprenais
pas grand-chose seulement quelques mots. J’entendais des bruits, des sons, je regardais les lèvres.
Comprendre une phrase, c’était impossible.
Odile: Jean Do souffrait de surdité verbale, il ne reconnaissait pas les mots, ceux-ci n’avaient plus de
sens. Au bout de quelques temps, on a pu utiliser la lecture labiale qui nous a servi pour la rééducation de
l’anarthrie (Anarthrie: trouble qui touche l’articulation des sons. Le patient ne sait plus comment articuler les sons qui
véhiculent la parole).
La présence de ma famille, des amis qui venaient souvent l’après-midi, m’aidait à sortir de
l’isolement et de la dépression.
Il a fallu recommencer tout à ZERO tel un enfant. Je souhaitais, j’étais sûr que je pourrais
reprendre mon travail dans quelques mois. C’est je pense l’anosognosie (Anosognosie: le patient ne se rend
pas compte réellement de son état). C‘est pour cette raison que j’ai participé de toutes mes forces aux
séances d’orthophonie. Mais en me présentant devant Odile la première fois, je croyais que c’était une
institutrice, je ne savais ce qu’était une orthophoniste.
Odile: Je peux vous dire que c’était un sacré élève! Je n’ai jamais vu un patient aussi volontaire! Avant
d’être aphasique, il avait déjà un tempérament de battant, ça lui a énormément servi pendant la rééducation.
Je m’asseyais, j’essayais de bouger mes lèvres. Je savais ce que je voulais mais je ne pouvais
pas le dire. Au bout de quelques mois, j’ai enfin pu dire quelque chose. C’était plus facile avec des
mots concrets. Des mots comme « univers »… je ne comprenais pas ce que c’était. Ma pensée, à ce
moment là, c’était manger, aller mieux, apprécier des petits moments agréables quand ma femme était
là… mais la vraie pensée n’était pas là. Je n’avais que des flashs, que des images.
En plus ma voix s’est modifiée. Elles est devenue plus aiguë comme celle d’un adolescent. Je me suis
forcé à lire, à écrire. Ce fut long et fatiguant. Chaque jour, après les séances de kiné, d’ortho et mes
tentatives personnelles, je m’écroulais. Les séances d’orthophonie avaient lieu 4 fois par semaine, le
kiné tous les jours.
Je suis sorti fin décembre 1992, un jour avant Noël. Un bon signe. A l’hôpital, j’étais comme
dans un cocon. L’hôpital était ma mère. A domicile, il a fallu s’organiser. Je n’étais pas capable de
répondre au téléphone. Le journal, je lisais une phrase, j’étais fatigué. A la télévision, un film même si
je l’avais déjà vu, je n’arrivais pas à suivre. Je suis allé tout seul à la COTOREP, c’était très difficile
pour me présenter… Chez le boulanger, c’était stressant.
Je retournais à l’hôpital de jour. C’est bien car ça fait un passage entre l’hôpital et la maison. La
même année, je suis parti à Giens, un an après mon AVC. Là, formidable, j’étais obligé de me
débrouiller dans la vie quotidienne: la toilette, l’habillage, les chaussures. J’avais des activités
manuelles avec une ergothérapeute. L’orthophoniste a essayé de me faire écrire avec la main gauche.
La fatigabilité rend ma voix monotone, c’est la dysprosodie (Dysprosodie : altération du rythme et de la
mélodie de la parole) en fait. Ça augmente mes difficultés à sortir les mots correctement. Ma fonction
intellectuelle a été altérée avec diminution de la mémoire. Mes performances étaient très variables d’un
jour à l’autre. Un jour tout allait bien et le lendemain, j’étais abattu physiquement et psychiquement.
Parfois la violence s’installe, quand on ne peut pas s’exprimer ou quand on ne comprend pas et
surtout avec la baisse de la vigilance, le soir.
Il m’a fallu plusieurs années de rééducation orthophonique: j’ai commencé à mieux parler et
aussi à lire et à écrire. Je faisais de l’auto rééducation: le matin à 4h 1/2, avec GEO. Si je ne
comprenais pas un mot dans l’article je cherchais dans le dictionnaire. Souvent dans l’explication, il y
avait un autre mot que je ne comprenais pas alors je cherchais encore. En 3h, je lisais une phrase!
J’avais un agenda et d’un côté je marquais tout ce que je devais faire dans la journée et de l’autre les
mots que j’avais cherchés. Ça m’aidait à les retrouver à un autre moment. Ça m’obligeait à écrire et je
comprenais mieux en écrivant. J’ai essayé aussi de me plonger dans les livres de médecine mais
j’avais une fatigue… je ne sais pas si c’était la peur de recommencer...
En 1995, j’ai participé au groupe de parole au MPR, pendant 4 mois en plus de la rééducation en
ville. Depuis 1996, j’ai arrêté l’orthophonie pour des activités que vous connaissez dans l’association
puis plus tard dans la Fédération. Actuellement, je continue les séances de kiné, 2 fois par semaine.
Ce qui m’a aidé, c’est la volonté de me sortir de l’isolement, bien sûr ma famille, ma femme et
ma fille. Je m’occupais de la maison, des repas. Au niveau sport, même si c’est pas facile, j’ai repris la
marche (Le Tour du Mont Blanc avec le groupe PH7, le jogging qui me permet d’évacuer le stress.
L’ordinateur, c’est formidable avec le courrier électronique, la préparation de tables rondes avec des
professionnels.
La souffrance psychologique fut la première endurance ensuite la fatigue et enfin la souffrance
physique. Cela a été difficile pour moi de retrouver ma place c'est-à-dire mon rôle familial, social et
professionnel.
Il faut accepter que les choses soient différentes, il y a avant et maintenant … et à partir de là
vous aurez une nouvelle vie.
Téléchargement