Note sur les transformations de l`intervention sociale Alain PENVEN

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Note sur les transformations de l’intervention sociale
Alain PENVEN
CCB CERCOOP
La question sociale contemporaine
Nous proposons dans cette section une lecture des changements qui marquent l’intervention sociale
depuis un quart de siècle en France, notamment à partir de la mise en œuvre des lois de
décentralisation (Loi Deferre de mars 1982), la création du revenu minimum d’insertion –RMI- (loi 881088 du 1.12.1988) et le développement des politiques de la ville et du développement social urbain.
Nous retenons l’hypothèse d’une transformation profonde des formes institutionnelles et
professionnelles de l’intervention sociale en raison de la mise en œuvre de multiples dispositifs
territorialisés participatifs et individualisés. Dans un premier temps, nous examinerons la montée en
puissance du paradigme de l’exclusion qui traduit la nécessité de caractériser les effets de la fragilité de
la société salariale et qui souligne les limites de l’Etat Providence. Nous accorderons une attention
particulière, dans un deuxième temps, à la spatialisation des problèmes sociaux en abordant la question
de la spécialisation sociale de l’espace qui laisse apparaître des phénomènes associés de ségrégation
et de discrimination. Enfin, dans un troisième temps, nous tenterons de caractériser la posture des
acteurs qui doivent s’inscrire dans un accompagnement social individualisé et contractualisé tout en
participant à un jeu territorial d’énonciation d’actions coordonnées. En conclusion de notre présentation,
nous proposerons une grille de lecture de ces formes contemporaines d’intervention et de
développement social.
De l’exploitation à l’exclusion
La question sociale a pris forme au 19eme siècle, dans un contexte d’industrialisation et d’urbanisation,
autour de la contradiction d’intérêt entre la classe ouvrière et le patronat à propos de la rémunération du
travail et du capital. Auparavant, la révolution française avait opéré une rupture radicale entre la charité
privée d’inspiration chrétienne et la bienfaisance d’Etat en instituant la bienfaisance comme une dette
« inviolable et sacrée »1. Les luttes sociales d’émancipation de la classe ouvrière, désignée alors
comme une classe dangereuse, et les initiatives d’innovateurs sociaux, notamment dans le champ
syndical et mutualiste, ont contribué à la constitution progressive d’un droit du travail, d’un droit social et
1
Alan FOREST, La révolution française et les pauvres, Paris : Perrin, 1988, 283p.
de mécanismes de protection. La généralisation de la protection sociale décidée par les ordonnances
de 1945 va permettre de couvrir différents « risques » (famille, maladie, accident du travail, vieillesse)
en attribuant à chacun le statut d’ayant droit au nom d’une solidarité nationale. L’Etat Providence ainsi
structuré assure une protection sociale universelle, l’aide sociale légale et extralégale des communes
apportant des outils complémentaires pour la gestion des urgences et la prise en compte des accidents
de la vie. Dans une économie de croissance et de plein emploi, le travail social assurait des prestations
ciblées en direction de publics identifiés à partir de leur structure familiale (aide aux familles, protection
de la mère et de l’enfant) ou d’un degré de pauvreté (secours, vestiaires, emplois « protégés »).
Comme l’indique Michel Autès, dans son ouvrage « Les paradoxes du travail social », le social
accompagnait le développement économique d‘une France industrielle en apportant des réponses
complémentaires d’assistance et de réparation :
« Le social se développe dans le cadre de la société d’après-guerre mondiale en s’appuyant sur trois
grands socles : celui de la protection sociale et de la sécurité produite dans le cadre du salariat, celui du
développement économique et de la société de croissance où le social apparaît essentiellement comme
accompagnateur et réparateur, celui enfin de l’idéologie du progrès qui inscrit l’ensemble des
raisonnements sur la société dans la perspective inéluctable d’un toujours mieux »2.
Aujourd’hui, les trois crises de l’Etat providence (financement, efficacité, légitimité) identifiées par Pierre
Rosanvallon3 comme les défis de l’évolution de la demande sociale (persistance de la pauvreté,
vieillissement de la population) interrogent la capacité du pays à maintenir un haut niveau de protection
sociale. La crise durable de l’emploi et la fragilisation généralisée de la société salariale4 a pour
conséquence l’émergence de nouvelles catégories de pauvres et de précaires dans l’espace public
(exclus, désaffiliés, disqualifiés, marginaux, travailleurs pauvres) que les protections publiques et
privées ne parviennent pas à réduire. La construction sociale de ces formes de pauvreté et de précarité
a généré une forte activité conceptuelle et symbolique que l’on peut lire dans les différents champs –
scientifique, médiatique, professionnel - qui se croisent pour nommer ces phénomènes. La désignation
de ces populations est souvent caricaturale car elle réduit le sujet à une catégorie administrative (les
« rmistes » par exemple) ou à une perception visuelle (les zonards, les marginaux). A la lumière de
travaux de recherche, les catégories vont s’affiner, permettant de situer les phénomènes au regard
Michel AUTES, Les paradoxes du travail social, Dunod, 1999, p.277
Pierre ROSANVALLON, La crise de l’Etat Providence, Paris : Seuil, 1984, 183p.
4Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Paris : Fayard, 1995, 490p. – L’insécurité sociale, Paris : Seuil,
2003, 95p.
2
3
d’écarts aux normes sociales, professionnelles, résidentielles et culturelles dominantes. Les chercheurs
insistent également sur les processus relationnels, les inégalités, les mécanismes de discrimination5.
Ces nouvelles approches seront intégrées dans la définition des politiques publiques et dans la
conception de nouveaux référentiels d’intervention qui prennent en compte les notions de parcours,
d’insertion, de lien social, d’autonomie, de projet. Dans le même temps, les logiques gestionnaires
s’imposent. Elles visent la rationalisation et l’efficacité des dispositifs. De plus, l’Union Européenne
soutien des expérimentations sociales (programmes Equal, Objectif3 par exemple) qui orientent les
discours et les pratiques à partir de dispositifs visant l’inclusion, l’égalité des chances et la lutte contre
les discriminations.
Les travailleurs sociaux, qui exerçaient leur métier de la relation de manière quasi-libérale en référence
au modèle de la profession, sont aujourd’hui sommés d’inscrire leur action dans des dispositifs
territoriaux gérés pour atteindre des objectifs de productivité quantifiable et de qualité de service
évaluable. La loi de rénovation de l’action sociale et médico-sociale (2 janvier 2002) en particulier
impose la prise en compte des droits de l’usager, sa participation aux instances d’orientations (Conseil
de la vie sociale) et l’évaluation de la qualité du service rendu à l’usager. Le Conseil national de
l’évaluation sociale et médico-sociale instauré par cette loi se donne pour mission de développer une
culture de l’évaluation, interne et externe, et entend promouvoir les « bonnes pratiques » d’intervention.
Michel Autès souligne aussi les transformations des représentations qui organisent le social en
référence au modèle de la gestion et de l’évaluation :
« Cette mutation est marquée par une pénétration des idéaux gestionnaires dans le social, opérant ainsi
une sorte de conversion de celui-ci à la rationalité économique. Un changement des représentations
accompagne cette transformation. La pauvreté, puis l’exclusion, deviennent de nouveaux modes de
problématisation de la question sociale. En même temps une nouvelle catégorie d’action prend forme
avec les différentes stratégies qui se regroupent sous le vocable d’insertion »6.
Ainsi, la question de l’exploitation et des luttes sociales qui permettait de nommer les mécanismes de
domination économique cède le pas à la question de l’exclusion7 et à son traitement préventif et curatif
par une approche personnalisée, psychologisante parfois. La persistance d’un niveau de chômage
Serge PAUGAM (Dir.), L’exclusion, l’état des savoirs, Paris : La découverte, 1996, 579p.- Repenser la solidarité, l’apport des sciences sociales, Paris :
Puf, 2007, 980p.
56 Michel AUTES, opcit, page 153
7 François DUBET, Didier LAPEYRONNIE, opcit.
5
élevé, la précarité de l’emploi ont entraîné une déstabilisation des stables8 et
provoqué des
phénomènes de marginalisation et d’exclusion durable du marché du travail. Comme l’analyse Isabelle
Astier, un système de protection sociale dual s’installe progressivement entre les ayants droit et les
bénéficiaires de minima sociaux :
« La distinction entre ce qui doit relever de l’assurance sociale et ce qui relève de la solidarité se faisant
de plus en plus nette, un système de protection à deux vitesses s’installe. Deux populations sont
distinguées : d’un côté les ayants droit, productifs et capables d’entrer dans les dispositifs contributifs,
et de l’autre, des groupes d’inemployables condamnés à subsister de la solidarité fiscalisée »9.
Des phénomènes persistants de pauvreté touchent des enfants et des familles le plus souvent issues
de l’immigration. Le rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, dans son
rapport sur les enfants pauvres en France a démontré le caractère persistant de la pauvreté et l’injustice
qui pèse sur les enfants qui risquent ainsi de vivre les mêmes inégalités que leurs parents :
« La pauvreté des enfants provient d’abord de l’insuffisance d’emploi de leurs parents [..] Elle concerne
très fortement les familles issues de l’immigration [..] la lutte contre la pauvreté des enfants est
essentielle du point de vue de la justice sociale, comme de la construction de la cohésion de notre
société : naître ou grandir dans une famille pauvre accroît les risques d’exclusion ou de pauvreté d’une
personne une fois devenue adulte »10.
L’INSEE évalue à sept millions le nombre de Français vivant dans la pauvreté en 2007 et souligne que
la réduction des inégalités s’essouffle en France11. La persistance des inégalités sociales, les
mécanismes de la discrimination indirecte et directe, conduisent à une spécialisation sociale de
l’espace. Le rapport Fitoussi12 insiste sur les phénomènes de ségrégation et de discrimination qui
menacent l’intégration sociale des populations vivant dans les quartiers d’habitat social :
« L’exclusion de certaines catégories de population, inscrite aussi, mais pas seulement, dans la
dimension spatiale, s’auto-alimente au point de déboucher sur des trappes dont il est quasiment
impossible de s’extraire. Au lieu de corriger les plus criantes des inégalités, la localisation tend à les
alimenter… Le diagnostic est d’autant plus fort qu’il est le même quel que soit le point d’entrée : l’école
Robert CASTEL, opcit.
Isabelle ASTIER, Les nouvelles règles du social, Paris : PUF, 2007, p.2
10www.cerc.gouv.fr , Les enfants pauvres en France, La documentation française, 2005
11 Journal Le Monde du 16 novembre 2007, Rapport de l’INSEE « France, portrait social ».
12 Jean-Paul Fitoussi, Eloi Laurent, Joël Maurice, Ségrégation urbaine et intégration sociale, La documentation française, 2004 137pages
8
9
et la formation, le logement (tendance à la formation de formes de ghettos), l’accès aux différents
équipements collectifs dont bien sûr les transports…Le chômage joue aussi un rôle non négligeable
dans le creusement des inégalités spatiales et la ségrégation spatiale donne naissance à une
« hystérésis spatiale » : le phénomène persiste alors que ses causes ont disparu ou du moins se sont
atténuées ».
La construction politique des quartiers sensibles par l’imposition d’une géographie prioritaire a renforcé
l’amalgame entre immigration et délinquance. La concentration de populations pauvres dans ces
quartiers, souvent étrangères ou d’origines étrangères, renforce les effets de stigmatisation et de
discrimination. De plus, la présence dans ces quartiers d’activités économiques souterraines entretient
l’idée de zones de non droit échappant aux règles de la République :
« Dans les ZUS, les immigrés ou supposés tels sont surreprésentés et cette situation introduit une
complexité supplémentaire dans la question urbaine que l’on ne peut feindre d’ignorer. Il se produit un
brouillage des causalités : si les immigrés sont proportionnellement plus nombreux en ZUS que dans
les autres quartiers, c’est qu’ils sont proportionnellement plus nombreux dans les groupes sociaux les
moins intégrés, notamment sur le marché du travail (ouvriers, employés, travailleurs peu qualifiés) qui
peuplent ces zones. Une partie de l’opinion impute cependant leur situation, non pas à leur position
sociale, mais à leurs origines réelles ou supposées. Les discriminations qui en résultent exacerbent
leurs difficultés sociales. Faute d’intégration, ils peuvent alors être conduits à se tourner vers d’autres
voies, souterraines et/ou communautaires »13.
Comme le montre le schéma 1, présenté ci-après, la ville et les quartiers de grands ensembles sont des
terrains potentiellement propices à un renouveau des dynamiques économiques. Face aux risques que
présente une économie communautaire repliée sur elle-même, l’intervention publique et le soutien aux
formes d’économie sociale et solidaire (comme les coopératives d’activités et d’emplois par exemple ou
encore l’aide à l’initiative économique par le micro-crédit) peuvent constituer des leviers particulièrement
efficaces pour
lutter contre les discriminations et réduire les écarts de développement. Cette
perspective apparaît comme l’un des piliers du programme « une nouvelle politique pour les banlieues »
de Fadéla Amara, présenté la 8 février 2008 par le président de la république, puisqu’il s’agit
d’accompagner la création de 20 000 entreprises dans les quartiers sensibles en quatre ans14.
13
14
Opcit page 12
Dossier de presse, Une nouvelle politique pour les banlieues, Palais de l’Elysée, 8 février 2008.
Schéma 1 : Economie plurielle et régulations (PENVEN 2007)
Sous traitance
Economie
marchande
Méfiance
Régulation
Economie
communautaire
Méfiance
Economie
sociale
Alliance
Economie
publique
Economie
souterraine
Répression
Commentaire : Cette représentation schématique repose sur l’hypothèse d’une économie plurielle
fondée sur des interactions complexes entre formes dominantes et « marginales » de l’économie. En
premier lieu, l’économie marchande et l’économie administrée (services publics) sont au cœur des
régulations politico-administratives qui traduisent au gré des alternances des conceptions libérale,
sociale libérale ou sociale démocrate. L’économie sociale qui s’affirme comme une alternative
répondant à des enjeux collectifs d’utilité sociale construit une alliance positive avec les collectivités
publiques notamment dans le cadre de délégations de services publics ou de programmes innovants.
Cette économie sociale, structurée en sociétés de personnes, suscite la méfiance des promoteurs d’une
économie libérale visant la marchandisation de toutes les activités humaines. En raison de modes
d’organisation communautaires et de la persistance des discriminations à l’embauche, des entreprises
« ethniques » (les entreprises de maçonnerie turques par exemple) se développent souvent dans une
position de sous-traitance avec des entreprises marchandes « classiques ». L’économie souterraine,
difficile à caractériser par définition, fait l’objet d’une répression qui attise les phénomènes de révolte
dans certains quartiers de grands ensembles sociaux.
Les habitants des quartiers populaires vivent des rapports de domination économique, culturelle et
sociale qui génèrent des frustrations violentes. La haine qui s’exprime à l’occasion d’émeutes, comme
les scènes de vandalisme à l’égard de biens de consommation ou d’équipements collectifs traduisent le
désarroi incommensurable d’être dans la « zone » et de ne pas pouvoir vivre pleinement la société
d’abondance. La capacité à gérer ces risques qui déstabilisent l’ordre social devient non seulement un
enjeu de cohésion sociale mais un atout de développement économique. La création de dispositifs de
médiation et de gestion urbaine de proximité illustre cette volonté de prévenir et de maîtriser les
troubles et les désordres urbains. Comme l’analyse Marie Hélène Bacqué, la ville est le lieu
incontournable d’une régulation économique et sociale :
« Les métropoles sont devenues des enjeux de régulation capitaliste alors que instances et territoires
de gouvernance urbaine se redéploient aux échelles locales et métropolitaines en intégrant de
nouveaux acteurs associatifs ou communautaires, la gestion de la pauvreté urbaine représentant avant
tout un enjeu de paix sociale »15.
La concentration de populations pauvres, souvent immigrées, dans des quartiers de grands ensembles
dégradés va générer un phénomène de stigmatisation de ces populations et de ces quartiers. Les
émeutes qui se produisent régulièrement dans ces quartiers de grands ensembles sociaux vont susciter
la conception d’une forme d’intervention alternative à la répression. Le développement social des
quartiers répond à cette contrainte des gouvernements de gauche de tenir les quartiers sans reproduire
les méthodes autoritaires préconisées par la droite. Il s’agit de mettre en œuvre des approches
globales et transversales permettant de réduire les écarts de développement par la mobilisation des
acteurs et de moyens financiers ciblés.
L’identification de quartiers « sensibles », de populations à risque, des jeunes considérés comme une
nouvelle classe dangereuse en raison de ses capacités émeutières, conduit à une spatialisation des
problèmes sociaux qui se focalise sur les quartiers populaires :
15
Marie Hélène BACQUE, Gestion de proximité et démocratie participative, Paris : La découverte, 2005, p.82.
« L’émergence de la « crise urbaine » ou de « l’exclusion», termes à travers lesquels sont représentés
la montée de la précarisation sociale et son expression dans l’espace urbain, constituent un nouveau
socle du diagnostic sur lequel s’élaborent les paradigmes de la pensée et de l’intervention urbaine.
Exclu, relégué, ghéttoïsé, terre d’insécurité et de comportements déviants, le quartier populaire est
malade : il convient de le réformer et pour cela mettre en œuvre de nouvelles démarches, transversales
ou compréhensives et s’appuyant sur des dynamiques locales. »16.
Comme le souligne aussi Sylvie Tissot 17 :
« La spatialisation des problèmes sociaux a pour effet de rendre invisible tout ce que la situation des
quartiers les plus pauvres doit à ce qui se passe dans d’autres univers, comme « les beaux quartiers »,
moins médiatisés mais tout aussi cloisonnés, ou encore le monde du travail où se défait et se
recompose la « condition ouvrière ». Mais il faut insister sur les batailles symboliques aux effets décisifs
qui se jouent dans les ministères, les bureaux d’experts, les médias… et même chez les intellectuels, et
dont l’issue depuis plusieurs décennies conduit à faire oublier l’impact des politiques macroéconomiques, la remise en cause de la fonction redistributrice et protectrice de l’Etat social, ou encore
l’ampleur et l’impunité des discriminations ».
Individualisation et territorialisation
Les dispositifs d’insertion sociale et professionnelle introduisent deux outils qui structurent désormais
l’intervention sociale : le « contrat-projet » et l’accompagnement personnalisé. Cette individualisation de
l’intervention dans le cadre d’un parcours personnalisé et contractualisé s’accompagne d’une
dynamique territoriale et partenariale. Ces deux mouvements sont concomitants. Le travailleur social
est inscrit par ces dispositifs dans une démarche d’accompagnement individuel de parcours d’insertion
ou de réinsertion. Il place aussi son action dans une construction partenariale définie à l’échelle d’un
territoire d’intervention. Autrement dit, l’intervenant social va travailler à la construction d’un parcours
personnalisé dans le cadre d’un accompagnement individuel et, dans le même temps, participer à un
jeu partenarial visant la construction d’une représentation partagée du territoire, de ses habitants et des
questions sociales à traiter.
16
Ibid page 84
TISSOT, L’invention des « quartiers sensibles », Le monde diplomatique, Octobre 2007, p. 6
17Sylvie
Aujourd’hui, les populations pauvres, cibles des politiques sociales, sont convoquées pour participer à
ce jeu partenarial qui légitime les politiques de développement social et la démocratie de proximité.
Dans le même temps, celles qui relèvent des minima sociaux sont impliquées dans un espace de
contractualisation d’un projet d’insertion (RMI, API, ASS, RMA) les amenant à construire et à livrer le
récit d’une histoire singulière et à se projeter dans un futur répondant à des critères d’autonomie, de
civilité, d’intégration. Mais cette injonction à la réalisation d’un parcours de progrès comportemental est
souvent un jeu formel dont les deux protagonistes du contrat ne sont pas dupes. Le travailleur social va
gérer les écarts entre le prescrit et le possible dans un discours à diffuser auprès des acteurs légitimés
pour valider le contrat en commission locale d’insertion –CLI-. De son côté, la personne bénéficiaire du
dispositif va maintenir le lien d’accompagnement car il permet de préserver l’accès au revenu minimum
et aux droits sociaux connexes en matière de santé, de logement… Ainsi, le traitement spatial de
l’exclusion produit une césure entre l’ayant droit inclus dans des systèmes de protection offerts par son
statut salarial et le bénéficiaire des minima sociaux invités à respecter un « contrat-projet » d’insertion
pour maintenir le versement du revenu minimum et l’accès à des droits associés : couverture médicale
universelle –CMU- fonds social au logement –FSL-.
Sous la pression de ces nouvelles approches, le travail social fondé sur des corps professionnels bien
identifiés (Assistante sociale, éducateur spécialisé, conseillère en économie sociale et familiale) et bien
structurés autour de missions d’assistance, de protection et de prévention perd de son emprise. De
nouvelles professionnalités émergent, impulsées par la création de multiples dispositifs d’insertion, de
médiation, de développement social. Dans son ouvrage « Le travail social au singulier18 » Jacques Ion
propose une lecture des mutations du travail social. Il souligne le poids des logiques d’individualisation
et de territorialisation qui conduisent l’intervenant à mobilier ses ressources personnelles afin de
conduire un accompagnement auprès de personnes singulières :
« La territorialisation du social comme l’indétermination croissante des publics conduisent à une
segmentation de plus en plus grande de ces derniers et surtout à une prise en charge de plus en plus
individuelle, lorsque la question de la reconnaissance sociale devient problématique ; la logique du
projet comme celle de l’urgence entraîne une moindre maîtrise du long terme ; celle du « partenariat »
comme celle de la situation supposent un moindre poids des rôles professionnels et une plus grande
implication personnelle. Tout concours à singulariser l’action : même quand elle s’inscrit dans le cadre
de procédures définissant des ayants droits comme c’est le cas dans le dispositif RMI, elle lie
l’obtention de droits à un travail d’autodéfinition des usagers ».
18
Jacques ION, Le travail social au singulier, la fin du travail social ? Paris : Dunod, 2006, p. 128.
Si le travail social classique perd de son influence, il ne disparaît pas, notamment dans la fonction
publique qui a tendance à renforcer les moyens de l’action sociale et médico-sociale. Ainsi, la « fabrique
du social » est un processus complexe d’élaboration d’une gouvernance territoriale des problèmes
sociaux qui repose sur la construction de dispositifs et de projets à conduire en direction de population
ciblées (Cf : Schéma 2). Nous remarquons aussi que le social « se niche partout » aujourd’hui, dans les
politiques d’emploi, les politiques culturelles, les politiques du logement et de la santé. (Cf : Schéma 3).
Cette diffusion de l’approche sociale a pour conséquence un processus de dilution de l’intervention des
corps professionnels observable au sein de systèmes territorialisés complexes et faiblement
coordonnés. L’émergence de nouvelles professionnalités encore peu structurées et développées le plus
souvent dans le cadre de statuts précaires et non qualifiés (médiateurs, AVS, adultes relais, grand
frères…) contribue à la segmentation des interventions, notamment dans les quartiers de grands
ensembles urbains où la question de la coordination des acteurs et des moyens devient un enjeu
majeur.
Schéma 2 : analyse de l’intervention sociale A (PENVEN 2007)
Cadres juridiques
et politiques
Régulation
Traduction
« La fabrique du social »
Phénomènes
Problèmes
Populations
Projets
Contextes locaux
Territoires et
acteurs
Modèles de
référence
Institutions
Profession
Métiers et modes
d’intervention
Organisations
Réseaux et
partenariat
Commentaire : Ce schéma propose une grille de lecture de l’intervention sociale contemporaine. Au
centre du schéma, la « fabrique du social » est caractérisée par un processus de construction de projets
à conduire en direction de populations cibles. Le projet social est une réponse opératoire à la
problématisation de phénomènes sociaux. Ce travail d’ingénierie est à situer dans un cadre juridique et
politique et dans un contexte local. Il est inspiré par des modèles de référence (la prévention
spécialisée, l’insertion par l’activité économique, la réinsertion…) et il est traduit en discours et
pratiques institutionnelles et professionnelles. Nous ajoutons que cette « fabrique du social » est
traversée par quatre processus : le processus de professionnalisation qui conduit à la définition et à
l’appropriation de nouveaux modèles d’intervention ; le processus de traduction des modèles de
référence en politiques et dispositifs ; un processus de régulation politique et administrative qui
organise le social territorialisé et enfin ces politiques sociales territorialisées mobilisent les acteurs qui
cherchent à construire des coopérations partenariales afin de répondre à l’injonction de la transversalité
et de la complémentarité des actions.
Schéma 3 : analyse de l’intervention sociale B (PENVEN 2007)
« Le social se niche partout »
CULTURE
Socio-culturel
Démocratie
culturelle
JUSTICE
SANTE
Médico-social
Prévention
Promotion
Médiation
SOCIAL
Protection
Sécurité
Assistance
Prévention
EDUCATION
Aide éducative
Education
populaire
ZEP
POLITIQUE
Participation
Empowerment
ECONOMIE
Insertion
professionnelle
IAE
HABITAT
Logement social
Droit au
logement
Commentaire : Le social constitué autour des principes universels de protection, de sécurité,
d’assistance et de prévention reste le socle principal des politiques sociales. Cependant, la prégnance
de la question sociale a pour effet de diffuser l’approche sociale à toutes les sphères de la vie sociale.
Autrement dit, le social se « niche partout » et cherche à combler le vide qui sépare l’idéal républicain
d’égalité et la réalité d’une société libérale et inégalitaire par la fraternité et la solidarité.
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