Accueillons la formation en classe d`accueil

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Accueillons la formation en classe d’accueil
Tout le monde en parle
« 15% des jeunes étrangers n’achèvent pas de formation en Suisse.», peut-on lire dans un
rapport rédigé par l’Office fédéral des migrations (ODM), présenté le 30 août 2006 dans www.
admin.ch
et devant toutes les médias.
« Le chômage touche à Lausanne principalement les jeunes d’origine étrangère »,
constate le Service cantonal de recherche et d’information statistique (SCRIS) de l’état de
Vaud. «Une majorité de ces chômeurs étrangers n’ont pas dépassé le stade de la scolarité
obligatoire.», c’est marqué dans un article paru dans « Lausanne-Cités » du 24-25 mai 2006 (p.
6) : « Lausanne : le manque de formation explique le taux de chômage ».
« L’illettrisme touche 800’000 adultes en Suisse. L’Office fédéral des statistiques (OFS)
explique en partie ces chiffres par le fait que 26% de la population adulte est constituée
par les immigrés. », peut-on encore lire dans le télétexte de la TSR le 25 juillet 2006.
« 43% des parents suisses pensent que la forte proportion d’étrangers dans les écoles
est un obstacle à l’éducation performante des jeunes Suisses.», selon une enquête
réalisée par le département de sociologie de l’Université de Genève (« Le Matin », 25 juin 2006,
p.6).
Selon l’enquête des systèmes scolaires en Europe, baptisée PISA, la Suisse est classée en
2003 à la 17ème place parmi 32 pays. « C’est en Suisse que les enfants de familles pauvres
et/ou immigrées de fraîche date, peu intégrés socialement, obtiennent les résultats les plus
éloignés de ceux des familles favorisées. Comme PISA établit une moyenne générale, il est
facile de comprendre que si le système scolaire suisse était moins inégalitaire, s’il cherchait
davantage à corriger les inégalités de chances de réussite scolaire, il rejoindrait le groupe des
pays obtenant les meilleurs résultats », écrit Pierre Varcher dans son texte: PISA en Suisse. Des efforts tous azimuts
Et pourtant, les efforts visant l’amélioration de cette situation ne manquent pas.
Des associations, des fondations, des œuvres d’entraide, des centres socio-culturels, des
bénévoles et des écoles sont aux pieds d’œuvre depuis des années pour faire face aux
intégrations sociolinguistiques des étrangers.
Selon le journal « Voix d’Exils », (mars 2006, p. 27), une Commission externe d’évaluation de
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politiques publiques, commanditée par le Conseil d’Etat genevois, relève qu’en 2005 à Genève,
373 cours étaient destinés aux migrants. Cette enquête souligne « la nécessité de structurer et
de coordonner l’offre des cours visant l’accueil, l’intégration et la réinsertion». Elle révèle aussi
que ces cours souffrent d’incohérence même si leurs objectifs communs sont l’amélioration «
des compétences linguistiques des participants (…) et la lutte contre l’exclusion et le chômage.
»
L’Office fédéral des migrations dans son rapport du 30 mars 2006, parmi les mesures visant à
améliorer l’intégration des étrangers, prône aussi des propositions allant vers des mesures
harmonisées entre les communes, les cantons et la Confédération.
Dans le canton de Vaud, de nombreux entités d’accueil font face « in vivo » aux
nouveaux élèves arrivants en Suisse.
Méconnues parfois, les classes d’accueil sont tout en amont d’un long processus d’intégration.
Elles servent de ponts aux élèves allophones pour un meilleur passage, en aval, vers la société
d’accueil.
Un enseignement complexe dans un milieu hétéroclite
À une problématique complexe, celle de l’intégration des élèves étrangers, un enseignement
complexe et hétéroclite est assumé par les enseignants de ces entités.
L’enseignant d’une classe d’accueil doit respecter la forme de chaque pierre de la mosaïque
hétéroclite des classes d’accueil tout en faisant paraître en filigrane une image homogène : la
Suisse.
L’enseignant d’une classe d’accueil est amené à transmettre à ses élèves des connaissances
sociolinguistiques en galopant entre l’enseignement à la carte et l’enseignement frontal.
Prenons quelques exemples :
Dans sa classe il peut avoir des élèves dont les différences d’âge peuvent aller de 2 à 5 ans.
Cette différence est d’autant plus visible quand il s’agit d’une période difficile telle que
l’adolescence. Dans une classe d’accueil, il y a des provenances d’élèves allant de Trinidad
Tobago à Togo, des alphabets et des écritures diverses, allant de l’arabe au chinois, et des
élèves frôlant parfois « l’enfant de la rue » jusqu’aux petits génies mathématiciens qui font trois
fois plus vite que leurs enseignants des calculs compliqués. Sans oublier les diverses
sensibilités ethniques, religieuses et culturelles qui sont plus que variées.
Pour que les élèves des classes d’accueil comprennent, du moins il l’espère, le lexique du
règlement interne et externe d’un établissement, l’enseignant d’une classe d’accueil doit
travailler au moins une année.
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L’enseignant d’une classe d’accueil doit parfois expliquer aux nouveaux arrivants qu’en Suisse
on parle aussi le romanche, l’italien et même l’allemand. Ou le Schweitzer deutsche, si vous
voulez. À propos, quelles langues parle-t-on en Macédoine ?
Et quand un élève a un RDV pour une place de préapprentissage à Epalinges, l’enseignant
d’une classe d’accueil est aussi appelé à lui expliquer comment acheter des billets aux
distributeurs de billets pour, par exemple, s’y rendre depuis Yverdon-les-Bains. Ces élèves ne
peuvent souvent pas compter sur leurs pères, ni sur leurs mères car ceux-ci ne savent pas non
plus comment le faire. Car, ce n’est pas dans tous les pays de provenance de ces élèves qu’il y
a des distributeurs de billets et quand il y en a, ce n’est pas forcément la même langue pour le
mode d’emploi.
L’enseignant d’une classe d’accueil doit faire face aux élèves qui n’arrivent pas à poser des
questions, mais qui se posent des questions tout le temps.
L’enseignant d’une classe d’accueil reçoit parfois des « justificatifs d’absence » pour ses élèves
écrit par les voisins de ceux-ci et non par les parents. Les parents se contentent de signer, car
ils ne savent ni écrire, ni suivre des consignes en français. Parallèlement à leurs enfants, ils
découvrent parfois l’apprentissage du français. Quand l’enseignant veut voir ces mêmes
parents, il doit marchander ferme pour trouver un RDV concordant pour lui, les parents et le
traducteur. Parfois il ne trouve même pas de traducteur.
Des situations où l’élève d’une classe d’accueil a un permis de séjour F, L, N, ou S qui lui
permet de se projeter parfois seulement d’une semaine à l’autre ne facilitent nullement le travail
d’un enseignant qui œuvre pour que l’avenir de son élève soit une vision un peu plus lointaine
qu’une semaine !
L’enseignant d’une classe d’accueil doit s’organiser seul pour trouver et appliquer des
méthodologies. Il doit faire « comme il peut » et non « comme il veut » pour atteindre un «
comme il se doit ».
Les méthodologies principales venant de la France, il doit souvent expliquer aux élèves que
Paris est « bel et bien » la plus jolie ville au monde, que Paris est une capitale … pas de la
Suisse, mais de la France.
Si l’enseignant d’une classe d’accueil enseigne à ses élèves « le futur proche » c’est pour que
le verbe soit répété encore une fois à l’infinitif, pour rendre ainsi le verbe familier.
Une fois devenu familier, il faut parfois revenir pour expliquer aux élèves ce que le mot verbe
veut dire. Car l’élève, après avoir bien appris par cœur la conjugaison de dizaines de verbes en
ER, IR, OIR et RE, dit n’avoir pas compris ce que le mot « verbe » veut dire.
Dans les classes d’accueil, l’enseignant doit être le plus explicite possible pour que l’acquisition
devienne la plus implicite possible.
Tout est nouveau, ici en Suisse, pour ces élèves.
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Des mesures appropriées pour une intégration sociolinguistique
L’enseignant d’une classe d’accueil doit concilier cet état des choses où souvent l’élève
allophone souffre d’un déficit du langage, mais aussi de connaissances sociales de la société
d’accueil, et en même temps penser à une citation de Jean-François de Pietro, collaborateur
scientifique à l’Institut de recherche et de documentation pédagogique de Neuchâtel, qui dit : «
L’école a longtemps fait comme si l’élève migrant n’avait pas eu de langue avant d’arriver chez
elle. En réalité tout enfant est un expert. »
Tout enfant allophone, comme tout enfant suisse, peut être un expert. Ni plus, ni moins. Faut-t-il
encore dénicher leurs connaissances antérieures.
Le déficit sociolinguistique d’un élève allophone, dans la nouvelle société d’accueil, ne doit pas
forcément être compensé avec des mesures de la pédagogie compensatoire et ses classes
dites D.
Je pense même que ce sont les classes d’accueil qui sont les mieux appropriées pour combler
ces lacunes, préparer le passage vers une vie scolaire et professionnelle future, et s’assurer du
suivi de ces mêmes élèves, même après qu’ils aient intégré une classe régulière. Car, acquérir
en une ou deux années ce que les autres élèves sont amenés à faire en 5, 6, 7, 8 voir 9 ans,
relève du titanesque. Les cours intensifs de français (CIF) et les conseillers en orientation
scolaire et professionnelle sont les outils d’un suivi des élèves allophones.
Il ne s’agit pas de faire une discrimination positive, je n’aime pas d’ailleurs cette expression, car
le mot même discrimination ne m’est pas très positif, mais de combler des lacunes tout en
s’accrochant aux bagages scolaires ou aux expériences de vie de ces mêmes élèves qui ont
traversé plusieurs frontières en venant ici. Après tout, « les voyages forment la jeunesse »,
paraît-il. « Un voyage s’inscrit simultanément dans l’espace, dans le temps et dans la
hiérarchie sociale », dit Lévi-Strauss.
Comme « enseigner c’est apprendre deux fois : d’abord à soi-même, ensuite aux autres », une
formation des enseignants paraît plus qu’évidente !
Une reconnaissance de l’enseignement du français langue étrangère suivi
d’une formation certifiée
« L’œil veut voir, l’oreille entendre, le pied marcher, la main saisir. Mais le cœur veut aussi
aimer et croire, et l’esprit penser » dit Henri Pestalozzi il y a deux siècles. Deux siècles plus tard
mon cœur veut aussi aimer et croire que tout ce contenu si riche autour et dans des classes
d’accueil (les enseignants, les élèves, les parents, les partenaires scolaires et extrascolaires et
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les directions) puissent avoir un contenant reconnu pleinement par les autorités politiques et
pédagogiques.
Comment ? Tout d’abord en reconnaissant pleinement l’utilité de l’enseignement du français
langue étrangère. Je privilégie le terme « français langue étrangère » et non « français langue
seconde » car pour une partie des élèves allophones, par exemple de mariages mixtes, le
français n’est pas leur langue seconde. Etant ancien étudiant allophone, ayant étudié trois
autres langues avant le français, je propose même le terme « français langue nouvelle ».
Ensuite, une formation, une vraie, suivrait, si une telle reconnaissance avait lieu ; une formation,
avec un titre à la clé et une revalorisation du métier exercé.
Une formation complémentaire certifiée, anticipée de la reconnaissance des acquisitions et des
expériences des enseignants des entités d’accueil, riches certes et assurément indispensables.
En parlant de reconnaissance, force est de constater que les efforts des autorités
pédagogiques vaudoises allant dans ce sens ne manquent pas et que de grands progrès
d’avancement ont été faits ces dernières années.
Driton M. KAJTAZI
Enseignant au Collège « Léon-Michaud », Yverdon-les-Bains
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