Quel rôle doit-on accorder à la monnaie dans l’origine et l’ampleur des fluctuations économiques ? Introduction : Un cycle est défini par l’alternance de phases d’expansion et de récession de l’activité économique, avec une périodicité et une amplitude relativement régulières. La théorie des cycles analyse l’origine des fluctuations économiques, leur durée et leur déroulement. On distingue divers cycles selon leur durée : KONDRATIEV (50 ans), JUGLAR (10 ans) et KITCHIN (40 mois). Deux grands courants s’opposent concernant les causes des cycles : certains y voient l’effet de phénomènes réels via les grappes d’innovations ou les guerres, d’autres la conséquence de phénomènes monétaires à travers les découvertes de métal précieux ou les variations du crédit bancaire. Historiquement, ce dernier courant a longtemps dominé. Par exemple, Irving FISHER a pu écrire « La monnaie fait valser le cycle ». Rappelons que la monnaie est constituée par l’ensemble des moyens de paiement dont disposent les agents économiques. Au sens étroit (M1), elle comprend les pièces, les billets, les dépôts à vue ; au sens large (M3), elle est synonyme de masse monétaire et comprend en plus des 3 éléments précédents les placements à vue rémunérés. La monnaie est intimement liée au crédit. Doit-on considérer les variations de la masse monétaire comme la principale origine des cycles ? I- Les explications monétaires des cycles… A- JUGLAR et HAWTREY : le rôle du crédit Juglar (1862) : le cycle des affaires vient du crédit, lequel encourage la spéculation. Pendant la période de croissance, le pays vend abondamment à l'étranger, d'où des excédents commerciaux qui augmentent ses réserves d'or et donc la masse monétaire. Simultanément, les industriels empruntent sans compter auprès des banques, gonflant le montant des crédits et donc, là encore, la masse monétaire. Ce double gonflement de la masse monétaire initie l'inflation. L'excès de crédit de la phase d'expansion assèche les trésoreries bancaires, fait monter les taux d'intérêt, rend les investissements de plus en plus difficiles à rentabiliser et conduit, en fin de compte, à une diminution du volume des prêts. Les débouchés extérieurs et intérieurs commencent dès lors à s'amenuiser, entraînant le pays dans le chômage et la déflation. La déflation a un double effet : la baisse des prix favorise la reconquête des marchés étrangers ; certaines entreprises, dont les dettes augmentent les charges, font faillite et changent de propriétaire, ce qui conduit à l'émergence d'une nouvelle génération d'entrepreneurs, assurant le redémarrage de l'économie. Hawtrey (1928) : le rôle de l’étalon-or. L’expansion du crédit permet l’expansion économique. Abondance des disponibilités bancaires => bas taux d’escompte => les négociants seront plus influencés que les fabricants => augmentation des stocks => expansion => hausse des prix qui stimule la production Le retournement se produit avec la contrainte de l’étalon-or. La banque centrale s’inquiète pour la parité de la monnaie et hausse le taux d’escompte. => Limitation des crédits bancaires => Hauts taux d’intérêt et baisse des prix. Les négociants réduisent leurs stocks et leurs commandes. Baisse de la production puis de la demande. Son modèle explique les fluctuations des prix et de l’activité au 19ème siècle. B- HAYEK : la surcapitalisation (1931) : Baisse du taux d’intérêt (au dessous du taux naturel) engendrée par une hausse de la création monétaire => hausse des crédits accordés => de plus en plus d’investissements deviennent rentables => hausse de production => boom => demande de facteurs augmente => inflation => hausse du taux d’intérêt => baisse de la rentabilité des investissements => surinvestissement. Investissements dans des activités peu rentables => la crise commence. Investissements injustifiés de la part d’entrepreneurs guidés par un signal erroné (taux d’intérêt). La baisse du taux d’intérêt sans contrepartie réelle (une hausse de l’épargne) constitue un signal erroné. Cf. les effets de la politique accommodante du FED depuis les années 1990 pour sauver la croissance et aussi Wall Street : surinvestissements dans les NTIC, bulle internet, dégonflement de la bulle internet ; surinvestissements dans l’immobilier, bulle immobilière aux USA, crise des subprime en 2008. C- FRIEDMAN et la corrélation monnaie/activité (1963) : La monnaie est une source majeure de fluctuations de l’activité économique. Un dérèglement de l’émission de monnaie peut entraîner des crises ou les aggraver. FRIEDMAN et SCHWARTZ dans l’Histoire monétaire des Etats-Unis, 1963, constatent que la baisse du taux d’escompte à partir de 1927 a alimenté le crédit et la spéculation ; le stock de monnaie a diminué d’un tiers au cours de la grande crise des années 1930 et cette contraction est la cause principale de la crise. Remise en cause de l’explication habituelle en termes de surproduction. De la même façon, les hyperinflations allemande (1922-1923), grecque (1943-1944) et hongroise (1945-1946) seraient dus à une multiplication débridée de la masse monétaire. Transition : Certains ont expliqué les cycles KONDRATIEV par la monnaie (CASSEL, MARJOLIN, LEPAS) : effet des découvertes d’or en Californie vers 1850 et en Afrique du sud. Mais d’autres explications non monétaires ont été proposées. II- … et les explications réelles A- le rôle des innovations dans les cycles longs : SCHUMPETER (1939) : L’innovation se développe en grappes diffusant ses effets bénéfiques sur l’ensemble de l’économie. Leur diffusion entraîne l’expansion. Destruction créatrice. Progressivement, les premiers entrepreneurs perdent leur monopole, font face à une concurrence de plus en plus forte pesant sur les prix. Les entreprises les plus fragiles font faillite. Les anticipations portées par l’optimisme se révèlent bientôt erronées. Le crédit devient moins abondant faute de demande, il joue un rôle dans le cycle mais subordonné au rythme des innovations. Les vagues secondaires d’innovation amplifient le cycle. 1er KONDRATIEV 1787-1840 : vapeur et charbon 2ème KONDRATIEV 1843-1897 : chemin de fer 3ème KONDRATIEV 1898-1939 : chimie, électricité, automobile Analyse reprise et approfondie par les néo-schumpétériens : MENSCH, FREEMAN. B- L’explication endogène du cycle : l’oscillateur de SAMUELSON (1939) Explication des fluctuations par le biais de l’investissement et de la consommation, via le multiplicateur et l’accélérateur. Les anticipations des entrepreneurs, la demande effective, les dépenses publiques peuvent influer sur le cycle, ainsi que la propension marginale à consommer. Vision keynésienne. C- L’explication exogène du cycle : la théorie des cycles réels : LONG et PLOSSER. Théorie des cycles à l’équilibre. Causes réelles des cycles : Chocs de productivité, guerres, phénomènes climatiques. Changement complet de problématique : tendances et cycles sont désormais confondus. Conclusion : La monnaie joue un rôle essentiel dans les fluctuations économiques. Le débat ici n’oppose pax les libéraux aux keynésiens puisqu’on retrouve les deux courants dans les explications réelles. La politique de baisse des taux des principales banques centrales depuis 2008 a généré une petite expansion dans un premier temps, doit-on s’attendre maintenant à une récession ?