ATELIER 6 : L’ACTION DES ENTREPRISES EN FAVEUR DES DROITS HUMAINS ET SOCIAUX Animateur : Jean Lapeyre, Comité Economique et Social Européen (CESE) Rapporteur : Rudi Delarue, Directeur du Bureau du BIT pour l'UE et le Bénélux Comment l’entreprise peut-elle renforcer les droits humains et sociaux dans les pays en développement, à travers son action locale et ses relations avec les fournisseurs ? Le sixième atelier du colloque s’est attaché à répondre à cette question délicate. En effet, les droits humains et sociaux font référence à des aspects multiples et pointus tels que l’interdiction du travail des enfants, le respect de la liberté syndicale, la promotion de rémunérations satisfaisantes et de conditions de travail protégeant la santé, la sécurité et l'intégrité morale des travailleurs, et enfin l'égalité des chances et la non-discrimination (principes contenus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, les principes de l'OIT et conventions de l’ONU). Dans de nombreux pays en développement, les législations concernant ces principes font défaut ou ne sont pas respectées (par exemple, en Chine, le droit à la liberté de créer un syndicat n'est pas reconnu). Pourtant, les entreprises internationales implantées dans ces pays ou sous-traitant à des entreprises de ces pays doivent s'assurer que ces principes sont respectés en leur sein ou chez leurs fournisseurs. Elles doivent contribuer à l'amélioration des standards concernant les droits humains et sociaux dans les pays du Sud, sur place (en interne) ou à distance (à travers ses relations fournisseurs). Comment s’y prennent-elles aujourd’hui et quelles sont les voies d’amélioration à privilégier dans ce domaine sont les questions clés qui ont guidé l’atelier. Les points suivants ont été traités dans l’atelier : Le contexte et les enjeux du renforcement des droits humains et sociaux : La recherche de nouveaux outils de promotion des droits humains par les entreprises Les enjeux économiques, juridiques et politiques pour les entreprises Les facteurs clés de succès des actions des entreprises en faveur des droits humains et sociaux : Une approche décloisonnée des droits humains et sociaux La mise en place de collaborations multipartites Le renforcement du cadre juridique et de l’effectivité des contrôles IMS-Entreprendre pour la Cité 27/03/09 1 I. Contexte et enjeux 1. Codes éthiques, accords sociaux internationaux… : la recherche de nouveaux outils de promotion des droits humains par les entreprises Dans le cadre de l’exercice de leur responsabilité sociale (RSE), de nombreux outils ont été développés par les entreprises pour favoriser la prise en compte et le renforcement des droits humains et sociaux dans les pays en développement, en leur sein et chez leurs fournisseurs. Les témoignages de deux grands groupes –sanofi-aventis et Rhodia- en ont donné un aperçu. Ainsi, Antoni Gelonch -Viladegut, Directeur Projets Développement Durable de sanofi-aventis, a rappelé que son groupe s’est doté d’un code éthique traduit dans 25 langues, que tout salarié doit signer et qui souligne l'attachement de l’entreprise au respect des principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, des conventions de l'OIT, des principes directeurs de l'OCDE et du Global Compact. Le groupe pharmaceutique a également mis en place un système d’alerte (« système de compliance ») en interne en cas de non respect des droits humains, assuré dans certains pays par des tiers. Par ailleurs, sanofi-aventis est engagé avec d'autres entreprises telles que GDF SUEZ, BNP Paribas, AREVA, Casino, EDF et ST Microelectronics dans l’initiative EdH (Entreprises pour les Droits de l’Homme) qui a pour objectif d’échanger sur les meilleures pratiques de différents secteurs pour avancer dans la construction d'outils en faveur de la promotion des droits humains. Concernant les fournisseurs, sanofi-aventis qui en référence100.000 dans le monde, a élaboré un code éthique traduit en 10 langues, avec une démarche spécifique, qui comprend 4 volets : - la formation des acheteurs (800 ont été formés dans le monde aux aspects de lutte contre le travail infantile et le travail forcé, de mise en place de meilleures conditions de travail, mais aussi de respect de l'environnement) - l’envoi d’un questionnaire aux fournisseurs pour vérifier ces aspects - la conduite d’audits chez ces fournisseurs - l’élaboration de plans d'amélioration (actions correctives) pour le respect des droits humains (en 2007, 45 plans ont été élaborés avec des fournisseurs différents). De son côté, Jacques Kheliff, Directeur Développement Durable de Rhodia a évoqué la signature en 2005 par son groupe d’un accord social international 1 avec la Fédération Internationale des Syndicats de Travailleurs de la Chimie, de l’Energie, des Mines et des Industries Diverses (l’ICEM). Par cet accord, Rhodia s'engage à appliquer, partout dans le monde, les standards sociaux internationaux définis par les Conventions de l'Organisation Internationale du Travail et les principes du Global Compact de l'ONU. Aujourd’hui, Rhodia est la seule entreprise du secteur de la Chimie à avoir signé un tel accord. Celui-ci a été reconduit Les accords sociaux internationaux sont des accords mondiaux négociés avec des fédérations syndicales internationales dans le cadre des « accords cadres » et constituent de nouveaux instruments de régulation sur la question des droits humains. 1 IMS-Entreprendre pour la Cité 27/03/09 2 en 2008, suite au bilan positif dressé par les deux partenaires notamment dans le cadre d’une mission d’évaluation conjointe menée fin 2007 en Chine. Par ailleurs, Jacques Kheliff a souligné que la question des droits humains devait soulever la question des droits des fournisseurs : « nous avons une charte d’achats durables bien sûr, pour veiller au bon respect des principes relatifs aux droits humains chez nos fournisseurs, mais de l’autre côté nous devons aussi donner des droits à ces fournisseurs. Par exemple, pour nos transporteurs, nous devons prendre en compte leurs réalités et les aider à travailler dans de bonnes conditions ». 2. Le respect des droits humains : des enjeux économiques, juridiques et politiques pour les entreprises Le respect des droits humains et leur prise en compte dans l’organisation et la conduite des activités des entreprises représentent pour celles-ci des enjeux majeurs. Comme l’a rappelé Antoine Bernard, Directeur Exécutif de la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l'Homme2), « les entreprises progressent dans ce domaine parce que c'est devenu un enjeu concurrentiel ». Il a souligné la logique forte d'appréhension des risques qui prévalait aujourd’hui en la matière. En effet, les entreprises sont conscientes que les atteintes aux droits humains représentent des risques croissants en termes juridique, de réputation, de légitimité et d’acceptabilité de leurs activités, sans compter les coûts d’une mauvaise publicité pour leurs marques. Jacques Kheliff a parlé de « discriminant relationnel entre les entreprises » : « si nous ne faisons pas ce que nous demandent nos clients en matière de respect des droits humains, alors nous sommes exclus par eux ! Cela fait partie aujourd’hui des exigences de nos clients ». Plus largement, il s’agit pour l’entreprise d’être en prise avec les attentes de ses consommateurs, qui, sensibilisés par les ONG et les débats médiatiques récurrents, se préoccupent de plus en plus des conditions de fabrication des produits. Par ailleurs, les organisations syndicales du Nord sont de plus en plus attentives aux conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail dans les pays en développement (cf. accords sociaux internationaux). Le respect des droits humains est aussi un critère clé d’appréciation des stratégies de responsabilité sociale des entreprises par les agences de notation, les investisseurs, bailleurs de fonds et les institutions financières mondiales lors de l’examen des conditions d’octroi de crédits pour un projet. Ainsi, Henry de Cazotte, Directeur du Département des Relations Extérieures et de la Communication de l’AFD, a rappelé qu’il existe un « cadre de référence social et environnemental pour tous les projets que finance l’AFD, avec des critères intégrant les normes de l'OIT ». ONG fédérative dont la vocation est d’agir concrètement pour le respect de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 (droits civils et politiques, droits économiques, 2 IMS-Entreprendre pour la Cité 27/03/09 3 II. Facteurs clés de succès 1. Une approche décloisonnée des droits humains et sociaux La question des droits humains et sociaux est transverse et sous-jacente aux différentes démarches d’appui au développement des pays du Sud. Droits de l’Homme et Développement sont en effet inextricablement liés. On sait notamment aujourd’hui que la pauvreté n’est pas simplement un état imputable à la faiblesse des revenus, mais une privation de capacités, à travers l’impossibilité d’accéder aux droits économiques, sociaux, civils ou politiques (sécurité, santé, éducation…).La question des droits humains renvoie donc à des problématiques plus larges de Développement et comme l’a souligné Antoine Bernard, Directeur Exécutif de la FIDH, « plus l'entreprise s'engage dans ce domaine, plus elle voit émerger de problèmes, car la réalité des droits humains est extrêmement complexe ». Dans ce cadre, Jean Lapeyre du Comité Economique et Social Européen a rappelé que, pour être efficace en la matière, « les entreprises doivent prendre en compte une multiplicité de facteurs et d’acteurs » et qu’une « approche globale » doit être de mise via diverses actions spécifiques. Antoni Gelonch-Viladegut, Directeur Projets Développement Durable de sanofi-aventis, a appuyé cette idée de multi-dimensionnalité en citant un exemple où l’entreprise doit agir sur différents fronts : dans certains pays d’Afrique, les malades épileptiques sont considérés dans leurs villages comme possédés par le démon et donc les programmes d’accès aux soins de Sanofi-Aventis doivent agir en amont sur des aspects culturels, avec des actions de sensibilisation et de formation des communautés locales, préalables à toute démarche de prévention et de traitement. De même, Sandra Perrot, Gestionnaire de projet chez Partenaires contre le SIDA3, a constaté que l’association ne peut plus simplement travailler avec qu'une ‘entrée’ VIH sida : « quand on parle de sida, on parle de politique santé, on parle de droit à la santé et d'accès à la santé, et nécessairement, cet accès a un impact sur l'activité économique. Il est donc fondamental d'articuler ce droit santé aux autres droits, de ne pas cloisonner ». L’approche globale nécessite des partenariats multiples. Par exemple, Antoni Gelonch-Viladegut a expliqué que, certains médicaments nécessitant de prendre de l'eau (interdépendance de l’accès à la santé et de l’accès à l’eau), l’entreprise devait travailler avec des entreprises de ce secteur pour s'assurer qu'elle est potable ainsi qu’avec des structures de santé pour assurer l’observance des traitements, ce qui est impossible sans l’aide des gouvernements locaux. sociaux et culturels). Composée d'une dizaine d'associations nationales à sa création en 1922, la FIDH rassemble aujourd’hui 155 ligues membres dans plus de 100 pays. 3 Initiative de la coalition mondiale des entreprises pour la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria, qui vise à contribuer au renforcement des capacités des acteurs du secteur privé des pays en développement dans la réponse qu’ils apportent dans la lutte contre le VIH/Sida par la mise à disposition d’une expertise technique de qualité. IMS-Entreprendre pour la Cité 27/03/09 4 2. La mise en place de collaborations multipartites Toute la richesse des partenariats entre entreprises et entre toutes les parties prenantes sur la question des droits humains et sociaux a été soulignée. Jacques Kheliff, Directeur Développement Durable de Rhodia, a remarqué que « c’est une question qui, comme pour tout domaine de la RSE, fixe un niveau de responsabilité qui n'est pas atteignable seuls par les managers » et que salariés, syndicats, riverains, communautés et représentants de la société civile doivent être associés. Antoni Gelonch -Viladegut de sanofi-aventis a parlé de « contrat social » avec les différentes parties prenantes, qui part souvent d'un « équilibre instable et très compliqué à gérer » pour lequel il faut inventer de nouveaux partenariats. Ces partenariats doivent, selon lui, se fonder non pas sur un modèle de "fund-raising" (logique traditionnelle du mécénat) mais sur « une mise en commun de compétences pour des actions gagnant-gagnant pour toutes les parties qui participent ». Partenaires contre le SIDA soutient cette logique de complémentarité des acteurs, en cherchant à développer des partenariats public-privé (PPP) ou « co-investissements », selon les termes de Sandra Perrot, entre entreprises et autorités nationales, syndicats, prestataires comme les ONG, instituts de recherche et partenaires techniques comme les acteurs financiers (aide bilatérale ou multilatérale). L’association invite l'entreprise à définir des objectifs communs avec ces partenaires et un plan d'action pour les mettre en place, ainsi que des indicateurs pour les suivre et les évaluer. D’après Sandra Perrot, ces partenariats permettent « un engagement réciproque des acteurs autour d’un partage de savoir-faire spécifiques, source d’une pérennité nouvelle pour les actions des entreprises », en précisant toutefois que pour que le nombre fasse la force, il faut « une structuration d'acteurs du secteur privé (petites PME, antennes de grandes entreprises, syndicats...) suffisamment solide pour faire le poids par rapport aux Etats et ainsi peser dans les négociations avec les autorités publiques ». 3. Le renforcement du cadre juridique et de l’effectivité des contrôles Une problématique majeure a été soulevée durant les débats de l’atelier concernant l’avancée des droits humains et sociaux dans les pays du Sud : celle de la distorsion concurrentielle entre les entreprises qui respectent les droits et celles qui ne les respectent pas. Selon Antoni Gelonch -Viladegut, « les entreprises qui font des efforts en matière de droits humains sont parfois confrontées à des entreprises et pays qui ne font rien pour respecter ces droits, dans un régime de concurrence commerciale ». Face à ce problème, Antoine Bernard de la FIDH a rappelé que la responsabilité à l’égard des droits humains n’est pas une option pour l’entreprise, mais bien une responsabilité au sens juridique du terme et que des actions mutualisées sont possibles pour tirer les standards locaux vers le haut et ainsi éviter la distorsion concurrentielle. Ainsi, en Chine, la FIDH a observé des avancées significatives grâce à l’action intensive de la « Global Social Compliance Programme » (GSCP). Cette plateforme mondiale qui regroupe les plus grands distributeurs mondiaux (Tesco, WalMart, Carrefour...) mais également des fournisseurs de la grande distribution (Levis, Disney…) s'appuie sur les textes internationaux et vise à promouvoir et faire respecter les meilleurs pratiques IMS-Entreprendre pour la Cité 27/03/09 5 concernant les questions de santé, sécurité, salaires, travail des enfants et discriminations dans les pays producteurs où les législations font défaut ou ne sont pas respectées. Antoine Bernard a rappelé que les entreprises de cette coalition se sont interrogées pendant de nombreux mois sur le référentiel commun à adopter : reste-t-on sur une démarche volontaire, sur le plus petit dénominateur commun (aucune incidence juridique) ? Ou bien va-t-on plus loin ? Les entreprises ont finalement choisi cette dernière option, en reconnaissant l’opposabilité directe des normes de l’OIT. Ces actions inter-entreprises permettent de peser dans les négociations institutionnelles, face parfois à des puissances publiques très fortes (versus la faiblesse de la portée de la voix d'une seule entreprise dans un pays ne respectant pas les droits humains). Antoine Bernard de la FIDH a également mis en exergue un point clé d’amélioration des démarches des entreprises en faveur des droits humains et sociaux : la mise en place de démarches de progrès mesurables et transparentes, à travers « le développement de mécanismes de contrôle et de l’effectivité des voies de recours offertes aux victimes, aujourd’hui insuffisants ». Selon Antoine Bernard, ce sont là des indicateurs de crédibilité de la démarche. « C’est une chose que d’ouvrir une ligne rouge pour les salariés ou les fournisseurs (domaine du privé), cela en est une autre que de faire face à ses responsabilités au regard de la norme commune (mécanismes de règlement des différends prévus par la loi) », a-t-il souligné. Les débats ont mis en avant qu’il est fondamental à l’avenir de clarifier les domaines d'influence de l’entreprise par rapport aux limites et responsabilités de l'Etat, notamment quand il est défaillant. Cette question de sphère d’influence est clé, comme le montre l’exemple de Rio Tinto en Afrique relevé par Sandra Perrot : la politique de lutte contre le sida de ce groupe visait au départ ses salariés et leurs ayant-droits, mais comme il n’existait rien de tel autour des implantations de l’entreprise, les communautés voisines ont fait appel aux services de soins de Rio Tinto. Aujourd’hui, sur les 600 personnes couvertes, seuls 60 salariés sont concernés. La question se pose de savoir où l’entreprise doit s’arrêter : est-ce encore de son mandat de prendre en charge des personnes de la communauté environnante ou pas ? Les travaux de John Ruggie, représentant spécial des Nations Unies pour la question des droits de l’homme, des sociétés transnationales et autres entreprises, sont très attendus quant à cette clarification sur les relations entre entreprises et droits humains (travaux débutés en 2005 et reconduits jusqu’en 2011, notamment pour élaborer des propositions concrètes de mise en œuvre des principes de responsabilité des entreprises à l’égard des droits humains). IMS-Entreprendre pour la Cité 27/03/09 6