Muséum national d’Histoire naturelle Master Erasmus Mundus en Quaternaire et Préhistoire La présentation des crânes préhistoriques : de l’Exposition universelle de 1878 à la création du Musée de l’Homme de 1937 Emilie Bertrand Tuteur/s : Mme Grimaud-Hervé, Mr Hurel. Année académique 2009/2010 1 Remerciements Je tiens à remercier Monsieur Denis Vialou et Monsieur François Sémah de m’avoir donné la chance de pouvoir suivre la formation « Quaternaire et Préhistoire » à l’Institut de Paléontologie humaine. Je voudrai également remercier Madame Grimaud-Hervé et Monsieur Arnaud Hurel pour m’avoir suivie et encouragée tout au long de la réalisation de ce mémoire. Je remercie Madame Chafika Falguères et Monsieur Pleurdeau qui m’ont aidée dans mes démarches et ont veillé au bon déroulement de ma mobilité à l’université de Tarragone. Je souhaite également remercier Monsieur Robert Sala et Monsieur Carlos Lorenzo pour m’avoir si bien accueillie au sein de leur université de Tarragone et ont fait en sorte que je puisse profiter au maximum des enseignements. Je tiens également à remercier Madame Alice Lemaire pour son accueil aux archives de la bibliothèque centrale du Muséum national d’histoire naturelle et de son aide précieuse qui m’a facilité mon travail de recherche. Je voudrai remercier Monsieur Philippe Mennecier, pour m’avoir permis de consulter les registres des collections anthropologiques du Muséum. Je remercie également Madame Sandrine Toiron pour m’avoir laissé consulter les ouvrages du Bureau international des Expositions. Enfin, je remercie ma famille et mon entourage qui m’ont encouragé et soutenu au cours de cette année. 2 Résumé La thématique des collections anthropologiques par l’intermédiaire de leur présentation au public, non d’un point de vue muséologique, mais historiographique est peu abordée. Ainsi, cette analyse s’attache à l’étude des collections anthropologiques mais plus particulièrement en abordant la question des présentations des crânes préhistoriques au public. Cette étude examine les présentations des crânes préhistoriques en France, de l’Exposition universelle de 1878 à la création du Musée de l’Homme de 1937 aussi bien au cours d’expositions permanentes que temporaires. Ainsi à travers l’exposition de ces crânes au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris et au cours des expositions universelles de 1878 et 1889, cette analyse tente de déterminer quelles sont les raisons d’ordre scientifique qui président à la réalisation des présentations des crânes préhistoriques au public. Ainsi, sont envisagés, le choix des pièces exposées, le classement, l’arrangement de celles-ci et les scientifiques qui sont à l’origine de ces expositions. Cette étude essaie également d’identifier s’il existe un lien entre les exhibitions des crânes préhistoriques, le savoir anthropologique et l’histoire de la discipline. 3 Abstract The theme of the anthropological collections through their display to the public, by historiographic point of view is little approached. So, this analysis considers the study of the anthropological collections but particularly by the displays of the prehistoric skulls. This study examines the displays of the prehistoric skulls in France, since the World Fair of 1878 to the creation of the Musée de l’Homme in 1937, as well during exhibitions permanent as temporary. So through the exhibition of these skulls to the Muséum d’Histoire naturelle de Paris and during the World Fairs of 1878 and 1889, this analysis tries to determine, what are the reasons of scientific order which lead the realization of the displays of the prehistoric skulls. So, the choice of the skulls, the classification, their arrangement and the anthropological knowledge, and with the history of the discipline are studied. 4 Sommaire INTRODUCTION PARTIE I 7 19 LE MUSEUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE : LIEU DES PREMIERES PRESENTATIONS DE CRANES PREHISTORIQUES A PARIS (1878-1898) 19 CHAPITRE I 22 La constitution de l’anthropologie au Muséum national d’Histoire naturelle 1) L’anatomie humaine de Portal (1793-1832) et l’histoire de l’homme de Flourens (1832-1838) 2) La chaire d’anatomie et d’Histoire Naturelle de l’Homme de Serres (1839-1855) 3) L’anthropologie de Quatrefages (1855-1892) 22 22 25 26 CHAPITRE II 28 L’exposition des crânes préhistoriques dans la Galerie d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle 28 1) Les premières collections anthropologiques du Muséum 28 2) L’organisation des collections anthropologiques dans la galerie du bâtiment de la cours de la Baleine par ET Hamy 29 3) La collection de crânes préhistoriques de la galerie d’anthropologie 33 4) Les enjeux de la présentation des crânes préhistoriques dans la galerie d’anthropologie du bâtiment de la Baleine 35 PARTIE II 40 LA PRESENTATION DES CRANES PREHISTORIQUES AUX EXPOSITIONS UNIVERSELLES DE 1878 ET DE 1889 A PARIS 40 CHAPITRE I 42 L’absence de vestiges humains aux Exposition universelles de 1867 et de 1900 1) L’absence de présentation de crânes préhistoriques à l’Exposition universelle de 1867 2) Le refus d’exposer des vestiges humains à L’Exposition universelle de 1900 42 42 44 CHAPITRE II 46 Les crânes préhistoriques à l’Exposition universelle de 1878 46 1) La présentation de l’anthropologie de Paul Broca et la promotion de la Société d’anthropologie de Paris 46 2) Les crânes préhistoriques au sein de l’exposition des sciences anthropologiques 49 CHAPITRE III 52 La présentation des crânes préhistoriques durant l’exposition rétrospective du travail de l’Exposition universelle de 1889: 1) L’Exposition des sciences anthropologiques : miroir de l’Anthropologie de Paul Broca 2) La présentation des crânes préhistoriques 52 53 54 5 PARTIE III 60 LES CRANES PREHISTORIQUES, LA GALERIE D’ANATOMIE COMPAREE, DE PALEONTOLOGIE, D’ANTHROPOLOGIE ET LE MUSEE D’ETHNOGRAPHIE DU TROCADERO (1898-1937) 60 CHAPITRE I 63 La présentation de collections anthropologiques dans la galerie d’anatomie comparée et de paléontologie 63 CHAPITRE II 66 La galerie d’anthropologie 1) Les collections de la galerie d’anthropologie 2) La présentation des crânes préhistoriques 66 66 68 CHAPITRE III 72 L’absence de présentation de crânes préhistoriques au Musée d’Ethnographie du Trocadéro 1) Le classement des pièces d’ethnographie de ET Hamy 2) Vers une spécialisation des disciplines anthropologiques 72 72 73 CONCLUSION 76 BIBLIOGRAPHIE 82 ANNEXES 94 6 INTRODUCTION 7 L’objet de ce mémoire est l’étude des présentations des crânes préhistoriques de l’Exposition universelle de 1878 à la création du Musée de l’homme de 1937. Ce sont les crânes exposés dans les galeries d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle qui seront plus particulièrement envisagés et ceux des Expositions universelles de 1878 et de 1889. L’étude des crânes dans leur exposition parait intéressante à analyser puisque cette partie anatomique semble avoir un statut particulier par rapport aux autres éléments du squelette humain. En effet, Alain (1868-1951) remarque qu’«Un crâne important et des mains cela définit l’homme assez bien.» (Alain, 1927 : 12). Dans cette citation extraite des Esquisses de l’homme, Alain présente les deux éléments importants qui selon lui définissent au mieux l’homme, c'est-à-dire « Un crâne important et des mains.» Pour ce philosophe du XXe siècle, l’homme est caractérisé par un grand crâne par cela, il désigne en fait l’importance du cerveau, siège de la pensée et de l’esprit humain. Le crâne représente la boîte qui contient et protège ce cerveau. Dans la nature, l’homme ne fait pas exception par le fait de posséder un crâne puisque tous les animaux en sont également dotés. En revanche, c’est son crâne qui est particulier puisqu’il est important, cela suggérant que le cerveau est également important. Cette idée que l’être humain possède un cerveau volumineux et plus important que les autres animaux n’est pas une idée nouvelle puisqu’elle se retrouve dans la littérature antérieure au XIXe siècle. En effet, déjà Aristote considérait que l’homme se distinguait des animaux par un cerveau très volumineux et que cette caractéristique était à l’origine de la calvitie chez l’homme, phénomène qui est lui propre. En effet, il explique que «l’homme ne devient chauve que sur le devant de la tête, et qu’il est le seul animal à devenir chauve. Il le devient sur le dessus de la tête, parce que c’est là qu’est le cerveau; il est le seul à présenter le phénomène de calvitie, c’est parce que c’est l’homme qui a l’encéphale le plus considérable et le plus humide.»1 En second lieu, Alain montre que ce qui contribue également à définir l’homme ce sont toutes ses productions matérielles. Elles sont issues de son habileté manuelle et sont le fruit de l’activité de son esprit. Le crâne apparaît alors comme le seul témoin de cette capacité spéciale de l’homme à penser et la matérialise. Le cerveau ,et par extension le 1 Aristote, Traité de la Génération des animaux, T2, Livre V, Chapitre III, §21,784a, traduction de G St Hilaire, Hachette, Paris 1882. 8 crâne, apparaît comme le siège de toutes les caractéristiques principales de l’homme. De plus, le crâne est le support de l’ensemble de parties molles; muscles, peau, yeux, cheveux, sourcils, lèvres, nez, qui composent le visage des personnes. La combinaison de ces éléments et de leurs caractéristiques (forme, taille, couleur) sont uniques pour chaque individu. Le visage constitue l’identité physique des personnes. Il est ce qui permet de reconnaître, de différencier et d’identifier un individu du reste de ses semblables. De plus, le visage n’est pas un élément figé, il change et évolue en fonction des sentiments, et des émotions des individus. Il s’agit de l’interface avec l’environnement extérieur et laisse transparaître l’état affectif de chacun. Il permet l’échange entre individus par des sourires, des regards, des mimiques, c'est-à-dire une expression du visage ou une grimace qui exprime une action ou un sentiment. Le crâne se distingue des autres éléments ostéologiques parce qu’il ne se limite pas à sa fonction physique première qui est de protéger le cerveau. En effet, il est le seul os du corps humain qui rassemble les caractéristiques importantes de l’être humain et qui le définissent en tant qu’individu à part entière : sa vie psychique, son identité, sa capacité à communiquer, sa part affective et émotionnelle. Etant donné que le crâne apparaît comme le support de la personnalité des individus, cela semble lui conférer un statut particulier par rapport aux autres os comme peuvent le témoigner les nombreuses études qui se sont développées dès le XIXe siècle. Parmi ces études, il faut compter la phrénologie développée par Gall dès 1820. Cette étude avait pour objectif de déterminer les tendances des individus par l’étude des reliefs du crâne. Pour Gall, le crâne permet de renseigner sur les qualités et les facultés de l’homme dans leurs états normal et pathologiques. En effet, selon cet auteur, le développement du cerveau et ses différentes zones ou parties, influence le développement et la forme du crâne, car le crâne «se moule directement sur le cerveau» (Gall, 1818 : 5). Autrement dit, le crâne est le reflet extérieur de ce qu’il contient et rend compte des particularités du cerveau. Pour cet auteur, le cerveau est composé de différents organes qui sont le siège de facultés intellectuelles ou morales. Le crâne étant adapté à la forme de l’encéphale, il rend compte du développement de chaque organe et de chaque faculté. Il s’agit d’une des premières études réalisées sur le cerveau et par élargissement au crâne qui se propose de définir les aptitudes, les qualités, les caractéristiques individuelles. 9 Au cours de cette même période, l’étude des crânes, c'est-à-dire la craniologie se développe également dans de nombreux pays européens et aux Etats-Unis. Elles conduisent à la création et à la multiplication des collections de crânes humains nécessaires à l’étude de l’homme. L’historien Krzysztof Pomian définit les collections de la façon suivante : « Une collection ne se définit pas par son contenu. Sa première caractéristique est de rassembler des objets naturels ou artificiels qui sont extraits d’activités utilitaires ou économiques. » (Pomian, 1988). Pour lui, les collections se définissent en premier lieu comme une réunion d’objets qui ont été récoltés lors d’activités diverses. La multiplication des études anthropologiques conduisent à la constitution des collections ainsi qu’à la production et à la publication de nombreux ouvrages. Aux Etats-Unis, en 1839, Samuel Morton (1799-1851) travaillant sur l’Homme d’un point de vue ethnographique décida de compléter son investigation par une étude des crânes qui a fait l’objet d’une publication intitulée Crania Americana. Il montre que le but principal de cet étude « a été de donner une délimitation efficace de crânes de plus de quarante nations indiennes, Péruviennes, Brésiliennes et Mexicaines, ensemble avec une série particulièrement étendue de l’Amérique du Nord, de l’Océan Pacifique à l’Atlantique, et de la Floride aux tribus polaires.» (Morton, 1839 : V). Les Crania americana ne font pas figure d’exception au cours du XIXe siècle. En effet la seconde moitié de ce siècle, ce type de publications se sont accrues dans tous les états européens. Dans Crania Helvetica en 1864, Ludwig Rutimeyer (1825-1895) et Wilhem His (1863-1934) firent part des observations qu’ils ont pu réaliser à l’issue de l’étude de 76 crânes et distinguer quatre types humains de la population suisse: le type de Hohberg, de Bel Air, de Sion, de Disentis. Les appellations de chaque type correspondent à la localité dans laquelle ces crânes ont été trouvés. Ils sont issus de tombeau, d’ossuaires et sont des crânes historiques. Ces auteurs ont fait des observations principalement sur la forme de ces crânes. L’ensemble de cette étude leur ont permis d’établir une classification des crânes suisses selon la reproduction des types définis préalablement ou à un mélange de ceux-ci (Alix, 1864). 10 En 1856, dans Crania britannica, Joseph Barnard Davis (1801-1881) et John Thurnam (1810-1873) présentent un inventaire des découvertes contenant des crânes et des ossements humains. Cette étude a eu pour but d’envisager l’ensemble des populations qui ont précédé les populations des îles britanniques contemporaines des auteurs. Toutefois, ils concluent au fait qu’il n’y aucun élément permettant de contredire l’hypothèse que les britanniques antiques étaient des indigènes des îles britanniques. Sur le même principe, en 1865, Alexander Ecker (1816-1887) va publier les Crania germaniae meridionalis occidentalis et Adolph Friedrich (1809-1863) les Crania germanica hartagowensia. L’ensemble de ces ouvrages sont le résultat d’études qui partagent toutes le même objectif qui est de montrer l’origine des peuplements de chaque nation, d’en connaître leur diversité, mais surtout de réaliser une histoire des populations contemporaines de chaque pays. La France est dépourvue de ce type de travaux. Il faudra attendre une dizaine d’années plus tard pour qu’un ouvrage concernant des crânes soit publié. Il s’agit des Crania ethnica d’Armand de Quatrefages (1810-1892) et d’Ernest Théodore Hamy (18421908). Les objectifs de leur étude n’est alors pas le même que ceux qui avaient motivés la réalisation des ouvrages des années 1860-1870. Ils souhaitaient présenter toutes les races du globe avec la définition de leurs caractéristiques spécifiques. Il est alors possible d’y trouver à la fois des crânes fossiles ou préhistoriques et des crânes historiques issues de groupes ethniques diverses du monde entier. Il diffère fortement également des autres publications par le fait que des crânes reconnus comme préhistoriques y sont présentés, fait qui n’était pas d’actualité dix ans auparavant dans les ouvrages relatifs aux crânes nationaux. En effet, aucun de ces ouvrages à l’exception de Crania ethnica ne qualifie les crânes de «préhistoriques» mais d’ «anciens». Cela peut s’expliquer par le fait que certains n’ont pas d’attribution chronologique stricte, les auteurs font comprendre aux lecteurs le fait que certains crânes sont des crânes d’individus ayant précédés les populations contemporaines de ces auteurs. Cela peut s’expliquer par le fait que l’ensemble des publications évoquées sauf celle de Quatrefages et Hamy (Crania ethnica) ont été éditées dans les années 1860-1865. A cette époque, dans le monde scientifique, le terme de «préhistorique», de «Préhistoire» ne pouvaient être employés par le fait que la 11 préhistoire était à peine reconnue par les scientifiques dans le domaine de la connaissance. En effet, pour les historiens des sciences l’année 1859 est considérée comme la date d’avènement de la discipline de la préhistoire. D’après Richard (1992), la date de naissance est 1859 avec la reconnaissance par la communauté scientifique des théories sur la haute ancienneté de l’homme et notamment celles de Boucher de Perthes qui défendait l’idée de l’existence d’un homme antérieur au déluge, qu’il nommait «antédiluvien». Cette reconnaissance se prolongea par la légitimation d’une industrie et d’ossements attribués à cet homme d’une haute antiquité notamment avec la mâchoire de Moulin Quignon. Cette découverte venant à point dans le débat de la haute antiquité de l’homme avait été trouvée par Boucher de Perthes en 1863 à Moulin Quignon près d’Abbeville dans des niveaux où étaient présents de nombreux silex. Un débat éclata alors concernant l’authentification de cet ossement. Le paléontologue anglais Falconer mis en doute cette découverte. C’est donc à partir du moment que l’idée d’un homme de la préhistoire fut acceptée que les crânes préhistoriques furent qualifiés comme tels, et qu’ils furent présentés et intégrés dans l’Histoire naturelle de l’homme. Les ouvrages traitant des crânes, au cours du XIXe sont une forme d’exposition des collections de crânes humains historiques et préhistoriques, puisqu’ils donnent à voir ces crânes à des lecteurs, à un public. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle en France, les principaux lieux où le public peut venir découvrir des expositions de crânes préhistoriques sont peu nombreux et se concentrent dans les centres majeurs de recherches et d’enseignement en anthropologie et en préhistoire de l’époque, c'est-à-dire le Musée d’Histoire naturelle de Paris et au sein de la Société, de l’Ecole et du Laboratoire d’anthropologie de Paris. A Paris, les crânes préhistoriques n’étaient pas exclusivement présentés dans des structures permanentes d’exposition comme la galerie d’anthropologie du Muséum d’Histoire naturelle, et dans le Musée Broca. En effet, ces crânes furent donnés à voir au public au cours d’évènement ponctuels et temporaires, tels que les Expositions universelles de 1878 et de 1889. Le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, fait parti de ces institutions. Il est un lieu d’enseignement, de recherche et de diffusion des connaissances qui a été officiellement créé en 1793. Dès ses débuts, les scientifiques qui s’y sont succédé à la fois aux chaires de paléontologie, d’anatomie humaine, d’histoire naturelle de l’Homme 12 et d’anthropologie ont contribué à la constitution des collections anthropologiques. En effet, dès le XVIIIe siècle, Georges Cuvier (1769-1832) au cours de sa direction de la chaire d’anatomie comparée avait déjà récolté un petit nombre de crânes humains, ceuxci étaient déjà présentés et conservés dans un petit cabinet attenant à la galerie d’anatomie comparée. A partir de 1855, une galerie spécifique fut exclusivement dédiée aux collections anthropologiques et intitulée «Galerie d’Anthropologie» où quelques crânes préhistoriques étaient présentés. Petit à petit, le Muséum d’Histoire naturelle de Paris n’est plus le seul à présenter des collections anthropologiques et quelques crânes préhistoriques en France. En effet, en 1876, Paul Broca (1824-1880) décida de créer un musée afin de présenter les collections ostéologiques de l’Ecole d’Anthropologie, du Laboratoire et de la Société d’Anthropologie. Ce lieu était à la fois un lieu d’étude pour les spécialiste mais également un lieu de diffusion des connaissances puisqu’il accueillait des étudiants, un public passionnés par les thématiques de l’anthropologie en plus des scientifiques. Lors de la création de ce musée dès la première année, ces collections comptaient déjà 25 000 crânes. Il donnait à voir à la fois des crânes ethniques modernes et quelques crânes fossiles (Vallois, 1940 : 8). En ce qui concerne la province, à partir de 1872, le public pouvait également profiter de ce type de présentation de collections. Le 2 février 1879, Broca inaugura la «galerie d’anthropologie et d’ethnologie préhistorique» au Muséum d’histoire naturelle de Lyon. Cette galerie réalisée en partie par Emile Lortet (1836-1909) et Ernest Chantre (18431924), présentait aussi bien des vestiges anthropologiques que de nombreuses séries lithiques. Dès l’inauguration de cette galerie des crânes préhistoriques y sont présentés (Philippe, Emmons, Sermet, 2005). Cette galerie d’anthropologie ne se limite pas à la présentation des vestiges d’Anthropologie préhistorique. Lors d’une communication du 20 février 1879 durant une séance de la Société d’Anthropologie de Paris, Chantre, membre de cette société, sous-directeur du Muséum de Lyon, fit une présentation de cette nouvelle galerie: « Classés géographiquement, ces éléments, déjà considérables, ont permis de retracer dans un très petit nombre de vitrines l’histoire de l’homme dans le temps et dans l’espace: dans le temps, depuis les époques les plus reculées jusqu’à notre époque; dans l’espace, c'est-à-dire dans tous les pays dont a pu recueillir des documents anciens ou contemporains » (Chantre, 1879 : 123). Au sein de cette galerie, les crânes préhistoriques sont présentés aux côtés de crânes historiques et 13 contemporains afin de pouvoir présenter l’histoire de l’homme des temps anciens jusqu’aux époques les plus récentes. Ces collections d’anthropologie physique ont été l’objet de travaux sur la discipline de l’anthropologie en France. Dans son article, Séries de crânes et armées de squelettes: les collections anthropologiques dans la seconde moitié du XIXème siècle (Dias,1989) et dans son ouvrage Le Musée d’ethnographie du Trocadéro (1878-1908) Anthropologie et muséologie en France(Dias, 1991), Dias prend en compte principalement les collections anthropologiques puis ethnographiques du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, de la Société d’anthropologie de Paris et du Laboratoire d’anthropologie et du Musée d’ethnographie du Trocadéro. Son objectif est d’envisager le lien entre savoir anthropologique, les collections et le lieu de production de ce savoir. Peu de travaux ont été réalisés sur les collections anthropologiques des principales institutions scientifiques françaises, et rares sont ceux qui interrogent la présentation des collections anthropologiques au public en France. En revanche, les travaux sur les disciplines en elles-mêmes, comme l’anthropologie ou la préhistoire sont beaucoup plus nombreux. L’historien Claude Blanckaert (2001) envisage la discipline de l’anthropologie en s’attachant à l’étude des contextes politiques, scientifiques, institutionnels et sociaux de la constitution de la discipline notamment en France au cours du XIXe siècle. Il apporte une réflexion sur les origines et les fondements de cette discipline et sur la manière dont celle-ci s’est développée en France. Cette approche va de paire avec une étude de l’anthropologie au sein des institutions scientifiques française, tel que le Muséum d’histoire naturelle. De la même façon, certaine étude porte sur la discipline de la préhistoire. Richard s’attache aux évènements qui se sont succédé au cours de l’histoire des sciences afin de montrer comment s’est constituée la préhistoire en France (Richard, 1991). Peu de travaux d’histoire des sciences ne s’attache à l’étude des collections anthropologiques par le biais de leurs présentations et aucune ne considère celle des crânes préhistoriques en tant que tel. Le travail présent va s’attacher à étudier la présentation des crânes préhistoriques en France et plus particulièrement au Muséum national d’Histoire naturelle lors des 14 expositions permanentes et temporaires à l’occasion des Expositions universelles de 1878 et 1889. L’objectif est de déterminer quelles sont les raisons qui poussent les scientifiques à exposer des crânes préhistoriques. Cela permettra de déterminer quels ont été les objectifs de ces présentations au public, quels choix ont été opérés dans les pièces exposées, par qui, et quel impact ont eu les scientifiques ayant contribué à l’exposition sur la présentation de ces crânes. Cette étude prendra donc en compte les présentations des crânes préhistoriques du Muséum d’Histoire naturelle de Paris avant la création du Musée de l’homme de 1937. D’autre part, dans la galerie d’Anthropologie du Muséum d’Histoire naturelle de Paris dès la deuxième moitié du XIXe siècle, les crânes préhistoriques représentent une minorité des crânes exposés, comparés aux crânes historiques. Il semble alors intéressant d’étudier de quelle manière ceux-ci sont pris en compte dans l’espace d’exposition vis-à-vis des autres crânes. De plus, la particularité de ces crânes est de matérialiser la réunion de deux champs disciplinaires que sont l’Anthropologie et la Préhistoire nouvellement construites en France. L’étude de leur présentation conduira à définir la place de la discipline de l’anthropologie préhistorique au sein du Muséum d’histoire naturelle de Paris. En raison du faible nombre de crânes préhistoriques dans les présentations, il semble intéressant de s’interroger sur: Pourquoi des crânes préhistoriques sont-ils présentés au public ? Ce mémoire a pu être réalisé grâce à diverses sources bibliographiques et archivistiques. De nombreuses informations concernant les chaires d’histoire naturelle de l’homme et d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle et l’exposition des sciences anthropologiques à l’Exposition universelle de 1878 ont été extraites de documents conservés aux archives nationales. Concernant les collections anthropologiques les catalogues d’inventaires de 1857 à 1936 ont été consultés en vue d’essayer de localiser les principaux crânes préhistoriques qui étaient conservés dans les galeries d’anthropologie à partir de 1855 jusqu’au transfert des collections au Musée de l’Homme en 1932. Cela a plutôt contribué à juger de l’abondance de ces collections et de leurs natures diverses. Cette consultation a également permis de prendre connaissance du détail de l’importante collection du Marquis de Vibraye qui fut exposée dans la galerie d’anthropologie en 1898. Il a été très difficile de repérer les 15 crânes préhistoriques dans ces inventaires puisque leur caractère préhistorique n’était que très peu ou pas précisé. En revanche, l’étude des registres d’entrée des collections anthropologiques du Laboratoire d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle entre 1864 et 1937 a été très informative. En effet, ces registres donnent année par année, les vestiges qui sont entrés en collection avec une description succincte mais précise et le nom de leur donateur. A partir de ces documents, il a été possible de connaître les crânes préhistoriques qui sont rentrés en collection et ainsi de suivre l’évolution de la collection des crânes préhistoriques. Afin de déterminer si des crânes préhistoriques étaient présents dans les diverses expositions du Musée d’ethnographie, il a été nécessaire de consulter les fonds d’archives de ce musée, conservés à la bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle. Ces archives ont permis de comprendre comment s’est développée cette institution et quelles en ont été les motivations et les objectifs. D’autre part, elles ont conduit à prendre connaissance des expositions qui y étaient proposées à la fois permanentes et temporaires et de constater l’absence de ce type de crânes dans ces présentations. L’étude de ce fond a contribué à initier de nombreuses réflexions afin de comprendre pour quelles raisons les crânes préhistoriques n’étaient pas présentés dans cette institution. Les archives, des Archives nationales ou de la bibliothèque centrale du Muséum national d’histoire naturelle, sont de natures diverses: manuscrits, coupures de presse, communiqués de presse, notes éparses. Une des difficultés rencontrée lors du travail de recherche a été de situer les documents dans les différents dossiers dans lesquels ceuxci ont été conditionnés. En effet, au sein des inventaires ceux-ci sont brièvement détaillés et indiqués par des intitulés généraux ne reflétant pas l’étendue et le contenu de chaque dossier. Autrement dit, lors des recherches, un travail d’exploration a permis d’en découvrir le contenu réel et d’en sélectionner les informations utiles à la réalisation de ce mémoire. De plus, dans cette recherche il a été pris en compte le fait que les documents constituants ces archives donnent une vision restreinte et incomplète de l’histoire de ces collections de crânes préhistoriques et des institutions envisagées. Il a donc été nécessaire de prendre du recul par rapport à l’information disponible dans ces archives. 16 Des photographies de la galerie d’anthropologie de 1898 et quelques autres de l’exposition des sciences anthropologiques à l’Exposition universelle de 1889 donnent un bref aperçu de la façon dont les expositions des collections anthropologiques ont été présentées. Toutefois, ces photographies et ces documents d’archives ou d’imprimés ne permettent pas de renseigner sur les modes de présentations qui ont été utilisés lors de ces expositions de crânes préhistoriques de façon très précise. Cela n’empêche pas d’étudier les raisons pour lesquelles ces crânes ont été donnés à voir et d’en comprendre les enjeux. Les sources bibliographiques d’histoire des sciences, d’anthropologie du XIXe et du XXe siècle ont permis de prendre connaissance du développement des sciences et de l’anthropologie en France, afin de cerner dans quel contexte scientifique général se sont développées les présentations des crânes préhistoriques. Des journaux d’époques, relatant les évènements qui sont en question dans ce mémoire, c'est-à-dire les expositions universelles ou l’inauguration de la galerie d’anatomie comparée, de paléontologie et d’anthropologie de 1898 permettent de renseigner sur la manière dont le public a pu percevoir ces expositions, en tant que non spécialiste. L’ensemble de ces documents ont conduit à la réalisation d’une étude sur la présentation des crânes préhistoriques dont son objectif principal est d’interroger les présentations de ces crânes. Dans un premier temps, l’étude s’attachera à envisager les premières présentations de crânes préhistoriques à Paris à partir de 1878. Tout d’abord, une synthèse sur ce qu’a été l’anthropologie au Muséum national d’histoire naturelle sera effectuée, afin de cerner l’évolution de cette discipline au sein de cette institution. Pour cela, il sera nécessaire d’envisager cette discipline dès ses prémisses bien avant 1878. Les expositions de crânes préhistoriques de la galerie d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle située dans le Jardin des plantes à la cour dit de la baleine à partir de 1878 seront analysées. A cette occasion, les vestiges crâniens préhistoriques les plus marquants de cette époque seront évoqués, afin d’identifier leur rôle au sein des présentations anthropologiques. Cette étude conduira dans cette première partie à déterminer le lien qu’il existe entre les présentations de crânes préhistoriques et les théories scientifiques afin d’évaluer 17 l’impact des anthropologues responsables de la mise en place des expositions sur ces présentations de crânes. Dans un second temps, de la même façon, ce sont les crânes préhistoriques lors des Expositions universelles de 1878 et 1889 qui seront à leur tour considérés. Il sera exposé les raisons pour lesquelles les Expositions universelles de 1867 et 1900 n’accueillent pas ce type de vestiges. Par la suite, les présentations des crânes préhistoriques seront étudiées au sein de ces évènements ponctuels. Dans un troisième moment, l’analyse se développera ensuite plus spécifiquement sur les nouvelles présentations de crânes préhistoriques de la galerie de paléontologie, d’anatomie comparée et d’anthropologie inaugurée en 1898. Ce changement de lieu est également l’occasion d’un changement dans les présentations des collections anthropologiques. Il sera démontré que l’agencement particulier des collections dans cette galerie contribue à proposer une définition de l’homme à une échelle différente de celle présentée dans la galerie d’anthropologie de la cour de la baleine entre 1878 et 1898. A nouveau le contenu des présentations des crânes préhistoriques sera considéré, en mettant en évidence leur importance à la fois dans l’exposition mais également dans le discours scientifique transmis au public. Puis, le Musée d’ethnographie du Trocadéro créé en 1878 et rattaché au Laboratoire d’anthropologie du Muséum sera évoqué afin de comprendre les raisons pour lesquelles cette structure n’a jamais présenté de crânes préhistoriques et ce que reflète cette absence ; 18 PARTIE I Le Muséum national d’Histoire naturelle : lieu des premières présentations de crânes préhistoriques à Paris (1878-1898) 19 Le Muséum national d’Histoire naturelle (Muséum) est le premier établissement français à accueillir l’anthropologie en son sein. Toutefois, les différents aspects pris en compte dans les études de l’homme évoluèrent avec les professeurs qui dirigeaient ses chaires selon leurs spécialités et leurs visions de l’être humain. Ainsi, celui-ci fut envisagé selon son anatomie, ses pathologie, sa physiologie, alors que certains professeurs s’intéressèrent plutôt à lui d’un point de vue naturaliste. Ceux-ci l’étudièrent en le comparant au reste du règne animal afin de déterminer les lois générales qui ont présidé à sa constitution. L’anthropologie figurait parmi les disciplines de recherche et d’enseignement de cet établissement dès ses débuts. Cependant, l’anthropologie en tant qu’ histoire naturelle de l’homme n’apparut qu’à partir de 1832. Elle existait donc bien avant que celle-ci ne soit reconnue par l’institution du Muséum en lui attribuant une chaire spécifique en 1855 et avant qu’une Société consacrée à cette discipline, la Société d’anthropologie de Paris, ne soit créée en 1859. L’émergence de cette discipline au Muséum a été l’occasion de fonder des collections d’études permettant ainsi le travail de recherche. Dans un souci de diffusion, le Muséum a mis en place des enseignements gratuits et ouvert au public dès 1793, tel un enseignement d’anatomie humaine. Cette diffusion se prolongea également par la présentation permanente de ces collections. La galerie d’anthropologie de la cour dit de la baleine dans laquelle furent déposées les collections spécifiques à l’anthropologie accueillait notamment les premières têtes osseuses considérées comme fossiles issues des premières découvertes réalisées en France à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. Le Muséum national d’Histoire naturelle fut l’un des premiers établissements scientifiques français à présenter des collections anthropologiques dont des crânes préhistoriques. Avant de comprendre en quoi consistent les premières présentations de ces crânes au sein de la galerie d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle et l’enjeu de leurs présentations, il est nécessaire de déterminer quelle anthropologie y fut présentée et de quelle façon celle-ci s’est construite au cours du temps. Pour cela, dans un premier temps, l’histoire de l’anthropologie sera envisagée de 1793 à 1872 afin de comprendre son origine et la diversité de ses formes au sein du Muséum. Dans un second temps, ces premières présentations de crânes préhistoriques seront étudiées pour comprendre 20 quelles raisons motivent l’exposition de ces crânes et ce que sous tendent ce type de présentation. 21 CHAPITRE I La constitution de l’anthropologie au Muséum national d’Histoire naturelle Dès la création du Muséum national d’Histoire naturelle en 1793, l’étude de l’homme est une préoccupation de cet établissement. En effet, il prévoit des cours d’anatomie humaine et la création d’une chaire spécialisée. Une loi d’organisation du Muséum datée du 10 juin 17932 précise le programme et les objectifs d’une telle chaire. Il y est formulé que « le cours d’anatomie de l’homme qui sera au moins de quarante leçons aura pour objet de faire connaître l’organisation du corps humain.» Cette loi définie clairement ce que doit être l’étude de l’homme au sein de l’établissement, c'est-à-dire basée exclusivement sur l’anatomie de l’homme. La discipline de l’anthropologie s’est forgée petit à petit au sein du Muséum national d’histoire naturelle, en fonction des professeurs qui en ont occupé tour à tour les chaires. Tour à tour l’étude de l’homme s’est développée et diversifiée. Quatre figures majeures se sont succédées aux chaires étudiant l’être humain. Chacun par leur spécialité lui ont donné une direction de recherche et ont été les auteurs de la constitution des collections anthropologiques. Celles-ci sont liées à l’enseignement et à la recherche. Elles en instaurent les bases. L’histoire des disciplines étudiant l’homme au sein du Muséum national d’histoire naturelle permet de suivre les changements de direction de recherche au niveau des chaires scientifiques, et de voir l’évolution de la notion d’anthropologie au sein de ces chaires. 1) L’anatomie humaine de Portal (1793-1832) et l’histoire de l’homme de Flourens (1832-1838) En 1793, Antoine Portal (1742-1832), médecin anatomiste et biologiste fut nommé à la tête de la chaire d’anatomie humaine du Muséum national d’histoire naturelle. Dans ces cours, l’homme est envisagé d’un point de vue physique et répond tout à fait aux attentes formulées par le Muséum national d’histoire naturelle. Son étude concerne 2 Loi d’organisation du Muséum d’histoire naturelle du 10 juin 1793, règlement du Muséum, chapitre 2, article 10. 22 l’anatomie et la physiologie de l’homme dans ses détails. Elle doit permettre de comprendre le fonctionnement de l’organisme humain à l’état normal et à l’état pathologique. Pour Portal, la connaissance de l’anatomie humaine n’a pas d’utilité si celle-ci est apprise pour elle-même. Il montre que ce « n’est pas seulement pour connoître la structure du corps humain qu’on doit étudier l’anatomie, ni parce qu’elle conduit à la connoissance des usages de ses diverses parties, mais encore parce qu’elle répand sur la nature, les causes et le siège des maladies, des lumières sans lesquelles la Médecine ne serait qu’un aveugle empirisme.» (Portal, 1804 : j-ij). La connaissance de cette anatomie doit être un moyen pour comprendre les éventuels problèmes du corps humains lorsque celui-ci est malade. Elle permet de déduire la cause de ces dysfonctionnements et ainsi aux médecins et futurs médecins de résoudre les problèmes que présente le corps humain pathologique. Ainsi, l’anatomie humaine ne doit pas rester théorique mais doit être utilisée dans des réflexions sur les éventuelles causes et origines de maladies. L’enseignement de Portal n’est donc pas exclusivement une anatomie descriptive de l’organisme humain normal. En effet, ces cours d’anatomie « ont presque toujours eu pour objet le parallèle de l’état naturel avec celui de la maladie, lequel est si instructif, que la connoîssance de l’un facilite celle de l’autre, et que l’on ne connoît bien mieux chacune de ces deux parties de l’anatomie quand on les connoît toutes les deux » (Portal, 1804 : xij). Dans son enseignement, Portal essaie de faire le lien entre l’anatomie du corps normal et pathologique en tentant de présenter pour chaque organe ou partie corporelle son aspect à l’état normal et à l’état pathologique. Dans cette étude, c’est l’homme en tant qu’individu particulier qui est étudié. Il s’agit d’un véritable savoir médical, sur l’organisation et le fonctionnement de l’homme physique. A partir de 1830, ces cours d’anatomie comparée sont confiés à Pierre Flourens (17941867), médecin spécialisé en physiologie du système nerveux. Par la suite, il fut chargé des cours de physiologie comparée au Muséum national d’histoire naturelle alors que Portal poursuivait ses cours d’anatomie comparée. En 1832, il succède à Portal à la chaire d’anatomie humaine suite à son décès. A l’occasion de sa candidature à la chaire d’anatomie humaine, Flourens rédigea une lettre 23 dans laquelle il explique quelle est sa vision de l’anatomie humaine. Il montre que « l’objet de l’anatomie comparée est de remonter, par la comparaison des diverses structures, jusqu’aux lois générales de l’organisation; l’objet d’un cours d’anatomie humaine, tel que je le conçois, serait précisément inverse, c'est-à-dire de faire sortir, de ces lois générales mêmes, l’explication de fait particulier de l’homme » (Flourens, 1832)3. Flourens désirait sortir de l’étude qui se contentait d’étudier l’homme en tant qu’individu. Pour lui, une anatomie descriptive ne peut se suffire à elle-même et ne peut aboutir à une compréhension de l’homme. Afin que l’anatomie humaine puisse apporter des connaissances sur l’homme, il est nécessaire, selon Flourens, de tenir compte des informations que peuvent fournir l’anatomie comparée et l’histoire de l’homme. En cela, l’anatomie humaine doit être le trait d’union entre l’anatomie comparée et l’histoire de l’homme afin d’obtenir une étude globale de l’homme. Flourens évoque ce désir de faire figurer une discipline complémentaire à l’anatomie humaine qui est l’histoire naturelle de l’homme et en consacrerait un enseignement complet afin d’élargir la vision de l’homme obtenue par l’anatomie humaine. En effet, selon lui, « L’histoire naturelle de l’homme mériterait bien un enseignement distinct ; et cet enseignement, c’est au Muséum d’histoire naturelle qu’il doit se trouver, ne fût-ce que pour y légitimer l’institution d’un cours établi pour l’anatomie d’une seule espèce : car si, comme je le disais plus haut, l’anatomie de l’homme est très avancée, il n’en est pas de même de son histoire naturelle; et il est peu de mammifères peut-être dont on ne connaisse mieux les habitudes, les mœurs, les diverses races, qu’on ne connaît les mœurs et les habitudes des diverses races humaines » (Flourens, 1832 : 83-84). Flourens contrairement à Portal, ne souhaitait pas réaliser une anatomie humaine médicale mais il désirait faire une étude de l’homme plus généraliste et plus globale. En prenant en compte à la fois l’aspect physique de l’homme par l’étude de son anatomie, mais également son aspect intellectuel. L’étude de la partie morale de l’homme, pour lui, sera envisagée tout au long de ses futurs cours. En effet, il constate : « tel que je le propose, c’est que, l’homme étant si fort de son intelligence, ce cours serait le véritable lieu où, à propos de cette intelligence et de son organe, viendrait se placer naturellement l’exposition comparée des mœurs, des instincts, des habitudes des animaux, la recherche des organes de ces fonctions, et enfin l’examen raisonné du rapport des 3 Lettre de candidature à la chaire d’anatomie humaine aux professeurs du Muséum, Archives nationales, Paris, F/17/13566. 24 organes cérébraux aux fonctions intellectuelles, branche de l’histoire naturelle sur laquelle les travaux de Gall ont répandu un intérêt si particulier, et qui est si digne par elle-même d’un développement suivi » (Flourens, 1832 : 84). C’est donc par l’étude de cerveau, organe de la pensée et siège de l’intelligence que les facultés intellectuelles vont être envisagées par Flourens lors de ces cours. L’étude de l’homme devient alors une histoire du genre humain tout entier aussi bien d’un point de vue physique et que moral. 2) La chaire d’anatomie et d’Histoire Naturelle de l’Homme de Serres (1839-1855) A partir de 1839, la chaire d’anatomie humaine change d’intitulé et fut renommée chaire d’anatomie et d’histoire naturelle de l’homme4. Quittant la chaire d’anatomie humaine pour la chaire de physiologie comparée du Muséum national d’Histoire naturelle, Etienne Serres (1786-1868) succéda à Flourens en 1839. Médecin comme ses prédécesseurs, il ne poursuivit pas dans la direction de Flourens, d’une approche globale de l’homme. En effet, celle réalisée par Serres se rapproche plutôt d’une étude anatomique de l’être humain afin d’en comprendre le fonctionnement de son organisme. Avec Serres, celle-ci redevient une étude au niveau de l’individu. Concernant sa méthode, il évoque: « Je m’efforçai d’appliquer à la science de l’homme les notions acquises sur l’anatomie comparée » (Serres, 1824 : viij). Par l’étude des différents organes et parties ostéologiques du règne humain et leur comparaison avec d’autres animaux, il tente de comprendre le fonctionnement général de l’organisme humain. L’homme est alors étudié de la même façon que les autres animaux avec la même méthode d’observation et selon les mêmes principes. De plus, Claude Blanckaert (1993 : 103) rapporte les propos de Serres lui-même concernant la place de l’étude de l’être humain au sein de la chaire d’anatomie et d’histoire naturelle de l’homme. Il dit que « en traçant d’une main hardie le programme de la chaire d’anatomie humaine au Muséum, Vicq d’Azyr a dit qu’il fallait l’éclairer par l’anatomie comparée. Aujourd’hui les progrès de l’anthropologie nous permettent de retourner cette proposition et de dire à notre tour que l’organogénie humaine doit éclairer l’étude de l’anatomie comparée, en rendant compte par ses temps d’arrêt des variations organiques qui se manifestent chez les animaux » (Blanckaert, 1993 : 103). 4 Procès verbaux de l’assemblée des Professeurs du Muséum d’Histoire naturelle. Archives nationales, Paris. AJ15/644. 25 Son objectif est de déterminer des lois de fonctionnement de l’organisme humain et de les généraliser au reste du règne animal. L’homme est en quelque sorte le modèle sur lequel les études d’anatomie se fondent, puisqu’il est considéré comme l’être le plus complexe réunissant toutes les variations des organismes animaux dans son développement. Par l’embryogénie, par exemple, Serres va exposer l’idée que les êtres les plus inférieurs du règne animal vont entretenir de nombreuses analogies avec le développement de l’embryon humain. Ainsi, en comprenant le corps humain et son évolution, il serait susceptible d’envisager le fonctionnement des organismes des autres animaux par comparaison. L’homme est la clé de compréhension de l’ensemble du règne animal dans lequel celuici s’insert, en vue de mettre en évidence les lois générales qui président au sein de ce règne. 3) L’anthropologie de Quatrefages (1855-1892) En 1855, Serres quitta la chaire d’anatomie et d’histoire naturelle de l’homme pour la chaire d’anatomie comparée. Louis Armand de Quatrefages, médecin, naturaliste, le remplaça et inaugura la chaire d’anthropologie nouvellement baptisée. Il est le premier à occuper la chaire d’anthropologie en tant que telle. Claude Blanckaert montre notamment que « La rupture inaugurale qu’on se plaît à pointer en 1855 n’est qu’une erreur historiographique. Telle qu’on l’analysait alors, touchant par ses deux extrémités à la physique du genre humain comme à la métaphysique, l’anthropologie reçoit sa consécration institutionnelle au Muséum en 1832 » (Blankaert, 1993 : 117). Pour lui, la discipline de l’anthropologie était enseignée et étudiée au Muséum national d’histoire naturelle bien qu’elle ne soit pas officiellement reconnue par cet établissement. En effet, l’intitulé de chaire d’anthropologie n’apparut qu’à partir de 1855. Pour Quatrefages, « l’anthropologie a pour but l’étude de l’homme considéré comme espèce. Elle abandonne l’individu matériel à la physiologie, à la médecine, l’individu intellectuel et moral à la philosophie, à la théologie » (Quatrefages, 1890 : 18-19). Dans son étude de l’homme, Quatrefages se distingue de ses prédécesseurs car il ne va pas étudier l’anatomie humaine en vue de comprendre et de connaître le corps humain. Il va 26 s’appuyer sur des données ostéologiques, des caractères physiques pour pouvoir définir ce qu’est l’espèce humaine, et les types d’individus par lesquels celle-ci est représentée dans le monde. Il adopta une démarche naturaliste dans cette étude et s’attacha à l’examen des caractères morphologiques présents principalement sur les têtes osseuses. Pour lui, c’est le matériel le plus adéquat pour la distinction des races humaines. Il explique concernant la tête osseuse qu’ « à elle seule, elle fournit les principaux éléments des races humaines » (Quatrefages, 1890 : 216). En effet, pour lui, les têtes osseuses constituent un matériel principal dans la distinction des races humaines. Après avoir décrit les principaux caractères présents sur différents crânes, Quatrefages et son aide-naturaliste, Ernest Théodore Hamy (1842-1908) adoptèrent une classification systématique basée sur leur forme, qu’ils présentèrent dans les Crania ethnica. L’étude des crânes leurs permirent de distinguer différentes races. Quatrefages définit cette notion de race comme « l’ensemble des individus semblables, appartenant à une seule et même espèce, ayant reçu et transmettant, par voie de génération sexuelle, les caractères d’une variété primitive (Quatrefages, 1890 : 28). Selon ce scientifique, la race constitue donc les variétés de l’espèce humaine. L’objectif d’une telle étude de l’homme pour Quatrefages a été de tenter de réaliser une véritable monographie sur l’espèce humaine. Celle-ci y est exposée dans son ouvrage « où sont passées en revue à peu près toutes les races humaines » afin de «faire connaître avec le plus de précision possible les caractères morphologiques de la tête osseuse de divers groupes ethniques (Quatrefages, Hamy, 1882 : V)». Il a tendance à utiliser une méthode de l’anatomie comparée entre les individus afin d’en appréhender leurs variétés. Au cours de l’histoire des chaires du Muséum national d’histoire naturelle, l’étude de l’homme et la manière de l’envisager a évolué en fonction des professeurs occupant ces chaires. Les études concernant l’homme ont débuté au sein de cet établissement par une analyse anatomique, physiologique, médicale et pathologique de l’être humain. Peu à peu ces considérations matérielles de l’homme conduisant à une connaissance de l’individu, se transformèrent en une étude de l’homme au niveau de l’espèce. En 1855, à la création de la chaire d’anthropologie et lorsque Quatrefages y fut nommé, la première galerie d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle située cour dit de la baleine fut ouverte au public. A partir de cette date, l’anthropologie déjà enseignée au Muséum allait être donnée à voir. 27 CHAPITRE II L’exposition des crânes préhistoriques dans la Galerie d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle Avant la création d’une galerie d’anthropologie et d’anatomie comparée située dans le bâtiment de la Baleine, les collections relatives à l’homme physique étaient présentées dans le Cabinet d’anatomie comparée. Ce cabinet conservait tous les éléments squelettiques d’animaux morts issus de la Ménagerie de Versailles et de celle de Paris (Cap, 1854 : 184). Ils provenaient également du reste du monde, ramenés par des voyageurs envoyés en missions scientifique par le Muséum national d’Histoire naturelle. Parmi les squelettes de mammifères, de poissons, et de reptiles, les squelettes d’hommes de diverses races y trouvaient place. Une des salles était entièrement dédiée aux squelettes des et principalement aux races caucasiques d’Europe, d’Asie et d’Afrique du nord. Quelques crânes humains y étaient également disposés mais la majorité d’entre eux étaient dans une seconde salle aux côtés de crânes de mammifères. La présentation de l’ensemble de ces pièces aux côtés des pièces ostéologiques des mammifères permettent aux visiteurs d’expérimenter l’exercice de l’ostéologie comparée à la fois entre spécimens humains de diverses contrées mais également avec les squelettes d’animaux. Dans cette galerie, tous les restes humains exposés étaient de périodes historiques. A l’origine, ce cabinet a été réalisé par Georges Cuvier (17691832). A sa mort, Henri de Blainville (1777-1850) lui succéda à la fois à la chaire d’anatomie comparée et dans son travail concernant le cabinet d’anatomie comparée. Il y agença les collections en fonction de la forme des organes et des parties anatomiques conformément à l’analyse de Cuvier qui classait les parties (organes, os) du règne animal en fonction de leurs analogies. 1) Les premières collections anthropologiques du Muséum Les premières collections anthropologiques exposées au Muséum national d’Histoire naturelle dans ce cabinet furent les collections rassemblées par Cuvier dans la galerie d’anatomie comparée dès 1806. Il constitua déjà une collection de 218 pièces dont 17 squelettes adultes humains. Par la suite, cette collection fut enrichie notamment par les professeurs titulaires de la chaire d’anatomie humaine, tout d’abord par Flourens qui 28 l’occupa entre 1832 et 1839 puis par Serres (Topinard, 1878 : 294). Durant sa présence à la chaire d’histoire naturelle de l’Homme, ce dernier accru cette collection en y adjoignant les collections ethnologiques de Jules Dumont Durville (1790-1842) explorateur français, des bustes moulés d’Alexandre Dumoutier (1797-1871), phrénologiste. L’homme dans ce cabinet était présenté de la même façon que le reste des animaux occupants cette galerie. A cette époque, la minéralogie, l’anatomie comparée avait leurs galeries, ainsi que la zoologie en plus de la ménagerie. La botanique était dotée de serres. L’histoire naturelle de l’homme était donc attribuée à l’anatomie comparée et n’était pas reconnue en tant que discipline indépendante du point de vue de la présentation de ces collections. En 1855, les collections d’anatomie comparée furent réarrangées dans le bâtiment dit de la baleine afin de permettre la création d’une galerie indépendante dédiée spécialement à l’anthropologie. L’ancienne galerie d’anatomie comparée de ce bâtiment devint la galerie d’anatomie comparée et d’anthropologie. La réalisation d’une telle galerie semble avoir été attendue. Paul-Antoine Cap (1788-1877) écrivain scientifique français, dans son ouvrage de 1854, mentionnait l’inexistence au sein du Muséum national d’histoire naturelle d’une telle galerie au même titre que celles déjà présentes pour les autres disciplines. En effet, il explique, à propos du Muséum national d’Histoire naturelle que «ce bel établissement, si riche en collections de tout genre, ne possède pas encore de galerie d’anthropologie » (Cap, 1854 : 194). En 1855, cette volonté se réalisa puisque cette galerie ouvrit au public. 2) L’organisation des collections anthropologiques dans la galerie du bâtiment de la cours de la Baleine par ET Hamy Dans un premier temps, ces collections occupaient 9 salles du bâtiment de la baleine puis en 1878, des travaux ont été réalisés pour permettre d’installer deux salles supplémentaires d’exposition qui étaient les anciens salons de l’appartement de Cuvier. Onze salles accueillaient l’ensemble des collections anthropologiques et se développent sur deux côtés du bâtiment au premier étage. En tant qu’aide-naturaliste de Quatrefages, depuis 1872, Hamy s’est chargé des collections anthropologiques et de leurs agencements dans la galerie d’anthropologie. 29 Les collections sont réparties, selon Hamy, dans une première salle contenant les races dites latines, c'est-à-dire le groupe de spécimens européens. Ceux-ci sont représentés par des crânes parisiens et de provinces françaises, d’une collection de crânes italiens (surtout romains, sardes et étrusques). Les collections de races européennes se poursuivent dans la seconde salle qui contient également des crânes de Perse et d’Inde. Des armoires contenant des crânes sont au fond de cette salle. Ils comprennent des crânes de sémites (arabes, syriens) et d’atlantes (guanches, kabyles). Des squelettes de races blanches y sont également présentés avec des bustes. La troisième et quatrième salle sont dédiées à des crânes d’Egypte ancienne, dont des crânes de momies, et d’Egypte moderne. Les salles cinq à dix renferment successivement des crânes d’Asie, d’Amérique du Nord, de Polynésie, d’Océanie. Des crânes attribués à des nègres tels que les hottentots, les papous, les australiens sont présents dans ces salles. La visite de cette galerie se finit par les collections préhistoriques (Hamy, 1875 : 214-216). Cet agencement par région géographique est une initiative de Hamy, dès le début de son travail dans la galerie d’anthropologie. En effet, il explique qu’il obtint l’aval de Quatrefages dans le projet de classification de ces collections de l’aménagement par zone géographique : « J’obtins du maître un peu sceptique la permission de tenter pendant les vacances un classement géographique, qui devait avantageusement remplacer le désordre officiel qui régnait depuis quinze ans dans la galerie (Hamy, 1907 : 273) » Il montre également pour quelle raison il opte pour un tel classement et non par grand type de race en fonction la forme du crâne comme cela est le cas dans les Crania ethnica, qu’il publia avec Quatrefages à partir de 1873. Il explique son mode opératoire dans ce travail: « Je classais le tout par pays, je dressais des listes numériques et quand l’opération fut terminée, j’avais en mains les éléments d’une répartition proportionnelle entre les neufs salles dont je pouvais disposer (Hamy, 1907 : 273).» L’agencement choisi par Hamy semble donc avoir été choisi afin que l’ensemble des collections soit réparti de façon homogène dans les différentes salles de la galerie et n’a pas de justification théorique en tant que telle. Dans Crania ethnica, Quatrefages et Hamy se sont mis d’accord sur l’ordre d’exposition de ces mêmes crânes contenus dans la galerie d’anthropologie, des collections de la Société d’anthropologie de Paris et de musées français et étrangers. En effet, ces auteurs classent dans leur ouvrage les crânes selon différents types auxquels par la suite, ils précisent leurs implantations 30 chronologiques et géographiques et non le contraire comme l’avait fait Hamy au sein de la galerie d’anthropologie. Concernant la chronologie dans les collections de cette galerie, les spécimens considérés comme préhistoriques ou fossiles occupent une salle indépendante des autres. Les autres époques de l’histoire de l’homme, comme celle de l’Egypte antique ou de l’époque romaine sont mêlées aux autres crânes de la même nation, même si ces derniers sont de l’époque moderne. Il n’y pas véritablement une progression chronologique de la présentation de ces crânes. Seule une distinction entre crânes historiques et préhistoriques est réalisée et marquée par une séparation spatiale de l’espace. Les crânes considérés comme préhistoriques sont des crânes attribués à une période de temps où l’écriture n’était pas effective. Cette galerie est un immense inventaire de l’ensemble des découvertes anthropologiques. Ces collections contiennent très vite de nombreux vestiges et furent très vite accrue. En 1872, cette collection dénombrait 22 000 pièces auxquelles ont été adjointes 27 000 pièces (Hamy, 1907 : 258 ). L’intégralité des pièces anthropologiques disponibles au Muséum national d’Histoire naturelle fut placée au sein de cette galerie d’anthropologie. Cela s’explique notamment par le fait que cette galerie n’était pas dotée de réserves attenantes au bâtiment. Il n’y avait pas de distinction entre lieu de présentation au public des pièces les plus significatives et espace de conservation des pièces non présentées. Tous les vestiges quels qu’ils soient étaient systématiquement installés. D’autre part, tout comme la galerie de zoologie ou de minéralogie, il y une volonté de donner à voir la totalité des pièces au profit d’un système classificatoire. Dans le cas, de Hamy, celui-ci a fait le choix d’une classification par région géographique afin de facilité l’utilisation de l’espace d’exposition et de répartir au mieux l’ensemble de ces collections. La galerie d’anthropologie est, comme le dénomme Michel Van Praët (1996), une « galerie-bibliothèque » où tous les vestiges nécessaires à la recherche anthropologique sont à disposition des chercheurs en vue de nouvelles études d’où le fait que cette galerie n’est pas facilement accessible à un public non spécialiste à cause de l’abondance de pièces présentées dans cette galerie. En effet, en 1898, à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle galerie d’anthropologie, Xert, un journaliste scientifique français, évoque le fait que le changement de lieu de présentations des collections permettra de les exposer d’une façon plus accessible au public contrairement à la galerie de la cour de la baleine. Ce journaliste expose le fait que « Les collections 31 paléontologiques, anthropologiques et de l’anatomie comparée, placées dans un cadre élégant, ne présenteront plus cet aspect rébarbatif qui faisait fuir jusqu’au public instruit » (Xert, 1898 : 295). Cela reflète le fait que la galerie d’anthropologie de la cour de la baleine qui précéda la nouvelle galerie de 1898, exposant l’intégralité du matériel anthropologique, présentait une surabondance des pièces, gênait la compréhension du public. Quoi qu’il en soit, elles sont le témoin des recherches anthropologiques de la fin du XIXe siècle puisque ces collections sont le matériel d’étude de la chaire d’anthropologie. Elles ont permis à Quatrefages d’établir la différenciation des races humaines qu’il présente notamment dans Crania ethnica. Elles symbolisent également les théories qui ont été établies antérieurement à la chaire d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle et constitue l’histoire de la discipline en rappelant les scientifiques qui ont par leurs travaux marqué cette histoire de la discipline. Ainsi, la collection ethnologique de Jules Dumont Durville (1790-1842), explorateur français, témoigne de la période des grands voyages d’expédition scientifique organisés par le Muséum national d’Histoire naturelle qui était l’occasion de collecte de matériel d’étude tel que les crânes ethniques, et les crâne sur modelés. D’ailleurs Hamy, considère ces collections comme le support des théories anthropologiques et font office de preuve de la scientificité de l’anthropologie pour le public. Selon ce scientifique, « Ces collections spéciales qui s’accroissent chaque année (…) fournissent, en effet, sur la plupart des sujets qu’aborde l’étude de l’anthropologie descriptive, des éléments de démonstration à la fois abondants et variés. Ce sont de longues théories de crânes de toutes races; des squelettes montés en beaucoup plus grand nombre, (…) bref, tout un ensemble, dont je ne connais pas l’équivalent à l’étranger et dont l’interprétation occupera longtemps ceux qui me succéderont ici » (Hamy, 1907 : 258). Nélia Dias explique également que « Les collections sont les assises sur lesquelles elle s’établit, son véritable point de départ en même temps que son point d’arrivée, vue qu’elles permettent de justifier et de prouver les résultats obtenus » (Dias, 1989 : 206). Ces collections et leurs présentations sont donc un moyen de prouver au visiteur que l’anthropologie est une discipline qui se fonde sur un matériel d’étude et qui applique une méthode d’observation, ce tout conduisant à l’élaboration de théories et donc de connaissances. L’exposition des collections anthropologiques est un moyen pour les 32 scientifiques de montrer au public mais également aux scientifiques d’autres disciplines que l’anthropologie est une discipline positive à part entière. En 1855, l’anthropologie est une discipline émergeante dans le spectre des sciences naturelles. Elle doit affirmer sa place parmi elles et justifier sa présence afin qu’elle soit considérée au même titre que l’anatomie comparée ou que la zoologie. Ces sciences ont acquis leur notoriété en temps que science naturelle au cours du temps. L’anthropologie reste un domaine nouveau par rapport à ces champs d’études puisque ceux-ci sont présents et enseignés avant les débuts du Muséum national d’Histoire naturelle au sein du Jardin du Roi. Ces collections permettent également d’illustrer ses propos lors de ses cours en tant que démonstrateur. 3) La collection de crânes préhistoriques de la galerie d’anthropologie Les collections de vestiges préhistoriques sont exposées dans la dernière salle. Le visiteur finit par cette collection où sont présentés des crânes ou des éléments crâniens préhistoriques. Il s’agit exclusivement de fossiles, c'est-à-dire, selon Quatrefages, d’individus qui ont disparu de la surface du globe mais dont certains de leurs descendants sont présents dans les populations actuelles. Cela correspond à des individus ayant vécu durant l’époque Quaternaire. Concernant la période précédent cette époque, seuls des outils lithiques sont attribués à l’activité humaine mais aucun vestige osseux n’a été mis au jour dans la fin du XIXe siècle. Ces périodes ont été déterminées par les géologues d’après l’étude des dépôts sédimentaires. Certains vestiges préhistoriques ont été retrouvés dans ces niveaux et sont donc attribuées aux périodes du même nom. Il s’agit d’une chronologie relative prenant en compte les données géologiques, paléontologiques dans l’attribution des vestiges humains à une période donnée. A partir des années 1870, les fouilles archéologiques se sont multipliées notamment grâce aux grands travaux de terrassement conduit par Napoléon III (1808-1873). Elles contribuent à l’enrichissement des collections préhistoriques d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle. En 1890, Quatrefages fait état des éléments constitutifs de cette collection de crânes préhistoriques issus d’une quarantaine de localités dispersées dans l’Europe entière, principalement dans sa partie occidentale. 33 Ces localités ont livré une quarantaines de crânes plus ou moins bien conservés, et des éléments de squelettes postcrâniens (Quatrefages, 1890 : 215). Les principaux vestiges préhistoriques présents dans cette galerie sont composés de la mâchoire de Moulin Quignon, du moulage de la mâchoire de la Naulette, de la mâchoire d’Arcy sur Cure, du moulage de la calotte crânienne de Néanderthal, les crânes de Laugerie Basse, les crânes de Cro-Magnon, de Grenelle et de Clichy, et de Menton. Ces crânes constituent le matériel à partir duquel Quatrefages a distingué les trois races fossiles à l’origine de l’histoire de l’homme: la race de Canstadt, la race de Cro-Magnon et la race de Furfooz. La race de Canstadt est définie à partir des crânes de Néanderthal, de Canstadt, d’Eguisheim, de Brüx, de la machoire de la Naulette en Belgique, de la mâchoire d’Arcy et celle de Clichy comme la plus ancienne de l’histoire de l’homme. Le crâne n°1 du Trou du Frontal découvert par Edouard Dupont (1841-1911). Cela en raison de traits considérés comme primitif, tels que la présence d’un frontal remarquable par sa longueur et sa forme aplatie, une proéminence des arcades sourcilières et un abaissement général du crâne. La répartition géographique de cette race se développe principalement, selon Quatrefages et Hamy, aux alentours des bassins du Rhin et de la Seine., bien qu’il soit possible de retrouver certains spécimens en Italie, en Espagne et en Scandinavie. La deuxième race fossile est celle de Cro Magnon. Quatrefages et Hamy se sont basés sur le même type de caractères pour pouvoir la définir. La forme est également dolichocéphale, c’est le seul point commun avec la race de Canstadt. Contrairement aux individus rattachés à la race de Canstadt, ceux-ci présentent notamment un frontal large, élevé, une absence de proéminence des arcades sourcilières, l’ensemble du crâne a une forme subpentagonale en raison des bosses pariétales élevées. Le type de cette race est le vestige retrouvé du vieillard de Cro-Magnon par Louis Lartet (1840-1899) en 1868. A ce crâne sont rattachés d’autres vestiges tels que les crânes de Clichy et de Menton qui ont été respectivement été mis au jour par Eugène Bertrand en 1868 et par Emile Rivière (1838-1922) en 1872. Les représentants de cette race terminent l’histoire des crânes de forme dolichocéphale. Concernant le squelette de Menton, indépendamment de la valeur informative de son crâne pour la connaissance des caractères de la race de Cro-Magnon, il conduit à montrer aux anthropologues la pratique de rites funéraires. Il s’agit d’un squelette d’adulte exhumé de la grotte n°4 de l’ensemble des grottes des Baoussé Roussé près de Menton. Pour les anthropologues de l’époque ce spécimen présente des caractéristiques 34 exceptionnelles pour un individu retrouvé dans des niveaux géologiques quaternaires. En cela, il est pour Quatrefages « Le spécimen le plus remarquable dégagé de la terre qui la couvrait, mais conservé en place, a été apporté de Menton par Rivière et repose aujourd’hui dans les galeries d’anthropologie du Muséum (Quatrefages, 1890 : 215) ». En effet, il s’agit d’un squelette entièrement conservé en place et qui présentait un traitement funéraire. Sur sa tête, il y avait une sorte de résille lui maintenant les cheveux ornés de nombreux coquillages. Cette découverte a permis à la fois d’étudier le crâne de cet individu, ce qui a conduit Quatrefages et Hamy à l’attribuer à la race de CroMagnon, et à renseigner sur certaines pratiques culturelles de ces populations. Les vestiges de Bruniquel découvert par Mr Bertrand, de la Madeleine, de Solutré, et des fragments crâniens de la grotte de Gourdan mis au jour par Edouard Piette (1827-1906). Quatrefages et Hamy incluent dans cette catégorie des vestiges belges tels que les crânes d’Engis, d’Engihoul présents au sein de la galerie d’anthropologie de la baleine sous forme de moulages. Les représentants de la race de Cro-Magnon sont représentés principalement dans le sud ouest de la France, en Belgique. Quelques uns sont présents en Italie et en Afrique (Quatrefages, Hamy, 1874 : 260-266). Ces deux races sont des races attribuées à l’époque Quaternaire. La dernière des races fossiles définies par Quatrefages est la race de Furfooz. Celle-ci est représentée, selon lui, sur l’ensemble de l’Europe et sur un temps relativement long puisqu’il semble que des spécimens soient également présents dans des populations modernes. Pour Quatrefages, il s’agit d’une race brachycéphale puisque les crânes des populations en question sont des crânes considérés comme courts et dont la longueur et la largeur sont sensiblement équivalente. A cette catégorie sont rattachés la mâchoire de Moulin Quignon, certains crânes de Grenelle, ainsi que le crâne retrouvé à la Truchère en 1867 près de Lyon. 4) Les enjeux de la présentation des crânes préhistoriques dans la galerie d’anthropologie du bâtiment de la Baleine La présentation des crânes préhistoriques va au-delà de la constitution d’un inventaire des découvertes de vestiges préhistoriques réalisées entre 1878 et 1898, date de création de la nouvelle galerie d’anthropologie au Muséum national d’Histoire naturelle par Quatrefages et Hamy. En effet, en présentant des crânes préhistoriques dans cette 35 galerie, ces deux anthropologistes exposent les spécimens des races humaines qu’ils ont pu distinguer grâce à l’étude de crânes, notamment des races fossiles évoquées cidessus. Les races fossiles et les races humaines modernes sont constitutives d’une unique espèce humaine. Ces présentations de crânes préhistoriques et modernes conduisent à montrer comment ces scientifiques définissent la discipline de l’anthropologie. Pour Quatrefages et Hamy, l’objectif de l’exposition des vestiges anthropologiques et des crânes préhistoriques est de présenter une monographie de l’ensemble de l’espèce humaine. Concernant ces crânes préhistoriques, ceux-ci sont inclus dans l’exposition de l’anthropologie générale. Leur étude et leur présentation ne sont pas séparées d’une connaissance globale de l’espèce humaine. L’étude de la paléontologie fait partie intégrante de l’étude anthropologique puisqu’elle participe à la connaissance de l’espèce humaine. En effet, à partir des caractéristiques morphologiques spécifiques de crânes préhistoriques, Quatrefages et Hamy tentent de repérer leur présence au sein de populations humaines modernes, dans le but de rechercher une certaine filiation ou descendance de ces populations préhistoriques. De telles considérations permettent d’envisager l’origine des populations humaines du globe. D’autre part, cette présentation les conduit également à prendre position par rapport à de nombreux débats en anthropologie de la fin du XIXe siècle. Tout d’abord, à cette période une querelle était en vigueur concernant l’unité de l’espèce humaine. Deux visions étaient défendues. Dès les années 1850, la vision monogéniste défendait l’idée qu’il n’y avait qu’une seule et unique espèce d’Homme qui se manifestait sous la forme de différentes races. Les polygénismes considèrent qu’il existe différentes races humaines exprimés par les variétés de caractères morphologiques présentes entre les individus. Quatrefages est l’un des détracteurs de cette conception anthropologique. Pour lui, l’espèce humaine est unique et les races humaines représentent les fractions de celle-ci. Ces races se sont différenciées à partir d’une forme primitive. Ainsi, les crânes préhistoriques et leur présentations permettent d’illustrer le fait que cette variété de races au sein de l’espèce humaine n’est pas un phénomène observable uniquement à l’époque moderne mais qu’il s’insert déjà dans des époques antérieures. Quatrefages constate que « dès les temps quaternaires, l’homme ne présente pas l’uniformité des caractères que supposerait une origine récente. L’espèce est déjà composée de plusieurs races distinctes, elles apparaissent successivement ou 36 simultanément » (Quatrefages, 1870 : 218). L’exposition des différentes races fossiles grâce aux crânes est un moyen pour Hamy d’affirmer les positions monogénistes de Quatrefages vis-à-vis du public en exposant la diversité des races qui composent l’espèce humaine. De plus, en intégrant la mâchoire de Moulin Quignon à la présentation des autres vestiges considérés comme préhistoriques, Quatrefages et Hamy prennent position visà-vis du débat scientifique concernant cette découverte. En 1863, une mâchoire attribuée à un homme dit «antédiluvien», fut découverte par Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) dans des alluvions prolongeant des niveaux où des haches taillées de main d’homme furent retrouvées à Moulin Quignon près d’Abbeville. Cette découverte évoque la question de l’histoire ancienne de l’homme et plus particulièrement de l’homme fossile. Jusqu’à cette découverte, en France, bien que Cuvier soit disparu 31 ans avant cette découverte, ces idées contre l’existence d’un homme fossile faisait encore autorité dans le domaine des sciences étudiant l’histoire ancienne de l’homme comme la paléontologie notamment. Etant partisan d’une vision catastrophiste, où à chaque nouveau déluge toutes vies sur terre étaient éradiquée. Cuvier ne croyait donc pas à une origine ancienne de l’homme. Les théories de cuvier eurent des défenseurs bien après sa mort. A la découverte de la mâchoire de Moulin Quignon et de sa présentation, Léonce Elie de Beaumont (1798-1874), un géologue, présenta le fait que la mâchoire de Moulin Quignon ne pouvait appartenir à un homme fossile ou «antédiluvien», selon les termes de Boucher de Perthes puisqu’il doutait grandement du fait que les mammouths aient pu cohabiter avec les hommes. Il déclara: «je ne crois pas que l’espèce humaine ait été contemporaine de l’Elephas primigenius. Je continue à partager à cet égard M. Cuvier. L’opinion de M. Cuvier est une création du génie; elle n’est pas détruite » (De Beaumont, 1863 : 937). Bien qu’un fort scepticisme règne concernant cette découverte et son attribution à un homme fossile, Quatrefages fut l’un des défenseurs de cette découverte. Il maintenait l’idée qu’il s’agissait d’un vestige ayant appartenu à un homme fossile. Il exposa sa vision et sa position vis-à-vis de la mâchoire de Moulin Quignon à l’académie des sciences par l’intermédiaire d’une lettre. Lors de son intervention à l’académie des sciences que « Telles sont les raisons qui indépendamment des précautions prises par M Boucher de Perthes, m’ont fait regarder la mâchoire d’Abbeville comme authentique » (Quatrefages, 1863 : 784). 37 Hugh Falconer (1808-1865), paléontologue anglais va répondre en quelque sorte à Quatrefages par l’intermédiaire du Times du 25 avril 1863, en remettant en cause l’authenticité de cette mâchoire en raison, selon lui, de la présence d’un haut taux de gélatine (Falconer, 1863 : 11). Présence, qui n’a pas lieu d’être dans un ossement considéré comme fossile. Cette mâchoire est rentrée dans les collections d’anthropologie en 18675. Elle faisait partie du lot de 14 vestiges issus d’Abbeville dont Boucher de Perthes fut don à la galerie d’anthropologie. A cette époque comme les autres vestiges anthropologiques, celle-ci fut exposée dans la galerie. Elle fut présentée parmi les quelques vestiges attribués aux périodes quaternaires. Le fait de présenter cette mâchoire parmi les autres ossements préhistoriques est une façon pour Quatrefages de maintenir et d’exposer aux yeux de tous sa position vis-à-vis de ce vestige si controversé. La présentation des crânes préhistoriques dans la galerie d’anthropologie de la baleine outre le fait de réaliser une synthèse des connaissances anthropologiques du moment, est un moyen de diffusion et d’affirmation des théories anthropologiques de Quatrefages titulaire de la chaire d’anthropologie dont dépendent ces collections. Des pièces particulières telle que la mâchoire de Moulin Quignon dont la découverte et l’attribution à un homme fossile et fut l’objet d’un débat scientifique conduit à une prise de position de Quatrefages et de Hamy vis-à-vis de ces débats scientifiques. En présentant la mâchoire de Moulin Quignon parmi d’autres vestiges considérés comme des restes préhistoriques permettent à ces scientifiques d’affirmer leur position quant à l’attribution et la question de l’authenticité de ces vestiges. En effet, exposer cette mâchoire est un moyen pour Quatrefages mais également pour Hamy de montrer au public qu’ils considèrent que cette mâchoire est un vestige d’homme fossile de la même façon que les autres restes préhistoriques. Ainsi les présentations des crânes préhistoriques dans la galerie d’anthropologie apparaissent comme le vecteur de connaissances anthropologiques et plus particulièrement de celles issues des théories monogénistes de l’homme de Quatrefages. Par l’intermédiaire de ces crânes, c’est l’anthropologie de Quatrefages qui y est donnée à voir. La galerie d’anthropologie est le lieu d’expression des théories développées au sein de la chaire d’anthropologie de 1855 à 1898. Cela a pour objectif de légitimer cette discipline présente au Muséum vis-à-vis 5 Catalogue d’entrée des collections du Laboratoire d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle. 38 du grand public. En effet, la galerie d’anthropologie dit de la cour de la baleine est la première galerie totalement dédiée à l’anthropologie et celle-ci est la plus récente par rapport à la galerie de minéralogie ou encore d’anatomie comparée. Du point de vue des visiteurs, l’anthropologie concernant ces manifestations à travers les présentations d’objets et de crânes préhistoriques leur était totalement inconnue. Ainsi l’exposition de l’ensemble de ces objets d’études conduit à mettre en évidence que l’anthropologie du Muséum est véritablement une discipline scientifique parmi les autres et qu’elle possède une méthode et des théories scientifiques. Ces présentations de crânes préhistoriques et des collections anthropologiques sont un moyen pour Quatrefages et Hamy d’affirmer cette place de leur anthropologie vis-à-vis du public parmi les autres sciences du Muséum. Ces présentations de vestiges préhistoriques ne se limitent pas à l’espace d’exposition permanent de la galerie du bâtiment de la baleine. En effet, ceux-ci sont également présents aux cours d’évènements ponctuels réalisés en dehors de l’enceinte du Muséum national d’histoire naturelle de Paris comme les Expositions universelles. 39 PARTIE II La présentation des crânes préhistoriques aux Expositions universelles de 1878 et de 1889 à Paris 40 Les Expositions universelles sont des évènements ponctuels qui se déroulent dans le monde entier. La première fut organisée à Londres en 1851. Ces expositions ont pour objectif de faire la promotion du progrès humain en présentant les produits issus du l’esprit humain et d’en proposer un classement (Ory, 1989). Elles font suite à des foires sur l’industrie présentes préalablement dans chaque pays. En effet, selon Adolphe Démy, ces expositions sont issues des marchés où des commerçants de contrées lointaines venaient proposer leurs produits. Toutefois, il reconnaît qu’il existe une différence entre ces foires et les expositions universelles. Il explique que « dans les expositions, on s’applique surtout à montrer des chefs-d’œuvre d’industrie, des prodiges de métier réalisés souvent en dehors de toute pensée de lucre, et même au prix de considérables et gratuits sacrifices » (Démy, 1907 : 2). Ce qui distingue les marchés et les foires des Expositions universelles est l’objectif de ces évènements. Pour les marchés, il y a la recherche du gain par la vente des produits proposés aux visiteurs. En revanche, au cours des Expositions universelles, il y a la volonté de présenter des inventions, des objets remarquables issus d’un savoir faire pour la promotion du progrès humain sans but lucratif au public. La première Exposition universelle fut organisée à Londres en 1851 et lança le cycle de ces expositions qui se succédèrent au cœur des principales villes européennes et américaines. Cinq Expositions universelles se sont déroulées à Paris entre 1855 et 1900, parmi elles, seules celles de 1878 et 1889 présentaient des collections anthropologiques et des crânes préhistoriques. Ce sont ces crânes et leurs exhibitions qui seront pris en compte et analysés au cours de ces évènements de 1878 et de 1889. 41 CHAPITRE I L’absence de vestiges humains aux Exposition universelles de 1867 et de 1900 Au cours des différentes Expositions universelles qui se sont déroulées entre 1867 et 1900 à Paris, deux d’entre elles n’ont pas exhibé de crânes préhistoriques et plus généralement de vestiges anthropologiques. En effet, lors des expositions de 1867 et de 1900, les présentations de ces types d’objets n’ont pas pu être réalisées pour des raisons différentes. Ainsi la Société d’anthropologie participa à ces deux expositions en éliminant l’ensemble des vestiges humains, et des pièces d’anthropologie physique de leurs présentations. 1) L’absence de présentation de crânes préhistoriques à l’Exposition universelle de 1867 A l’Exposition universelle de 1867 qui se déroula entre le 1er avril et le 3 novembre 1867 seule l’archéologie préhistorique y figurait. Gabriel de Mortillet organisa l’exposition de la section préhistorique de l’Histoire du travail de l’Exposition universelle de 1867 sous la direction d’Edouard Lartet. Cette exposition réunissait exclusivement des outils lithiques des principales stations préhistoriques françaises. Ainsi, il était possible de voir notamment les vestiges des alluvions d’Abbeville de Boucher de Perthes, les séries lithiques du Moustier en Dordogne de Lartet et Christy ou encore l’imposante collection du Marquis de Vibraye. Ces collections étaient disposées dans un ordre chronologique des plus anciennes au plus récentes. Au côté de ces séries lithiques, des collections de faunes préhistoriques et des pièces attribuées à l’art y étaient également présentées. Cela fut également l’occasion pour Mortillet de présenter au grand public sa classification de la préhistoire (Mortillet, 1867). Cette exposition de vestiges préhistoriques avait pour but de mettre en évidence la haute antiquité de l’homme par le fait que des outils lithiques étaient accompagnés dans de nombreux sites, de faunes disparues et que certaines représentations de ces animaux éteints figuraient sur des pièces attribuées à l’homme. Pourtant, aucun vestige de paléontologie humaine n’y était présent bien que certains aient été découverts dans les années 1863 et 1864 (Mortillet, 1867). 42 Cela peut s’expliquer par le fait qu’il y avait très peu de ce type de vestiges à cette époque comparés à ceux d’archéologie préhistorique et par les débats en vigueur à propos de certains vestiges comme les ossements humains mis au jour à Moulin Quignon par Boucher de Perthes entre 1863 et 1864. En 1889, les membres de la Société d’anthropologie de Paris (SAP), expliquaient eux-mêmes que l’anthropologie ne figurait pas à l’Exposition universelle de 1867, car elle n’était pas dotée de documents et de travaux aussi précis et nombreux que pouvaient l’être ceux d’ethnographie préhistorique, en raison du développement en cours de l’anthropologie. Les membres de la SAP avaient pleinement conscience de ce « qu’il y aurait de dangereux pour l’avenir de leur science d’en montrer prématurément les premiers essais ; ils s’abstinrent donc et firent bien. » (La Société d’anthropologie de Paris, 1889 : 98). Pour eux, il n’était donc pas question de présenter une ébauche de leur discipline afin de ne pas la décrédibiliser pour les années suivant cette exposition Il fallut attendre 11 ans pour que l’exposition des sciences anthropologiques fût réalisée au cours d’une exposition universelle à Paris. Toutefois, l’exposition de l’anthropologie de la SAP fut tout de même envisagée par les anthropologues de cette société. En effet, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867, un projet d’exposition de l’anthropologie fut néanmoins préparé et présenté à Napoléon III. Cela dans le but de le convaincre d’inclure l’anthropologie à cette Exposition universelle. Il s’agissait alors d’exhiber les représentants des différentes races humaines du globe aux côtés de leurs productions matérielles. Dans ce cas, il était question en réalité d’individus vivants et non de crânes préhistoriques (Cartailhac, 1890 : 633-634). Toutefois, ce projet ne fut pas retenu et seul des outils furent présentés. Cela démontre néanmoins que bien que l’anthropologie soit absente de cette exposition les anthropologues avaient l’intention de la présenter. Pour revenir, aux crânes préhistoriques, leur absence peut être expliquée par le fait que ces vestiges ont un caractère particulier du fait qu’il s’agit de morceaux de corps humains. En effet, dès le XIXe se pose la question du statut des cadavres dans la sphère publique. Une réglementation précise notamment que les défunts ne doivent en aucun cas troubler l’ordre public. Ainsi, à cette époque toute une procédure de récupération et de gestion des cadavres en vue de les retirer de la vue des personnes est établie (Raimbault, 2005). Dans cette démarche, l’absence d’exposer des crânes préhistoriques est alors compréhensible surtout, lorsque ces présentations sont envisagées dans des évènements à grande affluence du public comme les Expositions universelles. 43 De plus, cette absence peut être attribuée au fait que cette même année fut organisé le Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistorique au mois d’août. C’est une réunion de scientifiques français et étranger dont le « but est l’étude de tous les documents qui se rattachent à l’homme préhistorique, à son origine, à ses caractères anatomiques, à ses usages, aux antiques vestiges de son industrie et de sa civilisation. » (Cotteau, 1867 : 3). Parmi les nombreuses questions abordées au cours de ce congrès, celle des caractères anatomiques définissant au mieux l’homme préhistorique et son appartenance à une race humaine furent discutés à plusieurs moments. En outre, l’absence de l’anthropologie à cette Exposition universelle en 1867 ne signifie pas que cette discipline n’existait pas en France à cette période comme peut en témoigner d’une part la présence d’un tel congrès mais également par le fait que dès 1859 la Société d’anthropologie de Paris est créée en France. 2) Le refus d’exposer des vestiges humains à L’Exposition universelle de 1900 Lors de l’organisation de l’Exposition universelle de 1900 et de la préparation de sa participation, la SAP se heurta aux décisions de l’administration centrale de l’Instruction publique. En effet, une commission destinée à la préparation de la participation, « s’est mise à l’œuvre aussi tôt, mais dès le principe, s’est heurtée à une fin de non-recevoir polie, de l’administration centrale » (SAP, 1900). La SAP n’était, dans un premier temps, pas acceptée à l’Exposition universelle. Après maintes négociations, la société obtint l’autorisation de participer à l’exposition mais sous quelques conditions. En effet, l’administration des beaux-arts avec laquelle la société dû partager son exposition au sein d’une vaste salle dans le Musée d’ethnographie du Trocadéro, exigea qu’aucune pièce d’anthropologie physique ne soit exhibée, évacuant ainsi de l’exposition tous les vestiges humains dont les crânes préhistoriques. Les membres de la société ne pouvaient alors que constater qu’ « Il est éminemment regrettable que M. Picard, commissaire général de l’Exposition de 1900, n’ait pas compris comme ses prédécesseurs de 1867,1878 et 1889 l’intérêt que peuvent présenter des séries de documents anthropologiques classés avec méthode. » (Mortillet, 1900 : 254). Les raisons de ce refus ne sont pas évoquées dans les documents relatifs à la SAP ou à l’Exposition universelle de 1900 et n’explique pas cette position de la part de la direction des monuments historiques. Pourtant, au regard de l’évolution des participations de la société aux Expositions universelles de 1878 puis de 1889 de plus 44 en plus convaincante auprès du public, l’Exposition de 1900 devait être une véritable consécration de la discipline. En effet, ayant toujours plus de succès d’une exposition à une autre6, cette participation aurait du être une apothéose pour la SAP, malheureusement l’administration organisatrice en a décidé autrement. 6 Rapport administratif d’activité sur l’Exposition universelle de 1878, Archives nationales, Paris, F/12/3268. 45 CHAPITRE II Les crânes préhistoriques à l’Exposition universelle de 1878 L’Exposition universelle de 1878 s’est déroulée du 1er mai au 31 octobre 1878 sur le Champ de Mars à Paris. Elle est la troisième Exposition universelle qui prit place à Paris. Elle fut l’occasion pour la Société d’anthropologie de Paris créée en 1859 par Broca d’être présentée au public. En effet depuis sa création, il s’agit de la première occasion où cette discipline est exposée en dehors d’une structure scientifique et qu’elle fut incluse dans un évènement populaire. Le public va découvrir l’anthropologie de la SAP plus particulièrement mais également celle qui se fait au sein d’institutions scientifiques étrangères. Bien que cette présentation de l’anthropologie fût à l’initiative de cette société, celle-ci fit appel à la participation d’exposants du monde entier, afin de mettre en évidence l’étendue des recherches scientifiques sur cette thématique. Ce fut également la première fois que l’anthropologie en tant que science étudiant les vestiges humains figurait à une Exposition universelle. D’autre part, ce type d’évènement va constituer pour cette société un véritable moyen de communication et de valorisation scientifique puisqu’il touche un public très vaste. L’exposition des sciences anthropologiques faisait partie du groupe des expositions spéciales au même titre que celle des portraits nationaux historiques, de l’art musical ou encore des eaux minérales. Elle a été présentée dans un local du palais du Trocadéro construit pour l’occasion par l’architecte Gabriel Davioud (1824-1881) et l’ingénieur Jules Bourdais (1835-1915). Afin de préparer cette exposition, la Société d’anthropologie de Paris nomma Quatrefages, professeur d’anthropologie au Muséum d’Histoire naturelle, à la tête d’une commission spécialement constituée pour la gestion de cette organisation et composée d’Henri Martin (1810-1883), historien et de Broca. 1) La présentation de l’anthropologie de Paul Broca et la promotion de la Société d’anthropologie de Paris 46 Destinée à un public non spécialiste de l’anthropologie, la SAP a dû présenter au cours des différentes sections de son exposition en quoi consistait cette discipline. Pour cela, elle en proposa une définition, et fit l’effort de préciser le cadre scientifique dans lequel celle-ci était intégrée. Afin d’être la plus compréhensible possible des visiteurs, elle dû mettre en œuvre une véritable stratégie de diffusion des connaissances scientifiques sur ce sujet, en exhibant une grande diversité de pièces anthropologiques accompagnées de fiches explicatives. La présentation de l’exposition de la SAP débute par une section nommée « Sociétés françaises et étrangères ». Elle fait état d’un certain nombre de sociétés, d’écoles, de musées, du domaine des sciences anthropologiques français et étranger. L’ensemble de ces institutions sont à l’exposition pour présenter leurs travaux mais également leurs structures scientifiques. Cela permet de montrer la diversité des pôles intégrant l’anthropologie parmi leurs disciplines de recherche. Concernant la SAP, Broca représente cette société au sein de cette section. En effet, en tant que fondateur, il est la personne la plus appropriée pour la présenter au public, développer son histoire, et la façon dont celle-ci s’est construite. Il montre en quoi cette société consiste et les nombreuses activités qui s’y déroulent, relatives principalement à l’enseignement et à la recherche. Pour cela, des programmes, des affiches de cours, des tableaux d’enseignement de différents professeurs officiant à l’Ecole d’anthropologie dépendant de cette société sont exposés, dans cette section, afin de préciser les thématiques développées pendant les cours. Après avoir défini l’institution scientifique que représente la SAP, les différentes branches de l’anthropologie sont tour à tour détaillées dans la suite de l’exposition. Elle se poursuit par une section intitulée « Anthropologie générale et biologique », qui concerne l’étude des caractères anatomiques, biologiques, ou pathologiques du groupe humain. Cette analyse regroupe tout un ensemble de domaines au service de l’étude de l’histoire naturelle de l’homme, comme la craniométrie, la tératologie, l’anthropométrie, ou encore l’étude de la coloration des yeux ou de la peau. Il s’agit de l’étude de l’homme en tant qu’individu en explorant ses diversités de formes, et ses caractères 47 normaux et pathologiques. Ces caractères sont considérés selon les différentes périodes temporelles, races humaines et différents milieux environnementaux. La section « Ethnologie, Ethnographie, Linguistique » visait à présenter la diversité des races humaines du globe avec leurs productions matérielles et leurs pratiques culturelles. Le matériel exposé est de natures diverses mais d’époque historique. Il est alors possible de trouver aussi bien une collection d’outils en obsidienne d’Amérique, qu’un cercueil du Cher ou qu’un crâne péruvien déformé, ou encore des photographies ou des lithographies de types ethniques. Cette partie de l’exposition tend à mettre en évidence l’étude de l’homme en tant qu’individu producteur d’objets nécessaires à sa vie quotidienne et ayant des coutumes propres en fonction du milieu dans lequel il s’inscrit. Une telle analyse est montrée car elle permet une comparaison entre les différentes populations du globe afin de signifier des analogies ou des différences. De plus, ces objets conduisent à l’étude des mouvements de populations autour du globe selon ses disparités ou ses affinités de mœurs. Cette section s’attache à l’étude des populations historiques, actuelles. La section d’ « anthropologie préhistorique » cherche à présenter l’étude des origines de l’homme à partir des manifestations retrouvées lors de fouilles. Cette exposition réalise une sorte de rétrospective des activités humaines des périodes paléolithiques aux périodes romaines à partir des vestiges retrouvés à la fois dans des sites archéologiques français et étrangers. Des restes de faunes attribués aux périodes aux parties inférieures de niveaux tertiaires de différents sites et la présence d’artefacts permettent aux scientifiques de démontrer et de mettre en évidence la contemporanéité de l’époque tertiaire et des premières occupations humaines. Cette science spécifique qu’est l’Archéologie préhistorique contribue à connaître l’homme d’un point de vue environnemental et des pratiques des peuples. Elle conduit à montrer l’évolution et la progression dans les industries et dans les modes de vie de ces populations. La section de « démographie » tente de déterminer et d’étudier l’évolution de l’importance des peuplements dans chaque pays européen. Elle cherche également à identifier les facteurs de croissance ou de décroissance des populations. Elle s’attache également à étudier les caractéristiques de ces populations, telles que les taux de 48 fécondité, de mortalité, de natalité. Elle fait état des populations contemporaines et de leur évolution. La succession des différentes sections de cette exposition énumère les différentes sciences constitutives de l’Anthropologie telle que l’a défini Broca. Henri Thulié (18321916), directeur de l’Ecole d’anthropologie, relate ce qu’est l’anthropologie de Broca. Il explique que « l’anthropologie est l’histoire naturelle du genre humain. Elle comprend toutes les études qui peuvent donner quelques notions sur la place de l’homme dans la nature, sur son passé comme sur son présent, sur sa constitution physique et morale; elle recherche la détermination des races d’après leurs caractères anatomiques, physiologiques et intellectuels, étudiées dans leur situation géographique, dans leurs migrations et croisements, dans leur pathologie particulière et dans leur état social. » (Thulié, 1907 : 9). Il s’agit d’une étude de l’homme dans sa globalité. L’homme est pris en compte à la fois à un niveau individuel par l’étude de la composition de son organisme comparé à d’autres, comme ceux des singes, et à la fois au niveau du genre par l’étude de ses caractères anatomiques et sociaux. Pour Broca, l’homme physique est envisagé par l’anthropologie générale et biologique, par l’ethnologie concourant à la différenciation des races humaines. Les aspects culturels, moraux et sociaux sont étudiés grâce à l’ethnographie, la linguistique et la démographie (Broca, 1989). Chacune de ces disciplines contribuent à produire une connaissance générale de l’homme. Par l’observation successive des présentations des sciences anthropologiques et au fur et à mesure des sections, le public pourra comprendre et accéder à la définition de l’anthropologie développée par Broca. 2) Les crânes préhistoriques au sein de l’exposition des sciences anthropologiques Au cours de l’exposition des sciences anthropologiques de la SAP, environ 230 crânes préhistoriques sont présentés. Ces vestiges apparaissent à la fois dans la section d’ « Anthropologie générale et biologique » et d’ « Anthropologie préhistorique ». Ils sont majoritairement répartis dans cette première section. 49 Dans la section « Anthropologie générale et biologique », l’étude de l’homme qui est développée est celle envisagée par la craniologie et l’anatomie comparée. Tous les éléments nécessaires à cette étude y sont rassemblés. Des crânes anciens, actuels normaux et pathologiques, des crânes déformés intentionnellement, et des crânes préhistoriques se retrouvent dans cette section. Il est notamment possible pour le public de venir observer le moule de la calotte du Neandertal, le crâne de Volta, et une collection de crânes dolichocéphales de Baumes chaude. La présence de ces vestiges contribue à développer en quoi consiste la craniologie et son intérêt scientifique. La présence de ces crânes conduit à préciser le type d’informations et de connaissances qu’il est possible d’obtenir par leur étude. De plus, afin de défini plus aisément de quelle manière ces éléments d’étude sont analysées, des instruments de mesures nécessaires à l’étude anthropologique sont également donnés à voir, tels que le tropomètre de Broca servant à mesurer l’angle de torsion de l’humérus. Le fait d’exposer ces instruments de mesure avait pour objectif de montrer au public que l’anthropologie est une science ayant une méthode précise et ayant besoin d’un équipement spécifique. Ces instruments permettent également de faire le lien entre les crânes préhistoriques exhibés en amont et la manière dont ceux-ci peuvent être étudiés correctement. En revanche dans la section « Anthropologie préhistorique », les crânes préhistoriques sont très peu nombreux par rapport aux crânes présentés dans la section d’ « anthropologie générale et biologique ». Ici, l’objectif n’est plus de détailler une science et son mode opératoire mais de réaliser un inventaire des découvertes en archéologie préhistorique réalisées sur le territoire français. A l’exclusion des vestiges lithiques, seuls des crânes préhistoriques provenant du musée d’histoire naturelle de Troyes sont exhibés. Quelques photographies de crânes issus de monuments mégalithiques les accompagnent. Ces crânes accompagnent le matériel archéologique et concourent à présenter les vestiges qui ont été découverts au sein de nombreuses régions françaises. Tour à tour, les Musée de province et les particuliers présents exposent l’ensemble de leur matériel d’anthropologie préhistorique issu de leur sol respectif. L’exposition des sciences anthropologiques et des crânes préhistoriques a eu pour objectif de montrer en quoi consistaient l’Anthropologie et la diversité de cette science. Il s’agissait de matérialiser par les spécimens d’étude, la recherche anthropologique qui 50 s’opère au sein de la SAP. De plus, cette exposition des crânes préhistoriques et de l’ensemble des collections anthropologiques est un moyen d’exhiber les preuves objectives des théories issues de la recherche anthropologique, afin de justifier l’existence d’une telle science. Peu connue du grand public, l’anthropologie a eu besoin de prouver son accomplissement et de légitimer sa place parmi les sciences. D’ailleurs cette opération de reconnaissance a été réussie, puisque cette exposition a eu un vif succès et que « pour l’ensemble du public la science anthropologique a pris naissance à l’Exposition dès 1878. Cette date restera célèbre dans les annales. » (Rapport administratif, 1878) 51 CHAPITRE III La présentation des crânes préhistoriques durant l’exposition rétrospective du travail de l’Exposition universelle de 1889: L’Exposition universelle de 1889 a eu pour objectif de fêter le centenaire de la révolution française en présentant l’ensemble des productions humaines, et de montrer l’évolution du génie humain auteur de ces créations. Cet évènement était l’occasion, par le genre de la rétrospective, de montrer l’évolution des productions matérielles au cours du temps, depuis les origines de l’homme jusqu’à la fin du XIXe siècle. L’Exposition rétrospective du travail et des sciences anthropologiques avait pour objectif de relater l’histoire des inventions et des productions humaines. Jules Simon (1814-1896), président de la commission supérieure de l’Exposition rétrospective du travail et des sciences anthropologiques, expliqua quel était le but de l’exposition des sciences anthropologiques au sein de l’Exposition universelle. Selon lui, « l’Exposition rétrospective du travail et des Sciences anthropologiques, qui est projetée pour 1889, avait pour but d’initier le public à l’histoire des procédés du travail manuel et du travail mécanique qui, à travers les siècles ont abouti à l’outillage industriel moderne des arts et métiers. » (Simon, 1891). Cette exposition prenait place dans le Palais des Arts libéraux sur le Champ de Mars. Ce bâtiment a été construit à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889 et réalisé par Jean-Camille Formigé (1845-1926), architecte. L’Exposition rétrospective du Travail était composée de cinq grandes divisions : l’Anthropologie et l’Ethnographie, les Arts libéraux, les Arts et métiers, les moyens de transport et les Arts militaires. Dans cette démarche, les organisateurs de l’Exposition ont rassemblé dans ce lieu l’anthropologie aux productions matérielles et aux inventions afin de présenter les origines du travail et de ses productions. Georges Berger (1834-1910), directeur de l’exploitation lors de l’Exposition universelle de 1889, expliqua l’intérêt de la présence des sciences anthropologiques au sein du Palais des arts libéraux : « L’Histoire primitive du travail de l’homme serait ensuite retracée au moyen de découvertes de la paléoethnographie ou archéologie préhistorique.» (Berger, 1891). 52 L’histoire du travail fut donc présenté dans les périodes préhistoriques jusqu’aux formes les plus modernes de celui-ci. 1) L’Exposition des sciences anthropologiques : miroir de l’Anthropologie de Paul Broca Cette exposition a été organisée et réalisée par la Société d’anthropologie de Paris. Elle est en quelque sorte le prolongement de celle de 1878. L’exposition de 1889, pour cette société est un complément à la présentation de l’anthropologie amorcée lors de la précédente Exposition universelle de Paris. En 1878, la SAP définissait ce qu’était l’anthropologie. En 1889, l’Exposition des sciences anthropologiques avait pour objectif de faire comprendre au public la distinction entre les Sciences anthropologiques et l’Anthropologie. Pour cela, il est nécessaire de comprendre que selon Broca et la SAP, l’Anthropologie est la science générale de l’Homme qui permet d’en acquérir une connaissance globale. Les sciences anthropologiques sont elles, des sciences de divers horizons qui, par leur spécificité, apporte une part de connaissance sur l’étude l’homme et grâce à la combinaison de ces sciences permettent d’aboutir à cette connaissance globale de l’homme (Broca, 1989 : 1-41 ). Par exemple, la démographie permet de donner des informations sur les tendances comportementales des populations (âge du mariage, des premiers enfants) et contribue à définir l’être humain. Au sein de la SAP, cette distinction s’effectue par la différenciation entre « Anthropologie générale » ou Anthropologie, et « Anthropologie spéciale » qui correspond aux sciences anthropologiques évoquées précédemment. L’ « Anthropologie générale » s’attache donc à l’ « étude du genre humain dans son ensemble, sa comparaison avec les groupes zoologiques les plus voisins, ses origines par une ou plusieurs souches et ses filiations ancestrales, c'est-à-dire la suite des formes qui se sont succédées dans les âges pour aboutir à la forme présente de l’homme que nous connaissons. » (Catalogue officiel, 1889). Elle envisageait à la fois ce qu’était cette discipline tout en la distinguant de l’ « Anthropologie spéciale ». Afin de mettre en évidence au mieux ce qu’est l’ « Anthropologie générale », des pièces d’anatomie comparée, d’embryogénie de l’homme, des moulages de cerveaux humains, de squelettes, de crânes préhistoriques et modernes étaient présentés au public. (Wilson, 53 1889 : 642). Le détail précis de ces crânes préhistoriques n’est pas précisé dans les documents qui ont été étudiés, ne permettant donc pas de connaître la composition des pièces choisies. Des instruments nécessaires à la réalisation de ces études complétaient cette présentation. De la même façon, l’ « Anthropologie spéciale » était présentée, par l’exposition de bustes ethniques, et des masques réalisés sur le vivant accompagnés de panneaux où il était possible de voir le détail des différents types raciaux connus. Des crânes préhistoriques y étaient également disposés, afin de montrer que l’ « Anthropologie spéciale » considérait également l’origine et la succession dans le temps des races fossiles et actuelles. Cette présentation permettait au public de comprendre cette anthropologie est la science qui étudie les différentes races humaines actuelles et passées, en les déterminants, en les décrivant d’un point de vue physique et physiologique. L’ensemble de l’Exposition des sciences anthropologiques organisée par la Société d’Anthropologie de Paris, expliquait et présentait les différents domaines de l’Anthropologie. Ses représentants contribuaient à la présentation de l’Anthropologie de Broca. Ainsi est-il possible de dire que l’Exposition des sciences anthropologiques était le reflet de l’anthropologie défendue par Broca. 2) La présentation des crânes préhistoriques Les crânes préhistoriques sont présentés d’une part au sein de la section de l’ « Anthropologie générale » comme cela a été évoqué ci-dessus et, d’autre part dans la section d’ « Anthropologie spéciale ». Dans la section de l’ « Anthropologie générale », les crânes préhistoriques étaient présentés aux côtés des autres pièces anthropologiques. Cela dans le but de donner une idée aux visiteurs de la variété des objets auxquelles s’attache l’étude anthropologique. Il s’agit d’une sorte d’inventaire de toutes les pièces concernées par cette étude. 54 En revanche, concernant l’ « Exposition spéciale », les crânes préhistoriques étaient donnés à voir, afin de montrer les divers spécimens fossiles connus, mais également d’amener le public à prendre conscience de l’existence de différences races fossiles qui existaient et qui sont déterminés à partir des caractères morphologiques propres à ces crânes. Ainsi, la SAP évoquait et présentait ces crânes illustrant ces races humaines en exposant uniquement sous forme de dessins, de Philippe Salmon tiré de son ouvrage, Les races humaines préhistoriques. Dans la section de l’ « Anthropologie spéciale », seuls ces dessins étaient présentés de la part de la SAP, étant donné que les différents spécimens de crânes préhistoriques de cette société étaient déjà exposés dans la section de l’ « Anthropologie générale ». Cette présentation était l’occasion pour cette société d’affirmer au public l’acceptation de l’antiquité de l’homme mise en doute dans les débuts des découvertes paléoanthropologiques. Elle avait aussi pour but de montrer que, depuis l’affaire de Moulin Quignon, les scientifiques ont abordé le thème de la méthodologie en paléoanthropologie et ont défini les erreurs à éviter dans l’interprétation des restes humains anciens. Salmon évoque ces erreurs à savoir : de prendre en compte, dans l’étude, des crânes dont l’origine est douteuse ou non documentée. L’exposition de planches de dessins faisant figurer des crânes préhistoriques un moyen d’exprimer le fait que, grâce à une méthodologie adaptée et à la prise de conscience des scientifiques membres de cette Société, il est possible de ne pas commettre certaines erreurs concernant l’étude des vestiges préhistoriques. Ces planches précédaient l’exposition de tous les crânes préhistoriques proposées par des scientifiques de structures françaises et étrangères, et de collectionneur amateur. C’était une façon d’évacuer toute suspicion concernant ces crânes en mettant en évidence que toutes les précautions ont été prises pour éviter tout doute. De plus, ces planches étaient l’occasion de réaliser une synthèse des principaux crânes fossiles connus à ce jour. Celle-ci sera illustrée dans la suite de l’exposition par la présentation de tous les crânes préhistoriques de France et de l’étranger. Il s’agit en quelque sorte d’une introduction à ces présentations. 55 Pour cela, deux planches de huit crânes sont montrées. Celles-ci sont composés de la calotte du Néandertal qui est le type de ce regroupement, de la calotte de Tilbury (Grande-Bretagne), des crânes de Spy n°1 et n°2 (Belgique), de celui de Podbaba, de Brüx (Bohème), d’Eguisheim et de Laugerie Basse (France). L’ensemble de ces crânes est attribué à la forme humaine la plus ancienne connue, puisqu’ils présentent tous des caractères crâniens considérés comme primitif par les scientifiques. Cela se traduit notamment par la présence d’un crâne dolichocéphale, de forte structure au niveau des arcades sus orbitaires, des sinus frontaux développés et un frontal plat et fuyant, d’un occipital avec une grande projection. Parmi ces crânes, celui de Canstadt, l’Olmo (Italie) n’y sont pas représentés et ne figurent pas parmi les crânes fossiles. En effet, Salmon, expliqua son choix de ne pas les avoir dessinés avec le restes des crânes. Il émettait quelques réserves sur les conditions de leur découverte. Concernant le crâne de Canstadt, il montra que « Parmi les crânes allongés, plusieurs considérés avec trop d’empressement comme quartenaires devaient être rejetés, notamment celui de Canstadt. On ne saurait guère, en effet, le conserver plus longtemps dans la série ; non seulement sa découverte remonte à près de deux cents ans, à une époque où l’on avait aucun souci de la critique scientifique indispensable pour la détermination des milieux. » (Salmon, 1888 : 6). Pour le même type de raisons, le crâne de l’Olmo a été rejeté, car le conservateur du Musée préhistorique de Rome de l’époque, indiqua à Salmon que personne n’avait vu ce crâne en place et qu’il était ainsi impossible de déterminer sa provenance. Concernant les crânes néolithiques, Salmon évoque le fait dans cette partie concernant la paléoanthropologie l’existence d’un vide. Il présenta non pas des planches des quelques spécimens connus de cette période mais un tableau dans lequel il référencie tous les vestiges issus de sépultures. Contrairement à la classification des races humaines établie par Quatrefages et qui se base exclusivement sur les caractères morphologiques des crânes, Broca tout comme Salmon, regroupent les individus préhistoriques selon des époques chronologiques définies en amont par l’industrie lithique trouvée dans les niveaux où ont été découverts ces crânes. Ainsi ces crânes sont attribués à une période de temps déterminé grâce aux outils. 56 Ainsi se clôt la présentation de la paléoanthropologie de la section de la Société d’anthropologie de Paris et amorce les expositions de crânes préhistoriques d’autres institutions ou de scientifiques. Chacune des personnes possédant des crânes de la période quaternaire exposait soit les pièces les plus fameuses, soit l’intégralité de leur collection. Parmi elles, certains scientifiques français exposaient des pièces de choix, afin de présenter une connaissance précise sur les pratiques et les modes de vies des populations préhistoriques. Cela fut le cas par exemple, pour Topinard qui donnait à voir au public un crâne trépané de la grotte néolithique de Feigneux dans l’Oise. Ce crâne fut l’occasion pour ce scientifique d’évoquer la trépanation dans temps préhistoriques. Il s’agit d’un crâne, d’un homme âgé de trente ans, qui présentait une double trépanation. Une de celles-ci semblait avoir été réalisée sur le vivant alors qu’une seconde le fut à titre posthume. Il s’agit d’un crâne dolichocéphale. Afin de compléter la présentation de ce crâne trépané, l’exposition de ce crâne fut accompagnée de reproductions expérimentales de cette opération réalisée au moyen d’instruments de silex sur le cadavre humain et des chiens vivants. Cela avait pour but de faire comprendre d’une part en quoi consiste cette pratique au public mais également de mettre en évidence comment celle-ci a pu être réalisée par les hommes du Néolithique (Catalogue officiel, 1889). Le laboratoire d’Anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle figurait parmi les structures scientifiques qui exposaient une partie de ses collections de moulages. Ce laboratoire était dirigé par Quatrefages. Chaque spécimen représentait les races humaines fossiles définies par cet anthropologue, pour illustrer la race de Neandertal, les crânes de Brüx, d’Engis et de Canstadt. Ce dernier est exposé car Quatrefages ne s’attarda que sur les caractéristiques ostéologiques des crânes, ce qui lui permit de le rapprocher ou non d’une race et éventuellement d’une zone géographique. Il ne s’attache pas à l’histoire des vestiges a priori comme Salmon concernant ce même crâne. La race de Cro-magnon fut indiquée par la présence de trois crânes de Solutré et trois crânes de l’abri de Cro-Magnon. Le choix des crânes préhistoriques pour leur exposition apparut alors dépendant des considérations scientifiques des anthropologues responsables de ces présentations. D’autres crânes préhistoriques trouvèrent place au sein de cette exposition, tel que le squelette de Baoussé-Roussé près de Menton, découvert par Rivière et présenté par 57 l’Institut catholique ou encore les crânes de Laugerie-Basse donné à voir par Elie Massénat (1832-1903). A ceux-ci il faut également rajouter la présentation de crânes préhistoriques de pays étrangers comme la Belgique, le Brésil, le Danemark ou encore les Etats-Unis. La réunion de tous ces crânes au sein d’une même exposition contribua à donner une idée au public de l’ensemble des spécimens connus concernant l’homme fossile, de l’importance et de l’étendue de ce type d’étude outre les frontières françaises. Ce type de présentations conduisit à réaliser une synthèse des connaissances acquises de tous horizons sur les populations du quaternaire. Elle fait le point sur les progrès réalisés par la discipline de l’Anthropologie et s’intégra parfaitement au sein de la thématique générale de l’Exposition universelle de 1889. Comme l’évoque Pascal Ory (1989), les expositions universelles sont des « foires ou des fête du progrès », à la fois des progrès du domaine industriel mais également du domaine scientifique comme le montre l’exposition des crânes préhistoriques. La présentation des crânes préhistoriques permettait de rendre compte des connaissances de l’homme fossile, et des différentes approches d’étude de ses vestiges selon les anthropologues et les structures scientifiques au sein auxquelles ceux-ci sont rattachés. Cela est le cas notamment concernant la classification des races humaines de Quatrefages et de Salmon évoquée ci-dessus. Certaines expositions de crânes préhistoriques de la part de nation étrangère ne partagent pas le même objectif que celle réalisé par la SAP. Le but de cette dernière était de rendre compte de l’anthropologie qui se pratiquait au sein de cette société concernant l’homme dans sa globalité. En revanche, concernant l’exposition des crânes préhistoriques du Danemark, l’objectif était de démontrer que l’origine du peuple danois contemporain était attribuée à une période très reculée et très ancienne. Cela afin de prouver que les racines du peuple danois sont véritablement attachées au territoire du Danemark. L’exposition danoise ainsi que les recherches étaient motivées par les aspirations patriotiques des scientifiques de ce pays7. Pour les organisateurs de l’Exposition universelle, l’exposition des sciences anthropologiques dont font partie les crânes préhistoriques eurent pour but de diffuser ces connaissances anthropologiques et de montrer le panorama scientifique concernant 7 Exposition rétrospective du travail et des sciences anthropologiques : Danemark, Copenhague : Imprimerie Nielsen et Lydiche, 1889, 30p. 58 cet homme fossile, c’est pour cela que de nombreux scientifiques y furent présents sans distinction afin d’encourager une multiplicité de visions scientifiques. Cette exposition des sciences anthropologiques fut avant tout destinée au public non scientifique. Elles réunirent dans un même lieu des positions anthropologiques diverses et permirent de donner aux visiteurs une idée de l’ampleur des théories se basant sur le matériel anthropologique dont les crânes préhistoriques. Elles firent cohabiter différentes théories individuelles dans un même lieu et conduisent à montrer le panorama de l’anthropologie internationale de la fin du XIXe siècle. Concernant plus particulièrement la présentation des crânes préhistoriques au sein de ces Expositions universelles, celle-ci concourut à la réalisation d’un objectif commun de ces expositions. Elle participa à l’exhibition des modes d’expression de l’esprit humain. Ainsi, au côté des inventions technologiques, les crânes préhistoriques mirent en évidence la capacité de l’homme à réaliser des travaux de recherche sur l’origine de l’humanité et à produire une connaissance scientifique. 59 PARTIE III Les crânes préhistoriques, la galerie d’anatomie comparée, de paléontologie, d’anthropologie et le Musée d’ethnographie du Trocadéro (1898-1937) 60 Le 21 juillet 1898, la nouvelle galerie d’anatomie comparée, de paléontologie et d’anthropologie fut inaugurée par le directeur du Muséum Alphonse Milne-Edwards (1835-1900) et Léon Bourgeois (1851-1925), ministre de l’Instruction publique. Cette galerie est le résultat d’une demande de Albert Gaudry (1827-1908) professeur de paléontologie, de Georges Pouchet (1833-1894), professeur d’Anatomie comparée, et Quatrefages, professeur d’anthropologie, afin d’obtenir des locaux plus spacieux pour la présentation de leurs collections respectives. Précédemment, ces collections étaient conservées à la fois dans les laboratoires mais, concernant l’anthropologie et l’anatomie, également dans une galerie peu spacieuse au bâtiment dit de la baleine. Au cours du discours à l’occasion de l’inauguration de cette galerie, Léon Bourgeois rappela que ce manque d’espace nuisait à la mise en valeur des ces collections. Il évoqua que les disciplines de l’anatomie comparée, de la paléontologie et de l’anthropologie, « ces filles d’une même mère ont singulièrement grandi, et la place leur manquait dans les bâtiments étroits que le Muséum pouvait mettre à leur disposition. Elles étaient donc sacrifiées et dans l’impossibilité d’exposer leurs richesses, de montrer des séries admirables qui résument un si long travail et tant d’efforts accumulés. » (Bourgeois, 1898 : v). Cette nouvelle galerie présentait une innovation dans l’exposition des collections. En effet, cette galerie était dotée d’un lieu d’exposition d’environ 2500 m2 et d’un lieu de conditionnement des collections que sont les magasins qui jouxtaient les bâtiments de la galerie. L’intégralité des pièces n’était pas exposée. Un choix était réalisé dans les pièces à exposer. Celles-qui n’étaient pas présentées étaient conservées dans les magasins. Cette galerie comportait un partage des espaces. En effet, elle était dotée de grandes salles d’expositions accessibles aux visiteurs, dans celles-ci le souci de conservation n’était pas mis de côté, puisque les pièces ostéologiques les plus fragiles et les organes baignés dans des liquides étaient disposées dans des vitrines à distance des visiteurs. Les magasins étaient des espaces uniquement dédiés à la conservation des pièces qui n’étaient pas accessibles aux visiteurs et seulement aux scientifiques (Xert, 1898). Précédemment, les galeries d’anatomie comparée et d’anthropologie n’en étaient pas dotées, l’espace d’exposition des collections était également l’espace de conservation de 61 ces collections. Tous les spécimens étaient donc donnés à voir au public et aux scientifiques. Dans l’organisation de la nouvelle galerie, cela est différent, il y avait la nécessité de faire un véritable choix des spécimens exposés. Toutefois, malgré cela, le problème de la disponibilité de l’espace pour contenir les collections en question ne sembla pas résolu à l’ouverture de cette galerie. En effet, le ministre Léon Bourgeois, évoqua, lors de son discours, le fait que « déjà ces grands bâtiments sont remplis, rien n’est réservé aux collections de l’avenir, et de nouveaux crédits seront bientôt nécessaires. » (Léon Bourgeois 1898 : IX). La galerie a été un moyen de remédier à un besoin immédiat de place pour accueillir les collections, mais elle ne permettait pas d’anticiper ces mêmes besoins pour le futur. Chacune des disciplines disposaient d’un niveau d’exposition qui lui est propre et un espace bien défini. Le rez-de-chaussée était consacré à la présentation des collections d’anatomie comparée, le premier étage à la paléontologie et le second étage à l’anthropologie. 62 CHAPITRE I La présentation de collections anthropologiques dans la galerie d’anatomie comparée et de paléontologie Les collections d’anthropologie sont réparties essentiellement au deuxième étage de la galerie cependant, l’homme est d’ores et déjà présenté dans la galerie d’anatomie comparée. Les collections d’anatomie comparées occupent tout le rez-de-chaussée de la galerie. Un espace d’environ 1120 m2 leurs sont dédiées. Au sein de cette galerie, un ensemble de squelettes de toutes dimensions et de différentes espèces y est exposé. Cela permet aux visiteurs d’observer à la fois la diversité morphologique des différents mammifères présentés, les homologies que ceux-ci entretiennent les uns avec les autres mais également de voir des pièces importantes comme des squelettes de cétacés. Le grand nombre de spécimens présents et leur diversité reflètent la volonté de donner à voir l’exhaustivité des spécimens connus en 1898 et ainsi de rendre compte de l’étendue des connaissances acquises sur les vertébrés. Elle permet de donner au visiteur une vision générale de la diversité des vertébrés, tout en diffusant une connaissance précise sur l’organisation des types exposés. Elle conduit de surcroît à permettre l’exercice de l’observation et de la méthode de l’anatomie comparée consistant à la recherche des analogies et des divergences entre les différents éléments composant les êtres vivants en vue de les classer en ordre et en classe. Cette galerie d’anatomie comparée est à la fois un lieu de conservation des collections exposées et d’enseignement pour le visiteur. La visite de la galerie d’anatomie comparée débute par l’exposition de l’homme par l’intermédiaire de son ostéologie détaillée et de son squelette. C’est donc à partir de l’homme, considéré comme l’être le plus évolué et le mieux connu que s’engage la visite pour aller jusqu’aux spécimens les plus inférieurs mais également les moins connus, telles que certaines espèces de batraciens et de poissons (Frank, 1898 : 22). 63 Dans cette galerie, il est démontré où se place l’homme dans le règne animal par rapport aux autres vertébrés. A ce niveau d’exposition, la présentation de l’homme est traitée de la même façon que pour le reste des mammifères. Il est mis à voir au sein du groupe des primates à proximité de singes afin de le comparer avec les autres représentants de ce même groupe. Cela peut conduire le visiteur à remarquer les différences anatomiques et morphologiques, qui distinguent l’homme du reste du groupe des Primates. Par exemple, par la comparaison des vitrines de l’ostéologie de l’homme et celle du singe, il est possible aux visiteurs de pouvoir remarquer la capacité crânienne beaucoup plus élevée chez l’homme chez le singe, ou encore que chez ce dernier les canines sont très développées par rapport à celles de l’homme. L’homme est pris en compte d’un point de vue zoologique comme les autres spécimens présents dans cette galerie. Autrement dit, l’homme y est envisagé d’après sa physiologie et son anatomie comme tout autre animal présenté. Le but de cette partie du bâtiment est de mettre en évidence l’histoire évolutive des organes de différents individus et de leurs adaptations à un milieu donné. C’est l’histoire générale des êtres vivants qui est donnée à voir à partir des formes modernes des animaux et non l’histoire particulière d’une espèce. Ainsi aucun crâne préhistorique comme aucune forme fossile animale ne figure dans cette galerie, puisqu’ici c’est l’homme au sein d’un système global d’êtres vivants qui est examiné. La visite se poursuit par la galerie de paléontologie située au premier étage. Ce sont les spécimens disparus qui sont exposés afin de mettre en valeur l’histoire ancienne des différents animaux qui ont pu être observés dès le rez-de-chaussée. Les spécimens y sont agencés chronologiquement selon les périodes géologiques, de la période primaire jusqu’à la période quaternaire. Dès l’entrée ce sont les types les plus anciens qui sont disposés jusqu’aux plus récents. C’est par l’exposition de l’homme quaternaire que se termine le cheminement. En effet, l’exposition présente en dernier lieu le spécimen considéré comme le plus évolué et qui a réussi à s’imposer parmi les êtres vivants, grâce à ses productions matérielles issues de son esprit. En effet, Albert Gaudry (1827-1908), paléontologue et responsable de l’exposition de la galerie de paléontologie explique de quelle façon est présenté l’homme. Il évoque que « Les restes humains sont à côté de ceux de grands bœufs, des lions et des grands ours, des rhinocéros et du mammouth. ». Il s’agit de vestiges des âges paléolithiques et néolithiques, mais ils n’ont pas pu être 64 déterminés précisément au cours de cette étude grâce aux documents disponibles. Toutefois, il est possible de dire que certaines pièces lithiques ont été exposées, puisque c’est ce qui permet à Gaudry de montrer la suprématie de l’homme par rapport au reste des spécimens fossiles. En effet, il explique qu’ « Avec de grossiers instruments de silex, l’homme a vaincu ces puissantes créatures ; malgré ses luttes contre elles et un climat glaciaire, il est devenu un artiste qui sculptait et gravait. » (Gaudry, 1898 : 324). Cela confère à l’homme une place privilégiée par rapport au reste des êtres présentés, étant donné c’est celui qui a réussi à dominer l’ensemble des obstacles à son développement qu’ils soient climatiques ou animaux. Cette partie de l’exposition, complète la présentation générale de l’homme déjà introduite dès le rez-de-chaussée, avant qu’il ne soit envisagé plus en détail dans la galerie d’anthropologie au deuxième étage. 65 CHAPITRE II La galerie d’anthropologie La galerie d’anthropologie est située tout en haute de l’édifice. Le local qui leur est dédié, est composé d’un vestibule, d’un balcon assortis de deux salles annexes. La place attribuée à l’anthropologie est alors beaucoup plus restreinte que les collections d’anatomie comparée et de paléontologie puisqu’elles n’occupent qu’un vestibule et un balcon faisant le tour de la galerie de paléontologie. Toutefois, cette galerie et la présentation de l’homme qui est faite participe à l’objectif global de rendre compte de l’histoire générale des être vivants à travers les âges. Cet objectif va avoir un impact sur les présentations des crânes préhistoriques de la galerie d’anthropologie. 1) Les collections de la galerie d’anthropologie Les collections de pièces préhistoriques occupent le vestibule, bien que certaines vitrines soient installées sur le palier de celui-ci en raison d’un manque de place. L’ensemble des spécimens ethniques est disposé tout autour de la galerie. De grandes vitrines verticales contiennent des séries de crânes sont classés par type humain. De nombreuses pièces accompagnent ces crânes afin de rendre compte avec le plus de précisions possibles des groupes humains auxquels ceux-ci appartiennent. Cela concerne des membres, des troncs ou encore des masques moulés sur nature, des squelettes, des photographies de chaque type. L’ensemble de pièces contenues dans les deux espaces principaux d’exposition est rassemblé selon un classement défini par Hamy, successeur de Quatrefages à la chaire d’anthropologie dès 1892. Il répartit les spécimens du plus primitif au plus évolué. C’est ainsi que les races fossiles dolichocéphales débutent l’exposition et que les races blanches brachycéphales le terminent. Hamy reprend l’agencement des crânes et des races déjà défini vingt-cinq ans auparavant avec la publication des Crania ethnica avec Quatrefages. En effet, tout comme dans cet ouvrage, l’exposition des crânes se fait par types raciaux définis en 66 fonction de la forme des crânes. Ainsi la forme dolichocéphale est établie comme primitive et la forme brachycéphale la plus évoluée. Entre ces deux extrêmes de la classification de Quatrefages et Hamy, il existe toute une variété d’intermédiaires selon les races plus ou moins dolychocéphales ou brachycéphales. Les spécimens sont rassemblés par types ethniques et par région géographique. Cette présentation conduit à faire un inventaire de l’ensemble des types humains existant sur la planète et à en donner un maximum de précisions à la fois sur leurs caractères morphologiques mais également sur leur mode de vie et leurs pratiques par la présentation de quelques productions matérielles. Les crânes sont les pièces les plus représentées de cette galerie. Ces collections de crânes ont été constituées au fur et à mesure de l’existence de la chaire d’anthropologie. D’ailleurs, Quatrefages, le prédécesseur de Hamy, évoque le fait que l’« on sait quelle est, en anthropologie, l’importance de la tête osseuse. A elle seule, elle fournit les principaux éléments de la distinction des races humaines » (Quatrefages, 1870 : 216). Cette importance des crânes pour l’étude anthropologique peut être appréhendée par le public d’un seul coup d’œil. En effet, bien que l’espace soit restreint, des centaines de têtes osseuses sont données à voir dans les vitrines bordant la seconde salle d’exposition. Elles témoignent des différentes thématiques de recherche abordées au Muséum. Cela touche à la fois l’étude des populations du passé, des populations contemporaines, mais également des études d’anthropologie anatomique. La galerie d’anthropologie est en quelque sorte une fenêtre ouverte sur les activités réalisées dans les murs du Muséum en vue de montrer ce qui se pratique au sein de ces laboratoires. Cette galerie est l’occasion, pour Hamy assisté de Verneau, de mener une réflexion sur la façon de présenter les connaissances anthropologiques au public, afin que celles-ci soient véritablement accessibles et compréhensibles. En effet, ces scientifiques ont conscience de l’aspect rébarbatif que peuvent présenter ces collections pour un public non scientifique. Verneau évoque le fait qu’ « une galerie anthropologique présente forcément pour le grand public un aspect un peu monotone. Nous avons essayé de disposer les pièces de la manière la moins désagréable pour l’œil, tout en respectant scrupuleusement le classement méthodique (…). Les photographies, les dessins, les gravures, les aquarelles, les peintures dont il vient d’être question, aussi bien que les 67 bustes placés dans sur des consoles rompent heureusement avec la monotonie des séries contenues dans les vitrines. » (Verneau, 1898 : 335). Hamy et Verneau entreprennent véritablement une démarche muséale dans la présentation de leurs collections. L’agencement de la galerie était soumis uniquement au classement scientifique des collections et n’était pas spécifiquement adapté au public. L’intégralité des pièces de cette collection n’a pu être présentée d’une part en raison du peu de place attribuée, et d’autre part par la volonté de réaliser une exposition accessible au grand public. Contrairement à la galerie d’anthropologie de la cours dit de la baleine, il y a le désir d’épurer les présentations et de n’exhiber que les pièces les plus informatives et les plus représentatives du discours scientifique qui les accompagnent et ainsi de réaliser un choix de ces pièces. Cette galerie n’est plus une galerie scientifique ouverte au public mais elle est d’abord un lieu de diffusion destiné au public puis aux scientifiques. Dans cette nouvelle galerie, le public est au cœur des préoccupations des scientifiques. Cela s’intègre dans le projet de réaliser un véritable Musée de la part des différents scientifiques ayant contribué à la constitution des galeries du bâtiment place Valhubert, tel que Gaudry, Albert Petit et Hamy (Petit, 1898 : 325 ; Gaudry, 1898 : 321). Dans la galerie de 1898, les scientifiques tendent à concilier à la fois le classement méthodique des collections en y adjoignant des documents écrits, des cartes, des photographies, des peintures relatant des sujets contenus dans la galerie afin que la visite soit la plus éducative possible et qu’elle ne soit pas bridée par un aspect repoussant des présentations. 2) La présentation des crânes préhistoriques Les collections préhistoriques introduisent l’exposition de l’ensemble des pièces anthropologiques de la galerie. La première vitrine de cet espace est dédiée aux spécimens de la première race fossile, race de Canstadt. La seconde vitrine est consacrée aux dernières races de l’époque quaternaire, la race de Cro-magnon, et la première race brachycéphale, la race de Furfooz. La présentation des races fossiles se termine par une vitrine de crânes néolithiques. Il s’agit exactement des mêmes races humaines qui avaient été définies dans Crania ethnica par Quatrefages et Hamy dès 1873. Cette distinction des races fossiles est identique à celle qui avait été présenté 68 précédemment dans l’ancienne galerie, mais leur présentation n’est pas restreinte à exposer la variété de formes de l’espèce humaine. En effet, pour Hamy comme cela l’a été pour Quatrefages, l’enjeu de l’étude des crânes fossiles est de démontrer que ces races n’ont pas disparus avec la mort de ces individus. En effet, ce scientifique avec Quatrefages exprime une même vision scientifique selon laquelle, ils sont « profondément convaincus que ces races ne sont pas éteintes, que leurs descendants sont encore aujourd’hui mêlés ou juxtaposés aux représentants les plus récents. » (Quatrefage, Hamy, 1873 : 520). La recherche de ces scientifiques a donc été de rechercher les caractères primitifs présents à l’origine chez ces races fossiles et qui se retrouvent chez des types ethniques actuels. En effet, l’observation des caractères crâniens leur ont permis de conclure à la transmission de caractères primitifs dans les populations modernes. Ils défendent alors la théorie de l’atavisme, selon laquelle des caractères primitifs ressurgissent au sein de populations modernes. Ainsi concernant les populations actuelles, la forme du crâne de Canstadt se retrouve selon Quatrefages et Hamy chez certain peuple mélanésien. En cela, ces scientifiques défendent l’idée d’une origine et d’une unique espèce humaine qui se serait diversifiée à partir de d’une forme primitive selon le milieu, les métissages entre individus. Les crânes préhistoriques sont alors considérés comme l’origine de l’espèce humaine. Cela justifie le fait que les crânes préhistoriques soient placés en début de l’exposition et à la suite desquels des crânes de diverses origines ethniques actuelles se succèdent. Par cette démarche, c’est la définition de l’origine des peuplements humains et l’établissement d’une histoire de l’homme qui se jouent. Il est alors possible pour le visiteur de suivre dans son parcours au sein de la galerie d’anthropologie les anciennes races humaines dans l’espace et dans le temps selon différentes zones géographiques et périodes. Hamy respecte une véritable progression chronologique dans l’organisation de cette galerie, ce qui n’avait pas été réalisé dans les premières galeries du bâtiment dit de la baleine. La disposition des pièces anthropologiques au sein de la galerie rend compte du positionnement scientifique de Hamy concernant l’unité de l’espèce humaine et de son origine. Il s’inscrit alors dans le débat concernant l’unité ou la pluralité de l’espèce humaine. Hamy se place contre les thèses polygénistes de l’époque selon lesquelles, l’homme est issu de diverses souches qui en évoluant ont contribué à produire les différentes races 69 humaines actuelles. Pour eux, chaque race humaine correspond à une espèce particulière de l’homme en raison de la diversité des caractères morphologiques. Cette vision anthropologique est notamment défendue par Paul Topinard qui soutient l’idée que les variétés des espèces humaines sont infinies (Topinard, 1895 : 200). Pour revenir à l’exposition des crânes préhistoriques, Hamy opère un véritable choix des pièces et donne à voir moins de vestiges au profit d’une plus grande diversité et pertinence. La race de Canstadt est représentée notamment par les moulages de Canstadt, de Spy, du Néanderthal, de Brüx. A ces crânes et vestiges est ajouté le moulage de la calotte du Pithécanthrope découvert en 1891 par Eugène Dubois (1858-1940) à Java. Suite à cette découverte, l’attribution de cette calotte a été controversée à savoir si ce spécimen était plus proche des singes ou des hommes. Hamy se positionne par rapport à ce vestige et place ce moulage parmi la race de Neandertal, pour lui, ce crâne partageant de nombreuses d’affinité avec les crânes retrouvés en Europe et en cela fait partie de l’espèce humaine. Pour Hamy, cette disposition a pour but d’encourager les visiteurs à remarquer les caractères morphologiques communs entre la calotte du Pithécanthrope et les crânes européens de la race de Neandertal (Verneau, 1898 : 328) et ainsi de montrer que l’origine de l’espèce humaine ne se cantonne pas à l’Europe. La race de Cro-Magnon est représentée par les crânes de Baumes-Chaudes et de Grenelle et du moulage du type de cette race, le vieillard de Cro-Magnon. Quelques crânes de l’époque néolithique sont également présents (Verneau, 1898 : 328) et sont représentés par deux calottes crâniennes du Courjeonnet. Ces crânes préhistoriques cités et présents dans la galerie d’anthropologie ne sont pas exhaustifs. En effet, les sources documentaires peu précises n’ont pas permis d’obtenir un inventaire détaillé de tous les crânes existants , quoi qu’il en soit le registre des entrées du laboratoire d’anthropologie indique les nouveaux spécimens qui viennent compléter les collections déjà existante (cf Annexe 1). Malgré tout, ce registre n’indique pas quels vestiges sont réellement exposés. Hamy ne se limite pas à la présentation de fossiles originaux issus du territoire français. Tout comme son prédécesseur, il a le désir de rendre compte des découvertes réalisées dans le monde entier. L’utilisation de moulages permet de rapporter l’ensemble des 70 découvertes préhistoriques et ainsi d’avoir une vision globale des populations quaternaires. La technique du moulage conduit à présenter à l’intégralité des pièces découvertes même provenant de pays étrangers, comme cela est le cas pour le Pithécanthrope de Java, ou encore les crânes de Brüx ou de Spy. En venant dans la galerie d’anthropologie, le visiteur a la possibilité d’accéder directement, en un même lieu, à un même moment à une synthèse de l’ensemble des découvertes et des connaissances sur les hommes préhistoriques. L’ensemble des collections de crânes préhistoriques sont accompagnées de tous les objets permettant de donner le plus de précisions sur ces populations et plus particulièrement sur leur mode de vie grâce à la présentation de leurs productions matérielle. Pour Hamy, la galerie d’anthropologie de la place Valhubert n’est pas seulement une galerie d’anthropologie physique. En effet, il s’agit d’une galerie d’anthropologie au sens général, c'est-à-dire où l’aspect physique et biologique de l’homme y est prolongé et complété par la prise en compte de son caractère physique et moral. Dans cette galerie d’anthropologie l’accent est porté sur les collections ostéologiques attestant des études morphologiques, anatomiques de l’homme mais Hamy porte également de l’importance à l’étude des collections ethnographiques complétant cette première approche. Il prolonge les travaux de Quatrefages sur les races humaines au sein de la chaire d’anthropologie comme l’atteste la présentation des collections anthropologiques, tout en l’approfondissant et en l’élargissant afin d’obtenir une connaissance totale de l’homme. 71 CHAPITRE III L’absence de présentation de crânes préhistoriques au Musée d’Ethnographie du Trocadéro Le Musée d’ethnographie du Trocadéro a été créé sur l’initiative personnelle de Hamy en 1878. En effet, celui-ci a eu le projet de réaliser un lieu qui pourrait rassembler l’ensemble de collections relatives à l’ethnographie disséminées dans de nombreuses institutions parisiennes8 et de collections particulières issues de missions scientifiques9. En effet, à défaut d’avoir un endroit spécifique pour conserver les objets et produits exotiques ramenés de ces voyages, ceux-ci étaient répartis dans les différents musées parisiens. Pour Hamy, ce lieu serait l’occasion d’exposer l’ensemble des produits.10 Les objets ethnographiques contenus dans le Musée d’ Ethnographie du Trocadéro (MET) proviennent de musées et d’institutions parisiennes. Elles en ont constitué la base et sont complétées par des objets provenant de don d’exposants de l’Exposition universelle de 187811. En 1929, à l’initiative de Paul Rivet (1876-1958), ethnologue et directeur du Musée d’ethnographie, cet établissement a été rattaché au Laboratoire d’anthropologie du Muséum dans l’objectif de permettre une étude globale de l’homme au Muséum. 1) Le classement des pièces d’ethnographie de ET Hamy Dès 1878, les collections d’ethnographie du Musée d’Ethnographie du Trocadéro ont été agencées selon un classement précis. Lorsque Hamy réalise l’agencement de cette collection, une condition est imposée par la commission supérieure du musée. Il doit respecter l’ordre géographique prescrit par cette commission d’après l’origine des objets. Hamy élabora cependant un système de classement des pièces selon des groupes, des ordres et des classes. Les groupes rassemblent tous les objets d’une population et les divisent classe selon la fonction de chaque objet. Afin d’introduire chaque groupe, 8 Manuscrit, objets ethnographiques provenant des collections générales, 1879, Muséum d’Histoire naturelle, Paris, 2AM1G1b, fichet n°13 Rapport sur les collections ethnographiques du 15 février 1879 d’Armand Landrin, Muséum d’Histoire naturelle, Paris, 2AM1G1b, fichet n°14. 10 Brouillon des Origines du Musée d’Ethnographie du Trocadéro de ET Hamy, Muséum d’Histoire naturelle, Paris, 2AM1G1b, fichet n°9, 10p. 11 Correspondance concernant la cession d’objets ethnographiques de la part des pays participant à l’Exposition universelle de 1878, Muséum d’Histoire naturelle, Paris, 2AM1G1a, fichet n°1ter. 9 72 Hamy faisait précéder l’exposition des pièces par une présentation des types humains auteurs de ces productions. Ces présentations étaient composées de photographies mais également de crânes correspondant à chaque type ethnique. Hamy ne veut pas faire une scission l’aspect culturel physique de l’homme. En effet, en « débutant son système de classification par l’étude des caractères physiques, Hamy s’évertuait à montrer les liens entre le physique et le culturel, ce dernier n’étant qu’un prolongement du premier. » (Dias, 1991 : 157). De la même façon que la galerie d’anthropologie de la place Valhubert, Hamy expose des crânes avec des productions matérielles bien que ces pièces d’anthropologie physique soient minoritaires par rapport aux objets ethnographiques. A cette époque, les pièces présentées MET étaient des objets collectées au cours de missions scientifiques et concernaient exclusivement des populations contemporaines. Aucun objet exposé n’était de l’époque préhistorique. Cela s’explique également par une répartition des pièces au sein des institutions muséales de Paris, en fonction de leur spécialisation. En effet, depuis l’ouverture du Musée des antiquités nationale de Saint-Germain en Laye en 1867, l’ensemble des découvertes d’archéologie préhistorique y sont systématiquement portées. Au début de MET, la préhistoire n’y avait pas sa place. Etant donné ce contexte aucun crâne préhistorique ni aucune série lithique de cette époque n’y était exposé12. Les crânes préhistoriques étaient cantonnés au Laboratoire d’anthropologie du Muséum et chaque nouvelle trouvaille était attribuée à ce laboratoire (cf. : Annexe n°1). A la fin du XIXe et début XXe, les collections relatives aux études préhistoriques étaient réparties dans différents lieux de conservations. 2) Vers une spécialisation des disciplines anthropologiques La création d’un lieu dédié exclusivement à l’ethnographie, comme cela est le cas en 1878 avec le MET, atteste d’une évolution au sein de l’histoire de l’Anthropologie. En effet, en France, ce musée représente l’émergence d’une discipline qui étudie l’homme d’un point de vue culturel et moral parallèlement à un courant anthropologique 12 Livre journal du Musée d’ethnographie, Muséum d’Histoire naturelle, Paris, 2AM1G1d. 73 dominant se focalisant sur l’étude de l’homme physique. Par l’ouverture de cette institution, Hamy propose une alternative à cette étude et affirme une certaine indépendance de cette discipline vis-à-vis de l’anthropologie physique. A cette époque, l’ethnographie existe en tant que science mais elle s’exerce aux côtés de l’anthropologie physique. Concernant la SAP, l’ethnologie était présente au sein des sciences anthropologiques permettant de contribuer à la connaissance générale de l’être humain, mais également de préciser les connaissances auxquelles les études d’anthropologie physique ont abouti concernant la différenciation des races humaines (Williams, 1985 : 333). Ce phénomène de prise d’indépendance de l’ethnologie par rapport aux autres sciences anthropologiques a été possible en 1878 car les pièces d’ethnographie ont été suffisamment nombreuses pour pouvoir envisager de les étudier, ce qui n’était pas le cas avant les années 1850. Un texte de 1937 sans auteur issu des archives du Muséum évoque cette période de séparation de l’ethnologie : « L’ethnologie n’a pas encore conquis la place qu’elle doit occuper parmi les sciences de naturelles. Tardivement constituée en tant que discipline indépendante, elle s’est développée surtout en dehors des cadres officiels, au hasard d’initiatives individuelles. »13 Il y a véritablement une spécialisation du domaine des sciences anthropologiques avec d’un côté l’anthropologie physique et de l’autre l’ethnographie. Cela se traduit par un morcellement de la répartition des collections attribuées à l’étude de l’homme. Ainsi, tout le matériel osseux est alloué au Laboratoire d’anthropologie du Muséum, les productions matérielles contemporaines au MET et préhistoriques au Musée des antiquités nationales. L’absence de crânes préhistoriques au MET reflète le contexte scientifique de l’époque qui va vers une spécialisation du domaine anthropologique. Les successeurs de Hamy à la direction du MET, c'est-à-dire Verneau puis Rivet présentent eux aussi exclusivement des pièces ethnographiques. En revanche, à partir de 1933, une salle de préhistoire exotique a été créé, mais aucun vestige osseux ne figure 13 Texte daté du 21 avril 1934, Muséum d’histoire naturelle, Paris, 2AM1B1bis. 74 parmi les objets exposés14 respectant toujours cette séparation entre les collections d’anthropologie physique et d’ethnologie mais laisse tout de même une petite place à la préhistoire. Durant l’existence du MET, jamais aucun crâne préhistorique n’a été inclus dans les expositions permanentes et temporaires15. En 1928, Rivet obtint le rattachement du Musée d’ethnographie au laboratoire d’anthropologie du Muséum. Tout comme Hamy tentait de rassembler étude ethnographique de l’homme et d’anthropologie biologique, Rivet avait la volonté de la part de réaliser une étude synthétique de l’homme. Ce rattachement fut la première étape vers le projet de réunir en un même lieu ces deux types d’approche qui sont alors séparés géographiquement et scientifiquement16. En effet, avait dans l’idée de créer véritablement un centre d’enseignement et de recherche sur l’homme où seraient réunies dans un même espace les collections ethnographiques du MET et d’anthropologie physique du Muséum. L’aboutissement de ce projet sera l’ouverture du Musée de l’homme. L’absence de présentation des crânes préhistoriques au MET révèle un changement au niveau de l’anthropologie. En effet, par la prise d’indépendance de l’ethnologie et la création de lieu spécialisé, la présentation des crânes préhistoriques n’a pas lieu d’être au sein de cette nouvelle structure d’exposition qu’est le MET. Les présentations ont un lien avec le savoir anthropologique et tout transformation ou métamorphose au sein de la discipline se répercute sur ces présentations. Elles sont donc totalement liées aux évènements qui émaillent l’histoire de l’anthropologie. 14 Coupures de presses sur l’inauguration de la salle de préhistoire exotique, novembre 1933, Muséum d’Histoire naturelle, Paris, 2AM1B5a. Expositions temporaires de 1933 à 1937, Muséum d’Histoire naturelle, Paris, 2AM1B5. 16 Coupure de presse de 1937, Muséum d’Histoire naturelle, Paris, 2AM1B1bis. 15 75 CONCLUSION 76 Au cours de cette étude, les présentations des crânes préhistoriques au Muséum national d’histoire naturelle et au cours des expositions universelles de 1878 et 1889 ont été envisagées afin de déterminer pour quelles raisons ces crânes ont fait l’objet d’une présentation. Aussi deux explications principales ont conduit à justifier la mise en place de la présentation des crânes préhistoriques : une explication concernant la diffusion des connaissances et la promotion du savoir anthropologique et celle concernant l’expression de théories scientifiques, la défense d’un point de vue scientifique. Il est possible de dire que l’une des raisons qui encouragent les scientifiques à exposer les crânes préhistoriques est la diffusion des connaissances anthropologiques. Concernant le cas des Expositions universelles de 1878 et de 1889 à l’initiative de la Société d’anthropologie de Paris, ces crânes sont donnés à voir au public en vue de promouvoir l’anthropologie qui se pratique au sein de cette société. Ces crânes sont dans un cas présentés en tant que matériel d’étude de cette discipline au côté d’autres pièces utiles à cette étude telle que des moulages de cerveaux, des portions de squelettes humains, de crânes de différents types ethniques. Ces présentations de crânes préhistoriques dans cette situation d’exposition contribuent à donner une définition de l’Anthropologie qualifiée de générale par le fondateur de cette société qui est Paul Broca. Ces crânes préhistoriques étaient également présentés afin de rendre compte de ce que Broca appelle l’ « Anthropologie spéciale », c'est-à-dire une anthropologie participant à apporter une connaissance très précise de l’étude de l’homme (Ministère de l’agriculture et du commerce, 1878). Dans ce cas de figure, les crânes étaient exposés au sein de la section développant la discipline de l’anthropologie préhistorique. Par leur présence, ceux-ci contribuaient d’une part à faire un état des lieux des connaissances de ce domaine à l’instant de l’Exposition universelle, cela est le cas pour 1878 et 1889. Toutefois, une petite nuance différencie les présentations des crânes préhistoriques lors de ces deux occasions. Il s’agit qu’en 1889, ces crânes qui étaient donnés à voir principalement par des structures scientifiques étrangères à la Société d’anthropologie de Paris, conduisaient par leurs diversités à évoquer une variété de théories scientifiques et de direction de recherche. Par exemple, la SAP au cours de cette exposition de 1889, était venue donner à voir son anthropologie, discipline qui s’attache à l’étude de l’homme dans sa globalité afin d’obtenir une meilleure connaissance de cette espèce. 77 Parmi, les nations présentes à cette exposition le Danemark fut compté. Leur exposition donnait à voir un ensemble de crânes préhistoriques et gallo-romain retrouvé exclusivement sur le territoire danois. Par le choix des pièces exposées, qui se limitaient aux pièces danoises, exprimait la direction optée par l’ensemble des scientifiques représentant cette nation. En effet, ce choix de pièces témoignait des recherches anthropologiques qui s’effectuaient dans ce pays. Il s’agissait d’une recherche portée par des idées patriotiques et politiques dans le but de déterminer l’ancienneté des origines du peuple danois. Le fait d’exposer des crânes préhistoriques permet en quelque sorte de donner à voir les preuves d’une grande ancienneté de ce peuple. Cela encourageant les scientifiques à exprimer l’idée selon laquelle le peuple danois est inféodé au territoire du Danemark. Outre le fait que la présentation des crânes préhistoriques peut être un moyen d’affirmer son point de vue politique (Exposition universelle 1889, Danemark). L’exposition de ces crânes préhistoriques est l’occasion pour les scientifiques de divulguer au public leurs théories scientifiques. En effet, le classement des pièces au sein de l’espace d’exposition ressort d’un choix de la part de l’auteur de ces expositions. Cela se retrouve dans l’ensemble des cas d’exposition des crânes préhistoriques étudiés au cours de ce mémoire. Par exemple, Quatrefages, professeur à la chaire d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle dès 1855, fut responsable de la valorisation de la galerie d’anthropologie dépendante de cette chaire. Le classement des pièces occupant cette galerie fut réalisée par son aide naturaliste, Hamy (Hamy, 1907). L’arrangement des crânes suivis lors des expositions au sein de cette galerie est celui établi par Quatrefages et Hamy, à partir de 1873, dans les Crania ethnica. Cet arrangement au sein de cet ouvrage fut déterminé à partir des études successives de crânes fossiles et modernes de toutes régions géographiques. Ces études de ces crânes ont permis à ces scientifiques de distinguer trois races fossiles à partir des caractères morphologiques : la race de Canstadt, de Cro-magnon et de Furfooz (Quatrefages, Hamy, 1882). Ce classement est issu des études menées par ces deux scientifiques et traduisent des théories partagées par ceux-ci. La présentation des crânes préhistoriques de la galerie suit cette distinction. L’agencement des collections anthropologiques de cette galerie rend compte et matérialise les théories de Quatrefages. 78 Certain choix de pièces par les anthropologues, conduit ces scientifiques à prendre position vis-à-vis à certains débats scientifiques. Cela est par exemple le cas, concernant la présentation de la mâchoire de Moulin-Quignon. En effet, dès la découverte de ce vestige en 1863, son authenticité fut remise en cause. Cette mâchoire était placée au côté des autres crânes préhistoriques dans la galerie d’anthropologie de la cour dit de la baleine. Par ce choix d’exposition, Quatrefages montra aussi bien au public qu’aux scientifiques susceptibles de venir sa position concernant cette mandibule, c'est-à-dire aucun sur authenticité. Outre les raisons pour lesquelles ces présentations des crânes préhistoriques sont réalisées, elles attestent de l’évolution du domaine de l’anthropologie auxquelles ces dernières sont rattachées. Ces présentations étant liées fortement au savoir anthropologique, les changements observés dans ces présentations, témoignent des transformations qui s’opèrent au sein même de la discipline. En effet, les changements de visions ou d’intentions de la part des scientifiques ont une répercussion sur le mode de présentation des pièces. Cela a été notamment pu être observé lors du changement du lieu de galerie d’exposition des pièces anthropologiques en 1898, où à partir de cette date, un réel effort de diffusion des connaissances scientifiques fut réalisé en épurant les présentations en faisant un choix des crânes. Cela atteste véritablement d’une évolution dans la considération des présentations scientifiques et de l’importance de la diffusion des connaissances. Il n’est plus question de tout exposer, seule les pièces les plus représentatives et les plus informatives qui y sont présentées Cela est consécutif de l’objectif de ces présentations qui est liée au statut de l’anthropologie. En effet, en 1898, cette discipline est alors connue par le public. L’exposition des pièces est alors centrée plus particulièrement sur la visibilité des connaissances. Le souci de la manière dont le public accède à l’information et la façon dont il la reçoit est alors au centre des préoccupations (Verneau, 1898 : 328). Ces transformations ne concernent pas uniquement les considérations de diffusion des connaissances, puisqu’ils sont révélateurs également de l’évolution des disciplines du champ de l’anthropologie. Par exemple, en 1878, un nouveau lieu d’exposition et de conservation vit le jour. Il s’agit du Musée d’Ethnographie du Trocadéro. Créé grâce à 79 l’initiative personnelle de ET Hamy (Hamy, 1890), ce lieu a pour objet de conserver et de présenter au public l’ensemble des pièces relatives à l’ethnologie. Cette création rend compte d’un véritablement changement dans le champ de l’anthropologie. En effet, discipline exercée le plus souvent en complément de l’anthropologie physique (Williams ,1985) celle-ci se dissocia de cette anthropologie et pris son indépendance. Il s’agit du début de la spécialisation des disciplines anthropologiques. Cette évolution disciplinaire a eu un impact réel sur la présentation des collections de crânes préhistoriques. En effet, cette nouvelle structure, dédiée aux productions humaines, tranche par rapport aux schémas officiels de présentation des crânes préhistoriques. Voulant envisager l’homme dans sa globalité, les études de l’époque l’étudiaient autant que possible d’un point de vue culturel, moral et physique. Ainsi, par exemple lors des expositions de la SAP aux Expositions universelles, il était possible pour le visiteur de trouver au sein d’un même lieu à la fois des crânes préhistoriques et modernes mais également des pièces relatives à l’ethnologie. Il en est de même pour les présentations de la galerie d’anthropologie à partir de 1898, où sont exposés simultanément crânes de toutes époques et productions matérielles dont les collections sont arrangées par Hamy (Verneau, 1898). En revanche, bien qu’Hamy de la même façon au Musée d’Ethnographie essaya de présenter des productions culturelles avec quelques pièces éparses d’anthropologie physique afin de considérer l’homme présenté, dans sa globalité, celui-ci ne fit pas rentré dans ce Musée des pièces relatives à l’ethnographie préhistorique. Outre le fait, il est vrai que par la présence du Musée de Saint-Germain en Laye à partir de 1867, la majorité des pièces d’archéologie préhistoriques y fut portée, la question de l’ethnologie préhistorique ne fut pas posée, ni envisagée de la part de Hamy. Pourtant, dans les expositions que ce soit lors des présentations de la SAP à l’exposition universelle de 1878 et 1889, ou dans les galeries d’anthropologie de la cour dit de la Baleine ou de la place Valhubert, les crânes préhistoriques présents ainsi que les pièces qui les accompagnaient permettaient entre autre de réaliser une comparaison entre spécimens fossiles et modernes. Dans le Musée d’Ethnographie du Trocadéro, cela n’est pas possible puisque la période préhistorique est absente de ce lieu. Une nouvelle fois la discipline au sein de cette nouvelle institution contraste avec les pratiques de l’étude de l’homme de l’époque qui furent exercées par la SAP ou au sein du Muséum. Dans ce 80 cas, l’absence de la présentation des crânes préhistoriques au MET, est le résultat de cette indépendance de l’ethnologie vis-à-vis des autres sciences anthropologiques. Il est alors possible de remarquer que les présentations des crânes préhistoriques évoluent en fonction des scientifiques et des théories défendues qui leur est propre mais également en raison des évolutions internes au champ de la science anthropologique. Ces éléments de réponses concernant les raisons justifiant la présence des crânes préhistoriques à partir d’une étude s’inscrivant entre 1887 et 1937, englobe un questionnement plus général concernant les expositions de l’homme. Cette problématique semble actuelle. En effet, lors la rénovation du Musée de l’Homme (Mohen, 2004), une commission a été constituée afin de se positionner sur un ensemble de thématiques relatives à l’exposition de l’espèce humaine. Ce nouveau musée à pour projet de rendre compte à la fois de l’histoire naturelle et culturelle de l’homme. Afin de le réaliser un ensemble de questions sont envisagées afin de rendre compte et de mettre en valeur le mieux possible des connaissances contemporaines concernant l’espèce humaine. Pour cela, cette commission a réfléchi sur le rôle de ce nouveau Musée, sur comment sensibiliser le public aux thématiques de l’anthropologie, notamment l’unité et la diversité de l’espèce humaine, sur les origines de l’homme. En dehors de toutes considérations muséologiques, une question de fond semble persister au regard de l’étude qui a été menée sur les présentations de crânes préhistorique, qui est : pourquoi exposer des collections Cette question est celle qui semble donner sens aux présentations de collection que ce soit d’anthropologie ou d’autre domaine. 81 BIBLIOGRAPHIE 82 I-DOCUMENTS D’ARCHIVES ET MANUSCRITS A-Archives nationales, Paris Fonds d’Archives du Muséum d’histoire naturelle: AJ/15/644: Minutes des procès-verbaux des assemblées des professeurs du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, 2e semestre 1832. AJ/15/842 et AJ/15/843: Les galeries entre 1837 et 1900. Fonds d’archive du commerce et de l’industrie: F/12/3268: Rapport administratif d’activité sur l’Exposition universelle de 1878. Fonds d’archives de l’Instruction publique: F/17/13566 et F/17/13567: Chaires du Muséum de 1813-1937. 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(http://classiques.uqac.ca) 93 ANNEXES 94 ANNEXE 1 Entrée des crânes préhistoriques au laboratoire d’anthropologie du Muséum (d’après le catalogue des entrées des collections du laboratoire d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle) Date d’entrée N° de prise en charge Nombre Désignation 30 janvier 1864 48 11 mai 1864 188 9 septembre 1867 379 Non précisé Ossements humains trouvés dans les terrains de transport de Moulin Quignon par Mr Boucher de Perthes en 1863 et 1864 (dont la mâchoire). 8 décembre 1868 570 Non précisé 28 décembre 1868 169 10 Crânes et ossements divers recueillis à la station des Eyzies, caverne CroMagnon sous la direction de Louis Lartet. Pièces moulées sur la collection originale de crânes recueillie sous la direction de Louis Lartet dans la caverne de Cro-Magnon. 8 juillet 1870 239 2 Moulages de mâchoires humaines (supérieure et inférieure d’enfant) de la caverne de Chaveau (Ariège). Juin 1871 21 juin 1871 310 311 21 juin 1871 312 3 Non précisé 1 156 4 Crânes et nombreux os séparés Fragment ossements brisés de la grotte d’Aurignac Fragment osseux de la grotte de Lourde Exemplaires en plâtre de la mâchoire de Moulin-Quignon 236 4 Donateurs 1864 Dents humaines inférieures appartenant à la mâchoire de la Naulette. Fragments de crânes anciens provenant de tombes mégalithiques du Danemark. Don de Pruner-Bey Don de Steenstrup 1867 Don de Boucher de Perthes 1868 Don de Durey Ministre de l’Instruction publique Don de Durey Ministre de l’Instruction publique 1870 Envoi de Mr Spring 1871 27 octobre 1871 Famille Martin Don Lartet Don Lartet Moulé par Stahl 1872 3 août 1872 31 1872 décembre 424 bis 1 Crânes en plâtre peint et stéatinés provenant de la grotte sépulcrale de l’homme mort commune de St Pierre des Tripiers (Lozère), Néolithique. Squelette humain fossile des grottes des Baoussé-Roussé. Don de l’EPHE par Broca en échange de Cro-Magnon. Envoi de Rivière. 95 Date d’entrée N° de prise en charge Nombre Désignation Donateurs 21 janvier 1873 17 2 Crânes moulés du Frontal à Furfooz en Belgique. 1er mai 1873 142 1 Moulage du crâne de la Truchère Don du musée royal d’Histoire naturelle de Belgique Don de Hamy 5 1 1er mai 1874 144 1 7 juin 1874 182 1 8 juin 1874 183 1 1874 202 1 1874 203 1 Crâne avec sa mâchoire des Hauts de Grenelle Crâne presque entier de Camp de Chassey (Côte d’Or) Moulage du crâne de la grotte de Béthenas (Isère) Crâne trouvé dans des alluvions néolithiques Voûte de crâne trouvée dans le quaternaire inférieur de Clichy. Crâne du dolmen de Meudon 1er février 1875 22 juin 1875 41 246 3 3 1er juillet 1875 341 3 12 octobre 1875 379 3 11 mai 1876 243 1 5 juillet 1876 294 2 30 1878 décembre 638 1 Moulage de la voute du crâne de l’homme fossile de Büre 30 1880 décembre 591 1 Moulage d’un crâne attribué à Bolo Sovo et supposé quaternaire. 4 juillet 1881 284 1 Crâne néolithique de la sépulture de St Vérain en Puisaye. 1er août 1889 Non précisé 1 382 1 438 5 570 1 Moulage d’un crâne préhistorique trépané trouvé à Palure de Crozon Mâchoire humaine trouvée dans la caverne de Malarnaud 4 Voûtes crâniennes provenant de sépultures néolithiques de la Marne et 1 crâne complet. Crâne de l’époque néolithique trouvé dans la grotte sépulcrale de Sorgues. 1873 1874 8 janvier 1874 Don de E Martin Don de Longuey Don de Chantre Don de Hauteman Don de Pruner-Bey et Bertrand. 1875 Crânes des cavernes de Wierschow Moulages de crânes préhistoriques d’Irlande (Blackwater river, Drainge river) Epreuves du moulage d’une voute crânienne des niveaux de Grenelle. Moulages de crânes de la grotte de Baye (Marne) Don de Wundt Stahl Don de Broca 1876 Moulage du crâne de la Flores (archipel de la Sonde) Moulages de crânes préhistoriques de St Nazaire. Don de Ornstein Don de Kervider 1878 Don de la société de Vienne 1880 Don de Tihomirow 1881 Don de Bert 1889 29 1889 1889 novembre 29 1890 décembre Don de Chatellier Don de Regnault Don de Bayre Don de Sambrecy 96 Date d’entrée N° de prise en charge Nombre Désignation Donateurs Non précisé 1 Collection de PrunerBey Non précisé 34 Fragment de voute crânienne de Lozère Crânes préhistoriques du midi de la France 1900 30 juin 1900 30 juin 1900 Collection de PrunerBey 1904 29 juin 1904 Non précisé 20 avril 1913 36 26 22 crânes préhistoriques incomplets du midi de la France et 4 mâchoires. Collection de PrunerBey 1913 Moulage du crâne et du volume intracrânienne d e la Chapelle aux Saints. Don du Laboratoire de Paléontologie du Muséum Moulage du crâne de Chancelade 1919 1919 10 4 1919 1919 1919 10 10 10 1 1 1 Pièces de moulage de Piltdown (crâne et mandibule, base de la canine, branche droite de la mandibule) Moulage du crâne de Gibraltar Moulage du crâne d’Heidelberg Moulage du crâne de Galley Hill 1922 1922 22 28 1 1 Crâne de La Quina en Charente Moulage de l’homme de Chancelade 1922 29 2 1922 31 1 Moulages du jeune homme de Grimaldi Moulage d’un crâne de l’allée couverte de Vandecaut 1925 2 1 Achat Damon Achat Damon Achat Damon Achat Damon 1922 Don de Martin Don du Laboratoire de Paléontologie du Muséum 1925 Moulage de Broken-Hill Achat de Don de Damon 1929 1929 1 Moulage du crâne de Roc Martin 97 ANNEXE 2 Anciennes galeries d’Anatomie comparée (Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, 2010). 98 ANNEXE 3 Entrée de l’exposition des sciences anthropologiques de la Société d’anthropologie de Paris à l’Exposition universelle de 1889 (Catalogue officiel de l’Exposition universelle de 1889, t 2) 99 ANNEXE 4 Galeries d’anatomie comparée, de paléontologie et d’anthropologie (La nature, n°1297, 2 avril 1898, pp 296) 100 ANNEXE 5 Galerie d’anthropologie de 1898, vue du balcon (Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, 2010). 101