DoSSier : l’économie Du carbone IntroductIon Du carbone Jean-Marc danIel J ules Verne avait intitulé un de ses romans Les Indes noires, expression désignant l’exploitation du charbon. Il s’agissait pour lui de rappeler que la Grande-Bretagne du XIXe siècle avait construit sa richesse sur la gestion d’un empire symbolisé par les Indes et sur ce charbon devenu la principale source de l’expansion économique du pays. Indes noires Si la fascination pour le charbon est une des constantes du XIXe siècle, les physiocrates lui avaient dès la fin du XVIIIe siècle attribué un rôle privilégié. Derrière leur parti pris agricole, il y avait l’idée que la croissance repose sur le soleil grâce à l’énergie dont il inonde la terre. Or, le charbon, c’est le soleil mort, le soleil d’un temps immensément lointain gardé par la terre pour être mis à disposition des hommes. Pourtant, les physiocrates s’en méfiaient. Dupont de Nemours insistait sur les différences entre l’agriculture et le charbon : alors que le processus agricole se renouvelle d’année en année et se revitalise d’un soleil toujours vivant, le charbon, matière inerte, 30 • Sociétal n°64 s’épuise ; alors que l’agriculture peut embellir la nature des couleurs des plantes cultivées, le charbon la défigure de déchets accumulés ; alors que l’agriculture préserve la terre pour la rendre toujours plus productive, le charbon enlevé tourmente le sol en affaissement et en bouleversement géologique. Bref, dès le début, le charbon a eu mauvaise presse. Le XIXe fut moins sévère voyant dans les Indes noires son enrichissement. Mais il a décrit abondamment les dégâts humains de la mine. Les mineurs, héros mythiques de la Révolution industrielle, en furent aussi les victimes par silicose interposée. Quant au XXe siècle, il a continué à exploiter le soleil mort, mais de plus en plus sous forme de pétrole auquel il a eu un rapport angoissé, non pas relativement aux dégâts causés mais au manque annoncé. Soleil mort Avec le XXIe siècle, la stigmatisation du soleil mort a pris une ampleur inégalée. Les accu- Du carbone sations que l’on porte sur lui sont désormais planétaires. À cause de lui, les températures caniculaires ne sont plus cantonnées dans les galeries de mine mais se répandent au point de modifier la vie de tous. Le charbon, en fait le carbone, en fait le gaz carbonique (CO2), synonyme naguère de révolution industrielle, donc de richesse, donc d’amélioration des conditions de vie serait en train de détruire purement et simplement l’humanité. Tel est le verdict des climatologues, argumentant pour une réaction contre le CO2. Les économistes ne peuvent dès lors plus se contenter d’assimiler les matières premières fossiles à des facteurs de production et à une composante de la croissance. Face à l’augmentation continue du taux de CO2 dans l’atmosphère, toutes les disciplines scientifiques sont mobilisées. La question qui se pose à une revue comme Sociétal est celle du rôle spécifique de l’économie dans ce combat. Dans le dossier qui suit,Alain Bienaymé le rappelle : le premier enjeu pour les économistes est de s’immiscer dans un débat qui se focalise en ce moment plutôt entre les climatologues, les hommes politiques, les vecteurs d’opinion et les néo-païens porteurs du fondamentalisme écologiste. C’est-à-dire qu’il s’agit pour les économistes de se montrer utiles en apportant une série de propositions qui pourraient contribuer à une réduction drastique des quantités de CO2 émises. Remèdes En pratique, face à cette pollution que les économistes qualifient d’externalité, deux solutions existent. La première est de créer des impôts qui, en modifiant les prix, modifient les comportements. Dans la célèbre typologie de Musgrave sur les missions de l’État, une des trois fonctions essentielles de la puissance publique est la gestion des externalités par la fiscalité. Dans le dossier, Michel Taly, résumant les travaux de l’Institut de l’entreprise sur la taxe carbone, rappelle qu’il faut rester simple et ne pas se tromper sur la nature du problème et l’outil qu’il réclame. La taxe carbone existe, les fiscalistes l’ont rencontrée ! Elle s’appelle la TIPP. L’introduction d’une fiscalité écologique suppose non pas d’inventer de nouveaux impôts mais de revoir le contenu de la TIPP. Les inventeurs de cette taxe l’avaient centrée sur les transports, sorte de super-péage sur le trafic automobile destiné à fournir les moyens d’entretenir le réseau routier. En changeant de nature politique, la TIPP changerait de dimension sans que les modalités de sa perception soient fondamentalement revues. La seconde solution proposée par les économistes est de construire un marché des droits à polluer. La création d’un système coût/récompense pour les entreprises dans leur gestion d’émission de CO2 non seulement crée une incitation à contenir la pollution mais encore insuffle une dynamique qui rend intéressant de la réduire. Anaïs Delbosc et Benoît Leguet expliquent le fonctionnement du marché mis en place en Europe dans la foulée des accords de Kyoto. Ce marché va entrer dans une deuxième phase, sur des bases renouvelées. À la lumière de la première phase qui s’achève, on peut considérer qu’un de ses problèmes majeurs, à l’instar du modèle de référence que constitue le marché monétaire, est de savoir s’il peut vivre sans un régulateur ultime, un prêteur en dernier 2 eme trimestre 2009 • 31 Dossier : l’économie du carbone ressort susceptible de créer et de détruire des droits à polluer en fonction de l’évolution de la conjoncture. Jusqu’à présent, ce marché a été conçu sans régulateur, sans l’équivalent d’une banque centrale. Résultat, l’attribution initiale de droits ayant été trop généreuse, les cours ont rapidement baissé, le vidant d’une partie de sa substance. Par-delà les déclarations plus ou moins solennelles des sommets qui s’enchaînent, les outils fiscaux ou monétaires du carbone sont ceux assez traditionnels de la politique économique usuelle. Il ne leur manque que le décideur ultime associé à toute politique économique, le régulateur arbitrant et gérant le policy mix, l’équivalent du couple État-banque centrale. Outre cette difficulté, un autre risque menace la logique du combat contre le CO2. En effet, comme le rappelle Rémy Prud’homme, en 32 • Sociétal n°64 créant des contraintes fortes dans des économies peu polluantes tout en laissant faire des économies très polluantes, on ôte sa légitimité à ce combat. Le débat prend alors un tour nettement politique.Ainsi, les résistances chinoises sur Kyoto sont connues ; et à bien des égards compréhensibles. Car aujourd’hui, Jules Verne parlerait probablement de Chine noire plutôt que d’Indes noires. Producteur et consommateur de charbon, la Chine, en besoin croissant d’énergie, n’a de cesse de dénoncer le néoprotectionnisme écologique de l’Occident. Pour elle, les Occidentaux qui, au XIXe siècle, empêchèrent par la force l’Asie de les concurrencer auraient trouvé un nouveau moyen d’étouffer sa croissance : le terrorisme non plus des armes mais des idées. Mais on entre là dans un domaine qui dépasse l’économie pour être celui de la politique, c’est-à-dire de la capacité des dirigeants à se mettre d’accord sur des points de vue partagés.