STRATÉGIES Mots clés : neurophysiologie ; psychologie médicale ; thérapie par rétrocontrôle biologique DOI : 10.1684/med.2014.1117 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Jean-Arthur Micoulaud-Franchi1,2,3 Céline Balzani1, 2, 3 Olivier Pallanca3, 4, 5 Sébastien Tassy6, 7 AgnèsBrion3, 8 Jean Vion-Dury 1, 2, 3 1 Hôpital Sainte-Marguerite, Pôle de Psychiatrie Universitaire, Unité de Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neurophénoménologie (UNPN), Solaris, 270 Bd de Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France 2 Laboratoire de Neurosciences Cognitives (LNC), UMR CNRS 7291, 31 Aix-Marseille Université, Site St Charles, 3 place Victor Hugo, 13331 Marseille cedex 3, France 3 Association Française d’Enseignement et d’Étude de la Psychophysiologie Appliquée et du Biofeedback, AFEEPAB. 4 Centre Médical Veille-Sommeil, SCMVS, 10 rue Édouard Detaille, 75017 Paris, France 5 CHU Pitié-Salpétrière, Service de Neurophysiologie Clinique, 48, Boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France 6 Hôpital Sainte-Marguerite, Pôle de Psychiatrie Universitaire, Solaris, 270 Bd de Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France 7 Faculté de Médecine, Institut de Neurosciences de la Timone (INT), 27, boulevard Jean Moulin, 13005 Marseille, France 8 CHU Pitié-Salpétrière, Service des Pathologies du Sommeil, 47-81, Boulevard de l’Hopital, 75013 Paris, France jarthur.micoulaud @gmail.com Stratégies thérapeutiques Le biofeedback (ou thérapie par rétrocontrôle biologique) est un procédé psychophysiologique d’enregistrement informant en temps réel sur le niveau de fonctionnement d’un système physiologique donné. Il permet de développer diverses stratégies d’ajustement perceptivo-cognitives, affectives et comportementales. Il augmente le sentiment de contrôle perçu du patient par la boucle psychophysiologique rétroactive que cette technique met en place. Ce sentiment de contrôle perçu est une variable importante en psychologie de la santé, qui s’intègre dans le nécessaire développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées dans le contexte des maladies chroniques et dans le modèle intégratif de la maladie et de la santé. Nous proposons ici une synthèse des niveaux de preuve d’efficacité du biofeedback, dans les différents domaines de la médecine. Abstract: Biofeedback: Evidence 2014 Biofeedback (or biological therapy feedback) is a psychophysiological recording method for providing real-time information on the level of functioning of a given physiological system. This technique is at the confluence of psychophysiology and health psychology: the myofeedback can be used in the protocols of rehabilitation physiotherapy, the cardiofeedback can act on perceived stress and develop cognitive and emotional strategies of adjustment with stress. Neuro-feedback can be used as a supplementary means for the treatment of Attention Deficit Hyperactivity Disorder (ADHD) and drug-resistant epilepsy. The biofeedback cannot be considered as an isolated therapy. Its level of evidence of efficiency must be reinforced by double-blind randomized controlled additional studies. Clinical efficiency requires an appropriate training of therapists. Key words: Biofeedback, Psychology; Neurophysiology; Psychology, Medical Biofeedback : données factuelles 2014 Le modèle intégratif de la maladie issu des concepts de la psychologie de la santé souligne l’importance de l’interaction entre l’individu et son environnement sur l’évolution d’un processus pathogène chronique [1] : le sujet ne subit pas passivement une situation aversive mais adopte pour lui faire face diverses stratégies perceptivo-cognitives, affectives et comportementales qui peuvent en améliorer le pronostic. Parmi ces processus de transaction, deux variables importantes sont à prendre en compte : le contrôle perçu et les stratégies d’ajustement. Le contrôle perçu correspond à l’évaluation par le patient de ses ressources personnelles et de sa capacité à contrôler la situation à laquelle il est confronté. Il est généralement protecteur pour la santé, alors qu’un sentiment de perte de contrôle est plutôt délétère. En fonction notamment de ce contrôle perçu, le patient élabore un ensemble de stratégies d’ajustement ou de coping qu’il interpose entre lui et l’événement afin de 256 MÉDECINE juin 2014 maîtriser, réduire ou tolérer l’impact de celui-ci sur son bien-être physique et psychologique [1]. Le biofeedback s’intègre dans le développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées dans le contexte des maladies chroniques [2] et dans le modèle intégratif de la maladie et de la santé [3]. Les techniques de biofeedback ont cependant l’avantage théorique par rapport aux autres thérapies d’ordre psychologique (par exemple les techniques d’acceptation et d’engagement ou de pleine conscience) de créer un sentiment d’auto-efficacité de manière très rapide, souvent dès la première séance, et en temps réel par le renforcement positif physiologique [4]. Leur originalité est d’être des thérapies d’ordre psychophysiologique et pas simplement psychologique. Pourtant, et bien que le biofeedback soit utilisé depuis plus de 30 ans, il reste très peu connu en France, où son utilité est largement sous-estimée. Aucun article de synthèse sur cette STRATÉGIES Stratégies thérapeutiques technique n’a été réalisé depuis le remarquable livre de Rémond [5]. Définition du biofeedback Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. L’AAPB (Association for Applied Psychophysiology and Biofeedback) définit le biofeedback comme « un procédé psychophysiologique d’enregistrement permettant de fournir une information en temps réel sur le niveau de fonctionnement d’un système physiologique donné ». Rémond propose une définition complémentaire, les techniques de biofeedback étant un « groupe de procédés thérapeutiques qui utilise une instrumentation électronique ou électromécanique. Cette dernière permet de mesurer avec précision, traiter et représenter, sous forme analogique ou numérique, une information aux propriétés renforcées, sur l’activité neuro-musculaire ou l’activité autonome (normale ou anormale) des individus au moyen de signaux sonores ou optiques. Ses objectifs – d’autant mieux atteints qu’ils sont effectués sous l’égide d’un professionnel compétent dans le domaine du biofeedback – sont d’aider les individus à développer une meilleure conscience et un contrôle volontaire plus intense de leurs processus physiologiques, processus pratiquement inconscients (c’est-à-dire peu indépendants a priori, ou indépendants d’un contrôle volontaire), ceci en contrôlant d’abord le signal externe, puis finalement en utilisant des moyens psychophysiologiques internes » [6]. Le biofeedback met donc en place une boucle psychophysiologique rétroactive qui ne s’avère complète que lorsque le patient dirige son intentionnalité vers l’information issue de l’enregistrement réalisé afin de chercher à la contrôler [4]. Figure 1. Dispositif technique et thérapeutique utilisant le biofeedback. D’après [4]. Développement du biofeedback Des expériences animales puis humaines ont montré dans les années 1950-1960 que des paramètres électrophysiologiques viscéraux, musculaires ou cérébraux pouvaient être soumis à un protocole de conditionnement opérant. Il s’agit d’un concept d’apprentissage fondamental en psychologie expérimentale, postulant que le comportement d’un animal ou d’un humain présente une probabilité d’apparition modulable par la manipulation des contingences de renforcement positive ou négative (apprentissage). Un comportement (ou « opérant ») peut par exemple être renforcé par la délivrance de nourriture. Le conditionnement opérant se distingue du conditionnement classique (« réflexe ») qui consiste à transformer un stimulus qui ne provoque habituellement pas de réaction physiologique (dit stimulus faible/inefficace/conditionnel, comme le son d’une clochette, qui ne provoque pas la salivation) en un stimulus qui déclenche une réaction physiologique (dit alors stimulus conditionné) lors d’une phase d’apprentissage où le stimulus faible est associé à un stimulus dit fort/absolu/inconditionnel (comme la délivrance de nourriture associé au son d’une clochette). Depuis les années 1960-1970, les techniques de biofeedback sont appliquées à la pathologie humaine, notamment dans le champ de l’épilepsie par l’enregistrement de l’activité électro-encéphalographique (biofeedback appelé neurofeedback) et dans le champ de la rééducation des troubles de la motricité et des fonctions sphinctériennes (biofeedback appelé myofeedback). Le biofeedback est ainsi devenu une technique dépassant le seul paradigme du conditionnement opérant pour intégrer les prises en charge de thérapie cognitivo-comportementale, de remédiation cognitive ou de rééducation kinési-thérapeutique. Des sociétés savantes ont alors promu la recherche, la diffusion et la formation aux applications thérapeutiques du biofeedback. L’AAPB (Association for Applied Psychophysiology and Biofeedback) a ainsi été créée en 1969 ; en son sein, le neurofeedback a pris une telle importance dans le début des années 90, que la SSNR (Society for the Study of Neuronal Regulation) s’en est détachée ; elle est devenue en 2000 l’ISNR (International Society for Neurofeedback and Research). En Europe, la BFE (Biofeedback Foundation of Europe) a été créée en 1997. En France, l’AFEEPAB (Association Française pour l’Enseignement et l’Étude de la Psychophysiologie Appliquée et du Biofeedback) a été créée en 2012. Cette association est rattachée à l’AAPB et certains de ces membres sont également rattachés au BFE. Techniques de biofeedback Les techniques de biofeedback peuvent traiter divers paramètres physiologiques : électroencéphalogramme (EEG), MÉDECINE juin 2014 257 STRATÉGIES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Stratégies thérapeutiques électrodermogramme (EDG), électrocardiogramme (ECG), fréquence respiratoire (RESP), électromyogramme (EMG), thermogramme (TEMP), et oxygénation (O2 et CO2). Plus rarement, l’imagerie par spectroscopie proche infrarouge cérébrale (Near Infrared Spectroscopic Imaging, NIRSI) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle cérébrale (IRMf) peuvent être utilisées pour mesurer le niveau d’oxygénation d’une zone du cerveau [7]. Quels que soient le protocole de biofeedback et le type des paramètres physiologiques mesurés, traités et objectivés par l’interface technique, la participation active et la motivation du sujet sont indispensables. La durée et la fréquence des séances varient en fonction des études, généralement entre 30 et 60 minutes, une à trois fois par semaine sur une période de plusieurs semaines. Les protocoles de biofeedback peuvent être proposés pendant toute la séance de manière continue, le sujet recevant alors un feedback positif chaque fois que l’évolution du signal se fait dans le sens désiré. Pour favoriser les capacités d’apprentissage, la séance peut se décliner en plusieurs séquences de feedback (d’une durée de quelques minutes chacune) entrecoupées de phases de repos pendant lesquels le praticien explicite les stratégies cognitives de régulation mises en place [4]. Quel que soit le type de protocole, il est important que le patient soit encouragé à la fin des séances à transposer dans la vie quotidienne les stratégies cognitives développées. À la fin de chaque séance le patient regarde avec le thérapeute sa courbe d’entraînement pour analyser l’évolution du paramètre physiologique pendant la séance (l’évolution sur plusieurs séances traduit une courbe d’apprentissage). Les courbes d’entrainement et d’apprentissage sont importantes pour renforcer le sentiment de contrôle perçu des patients en transformant progressivement un lieu de contrôle externe (croyance dans le fait que les événements ultérieurs dépendent de facteurs externes comme le destin ou le hasard sur lequel on ne peut agir que difficilement) en lieu de contrôle interne (croyance dans le fait que les événements ultérieurs dépendent de facteurs internes comme des stratégies cognitives, des actions, des efforts). Applications cliniques psychophysiologiques démontrées L’AAPB, l’ISNR et le BFE se sont attachés, selon des recommandations proche de celle de la HAS [8], à regrouper et grader les données factuelles concernant le biofeedback [9, 10] selon 5 niveaux. À l’inverse du système utilisé par la HAS, le grade 5 est le niveau de preuve le plus élevé, correspondant à une seule indication thérapeutique : l’incontinence urinaire chez la femme (la rééducation périnéale est d’ailleurs la seule indication où des séances de biofeedback peuvent être remboursées en tant que telles par la Sécurité sociale en France). Les indications de grade 4 sont : les troubles anxieux, le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), l’épilepsie, le syndrome algo-dysfonctionnel de l’appareil manducateur (SADAM), la constipation chez l’adulte, la douleur chronique, les céphalées et l’hypertension artérielle. Nous proposons de présenter ces différentes indications en fonction de leurs logiques psychophysiologiques en lien avec le principe du biofeedback. Figure 2. Classement des techniques de biofeedback selon leurs logiques psychophysiologiques et principales indications reconnues par l’AAPB. EMG : électromyogramme ; SADAM : syndrome algo-dysfonctionnel de l’appareil manducateur ; RESP : fréquence respiratoire ; VFC : Variabilité de la fréquence cardiaque ; EDG : électrodermogramme ; EEG : électroencéphalogramme ; SCP : slow cortical potential ; TDAH : trouble déficit de l’attention avec hyperactivité. 258 MÉDECINE juin 2014 STRATÉGIES Stratégies thérapeutiques Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Myofeedback et psychophysiologie des activités musculaires L’enregistrement de l’EMG informe le patient sur le niveau de contraction de certains muscles, lui faisant prendre conscience d’activités musculaires dont il n’a pas ou difficilement conscience. Dans le cadre de la rééducation de kinésithérapie, le myofeedback permet de mieux intégrer la physiologie des muscles sollicités et par conséquent d’envisager une rééducation mieux comprise, plus précise, plus ciblée et plus adaptée à un objectif fixé [11]. – Rééducation périnéale de l’incontinence urinaire chez la femme (grade 5) : le myofeedback permet à la patiente d’apprendre à percevoir la contraction volontaire analytique de ses muscles périnéaux, de renforcer la contraction volontaire des muscles impliqués dans le système de clôture, de diminuer la contraction instable du détrusor, de diminuer les contractions parasites abdominales et de transférer cet apprentissage dans le cadre de la vie quotidienne en particulier en situation d’effort [11]. Il y a amélioration symptomatique dans environ 70 % des cas [9], plus qu’avec les techniques rééducatives sans biofeedback, les techniques d’électrostimulation, ou les techniques pharmacologiques (Oxybutynin®) [12]. Le biofeedback par sonde manométrique est également utilisé mais s’avère moins efficace que le myofeedback [12]. – SADAM (grade 4) [9]. Le myofeedback permet l’apprentissage de l’allongement de la durée du repos physiologique des muscles manducateurs et de la réduction des mouvements parasites inutiles à la fonction masticatrice [13]. – Dans d’autres domaines de la rééducation kinésithérapeutique, le niveau de preuve reste faible [9]. L’enregistrement EMG pourrait permettre de cibler spécifiquement la rééducation des fibres musculaires de type 1 (« lentes », « rouges », « aérobiques ») ou de type 2 (« rapides », « blanches », « anaérobiques »). Ainsi le myofeedback peut être utilisé dans la rééducation périnéale de la constipation (en particulier distale ou terminale) [14] et des incontinences urinaires de l’homme, dans la rééducation de l’appareil locomoteur, dans la rééducation neurologique à la fois centrale pour l’inhibition de la spasticité et périphérique pour renforcer les premières ébauches de contraction, et dans la rééducation respiratoire des syndromes obstructifs ou restrictifs (le myofeedback pouvant alors être associé au biofeedback RESP) [15]. d’augmenter la VFC en obtenant une alternance régulière et de grande amplitude d’accélérations et de décélérations de la fréquence cardiaque. L’augmentation de la VFC permettrait alors d’augmenter au niveau physiologique les capacités de régulation du système sympathico-vagal et au niveau psychologique les stratégies d’ajustement cognitives et émotionnelles face au stress. Le cardiofeedback peut être couplé à un biofeedback RESP pour augmenter les stratégies d’apprentissage de régulation de la VFC par l’intermédiaire du contrôle respiratoire. Le cardiofeedback serait cependant une technique plus efficace que l’apprentissage du contrôle respiratoire sans biofeedback dans le cadre d’un programme de thérapie cognitive et comportementale de gestion du stress [18]. L’application des techniques de biofeedback dans les troubles anxieux est de grade 4 [9]. La technique de cardiofeedback sur la VFC est la plus utilisée en France [16, 19]. D’autres techniques de biofeedback (EDG, TEMP, RESP, EMG) peuvent être utilisées pour la relaxation [19, 20]. Le myofeedback est également utilisé dans le cadre de l’apprentissage de la relaxation, mais ses effets sur le niveau d’activation sympathico-vagale restent moins établis [19]. Le biofeedback de gestion du stress semble utile dans la prise en charge des troubles anxieux [17, 19], mais aussi dans de nombreuses maladies chroniques [3, 21]. S’il existe des différences psychosociales interindividuelles dans la manière de réagir au stress, il existe aussi des différences physiologiques, et notamment de VFC. Ainsi, un niveau élevé de VFC est associé à une meilleure régulation des émotions et à l’utilisation de stratégies d’ajustement plus adaptées [22]. L’apprentissage d’une augmentation de la VFC pourrait permettre de renforcer les stratégies d’ajustement et améliorer le pronostic du processus pathogène, la santé perçue et les plaintes fonctionnelles [3, 21]. Les pathologies cardiovasculaires sont particulièrement sensibles au stress et une diminution de la VFC est associée à un plus mauvais pronostic [23]. L’indication du biofeedback dans l’hypertension artérielle est de grade 4, mais seulement de grade 2 pour la prévention des coronaropathies ou des accidents vasculaires cérébraux. L’AAPB indique l’utilisation du biofeedback (grade 4) dans les douleurs chroniques, en particulier les céphalées. L’insomnie primaire pourrait aussi bénéficier de cette technique (grade 3) [9], et parfois les maladies chroniques respiratoires – asthme et broncho-pneumopathie chronique obstructive – (grade 2). Cardiofeedback et psychophysiologie du stress L’enregistrement du rythme cardiaque informe le patient sur le niveau d’activation sympathico-vagal. Le cardiofeedback consiste à calculer la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) qui correspond à la variation de l’intervalle R-R (entre deux battements du cœur) au cours du temps [16]. La VFC serait un reflet d’activation et de régulation sympathico-vagale, variant également selon la respiration (arythmie sinusale respiratoire) : la fréquence cardiaque augmente à l’inspiration (inhibition temporaire de l’influence du parasympathique) et ralentit à l’expiration (stimulation du parasympathique) [17]. Le stress entraîne une diminution de la VFC avec une alternance irrégulière, chaotique et de faible amplitude. Le cardiofeedback permet au patient Figure 3. Exemple d’enregistrement de la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC). BPM : battement par minute. HRV : heart rate variability. MÉDECINE juin 2014 259 STRATÉGIES Stratégies thérapeutiques Il serait même équivalent au grade 5 pour le TDAH de l’enfant selon l’American Academy of Pediatrics : il y a sur les composantes d’inattention et d’impulsivité une taille d’effet importante, respectivement de 1,02 (0,84-1,21) et 0,94 (0,76-1,12) et, sur la composante d’hyperactivité, une taille d’effet modérée de 0,71 (0,54-0,87), comparativement à des groupes contrôles recevant ou non un traitement conseillé pour le TDAH [26]. Cette taille d’effet est similaire à celle de la médication par méthylphénidate seule. Dans les épilepsies pharmacorésistantes, il y a réduction du nombre de de crises d’épilepsie, avec une taille d’effet cependant modeste [9, 25]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Biofeedback : de l'efficacité à l'efficience clinique Neurofeedback et psychophysiologie de la vigilance et de l'attention L’enregistrement EEG informe le patient assez grossièrement sur son niveau d’activité cérébrale. Le nombre d’électrodes EEG utilisées est plus faible qu’avec un EEG conventionnel. Il existe deux types de traitement du signal EEG pour mesurer une activation ou une inhibition des activités cérébrales. Le premier protocole, le plus ancien, mesure la puissance spectrale des rythmes EEG dans une bande fréquentielle donnée : thêta (entre 4,5 et 8 Hz), alpha (entre 8 et 13 Hz), bêta (entre 14 et 30 Hz). De manière schématique, plus la puissance spectrale dans la bande bêta est augmentée relativement à celle de la bande thêta, plus le patient présente un état de vigilance accru (arousal) ; plus la puissance spectrale dans la bande alpha est augmentée relativement celle de la bande thêta, plus le patient est dans un état de relaxation. Cette régulation de la vigilance fait intervenir la voie reticulothalamo-corticale. Le deuxième protocole, plus récent et plus précis que le précédent, consiste à mesurer l’amplitude d’un potentiel lent cortical (Slow Cortical Potential SCP). Plus les SCP sont négatifs, plus le patient présente une élévation de la vigilance associé à des capacités d’allocation de ressource attentionnelle partagée. À l’inverse, plus les SCP sont positifs, plus l’élévation de la vigilance est associée à une attention focalisée. Cette régulation attentionnelle ferait intervenir des boucles de régulation cortico-sous-corticales et cortico-corticales entrainant la dépolarisation (SCP négative) ou hyperpolarisation (SCP positive) des dendrites apicales des neurones pyramidaux [27]. Le neurofeedback présente un intérêt (grade 4) pour deux pathologies impliquant des modifications de la vigilance et/ou de l’attention : le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) [24] et les épilepsies pharmacorésistantes [9, 25]. 260 MÉDECINE juin 2014 Les techniques de biofeedback sont intéressantes du point de vue de la psychologie de la santé, permettant de modifier le contrôle perçu et de renforcer les stratégies d’ajustement. Cependant, le biofeedback ne peut pas être une thérapeutique à envisager isolément. Il prend place dans une prise en charge intégrative en médecine de type biopsychosocial où les efforts cognitifs, émotionnels et comportementaux déployés par un individu pour s’ajuster à la situation nouvelle que représente la maladie sont pris en compte. Il reste d’une part à poursuivre les recherches permettant d’établir de forts niveaux de preuves (essais randomisés contrôlés), d’autre part à contrôler l’efficience clinique de ces techniques, ce qui implique une formation adaptée des thérapeutes sur la connaissance des bases techniques de l’électrophysiologie et de la physiologie des maladies ciblées et des processus psychophysiologiques mis en jeu. Cette formation ne s’improvise pas ; l’AAPB et l’ISNR organisent au sein de l’ICE (Institute for Credentialing Excellence) des formations appelées BCIA (Biofeedback Certification International Alliance anciennement Institute of America). La certification BCIA associe des cours (sur la neurophysiologie fondamentale et clinique et la conduite d’une thérapeutique) à un contrôle des pratiques (avec nécessité de faire la preuve du suivi d’un certain nombre de patients et présentation de cas cliniques). Ce modèle de formation doit être appliqué en France afin d’y permettre un développement contrôler et rigoureux de ces techniques originales. Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. Remerciement à Jean-Loup Drouet pour ses commentaires et pour ses sites internet d’information sur le biofeedback : http://www.biofeedback.fr/ et http://www.biofeedback-relaxologie.info/ STRATÉGIES Stratégies thérapeutiques Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Références : 1. Koleck M, Bruchon-Schweitzer M, Bourgeois ML. Stress et coping : un modèle intégratif en psychologie de la santé. Annales Médico Psychologiques. 2003;161:809-15. 2. Haute Autorité de Santé. Développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées. Rapport d’orientation 2011. 3. Gauchet A, Shankland R, Gantzer C, et al. Applications cliniques en psychologie de la santé. Psychologie française. 2012;57:131-42. 4. Micoulaud-Franchi JA, Cermolaccce M, Naudin J, et al. Analyse critique et épistémologique du neurofeedback comme dispositif thérapeutique. Le cas emblématique du trouble déficit de l’attention avec hyperactivité. L’évolution psychiatrique. In Press. 5. Rémond A. Du feedback au neurobiofeedback en neurophysiologie clinique. Neurophysiol Clin. 1997;27:168-168. 6. Rémond A. Biofeedback : principes et applications. Paris: Masson; 1997. 7. Micoulaud-Franchi JA, Fakra E, Cermolacce M, et al. Towards a new approach of neurophysiology in clinical psychiatry: Functional magnetic resonance imaging neurofeedback applied to emotional dysfunctions. Neurophysiol Clin. 2012;42:79-94. 8. Haute Autorité de Santé. Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations. Service Recommandations Professionnelles 2000. 9. Yucha C, Montgomery D. Evidence-based practice in biofeedback and neurofeedback. 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Modification of slow cortical potentials in patients with refractory epilepsy: a controlled outcome study. Epilepsia. 2001;42:406-16. Biofeedback : données factuelles 2014 h Le biofeedback (ou thérapie par rétrocontrôle biologique) est un procédé psychophysiologique d’enregistrement permettant de fournir une information en temps réel sur le niveau de fonctionnement d’un système physiologique donné. C’est une technique à la confluence de la psychophysiologie et de la psychologie de la santé : le myofeedback peut être utilisé dans les protocoles de rééducation kinésithérapeutique, le cardiofeedback permet d’agir sur le stress perçu et de développer des stratégies d’ajustement cognitives et émotionnelles face au stress, le neurofeedback peut être utilisé comme moyen complémentaire pour la prise en charges du trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et des épilepsies pharmacorésistantes. Le biofeedback ne peut pas être une thérapeutique à envisager isolément. Son niveau de preuve d’efficacité doit être renforcé par des études contrôlées randomisées en double aveugle supplémentaires. Son efficience clinique nécessite une formation adaptée des thérapeutes. MÉDECINE juin 2014 261