violence et pratique de combat codifiees - USMC Nihon Taï

publicité
Texte publié avec les actes des journées d’études organisées
a la faculté des Sciences du Sport et de l’Education Physique de l’Université de Lille 2
les 8 et 9 juin 2006 par le laboratoire Education et Motricité
et le Centre National de Formation et d’Etudes de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
VIOLENCE ET PRATIQUE DE COMBAT CODIFIEES
QUELLE CODIFICATION POUR QUEL COMBAT ?
REFLEXION SUR L'INFLUENCE POSITIVE DES ARTS MARTIAUX ET
SPORTS DE COMBAT SUR LA VIOLENCE ET LE MOYEN D'Y REMEDIER
F. Guerrieri, Doctorant en philosophie à l’université Paris XII
La codification des activités pugilistiques doit être étudiée selon plusieurs aspects.
En effet, contrairement aux apparences, les choses ne sont pas si simples au sens ou plusieurs
dimensions des activités pugilistiques se croisent ici :
La question de la codification est déjà analysable selon deux modalités : celle du code moral
d'une part, éthique, et celle du règlement sportif encadrant une activité et déterminant
préalablement les conditions d'un arbitrage.
De là, l'activité sera, elle aussi, abordée selon deux modalités fondamentales que sont la
martialité d'une part et le sport de l'autre.
Par extension, force sera de distinguer les jeux de combats (football, rugby etc.) des sports de
combats (boxe, judo - dans la forme olympique de sa pratique - pancrace etc.) des arts martiaux
revendiquant un caractère encore plus "traditionnel".
Mais avant de se pencher sur la dimension sportive dont le caractère éducatif et les valeurs sont si
connues qu'on aura du mal à aller au-delà de ce que l'on pourrait considérer comme des lieux
communs (expression à ne pas prendre ici en un sens péjoratif), nous pensons nous intéresser
particulièrement à la codification liée aux activités martiales (codes d'honneurs chevaleresques et
philosophies de combattants) dans lesquels les sports eux-mêmes trouvent les racines de leurs
réglementations et des possibilités d'arbitrages (ne serait-ce que pour décider qui est vainqueur
sans qu'il n'y ait eu de blessé comme cela se produisait généralement lors des jeux olympiques
antiques, initialement voués à la martialité).
1
En effet, les arts martiaux se revendiquant comme traditionnels et qui, loin de la compétition, ont
une audience qui leur permet d'être acteurs de la vie sportive comme toute autre activité (malgré
des pressions fédérales), sont porteurs d'une éthique et de valeurs liées aux combats : courage,
humilité et respect de la vie lors de l'apprentissage paradoxal de sa destruction, qui les rendent
souvent encore plus magnanimes et vecteurs d'un sentiment de responsabilité et d'altérité que ce
que véhiculent les seules valeurs de la compétition sportive.
Ces valeurs "traditionnelles" ciments de ces arts avec l'efficacité brute qu'ils revendiquent
(pensons au travail avec armes réelles, inenvisageable en compétition) est un héritage direct de la
tradition chevaleresque et de la pensée de la guerre. Leur transmission oblige un apprentissage
des règles civiques et pose la question de la responsabilité des savoirs inculqués dont il nous
faudra étudier les voies d'apprentissage.
Cet exposé sera organisé autour des notions de code moral (à entendre comme l'ensemble des
règles de conduites admises comme universellement bonnes dans un domaine particulier, règles
revêtant le statut de valeurs transposables à tous les domaines de l'existence et ayant trait plus ou
moins directement à l'accomplissement de soi ex : le fait d'être courageux et persévérant est
certes très utile au tennis, mais cela a surtout à voir avec la personnalité du joueur et ses qualités
en tant qu'individu), et de code sportif (règlement de compétition décrivant la conformité des
actes, et même du matériel utilisé, conventions fixées afin de faire respecter une certaine
déontologie mais surtout des normes définissant une discipline commune et des possibilités
d'arbitrage dans le cadre d'une politique sportive (les gants de boxe répondent à des normes
précises pour la compétition, et de même, il y est interdit de projeter son adversaire).
Nous ferons aussi la distinction entre les jeux de combats (disciplines sportive organisant des
confrontations individuelles ou par équipe durant lesquelles le combat est sublimé : on vainc en
gagnant), les sports de combats (organisation de combats encadrés par un règlement définissant
les conditions d'obtention d'une victoire : on vainc en gagnant), et les arts martiaux (ensembles de
disciplines directement issues des techniques de guerre et dédiées à l'étude de l'efficacité dans un
combat réel : on doit vaincre en neutralisant son adversaire.
Toutefois, il nous faudra mesurer que la distinction arts martiaux/sport de combats sur laquelle
nous nous focaliserons est très ténue car chacun prend dans les caractéristiques de l'autre. Dans
2
cette mesure, les combats symboliques que constituent des matchs de boxe ou des combats de
judo n'interdisent pas à ces disciplines d'avoir leur éthique fondamentale et implicite; par ailleurs
les confrontations sportives que l'on peut voir avec le pancrace ne paraissent pas éloignées du
souci de recherche d'une efficacité totale et réelle (bien plus que dans l'aïkido par exemple). De
même, l'art martial, purement martial, se pratique souvent aujourd'hui comme un sport (quel
meilleur exemple que le tai chi chuan, redoutable art de boxe cultivant l'énergie interne qui est
pour la majeure partie de ses pratiquants une gymnastique douce).
Face à cet imbroglio, nous nous efforcerons de dénouer l'écheveau en étudiant tout d'abord les
sources de l'éthique dans les pratiques pugilistiques via leur origine guerrière en n'oubliant pas
que ces activités étaient avant tous des moyens de se préparer à la guerre.
Ensuite, nous nous intéresserons à la différence entre les règles d'arbitrage et les règles morales
en analysant de quelle façon elles opèrent sur les conduites des individus (intériorisation d'une
règle ou respect délibéré d'une norme) pour achever sur l'étude de l'effet cathartique de la
pratique d'un art pugilistique par l'entraînement. La dimension de l'étude de techniques de combat
sans enjeux (prix ou survie) entre partenaires étant le lieu d'une pratique codifiée et d'une prise de
risque mesurée dans le cadre de relations de confiance et de responsabilité.
`
I. Ethique martiale et code : les sources d'une éthique dans les pratiques pugilistiques via
leur origine guerrière
1.1.
Les jeux antiques comme préparation, entraînement à la guerre et leur
ressemblance à cette dernière
Il n'est pas sans apparaître comme relativement évident que les activités pugilistiques sont une
émanation directe des activités proprement martiales. La différence existant entre les diverses
disciplines étant à affecter aux partis pris techniques choisis. Ainsi, lutte, boxe (πύκτευω) et
pancrace se distinguent-elles par la façon de combattre plus ou moins restreinte imposées par la
spécialisation disciplinaire.
Par ailleurs, la course, le lancer de javelot, de disque ou encore la course de char sont des
3
activités aux applications martiales évidentes. Ceci dit, la pratique ascétique de l'exercice du
corps n'est pas la seule vertu de la guerre et de sa préparation.
C'est d'ailleurs avant tout la vie saine qui rend prompt à supporter bravement l'épreuve de la
guerre, puisqu’elle est saine sitôt qu’elle y prépare...
Ces exercices, composante de l'éducation des jeunes aristocrates grecs avaient pour finalité la
préparation physique aux affrontements, l'hoplite n'étant ni plus ni moins qu'un soldat mobilisé,
amené donc à participer aux nombreux conflits qui déchiraient les cités à l'époque. Ce combattant
volontaire n'étant pas le parfait équivalent du soldat d'aujourd’hui mais plutôt un aristocrate fier
de sa cité et prompt à la défendre car éduqué pour cela.
Relevons d'ailleurs que les jeux olympiques, désormais symboles d'entente entre les peuples
autour de ce qu'on appellera rapidement le "coubertinisme" sont nés à cette époque archaïque et
avaient pour vocation d'instaurer une trêve dans les combats entre les cités tout en étant l'occasion
pour les aristocrates participants de se faire les champions de leur patrie en montrant leur valeur à
des jeux voués à la préparation du guerrier. Culturellement, la dimension rituelle de ces jeux est à
connecter au phénomène d’enthousiasme (en-théos) qui implique qu’une victoire ne peut se
concevoir sans l’intervention d’un dieu, ainsi, si Sparte vainc Athènes aux jeux, c’est que les
dieux leurs sont favorables.
Cependant, les guerres elles-mêmes à l’époque archaïque font l’objet de conventions restrictives
(trêves, affrontements de champions, définitions strictes des lieux et durées de batailles…)
rendant parfois moins évidente la distinction entre les jeux panhelléniques et les guerres, ceux
qui prennent part aux jeux étant souvent les champions des cités qui se font la guerre (Vernant,
1974), la victoire en l’espèce pouvant suffire puisqu’elle fait, en quelques sortent, office de
présage.
1.2. Limitation de l’idée de guerre par la tradition philosophique et les valeurs
morales qu’elle implique.
4
Il est de bon ton de voir, à l'instar de Cicéron (qui le constate amèrement), le prestige glorieux du
centurion primer sur tout le reste dans le guerrier. Pourtant, la lecture des stratèges et des hommes
de guerre n'est pas sans faire relativiser ce rapport au conflit et à la magnificence de ce
dépassement de soi dans la mêlée, (nommée "furor" en latin) qui caractérise des héros comme
Achille, par exemple, mais qui, à l'époque classique, va se transférer sur une valeur d'ordre, la
taxis, plus adaptée au combat en phalange où la cohésion devient le mot d'ordre précisément.
Ainsi, partout voit-on les penseurs réfréner la pulsion guerrière et vanter la sagesse de la mesure
comme source d'excellence dans les conflits.
Cicéron donc, en son temps, subordonnera la guerre au droit et démontrera, dans le de offici
(traité des devoirs), qu’une guerre juste est une guerre qui se conforme à la loi (Cicéron, 1962,p
520).
1.3. l’homme de guerre aristocrate vertueux
Mais cette limitation morale et légale, très conforme à ce qu’il se fait de nos jours (avec les
conventions de Genève et La Hayes notamment) sont loin d’être le seul mode de pensée de
moralisation et de modération des conflits. En effet, la morale du guerrier est omniprésente et
rompt avec l’idée de la brute.
C'est ce qu'il se passe avec Xénophon lorsque, dans la Cyropédie, « l'éducation de Cyrus », jeune
roi perse, Il décrit la richesse de l'éducation du chef de guerre. Xénophon en fait un homme plein
de finesse chez qui la connaissance de la tactique passe loin après la possession de vertus
aristocratiques et de savoirs pratiques (économie, connaissance en santé et en hygiène, vertu,
capacité à entretenir la vigueur et le moral des troupes, capacité à résister à la tentation de
l'arrogance qui fait jusqu'à préférer le repli, la ruse, à la mêlée glorieuse…).
« Et toi tu te mis à rire et, reprenant les choses point par point, tu me demandas de quoi servirait
à une armée d’avoir des tacticiens sans ce qu’il faut pour vivre, sans la santé, sans la
connaissance des stratagèmes inventés pour la guerre, sans l’obéissance. » (Xénophon, 1971,
p.42 – L. I, 6, 12-13)
5
Semblablement, Platon, réinvestit la dimension éthique de la guerre et sa souhaitable modération
lorsqu'il prône une guerre limitée sitôt qu'elle a lieue entre grecs, lui préférant alors le nom
même de discorde (Platon, 1989, p.83, Rep. V, 470 b, d -e).
L’idée que l’on se bat entre frères amenés à terme à se réconcilier implique dès lors tout un
éventail de mesures de prévention des massacres et exactions pourtant usuelles. Une guerre
respectueuse des cultes et de l’honneur des adversaires perçus comme des alter ego « civilisés ».
Tout cela reste avant tout affaire d’aristocrates dont la noblesse s’exprime par la beauté physique
(καλος, kallos), liée à l’idéal athlétique et martial et devant manifester une certaine force. Mais
cette dernière reste indissociable de son corollaire spirituel qu’est la vertu, l’excellence morale
(ασητν, arété). Les figures d’Ulysse et d’Achille en sont des modèles mythiques et traditionnels,
l’un étant davantage pourvu de finesse d’esprit quand le second est plus impétueux, aucun des
deux n’étant cependant soit un simple rusé timoré ou une brute épaisse.
L’excellence aristocratique se doit d’être un développement harmonieux de l’homme dans ses
qualités de force, de virilité impétueuse adoucie par la civilité, l’esprit, la douceur du raffinement
intellectuel.
1.4. La modération de la violence guerrière par l’appartenance à une « caste »
Dans le même esprit, les codes de chevalerie, sorte de proto-réglementation des conflits, vont
dans un sens semblable en proscrivant certaines pratiques (volonté d'interdire l'usage de l'arbalète
par exemple) et en affichant des valeurs telles que la "défense de la veuve et de l'orphelin" qui ne
signifie rien d'autre qu'empêcher les "piétons", fantassins d'origine non noble chargés des basses
besognes (massacre et picorée), de forcer les femmes et d'exterminer leurs enfants. Car il ne faut
pas omettre en l'évoquant, le chevalier occidental est un chevalier chrétien, il prête serment et sert
un seigneur représentant l'ordre imposé par Dieu sur Terre.
Il lui faut donc être un modèle de vertu (même s'il reste une bonne brute) et de noblesse d'âme.
Rappelons à ce propos que l’origine du nom de chevalier est associée à la notion de service. En
effet, dans les textes latins, ils sont appelés miles , or, militare, signifie avant tout servir et si les
fantassins romains étaient ainsi nommés, force est de ne pas oublier qu’il s’agissait d’une armée
de conscription. Au moyen âge, seul Dieu règne, tout le monde en de-çà sert plus ou moins à sa
6
manière. La féodalité génère une société de la dévotion.
2. Art martial et tradition guerrière. L’imprégnation de valeurs morales jusque dans la
pratique des savoirs-faire les plus élémentaires.
2.1. le bushido
Penchons-nous à présent sur des données culturelles toujours en lien avec la culture des arts
pugilistiques tels qu'ils sont pratiqués aujourd'hui à titre sportif.
Nous avons vu précédemment comment les arts pugilistiques étaient directement liés à la guerre,
observons conséquemment comment cette culture guerrière est à même d’induire dans ces
pratiques une modération inattendue de la violence.
Pour ce faire, nous allons étudier les arts martiaux asiatiques dont l’impacte auprès du grand
public n’est pas à démontrer et dont la morale intrinsèque est souvent évoquée sans être toujours
justement considérée (on la prend fréquemment pour un folklore…).
Les termes chinois et japonais signifiant "guerre" sont intimement liés à la magnanimité et à la
mesure dans le combat, à l'éthique donc, par de là la simple brutalité.
En effet, l’idéogramme "BU" signifie arrêter l'épée, cesser de se battre en japonais (le terme
chinois désignant la guerre signifiant « arrêter la lance »).
Evidemment, on ne nomme pas la guerre par la paix aux antipodes, quoique vu sous cet angle,
cela eu pu paraître séduisant, il s'agit bien au contraire d'induire directement la notion de mesure
dans celle d'affrontement, et ce au niveau du nom même.
Ainsi, le Bushido, le code du guerrier (Bushi) a-t-il directement impliqué en son nom même la
notion de tempérance, ce qui constitue là une donnée surprenante lorsque l'on pense, en
particulier à la culture japonaise où l'usage du suicide rituel pour laver le déshonneur de l'échec a
conduit à des pratiques guerrières pour le moins traumatisantes lors de la bataille du pacifique
(suicide des populations civiles et surtout les fameux kamikaze).
Aujourd'hui, les pratiques pugilistiques d'origine japonaise qui ne se soumettent pas à l'ordre
strict de la compétition sportive sont classées dans la catégorie du Budo : « voie de la guerre, voie
7
du combat ». Cette notion, qui, bien entendu, subsume la notion d'entraînement à la guerre est
pourtant emprunte d'éthique car la dimension spirituelle, la quête "philosophique" est entièrement
comprise dans la notion "Do" (le Dojo, lieu où l'on s'entraîne étant le nom de la salle où l'on
pratique la méditation dans les temples, d'où le respect inhérent à la pratique dans ces lieux
spécifiques qui ne sont pas de simples salles de sports). Le Budo est donc une démarche
spirituelle, philosophique dans une certaine mesure, inscrite dans une conception particulière du
rapport à la mort et de la recherche de la pureté comme de l'amélioration de soi. Cette notion, tout
droit issue de la formation du guerrier date du XVIIème siècle, époque où la fondation du
shogunat Tokugawa plonge le japon féodal dans une paix durable et où la pratique des arts
guerriers explorent davantage leur dimension pédagogique et spirituelle (les maîtres d’alors étant,
comme ceux que connurent les pionniers de ces arts japonais au XXème siècle, des hommes
ayant fait leurs preuves sur les champs de batailles et se trouvant désormais confrontés à la paix).
C’est d’ailleurs ainsi que Jigoro Kano, fondateur du Judo, héritier de la longue tradition du Jujutsu explique le nom du style qu’il crée à la fin du XIX ème siècle dans un ouvrage présentant
son art dans ce qu’il a de novateur.
« Jujutsu et Judo s’écrivent avec deux caractères chinois dont le premier, ju, commun aux deux
mots, signifie « souplesse » ou « céder ». Jutsu veut dire « art, pratique » tandis que Do [michi]
signifie « principe » ou « voie ». La voie désigne le concept de la vie elle-même.».(Kano, 1999,
p.17).
On le voit ici, ju-jutsu et judo ont une source commune, mais le Judo vise au-delà de la simple
efficacité martiale, il vise le principe même de cette source d’efficacité. Par ce nom, c’est le
travail d’une certaine appréhension de la réalité, une quête de la vérité qui est mise en œuvre.
2.2. influence religieuse et structuration culturelle de la pratique
Le Bushido, le code du guerrier est donc tout à la fois un code d’honneur et une éthique
spirituelle, la prédominance du Zen ne devant pas occulter le fait que l’on a là une fusion du
bouddhisme et du shintoïsme aboutissant sur un code strict que Taisen Deshimaru résume en
sept principes fondamentaux qui ne seront pas sans rappeler le « code moral » affiché dans les
clubs de judo ou de karaté :
8
« La fusion du Bouddhisme et du Shintoïsme a permis la création du Bushido, la voie du
samouraï.
On peut résumer cette Voie en sept points essentiels :
1. GI la décision juste dans l’équanimité, l’attitude juste, la vérité. Quand nous devons
mourir, nous devons mourir.
2. YU la bravoure teintée d’héroïsme
3. JIN l’amour universel, la bienveillance à l’égard de l’humanité
4. REI le comportement juste, qui est un point fondamental
5. MAKOTO la sincérité totale
6. MELYO l’honneur et la gloire
7. CHUGI la dévotion, la loyauté »
Il ajoute d’ailleurs :
« Mais le Bouddhisme a marqué le bushido par 5 aspects :
a)l’apaisement des sentiments
b)l’obéissance tranquille face à l’inévitable
c) la maîtrise de soi en présence de n’importe quel événement
d)l’intimité plus grande avec l’idée de la mort qu’avec celle de la vie
e) la pure pauvreté » (Deshimaru,1983, pp.20-21)
Ainsi, force est-il de distinguer les "bu jutsu" des "budo", ces derniers portant à leur paroxysme le
respect des codes moraux des chevaliers (Bushido). C'est donc dans ce sens que les tenants d'un
karaté plus traditionnel et moins soumis à la logique de compétition revendique la pratique du
karaté-do (titre d'un livre de Mas Oyama, fondateur du kyokushinkai) et que Jigoro Kano a fondé
le judo pour épurer un peu le jiu jutsu, que morihei Ueshiba a fondé l'aïkido etc. L’art martial,
sitôt qu’il ne vise pas l’accès direct au champs de bataille cultive avant tout le « code ».
Nous le voyons donc clairement, la guerre et ses arts ne sont pas la simple recherche de
l'efficacité brute, il y a derrière l'ultime enjeu que représente le fait de faire la guerre une
spiritualité qui se met en place.
9
Cette spiritualité est évidemment le fait de ceux qui consacrent leur vie à cette voie de la guerre
tout en étant affublés des attributs d'une certaine noblesse, ces valeurs sont avant tout celles des
chevaliers, ou des samouraï (terme signifiant là aussi "serviteur") et non celle des mercenaires
qui ne sont pas grands choses de plus que des brigands prêts à tuer pour le butin...
Ces valeurs culturelles, ce tissu de principes éthiques partagés par cette classe de guerriers que
furent les chevaliers nous sont parvenus. Le sens de l'honneur etc sont des valeurs qui sont
inscrites dans notre civilisation et notre éducation (imprégnée des valeurs religieuses
dominantes).
L'apparente absence de morale qui semble caractériser la guerre par la transgression momentanée
des valeurs sociales (comme l'interdiction de tuer en premier chef) fait de la guerre une
expérience extrême pour le sujet qui doit, dans un chaos généralisé, retrouver un minimum de
points de repères éthiques pour tenir et agir. Loyauté, courage, obéissance, sens du devoir, de
l'honneur, fidélité, engagement sont autant de minima éthiques quasi universels sans lesquels, par
de là l'excellence morale, la possibilité d'une action collective d'un point de vue pratique serait
balayée : sans de telles valeurs, qui transcenderait l'individualisme fondamental dans une action
collective en contradiction avec le plus fort de tous les instincts commandant la préservation de
soi ?
2.3. Code d’honneur et déontologie du pratiquant d’art martial : morale pratique et
éducation pragmatique.
Les arts martiaux japonais ont cette particularité d’afficher et revendiquer une éthique marquée,
sorte de plus-value éducative de ces disciplines pugilistiques.
Ces « codes d’honneurs » affichés dans les clubs et retranscrits dans les passeports sportifs des
pratiquants énoncent ainsi une série de préceptes moraux apparemment anodins mais toujours de
bon aloi.
Ainsi, judoka et karatéka se targuent-ils de suivre ces recommandations inscrites sur les murs de
leurs dojos (salle de l’éveil, rappelons-le).
Commençons par le Judo :
10
« La Politesse c’est le respect d’autrui
Le Courage c’est de faire ce qui est juste
La Sincérité c’est s’exprimer sans déguiser sa pensée
L’Honneur c’est d’être fidèle à la parole donnée
La Modestie c’est parler de soi-même sans orgueil
Le Respect sans respect aucune confiance ne peut naître
Le Contrôle de soi c’est de savoir se taire lorsque monte la colère
L’Amitié c’est le plus pur des sentiments humains. »
Ces sentences avec leurs définitions lapidaires s’enchaînent dans une apparente clarté. Sans être
particulièrement tendancieuses, ces définitions n’en appelleraient
pourtant pas moins le
commentaire. Ainsi, par exemple, affirmer de but en blanc que le courage consiste à faire ce qui
est juste n’est, certes, pas faux mais ne tombe pas pour autant sous le coup d’une immédiate
évidence.
Ainsi, s’il est en effet idiot de confondre courage et témérité, assimiler la justice d’une réponse à
la marque du courage impliquera en revanche que savoir renoncer à un combat perdu d’avance,
par exemple, sera parfois justement une preuve de courage (« folie n’étant pas courage » comme
l’affirme Chrétien de Troyes dans Erec et Enide (Chrétien de Troyes, 1970, p.40), lorsque Erec
renonce à affronter sans arme un chevalier équipé), en outre assumer son choix envers et contre
tous en refusant la facilité d’une lâcheté consensuelle, sera, dans le cadre de cette définition, à
nouveau une preuve de cette vertu.
On le voit clairement, associer ainsi courage et justice ne va pas de soi a priori.
De même l’association, assurément pertinente, de l’Honneur et du respect de ses engagements
(vertu chevaleresque par excellence, il était d’ailleurs inconvenant de faire signer un contrat à un
chevalier) ne relève pas immédiatement du « sens commun ».
Car si le dédis est assurément la pire des fourberies (encore que ce ne soit pas si rare de nos
jours), l’orgueil (que Montesquieu accuse d’avoir décimé l’aristocratie au nom des duels en
réparation de cet honneur bafoué souvent par une broutille), le prestige, n’en sont pas moins a
priori associé à cette vertu.
11
C’est donc une conception raffinée d’une morale qui est ici laconiquement formulée. On relèvera
d’ailleurs leurs cohérences : si la modestie est la capacité à taire l’orgueil, l’honneur sera avant
tout la rectitude morale dans le respect des engagements pris.
En Asie, le potier, le sabreur, le maître de la cérémonie du thé, l’experte en composition florale,
le moine, tous travaillent « Do », la voie, le principe (équivalent du chinois tao, dont le symbole
est le très célèbre cercle du Yin et du Yang), l’arché grec en quelque sorte.
Rappelons-nous comment Jigoro Kano a choisi de nommer son art héritier direct de la tradition
du Ju Jutsu et comment il a justifié ce choix tout en considérant qu’il a baptisé son école le
KODOKAN. Littéralement, KODOKAN signifie « résidence où l’on enseigne la voie », une école
de la vie en quelques sorte…sachant que l’Académie de Platon elle-même était aux abords d’un
gymnase.
Loin des leçons de morales visant à cacher un passé lourd de technique militaire afin de s’offrir
une respectabilité, le Judo affiche une unité Ame/corps qui transcende le domaine sportif (au sens
loisir qu’a son étymologie anglaise).
2.4. la culture à part entière que forment les arts de combats.
Celui qui va pratiquer un art martial va donc se trouver baigné dans cette atmosphère éthique, à
partager ces valeurs ancestrales, lui qui va tacher d'apprendre et perpétuer plus ou moins
fidèlement une tradition prégnante dans la culture japonaise, mais aussi dans la culture
occidentale sous d'autres formes. Car nous chantons tous en tout temps nos héros, braves
guerriers pleins d'abnégations et de grandeur morale, invincibles et valeureux par de là les
souffrances et les épreuves qu'ils endurent.
Dans toute cette brutalité indéniable, il y a toute une éthique et des valeurs morales, une
communauté même qui se dessine et se structure... De même dira-t-on qu’on est boxeur, un peu
comme on est rugbyman.
On le voit à travers ce rapide tour d'horizon d'un univers moral propre à la martialité et aux
pratiques qui en découlent, il y a toute une éthique, un esprit particulier qui va se confondre avec
12
les valeurs véhiculées par ce qu'il est d'usage d'appeler "l'esprit sportif" dans une pratique
pugilistique. Cet esprit va s'y confondre, mais il ne saurait s'y réduire car il y a là deux
dimensions différentes qui se côtoient.
Ainsi, celui qui va vouloir apprendre à manier un sabre ou à pratiquer les techniques de combats
issues d'une tradition plus ou moins ancienne, attiré par l'aura qui la fait rayonner et passer les
générations (qu'il s'agisse de l'antique lutte ou du ju jitsu , de la boxe ou des pratiques de combats
élaborées, sur la base de ce qui existait déjà, dans les cages des ultimate fighting et succédanées),
celui-là donc sera à la recherche d'une pratique en résonance avec un champ culturel (que ce soit
le manga pour les plus jeunes aujourd'hui, les films de kung fu, de samouraï et plus profondément
encore, sur l'image du guerrier telle qu'elle est fantasmée par notre société). Car qu’est-ce qui
nous mène vers une discipline sportive sinon ce qu’elle représente comme possibilité de nous
faire devenir ce à quoi nous voulons ressembler (un boxeur, un coureur…)
Cet univers éthique, que l'on pourrait presque qualifier d'univers culturel, va être le terreau de
valeurs qui vont se transmettre dans l'enseignement et la pratique, au jour le jour, au travers des
techniques enseignées. En ce sens, le respect d'autrui, la justice dans la réponse apportée à une
attaque, la persévérance (dans l'entraînement), la combativité (pugnacité face à l'adversité),
l'engagement dans l'action (qui résonne toujours avec le rapport à la mort qu'entretenait le
chevalier ou le samouraï qui devait vaincre ou mourir), la politesse, le respect (de l'enseignant,
des plus avancés, des plus débutants, des adversaires, des partenaires d'entraînements...) vont être
des valeurs intégrées dans l'action, des valeurs que ne défendent que peu, ou du moins
différemment, la codification particulière que représente la réglementation de l'activité qui se fera
par l'arbitrage.
II) Distinguer les règles d’arbitrage et les règles morales dans une discipline. Deux finalités,
deux façons de régir les comportements.
13
1. de la martialité au sport
1.1. le modèle antique
Demandons-nous tout d’abord comment passe-t-on de l’art martial au sens premier du terme à
une pratique plus sportive, orientée vers le loisir.
D’un point de vue quasiment historique, nous pouvons considérer, là encore le modèle des jeux
olympiques comme riche d’enseignements.
En effet, si nous avons auparavant souligné l’enracinement martial de cette pratique, c’est bien
pour relever qu’une évolution a accompagné sa longue histoire.
Il est intéressant de pointer le fait qu’une « dérive » sportive a été dénoncée par les
contemporains de ces jeux. Les anecdotes sont nombreuses dénonçant tel athlète vendant ses
services à la cité la plus offrande, se voyant ainsi renié par sa patrie originelle (évoquons
l’exemple fameux, relaté par Pausanias, de Sotadès, le coureur de fonds crétois qui se fit éphésien
pour de l’argent et qu’on exila de Crête).
De même, l’origine aristocratique des athlètes fut un impératif bientôt abandonné au profit des
talents bons à mettre en avant pour le prestige de la cité.
Ainsi, si les fortunes que peuvent accumuler les athlètes les plus brillants (déjà en ce temps là)
poussent à certaines tricheries (essentiellement de la corruption d’adversaires ou de juges), c’est
surtout la professionnalisation de ces derniers qui nous intéresse.
Car de l’idéal de l’athlète complet, modèle de l’excellence aristocratique (et donc guerrière)
présentant un homme robuste courant vite et doué tant à la lutte qu’au lancer, ensemble
développant cette beauté du corps que doivent compléter les vertus plus spirituelles que sont le
sens de la loi et de l’harmonie qu’on enseigne par la musique notamment, on va passer au culte
de la victoire (les performances n’étant pas particulièrement relevées, c’est de l’emporter sur le
moment qui compte).
Cet intérêt nouveau va conduire à une spécialisation des athlètes en contradiction avec l’idéal
initial. Spécialisation qui conduira même à bouder les pentathloniens bons en tout, mais
incapables de rivaliser avec les champions d’un domaine particulier.
14
On arrive donc à ce paradoxe que les jeux olympiques produisent des champions adulés, riches et
potentiellement mauvais soldats. C’est du moins ce que laisse entendre Euripide dans son
Autolycos : « Est-ce en combattant disque en main ou en frappant les boucliers à poings nus
qu’ils chasseront les ennemis du territoire de la patrie ? » (Bancel et Gayman, 2002, p.38)
Mais cette spécialisation des athlètes ne nous intéresse pas seulement pour ses effets pervers. Au
contraire, il est important de constater que par-là, une communauté se forme. Les athlètes existent
en tant que tels, leur rivalité devient leur gagne pain et cette compétition qui est une valeur des
cités grecques, une valeur sociale, se trouve reléguée à un second plan derrière une compétition
plus vénale, plus vitale car il n’est plus simplement question du prestige aristocratique poussant à
briller parmi les siens.
Ce phénomène, nous le retrouverons dans un autre emblème de l’entraînement martial dévoyé au
fil du temps : le tournoi de chevalerie médiévale.
1.2. le modèle médiéval
Les tournois sont apparus en même temps que la chevalerie féodale au premier millénaire.
A l’origine entraînement à la guerre, ils sont souvent difficiles à distinguer des vraies batailles
tant les blessés sont fréquents et parfois même aussi nombreux qu’au cours d’une bataille.
Il n’y a pas de limite de temps pour le concours et toutes les fantaisies sont possibles. Les
chevaliers sont souvent aidés de piétons, comme à la guerre. De même, on y utilise des armes
réelles.
D’ailleurs, il est bon de noter que ces tournois sont souvent l’occasion de régler des différends
entre seigneuries…
Malgré les interdictions de l’Eglise, pourtant puissante, qui refuse d’enterrer en terre chrétienne
(ce qui revient ni plus ni moins à fermer les portes du paradis) quiconque est mort au court d’un
tournoi, celui-ci va perdurer sous cette forme entre le Xème et le XIème siècle. Il est le moment
15
privilégié de la sociabilité de cette caste à part qu’est la chevalerie. Celui où l’on se fait un nom,
un renom, où l’on gagne des prix, s’enrichit, trouve un suzerain…bref, le lieu où l’on fait sa
carrière entre deux guerres seigneuriales (des escarmouches locales en quelques sortes,
meurtrières et dévastatrices, assurément, mais guère plus dangereuse qu’un tournoi pour un
professionnel qui fait œuvre de braver la mort).
Peu à peu, on avance vers la courtoisie et cet ensemble de codes et de valeurs communes élèvent
au-dessus des manants avec lesquels on ne saurait se mêler : la chevalerie devient un art de vivre,
et aussi de mourir.
Le XIIème siècle voit donc apparaître la joute, affrontement interindividuel et public auquel
assistent les femmes qui vont se choisir un champion qui portera leur couleur (nouant une
manche tel un brassard).
L’affrontement se codifie, on abandonne épées, masse d’arme et hache pour préférer la lance (le
nombre que l’on apporte à une joute finit même par être réglementé) et une barrière sépare les
deux cavaliers qui vont tenter de se désarçonner mutuellement par un choc, violent certes, mais
qui n’est plus frontal.
De même, les armes que l’on utilise pour finir le combat au sol sont désormais émoussées,
haches, épées (devant être de même longueur dorénavant), dagues ne coupent plus (elles piquent
toujours cependant), la masse d’arme est abandonnée au profit d’un gourdin (c’est plus doux) et
le combat cesse dès que l’un des adversaires pose un genou à terre.
Les combattants brutaux de naguères se sont policés, ils incarnent la justice et l’ordre que doit
faire régner le seigneur sur ses terres et, représentant un ordre voulu par Dieu, ils se doivent
d’être des modèles.
Leurs joutes, comme leurs guerres sont donc désormais réglementées et doivent marquer un
respect pour un code, une éthique, une façon d’être. Une discipline en quelque sorte.
De cet adoucissement de la violence par la réglementation, nous voyons déjà apparaître ce qui, à
terme devient le sport. Orienté sur le loisir et l’inculcation de valeurs physiques et morales (esprit
sain, corps sain pour n’évoquer qu’un poncif qui parlera à tout un chacun), il se fédère en
disciplines fermement distinguées les unes des autres par une réglementation stricte permettant
16
des affrontements conventionnels égalitaires et une médiation permettant de décider d’une
victoire sans brutalité. Une victoire qui se décrète, une victoire légale plus qu’indiscutable de fait.
2. sport et légalité, les diverses implications d’un règlement ou comment les règles ne
servent pas qu’à adoucir les affrontements
Le passage des jeux antiques et des joutes médiévales au sport n’est pas si simple qu’il n’y paraît.
Outre le fait qu’il s’agisse d’un processus historique évidemment long, il est fondamental de
pointer le fait que jeux, joutes et sports connaissent des différences de natures qu’il convient de
ne pas taire ici.
Déjà, le sport a trait aux loisirs et le loisir, originairement est l’occupation des aristocrates. La
chasse en ce sens est un « loisir guerrier », elle est un sport de nos jours.
Considérons donc que, au XVIème siècle, ce qui ressemble le plus au sport tel que nous le
connaissons aujourd’hui, c’est le jeu de paume, originairement activité physique de la noblesse et
occasion d’une confrontation codifiée.
Profitons donc de ce moment pour établir quelques rapides distinctions entre le jeu, d’une part,
qui, lui, se caractérise par un simulacre divertissant quand le sport, s’il est inscrit dans le champ
lexical du divertissement, reste ancré dans un carcan de valeurs empreintes d’efforts et de
performances.
Le sport est donc une activité physique visant le bien-être par une « hygiène de vie » assainie par
l’effort bénéfique pour la santé. Dimension qui échappe au jeu en tant que tel : le jeu est
divertissant et éventuellement pédagogique.
Le processus d’euphémisation de la violence que nous venons d’évoquer précédemment est lié à
l’avènement du sport car ce dernier va permettre des transferts :
La préparation de la guerre par la culture du guerrier sur le mode spartiate, par exemple, va
devenir besoin d’entretenir sa bonne forme physique et d’aiguiser son tempérament par la
confrontation à une saine émulation. Pour ce faire, le jeu va pouvoir prendre une place
prépondérante en symbolisant des affrontements expurgés de brutalité. Ce sont ce que nous
17
appellerons les « jeux de combats ».
Ces derniers organisent des confrontations individuelles ou par équipes durant lesquelles on sera
amené à rivaliser avec un adversaire. Il faut ne pas perdre de vue notamment que le jeu de paume
à l’origine requerrait assez de force physique en raison du matériel utilisé. Ainsi, comme à la
lutte, la force permettait de l’emporter ou du moins ne pouvait-on briller si on en était dépourvu.
De la même manière, en football, on sera amené à percer une défense, à déjouer les réflexes d’un
gardien en rivalisant en adresse et en vitesse de course avec des adversaires par l’application
d’une stratégie alternée d’attaque et de défense. Il en va semblablement en rugby où les contacts
sont plus marqués et où l’expression de percée d’une défense revêt un sens moins euphémisé
qu’en Basket ball notamment.
Ces « jeux de combats » vont mettre en place tout un cadre réglementaire permettant de codifier
ces affrontements et de déterminer comment on l’emporte sur l’adversaire. Il va donc être
question de « vaincre en gagnant » (en marquant plus de points, de « buts » ).
Mais passons outre et considérons que les sports ne se sont pas tous engouffrés dans le jeu pur et
l’affrontement sublimé.
L’équitation, l’athlétisme existent toujours mais désormais la notion de performance, de record y
devient prépondérant, il n’est plus seulement question de l’emporter sur un adversaire.
Il existe par ailleurs des sports de combats. Fidèles à la recherche d’une efficacité accrue des
combattants par l’entraînement et la préparation au combat, ces activités ont survécu mais ont
subi des transformations, des aménagements.
D’arts martiaux, ils sont devenus sports : lieu de performance et de compétition, de travail sur soi
et d’apprentissage, on doit y retrouver le fair-play et le goût de l’effort physique. Codifiés, on y
vaincra là aussi en gagnant, ce qui implique dès lors un conventionnalisme exacerbé en matière
de structuration des affrontements.
Car en effet, si l’on pourrait croire a priori qu’il n’y aurait rien de plus simple à arbitrer qu’une
rencontre de sport de combat (le vainqueur étant celui qui est en mesure de terrasser l’autre,
comme sur les champs de batailles), il n’en est rien et ce pour plusieurs raisons dont deux
principales :
D’abord les sports de combats n’autorisent pas toujours le KO dans leurs compétitions, ensuite
18
parce que le karatéka ou le boxeur n’ont pas carte blanche en ce qui concerne le combat à mener.
C’est sur ce point précis de la question de la réglementation, de cette codification des activités
pugilistiques, que nous allons nous pencher.
Le règlement d’une compétition sert à deux choses fondamentales (dès lors qu’on écarte les
questions de sécurité naturellement) : déterminer les conditions d’obtention d’une victoire et fixer
une discipline.
Pour preuve, il n’y a rien de plus différent d’un boxeur qu’un karatéka. Et pourtant, ils font bien
la même chose (se battre à coups de pieds et poings).
Si nous occultons délibérément le fait que leurs arts aient des origines différentes, nous pourrions
néanmoins nous dire qu’avec l’usage, les différences se gommeraient pour fusionner dans un
métissage technique fondé sur un parti pris des plus pragmatique : l’efficacité en combat
(phénomène qui se produit dans les disciplines fusionnelles de combats libres…).
Si nous éviterons évidemment de nous demander qui d’un boxeur ou d’un karatéka l’emporterait
dans un combat « réel », une telle question n’ayant que peu de sens en définitive, force sera
d’affirmer qu’un boxeur n’a aucune chance de l’emporter dans une compétition de karaté.
Considérons le règlement de la FFKAMA en matière d’arbitrage et les critères que les juges et
arbitres doivent prendre en compte pour donner leur décision :
on y écrit dans l’article 6 du règlement kumité/combat pour la saison 2005/2006 (Règlement
FFKAMA 2005/2006, p. 108) :
« Les points sont accordés d’après les critères suivants :
a)bonne forme
b)attitude sportive
c) grande vigueur d’application
d)vigilance (zanshin)
e) bon « timing »
f) distance correcte »
Les choses sont clairement indiquées, les techniques doivent être « exécutées avec une bonne
19
forme et sans déséquilibre », ce qui signifie que, pour être comptabilisée, il faut marquer une
certaine attitude corporelle (positions codifiées, en l’occurrence un zenkutsu dashi, fente sur la
jambe avancée devant supporter environ 80% du poids du corps, la jambe arrière étant tendue et
les deux pieds posés à plat au sol), ce critère est le premier pour l’attribution d’un point (ippon).
Sachant qu’on peut récompenser une technique par un ou trois points, autant dire que ce critère
est fondamental. Un bon crochet avec un talon relevé mais respectant les autres critères ne sera
donc pas comptabilisé.
La suite de l’article 6 est d’ailleurs édifiante par rapport à cela lorsqu’elle définit les projections
acceptées :
« Pour des raisons de sécurité, les projections dont le point de pivot est au-dessus des hanches,
sont interdites et peuvent valoir au fautif un avertissement ou une pénalité. Sont acceptés les
techniques de balayage conventionnelles du KARATE qui n’exigent pas la retenue de
l’adversaire pendant leur exécution. »
Notons que le balayage n’est comptabilisé que si l’on frappe sur un point vital dans les 2
secondes suivant la chute.
Il serait donc évidemment interdit à un judoka d’y pratiquer son art car même les balayages qu’il
exécutera se feront en agrippant son adversaire (sachant qu’en aucun cas il ne le frapperait au
sol).
Le règlement proscrit donc des techniques très efficaces et envisageables à fin de codifier la
rencontre et s’assurer que l’on verra un karaté académique.
Car il nous faut préciser que, dans le cadre de ces réglementations, les techniques se définissent
en « négatif ». En exemple, nous considérerons le « balayage ».
Un balayage est une technique de projection consistant à supprimer un appui essentiel à
l’adversaire. Ces techniques visent généralement les pieds et se font dans une certaine
dynamique, il s’agit généralement d’empêcher le pied de se poser sur le sol ou bien de l’en ôter
sitôt qu’il est délesté. Elles se distinguent des fauchages en cela que ces dernières techniques
auront pour objet de supprimer un appui en ôtant du sol la jambe de l’adversaire qui supporte le
plus de poids. Le travail en est conséquemment modifié.
20
Cependant, le règlement de compétition va définir le balayage comme une technique se faisant
sous la cheville dans un bon timing. Cette définition est correcte mais elle ne pose pas le
fondement technique du balayage, même, elle ne permet pas de comprendre le fonctionnement de
celui-ci.
En revanche, elle permet de proscrire les frappes de pieds dans les jambes (« low-kicks ») ainsi
que les fauchages (sortes de « croc en jambe ») typiques du Judo et ne tombant pas non plus sous
le coup de l’interdit puisque n’ayant pas un point de pivot au-dessus de la hanche.
En définitive, on peut dire que le règlement, au même titre que la loi dans la société civile, a
pour raison d’être la création d’un espace conventionnel normé permettant le contrôle des
comportements. Dans un cadre strictement défini, le sportif pourra à loisir s’exprimer.
3. Arbitrage et application de normes de conduites exogène.
La loi est pensable comme un ensemble de règles édictées par une autorité légitime fixant les
normes à respecter dans nos actes.
Nous l’avons vu à l’instant, le règlement a pour vocation de fixer une discipline puis de définir
les conditions d’obtention d’une victoire. Il décrit donc en le fixant le cadre d’une discipline,
c’est l’établissement d’un univers conventionnel et cadré, contrôlé. L’art du compétiteur dans
tout cela sera de jouer avec les limites fixées par le règlement.
Le
règlement
d’une
discipline
permettant
l’arbitrage
est
donc
un
ensemble
de
prescriptions/proscriptions qui va s’appliquer de façon exogène sur le pratiquant. L’éthique ainsi
imposée est aussi une garantie car d’un point de vue pratique, en combat (kumité), on est protégé
par une loi qui va imposer certaines pratiques, interdire certaines techniques, assurer que l’on
aura tous la même tenue, la même forme de corps, et souvent la même catégorie de poids…
Ainsi, le compétiteur va-t-il systématiquement chercher à tirer au maximum profit du règlement à
l’intérieur des limites qu’il lui impose, mais qu’il a choisi (un karatéka peut à loisir décider
d’aller jouer à un autre jeu et se mettre à l’ultimate ou à la boxe, etc).
Ce choix va donc permettre la reconnaissance en termes disciplinaires (on sera champion de boxe
21
anglaise ou autre) et l’efficacité ne se déterminera plus dans la violence. Certes il y a
confrontation, opposition, mais il y a médiation de la loi et de son instance judiciaire, dans le
cadre d’une compétition il s’agit du règlement, des juges et des arbitres.
Tel coup, parce qu’il a été conforme est décrété efficace, qu’il blesse ou pas. D’ailleurs, il est
même recommandé qu’il ne blesse pas car il y a des sanctions (pénalités voire disqualifications).
Ainsi, l’article 8 du règlement sus cité interdit les comportements suivants :
« 1.les techniques qui ont un contact excessif en fonction de l’endroit attaqué ainsi que les
techniques qui entrent en contact avec la gorge
2.les attaques aux bras ou aux jambes, attaques à l’Aine, aux articulations et au coup de pied
3.Les attaques au visage avec des techniques mains ouvertes. »
Au Karaté la seule partie du corps où il est autorisé de frapper sans retenu est l’abdomen (qui
n’engendre que peu de blessures au de là de la syncope ou d’une fracture de cote), toutes les
percussions un peu détournées visant à détruire une articulation ou à provoquer des « douleurs
superflues » mais intéressantes pour obtenir un avantage en combat sont prohibées (les blessures
superflues sont une notion que l’on retrouve dans la convention de Genève…) et enfin le
troisième point constitue les techniques les plus fines et les plus efficaces de percussions au
visage, et elles sont, elles aussi, supprimées alors que c’est peut-être cela, plus que la forme de
corps (les zenkutsu dashi…) qui distingue le karaté de la boxe.
Nous sommes donc en présence d’un combat codifié, encadré par une loi conventionnelle
distinguant autoritairement ce qui est valable de ce qui ne l’est pas sans référence particulière aux
particularités fondamentales de la discipline, sur ce qui fonde son identité martiale en quelque
sorte, ce par quoi elle a justifié son efficacité originelle.
Mais si cette dimension sportive du combat codifié est intéressante au sens où elle identifie la
discipline et fixe la norme de ce qui sera jugé efficace ou pas, si elle est intéressante donc au titre
de la double médiation qu’elle met en place (celle de la loi exogène et critère de « vérité ») et
celle, nécessaire, de l’arbitre qui décidera et fait appliquer la loi en toute objectivité (judiciarité),
elle n’est pas sans rappeler cette distinction classique faite par les Grecs et si emblématique de
cette tragédie merveilleuse entre toute : Antigone de Sophocle (Sophocle, 1962).
Force est de rappeler ici brièvement la distinction que fait Sophocle, en conformité avec la
22
tradition du sens commun de l’époque, entre les thesmoï (lois traditionnelles non écrites, les
usages) et les nomoï (lois écrites et votées par l’agora).
Effectivement, Antigone va s’opposer au tyran en faisant, contre les lois de sa cité, enterrer le
corps d’un ennemi, ce dernier étant le frère de celle-ci.
Partagée entre deux lois opposées, Antigone décide de faire passer les lois du sang avant celle de
l’Etat.
En échos a ce que nous évoquions en début d’exposé, nous pourrions établir que le règlement
sportif correspond à ce qui s’apparenterait à des nomoï quand l’éthique traditionnelle, la façon de
pratiquer en recherchant la justice et les vertus revendiquées par les fondateurs sera plus proche
des thesmoï, une connaissance intime du juste dans une pratique unifiée et harmonieuse.
Dans cette mesure, force est alors de noter que les contraintes assumées par le compétiteur lui
offrent le cadre d’expression et de reconnaissance de sa valeur dans une dimension d’action
restreinte (proscription de certains actes, comme les coupes pour le fleurettiste au contraire du
sabreur en escrime) lui imposant jusqu’à une bonne conduite (fair-play, respect de l’adversaire,
interdiction des blessures volontaires et superflues…) qui va permettre le débridement de la
volonté de gagner la confrontation sportive.
On est donc dans un contexte de pure agressivité rendue possible par la présence de lois
restrictives, ce qui crée une situation morale de bienveillance artificielle par le respect d’une
norme exogène.
A ce stade de la réflexion, grande serait la tentation de penser qu’il n’y a d’apprentissage de la
vertu dans le sport que sous le joug d’une autorité légale extérieure et par la médiation d’un juge.
Univers bien dénué de liberté à première vue, et profondément ténébreux sitôt que l’on envisage
les mobiles intimes animant les compétiteurs : un ouragan de haine à l’intérieur d’une cage…
Cependant, ce serait mépriser les arts martiaux qui se pratiquent loin de la compétition et qui,
quoique enseignant des techniques redoutables et dangereuses, parviennent à former des
23
pratiquants dénués de brutalité.
III) la dimension cathartique de la pratique
1. La transmission d’une « morale pratique » par la pratique d’une activité
Comme nous le voyions en tout début de notre propos, la guerre elle-même se pense avec des
limites et se départit toujours plus ou moins des passions les plus brutales qui l’animent.
On peut donc dire qu’il existe une certaine sagesse du guerrier par delà les horreurs ignobles
jonchant immanquablement les champs de batailles (les exemples sont légions).
Il existe donc une sorte de mythe du guerrier sage, homme magnanime et juste sachant s’engager
sans retenue dans un combat sitôt qu’il lui faut passer à l’action.
Cette morale guerrière est fondée sur une éthique minimaliste sans laquelle aucune action
collective n’est possible. Epreuve ultime des valeurs morales et politiques, la guerre, le combat
est considéré et considérable comme un laboratoire de morale pratique et pragmatique.
Mais au-delà, dans les enseignements les plus proches de ces exercices de préparation à la guerre,
nous pouvons constater que le danger disparaît lui aussi.
Ainsi, force est d’admettre qu’il y a souvent moins de blessés à l’Aïkido ou au ju-jutsu qu’au
Judo, pourtant les techniques enseignées et pratiquées y sont souvent bien plus dangereuses…
Des arts où l’on pratique des luxations debout ou des défenses contre armes réelles vont
impliquer une certaine responsabilisation des pratiquants.
Mais au-delà, il y a une éthique véhiculée par l’art martial en lui-même car il exprime
généralement une conception du combat et du rapport à l’adversité au sein même de ses
techniques.
Ainsi, le ju-jutsu cherchant à céder pour vaincre et à refuser l’opposition de force va-t-il
manifester une approche du combat et une éthique de l’intersubjectivité martiale différente de ce
que l’on verra dans le Krav Maga ou le Penchak Silat.
24
La façon d’exprimer sa combativité va souvent différer, mais néanmoins, la colère sera souvent
écartée au profit de la tempérance et du sang froid (cette équanimité si chère aux bouddhistes
s’avérant si proche de la maîtrise des émotions que doit avoir tout bon professionnel).
2. de l’esprit de la pratique
Il est d’usage de prêter à Morihei Ueshiba la citation suivante :
« vaincre ou perdre importe peu, seul importe de survivre »
Et pourtant, il devient difficile de trouver plus pacifique que l’Aïkido.
Sans revenir sur le passé très rude de la pratique de ce grand maître, force est de pointer ici le
point nodal de ce qui définit l’art martial : sa conception de l’efficacité.
En définitive, les arts martiaux sont des arts de survie. Les arts martiaux japonais (et chinois)
selon leur acception du terme même de guerre ne font qu’envisager celle-ci (et son corollaire
« micro-éthique » le combat) sur la modalité du risque.
En effet, guerroyer, combattre, c’est risquer de mourir ou de s’affaiblir. D’où une obsession de
l’économie en la matière qui conduit à un extrême raffinement technique.
« Etre victorieux dans tous les combats n’est pas le fin du fin ; soumettre l’ennemi sans croiser
le fer, voilà le fin du fin. » (Sun Zu, 2000, p. 59)
Début du chapitre III du traité de Sun ZU sur l’art de la Guerre, cet aphorisme a tout de
l’affirmation paradoxale. On serait même tenté d’écarter de tels propos venant d’un général en
l’accusant de charlatanisme. Pourtant, loin de poser les bases de la dissuasion qui fit les grandes
heures de la stratégie mondiale durant la guerre froide, le but consiste à parvenir à la victoire sans
l’affrontement.
Cependant, il ne s’agit pas de préserver la paix en évitant la guerre et de créer un état de statu
quo. Au contraire, il est question d’effrayer, de dissuader de résister ou d’attaquer, de faire sentir
le danger de prendre une quelconque initiative en situation de guerre ouverte (et pas seulement en
menaçant de la disproportion des représailles).
25
Nous sommes ici en présence du principe taoïste disant que toute force se mue en son contraire
sitôt qu’elle atteint son paroxysme, ce qui implique que le mode le plus aboutit de se combattre et
de pratiquer l’art militaire revient à contrer l’ennemi dans sa préparation et non pas dans l’action.
Il s’agit là de la capacité d’anticipation qui est cultivée au niveau du duel dans la plupart des arts
martiaux et qui en constitue, là aussi, la forme la plus élevée. Le but étant de rendre la volonté de
nuire de l’ennemi obsolète en contrant la moindre de ses tentatives par la menace de le frapper là
où son action va le conduire à se découvrir (le kendo ne cesse de revendiquer un tel but).
L’art martial, donc, va tâcher d’abord de neutraliser l’adversaire avec une efficacité maximale
dans un souci d’effort minimal (ce qui définissait le Judo de Kano).
Il va, sans magnanimité, rechercher la destruction puis la préservation par le contrôle, les Budo
les plus aboutis visant la proportionnalité de la défense par rapport à l’attaque (cas des ju jutsu)
voire la destruction de la volonté de combattre dans l’adversaire (revendication emblématique de
l’Aïkido). La cible devient dès lors l’intention même de l’adversaire et non plus sa chaire.
Citons un expert de Wu shu du style de la grue blanche, le docteur Yang Jwing-Ming
« Il n’en reste pas moins qu’il vaut mieux remporter une victoire claire et nette sans blesser
gravement votre adversaire. Vous faites la démonstration que vous pouviez l’estropier, voire
même le tuer, si le besoin s’en était fait sentir. Votre conquête est spirituelle autant que physique
et ce ne sont pas ses moyens mais plutôt sa volonté de combattre que vous aurez tué en lui. »
(Yang Jwing Ming, 1994, p.189)
Mais quittons les prétentions les plus altières de ces arts martiaux parfois millénaires pour nous
intéresser à la mécanique d’une moralisation pratique du combattant.
3. pratique d’un art martial et expurgation cathartique de la violence
Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à pratiquer un art martial ? Pourquoi rechercher les plus violents,
les plus efficaces, les plus redoutables ?
Que désire celui qui vient faire de la « self défense » ?
26
Comme nous l’avons indiqué, la notion de survie est caractéristique des arts martiaux
« traditionnels » ; même si parfois, par la pratique « sportive » (du dimanche), cet aspect tend à
s’édulcorer surtout dans nos sociétés pacifiées.
Rappelons aussi que, contrairement au ressenti largement partagé dans notre entourage, le risque
de subir un accident de la circulation est statistiquement plus probable que celui de succomber à
une attaque à main armée.
Pourtant, l’envie de pratique est souvent liée à un rapport à la peur, à l’angoisse, à l’envie de
force et de capacité de protection.
Rien que des choses bien instinctives en définitives.
De là à dire que l’art martial civilise notre animalité latente, il n’y a qu’un pas.
Considérons donc sommairement deux arts différents dévoués à l’efficacité « pure » et dont les
techniques ne sauraient pleinement être appliquées dans un combat dit de « rue » (un puissant
mythe que celui-là) puisqu’en cet endroit, le combat tombe directement sous le coup de la loi,
afin de voir comment s’installent leur rapport à l’adversité.
Evoquons d’abord l’Arnis, art martial Philippin dévoué au travail des armes (cannes, couteau,
épée, machette et tout autre ustensile susceptible d’être utilisé comme tel).
Ce qui nous intéresse ici, c’est que, par la pratique d’un art potentiellement inutilisable (grâce à
la Police, il est risqué plus que rassurant de se promener avec une machette en France), en
s’entraînant rapidement avec des armes réelles, on arrive à une euphémisation de la violence des
pratiquants à mesure qu’ils deviennent potentiellement dangereux.
La maîtrise de l’arme, la sage acceptation du danger dans le combat, la certitude qu’un
affrontement n’est pas gratuit et qu’à se défendre contre un couteau on sera, au mieux, coupé fait
prendre la mesure de ses actes.
Même, s’entraînant avec des armes réelles avec un partenaire acceptant un risque finement
mesuré, on y apprend à se dominer, à préserver tout en attaquant franchement, à conserver son
sang froid, et à subir l’attaque alternativement dans un travail de collaboration.
Le travail de ce genre d’art martial conduit directement à une responsabilisation du pratiquant
investit d’un pouvoir quand il attaque (ou contre attaque conventionnellement), pouvoir qu’il
rend sitôt qu’on échange les rôles pour permettre à l’autre de pratiquer et d’à son tour progresser.
27
De même en Ju jutsu, puisque sur une saisie on va apprendre à briser une articulation ou à
projeter un adversaire, attaquant et défenseur échangeant régulièrement leurs rôles apprennent à
perdre et à vaincre alternativement.
La différence réside dans la violence potentielle de la réponse apportée : travaillant à mains nues,
le ju jutsuka va s’efforcer de répondre justement à l’attaque subie, sans cruauté superflue. Mais
en revanche, il cherche à, systématiquement, soumettre totalement l’adversaire en le menaçant
d’une luxation ou d’une défense potentiellement létale (strangulation par exemple).
Deux processus se mettent alors en place dans la gestion d’une agression par ces pratiques :
D’une part, la maîtrise des émotions permet une meilleure gestion de l’agressivité de soi et
d’autrui : on brise les cycles générateurs de violence que sont l’orgueil et la peur dans un combat.
L’entraînement enseignant de façon pratique l’humilité (on se laisse dominer par un partenaire
afin qu’il essaie le mouvement), la peur de perdre s’estompe pour laisser place à la sereine
gestion du risque.
D’autre part, on tempère ses réactions par l’habitude au danger et aux situations d’agressions
mimées :
L’entraînement à la réaction face à des coups portés avec ou sans armes permet une appréhension
plus désabusée de l’agressivité d’autrui.
En définitive, il est bien évident que sans « codification » il n’y aurait aucun entraînement
envisageable. Le combat codifié dans les arts martiaux « traditionnels » se limitant alors à
l’apprentissage d’un mouvement technique dans une alternance de victoires et de défaites
consenties et responsabilisatrices.
Cette préparation au combat « réel », préparation technique mise en œuvre par les soldats en
parallèle d’activités à caractère plus sportifs où l’émulation rappelle les bons vieux jeux grecques,
met en œuvre une codification des échanges martiaux visant à permettre le raffinement de la
capacité à détruire l’autre.
28
Pourtant, apparemment à l’opposé radical de la codification sportive par le règlement (la loi),
l’effet de l’apprentissage des techniques de combat les plus redoutables n’est pas sans induire une
certaine expurgation de la brutalité dans la pratique et par la même, d’une médiation de la
violence par la responsabilisation et l’apprentissage de l’humilité qu’elle impose.
CONCLUSION :
En définitive, nous avons croisé trois formes de codification impliquant une modération plus ou
moins directe de la violence dans les activités pugilistiques lors de notre parcours.
D’abord, la modération de la violence par le sport :
La pratique sportive appelle l’effort et le dépassement de soi dans une émulation nécessitant
l’excitation d’un désir de vaincre à tout prix que le règlement vient tempérer selon deux
modalités opératoires : d’abord la définition stricte d’une discipline générant un cadre de valeurs
communes et imposant des mouvements stricts et codifiés, puis la réglementation stricte
sanctionnant la brutalité ou la prise de risque excessive. C’est le code sportif pour la compétition.
Ensuite, nous avons pu aborder une modération de la violence dans les activités pugilistiques par
le rapport à la tradition martiale et à l’éthique qu’elle porte. L’héritage des codes d’honneurs et
sportifs étant un socle commun de critères moraux transmis sur le mode de l’héritage culturel.
C’est le code d’honneur pour la guerre.
Enfin, nous avons pu constater comment les arts martiaux de tradition guerrière transmettaient, en
plus de leur tradition culturelle, une morale pratique par un apprentissage pragmatique conçu
comme la voie d’un épanouissement de l’homme selon un modèle universel de sagesse.
En impliquant dans les échanges codifiés des comportements moraux, on structure la réaction de
l’individu et on l’éduque en lui faisant expérimenter la « disposition d’esprit » favorable à
l’efficacité la plus grande. Le combat devenant une transposition symbolique de l’existence.
C’est la codification de la pratique pour l’entraînement martial.
Cette dernière codification, la moins théorique de toutes, la plus implicite de toute, est cependant
29
peut-être la plus efficace de toute. Paix des justes, instauratrice de relations de réciprocités et
d’entraide par une alternance d’humiliations et de dominations décomplexées et consenties, elle
n’est pas sans rappeler vaguement la pratique de l’ascèse qui, par la mortification cherche la paix
et l’élévation de l’âme, la tranquillité d’esprit par la domination des appétits. Etrangement, et à
tout prendre, la pratique de techniques de combats si violentes qu’elles sont quasiment
inutilisables paraît presque plus douce et plus utile à la vie en communauté que l’ascèse aspirant à
un épanouissement disproportionné de l’âme par rapport au corps méprisé.
Levinas définissait l’expérience première de la morale dans la reconnaissance d’un « alter ego »
par la rencontre de son visage, nous serons cependant tentés de conclure en affirmant que
l’expérience de la réciprocité est une source plus sûre de l’acceptation d’une altérité.
Ainsi, au-delà de la logique de l’attendrissement face à l’humanité (toujours niable) d’autrui
incarnée par un visage, nous voyons dans le fait d’apprendre à détruire l’autre tout en lui cédant
ce pouvoir, un partage authentique qui n’est pas sans rappeler que c’est cette peur de la
réciprocité absolue de l’état de guerre de tous contre tous qui, selon Hobbes, conduit à la genèse
de la société.
Dès lors et pour finir, quelle meilleure allégorie de la sérénité du pratiquant d’arts martiaux
pourrions-nous trouver que celle fournie par le symbole du Judo ?
Car en effet, comme emblème d’un art voué à l’éducation de la jeunesse japonaise fondé sur une
éthique de l’entraide et de l’humilité par l’apprentissage du combat, Jigoro Kano a choisi un
symbole national fort, la fleur de cerisier qui, en plus de rappeler à l’homme la beauté de ce qui
est éphémère, tombe sans se faner…
Bibliographie
1 - Bancel Nicolas et Gayman Jean Marc dans Du guerrier à l’athlète, éléments d’histoire des
pratiques corporelles, PUF Paris 2002
2 - Cicéron, Traité des devoirs, traduction d’Emile Bréhier, Paris, Gallimard, collection tel, 1962
3 - Chrétien de Troyes, Erec et Enide, traduction de Jean-Pierre Foucher, Gallimard, collection
Folio 1970
30
4 - Deshimaru Taisen, Zen et arts martiaux, Albin Michel, coll « spiritualités vivantes, Paris 1983
5 - FFKAMA, Règlement des compétitions saison 2005/2006
6 - Flori Jean, La chevalerie, Luçon, Gisserot-Histoire, 1998
7 - Jigoro Kano, Judo Kodokan, éditions de l’éveil – Budo éditions 1999 pour la traduction
française
8 - Lao Tseu, Tao te king, traduction de Ma Kou, Paris, Albin Michel, 1984
9 - Nitobe Inazo, Bushido, l’âme du Japon, édition de SIAM 1982
10 - Platon, République, traduction d’Emile Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1989
11 - Sophocle, Antigone, 1962, Paris, éditions « Les Belles Lettres » pour la traduction française
12 - Sun ZU, L’art de la guerre, traduction e Jean Lévi, Paris, Hachettes littératures, 2000
15 – Vernant Jean Pierre, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris 1974
16 - Xénophon, Cyropédie, tome I et II, texte établit et traduit par Marcel Bizos, Paris Les Belles Lettres,
1971
17 – Yang Jwing-Ming, Chin Na du Shaolin, Budo Store 1994 p.189
31
Téléchargement