27/05/2014 Quand les Abysses fleurissent. par Daniel Desbruyères océanographe Ifremer (e.r.) Ce résumé a été rédigé à la suite de la conférence de D. Desbruyères le mardi 27 mai à l'UTL de Landerneau Sommaire Quand les Abysses fleurissent. .................................................................................................................................................................. 1 I. Concept des Mers territoriales : ....................................................................................................................................................... 1 II. Le monde des Abysses : ................................................................................................................................................................... 2 III. Sur le fond : dragues, chaluts et submersibles : ........................................................................................................................... 3 IV. La plaine abyssale, un désert bien peuplé :.................................................................................................................................. 4 V. Les oasis de profondeurs : ................................................................................................................................................................ 4 VI. L’exploration des grands fonds : ................................................................................................................................................. 6 I. Concept des Mers territoriales : Les eaux territoriales, ou mer territoriale, sont la partie de mer côtière sur laquelle s'étend la souveraineté d'un État côtier. Sa largeur maximale est fixée à 12 milles marins (soit 22 224 mètres) ou par un partage médian du littoral pour les États voisins dont les côtes sont distantes de moins de 24 milles. L’État exerce sa souveraineté sur les eaux territoriales : sur la nappe d’eau, mais aussi sur le fond et le sous-sol ainsi que sur l’espace aérien. Les navires étrangers, qu’il s’agisse de navires de commerce ou de navires de guerre, ont un droit de passage inoffensif. La zone contiguë (de la limite extérieure de la mer territoriale jusqu'à 24 milles des lignes de base). Il s’agit d’un « espace tampon » où l’État ne dispose que de quelques compétences finalisées (contrôles pour prévenir et réprimer les infractions aux lois nationales dans certains domaines). La zone économique exclusive (la ZEE) est d’une largeur maximale de 200 milles (370 km) au-delà des lignes de base. L’État côtier dispose de « droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, des eaux subjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol ». L’État côtier peut donc réglementer l’activité de pêche, notamment fixer le volume autorisé des captures. La France est le second pays après les États-Unis à avoir le plus de surface de mers territoriales : 11 millions de km2, surface 3 fois plus importante que l'hexagone. Dans le cadre de la procédure internationale d'extension des plateaux continentaux juridique, la France conduit un programme de recherche en vue de revendiquer l'accès a des fonds marins extérieurs à la limite des 200 miles marins. 2014-05-27-Les-Abysses.doc 1/7 27/05/2014 II. Le monde des Abysses : A. Un monde sans soleil, il fait froid, il fait noir, il fait faim. Dans cette partie de l'océan la lumière solaire ne permet pas la production végétale. Longtemps on y pensa toute vie impossible. Depuis les grandes expéditions océanographiques (deuxième moitié du XIX siècle) les scientifiques ont démontré que la vie était présente dans les grandes profondeurs de l'océan, mais en quantité limitée. À la fin de la décennie 1970, les scientifiques découvrirent des écosystèmes exubérants à proximité de sources chaudes chargées en minéraux. Progressivement, notre vision des fonds marins évolue et l'idée d'un milieu complexe se substitue progressivement ou modèle d'un milieu abyssal uniforme et quasi désertique. Aujourd'hui, certaines sources hydrothermales profondes (fumeurs noirs) sont associées à une des hypothèses quant à l'origine de la vie sur Terre. B. La Profondeur : À 200 mètres de profondeur dans les océans, 99 % de la lumière solaire a été absorbée, puis, au-delà de mille mètres, la nuit est complète. La profondeur moyenne de l'océan : 3682 m, la profondeur maximale 11 034 m (2% des fonds). Moins de 6000 m : 97% des fonds (zone de recherche) Surface des océans : 361 millions de km2, surface des terres : 141 millions de km2 C. La température : Elle est en général inférieure à 2 degrés, sauf en Méditerranée où l'eau de fond est à 13 degrés, mais elle est très salée. (Tableau de la Thermocline ou l'entre deux eaux) 2014-05-27-Les-Abysses.doc 2/7 27/05/2014 D. La pression : Elle est intense. C'est un facteur majeur qui agit sur les organismes des abysses. Tous les 10 mètres de profondeur, la pression de l'eau augmente d'une atmosphère. Dans la mer profonde, la gamme de pression va de 20 à plus de 1000 atmosphères. E. La lumière : La lumière solaire est inexistante, mais une "lumière" biologique est omniprésente : ainsi, à une profondeur supérieure à 500 m en Atlantique Nord-Est, la bioluminescence, produite par 90% des organismes vivants. Face à ce manque de lumière solaire, les organismes doivent compter sur les sens autres que la vision. Ils émettent des signaux lumineux ou des appâts lumineux pour se parler, se retrouver, se combattre. Des micro-organismes émettent cette lumière. C'est une réaction avec l'oxygène de l'eau. F. La densité : L'eau de mer est 830 fois plus dense que l'air. G. La nourriture : Les prédateurs sont adaptés à manger vite et beaucoup, car la nourriture est rare et ils peuvent manger des proies plus grosses qu'eux ; puis ils peuvent rester un an sans manger. III. Sur le fond : dragues, chaluts et submersibles : Hier Le bathyscaphe explore les abysses. Le premier est inventé par Auguste Picard (1884-1962) en 1948. La flottabilité était constituée d'un flotteur rempli de pétrole lampant. Aujourd'hui En 1960, Allan Vin invente une flottabilité de mousse syntactique constituée de microbilles de verre noyées dans une résine, ce qui réduit la taille des submersibles et le rend léger, maniable et transportable. En 1960 aussi le Trieste descend à 10916 m (record jamais dépassé) ; en 1962 l'Archimède descend à 9545 m ; puis l'Alvin, qui peut descendre jusqu'à 4700 m. En 1984 le Nautile descend à 6000 m ; il pèse moins de 20 tonnes et peut plonger durant 7 h (5 heures d'autonomie active). L'énergie est fournie par des batteries électriques. Il a des bras télémanipulateurs pour les récoltes et les expériences. (Il est possible de consulter, sur le Net, les différentes missions sur le site de l'Ifremer : A la découverte des grands fonds, Photos nouveaux submersibles habités.) Les ROV (véhicules téléguidés) : le Victor 6000 est dédié à la recherche scientifique dans le domaine de l'océanographie ; il est capable d'effectuer de l'imagerie optique de qualité, d'emporter et opérer divers équipements et outillages scientifiques. La partie inférieure de l'engin est constituée par un module scientifique instrumenté et interchangeable, selon la nature de la mission. Équipé de bras manipulateurs, il emporte l'essentiel de l'instrumentation ainsi que le panier de prélèvement d'échantillons. Ce système modulaire peut aussi être valorisé et servir de plateforme technologique pour de nouveaux équipements. L'inconvénient est le câble electro - opto - porteur qui le relie à la surface et peut être une gêne dans les milieux accidentés, car il peut s'accrocher. L'équipage reste à bord du navire de surface (ex. Pourquoi-Pas ou Atalante). 2014-05-27-Les-Abysses.doc 3/7 27/05/2014 L' AUV (Autonomous Underwater Vehicle) côtier est capable de plonger à 3000 m et de parcourir jusqu'à 100 km. Il permet d'obtenir des cartes précises du fond marin et de repérer les sorties des fluides près des fonds pour optimiser les zones d'intérêt. IV. La plaine abyssale, un désert bien peuplé : En surface, le maillon herbivore de la chaîne alimentaire classique se nourrit grâce au phénomène de la photosynthèse chlorophyllienne qui n'existe plus dans les grands fonds. La plaine abyssale, est un milieu qui fonctionne comme un égout, il reçoit de la surface cadavres et déjections, agglomérats gélatineux (500 millions de tonnes de carbone/an...). La matière organique se décompose en descendant lentement. Les animaux sont essentiellement des détritivores et des prédateurs. Les détritivores : les animaux détritivores se nourrissent de résidus qui viennent de la surface. Bien que la biomasse soit faible, il y a une grande diversité d'animaux sur les grands fonds : vers, mollusques, crustacés, échinodermes... Les équarrisseurs se nourrissent de cadavres d’animaux pélagiques qui tombent rapidement dans les grands fonds (baleines, thons..;). Ces carnassiers sont des requins (à 3000 m de fond), des mollusques gastéropodes, des crustacés de grande taille, des poissons comme les grenadiers. Contamination de la chaîne alimentaire : le milieu profond est le puits ultime pour polluants, en particulier les polluants organochlorés. La charge en pesticide organochlorés (POPs) va être concentrée tout le long de la chaine alimentaire profonde ; elle est plus importante pour les poissons profonds que pour les poissons homologues des couches superficielles, vivant dans la même région. Il n'est donc pas très recommandé de consommer des poissons pêchés en eau profonde. (La vie dans les grands fonds sur le Net : 36 photographies présentent la faune, la géologie et les moyens d'exploration mis en œuvre par IFREMER pour l'exploration des grands fonds.) V. Les oasis de profondeurs : Les dorsales océaniques sont des chaînes de montagnes sous-marines. C'est le plus long système volcanique existant sur la Terre qui forme une chaîne de reliefs continue au fond des océans, sur environ 60 000 km, avec une profondeur moyenne de 2600 m ; ces dorsales correspondent à la zone d'écartement des plaques océaniques où la vitesse de séparation peut dépasser 20 cm/an (dans la zone du Pacifique sudest). Les sources hydrothermales L'eau de mer descend dans les failles, se réchauffe et ressort sous-forme de "geysers" sous-marins. Le fluide surchauffé (jusqu'à 400°C) se mélange alors à l'eau de mer froide et les minéraux dissous dans le panache précipitent sous forme de sulfures polymétalliques. Ces émissions de fluides induisent la construction de cheminées pouvant atteindre quelques dizaines de mètres de hauteur. La roche alentour apparaît à nu sous forme de basaltes, sauf dans certaines zones proches des continents. Autour de ces sources se développent des peuplements exubérants : 10 000 à 100 000 fois plus de matière vivante au mètre carré que dans le reste du domaine abyssal. Localement, la distribution spatiale des espèces varie en fonction de la distance à la source, de la composition chimique, et de la température des fluides. 2014-05-27-Les-Abysses.doc 4/7 27/05/2014 La chimiosynthèse microbienne Les écosystèmes hydrothermaux ont une chaîne alimentaire basée sur la synthèse de matière organique par les micro-organismes, utilisant l’énergie produite lors de l’oxydation biologique des minéraux. Certaines bactéries ou archées vivent à haute température (jusqu'à 120°C). Ces micro-organismes sont : - libres sur des substrats solides et dans l’eau de mer et consommés directement par les animaux (éponges, actinies, mollusques…) - symbiotiques, vivant dans les tissus de certains invertébrés, comme les vers géants Riftia pachyptila ou les moules Bathymodiolus, ou fixés dessus. Le ver géant, Riftia pachyptila, est dépourvu de bouche, de tube digestif et d'anus ; il vit en symbiose parfaite avec des bactéries. Il peut atteindre 2 m de long pour un diamètre de 4 à 5 cm. Il forme des groupes de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d'individus, fixés sur le fond à la base des cheminées hydrothermales actives. La crevette aveugle Rimicaris exoculata vit dans des sources thermales entre 30 et 10 degrés, avec une concentration d'environ 2500 par mètre carré. Elle mesure environ 5 cm L'exploration des sources continue. Au cours d’explorations menées en 1962, furent observées les premières minéralisations hydrothermales, associées à des saumures chaudes (70°C), à l’axe de la mer Rouge. S’ensuivit la découverte en 1978 des premiers fumeurs noirs (350°C) sur la dorsale du Pacifique Est, à près de 2600 mètres de profondeur, avec leurs amas de dépôts sulfurés. Dernièrement on a trouvé les dépôts les plus riches, en descendant jusqu’à 4 000 mètres de profondeur. On connaît maintenant des champs hydrothermaux, sur 2014-05-27-Les-Abysses.doc 5/7 27/05/2014 lesquels les dimensions et teneurs des minéralisations sont similaires à celles de mines exploitées à terre, c’est-à-dire plusieurs millions de tonnes. Différentes sources hydrothermales : Les fumeurs noirs : ils se développent sur l'axe des dorsales et se présentent sous forme de cheminées. Les fumeurs blancs : Ils rejettent du sulfate de calcium à des températures moins élevées (entre 200 et 300 degrés), leurs eaux n'ayant pas pénétré aussi profond dans la croûte océanique. Et entre les noirs et les blancs, il y a ... toutes les nuances de gris. Les émissions diffuses : là, il n'y a plus de cheminées, mais des suintements. Les fluides sont extrêmement dilués et à faible température (3 à 50 degrés). La vie y trouve des conditions de température particulièrement favorables. Les sources froides : On ne peut plus parler de sources hydrothermales. Mais on constate une grande similitude avec elles. Ainsi en 1983, dans le golfe du Mexique, on a découvert vivant autour de sources froides, des écosystèmes similaires à ceux des sources hydrothermales. Ce type de sources apparaît sur les marges continentales, au large du Congo et de l'Angola Les coraux froids ou coraux profonds, se développent le long des marges continentales à des profondeurs variant de quelques centaines de mètres à un peu plus de mille mètres. Ils sont à bien des égards comparables aux coraux des eaux chaudes par leur organisation tridimensionnelle, leur fonction écologique et leur mode de croissance, et fournissent un habitat pour une communauté d'organismes incluant de nombreux groupes d'invertébrés et de poissons. Leur localisation à des profondeurs soumises à l'effort de pêche, à l'exploration pétrolière ou au dépôt de câbles, ainsi que leur productivité élevée, en font des habitats particulièrement fragiles. VI. L’exploration des grands fonds : La Pêche profonde (1500 à 1800m) 65000 tonnes pêchées en Europe, 6 millions de tonnes dans le monde (empereur, grenadier de roche, lingue bleue, sabre noir.). La pêche profonde représente 1,5% de la pêche française. Faut-il l'interdire ? - la surpêche entraîne une situation catastrophique dans les années 1990/2000 - ce sont des espèces avec des biologies différentes : l'empereur peut vivre 100 ans, le sabre noir 15 ans. - une nouvelle réglementation (quotas, protection des zones sensibles - coraux, éponges- contrôles, licences en baisse), associée à l'amélioration du matériel de pêche, ont réduit d'un facteur 4 les prises internationales dans les grands fonds. - 20% des captures totales sont rejetées - La durabilité des stocks (grenadier, sabre et lingue bleue) serait aujourd'hui établie, mais est fortement contesté par les ONG. 2014-05-27-Les-Abysses.doc 6/7 27/05/2014 Pétrole profond et ultra-profond En 2004 on extrait 2,25 millions de barils/jour ; en 2025 on prévoit 8,25 millions de barils/jour (soit à peu près la production actuelle de l'Arabie Saoudite). Des sites à potentiel nouveau vont être découverts dans des zones non encore attribuées qui vont susciter des convoitises. L'offshore ultra-profond (1000-3000 m) reste globalement une des rares zones, avec l'Arctique, encore très peu explorées et susceptibles de donner lieu à des découvertes majeures. Même si dans certains cas, comme au Brésil, le stade de l'exploitation est déjà atteint (exploitation du champ de Marlin par plus de 1700 m de fond), on assiste aujourd'hui à un très fort développement de la recherche pétrolière dans quatre secteurs géographiques : la marge brésilienne, le Golfe du Mexique, l'Atlantique Nord-Est et le Golfe de Guinée. L'impact des installations et fuites accidentelles reste une préoccupation majeure. Les sulfures polymétalliques : Alors que l'on assiste à une mutation des marchés mondiaux des matières premières les sociétés minières s'intéressent aux minéraux en profondeur. Preuve de l'intérêt et de la vigilance des États autour de ce sujet, la Chine et la Russie se sont mobilisées très rapidement en 2010 dès l'annonce de la nouvelle réglementation relative aux sulfures métalliques par l'AIFM ( Alternative Investement Fond Managers) pour déposer des permis sulfures, qu'ils ont obtenus en 2011 : la Chine dans l'Océan indien , la Fédération de Russie dans la région dorsale volcanique médio-atlantique. La France a obtenu en 2012 des concessions localisée le long de la dorsale volcanique médioAtlantique entre 4 et 5000 mètres. Des études sont en cours pour étudier les ressources minérales et la biodiversité des zones concernées et évaluer l'impact des activités proposées. L'IFREMER participe à ce travail de campagne océanographique et de développement technologique pour cette exploration. 2014-05-27-Les-Abysses.doc 7/7