La construction de la concurrence dans le champ

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La construction de la concurrence dans le champ hospitalier
L’impact de la mise en place de la T2A sur la qualité des soins
Bouchouicha Marie1
[email protected]
Laboratoire Economix
Université Paris Ouest Nanterre la Défense
XXXIIes Journées de l’Association d’Economie Sociale
13 et 14 septembre 2012 Aix en Provence
Dans un contexte de maîtrise des dépenses socialisées de santé, de nouvelles méthodes de
gestion ont été mises en place à l’hôpital. Celles-ci se caractérisent notamment par une
refonte du financement des établissements de soins. En raison des critiques faîtes aux
anciens modes de financement (prix de journée et budget global), jugés trop onéreux par le
régulateur, les hôpitaux sont aujourd’hui financés à l’activité en MCO (médecine chirurgie
obstétrique) à l’activité. C’est la réforme « plan hôpital 2007 » (votée en 2004) qui lance le
processus de tarification à l’activité. La loi hôpital, patient, santé, territoire de 2009 prolonge
et renforce ce mouvement.
Par cette modification dans le financement des hôpitaux, la puissance publique cherche à
atteindre quatre objectifs. Premièrement, il s’agit d’accroitre la médicalisation du
financement (rapprocher le financement de la pratique médicale effective). Deuxièmement,
l’idée est de responsabiliser les acteurs et de les inciter à s’adapter à la maîtrise des coûts.
Troisièmement, l’équité de traitement entre les secteurs publics, privés à but lucratif et
privés participant au service public hospitalier est recherchée. Enfin, il s’agit pour le
régulateur de développer les outils de pilotage médico-économiques au sein des hôpitaux
publics et privés.
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Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un début de thèse au laboratoire Economix, Université Paris Ouest Nanterre
la Défense sous la direction de Philippe Batifoulier, maître de conférences HDR et Nadine Levratto, chercheur
CNRS HDR.
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Ces objectifs politiques rendent compte des vertus que les économistes ont coutume
d’accorder à la tarification à l’activité. La littérature théorique standard en économie montre
que la tarification à l’activité est plus efficiente que les autres formes historiques de
financement. Ainsi la théorie de l’agence, en insistant sur les asymétries d’information et sur
l’opportunisme des agents, montre comment il faut inciter les individus à adopter le
comportement attendu par la tutelle. L’hypothèse implicite de ces modèles (et du
régulateur) est que la maîtrise des dépenses, engagée dans le cadre de la tarification à
l’activité, n’engendre pas de baisse de la qualité (Mougeot, 1993).
L’incitation peut alors prendre la forme de la tarification à l’activité dans le cadre plus
général de la mise en concurrence (fictive) des hôpitaux.
Dans cette perspective, l’un des problèmes théorique et empirique majeur tient à la
question de la qualité des soins dans un contexte de rationalisation des dépenses. En effet,
contrairement aux mérites supposés de la T2A, une des conséquences de la tarification à
l’activité est la réduction de la qualité des soins. On pourrait craindre les individus dé-incités
à la qualité parce qu’incités à la quantité. Comme dans le cas de la médecine de ville, où le
paiement à l’acte incite à multiplier les actes indépendamment de la qualité, la tarification à
l’activité incite à multiplier l’activité indépendamment ou au détriment de la qualité.
Cependant certains économistes pointent le risque d’effets pervers notables de la
tarification à l’activité sur la qualité des soins. En encourageant l’activité, le nouveau
financement de l’hôpital prend le risque de voir se multiplier les comportements
opportunistes. Ceux-ci peuvent alors être source de détérioration de la qualité offerte aux
patients. C’est dans ce cadre que nous proposons d’analyser l’impact de la tarification à
l’activité sur la qualité des soins. Nous rappellerons dans un premier temps les conclusions
de l’analyse économique de l’hôpital en particulier le caractère neutre de la T2A sur la
qualité. Puis nous verrons que cette thèse est remise en cause par plusieurs économistes qui
pointent les effets pervers de la T2A. Enfin nous verrons que les dispositifs de politique
économique engendrent une concurrence qui a des effets pervers notamment sur la qualité
des soins.
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1. L’économie de l’hôpital et la qualité des soins : de l’opportunisme à l’opportunisme
L’économie de l’hôpital s’est construite à partir de la critique des modèles de l’hôpital
entreprise et de l’analyse bureaucratique de l’hôpital. C’est ensuite avec le cadre général de
la théorie de l’agence qui va se développer en une analyse en termes d’asymétrie
d’information, d’opportunisme et d’incitation qui débouchera sur l’idée de tarification à
l’activité (1.1). Dans cette perspective, la mesure de la qualité des soins, en grande partie
subjective pour l’organisation mondiale de la santé, repose sur la notion d’efficience, pour
les économistes. On verra que certaines conséquences de la tarification à l’activité sur la
qualité des soins sont aussi à mettre au débit de l’opportunisme des acteurs (1.2)
1.1 Economie de l’hôpital et asymétrie d’information
Une première approche montre qu’un établissement hospitalier présente certaines
analogies avec une entreprise dans la mesure où il satisfait une activité de services, mais ne
vend pas sa production sur un marché. L’hôpital ressemble plus à une entreprise dont les
ventes dépendent uniquement de l’État (monopsone public). Ce modèle théorique favorise
la fonction de coût et tente de transposer des règles de tarification du secteur public
marchand à un secteur non marchand. Mais, cette approche n’est pas totalement
satisfaisante au plan micro-économique parce que l’intérêt du directeur est d’atteindre
l’équilibre budgétaire alors que les praticiens recherchent l’optimum thérapeutique (Domin,
2011b, Jacobzone, 1995).
Dans les structures à but non lucratif, l’objectif principal du gestionnaire est de
maximiser la taille de l’organisation, la quantité produite ou la qualité.
En effet, le manager hospitalier recherche l’amélioration de la position relative de son
hôpital dans la hiérarchie hospitalière, car la qualité des services est corrélée positivement
avec le prestige de l’hôpital. Le prestige dépend du nombre et du type de facteurs de
production et de services spécialisés de l’hôpital. Ces derniers sont un moyen pour l’hôpital
d’attirer à la fois médecins et patients. L’idée principale du modèle est que les hôpitaux
justifient leurs activités par le fait que d’autres hôpitaux ont entrepris des activités similaires
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et qu’ils doivent les imiter afin de maintenir leur statut relatif. La compétition entre hôpitaux
pour s’attacher des compétences médicales conduit à un investissement croissant dans les
équipements et les techniques les plus récentes ; il s’agit d’une sorte de paiement implicite
aux médecins pour les attirer. Dès lors, les équipements ainsi que les compétences de
l’organisation peuvent être peu adaptés à la nature des soins dispensés et/ou aux besoins de
santé.
Ces deux modèles de l’hôpital entreprise et du manager hospitalier montrent que les
hôpitaux sont dans une situation socialement inefficace au niveau de la maîtrise des coûts.
Dans cette perspective, la théorie de l’agence montre les problèmes de la gestion
hospitalière. Elle trouve ses fondements dans la prise en compte de l’incertitude qui
caractérise certaines décisions et repose sur l’idée selon laquelle les rapports entre les
agents sont marqués par une inégale répartition de l’information (Mossé, Mathy,2011).
Le système hospitalier est caractérisé par une double logique asymétrique. La
direction de l’établissement occupe une place centrale dans la mesure où elle est l’agent de
la tutelle et le principal du praticien. D’un côté, la relation entre la tutelle et les
établissements hospitaliers est marquée par des asymétries d’information. De l’autre, une
relation semblable se développe entre la direction des établissements et les services.
La relation entre la tutelle et l’hôpital est, par essence, caractérisée par une inobservabilité
des efforts. Les ressources de l’établissement sont allouées par la tutelle qui délègue à
l’administrateur la fonction de gestion. Il s’agit d’une relation d’agence avec antisélection et
aléa moral .Le principal (la tutelle) est confronté à deux types de difficultés.
L’antisélection parasite sa prise de décision de financement dans la mesure où il ne connaît
pas la formation des coûts au sein de l’hôpital et n’a qu’une connaissance statistique des
charges en milieu hospitalier. D’autre part, l’aléa moral l’empêche de savoir comment
l’agent remplit effectivement sa part du contrat (puisque l’effort de l’administrateur n’est
pas mesurable). La direction de l’établissement entend maximiser sa fonction utilité en
arbitrant entre la maximisation de son budget et la minimisation de son effort à réduire les
coûts. La seule solution pour le principal est de mettre en place un système d’incitations.
Une relation d’agence avec antisélection et aléa moral se développe également entre le
directeur de l’établissement (principal) et les médecins (agents). Le praticien est le seul
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détenteur de l’information sur les coûts. Le directeur ne pourra donc se fier qu’aux messages
envoyés par le médecin pour déterminer le budget. Dans cette perspective, ce dernier aura
tout intérêt à maximiser la taille de son service pour accroître son budget. Les deux acteurs
ont donc des objectifs différents, voire antagonistes. Il y a un phénomène d’antisélection si
l’administrateur ne peut qu’observer la moyenne des coûts et non les coûts formés dans
chaque service. Il existe une relation d’agence avec aléa moral si le niveau d’effort du
médecin est inobservable. La logique du médecin sera de maximiser un budget
discrétionnaire tout en minimisant son effort. Une solution optimale, pour la direction,
consistera à forcer le médecin à révéler l’information sur ces besoins par l’intermédiaire de
contrats incitatifs (Domin, 2011b).
Ces modèles montrent les problèmes des anciens modes de financement (prix de
journée et budget global) qui incitaient à dépenser et l’attitude opportuniste des agents
néfastes. Dans ce contexte d’analyse économique de l’hôpital, la tarification à l’activité
constitue une solution aux comportements néfastes des médecins et gestionnaires de
l’hôpital.
1.2 Comment prendre en compte la qualité des soins dans ce cadre d’analyse
Dans ce cadre d’analyse, les problèmes de qualité des soins ne sont pas absents. Ils ne
sont qu’une conséquence de l’opportunisme des acteurs dont le pouvoir discrétionnaire est
un véhicule de sous qualité des soins et plus fréquemment de sur qualité consistant à
pratiquer des actes non nécessaires ou redondants, dont peut être satisfait le patient mais
coûteux pour la tutelle. La qualité n’est ici qu’une extension de la quantité. Pour certains
économistes, en effet, la qualité est juste ce qui ne relève pas de la quantité. Ainsi pour
l’hôpital la quantité est le nombre d’admissions ou le nombre de jour d’hospitalisation. La
définition de la qualité dépend donc de comment on définit la quantité. En effet, si l’on
définit la quantité par les admissions chirurgicales alors la durée de séjour peut être une des
dimensions de la qualité (Pauly, 2004). Les différences qualitatives sont alors traduites en
différences quantitatives pour convertir les qualités en quantités.
Il n’y a pas de définition précise de la qualité qui reste une boîte noire. Développer des
incitations à une meilleure quantité des soins est supposée améliorer du même coup la
qualité. En tout cas, une incitation à la performance en termes de quantité n’est pas censée
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avoir des effets pervers sur la qualité. Les deux types de problèmes ont en effet la même
racine : l’opportunisme supposé des acteurs. La construction d’incitations à l’honnêteté
résout alors ce problème de l’opportunisme.
Pourtant, la qualité est une dimension fondamentale des soins indépendante de la quantité.
On trouve ainsi plusieurs définitions de la qualité des soins.
L’OMS définit la qualité comme la capacité de « garantir à chaque patient l’assortiment
d’actes thérapeutiques… lui assurant le meilleur résultat en termes de santé, conformément
à l’état actuel de la science, au meilleur coût pour le même résultat, au moindre risque
iatrogénique, pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, résultats, contacts
humains… » (Or, Com-Ruelle, 2008).
Donabedian, (2003) un pionnier des travaux dans ce domaine, parle de qualité à propos de
soins qui « maximisent le bien-être des patients après avoir pris en compte le rapport
bénéfice/risque à chaque étape du processus de soins ».
Mais la définition la plus largement employée vient de l’Institut de médecine des Etats-Unis
(IOM) qui précise que la qualité est « la capacité des services de santé destinés aux individus
et aux populations d’augmenter la probabilité d’atteindre les résultats de santé souhaités,
en conformité avec les connaissances professionnelles du moment ». Cette définition est
largement acceptée par la communauté internationale grâce à sa flexibilité et à son
adaptabilité à des contextes différents. Les concepts utilisés dans cette définition méritent
quelques explications. Le terme « services de santé » se rapporte à un éventail de services
qui touchent la santé, y compris les maladies mentales. En outre, la définition s'applique à
tous les types de fournisseurs de soins (médecins, infirmières, paramédicaux…) et
d’établissements (hôpital, maison de repos, domicile). L'inclusion dans la définition à la fois
des « individus et des populations » attire l'attention sur les différentes perspectives qui
doivent être envisagées. D'une part, il s’agit d’améliorer la qualité des soins fournis par les
professionnels de santé, d'autre part, l'attention doit être prêtée à la qualité du soin à
travers le système entier. La définition souligne que les soins de bonne qualité augmentent
la « probabilité » de résultats souhaités : cette notion de probabilité est importante car un
soin de qualité ne peut pas toujours produire le résultat souhaité. Elle reconnait qu'il y a
toujours en santé un aspect indéfini. On s'attend toutefois à ce que les services fournis
apportent plus de bien que de mal. Se concentrer sur les résultats exige des cliniciens de
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fournir des soins pertinents (compétence technique) en tenant compte des préférences et
des valeurs de leurs patients. Dans la pratique « trop de soins » peut correspondre à une
mauvaise qualité. Les « connaissances professionnelles du moment » impliquent que les
professionnels de santé se tiennent à la hauteur d’une bonne formation médicale et qu’ils
doivent employer leurs connaissances convenablement (Or, Com-Ruelle, 2008).
La qualité des soins n’est pas prise en compte explicitement par la théorie de
l’agence. Pourtant, cette notion n’est pas inconnue de la théorie économique comme on
vient de le voir. La théorie de l’agence en ne considérant la qualité des soins que comme un
élément ou une résultante de la quantité de soins pose problème. La tarification à l’activité,
s’inspirant de cette approche, importe le même problème.
2 De la concurrence entre ét ablissements à la baisse de la qualité
La tarification à l’activité n’incite pas a priori à maximiser la quantité de soins puisque
les établissements sont financés en fonction de la pathologie. Pourtant, la T2A a pour
objectif de réduire les coûts, or réduire les coûts des séjours n’est pas une bonne chose si on
ne prend pas en compte l’incidence thérapeutique. Réduire le gaspillage des ressources, ne
s’accompagne pas nécessairement d’une réduction des coûts de séjour, si cela engendre une
baisse de la qualité des soins. La concurrence entre les établissements n’est pas vertueuse à
tout point de vue comme le suggère la théorie de l’agence. Considérer que les différences
qualitatives ne sont que des différences quantitatives pose problème.
La tarification à l’activité repose sur l’existence d’une concurrence fictive. Cette
concurrence fictive entraîne une baisse de la qualité des soins (2.1). C’est selon nous la
construction même de la concurrence qui est également à l’origine d’un changement de la
conception de la « bonne » qualité (2.2).
2.1 Les effets pervers de la T2A sur la qualité
La tarification à l’activité en mettant les établissements en concurrence incite à
réduire la durée des séjours et donc la qualité des soins. En effet, pour maintenir un budget
« suffisant » les établissements de soins sont contraints de limiter la durée des séjours mais
d’une manière plus générale la qualité des soins.
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On peut compromettre la qualité de soins de différentes manières mais, quatre stratégies
ont été bien débattues dans la littérature.
Premièrement, les établissements, ayant intérêt à raccourcir les séjours, peuvent
renvoyer les patients à leur domicile prématurément du point de vue clinique. Ainsi, dans
tous les pays où la T2A a été introduite, on observe une réduction significative des durées de
séjours. Néanmoins, de nombreux pays cherchant à réduire les durées de séjour à l’hôpital,
avec ou sans T2A, la question qui se pose alors est de savoir lesquelles de ces réductions de
durées sont « légitimes ». Le vrai défi est de pouvoir lier le paiement au patient pour qu’il
reçoive les soins adéquats dans le cadre le plus adapté.
Ce problème est bien défini par la théorie économique relative aux conséquences d’un
système de T2A : lorsque le contenu du service associé à l’objet du paiement est mal défini
(les soins fournis dans un séjour de GHM) le producteur tend à diminuer les services fournis
dans le cadre du forfait et à transférer la responsabilité (et le coût) sur les autres (cost
shifting).
Ainsi, aux États-Unis, la baisse de la durée de séjour à l’hôpital s’est accompagnée d’un
accroissement démesuré des soins de suite et des soins à domicile (Newhouse, 2003). Il est
donc important d’assurer un système de financement cohérent entre les différents modes
de prises en charge pour un même épisode des soins pour éviter ce phénomène de vases
communicants (Cash et al., 2003). Les systèmes de santé intégrés, comme en Angleterre
(NHS) où les généralistes assument la responsabilité totale, y compris financière, de la
coordination de tous les soins fournis à leurs patients, quel que soit le cadre (à l’hôpital, dans
les centres de soins et à domicile…), sont mieux armés pour atteindre ce défi. En Angleterre,
le ministre de la Santé essaie également de « décomposer » la trajectoire des patients en
séparant les parts relatives au diagnostic, à l’admission en court séjour, à la réhabilitation,
etc. et en ajoutant des « sous-GHM » pour chacun de ces segments de l’épisode. Street et
Dawson montre que la mise en place des Health Care Ressource Groups en Angleterre ont
conduit les hôpitaux à trois types de réponses :
-
Les hôpitaux peuvent investir dans un support administratif pour améliorer leurs
procédures de codage.
-
Ils peuvent essayer de réduire leurs coûts HRG en altérant leur comportement
clinique.
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-
Ils peuvent ignorer la réduction des dépenses et se concentrer sur d’autres politiques
prioritaires.
Les deux premières stratégies risquent selon Street et Dawson de conduire à une baisse de la
qualité et à une sélection des patients.
De même, Scheffler, Clement, Sullivan, Hu et Sung (1994) effectuent une analyse
empirique de l’impact au paiement prospectif et les conséquences de l’utilisation qui est en
est faite. La période étudiée est de 1980 à 1987. Les résultats montrent que le paiement
prospectif est associé à un taux plus faible d’admissions à l’hôpital.
Ces résultats sont corroborés par d’autres analyses : Guterman et Dobson utilisent les
données Medicare pour analyser l’impact du paiement prospectif sur la durée
d’hospitalisation sur l’année fiscale complète 1984. Ils trouvent que la réponse des hôpitaux
est une baisse de la durée moyenne des séjours passant de dix jours pour les patients sous
Medicare à 9,1 jours. Bebe, Callahan et Mariano démontrent que cette tendance à la baisse
se poursuit et est de 8,4 jours en 1985. En 1986, Guterman et ali trouvent une réduction à
8,2 jours.
Les auteurs concluent que le paiement prospectif et les plans altèrent le comportement de
l’hôpital et des médecins en provoquant une baisse de la durée du séjour qui signifie une
baisse de la qualité des soins.
En France comme aux États-Unis, les médecins n’assurent pas la responsabilité de la
coordination globale des soins et le financement des dépenses hospitalières est indépendant
de celui des soins de ville.
Par ailleurs, dans ce contexte, la différence de champ dans la définition du contenu des soins
affectés aux séjours entre les secteurs public et privé en France est un problème, car cela
peut inciter les établissements privés à externaliser au maximum les examens et
consultations diagnostiques ou préopératoires qui sont financés séparément sur l’enveloppe
ambulatoire.
Une deuxième stratégie de réduction de la qualité des soins peut consister, pour les
établissements de santé, à identifier à l’avance (avant l’admission) les patients pour lesquels
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les coûts générés par le séjour seront bien pris en compte au sein du tarif GHM et
éventuellement décourager l’admission des autres patients moins « rentables »
(phénomènes d’aversion au risque et de sélection des patients). Cela résulte de la variation
des prises en charge spécifiques des patients au sein d’un même GHM et donc de
l’hétérogénéité des coûts réels derrière un même tarif GHM. Les établissements peuvent
aussi décider, en amont, d’éviter de se spécialiser dans les pathologies où la variation de
coût est importante : cela a été bien démontré aux États-Unis où une grande partie des
établissements a décidé de fermer ses services d’urgence entre 1983 et 1986 (Scanlon,
2006). Ce type de comportement est peu probable en France pour les établissements qui
doivent satisfaire à une mission de service public et ceux qui ont une obligation de fournir les
soins d’urgence à tous les patients (dont certains sont privés). Par contre, les autres
établissements privés ont, en théorie, de fortes incitations financières à cibler les patients les
moins graves ou pour lesquels le traitement est bien standardisé.
Troisièmement, les expériences étrangères montrent que la T2A entraîne un
comportement de codage opportuniste (upcoding), au moins à court terme. Cela peut inciter
également les établissements à fournir des soins ou des prestations inutiles afin de classer
certains patients dans des GHM plus rémunérateurs. Ces codages fallacieux peuvent être
repérés et corrigés à moyen ou long terme grâce à des contrôles efficaces.
Quatrièmement, parce qu’ils sont en concurrence les uns avec les autres, les
établissements de soins sont incités à maximiser leur activité en minimisant leurs dépenses
puisque ils sont rémunérés en fonction de celle-ci. Multiplier les actes, tout en maîtrisant les
dépenses peut induire des comportements opportunistes. Ces comportements sont de
diverses natures. Les hôpitaux peuvent sélectionner les patients dont le coût probable du
traitement est inférieur à la rémunération du GHM et refuser ceux dont le coût serait
supérieur. Ils peuvent également affecter des patients dans des GHM qui génèrent plus de
points ISA et lorsque la prise en charge d’une pathologie nécessite plusieurs séjours, les
établissements de santé peuvent gonfler artificiellement leur activité en multipliant les réhospitalisations et donc les séjours d’un même patient (Henriet, 2001). Les établissements
de soins peuvent revoir à la baisse la qualité des soins pour maîtriser leurs coûts.
La tarification à l’activité induit une baisse de la durée des séjours, un comportement
opportuniste et une réduction de la qualité des soins.
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2.2 La concurrence et les effets pervers de la T2A
La T2A qui doit enrayer l’opportunisme des acteurs développe l’opportunisme des
établissements car elle les met dans une situation concurrentielle. La T2A constitue une
incitation perverse. De plus, la T2A développe une nouvelle définition de ce que doit être la
qualité des soins. La construction de la concurrence est à l’origine d’un changement normatif
de la conception de la « bonne » qualité.
La mise en place de la T2A organise indirectement la concurrence entre les
établissements de soins. En effet, si ces derniers ne réalisent pas assez d’actes ou des actes
trop coûteux, certains services peuvent être fermés par la tutelle. Les hôpitaux sont donc
incités à multiplier les actes pour être plus performants que les autres établissements.
Pour être compétitifs, les hôpitaux chercheront à maximiser leurs points ISA tout en
maîtrisant leurs dépenses. Ils pourront, dans cette perspective sélectionner les patients dont
le coût probable de traitement sera inférieur à la rémunération du GHM et refuser des
patients dont la pathologie est trop lourde et donc trop coûteuse. Ils pourront également
comme on l’a vu affecter des malades dans des GHM qui génèrent plus de points pour
augmenter artificiellement leur activité. Les pathologies chroniques, lourdes et coûteuses
seront progressivement délaissées au profit de la chirurgie jugée plus rentable. Enfin, une
dernière méthode consistera à baisser la qualité des prestations afin de diminuer les coûts.
La logique marchande, présentée comme la plus avantageuse par ses partisans, risque bien
de se révéler sacrificielle pour les patients les plus faibles et les moins solvables (Domin,
2005).
Une autre stratégie des établissements de soins pour conserver des ressources suffisantes
est l’augmentation du volume d’activité. Or, la demande de soins n’étant pas limitée sur un
territoire, toute augmentation d’activité d’un offreur sur une activité de soins donnée
s’effectue nécessairement aux dépens des autres offreurs. La tarification à l’activité induit de
ce fait un renforcement des comportements concurrentiels au sein des territoires. En réalité,
les perspectives de gains de parts de marché sont faibles, compte tenu du caractère le plus
souvent oligopolistique de l’offre sur les différents segments d’activité médicale. Il n’en
demeure pas moins que la T2A amène les établissements à adopter une posture
concurrentielle renforcée (Claveranne, Pascal, Piovesan, 2011).
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Cette posture montre l’injonction paradoxale dans laquelle sont placés les hôpitaux et les
responsables de planification hospitalière à qui l’on demande de construire des projets de
territoire avec les établissements concurrents alors que la maîtrise des budgets passe par
une guerre acharnée pour faire plus que le voisin. De fait, les objectifs de décloisonnement
et de mise en synergie des établissements poursuivis par les autorités de planification sont
mis à mal (Claveranne, Pascal, Piovesan, 2011).
La capacité des financeurs (correspondant plutôt à celle des acheteurs dans les autres
pays) à contrôler la demande de soins hospitaliers devient capitale avec la T2A. Lorsqu’il n’y
a pas de seuil d’activité (défini a posteriori) imposé aux établissements, ceux-ci peuvent
augmenter le volume des soins les plus profitables, éventuellement au détriment de la
collectivité. En France, le contrôle des dépenses hospitalières globales est assuré par un
mécanisme de baisse de tarifs en fonction de l’augmentation de l’activité globale. Il n’existe
pas de seuils d’activité individualisés par établissement et une augmentation de l’activité
globale ne reflète pas forcément le même gain d’efficience pour tous les établissements.
Ainsi, à enveloppe globale constante, certains établissements vertueux peuvent être
pénalisés lorsque d’autres établissements, pratiquant le cas échéant la sélection de patients
et l’induction de la demande, voient leurs recettes augmenter sans pour autant être plus
efficients du point de vue de la collectivité.
La tarification à l’activité par le biais de la concurrence qui s’instaure entre les
établissements de soins amènent ces derniers à des comportements opportunistes et
néfastes dont le seul but est de maintenir son activité et son budget au détriment des
patients et de la qualité des soins dispensée. La T2A qui doit enrayer l’opportunisme des
acteurs développe paradoxalement l’opportunisme des établissements car elle les met dans
une situation concurrentielle. De plus, la tarification à l’activité met aussi en avant une
conception différente de la qualité des soins.
L’émergence de la tarification à l’activité consacre la double dimension industrielle et
marchande de l’hôpital. La première prend appui sur les objets techniques et les méthodes
scientifiques et vante l’efficacité technique, la performance et la productivité. Dans les faits,
elle se traduit par le développement des normes et des standards dans le monde de la santé.
Le développement de la politique d’accréditation mise en œuvre d’abord par l’Agence
nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) puis par la Haute autorité de
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santé (HAS), s’inscrit dans cette perspective. L’accréditation des établissements reconnaît la
dimension industrielle de l’hôpital et la replace dans un référentiel d’évaluation. L’activité de
soins est ainsi considérée comme une activité de production. La valeur du point ISA doit
d’abord être appréhendée de façon industrielle. Elle incite les établissements à rationaliser
leur activité, notamment par des réformes organisationnelles. L’hôpital est aujourd’hui dans
l’obligation de contenir la diversité des pratiques médicales afin de mettre en œuvre une
seule conduite diagnostique et thérapeutique. Le développement des palmarès hospitaliers,
élaborés sur la base de données PMSI, valorise bien évidemment la dimension industrielle de
l’hôpital et active la concurrence (Domin, 2005).
La T2A valorise également la dimension marchande des établissements. Dans le monde
marchand, le principe supérieur commun repose sur la rivalité et la compétition. Celle-ci
permet de régler les litiges entre les êtres notamment en évaluant la grandeur marchande
par le prix qui exprime les désires convergents. Les dernières réformes hospitalières
prennent appui sur les principes de compétition et de concurrence et prônent l’émergence
d’un marché encadré.
Si la T2A valorise les dimensions industrielle et marchande de l’hôpital, elle tend également à
diminuer leurs valeurs civique et domestique.
Dans le monde civique, les êtres humains n’existent pas en tant que tel mais plutôt
en tant que représentants de collectif. Les êtres appartiennent tous à un collectif qui les
comprend et les dépasse. Dans ce monde, toutes les personnes relèvent de la même justice
dans la mesure où leur conscience à la conscience générale. Le prix de journée valorisait la
dimension civique de l’hôpital en privilégiant une approche de plus en plus individuelle de la
pathologie. La valorisation du point ISA conduit les établissements à rechercher les malades
dont le coût de prise en charge sera plus faible par rapport au coût moyen d’un GHS. Une
autre manipulation est possible : la surcotation. Le malade est alors affecté dans un GHS
rapportant plus de points à l’hôpital. La T2A introduit ainsi des risques de discrimination
dans la mesure où elle incite à ne soigner que les malades qui ont un coût faible pour la
société. La rupture de la dimension civique se traduit par un risque d’éviction des mauvais
risques et plus généralement par une remise en cause de l’égalité d’accès aux soins (Domin,
2011a).
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Le monde domestique s’appuie sur les relations personnelles qui existent entre les
personnes. La grandeur est fonction de la position occupée dans les chaînes de dépendances
personnelles. Le principe supérieur commun repose donc sur la proximité, le voisinage et la
tradition. La dimension domestique de l’hôpital prend appui sur la réduction de la distance
aux soins et l’accroissement des réseaux de proximité. Les données issues du PMSI agissent
aujourd’hui comme un seuil de fermeture. L’insuffisance des admissions et plus encore, la
diminution des actes pratiqués sont devenus un argument pour fermer un service ou un
établissement (Domin, 2011a).
La stratégie d’industrialisation des soins conduit néanmoins à transformer la
conception de la compétence médicale en insistant davantage sur la dimension industrielle
de la qualité que sur sa dimension domestique. Ainsi en privilégiant la fréquence des soins à
la distance aux soins pour fermer et regrouper des hôpitaux, la restructuration hospitalière
participe à ce réagencement des qualités (Batifoulier, 2011). Les points ISA permettent
maintenant de comparer un établissement à un autre même une maternité de campagne à
un grand hôpital parisien. En rendant commensurable ce qui ne l’était pas, on active la
compétition. Cette concurrence « encadrée », « fictive » ou « par comparaison » adapte la
solution marchande aux spécificités hospitalières (Mossé et Pierru, 2002). L’agrégation
d’objets hétérogènes à partir d’un système de prix implicite conduit à traduire des
différences qualitatives en différences quantitatives et ainsi à convertir les qualités en
quantités. La concurrence qui pouvait exister sur des qualités comme dans les marchés des
singularités peut dorénavant se porter sur des prix (fictifs) qui accompagnent la
désingularisation. La réforme a fourni des dispositifs de jugement marchand. La production
de classements conduit aussi à des déclassements et incite les acteurs à jouer l’indicateur et
à accroître leur rang hiérarchique dans le palmarès (Batifoulier 2011). La T2A développe
donc une nouvelle définition de ce que doit être la qualité des soins.
Conclusion
Il semble que la tarification à l’activité nuit à la qualité des soins. La durée des séjours
diminue dans l’ensemble des pays où une tarification à la pathologie a été appliquée. Le
travail de modélisation de l’hôpital sur lequel s’appuie la réforme de la T2A semble
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insuffisant pour prendre en compte l’ensemble des dimensions de l’organisation
hospitalière.
La tarification à l’activité en organisant et en renforçant la concurrence entre les
établissements de soins conduit à des effets pervers : diminution de la durée des séjours,
sélection des patients, surcodage, sélection des activités etc. Cette concurrence renforcée
dans les établissements de soins transforme aussi la conception de la qualité avec un
glissement d’une conception civique et domestique où le bien être des patients et l’accès
aux soins étaient valorisés à une conception industrielle et marchande où maximiser
l’activité et rechercher les activités rémunératrices priment.
Il faudrait introduire une mesure de la qualité des soins et prendre en compte les
caractéristiques sociales des patients dans la tarification à l’activité pour éviter une
réduction de la qualité des soins et la sélection des patients.
Enfin, on peut se demander si le problème de la T2A n’est pas d’inciter les établissements de
soins à l’activité plutôt que de les inciter à la performance.
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