Les économies émergentes en difficulté : le monde multipolaire

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Les économies émergentes en difficulté : le monde multipolaire
attendra
L’émergence de nouvelles puissances était censée conduire à un monde
multipolaire. Les divisions au sein des BRICS, les difficultés domestiques et le
ralentissement économique annoncé par le FMI repoussent cette perspective. Le
véritable défi de l’Occident est intérieur.
The coming up of new powers was supposed to lead to a multipolar world. In addition
to the divisions between the BRICS countries and domestic difficulties, the IMF says
that the emerging countries are slowing down. Thus, such a multipolar world will be
for later. The very challenge to the West is inward.
La crise de 2008 et la promotion du G20 avaient mis au premier plan les BRICS et le
monde des émergents. La démultiplication des centres créateurs de richesses
entraînée par la mondialisation-globalisation devait se traduire par la formation d’un
« monde multipolaire » qui sanctionnerait le rétrécissement de l’Occident. Las. Les
phénomènes de croissance sont une chose, les lois de la puissance en sont une
autre. De surcroît, le FMI souligne le ralentissement des économies émergentes
avec ce que cela implique de difficultés et de défis intérieurs. L’avènement du
« brave new world » multipolaire est donc repoussé à plus tard.
La success-story des BRICS
La grande expansion des deux décennies précédant le krach du 15 septembre 2008
aura vu se développer les économies situées à la périphérie du système occidental.
Dans les années 1980-1990, l’extension des logiques de marché à l’Est et au Sud a
fait entrer ces pays dans le jeu économique global, à l’instar de la Chine, de l’Inde,
du Brésil ou encore de la Russie. Elaborée dans les années 1980 pour rendre
compte de nouvelles opportunités financières, l’expression de « marché émergent »
laisse place à celle de «puissance émergente ». En 2001, Jimmy O’ Neill,
économiste à la Goldman Sachs Asset Management, forge le concept de « BRIC » et
souligne la dynamique de croissance du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine.
L’acronyme se vulgarise lorsque, en 2003, est publiée une étude prospective qui
recourt à ce concept pour anticiper les mouvements de fond de la géographie
économique. Selon cette étude, les BRICs à l’horizon 2025, représenteraient la
moitié du PIB du G6 (Etats-Unis, Japon, RFA, Royaume-Uni, France, Italie) et, à
l’horizon 2050, surclasseraient cet ensemble de pays avancés.
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Les pays relevant du BRIC partagent diverses caractéristiques dont l’extension
territoriale, le poids démographique, l’abondance des ressources naturelles, de forts
taux de croissance et d’importantes parts de marché à l’exportation. Les puissances
émergentes sont décrites comme des Etats-continents à même de jeter des forces
titanesques dans l’arène internationale. S’emparant de ce concept pour revendiquer
un rôle nouveau au plan international, les dirigeants des pays en question organisent
depuis 2009 des sommets annuels et ils se sont adjoints l’Afrique du Sud (Hainan,
2011) : on parle désormais des BRICS. Ce format diplomatique doit donner corps à
l’idée d’un monde multipolaire présupposé équilibré et harmonieux. En fait
d’harmonie, l’auto-affirmation des BRICS s’accompagne d’une rhétorique antioccidentale maniant l’anachronisme. Alors que ces pays tirent bénéfice de la
mondialisation des marchés et du commerce, leur discours mêle en effet
thématiques tiers-mondistes et accents de guerre froide. Cette « polémique », au
sens étymologique du terme, révèle certaines des passions tristes qui animent les
anciens tributaires et rivaux de l’Occident. L’avenir selon les BRICS : une politique du
ressentiment ?
L’émergence n’est pas la puissance
Pourtant, l’idée de « monde multipolaire » est de portée limitée. Elle pose une
équivalence de principe entre un processus d’émergence reposant sur des données
quantifiables (taux de croissance, participation au commerce mondial, réserves de
changes, etc.) et des phénomènes de puissance qui sont d’un autre ordre. Notion
dynamique, la puissance désigne la capacité à faire triompher sa volonté dans le
rapport des forces entre les diverses unités politiques. Elle implique une intention
politique consciente, un système institutionnel adéquat, la mobilisation efficace des
ressources de pouvoir et des représentations géopolitiques affirmées. Or, le
développement des pays émergents n’induit pas ipso facto de nouvelles
configurations internationales : projet politique, conscience historique et sens des
responsabilités internationales ne sont pas au rendez-vous. De surcroît, les centres
de pouvoir présentés comme des contrepoids à l’hégémonie occidentale ne
constituent pas un ensemble cohérent. Les capacités d’action diffèrent et les
oppositions sont multiples. Présenté comme une alternative à la Banque mondiale, le
projet de Banque de développement annoncé par les BRICS à New Delhi (2012) et
réaffirmé à Durban (2013) n’a pas pu voir le jour encore.
A cela s’ajoute la perte de dynamisme des pays émergents, très sensible ces
derniers mois : les taux de croissance sont de 7,5% en Chine, à peine 4% en Inde et
en Russie, moins encore au Brésil et en Afrique du Sud, soit une réduction du tiers
voire de moitié par rapport aux années 2000. Certes, ces valeurs sont élevées au
regard des taux de la zone euro-atlantique mais il faut conserver à l’esprit les besoins
immenses de ces pays qui demeurent sous-développés. Les prévisions de
croissance publiées par le FMI, le 9 juillet dernier, annoncent un « ralentissement
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prolongé » dans le monde des émergents. Au-delà du cas du Brésil, mis en évidence
par les manifestations, il faut considérer celui de la Chine, deuxième économie
mondiale mais au 101e rang mondial pour l’indice de développement humain. Ce
n’est pas le seul modèle de croissance par les exportations et la dette qui est en
cause mais la structure léniniste du pouvoir, l’économie de commande et les
distorsions dans l’allocation des ressources que ce système génère. D’une manière
générale, les difficultés intérieures des émergents renforcent l’autisme qui caractérise
les grandes masses politiques et leur peu d’appétence pour les responsabilités.
Vers un front atlantique
Sur le plan horizontal des rapports de pouvoir, les Occidentaux conserveront leur
suprématie, à condition qu’ils se désendettent et mènent les réformes structurelles
requises par la situation. Si leur alliance politico-militaire se voit renforcée par
l’organisation d’un front atlantique dans la géoéconomie mondiale, ils constitueront
une sorte d’Etat universel, au sens d’Arnold Toynbee.
In fine, la faiblesse de l’Occident demeure celle que le grand historien britannique,
suite à la « guerre de Trente Ans » du XXe siècle, avait identifiée : une rupture
d’équilibre entre leur capacité d’action sur le monde d’une part, leurs vertus
intellectuelles et spirituelles d’autre part. Le fait est plus évident encore et le véritable
défi se situe donc sur un plan vertical.
Jean-Sylvestre Mongrenier
Chercheur associé à l’Institut Thomas More
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