126-Cyc.St-Onge B06 - National Magazine Awards

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CouvQSaoût2013LapinsFinal_Layout 1 13-06-27 11:46 AM Page 1
PALMARÈS : LES RENCONTRES ANIMALES LES PLUS ÉTRANGES
QS
> UNE SORTIE AU ZOO : PANDA XXX
ET ÉLÉPHANT STARBUCK
>ET NOUS, DANS TOUT ÇA?
Québec Science
Août-septembre 2013
SEXE
UN
DOSSIER
TRÈS
SPÉCIAL
MOTEUR DE L’ÉVOLUTION
EN KIOSQUE JUSQU’AU 20 SEPTEMBRE 2013
6,45$
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« ON TOMBE AMOUREUX PARCE QUE L’AUTRE EST DIFFÉRENT »
quebecscience.qc.ca
UN NUMÉRO
QUI RÉVÈLE UNE NATURE
PLUS LUBRIQUE
QUE JAMAIS
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:16 PM Page 14
AVEC LE SEXE, L
e la fourmi au
lapin, de la
moule d’eau
douce au singe
bonobo, de l’oiseau
jardinier à Homo sapiens,
les êtres vivants
déploient une diversité
invraisemblable pour se
reproduire et pour
perpétuer la vie ainsi que
leurs gènes. Le sexe est
un moteur de l’évolution
qui existe depuis plus de
1 milliard d’années, bien
avant... le déluge et
l’Arche de Noé. Mais
comment et pourquoi
est-il apparu? Vers quoi
mène-t-il? Pourquoi tant
de cérémonie autour
des accouplements?
Pourquoi le sexe est-il
associé au plaisir chez
certaines espèces?
ILLUSTRATION : FREFON
D
14 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:16 PM Page 15
E, L’ÉVOLUTION!
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 15
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 16
LA VIE PEUT EXISTER SANS LE SEXE. ALORS POURQUOI LE SEXE EST-IL APP
PRATIQUES? POURQUOI GÉNÈRE-T-IL CONVOITISE ET RIVALITÉ DANS PLU
AUX ORIGINE S
Giardia intestinalis est l’un des animaux unicellulaires les plus primitifs qui soient. Il se reproduit de
façon asexuée, mais des chercheurs ont récemment
découvert qu’il était aussi capable de s’adonner au
sexe… La preuve que la reproduction sexuée date du
fond des âges! Sur cette photo, on distingue bien
les flagelles de ce parasite qui infecte chaque année
les intestins de 200 millions de personnes.
16 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 17
T-IL APPARU? COMMENT EXPLIQUER L’ÉTONNANTE DIVERSITÉ DE SES
ANS PLUSIEURS SOCIÉTÉS ANIMALES?
E S DU MONDE
EN S’ACCOUPLANT, LES ÊTRES VIVANTS ACCEPTENT
DE TRANSMETTRE À LEURS REJETONS SEULEMENT
LA MOITIÉ DE LEURS GÈNES. MAIS POURQUOI LA
NATURE N’A-T-ELLE PAS OPTÉ POUR LA REPRODUCTION EN SOLO, PLUS SIMPLE ET DOUBLEMENT
EFFICACE? LE MYSTÈRE INTRIGUAIT DÉJÀ DARWIN.
Par Marine Corniou
TONY BRAIN/SPL
T
ransmettre ses gènes. Ces trois
mots résument nos existences.
Tout ce que chaque être vivant
fait pour se nourrir, échapper
aux prédateurs ou combattre les
maladies converge vers une seule obsession : survivre assez longtemps pour se reproduire.
Bien que peu romantique et légèrement
réductrice, cette théorie évolutionniste
prévaut toujours. Et pourtant, elle se heurte
à un obstacle de taille. Elle n’explique pas
l’existence du sexe, car n’en déplaise aux
amoureux transis, la reproduction n’a nullement besoin du sexe.
« Le sexe est un paradoxe. On se demande pourquoi l’évolution n’a pas éliminé
d’emblée la reproduction sexuée», résume
Luc-Alain Giraldeau, vice-doyen à la recherche et professeur au département des
sciences biologiques de l’Université du
Québec à Montréal. Surtout que la sexualité coûte cher à ceux qui s’y adonnent.
En se reproduisant, un individu sexué transmet seulement 50% de son génome à son
descendant. Du point de vue évolutif, ce
sacrifice, appelé le « coût du sexe », est
énorme. « Le but de la reproduction est
de transmettre ses gènes. Renoncer à la moitié d’entre eux n’a pas
de sens », ajoute le biologiste.
Déjà, au XIXe siècle, Darwin fronçait
les sourcils en pensant au sexe. « Il n’y a
pas de plus grand mystère au monde, me
semble-t-il, que l’existence des sexes, particulièrement depuis la découverte de la
parthénogénèse », écrivait-il à l’un de ses
amis botanistes.
Son interrogation demeure. Pourquoi,
en effet, se reproduire à deux quand on
pourrait très bien y arriver tout seul?
Cette parthénogénèse dont parle Darwin
est une forme de clonage que pratiquent
de nombreux insectes comme les fourmis
ou les pucerons, mais aussi des reptiles et
des amphibiens. Les lézards à queue de fouet,
découverts dans les années 1960 au sud
des États-Unis, en sont l’exemple le plus
célèbre. Tous les individus sont sans exception des femelles. Nul besoin de mâles,
puisqu’elles se reproduisent en pondant
des œufs non fécondés, qui sont en fait
des copies d’elles-mêmes. Cette reproduction est extrêmement efficace. Non seulement l’individu transmet l’intégralité de
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 17
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-27 10:03 AM Page 18
diviser pour régner
La méiose est une division qui aboutit à la
création des cellules sexuelles (gamètes),
ovules ou spermatozoïdes. Elle permet de
diviser le nombre de chromosomes, ces
filaments qui portent l’information génétique,
en deux. Lors de la fécondation, les gamètes
possédant chacune une moitié de génome
fusionneront en un œuf doté d’un génome
complet. De quoi donner un nouvel individu.
1. Cellule
avec un
génome
complet.
2. L'enveloppe
du noyau
se défait.
3. Les
chromosomes
forment
des paires.
4.
5. Ils sont tirés
chacun vers un
pôle différent.
7. Résultat: deux nouvelles cellules avec
chacune une moitié du bagage génétique!
MICHEL ROULEAU
6.
18 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
ses gènes à sa progéniture mais, en plus,
il se multiplie très vite. Puisqu’une femelle
n’engendre que des femelles, elle aura, en
l’espace de 10 générations, 1 000 fois plus
de descendants qu’une femelle sexuée, laquelle produit autant de mâles que de femelles. Bref, la parthénogénèse est rapide,
directe et rentable.
Et pourtant, la nature préfère le sexe.
Mises à part les bactéries (voir l’encadré
à la page 20), la quasi totalité des plantes,
champignons et animaux (soit le groupe
des eucaryotes) s’envoient en l’air, unissant
leurs gamètes pour créer un nouvel être
unique.
« Le sexe est omniprésent, il se retrouve
chez plus de 99,9 % des eucaryotes. Dans
ce groupe, de nombreuses espèces peuvent
se reproduire aussi de façon asexuée, mais
elles gardent la capacité de s’accoupler de
temps en temps », explique Sally
Otto, biologiste à l’université de
Les eucaryotes ont des
Colombie-Britannique, memcellules dotées d’un noyau
bre de l’Académie nationale
des sciences aux États-Unis et (qui renferme l'ADN), par opposition
renommée théoricienne de aux procaryotes dont les cellules n’ont
pas de noyau. Le groupe des eucal’évolution.
ryotes comprend tous les animaux,
Même les lézards à queue
plantes et champignons, et celui
de fouet, qui ne voient jamais
des procaryotes toutes
responsable de diarrhées
de mâle, descendent directement
les bactéries.
chez l’homme, considéré
d’ancêtres adeptes de la reproduccomme un eucaryote ancestral,
tion sexuée. D’ailleurs, ces femelles
ont encore besoin de se monter dessus en apparu il y a environ 2 milliards d’années.
imitant un accouplement pour déclencher Étudiés depuis plus d’un siècle, les Giardia
leur parthénogenèse. « Jusqu’à il y a une se multiplient de façon asexuée. Or, Logsdizaine d’années, les biologistes pensaient don a découvert qu’ils possèdent malgré
qu’il y avait des lignées d’animaux asexués tout des gènes de méiose, autrement dit,
ancestrales qui n’avaient pas encore acquis un jeu d’outils les rendant aptes à la rela reproduction sexuée. En fait, on réalise production sexuée.
Voilà qui ne laisse aucun doute. « Le
que c’est le contraire : aucune de ces lignées
n’est ancestrale. Elles descendent toutes sexe est apparu très tôt, il y a un ou deux
d’ancêtres sexués et ont “perdu” leur pra- milliards d’années, dans l’évolution des
eucaryotes », affirme Sally Otto. En
tique sexuelle », précise Sally Otto.
Les récents travaux du biologiste John d’autres termes, le sexe est bel et bien une
Logsdon, de l’université de l’Iowa aux tradition primitive, une «évidence » bioÉtats-Unis, confirment cette
thèse. Le chercheur s’intéresse
aux gènes qui contrôlent la
méiose, c’est-à-dire le processus qui permet aux cellules
sexuelles de diviser par deux
leur matériel génétique dans
le but de créer des spermatozoïdes et des ovules pouvant
fusionner. Lorsque les gènes
de la méiose sont présents
dans un organisme, il y a fort
à parier que celui-ci est capa«Le sexe est apparu très tôt,
ble de sexe.
il y a un ou deux milliards d’années»,
En 2005, John Logsdon
dit Sally Otto, biologiste à l’université
s’est penché sur le cas de Giarde Colombie-Britannique.
dia intestinalis, un parasite
UNIVERSITÉ DE COLOMBIE-BRITANNIQUE
16MONDE
ORIGINE
AUX ORIGINES DU
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 19
«On tOmbe amOureux parce
que l’autre est différent.»
CHARLES SCHUG/ISTOCKPHOTO
Lequel, de l’amour ou du sexe, joue un rôle déterminant
dans l’évolution?
Thierry Lodé est
biologiste, professeur
d’écologie évolutive à
l’Université d’Angers et
membre du laboratoire
Éthologie, évolution,
écologie du Centre
national de recherche
scientifique (CNRS), en
France. Il a publié
La biodiversité
amoureuse (Éditions
Odile Jacob).
La reproduction est un processus très ancien. Comment
expliquez-vous son émergence?
Je l’explique par la théorie des bulles libertines. Aux origines de
la vie, des bulles se sont construites autour d’amas de
molécules primitives et d’ADN. Certaines de ces bulles se sont
individualisées, grâce à une paroi étanche, et ont donné les
bactéries.
D’autres ont évolué dans une promiscuité complète,
«avalant» l’ADN des autres bulles. À travers cet échange de
gènes, quelques bulles ont réussi à renouveler leur patrimoine génétique, donc à remanier leur
métabolisme. À force d’échanges, petit à petit, certaines d’entre elles ont même pu former des
êtres multicellulaires. Alors, elles ont fabriqué des cellules pour envoyer leurs gènes plus loin, des
sortes de spermatozoïdes attirés par les autres bulles. Ce qui a abouti à deux sexes : le sexe
fécondant et le sexe fécondé. Ainsi, ce sont bien les bulles les plus libertines, celles qui
pratiquaient le plus souvent des échanges, qui sont devenues sexuées.
En quoi cette théorie est-elle nouvelle?
TONY CAMACHO/SPL
logique originelle! Depuis, plantes comme
animaux se livrent sans relâche à cette activité, rivalisant de stratagèmes pour trouver des partenaires sexuels, les séduire et
les conquérir, quitte pour cela à arborer
d’encombrants ornements censés stimuler
le désir ou à se battre férocement, même
jusqu’à la mort.
Pourquoi tout ça? Le sexe conférerait
un avantage important, qui éclipse tout
le reste et lui permet de se maintenir au
fil des âges. Mais lequel? Depuis 40 ans,
une vingtaine de théories ont été avancées
pour comprendre ce qui justifie le « coût
du sexe », décrit pour la première fois en
1982 par le professeur Graham Bell de
l’Université McGill, à Montréal. Aucune
d’elles ne prouve toutefois de façon formelle que les avantages du sexe compensent vraiment ce coût. Et toutes, à
quelques nuances près, mettent en avant
le fait que le sexe permet, en mélangeant
les génomes, de créer une incroyable diversité. De quoi aider les organismes à
s’adapter mieux et plus vite aux changements de l’environnement ou aux attaques des parasites. «C’est probablement
vrai, souligne Sally Otto, et la plupart
des résultats expérimentaux vont dans
ce sens. » Mais – car il y a un mais –, rien
n’est simple en matière de sélection naturelle. Il s’avère que le sexe ne crée pas
toujours de la diversité – à l’inverse, il
Les théories actuelles considèrent que les gènes et les individus
sont égoïstes, qu’ils cherchent à survivre en multipliant les
copulations, et donc que le sexe doit conférer un avantage.
Moi, je considère que les êtres vivants existent d’abord parce
qu’ils sont en interaction avec les autres. Leur objectif n’est pas
fondamentalement d’avoir des descendants, mais d’établir des
relations avec l’autre, de «tomber amoureux». Le comportement
sexuel précède la sexualité. Il découle d’une sensibilité purement
mécanique et chimique des cellules primitives capables de
sentir la présence de leurs voisines. Mais le sexe est l’élément
moteur de l’évolution.
Elle met en évidence le fait que l’évolution crée des divergences entre les individus. On ne cherche
pas à se reproduire avec l’individu parfait, à trouver les meilleurs gènes, les partenaires les plus
beaux et les plus performants, comme on l’entend souvent dire. Sinon on se ressemblerait tous,
depuis des générations! Au contraire, la plupart des animaux cherchent à s’unir à des individus non
apparentés. On tombe amoureux parce que l’autre est différent. C’est à l’image du mécanisme
primitif : les bulles avaient besoin de matériel génétique différent pour renouveler leur patrimoine.
Ensuite, chacun tire un peu la corde à lui, et c’est ça qui fait l’évolution. Pour l’instant, nous ne
sommes que 200 ou 300 chercheurs dans le monde à défendre cette hypothèse. Dans la nature,
elle est étayée par de nombreux exemples. Les putois, sur lesquels je travaille, passent de longs
moments à «s’embrasser», à se sentir, dans le but de sélectionner des partenaires qui ont un
système immunitaire différent du leur et de produire des descendants différents. M.C.
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 19
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 20
AUX ORIGINES DU MONDE
peut uniformiser certains caractères – et
que, même lorsqu’il en crée, la diversité
n’est pas toujours bénéfique pour les descendants.
«Les parents qui ont survécu assez longtemps pour se reproduire ont généralement
des génomes bien adaptés à l’environnement, écrit Sally Otto dans un article publié
en 2008 par Nature Education. Le fait de
mélanger sexuellement deux génomes
adaptés n’offre aucune garantie que le
nouveau génome fonctionnera aussi bien
que celui des parents. »
Parallèlement, les théories stipulent
que le sexe permet aussi d’éliminer les
mutations néfastes qui s’accumulent
spontanément au cours des divisions de
cellules, comme autant d’erreurs de recopiage du code génétique. Les gènes
étant juxtaposés sur la longue molécule
d’ADN, certains «bons» gènes se trouvent
inévitablement, au gré de l’évolution, collés à des gènes mutés. Lorsque ces bons
gènes sont sélectionnés et transmis d’une
génération à l’autre, les mauvais y restent
malencontreusement attachés. C’est ce
qui expliquerait pourquoi, chez les
asexués, les défauts s’accumulent plus
rapidement, comme l’a confirmé en 2006
une étude publiée dans Science par des
chercheurs de l’université de l’Indiana.
Ces derniers ont étudié des puces d’eau,
petits crustacés qui peuvent se reproduire
de façon soit sexuée, soit asexuée (certaines lignées ayant perdu les gènes de
la méiose). En comparant 14 populations
asexuées et 14 populations sexuées, les
chercheurs ont découvert que les premières présentaient 4 fois plus de mutations
génétiques potentiellement gênantes que
les lignées sexuées. De quoi mener, à
terme, les asexués à leur perte. En effet,
à l’instar des lézards à queue de fouet,
les lignées animales asexuées actuelles
sont toutes récentes à l’échelle de l’évolution. Celles qui sont apparues auparavant se sont déjà éteintes, faute de
renouvellement génétique.
Un monde
sans sexe ?
Les bactéries, qui se reproduisent par simple
division, ne connaissent pas les joies du sexe à
proprement parler, mais elles excellent dans l’art
de s’échanger des gènes. Loin d’être isolées les
unes des autres, elles peuvent se transmettre de
l’information génétique de trois manières : par
transformation (la bactérie ingère de l’ADN
étranger et l’intègre à son génome); par transduction (un fragment d’ADN est transmis d’une
bactérie à l’autre par l’intermédiaire d’un virus);
ou encore par conjugaison (grâce à un long tube
appelé pilus, une bactérie donneuse «harponne» une bactérie receveuse et lui déverse
une partie de son matériel génétique).
Ces formes de sexe totalement dissociées de
la reproduction permettent aux bactéries de
s’adapter aux changements de l’environnement,
mais aussi de partager rapidement avec leurs
voisines les gènes nécessaires à leur survie, notamment ceux de résistance aux antibiotiques.
Le big-bang des gamètes
Au commencement était l’absence de sexe. Mais un jour, les gamètes vinrent et séparèrent
les êtres en mâles et en femelles. Depuis, pour se reproduire, qu’ils fassent l’amour ou se
fassent la guerre, les uns et les autres n’ont d’autre choix que de se rencontrer!
FÉ
U
n seul éjaculat d’Homo sapiens peut receler
200 millions de spermatozoïdes. Assez pour
reconstituer la population du Brésil si une
catastrophe la décimait.
Mais comme nous sommes plus souvent
destinés à fonder une petite famille qu’à
repeupler un pays, il y a de quoi rester perplexe
devant ce gaspillage. En comparaison, une
femme produira moins de 500 ovules durant sa
vie, avec un «succès» reproducteur somme toute
infime. Comment expliquer cette dilapidation
éhontée des spermatozoïdes? Par la sélection
naturelle, bien sûr!
Il y a plusieurs centaines de millions d’années –
probablement même plus de 1 milliard –, le sexe
est apparu. Cette époque est imprécise; on n’a
aucune trace fossile des premiers êtres,
probablement microscopiques, qui ont lancé le bal
de la reproduction à deux. On parle aujourd’hui de
reproduction sexuée mais, à l’époque, la distinction
entre mâle et femelle n’existait pas encore. Et si se
reproduire nécessitait le plus souvent que deux
individus s’unissent, il n’était pas essentiel qu’ils
fussent différents.
20 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
Cette reproduction par accouplement n’a pu
survenir qu’avec la création d’une version
spéciale de la division cellulaire, la méiose. Alors
r
rs
que la division cellulaire régulière – la mitosee –
donne deux clones complets et fonctionnels
d’une cellule (comme cela se passe dans notre
otre
r
re
corps, de même que chez les bactéries), la
méiose va plutôt donner deux demi-cellules (voir
le schéma à la page 18). Que les biologistess
appellent gamètes.
Faire un rejeton nécessite donc deux demimibagages génétiques, qui en constitueront unn
troisième. Autrement dit, deux gamètes doivent
ent se
rencontrer. Mais avant, ils doivent répondre à
deux exigences incontournables. La premièree est
s
st
de se déplacer. De là apparurent les flagelles,
s, ces
petites queues qui permettent la propulsion.. La
seconde est d’assurer la survie de l’embryon,
n,
incapable de se nourrir dans les premiers instants
s ants
st
t
ts
de sa vie. Pour cela, il faut des gamètes bienn
dodus, bourrés d’énergie à transmettre.
Mais dans le monde cellulaire, on peut être
tre
r soit
re
mobile ou soit gros. Pas les deux.
«Il y avait juste une façon de gagner à ce petit
s
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 21
C’est en utilisant des modèles mathématiques
que la chercheuse Sally Otto essaie de comprendre
pourquoi le sexe existe.
«Sans sexe, le génome reste coincé dans
des configurations médiocres, où les bons
gènes côtoient les mauvais. Le sexe permet
de recombiner les gènes de façon phénoménale au fil des générations », conclut
Sally Otto.
C’est en utilisant des modèles mathématiques que cette chercheuse essaie de
comprendre pourquoi le sexe existe. Ce
travail lui a valu en 2011 le Prix MacArthur, le fameux « prix des génies » de
500 000 $ octroyé par la prestigieuse fondation états-unienne éponyme, qui récompense chaque année les scientifiques
se distinguant par leur « exceptionnelle
créativité» .
En jouant avec les chiffres et en faisant
varier les pressions de sélection – c’est-àdire les contraintes environnementales –,
Sally Otto croit ainsi avoir démontré que,
dans certaines conditions, le sexe est la
seule option reproductive possible.
« Jusqu’ici, les modélisations n’étaient
pas concluantes, car elles se fondaient sur
des populations infinies. Dans ce cas, toutes
les variations pourraient exister, et le sexe
n’aurait pas lieu d’être. Idem dans le cas
d’un monde statique et homogène. Mais
dans des populations dont l’effectif est restreint et dont le milieu change, le sexe est
la seule façon d’explorer l’immense éventail
des variations permises par nos génomes»,
explique Sally Otto avec son article « The
Evolutionary Enigma of Sex », paru en
2009 dans The American Naturalist.
On l’aura compris, le sexe est loin
d’avoir livré tous ses secrets. Il n’a pas fini
d’intriguer biologistes, évolutionnistes,
éthologues et philosophes, qui tentent encore de comprendre ce que Darwin désignait en 1862 comme un sujet hidden in
QS
darkness, plongé dans les ténèbres. ■
jeu, d’expliquer Cyrille Barrette, professeur émérite
au département de biologie de l’Université Laval
(voir l’entrevue à la page 46). Les gamètes ont dû
se spécialiser. Les uns sont devenus très petits et
très mobiles, afin d’améliorer leurs chances de
trouver l’autre gamète immobile. Ce sont les
spermatozoïdes. Les autres sont devenus très
gros pour augmenter les chances de survie de
l’embryon. Ce sont les ovules. Si des gamètes de
grosseur moyenne et moyennement mobiles
gr
étaient apparus, ils auraient été perdants. C’est
ét
ce qu’on appelle une sélection disruptive, celle
qqui favorise deux extrêmes.»
Le rapprochement des gamètes fonctionne en
effet de façon optimale si chacun se spécialise
ef
ddans une tâche. Pour l’un, il s’agit d’emmagasiner
ddes réserves, puis d’émettre un signal chimique
attractif, sans bouger. Pour l’autre, il convient de
at
répondre
à ce signal en se déplaçant le plus vite
r
ré
possible.
p
Une fois les rôles clairement établis, on s’est
retrouvé,
au sein d’une même espèce, avec des
r
re
gamètes
inégaux quant à la taille et à la
ga
morphologie;
c’est l’anisogamie. Puis la différence
m
entre
en eux, à la fois gigantesque et minuscule,
s’est
s’ répercutée dans les organismes tout entiers
(animaux, végétaux ou autres). Une partie de la
(a
ppopulation s’est spécialisée dans la fabrication
dde spermatozoïdes; l’autre partie est devenue
pproductrice d’ovules.
C’est à partir de là que les sexes ont surgi, avec
leurs différences!
le
Lorsque la fécondation est externe, comme
chez les oursins qui répandent leurs gamètes
ch
ddans l’eau de mer en misant sur la chance d’une
rencontre, les différences s’arrêtent à peu près là.
Au mâle le mieux pourvu en gamètes la meilleure
progéniture.
Mais chez les animaux où la fécondation est
interne, comme chez les mammifères, les
oiseaux, quelques reptiles et certains insectes, si
un mâle veut féconder beaucoup d’ovules, il doit
s’offrir beaucoup d’accouplements. D’où
l’invention de toutes sortes de jeux de
compétition et de séduction qui font éclore une
pléthore de différences physiques et
comportementales entre mâles et femelles.
La distinction entre les sexes ne réside donc
pas dans les seins ni le pénis, ni même dans les
ovaires, ni les testicules. Ces caractères ne sont
que des conséquences évolutives d’une réalité
microscopique : la forme et la fonction de leurs
gamètes respectifs! J.L.
Et La fidéLité?
Pourquoi les femelles sont-elles, en général,
moins volages que les mâles? Comme les
femelles investissent beaucoup d’énergie et
de ressources dans la fabrication de leurs
riches gamètes, elles doivent leur porter
énormément d’attention et elles en produisent
donc peu. Pour les mâles, au contraire, il est
relativement facile de fournir une abondance
de spermatozoïdes. Ils peuvent donc se
permettre d’en gaspiller et – pourquoi pas? –
augmenter du même coup leur taux de succès
reproducteur en fécondant plusieurs femelles.
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 21
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 22
AUX ORIGINES DU MONDE
zz
xx
yx
TOUTES LES
NUANCES DE GRIS
FILLE, GARÇON, ZZ, HERMAPHRODITE… LA NATURE NE SE CONTENTE PAS DE
SEXES EN NOIR ET BLANC. ELLE FAIT PREUVE D’UNE ÉTONNANTE CRÉATIVITÉ.
Par Marine Corniou
BLUEXHAND/ISTOCKPHOTO
«B
ien sûr, il y a des mâles et des
femelles, mais il y a aussi de
nombreuses espèces hermaphrodites », résume Sophie Breton, professeure au département des sciences
biologiques de l’Université de
Montréal. L’escargot est sans
doute le plus connu; comme le
ver de terre, son organe sexuel
produit à la fois des spermatozoïdes
et des ovules.
Mais ce sont les poissons qui remportent
la palme de l’interchangeabilité, nombre
d’entre eux étant d’abord mâles, puis femelles (comme la daurade ou le bar), ou
l’inverse (comme le mérou). Le sexe des
poissons-clowns, lui, dépend de la hiérarchie : si la femelle dominante meurt,
c’est le mâle dominant qui reprend son
rôle en devenant femelle. Lui-même est
remplacé par le plus gros des trois ou quatre poissons gravitant alentour, et dont le
genre n’était pas encore défini.
Plus qu’à l’âge ou à la position sociale,
certains vers marins s’en remettent au hasard géographique pour
décider de leur sexe !
« Si la larve tombée sur un fond
rocheux est isolée, elle devient
femelle. Si elle
tombe sur ou près d’une
autre larve, elle opte pour le sexe mâle »,
explique Sophie Breton.
En matière de genre, le règne animal,
c’est indéniable, fait preuve de beaucoup
de créativité. « Il existe une incroyable diversité des modes de détermination du
sexe », ajoute la chercheuse.
Chez l’humain, comme chez tous les
mammifères, le destin sexuel se joue au moment de la fécondation. Si le spermatozoïde
porte un chromosome Y, le bébé sera un
garçon (il aura un X et un Y); s’il porte un
X, ce sera une fille (avec deux chromosomes
X). Mais chez les oiseaux et les papillons,
22 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
ce sont les femelles qui ont
deux chromosomes
sexuels différents (Z et W,
alors que les mâles ont ZZ).
Certains insectes mâles n’ont qu’un
chromosome sexuel X, à l’instar de rares
rongeurs comme le tunnelier du Caucase,
alors que certains poissons ont 3 chromosomes sexuels, et que l’ornithorynque, cet
étrange mammifère qui pond des œufs, en
a 10 (au lieu de 2)!
Pour une foule de lézards, crocodiles,
tortues ou même poissons et amphibiens,
le sexe dépend non pas des chromosomes,
mais de la température à laquelle sont incubés les œufs. Chez le crocodile australien,
les mâles se forment au frais, les femelles
aux températures tièdes. Chez l’alligator
américain, c’est l’inverse. Bref, les biologistes en voient de toutes les couleurs.
«En fait, ce qu’il faut retenir, c’est que
les organes mâles et femelles, les gonades,
dérivent du même tissu embryonnaire. La
seule chose qui change vraiment entre toutes
ces espèces, c’est la nature de “l’interrupteur” qui transforme ce tissu ambivalent
en testicule ou en ovaire», explique Paul
Waters, chercheur
spécialiste de l’évolution des chromosomes
sexuels à la Australian National University,
à Canberra. Que l’interrupteur en question
soit la température ambiante ou un chromosome sexuel (le Y, chez l’homme), il déclenche une cascade de réactions biologiques
qui permettent d’activer, dans un ordre
précis, les centaines de gènes orchestrant
la fabrication d’un mâle ou d’une femelle.
Du point de vue de l’évolution, que signifie cette très forte variabilité dans la
détermination du sexe? Les scientifiques
débattent encore. Tout ce dont on peut
être sûr pour le moment, répond Paul Waters, c’est que pouvoir changer si facilement
d’interrupteur sexuel doit représenter un
avantage pour les espèces.
Quoi qu’il en soit, ces mécanismes multiples et variables donnent du fil à retordre
aux chercheurs. «Chez l’homme, il arrive
parfois que la différenciation des gonades
ne se fasse pas correctement, ce qui mène
à des ambiguïtés sexuelles. Dans plus de
la moitié de ces cas, on ne connaît pas les
causes», indique Serge Nef, professeur au
département de médecine génétique et développement de l’Université de Genève.
Début 2013, ce chercheur a découvert
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 23
que des hormones jouant un rôle dans le
métabolisme – les facteurs de croissance
apparentés à l’insuline – étaient curieusement essentielles à la détermination du
sexe. En l’absence de ces facteurs, les
embryons de souris, pourtant dotés de
chromosomes sexuels normaux, ne se différencient ni en mâle ni en femelle. Voilà
un « ingrédient » de plus qui illustre l’incroyable complexité de la fabrication des
mâles et des femelles. « N’oublions pas
que la détermination du sexe n’est qu’une
partie du développement sexuel, qui prend
une vingtaine d’années chez l’homme !
D’ailleurs, dans notre espèce, c’est le cerveau qui est l’organe majeur du développement sexuel. Il y a parfois discordance
entre ce que ressent la personne et son
sexe dit biologique, ajoute Serge Nef. Il
n’y a pas que du noir ou du blanc, il existe
toutes les variations de gris. »
C’est d’ailleurs ce qui conduisait, il y a
déjà 20 ans, la biologiste Anne FaustoSterling, de la Brown University, aux ÉtatsUnis, à présenter la sexualité humaine
comme un éventail combinant cinq sexes :
un sexe génétique (XX ou XY), un sexe
anatomique (pénis ou vagin), un sexe hormonal (testostérone ou estrogène), un sexe
social (homme ou femme) et un sexe psyQS
chologique. ■
enquête sur le sexe des moules
Vous étudiez les mécanismes de détermination du sexe
chez les moules, et plus précisément leurs mitochondries.
D’où vient cet intérêt?
Les mitochondries sont les minuscules «centrales» qui
produisent l’énergie dans les cellules des animaux et des
plantes. Elles sont transmises par la mère au moment de la
reproduction. Nous avons donc tous, hommes et femmes, les
mitochondries de nos mères dans nos cellules. Même chose
chez les moules, sauf qu’elles présentent une particularité: les
Sophie Breton est pro- mâles aussi transmettent leurs mitochondries, et seulement à
fesseure en physiologie leurs fils. Le phénomène est peut-être unique dans le monde
adaptative animale au animal.
la fin des hommes?
département de sciences
biologiques de l’Université de Montréal. Elle
travaille sur les mollusques bivalves, et plus
particulièrement sur les
moules d’eau douce,
plus mystérieuses
qu’il n’y paraît à
première vue.
Et qu’est-ce que cela signifie?
Nous pensons que les mitochondries jouent un rôle dans la
détermination du sexe chez les moules, qui n’ont pas de
chromosomes sexuels de type X et Y. En fait, les mitochondries
possèdent leur propre ADN, leurs propres gènes, relativement
proches d’une espèce animale à l’autre, et qui produisent en
tout 13 protéines. Or, chez les moules, nous avons découvert
que les mitochondries ont deux gènes supplémentaires, un
dans les mitochondries transmises par les femelles et un dans
les mitochondries transmises par les mâles. Ces gènes
fabriquent des protéines dont on ne connaît pas encore le rôle, mais qui ne sont pas liées à la
production d’énergie comme les 13 autres gènes mitochondriaux typiques. Ce n’est pas tout!
Le plus intriguant, c’est que certaines moules sont hermaphrodites : elles possèdent les deux
sexes, mais elles ont perdu les mitochondries mâles. Elles n’ont que des mitochondries femelles,
dans lesquelles le gène supplémentaire est fortement muté et peut-être non fonctionnel.
En quoi est-ce important?
PHILIPPE JASMIN
Lâchée dans un congrès scientifique en
2009, la nouvelle a fait l’effet d’une
bombe.
«Le chromosome Y est voué à l’extinction»,
affirmait alors Jenny Graves, une scientifique
australienne, annonçant du même coup la fin
prochaine du genre masculin.
Il faut dire qu’à côté du chromosome X,
transmis par les femmes, le petit chromosome Y a
des airs d’avorton. Alors que le X contient environ
1 000 gènes, le Y n’en possède qu’une
quarantaine. Selon la chercheuse, le Y aurait
perdu un millier de gènes depuis son apparition, il
y a 165 millions d’années, et il continuerait de se
dégrader peu à peu. À ce rythme, il pourrait
disparaître dans 5 millions d’années.
En 2012, une étude menée au Whitehead
Institute de Cambridge, aux États-Unis, a toutefois
permis de rassurer nos mâles : selon l’équipe du
directeur de l’Institut, David C. Page, le
chromosome Y a en effet perdu la majorité de ses
gènes rapidement et il y a très longtemps, mais il
serait aujourd’hui stabilisé. «C’est l’un des sujets
chauds en sciences de l’évolution», commente
Paul Waters, qui travaille avec Jenny Graves. Selon
lui, il est tout à fait possible que le chromosome Y
humain disparaisse un jour. «C’est arrivé chez
certains rongeurs, qui ont alors dû développer un
nouveau mécanisme de détermination du sexe,
dont on ignore pour l’instant la nature.»
Dans le règne animal, les moules seraient ainsi les seules espèces connues dont le système de
détermination du sexe impliquerait directement les mitochondries.
Il reste à vérifier l’hypothèse, et c’est un gros défi. Ce n’est pas facile d’élever des moules en
laboratoire. Nous sommes toutefois en train de séquencer le génome d’une moule d’eau douce
pour mieux la comprendre. Notez que 70% des espèces de moules d’eau douce sont menacées ou
vulnérables en Amérique du Nord. M.C.
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 23
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 24
AUX ORIGINES DU MONDE
L’amour au crétacé
Comment faisaient les brontosaures et les tyrannosaures?
Par Marine Corniou
FREFON
I
ls ont dominé la Terre pendant plus
de 150 millions d’années. Nul doute
que les dinosaures se reproduisaient
allègrement. Mais comment? Imaginons
un stégosaure, avec sa double rangée de
plaques osseuses hérissées sur le dos et la
queue, ou un diplodocus de 15 tonnes et
rendons-nous à l’évidence : si le mâle était
monté sur la femelle pour la féconder, il se serait fait empaler
ou castrer. Ou alors, sa dulcinée
serait morte sous son poids.
C’est du moins ce qu’a
conclu, il y a quelques mois,
Heinrich Mallison, chercheur au Musée d’histoire
naturelle de Berlin, en Allemagne, après avoir modélisé un tel accouplement
par ordinateur. Selon ses
travaux sur le kentrosaure,
un dinosaure épineux cousin du stégosaure, la bête
devait privilégier la position du missionnaire ou
bien celle de la cuillère, la
femelle penchée sur le côté
pour ne pas blesser le
mâle.
« Nous ne connaissons aucun
fossile de dinosaure dont les organes
sexuels, qui sont des tissus mous, ont été
conservés. Nous ne pouvons donc que
spéculer sur leur façon de s’accoupler »,
indique toutefois John A. Long, paléontologue à l’université Flinders, en Australie,
et auteur d’un livre sur le sujet, The Dawn
of the Deed : The Prehistoric Origins of
Sex (University of Chicago Press, 2012).
D’ailleurs, faute de preuves visuelles,
les chercheurs ne s’accordent même pas
sur l’éventuelle présence d’un pénis érectile
chez ces lézards géants. Lesquels, mâles
comme femelles, étaient pourvus d’un
cloaque, c’est-à-dire d’une cavité unique
servant à la copulation et à l’élimination
des excréments. Mais accolaient-ils leurs
deux cloaques pour se reproduire ou les
mâles étaient-ils pourvus d’un pénis? «Le
mieux que l’on puisse faire, c’est jouer
aux devinettes en observant les crocodiles
24 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
et les oiseaux primitifs, comme les autruches ou les canards, qui sont les plus
proches descendants des dinosaures. Tout
comme ces animaux, les dinosaures devaient posséder un pénis. Ils devaient s’accoupler par derrière et on peut supposer
que les mâles de certaines espèces arboraient de très longs organes pour pouvoir
passer outre l’armure de la femelle», estime
John A. Long, dont le livre est le
premier à dé-
fendre l’existence d’un pénis jurassique.
Selon lui, l’ankylosaure, sorte de grosse
tortue à armure de 9 m de long, aurait
ainsi eu un pénis de 2 m !
Même si la question taraude les paléontologues depuis longtemps, il va de
soi qu’imaginer la vie sexuelle des dino-
saures à partir de fragments d’os relève
du défi. Ce n’est que depuis 2005 que
les chercheurs ont pu distinguer le squelette d’une femelle de celui d’un mâle !
Cela, grâce à la découverte fortuite de
Mary Schweitzer, du Musée des sciences
naturelles de Raleigh, aux États-Unis,
qui a repéré dans l’os du fémur d’un Tyrannosaurus rex la présence d’un tissu
particulier, l’os médullaire. Présent en
fine couche dans une cavité de l’os, ce
tissu est un dépôt
temporaire de calcium qui sert à la
fabrication de la
coquille des œufs,
et que l’on trouve
aujourd’hui encore chez les oiseaux. En bref, ce
tyrannosaure était
une femelle, et elle
était en période de
ponte !
Reste que, à
moins de tomber
sur le fossile d’un
couple mort en
pleine action, les acrobaties grâce auxquelles
les mâles fécondaient ces œufs resteront
énigmatiques. On sait toutefois qu’ils
pouvaient être des pères attentionnés.
Chez certaines espèces, ils veillaient sur
les nids et couvaient leurs œufs comme
QS
les oiseaux. ■
Le pLus vieiL embryon du monde
Encore attaché à sa mère par le cordon ombilical, le poisson découvert en 2008 au nord-ouest de
l’Australie est une vraie célébrité dans le monde de la paléontologie. Et pour cause, c’est le plus
vieil embryon fossile jamais mis au jour : il a 380 millions d’années!
«Il s’agit d’un Materpiscis appartenant à la classe des Placodermes, aujourd’hui éteinte, explique
John A. Long, de l’université Flinders, qui a déniché ce trésor. Il prouve que ces poissons avaient un
mode de reproduction très avancé, équivalent à celui des requins actuels.» Autrement dit, bien qu’ils
aient vécu fort longtemps avant l’apparition des premiers mammifères, ils avaient déjà inventé la
viviparité, c’est-à-dire la fécondation interne aboutissant à la naissance d’un individu déjà formé.
La trouvaille de John A. Long revêt donc une importance cruciale, puisqu’elle repousse de 200 millions
d’années l’âge du plus vieil embryon fossilisé! «Il y a même une photo de moi et du Materpiscis dans
le Livre Guinness des records 2010, pour la plus vieille naissance», s’amuse le paléontologue.
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AUX ORIGINES DU MONDE
BEAUTÉS F
26 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:18 PM Page 27
S FATALES
ÉTALAGE DE COULEURS, DE PLUMES, DE DANSES ET DE MUSCLES.
GORILLE OU PAPILLON, MIEUX VAUT ÊTRE MAGNIFIQUE – MÊME AU
PRIX D’UN HANDICAP – SI ON VEUT PERPÉTUER SES GÈNES!
Par Joël Leblanc
HERBERT KEHRER/IMAGEBROKER/CORBIS
C
’est le printemps dans
l’ouest de la Chine. Au sein
des forêts, deux espèces de
faisans se partagent le territoire. Drôles d’oiseaux !
Surtout quand ils sont sous l’influence
de leurs hormones ! Car en période de
reproduction, faisans dorés et faisans
de Lady Amherst se comportent comme de vrais dingues. Ils criaillent à
tout rompre pour attirer les femelles,
leur font des parades nerveuses, gonflent au maximum leur plumage. Pourtant, en manifestant bruyamment, ils
attirent aussi l’attention des prédateurs.
Darwin lui-même est longtemps
resté perplexe devant ces démonstrations qui rendent les mâles si vulnérables. Cela allait à l’encontre de sa
théorie de la sélection naturelle. Finalement, en 1871, 12 ans après la
parution de De l’origine des espèces,
il propose une nouvelle explication :
la sélection sexuelle. Et il fait scandale ! Même les supporteurs de la sélection naturelle se cabrent. Quoi?
Les femelles auraient leur mot à dire
dans le choix de leur partenaire et in-
fluenceraient l’évolution de l’espèce?
Lord ! Dans cette Angleterre victorienne, on admet difficilement que la
féroce compétition et les combats
pour la survie entre mâles ne soient
pas les seuls moteurs de l’évolution.
« Et on n’a pas encore trouvé une
meilleure explication à ces parades »,
constate Luc-Alain Giraldeau, professeur d’écologie comportementale
et vice-doyen à la recherche à la
faculté des sciences de l’Université du
Québec à Montréal (UQAM).
Les exemples s’accumulent comme
autant de preuves de la clairvoyance
de Darwin : le panache encombrant
de l’orignal, les reflets métalliques du
canard malard, les lourdes défenses
de feu le mammouth, les couleurs
criardes des papillons, etc. Qu’ils
soient équipés d’ornements ou d’armements, les mâles qui se distinguent
des femelles au premier coup d’œil
sont assurément engagés dans un processus de sélection sexuelle. On nomme dimorphisme sexuel ces différences
de physionomie entre mâle et femelle.
« Prenez le fameux paon, poursuit
Luc-Alain Giraldeau. C’était un des
exemples préférés de Charles Darwin.
Sa queue encombrante nuit à sa
marche autant qu’à son vol, sans
compter qu’elle attire dangereusement
le regard des prédateurs. C’est un réel
handicap ! Pourtant, les femelles préfèrent les belles plumes et n’accordent
leurs faveurs qu’aux plus colorés de
ces messieurs. » Les mâles naissent
eux-mêmes équipés du plumage sexy
de leur père et ont plus de chances
de se reproduire à leur tour. Ainsi,
d’une génération à l’autre, les paons
sont-ils devenus «favorablement handicapés » .
«La sélection sexuelle peut s’opposer
à la survie des individus, souligne LucAlain Giraldeau. Mais l’important,
c’est qu’elle favorise la reproduction
et la transmission des gènes. Les bois
du cerf lui coûtent cher, car ils l’obligent à investir beaucoup de calcium
et d’énergie dans leur croissance, et
ces ressources ne sont alors plus disponibles pour sa survie au jour le jour.
S’il n’avait pas, chaque année, à faire
croître un panache, un cerf pourrait
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 27
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:18 PM Page 28
AUX ORIGINES DU MONDE
PHILIPPE JASMIN
Nous sommes les seuls grands singes à ne
proéminentes. Nos mâles n’en ont pas be
compétition pour les femelles au sein de no
augmenter son espérance de vie. Mais il
n’aurait jamais de femelles, et sa lignée
s’arrêterait là. »
S’il existe deux types de dimorphisme
sexuel – ornements ou armements –, c’est
qu’il existe deux types de sélection sexuelle.
Dans la première, la sélection intersexuelle, la femelle fait un choix parmi
ses prétendants. Sa préférence va aux
belles plumes ou aux couleurs chatoyantes. Cela n’est pas aussi superficiel
qu’il semble, car en se laissant charmer
par le plus beau plumage, la femelle choisit aussi le mâle équipé d’un meilleur bagage génétique. Celui qui réussit à
produire de très grandes plumes et tous
les pigments nécessaires à leur coloration
est de toute évidence en bonne santé. Sans
compter que s’il a réussi à survivre malgré
son handicap, c’est qu’il est un battant,
et que sa descendance le sera aussi.
« Ce type de sélection sexuelle existe
parce que les femelles préfèrent les traits
qui reflètent un avantage réel, explique
Luc-Alain Giraldeau. Par exemple, cer-
tains caractères sexuels du mâle sont dus
à la testostérone, une hormone qui a un
effet immunodépresseur, c’est-à-dire
qu’elle affaiblit le système immunitaire.
Un mâle qui exhibe des caractères très
intenses a probablement beaucoup de
testostérone; son système immunitaire
ne fonctionne donc pas à 100 %. Mais
un mâle qui survit bien avec seulement
75% de son système immunitaire prouve
qu’il est fait fort ! »
Pour qu’un ornement apparaisse, la sélection sexuelle
doit agir sur les deux
sexes : elle avantage
les mâles colorés et
elle avantage les
femelles qui préfèrent les mâles
colorés.
Notons que les
marques rouges
et jaunes doivent
habituellement
leur couleur aux
FRANK LEUNG/RINEK/ANDYWORKS/ISTOCKPHOTO
Le panache de l’orignal : un armement pour tenir tête à ses rivaux.
28 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
Un beau canard s’exhibe en bonne santé.
Luc-Alain Giraldeau :
«La sélection sexuelle
peut s’opposer à la survie
des individus. Mais l’important, c’est qu’elle favorise la reproduction et la
transmission des gènes.»
Les papillons :
AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:18 PM Page 29
s à ne pas avoir de canines
as besoin, car il n’y a pas de
de notre espèce.
caroténoïdes, des pigments que l’animal
trouve dans son alimentation. Les caroténoïdes sont importants pour la santé,
notamment parce qu’ils sont une matière
première pour la synthèse de la vitamine
A. Quand ils servent à faire de la couleur,
ils ne sont plus disponibles pour fabriquer
la vitamine. « En Europe, explique le biologiste, les femelles merles sont attirées
par les becs très jaunes des mâles, bien
remplis de caroténoïdes. En se payant le
luxe de gaspiller des caroténoïdes pour
simplement se colorer le bec, le mâle démontre que son organisme en contient
plus qu’il ne lui en faut ! »
L
a seconde variante de la
sélection sexuelle, la sélection
intrasexuelle, favorise l’apparition d’armements. Les organes
qu’elle produit permettent la
compétition au sein d’un même sexe : les
imposantes cornes du mouflon ou les
longues canines du babouin leur servent
à écarter les compétiteurs lors du rut. Et
Les papillons : couleurs criardes pour être vus.
le résultat est le même : les mieux équipés
ont plus de chances de s’accoupler.
De ces réalités découlent toutes sortes
de conséquences. Il y a bien sûr les armes
de nombreux mammifères. Certaines caractéristiques tiennent plutôt dans le comportement : le chant complexe des
diamants mandarins mâles, de petits
passereaux d’Australie (il a été
démontré en laboratoire
que plus son chant est
complexe, plus le
mâle est en mesure
de résoudre efficacement des problèmes); l’intensité
du chant des rainettes et des grillons; les danses
nuptiales très élaborées des albatros
ou des pigeons; les
constructions d’impressionnants édifices de branchages des oiseaux jardiniers;
les objets brillants que la pie offre
en cadeau à sa femelle; le tambourinement
de la gélinotte... Tous ces comportements
ont le même but : annoncer à la femelle
la disponibilité du mâle et stimuler la production de ses hormones afin d’assurer sa
réceptivité pour l’accouplement.
Et pourquoi ces prouesses esthétiques
et artistiques sont-elles surtout le fait des
mâles? Parce que le choix du partenaire
dépend beaucoup de l’investissement parental. Le parent qui investit le plus dans
la progéniture, normalement la femelle
avec ses quelques gros ovules, doit être
plus sélectif dans le choix de son partenaire
parce qu’il a plus à perdre si son rejeton
n’a pas d’avenir. À l’opposé, le parent
dont l’investissement est le moindre,
habituellement le mâle, va développer un
tempérament plutôt compétitif et se montrer plus opportuniste dans le choix de
ses partenaires, puisque ses petits spermatozoïdes peuvent être produits en abondance.
La sélection du partenaire se fait parfois
de façon plus subtile. C’est le cas chez les
zèbres. Plutôt que de risquer des blessures
en refusant les avances d’un mâle trop
agressif, la femelle se laisse souvent monter
par le premier venu. Mais elle expulsera
sans gêne la totalité du sperme quelques
instants après l’acte. Seul l’élu verra sa
semence conservée.
Chez certains insectes,
les mâles peuvent déloger les spermatozoïdes
laissés dans une femelle par un prédécesseur, ou peuvent
empêcher la venue
d’un autre mâle en
parfumant la femelle d’un antiaphrodisiaque.
Chez les serpents et
les rongeurs, les mâles
installent parfois des
« bouchons vaginaux » à
la femelle qu’ils viennent de
féconder pour stopper l’intrusion
d’autres gamètes.
Lorsque le dimorphisme se traduit par
une différence de taille entre le mâle et
sa femelle, s’agit-il d’ornement ou d’armement? « Tout dépend du contexte
social, précise Luc-Alain Giraldeau. Si
l’accès aux femelles est facile et que la
compétition entre mâles est faible, les
mâles n’ont pas besoin de devenir plus
forts pour combattre. Cependant, ils pourraient le devenir si les femelles avaient
une préférence pour les costauds. Le cas
d’ Homo sapiens est probant : nous
sommes les seuls grands singes à ne pas
avoir de canines proéminentes. Les mâles
n’en ont pas besoin, car il n’y a pas de
compétition pour les femelles au sein de
notre espèce relativement monogame.
N’empêche que les hommes sont quand
même physiquement plus grands et plus
forts que les femmes. C’est probablement
parce que le choix ancestral des femelles
QS
allait vers des mâles robustes. » ■
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 29
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C’EST LA JUNGLE EN FOLIE ! PARMI LES ANIMAUX, QUI SONT LES PLUS ROM
NOTRE SÉLECTION – PAS NATURELLE – DES BÊTES LES PLUS HOT.
PALMARÈS: LES VR A
Sex
Symbol
LE LAPIN
Mathématiquement, il peut générer 95 milliards de descendants en 7 ans.
Il lui faut trois secondes. Pas une de plus, pas une de moins. Après quoi, il frétille un peu, curieux et nerveux comme toujours, et
repart gambader dans les prés. Sa lapine fait de même de son côté. Accro du sexe, Jeannot? Des carottes et des laitues, plutôt!
Prolifique? Sa réputation n’est pas démentie par les mathématiques. À l’état sauvage, chaque femelle peut avoir trois ou quatre
portées par année, chacune donnant jusqu’à sept lapereaux. Ces derniers ouvriront les yeux 10 jours après leur naissance et
quitteront le nid familial la semaine suivante. Pas de Tanguy chez les lapins! S’ils ne se font pas avaler par un épervier, un lynx ou
un harfang des neiges, ils atteignent leur maturité sexuelle six mois plus tard.
À ce rythme – une chercheuse de l’université de Miami a fait le compte –, un couple de lapins peut produire 95 milliards de
descendants en 7 ans. C’est de la théorie, bien sûr. C’est aussi le baby-boom perpétuel.
Est-ce sa réputation de chaud lapin qui a valu à notre lagomorphe d’avoir été choisi comme symbole d’un empire médiatique?
(Playboy pour ne pas le nommer). En fait, il s’agirait d’un quiproquo. Avant de s’appeler «lapin» au Moyen Âge, il portait le joli
nom de conin, puis conil, issus du latin cuniculus que les biologistes lui accolent toujours dans la taxonomie – Oryctolagus
cuniculus. Et que les éleveurs de lapins, les cuniculteurs, portent encore.
Mais conil, par association érotique, désignait aussi le sexe de la femme. Facile d’imaginer les obscénités que cela pouvait
inspirer. Serait-ce pour cela, sous la pression des bien-pensants, que conin aurait cédé sa place à lapin? R.L.
>
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 31
LUS ROMANTIQUES, LES PLUS AFFECTUEUX, LES PLUS DÉTERMINÉS?
T.
R AIES BÊTES DE SEXE
osée
LA BALANE
dépareillée
LA PIEUVRE VIOLACÉE
Dans la catégorie «plus gros pénis du monde animal», le gagnant est
la balane! À première vue, ce petit crustacé conique, qu’on trouve
souvent accroché aux rochers ou sur les baleines, n’a rien
d’impressionnant. Et pourtant, pour sa taille, son pénis est immense;
jusqu’à huit fois la longueur de son corps! Tel un fin tentacule
fouisseur, le long organe translucide s’aventure aux alentours pour
fertiliser des partenaires vivant à proximité, comme l’ont constaté, en
2008, des chercheurs de l’université de l’Alberta.
Car les balanes, une fois fixées, restent au même endroit toute leur
vie. Les partenaires sexuels étant incapables de se déplacer, c’est le
pénis qui fait le voyage! Ces crustacés hermaphrodites, précisons-le,
ne sont cependant pas tous systématiquement bien membrés. Dans les
zones de forts courants, les balanes ont des pénis courts et massifs.
En 2013, les chercheurs ont découvert qu’ils n’hésitaient pas à larguer
leurs spermatozoïdes dans l’eau et à laisser la marée les transporter
jusqu’à un autre individu, ce qui n’avait jamais été observé chez des
crustacés, mais qui est monnaie courante chez les mollusques. Comme
quoi il n’y a pas que la taille qui compte; la technique aussi. M.C.
>
>
Son pénis à tête chercheuse est huit fois
plus long que le mâle.
Elle est au moins 10 000 fois plus lourde
que son mâle!
Pour lui, l’amour est un véritable rapport
de force. Gros comme une noisette et
pesant un quart de gramme, le mâle
de la pieuvre violacée ne perd pas
de temps en préliminaires. Une fois
qu’il a repéré une femelle, il lui
injecte rapidement sa semence
grâce à son tentacule copulatoire et
disparaît sans demander son reste. Il faut
dire que la demoiselle est imposante et a de quoi
l’intimider! De 10 000 à 40 000 fois plus lourde que le
mâle, et une centaine de fois plus grande, elle peut
atteindre 2 m ou 3 m de long. Alors que de nombreux
mâles avaient été trouvés morts dans des filets de pêche,
des chercheurs ont observé pour la première fois, en 2002,
un spécimen vivant, près de la grande barrière de corail
australienne. Il semble que le mâle se soit miniaturisé, au
cours de l’évolution, pour devenir plus rapidement
sexuellement mature et aussi plus compétitif. M.C.
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 31
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 32
DE VRAIES BÊTES DE SEXE
attachant
>
DEREK ADAMS; NHM IMAGE RESOURCES/©NATURAL HISTORY MUSEUM
ROMANTIQUE: DES MÂLES QUI EMBELLISSENT LA
LE CHIEN
Ils ne savent plus comment se
séparer.
C’est une scène mi-comique, mi-gênante.
Après le coït, les chiens restent coincés
dans une pose assez grotesque, collés
fesses contre fesses, l’air penaud. Leur
jeter un seau d’eau pour les décoincer ne
les aiderait pas, au contraire. Cela pourrait
même provoquer de graves lésions
génitales; notamment, chez le mâle, une
fracture du pénis.
Car il s’agit là d’une phase normale
de l’accouplement de tous les canidés,
renards compris, qui dure de 5 à
30 minutes. En cause? La présence,
sur le pénis canin, de bulbes érectiles qui
se gorgent de sang pendant la saillie et
empêchent le mâle de se retirer du vagin.
En restant ainsi accroché à sa conquête,
le mâle s’assure que ses spermatozoïdes
auront une longueur d’avance si jamais
un rival tentait de féconder la même
femelle. M.C.
Sacrificielle
L’ARAIGNÉE
DES DÉSERTS
>
Elle se laisse dévorer par ses
rejetons.
L’instinct maternel est parfois si fort qu’il
dépasse l’entendement. La femelle
Stegodyphus lineatus, une araignée
rencontrée en Eurasie, entre autres lieux,
fait partie de ces mères infiniment
dévouées. Au printemps, elle pond un sac
contenant une centaine d’œufs, qu’elle
devra défendre contre les mâles en quête
de partenaires, qui détruisent sans
scrupule ces cocons dont ils ne sont pas
les géniteurs.
Trente jours après la ponte, la mère ouvre
le cocon et libère sa progéniture
grouillante et affamée, qu’elle nourrit en
régurgitant des aliments. Mais rapidement,
cela ne suffit plus. Sans la moindre
hésitation, elle embrasse son tragique
destin et se sacrifie. De deux à trois heures
plus tard, les charmants bébés ont dévoré
ses entrailles, ne laissant sur place qu’une
carapace vide. Car en matière de
reproduction, rappelons que ce qui compte
n’est pas la survie d’un individu, mais bien
la transmission des gènes. Et que des
petits bien nourris ont plus de chances de
se reproduire à leur tour. M.C.
32 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 33
NT LA RÉALITÉ POUR AVOIR PLUS DE SUCCÈS.
illusionniste
L’OISEAU JARDINIER
Il bâtit une maison de rêve pour séduire sa douce.
>
Séduire une femelle, pour l’oiseau jardinier, n’est pas une mince affaire. La
diva exige qu’on lui construise un nid grandiose avant d’accorder ses faveurs.
Méticuleusement, pendant des années, le mâle bâtit donc avec des
brindilles une galerie mesurant jusqu’à 60 cm de long. Il en orne ensuite les
alentours de milliers d’objets colorés : pétales de fleurs, graines rouges ou
mauves, cailloux, os, éclats de plastique divers, bouchons ou pinces à linge.
Une fois le décor planté, la femelle s’y installe pour admirer son soupirant
qui parade devant elle, jetant de-ci de-là ses objets décoratifs, mais dans un
ordre bien précis, en appliquant un gradient de taille. En effet, il place les
objets les plus gros loin d’elle et les plus petits, plus près. Le but? Donner
de la grandeur au décor en forçant la perspective; un vieux truc bien connu au
théâtre.
L’illusion a été percée à jour en
2012 par des chercheurs de
l’université Deakin, en Australie, où vit
cet oiseau artiste. Si l’on dérange son
organisation, le mâle la rétablit en moins de
trois jours. Et pour cause : les femelles sont
très sensibles à ce trucage. Comme l’ont
observé les chercheurs, ce sont les mâles
embellissant le mieux la réalité qui ont le plus
de succès. Règle universelle? M.C.
Grossier
La femelle qui vient de lui passer sous le nez a excité
son désir. Le porc-épic ne fait ni une ni deux, il part à
la poursuite de la douce. Il la suit sans relâche, des
heures durant. À la première occasion, il se dresse
sur ses pattes arrière et, sans crier gare, urine sur
elle, la mouillant de la tête à la queue. Pour le
romantisme, on repassera!
«La femelle le fuit et rouspète en émettant de
petits cris quand elle se fait asperger», dit le docteur
Jacques Dancosse, vétérinaire au Biodôme, qui a pu
le constater de visu à l’époque où, étudiant à la
maîtrise en biologie, il dormait, avec les porcs-épics
qu’il devait observer, dans un enclos aménagé en
plein air.
Entêté, le mâle ne se décourage pas. Et la belle finit
par se laisser séduire. Le moment venu, elle lève la
queue et expose ses parties intimes, heureusement
dépourvues de piquants. Monsieur fait quand même
preuve de prudence. Il s’assoit sur ses pattes arrière et
sur sa queue, comme sur un trépied. Il pénètre sa
partenaire par derrière. Il a intérêt à profiter du
moment, car la femelle n’est en chaleur que de
8 à 12 heures par année. D.F.
BARRY HATTON
Pour la conquérir, il urine sur sa
fiancée.
>
LE PORC-ÉPIC
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 34
DE VRAIES BÊTES DE SEXE
dévergondée
LA COULEUVRE
RAYÉE
Ils se ruent par dizaines sur la
même femelle.
Cinquante fois par jour.
Elle se roule dans l’herbe de la savane, tourne autour de son conjoint,
puis tente de lui glisser une patte dans la crinière tout en se blottissant
dans son cou. Irrésistible? L’œstrus, la période de chaleurs des femelles
mammifères, ne dure que quatre jours chez la lionne. Mais il provoque
des noces intenses. Si l’accouplement léonin s’expédie en quelques
dizaines de secondes à peine, il est répété à l’envi, presque toutes les
30 minutes.
Pourtant, ce n’est pas une partie de plaisir total. C’est que le pénis du
mâle est hérissé de petites épines qui occasionnent une douleur vive
chez la lionne au moment du retrait. Du moins, c’est ce que supposent
les éthologues pour expliquer sa posture agressive face au mâle après
l’accouplement. N’empêche, ils recommenceront. Les chercheurs
supposent que la douleur ressentie par la lionne déclenche la ponte de
l’ovule.
Dans un groupe de lions, on compte généralement bien plus de
femelles que de mâles. Toutefois, seul le mâle dominant peut obtenir les
faveurs d’une lionne. Et il lui faut son consentement. Leur rencontre se
fait à l’écart et ce n’est que quelques semaines après la naissance des
lionceaux que la mère réintègre le groupe. Pas de problème de garderie,
ici : les petits sont allaités et élevés sans distinction de filiation. Puis,
vers deux ou trois ans, les petits mâles seront exclus du groupe. Façon
d’éviter la consanguinité au sein du clan.
Comment rencontreront-ils à leur tour une dulcinée? En se laissant
adopter par un autre groupe. «Vous n’avez pas besoin de jouer au
prédateur aux aguets pour attirer dans votre tanière un membre du sexe
opposé. Au contraire, vos admirateurs (trices) savent comment vous
repérer comme par magie.» C’est une astrologue qui l’affirme sur son
site Internet. Mais les lions n’ont pas accès au Web et se balancent bien
du zodiaque! R.L.
ALAN SIRULNIKOFF/SPL
LE LION ET LA LIONNE
>
InfatIgables
>
MOGENSTROLLE/ISTOCKPHOTO
Occupante familière de nos forêts, la couleuvre
rayée a des mœurs sexuelles qui feraient rougir
même les tenancières de maisons closes.
Le printemps venu, les reptiles mâles sortent
les premiers des cachettes où ils hibernent.
Pendant quelques jours, bien éveillés et bien
chauffés au soleil, ils attendent, fébriles. Quand
madame émerge enfin, embaumant la
phéromone, une vingtaine d’entre eux
se jettent littéralement sur elle.
La boule d’accouplement grouillante qui se forme alors se tortille et se
déplace sur le sol de la forêt pendant quelques minutes.
Quand un chanceux parvient à
l’orifice, il y place en même temps
un bouchon de mucus, dont
l’odeur éteint immédiatement
l’intérêt des autres mâles.
La boule se défait alors
rapidement. La femelle libérée
peut aller, tranquille. Tandis que
les mâles, jamais rassasiés,
retournent guetter l’arrivée
d’une autre «prospect».
De temps en temps, un petit
malin entourloupe les autres.
Lorsqu’une boule d’accouplement
se forme, il se met à produire des
phéromones femelles! Trompés,
ses congénères délaissent leur
partenaire pour convoiter la
nouvelle venue. Le travesti en
profite pour se faufiler et
s’accoupler vite fait bien fait avec
la vraie. J.L.
IMPITOYABLE: SEUL UN LION DOMINANT PEUT OB
34 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
>
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 35
Beauté
désespérée
LE FURET
Elle peut mourir de son célibat.
démesurée
LA DROSOPHILE
>
Axelle agonise. Elle ne veut plus jouer, plus
manger; ses muqueuses buccales sont blanches
et desséchées. Qui plus est, sa vulve est enflée.
À la clinique externe de la faculté de médecine
vétérinaire de l’Université de Montréal, à SaintHyacinthe, la docteure Isabelle Langlois a déjà vu
des femelles furets dans cet état. Son diagnostic
surprend toujours les propriétaires : leur
mignonne petite bête est en manque de sexe.
«La femelle furet non stérilisée cherche
désespérément à s’accoupler au moment de ses
chaleurs. À défaut de trouver un partenaire, elle
peut y laisser sa peau», explique la vétérinaire.
En effet, pour qu’un ovule mature soit expulsé
de l’ovaire d’une furette, il doit à tout prix y avoir
coït. Chez la femelle qui n’est pas pénétrée, l’ovule
continue à croître et l’ovaire, à sécréter des
œstrogènes. Avec le temps, le surplus d’hormones
s’attaque à la moelle osseuse, cette centrale de
production des globules rouges. L’animal tombe
alors en anémie.
Heureusement pour les furettes destinées à
devenir des animaux de compagnie, elles sont
normalement stérilisées à la naissance. À celles
qui auraient échappé à cette précaution et qui se
lamentent de leur abstinence, on peut donner des
hormones qui forcent l’ovulation et soignent la
détresse de la jeune beauté. D.F.
Ses spermatozoïdes font 15 fois
la longueur de son corps.
Six centimètres! C’est la longueur des
spermatozoïdes de la drosophile. Or, le corps
tout entier du mâle de la «mouche à fruit»
d’Amérique centrale fait à peine 3 mm.
À l’échelle humaine, c’est comme si un
homme éjaculait des gamètes de 35 m!
Un spermatozoïde humain a tout au plus six
micromètres; Homo sapiens ne fait vraiment
pas le poids face à Drosophila bifurca.
Mais de tels spermatozoïdes ne sont pas
faciles à émettre. Une fois formés dans les
testicules de la mouche, ils parcourent un long
tunnel en spirale, ce qui leur permet de se
séparer les uns des autres et de s’enrouler sur
eux-mêmes. À la fin, on a une pelote de un
dixième de millimètre de diamètre, prête pour
l’expulsion. C’est ce que des chercheurs ont
appelé l’effet sarbacane. La structure spiralée se
termine par un tube étroit dans lequel environ
25 boulets spermatiques peuvent attendre en
file. Lors de l’accouplement, ils sont propulsés
un à un dans le tractus génital de la femelle,
comme des pois par une sarbacane.
Dans le règne animal, les spermatozoïdes
sont habituellement tout petits et très
nombreux. Mais cette espèce de drosophile
fait mentir la règle en produisant un nombre
assez restreint de très gros spermatozoïdes.
Une fois en boulette, ils ont effectivement un
volume proche de celui de l’ovule qu’ils sont
destinés à féconder. En comparaison, une
éjaculation humaine compte des dizaines de
millions de gamètes. Mais restons humbles : le
mérion superbe, petit passereau d’Australie,
en produirait chaque fois 8 milliards. J.L.
UT OBTENIR LES FAVEURS D’UNE LIONNE.
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 35
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 36
DE VRAIES BÊTES DE SEXE
DÉSINTÉGRATION: APRÈS S’ÊTRE ACCOUPLÉ, LE MÂ
destiné qu’au dépannage? En 2012, une équipe
de l’université de Florence a apporté un début
de réponse, en soumettant à des tests de
paternité des bébés tortues provenant de 16
pontes. Résultat, 46% des «lots» de bébés,
issus d’œufs pondus en même temps, avaient en
fait plusieurs géniteurs. Comme si le sperme des
différents partenaires se mélangeait dans la
femelle pour produire des rejetons
génétiquement divers.
Si un tel stockage existe aussi chez certains
serpents, ce sont les insectes sociaux qui
détiennent le record de conservation. Les
reines fourmis, par exemple, s’accouplent une
bonne fois pour toutes et utilisent le même
sperme toute leur vie, et ce, jusqu’à 28 ans!
Elles produisent ainsi des milliers de millions
de descendants. M.C.
prêt-à-jeter
LA LIMACE DE MER
>
Pénis du jour.
dévorée
LA BAUDROIE
D’EAU PROFONDE
Le mâle se greffe à la femelle et
devient testicule.
36 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
ConservatriCe
LA TORTUE
Aussitôt utilisé, aussitôt jeté. La limace de mer
largue son pénis au fond de l’océan après avoir
copulé. Sa virilité n’est pas amputée pour
autant. Le mollusque rouge et blanc ne met
que 24 heures pour développer un nouvel
appendice sexuel. Et il peut répéter l’exploit
plusieurs fois d’affilée.
Selon les observations de scientifiques
japonais, le mollusque, de la taille d’une
gomme à effacer, cacherait à l’intérieur de son
corps une réserve de filaments embobinés sur
eux-mêmes et pouvant être déroulés à souhait,
tel un rouleau de pénis hygiéniques.
La verge déployée est dotée de très courtes
épines qui pointent vers l’arrière, comme celles
d’un harpon. Ces crochets aideraient le pénis à
tenir en place pendant la copulation, qui dure
de quelques dizaines de secondes à quelques
minutes.
Hermaphrodites, les limaces de mer sont
équipées des organes sexuels mâles et
femelles. Au moment de la pénétration, elles
donnent leur sperme en même temps qu’elles
reçoivent celui de leur partenaire. D.F.
>
En 1922, lorsque le biologiste islandais Bjarni
Saemundsson a vu cet étrange poisson des
abysses remonter dans un filet de pêche, il a été
intrigué par ce qui ressemblait à deux petits
lambeaux de chair près de la région anale.
En observant mieux, il a cru reconnaître des
bébés accrochés à leur mère par la bouche. Ce
n’est que quelques années plus tard que les
«bébés» se sont révélés être des individus mâles
greffés à la femelle. Une vie entière, fiché comme
un parasite à une amante nourricière!
Chez quelques espèces de l’ordre des
Cératiidés – des poissons lumineux –, les mâles,
qui ne font que 5 cm à 6 cm de long passent
l’essentiel de leur très courte vie mobile à
chercher une femelle, longue de 55 cm à 60 cm,
dans l’obscurité totale. Lorsqu’ils y parviennent,
grâce à leur odorat extraordinairement développé,
ils ne prennent aucun risque de la perdre et s’y
agrippent par la bouche. C’est à ce moment que
la transformation s’opère. Les lèvres du mâle
fusionnent avec la peau de la femelle au point où
même leurs systèmes circulatoires se connectent.
Alimenté par le sang de sa douce, l’amant peut
cesser de se nourrir. Ses systèmes digestif et
nerveux s’atrophient jusqu’à disparaître presque
entièrement, contrairement aux testicules qui,
persistent. Adieu liberté, bonjour fécondité!
La femelle, maintenant dotée des organes des
deux sexes, prend le contrôle de son mâle et,
grâce au jeu des hormones, peut même
déterminer le moment de ses éjaculations pour
qu’elles coïncident avec ses propres émissions
d’œufs.
Morale : dans l’obscurité des profondeurs
abyssales, les rencontres matrimoniales sont peu
fréquentes. Pour une femelle, vaut mieux avoir en
permanence des testicules à sa disposition. J.L.
Rien ne sert de courir, elle peut
utiliser le sperme reçu pendant
plus de quatre ans.
On ne sait jamais de quoi demain sera fait. La
femelle tortue de nombreuses espèces le
comprend bien. Après s’être accouplée, elle
stocke le sperme de son partenaire de façon à
pouvoir s’en servir pendant plusieurs années.
Pour cet animal solitaire, et en particulier
pour la tortue marine dont le territoire est
souvent immense, mieux vaut être
prévoyant, car les rencontres
amoureuses sont rares. Grâce à ce
système, les femelles peuvent pondre
des œufs pendant quatre à sept ans
sans avoir besoin de «recharger le
réservoir». On en sait hélas très peu
sur l’utilisation du stock : le sperme le
plus frais est-il utilisé en premier? Le
plus ancien, moins fringuant, n’est-il
>
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 37
LE MÂLE DEVIENT TESTICULE ET RIEN D’AUTRE.
Explosif
LE CANARD
>
Son pénis de 20 cm se déploie à
120 km à l’heure!
Il lui picore la tête violemment, lui monte sur le
dos, la plaque au sol et la viole sans autre
forme de procès. La scène se passe chez les
canards de Barbarie, ces gros oiseaux parfois
élevés pour leur chair. Chez eux, comme chez
les autres canards, les copulations forcées
sont communes. Elles constituent 40% des
accouplements chez les colverts, par exemple.
«La plupart des canards forment des couples
durables, mais il y a un surplus de mâles
célibataires qui tentent leur chance en forçant
les femelles», dit Patricia Brennan, une
biologiste de l’université du Massachusetts,
qui étudie la vie sexuelle de ces oiseaux.
Il faut dire que, contrairement à 97% de la
gent ailée, les canards ont un pénis. Et pas des
moindres : en forme de tire-bouchon, il peut
atteindre 20 cm; voire 40 cm chez certaines
espèces! «Les mâles n’ont pas d’érection
avant la copulation, contrairement aux
mammifères, et personne ne savait comment
ce pénis en tire-bouchon fonctionnait»,
explique la biologiste. Ce qu’elle a découvert
en 2009, grâce à une caméra haute vitesse,
force le respect. Lorsque le mâle copule, son
organe spiralé se déploie de façon explosive,
en 0,3 seconde. Soit à 120 km/h!
Difficile pour la charmante d’avoir le temps
de refuser les avances! Et pourtant, en faisant
éjaculer des mâles dans des tubes en verre de
différentes formes, certains reproduisant le
tractus génital femelle également spiralé, les
chercheurs ont constaté que leurs partenaires
parviennent à parer, tant bien que mal, ces
violents assauts. «Le vagin tourne dans le sens
des aiguilles d’une montre, le pénis dans le
sens inverse. La forme du vagin empêche le
pénis de se déployer complètement, forçant le
mâle à éjaculer loin des œufs, ce qui limite les
chances de fécondation», indique Patricia
Brennan. Quand elle choisit son partenaire, en
revanche, la femelle se rend plus accessible en
«détendant» son anatomie. M.C.
LA HYÈNE
Transgenre avant l’heure?
>
Ambiguë
Avec son rire démoniaque et sa réputation de
charognard, la hyène
tachetée a toujours
été une mal-aimée.
Cette chasseuse
remarquable tient le
mauvais rôle partout,
dans les légendes
africaines comme dans les
films de Disney ou dans
Histoire de Pi. Est-ce parce
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 37
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 38
DE VRAIES BÊTES DE SEXE
Mâle
agressive
>
Femelle
LA PUNAISE DE LIT
Elle transperce à tout va.
Mâle
qu’elle transgresse les règles de la biologie? Il
faut dire qu’elle fait plutôt dans l’ambiguïté.
D’abord, une fois n’est pas coutume, les
mâles sont dominés par les femelles, plus
grosses et plus agressives qu’eux. Reste que
les deux sexes sont physiquement difficiles à
distinguer. Pendant des siècles, on a d’ailleurs
cru les hyènes hermaphrodites, car les
femelles arborent un long clitoris, semblable
au pénis des mâles, et deux grandes lèvres
fusionnées qui ressemblent à s’y méprendre à
des testicules.
Autre bizarrerie, aussi unique qu’incongrue,
c’est par ce clitoris que la femelle copule,
urine et met bas (10% d’entre elles meurent
lors de leur première parturition). Pourquoi par
cet organe? Probablement à cause des
androgènes. Les femelles sont en effet
bourrées de ces hormones mâles qui leur
confèrent le caractère agressif indispensable à
leur survie dans une société très hiérarchisée.
Mais lorsqu’une hyène attend des petits, ce
fort taux d’androgènes entraîne la
masculinisation des organes sexuels des bébés
femelles. On s’en doute, l’accouplement est
toute une affaire. Le mâle doit en quelque
sorte introduire son pénis dans le clitoris de la
femelle qui, bien que flasque, pointe vers le
bas et vers l’avant. Le pauvre s’accroupit
derrière elle et sautille comme il peut,
réajustant maintes fois sa position, avant de
réussir une pénétration. M.C.
38 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
Couillue
>
Femelle
Sous nos couvertures, les punaises de lit
peuvent copuler 200 fois en une seule journée.
Avec son pénis brandi comme une épée, le
mâle transperce tout ce qui bouge. Le marquis
de Sade peut aller se rhabiller! «Le mâle
monte la dame, mais ne se soucie pas de
trouver son vagin», explique Mario Bonneau,
entomologiste à l’Insectarium de Montréal, qui
siège à un comité visant l’éradication de
l’espèce Cimex lectularius de nos matelas et
canapés. «Son sexe est pointu comme une
aiguille, poursuit-il. Il peut transpercer la
carapace de la femelle et déverser le sperme
n’importe où: dans son ventre, sa tête
ou même dans son cœur.»
Une punaise vierge peut donc
devenir enceinte.
Les spermatozoïdes qui
se retrouvent dans le
sang de la femelle
doivent naviguer
jusqu’aux ovaires, mais
la majorité d’entre eux
seront détruits par le
système immunitaire avant
d’arriver à destination. Le mâle ne
lésine donc pas sur sa semence. S’il était de
taille humaine, il éjaculerait l’équivalent de
30 L de sperme.
À force de se faire pénétrer de partout, les
femelles ont développé d’étranges
adaptations. Certaines naissent avec, sur le
dos, des «vagins» qui sont en fait des
réceptacles stériles. On voit même certains
mâles naître avec ces faux vagins. Car eux
aussi se font trouer à répétition. Comme il
enfonce son pénis-aiguille sans discernement,
le mâle se retrouve une fois sur deux à
copuler avec un partenaire de son sexe.
Ses spermatozoïdes se mêlent alors à ceux
du receveur. À son tour, quand le receveur
perforera une femelle, il déversera à la fois ses
propres spermatozoïdes et ceux du mâle avec
lequel il a eu un rapport. Il se cocufiera luimême, en quelque sorte! D.F.
LA DECTICELLE
CÔTIÈRE
Ses testicules font 14% de
son poids.
Pour s’assurer une descendance nombreuse,
mieux vaut s’accoupler souvent, donc produire
beaucoup de spermatozoïdes. C’est la
stratégie adoptée par Platycleis affinis, une
sauterelle du centre et du sud de la
France, où on l’appelle decticelle
côtière.
Avec ses testicules de 70 mg chacun,
pour un corps d’environ 1 g, elle est
détentrice du record des plus grosses
couilles, lesquelles font, dans son cas,
14% de son poids total. Des attributs si gros
qu’ils envahissent pratiquement tout son
abdomen. Comparaison inévitable, chez un
homme, cela équivaudrait à des testicules de
5,5 kg chacune. Bonjour le support athlétique!
Étudiée par des chercheurs du Royaume-Uni,
la sauterelle a révélé que son abondance
testiculaire lui permettait de s’accoupler avec
un grand nombre de femelles dans un court
laps de temps. Alors que ses cousins des
autres espèces apparentées peuvent prendre
plusieurs jours à se «recharger» après un
accouplement, elle est prête à repasser à
IMMACULÉE CONCEPTION : LA PUNAISE QUI RE
humaines», explique Stephen Dobson, du
Centre national de la recherche scientifique à
Montpellier, en France, et spécialiste de ces
voyageurs aux «ailes de géant». M.C.
Fidèle
L’ALBATROS
Son pénis est aussi perforant que
performant.
Le couple parfait.
Au sein de la majorité des espèces, les mâles
cherchent à copuler le plus possible. Le grand
albatros, lui, a une vie sexuelle bien rangée.
Les partenaires restent fidèles l’un à l’autre
toute leur vie, laquelle peut durer 60 ans. Ainsi,
l’observation de 420 couples d’oiseaux pendant
20 ans a démontré que seuls 0,3% d’entre eux
«divorcent».
Chaque oiseau parcourt, en solitaire et sans
s’arrêter, des milliers de kilomètres en haute
mer pour se nourrir. Mais il revient tous les
deux ans au même endroit pour retrouver sa
moitié et procréer. L’habitude a du bon : à
chaque rencontre, la parade nuptiale est
raccourcie, l’accouplement plus rapide et le
couple est plus fécond. «Si l’un des oiseaux
meurt, son veuf ou sa veuve a besoin de
plusieurs années pour tisser des liens avec un
nouvel amour. Les jeunes oiseaux cherchent un
partenaire de leur âge, qui pourra vivre
longtemps avec eux, alors que les plus âgés se
tournent vers un partenaire expérimenté,
comme dans la plupart des cultures
Sado-maSo
LA BRUCHE À
QUATRE TACHES
Avec sa tête hérissée d’épines longues et
nombreuses, le pénis de la bruche à quatre
taches a l’air d’une masse d’arme médiévale et
inspire l’effroi. Juste à l’imaginer s’insérant
dans le tractus de sa femelle donne des
frissons. Et avec raison : pendant l’acte, la
pauvre tente, à grands coups de pattes arrière,
de déloger son tortionnaire, tellement les ébats
sont douloureux.
La nature est parfois cruelle. Des études
menées par des biologistes suédois ont
démontré que chez ce petit coléoptère, les
mâles dotés des épines péniennes les plus
longues obtenaient les meilleurs succès
reproducteurs; et infligeaient les traumatismes
les plus sévères à leurs partenaires. Pour en
arriver à cette conclusion, les biologistes ont
taillé au laser les épines de certains mâles et
comparé les résultats avec ceux de mâles aux
épines intactes. Les accouplements avaient bel
et bien lieu, mais la fécondation réussissait
moins souvent.
Aussi, les scientifiques ont marqué le sperme
des bruches mâles d’une matière légèrement
radioactive, ce qui leur a permis de le détecter
dans plusieurs parties du corps de la femelle
après l’accouplement. Les épines du mâle, en
érodant et en perçant les voies génitales de la
femelle, permettent donc à la semence de
s’infiltrer dans ses fluides corporels. C’est
jusqu’à 40% du volume du liquide séminal qui
fuit dans l’organisme. On ignore le but exact de
la manœuvre, mais le sperme étant un cocktail
de produits chimiques, il pourrait influencer le
comportement de la femelle, par exemple en lui
faisant rejeter les autres mâles ou amorcer la
ponte.
Une équipe du Royaume-Uni propose une
hypothèse différente. Comme l’éjaculat du mâle
est très abondant (10% de son propre poids!),
il apporte directement dans le corps de la
femelle une quantité non négligeable d’eau.
Dans les chaudes et sèches contrées africaines
où elles vivent, les femelles ainsi «réhydratées»
auraient de meilleures chances de mener à
bien la ponte de la progéniture. J.L.
POWER AND SYRED/SSPL
l’acte en seulement une heure. Avantage
indéniable dans la course aux femelles.
Sur le podium des bien nantis, la baleine
franche ou baleine noire (Eubalæna glacialis)
occupe aussi une place notable. Ses testicules
peuvent peser jusqu’à 900 kg chacun, le record
absolu. Plus que respectable pour un animal de
30 à 60 tonnes, comparativement à son grand
cousin le rorqual bleu qui, malgré ses
170 tonnes bien comptées, a des gonades
de «seulement» 10 kg. J.L.
>
>
MIKEUK/ISTOCKPHOTO
Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 39
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 39
UI RESTE VIERGE PEUT TOMBER ENCEINTE.
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:26 PM Page 40
C’EST LA GRÈVE DU SEXE CHEZ LES PANDAS, LES ÉLÉPHANTS ET LES GUÉ
LEUR DONNER DES DESCENDANTS. INCURSION DANS UN MONDE BIEN MAL CON
COMMENT F
40 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 41
LES GUÉPARDS EN CAPTIVITÉ. LES BIOLOGISTES DÉPLOIENT TOUT UN ART POUR
MAL CONNU OÙ LA PARADE ET LA SÉDUCTION SONT EN VOIE DE DISPARITION.
T FAIRE BANDER UN
ÉLÉPHANT
SANS LE FATIGUER
DANS CERTAINS ZOOS, ON EXPÉRIMENTE LA
PROCRÉATION ASSISTÉE. MAIS LES «ANIMAUXÉPROUVETTES» SONT ENCORE RARES.
Par Dominique Forget
Il s’appelle Jeannot. C’est
l’éléphant vedette du Parc Safari,
le seul mâle de son espèce au
pays. On veut en faire le
Starbuck des pachydermes.
PARC SAFARI
F
rancis Lavigne est un branleur
et pas peu fier de l’être. Pour
gagner sa vie, mais surtout dans
l’espoir d’assurer une descendance aux éléphants d’Afrique
menacés dans leur habitat naturel par le
commerce de l’ivoire, il masturbe régulièrement Jeannot, l’éléphant du Parc
Safari, seul mâle de son espèce au Canada.
« Il pourrait devenir le Starbuck des pachydermes », rêve Francis, qui veille sur
les herbivores du zoo de Hemmingford,
en Montérégie.
Chaque semaine, le solide gaillard tire
un tabouret derrière Jeannot et y grimpe.
Les épaules au niveau du fessier de la bête,
il lui introduit son bras ganté et bien
lubrifié dans le rectum, retire d’abord
quelques crottins qui pourraient gêner son
travail, puis, avec de rapides mouvements
de va-et-vient, masse vigoureusement la
prostate de l’éléphant. Son labeur est récompensé quand le pénis de Jeannot sort
enfin de l’enveloppe cutanée où il se cache
et s’étire, en semi-érection, sur toute sa
longueur : 1 m, pour une quinzaine de
centimètres de diamètre.
Mensurations obligent, quelques coups
de poignet ne suffiraient pas à faire éjaculer
Jeannot. Heureusement, la stimulation de
la prostate y parviendra. À condition de
savoir s’y prendre. « Des fois, on a de la
chance et il ne faut que 20 minutes, ex-
plique Francis, dont la boucle de ceinture
représente la tête d’un éléphant. Mais parfois, ça prend des heures et on ne doit pas
arrêter, sans quoi, c’est foutu. Il faut avoir
du bras ! » raconte-t-il par une journée où
le mercure dépasse les 30 °C.
C’est seulement une fois le pénis de Jeannot déployé que Michael Carpentier, l’assistant de Francis, tend une perche au bout
de laquelle se trouve un récipient de plastique. Il y récolte le sperme, 25 ml à peine,
semence précieuse qui servira à inséminer
quelques rares femelles encore capables
de se reproduire en captivité. Les premiers
essais vont être bientôt tentés aux ÉtatsUnis, au Hogle Zoo, en Utah, et en Caroline du Nord. « On se croise les doigts
pour un bébé», dit Francis.
Pendant qu’au Québec, depuis que le
gouvernement a décidé de rembourser les
traitements de fertilité, les couples se pressent aux portes des cliniques, les animaux
menacés de disparition ont droit eux aussi
aux techniques dernier cri pour assurer
leur descendance. D’abord à l’insémination artificielle, utilisée depuis longtemps
chez les animaux domestiques, qui consiste
à prélever le sperme d’un géniteur puis à
l’injecter directement dans le vagin ou
l’utérus d’une femelle. Mais aussi à la fécondation in vitro (FIV), le nec plus ultra
des traitements de fertilité, où des ovules,
prélevés directement dans les ovaires d’une
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 41
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femelle, sont fécondés sous microscope
par les spermatozoïdes d’un donneur.
Après quoi, les embryons sont incubés
quelques jours en laboratoire, puis déposés
dans l’utérus d’une femelle porteuse.
« C’est probablement le seul domaine
où ce sont les humains qui ont servi de
cobayes pour les animaux ! » fait remarquer le vétérinaire français Pierre Comizzoli, spécialiste de la procréation assistée
auprès des mammifères en péril, qui s’est
joint au Smithsonian’s National Zoo, à
Washington, il y a 11 ans.
La mère de Louise Brown, premier bébé
humain né de la FIV, en 1978, était en
effet prête à tout pour tenir un nouveauné dans ses bras, y compris subir une anesthésie générale et se faire ouvrir l’abdomen
pour permettre la ponction d’ovules à
même ses ovaires. « La détermination de
femmes comme elle a ouvert le chemin
pour le travail qu’on fait ici avec les guépards, les panthères longibandes ou les
cerfs thaïlandais, dit Pierre Comizzoli.
L’habitat naturel de ces bêtes est menacé
et, en plus, elles ont du mal à se reproduire
en captivité. Il faut leur donner un coup
de pouce pour assurer la survie de leur
patrimoine génétique. »
Malheureusement pour les conservationnistes, la transposition des techniques
de procréation assistée des humains aux
animaux ne se fait pas en criant « FIV» .
Car chaque espèce possède une biologie
de la reproduction distincte, même au sein
des grandes familles animales. Un lion
n’est pas un tigre qui n’est pas un guépard.
Pour chaque espèce, il faut élucider le
cycle hormonal de la femelle, la physionomie de son vagin et de son utérus, la
température et le milieu de culture idéaux
pour l’incubation des embryons. Même
la récolte du sperme, une étape toute
simple chez les humains, devient une
course d’obstacles au royaume des animaux.
« Au début, Jeannot resserrait son anus
quand j’y insérais la main et ça me coupait
la circulation », raconte Francis Lavigne,
qui a visité des zoos et des centres de
conservation en Amérique du Nord et en
Afrique pour apprendre son métier.
«Chaque fois qu’il relâchait ses sphincters,
mon assistant l’encourageait en lui donnant
des carottes. L’expérience doit toujours
rester positive pour l’animal. Sinon, il ne
va pas coopérer», poursuit le responsable
des pachydermes, qui pousse le dévouement jusqu’à dormir (avec sa copine !)
dans la cabane réservée aux éléphants du
Parc Safari, les nuits où ses protégés filent
un mauvais coton.
ZOO DE TORONTO
COMMENT FAIRE...
42 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
Dans les laboratoires du zoo de Toronto, les chercheuses Gabriela Mastromonaco (au centre) et Cathy Gartley
(à gauche) inséminent une femelle guépard.
L
es zoologistes ne manquent pas
d’imagination pour amener les
mâles au septième ciel et recueillir
leur sperme. Au Smithsonian’s
National Zoo, l’équipe a mis au
point un vagin artificiel, une espèce de tube
en cuir doté d’une poignée, pour masturber
les cerfs d’Eld, une espèce du sud-est asiatique en danger d’extinction. À l’université
Acadia, en Nouvelle-Écosse, le Québécois
José Lefebvre a découvert qu’il pouvait
faire éjaculer les tortues mouchetées avec
un vibrateur acheté au sex shop du coin.
Mais tous les mâles ne sont pas bons
joueurs. « Je ne m’aviserais pas de
prélever du sperme chez un grand félin
sans l’avoir anesthésié au préalable »,
s’exclame la chercheuse Gabriela Mastromonaco, responsable du centre de reproduction au zoo de Toronto, tandis
qu’elle fait visiter la salle d’opération où
l’on prépare une insémination artificielle
de guépards. Le décor est moins léché
que celui d’une clinique privée de fertilité,
mais tout l’équipement y est et plus encore. « On va prélever le sperme de deux
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 43
L’habitat naturel de ces bêtes est menacé et, en plus,
elles ont du mal à se reproduire en captivité. Il faut leur
donner un coup de pouce pour assurer la survie de leur
patrimoine génétique.
mâles pour inséminer une seule femelle,
explique Gabriela. À cause des problèmes
de consanguinité, même au sein de la
population sauvage, le sperme des guépards est réputé de très mauvaise qualité.
On va mettre toutes les chances de notre
côté. »
La technique d’électroéjaculation, utilisée
pour les guépards sous anesthésie, a
d’abord été mise au point chez les humains
pour permettre aux hommes tétraplégiques
d’avoir des enfants. Une sonde électrique
est placée dans le rectum et provoque la
contraction des muscles qui entourent les
conduits s’étirant des testicules jusqu’au
bout du pénis.
Le sperme des guépards sera transféré
dans l’utérus de la femelle, tenue sous anesthésie dans la pièce voisine. « Ça prend
du doigté», explique la vétérinaire Cathy
Gartley, spécialiste en thériogénologie,
l’équivalent de la gynécologie-obstétrique
chez les animaux. Cette professeure à l’uni-
versité de Guelph, qui prête régulièrement
ses services au zoo de Toronto, a déjà inséminé autant des bisons que des mouflons
ou des chameaux. Chaque fois, elle a dû
repartir pratiquement de zéro pour comprendre l’anatomie de la bête. «Le vagin
de la femelle guépard est très étroit et long
d’une trentaine de centimètres », a-t-elle
découvert. C’est encore heureux. Les femelles des marsupiaux, elles, ont deux vagins et deux utérus séparés !
« Les vétérinaires inséminent souvent
les animaux sauvages par laparoscopie,
en passant à travers la paroi de l’abdomen
pour aller déposer le sperme directement
dans l’utérus. Mais nous, on préfère éviter
la chirurgie et procéder par voie vaginale»,
poursuit la docteure Gartley. À ce jour,
les tentatives réalisées par l’équipe de Toronto avec les guépards ont été infructueuses. Gabriela Mastromonaco et Cathy
Gartley se croisent les doigts pour que
cette fois soit la bonne.
Du sex shop au labo
JOSÉ LEFEBVRE
Cheveux aux épaules,
l’étudiant au doctorat à
l’université Acadia, au nord-est
de Halifax, rit de bon cœur en
racontant comment il en est venu
à magasiner des godemichés
pour mener à bien ses
recherches. «J’ai commencé à
travailler avec la tortue
mouchetée à l’époque de ma
maîtrise. Avec une lime, je faisais
une petite entaille sur leur
carapace, pour les reconnaître.
J’ai réalisé que lorsque leur
carapace se mettait à vibrer, les mâles
exposaient leur pénis. J’ai alors pensé qu’avec
une vibration plus importante, peut-être qu’ils en
viendraient à éjaculer», explique ce biologiste,
qui a fait un retour aux études à 32 ans, après
avoir travaillé à la distribution de lasagnes
congelées.
L’intuition de José Lefebvre s’est confirmée.
J
osé Lefebvre était un peu inquiet en
soumettant le bilan de ses dépenses à la
Fédération canadienne de la faune, qui
subventionne ses recherches sur la tortue
mouchetée, dont la population est en déclin en
Nouvelle-Écosse. Parmi les pièces justificatives
se trouvait une facture du sex shop du coin, pour
l’achat de vibrateurs.
S
avoir où injecter le sperme, c’est
une chose. Savoir quand l’injecter, c’en est une autre. Le cycle
ovarien de 28 jours, où l’ovule
est expulsé autour du quatorzième jour, ça vaut pour les femmes, pas
pour les bêtes. Les femelles pandas n’ovulent qu’une fois par année. D’autres
espèces, comme les chats, les lapins et les
chameaux ont une ovulation induite :
l’ovule n’est pas libéré de l’ovaire tant
qu’il n’y a pas eu coït. « Nous avons fait
plusieurs tentatives d’insémination avec
des chamelles de Bactriane, une espèce en
danger, soupire Gabriela Mastromonaco.
Nous avons essayé de masser leur vagin
au moment de l’insémination, mais ça n’a
jamais fonctionné. Elles n’ont pas ovulé.»
Il faut dire que les femelles du zoo de
Toronto ne sont pas dans leur prime jeunesse. « Contrairement à ce qui se passe
dans le domaine de l’élevage, où l’on
choisit pour géniteurs les meilleurs
Le chercheur passe maintenant une partie de
ses étés à traquer les tortues mâles au fond des
marécages néo-écossais et à les masturber,
pour évaluer la qualité de leur sperme.
Il commence par appliquer le vibrateur sur
leur carapace. Une fois leur pénis en érection,
il place dessus un tube de plastique et pose
le vibrateur contre le tube. La tortue éjacule
en quelques minutes.
Ce sperme ne sert pas encore à inséminer des
femelles. «On soupçonne qu’une partie des
mâles ont une faible fertilité et c’est ce que nous
voulons confirmer, en analysant en laboratoire la
concentration et la motilité des spermatozoïdes»,
explique le doctorant.
La méthode de prélèvement du sperme
imaginée par le Québécois est sur le point d’être
publiée dans le trimestriel scientifique
Herpetological Review, consacré aux amphibiens
et aux reptiles. Pour José Lefebvre, ce succès est
jouissif. «En plus, je me suis fait rembourser tout
mon équipement sans problème», dit-il.
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 43
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:48 PM Page 44
COMMENT FAIRE...
L
44 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
es spécialistes de la fertilité humaine ont trouvé depuis longtemps le moyen de donner aux
femmes des hormones qui, ou
bien déclenchent l’ovulation à un
moment précis (avant une insémination
artificielle, par exemple), ou bien induisent
une superovulation (qui produira 10, voire
20 ovules, qu’on recueillera avant une fécondation in vitro). «Chez les félins africains, comme les guépards, les tigres ou
les lions, on arrive à utiliser des hormones
analogues, mais chez ceux d’Amérique du
Sud, comme le puma ou le jaguar, ça ne
fonctionne pas. Et on ne sait pas pourquoi»,
constate de son côté Pierre Comizzoli.
Au Smithsonian’s National Zoo, son
équipe a réussi à induire des superovulations
chez des guépards et à récolter jusqu’à
15 ovules dans leurs ovaires, sous anesthésie. «Les spécialistes de la fertilité humaine
utilisent une technique qui consiste à introduire une aiguille dans la paroi du vagin et
à ponctionner les ovaires. Mais chez les femelles guépards, ce n’est pas possible. Le
vagin est trop long et les ovaires, trop loin.
On procède par voie transabdominale.»
Quelques-uns des embryons de guépard
Panda XXX
DANGDUMRONG/ISTOCKPHOTO
Dans une pièce sombre du centre de
reproduction du zoo de Toronto, des centaines
d’animaux sauvages – tigres, jaguars, lions,
rhinocéros, gorilles – hibernent dans l’azote
liquide. À -173 °C, ils sont loin de la savane
africaine ou de la forêt tropicale où ils
vagabondent habituellement.
« Ça, ce sont des bisons», dit Gabriela
Mastromonaco en retirant un flacon d’un
réservoir d’où s’échappent quelques volutes de
fumée blanche. Les fioles contiennent surtout
des échantillons de sperme, mais aussi
quelques ovules (plus difficiles à prélever et à
congeler) et quelques embryons. On congèle
même des cellules cutanées. Leur noyau,
contenant tout le bagage génétique de
l’animal, pourra servir si les techniques de
clonage se perfectionnent.
«Au rythme où les habitats naturels
disparaissent, on ne peut pas courir de risque,
soutient la spécialiste. Il nous faut des réserves
du plus grand nombre d’individus possible,
pour protéger la biodiversité et éventuellement
assurer la descendance des espèces qui
auront disparu.»
ZOO DE TORONTO
Zoo sous Zéro
taureaux et les meilleures vaches, dans les
zoos, on travaille souvent avec des
individus qui n’ont pas réussi à se reproduire après de longues années en captivité.
C’est un peu l’équivalent des femmes dans
la quarantaine qui se pointent dans les
cliniques de fertilité, avec une faible réserve
d’ovules et des ovaires qui font défaut. »
Pour élucider le cycle ovarien des différentes espèces, l’équipe prélève quotidiennement des échantillons d’urine ou de fèces
pour y analyser les traces d’œstrogènes.
«Dans le cas de Cassi, une femelle panda
roux, on a attendu que le taux d’œstrogènes
atteigne un pic pour mettre un mâle en sa
présence », me raconte Cathy Gartley, en
passant une sonde échographique sur le
ventre de l’animal, pour vérifier si elle est
en gestation. «Ce sont des bêtes très solitaires dans la nature, en Chine. Au zoo, si
on présente le mâle à la femelle au mauvais
moment, ils vont s’entretuer.»
Cassi, qui ne ressemble en rien à un
panda géant, mais fait plutôt penser à un
raton laveur, a été entraînée pour se tenir
debout sur ses pattes arrière pendant que
les vétérinaires écartent ses poils pour y
passer leur sonde. Après 20 minutes, l’animal se désintéresse de l’exercice. Elle part
se balader. La docteure Gartley n’aura
pas sa réponse. Il faudra recommencer la
semaine prochaine.
Pour exciter la libido des pandas géants, peu
portés sur la chose, des zoologistes chinois ont
recours à une méthode maintes fois éprouvée
chez les humains : les films pornos. Les images
projetées au centre d’élevage de Chengdu
présentent des pandas en train de copuler.
Selon les chercheurs, les films coquins auraient
contribué à rehausser la population en captivité,
qui est passée d’une centaine d’individus, au
début des années 1990, à 341, en 2012.
D’autres mesures ont été prises pour favoriser
l’accouplement de ces grands mammifères,
dont l’agrandissement des enclos et
l’amélioration de la diète. Il ne faut pas lésiner
sur les moyens, car il y a peu de marge pour
l’erreur : les chaleurs de la femelle ne durent
que deux à trois jours par année.
créés à Washington seront transférés dans
l’utérus d’une femelle porteuse cet été. Le
docteur Comizzoli est optimiste. Après
tout, c’est son équipe qui a permis la naissance, en 2011, d’Idin, le premier bébécerf d’Eld-éprouvette.
Gabriela Mastromonaco expérimente
aussi avec la fécondation in vitro. Dans
son laboratoire, à côté de la salle où l’on
insémine les guépards, elle manipule des
embryons de bisons des bois, un animal
qu’on trouve dans le nord de l’Alberta et
de la Colombie-Britannique, ainsi que
dans les Territoires du Nord-Ouest. La
survie de l’espèce, génétiquement distincte
des autres espèces de bisons, est menacée,
bien qu’elle n’ait aucun problème à se reproduire. C’est que les animaux sont porteurs de la tuberculose et de la brucellose
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 45
Lili, unique femelle ocelot au Canada, est hébergée
au zoo de Granby. Et elle pourrait un jour devenir
mère. Âgée de 19 ans, elle est pourtant
pratiquement grabataire. «Il y a deux ans, on a
prélevé cinq de ses ovules et on les a fécondés en
laboratoire avec les spermatozoïdes de nos deux
mâles», explique la vétérinaire Marie-Josée
Limoges. Le hic : Lili souffre de lésions à la colonne
vertébrale et ne peut porter ses petits. Les
embryons ont été congelés en attendant une mère
porteuse, qui viendra probablement des États-Unis.
Le recours à des mères porteuses n’est pas rare
dans le monde de la reproduction assistée
animale. Il arrive même qu’on tente de faire porter
les petits d’une espèce en danger par une
lointaine cousine. Un embryon de mouflon peut
être transféré chez un ovin domestique, par
exemple. «Mais le transfert d’embryon interespèces est de plus en plus remis en question,
explique le docteur Pierre Comizzoli. Parce qu’il
semble bien que les petits souffrent de problèmes
d’identité. À l’âge adulte, ils cherchent à
s’accoupler avec des individus de l’espèce de la
mère porteuse.»
bovines. Pour protéger les élevages à proximité, le gouvernement a décidé d’éliminer
progressivement les bêtes sauvages.
« Chaque fois qu’un bison est tué, des
équipes prélèvent les ovaires ou les testicules
et nous les acheminent», dit Gabriela Mastromonaco. À l’aide des spermatozoïdes
et des ovocytes (des ovules pas encore matures), elle espère arriver à créer les embryons qui assureront une descendance
aux bêtes sacrifiées. « Il faudra d’abord
trouver le moyen de les décontaminer, car
les spermatozoïdes prélevés seront porteurs
des bactéries des deux maladies, dit-elle.
Nous allons commencer à tester des méthodes de désinfection dès cette année.»
De là à voir naître un bison-éprouvette
en bonne santé, il y a un monde. « Les
premiers embryons que nous avons
obtenus en laboratoire sont morts rapidement, se désole la chercheuse. Naïvement, on avait pensé que le bison était un
peu comme une grosse vache et on a appliqué un protocole utilisé chez les bovins.
Mais on a bientôt réalisé que ce n’était
pas la même chose. Il va falloir travailler
sur le milieu de culture des embryons pour
assurer leur développement passé le stade
de huit cellules, si on veut les transférer
avec succès chez les porteuses. » Le zoo
de Toronto abrite quelques femelles
exemptes de maladie, qui pourront porter
les rejetons des bêtes malades.
Gabriela Mastromonaco est parfois la
cible de critiques qui jugent que l’argent
dépensé pour créer quelques rares animauxéprouvettes serait mieux investi dans des
projets de conservation des habitats naturels.
«Mes subventions proviennent strictement
de fonds de recherche, comme celui du
Conseil de recherches en sciences naturelles
et en génie du Canada, se défend-elle. Ça
n’ampute d’aucune façon les budgets des
organismes voués à la conservation. En
outre, les projets de conservation ne se
concrétisent pas assez vite. Il faut donc préserver le bagage génétique des animaux en
danger avant qu’il ne soit trop tard.»
Rien n’assure cependant que les animaux
nés en captivité grâce à la procréation assistée pourront un jour être réintroduits
dans leur habitat naturel et repeupler les
forêts et les savanes. «On a connu quelques
succès, dit Pierre Comizzoli. Notamment,
avec le furet à pattes noires, un petit carnivore qui avait disparu de l’ouest
américain et qu’on retrouve maintenant à
l’état naturel au Montana, au Wyoming
et au Dakota du Sud. Ou encore avec les
gazelles et les antilopes, un projet sur lequel
je travaille en Afrique du Nord. Mais la
réintroduction dans la nature d’espèces
nées en captivité est une opération très délicate, admet-il. Ça ne servirait évidemment
à rien de réintroduire des animaux créés
à grand prix en laboratoire dans une zone
où séviraient des braconniers.»
Les petits de Jeannot, s’ils viennent au
monde un jour, seront vraisemblablement
destinés à vivre dans les zoos. Ça ne
choque pas Francis Lavigne. « Les individus gardés en captivité sont des ambassadeurs, affirme-t-il. C’est plus facile de
convaincre un enfant de protéger la nature
si on peut lui faire voir des animaux. Et
qui sait ce qu’il adviendra des arrière-arrière-petits-enfants de Jeannot? Tant qu’on
arrive à préserver la lignée génétique, il
QS
y a de l’espoir. » ■
La piLuLe
pour Lézards
ZOO DE TORONTO
ZOO DE GRANBY
Mère porteuse
recherchée
Le recours à des mères porteuses
n’est pas rare dans le monde de
la reproduction assistée animale.
Il arrive même qu’on tente de faire
porter les petits d’une espèce en
danger par une lointaine cousine.
Les reptiles sont tellement comblés en
captivité qu’ils se reproduisent sans
relâche. Sauf qu’à force de pondre des
œufs, les femelles s’épuisent, souvent
jusqu’à la mort. «Ce sont les seuls animaux
pour lesquels on n’a pas encore de
contraceptif», regrette Gabriela
Mastromonaco, du zoo de Toronto.
Depuis cinq ans, dans l’espoir de mettre
au point une pilule contraceptive, la
chercheuse fait prélever et analyser des
crottes de femelles caméléons pour
comprendre leur cycle hormonal. «On a
essayé toutes sortes de produits, dont le
tamoxifène, un médicament qui traite
certains cancers du sein et bloque les
récepteurs d’œstrogènes. Sans succès.
Le fonctionnement des hormones qui
dictent la reproduction des reptiles
demeure un mystère.»
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 45
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 4:18 PM Page 46
TOUT CE QU’ON NE VOUDRA JAMAIS DIRE SUR LE SEXE HUMAIN ET QUE, DE T
UNE AFFAIRE DE
46 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 4:19 PM Page 47
QUE, DE TOUTE FAÇON, ON NE VOUS A JAMAIS DIT.
E CULTURE
GRAND SPÉCIALISTE DES MAMMIFÈRES ET DE L’ÉVOLUTION, PROFESSEUR ÉMÉRITE DE L’UNIVERSITÉ LAVAL,
CYRILLE BARRETTE NOUS EXPLIQUE CE QUI FAIT NOTRE
SPÉCIFICITÉ SEXUELLE ET POURQUOI IL NOUS EST SI
DIFFICILE D’EN PARLER.
e sexe chez l’humain, voilà un thème
très vaste pour la biologie! Et très
délicat pour le biologiste...
JEAN-CHRISTIAN BOURCART/GAMMA-RAPHO
L
Chaque fois que je parle publiquement de sexe, en effet, je mets des
gants blancs; je fais attention, je prends des détours. Pas que je sois mal à l’aise, mais le sujet
touche les émotions, la culture, l’éducation, la
religion, la vie personnelle des gens, leur liberté
individuelle d’avoir ou non des enfants.
Chez les mammifères, l’élément le plus important pour assurer le succès reproducteur
d’une femelle, c’est la nourriture. Plus elle dispose de ressources alimentaires, plus elle peut
produire d’ovules et de lait, et plus elle peut
s’investir dans sa progéniture. De son coté, le
mâle, pour se reproduire, a besoin d’une femelle. En gros, cela revient à dire que les femelles consomment de la nourriture et que les
mâles consomment des femelles. La réalité biologique ressemble à une caricature! Encore
faut-il prendre le temps de l’expliquer.
Dans une très large mesure, les sciences humaines et sociales du XXe siècle ont nié la nature animale de l’humain sur la base qu’il est
une construction sociale issue de la culture, de
l’éducation et du milieu. C’est ce qui faisait
dire à Simone de Beauvoir : «On ne naît pas
femme, on le devient.» C’est en partie vrai,
sauf qu’on ne peut pas faire une femme avec
une femelle chimpanzé! Homme ou femme, on
naît avec un bagage humain; pour faire une
humaine, il faut un humain! Évidemment, la
culture, l’enseignement, l’expérience, le vécu
ajoutent énormément à ce substrat. Et c’est ce
qui rend le sujet délicat. Aussitôt qu’on en
parle en termes biologiques, on est accusé de
déterminisme génétique.
C’est comme dire que nous sommes esclaves
de nos gènes. Certains y voient une justification du sexisme, de l’inégalité homme-femme.
Même chose avec le racisme. Le biologiste qui
prononce le mot «race» est tout de suite accusé ou soupçonné de racisme. C’est dommage, parce qu’on s’empêche ainsi d’étudier la
variabilité génétique de l’humain, qui est réelle
et démontrée. Tout comme le mot «race», le
mot «sexe» est trop chargé. Si on parle de la
biologie du foie ou de la circulation sanguine,
personne ne s’en offusque. Mais dès qu’il est
question de la biologie de la reproduction humaine ou des différences sexuelles, les réactions fusent.
Il faut dire que, pour les humains, le sexe n’est
pas que la reproduction!
Nous sommes en effet une espèce qui distingue
le sexe de la reproduction, contrairement à
toutes les autres, où les deux sont indissociables.
Il y a bien sûr quelques exceptions, comme le
bonobo mais, même chez lui, il n’y a jamais de
sexe juste pour le sexe. Chez l’humain, oui!
Même que, dans la grande majorité des cas, il
fait tout pour éviter la procréation.
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 47
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 48
UNE AFFAIRE DE CULTURE
Cyrille Barrette
Au fil de l’évolution, la sélection naturelle
a rendu agréables les comportements indispensables à la survie de l’individu et à sa reproduction. Ainsi, le seul objectif du plaisir,
c’est de favoriser la multiplication des
gènes. À l’inverse, le déplaisir, la douleur ou
le dégoût sont là pour nous éviter de faire
des choses qui pourraient nous nuire. Par
exemple, nous sommes dégoûtés par la
nourriture en décomposition et c’est tant
mieux! Sauf que l’humain voit le plaisir
comme une fin en soi, et non parce qu’il est
associé à un comportement favorable, avantageux. La différence est énorme. Je ne
connais aucune autre espèce, ni parmi les
mammifères ni parmi les autres animaux,
pour qui le plaisir est un objectif.
Il n’en demeure pas moins que l’humain est
avant tout un animal.
La nature animale de l’humain est toujours
présente. Pour le constater, il suffit d’aller
dans un bar à trois heures du matin! Des
études sérieuses ont analysé les comportements des hommes et des femmes dans une
telle situation. Plus le moment de la fermeture approche, plus on voit se profiler les
programmes génétiques. On a l’impression
d’observer des macaques ou des babouins!
Les mêmes programmes génétiques s’expriment aussi dans un contexte tout à fait différent: celui des annonces matrimoniales.
Le phénomène a été sérieusement étudié.
En Inde, par exemple, que recherchent les
parents comme partenaire idéal pour leur
fille ou leur fils? Quelqu’un qui va leur ga48 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
rantir une descendance! Ils se préoccupent
de l’âge, de la formation, de la situation
économique ou familiale du candidat. C’est
plein de sens, en termes darwiniens! Et cela
se passe à l’insu des gens, parce que c’est
programmé génétiquement. C’est naturel!
Par-dessus ce bagage biologique, il y a bien
sûr toute la culture locale, la famille, le
vécu. Mais le noyau animal est toujours là.
Nier son existence n’est pas une bonne idée
si on veut comprendre l’humain. Notre
manteau culturel est très épais et très visible
mais, dessous, nous sommes
toujours le même animal nu
qu’il y a 50 000 ans.
Cela dit, du point de
vue de l’anatomie et de
la physiologie, les différences sont très
profondes entre les
autres mammifères
et nous; par exemple, les seins. Chez
les femmes, les seins
sont présents indépendamment de la
lactation. Leur taille
n’a rien à voir avec la
quantité de lait produite. Une jeune fille a
des seins, même si elle
n’a jamais allaité. Ce
n’est pas le cas chez
les autres mammifères. Ainsi, quand
une femelle chim-
panzé est en lactation, ses glandes mammaires sont beaucoup plus volumineuses
que si elle n’allaite pas. Et elles disparaissent presque complètement entre ses périodes de gestation. Chez l’homme aussi il
y a une différence majeure, l’absence d’os
pénien, le baculum. Presque tous les autres
mammifères en ont un.
Autre grande caractéristique chez l’humain : l’ovulation est discrète. Chez les autres mammifères, la femelle l’annonce
clairement par des odeurs, des comportements, des vocalises, des structures anatomiques. Qu’on pense à la chatte
en chaleur ou aux callosités
fessières chez les primates;
c’est assez explicite ! Alors
que la plupart des femmes
ne connaissent pas le moment exact de leur ovulation, les femelles crient
littéralement la leur.
Cela démontre bien
que, sur les plans anatomique et physiologique, l’humain a pris
depuis longtemps un
chemin différent de
celui des autres mammifères.
Est-on en mesure de comprendre,
aujourd’hui, comment la sexualité humaine a évolué?
Difficile de le savoir pour la
période très ancienne. Par
JEAN-FRANÇOIS LEBLANC
Notre manteau culturel est très
épais et très visible mais,
dessous, nous sommes
toujours le même animal nu
qu’il y a 50 000 ans.
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 49
contre, pour les 5 000 dernières années, on
a de bons indices de ce qu’était la sexualité
chez les Égyptiens, les Grecs ou les Romains. Ce qu’on sait hors de tout doute,
c’est que la culture a façonné la sexualité
humaine. Pas besoin de remonter à l’âge de
pierre pour s’en rendre compte! J’aime
donner l’exemple de mes deux grandsmères. Entre 1915 et 1945, elles ont eu, à
elles deux, 38 enfants! Ma grand-mère maternelle en a eu 16 et ma grand-mère paternelle, 22. En somme, elles ont passé toute
leur vie à se reproduire. À l’époque, au
Québec, les femmes étaient poussées par la
nète, nous ne serions pas 7 milliards mais
peut-être 22 milliards d’êtres humains !
Aujourd’hui, la clé de la gestion de la fertilité, c’est l’éducation des filles. On le
constate dans les pays en développement.
Quand les filles sont instruites, elles réalisent que leur vie peut être consacrée à
autre chose que la reproduction.
Il reste cependant des poches de résistance
au contrôle des naissances. Ce n’est pas
pour rien que, dans certains pays africains,
asiatiques ou sud-américains, où les conditions de vie sont très difficiles, la moyenne
d’enfants par femme tourne encore autour
peut aussi parler de la reproduction médicalement assistée, qui nous permet de dissocier
encore davantage sexualité et reproduction.
Ou du phénomène de l’adoption : quelqu’un investit ses ressources dans une progéniture qui ne porte pas la moitié de ses
gènes. À quelques exceptions près, rien de
tout cela n’existe dans le reste du monde
animal!
Même chose pour la pornographie, l’érotisme, l’obscénité; c’est culturel, pas animal.
Ou la pudeur... Les autres animaux ne se
cachent pas pour s’accoupler. Avant le
péché originel, Adam et Ève étaient nus
© MUSÉE McCORD
L’humain voit le plaisir comme une
fin en soi, et non parce qu’il est associé à un comportement favorable,
avantageux. La différence est
énorme. Je ne connais aucune autre
espèce, ni parmi les mammifères ni
parmi les autres animaux, pour qui
le plaisir est un objectif.
À l’époque, au Québec, les femmes étaient poussées par la religion à engendrer au maximum de
leur capacité biologique.
religion à engendrer au maximum de leur
capacité biologique. Mes grands-mères ont
eu une vie beaucoup plus animale qu’humaine. Et ce n’est pas péjoratif, quand je
dis cela! Elles vivaient des émotions et des
peurs humaines, mais du point de vue de la
reproduction, elles ont eu une vie animale.
Tout ce qu’elles faisaient était dicté par la
reproduction.
En l’espace de deux générations, la situation a complètement changé. Chez
toutes les autres espèces, plus on a de ressources, plus on a de petits. Alors que,
chez l’humain, c’est le contraire. Les pauvres font davantage d’enfants et les
riches, de moins en moins. Ce phénomène, qu’on comprend mal, est purement culturel, social. Il est salutaire pour
la qualité de vie des individus et pour la
santé de la biosphère. Imaginez, si le
nombre d’enfants était proportionnel à la
richesse ! Comme les conditions de vie
s’améliorent un peu partout sur la pla-
de cinq, six ou sept. Or, les gens n’ont pas
les moyens d’élever autant d’enfants. Mais
les pressions sociales, culturelles et religieuses exploitent encore aujourd’hui les capacités biologiques à leur maximum.
Aujourd’hui, chez nous, l’influence de l’Église
a diminué, les technologies de reproduction
médicalement assistées sont arrivées. Les
rapports homme-femme ont aussi évolué.
Qu’est-ce que tout cela change dans notre
sexualité?
Nous continuons à évoluer très rapidement, toujours selon nos prédispositions
génétiques et notre nature biologique. Mais
c’est très élastique, nous pouvons aller très,
très loin!
Prenons le cas de l’hypersexualisation des
jeunes filles. Elles ovulent beaucoup plus
jeunes, elles mûrissent plus vite, parce
qu’elles sont mieux nourries. Mais cela entraîne des conséquences sociales importantes, parfois même catastrophiques! On
l’un devant l’autre, mais aussitôt qu’ils ont
croqué la pomme, ils ont dû se cacher. Ils
avaient honte de leur nudité! Les primates
n’ont aucune inhibition de ce genre. C’est
une invention culturelle.
Vu l’importance biologique de la reproduction, les humains ont fait tout un plat
avec le sexe. Ainsi, ils l’ont transformé en
un instrument de pouvoir et de contrôle; de
guerre, même. Je pense au viol. Pour
l’homme qui agresse, les conséquences sont
minimes, mais pour la femme, c’est tout un
bouleversement. Le viol est très rare dans
le règne animal, hormis peut-être chez les
canards.
Autrement dit, le défi, pour l’humain
d’aujourd’hui, c’est d’essayer de se débrouiller avec un bagage du paléolithique, dans un
QS
milieu de plus en plus «culturel». ■
Propos recueillis
par Chantal Srivastava
(Les années lumière – Radio-Canada)
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 49
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 50
UNE AFFAIRE DE CULTURE
Que regardent
vraiment les femmes?
Charles Darwin avait poussé l’audace
jusqu’à suggérer que certains traits des
humains, comme la barbe des
mâles, résultaient de la sélection
naturelle par les femelles. Mais
une étude parue en début
d’année avance que cette
sélection se serait faite
autrement. De quoi s’agit-il? De la
50 Québec Science | Août ~ Septembre 2013
taille du pénis (eh oui!). Et elle
aurait influencé le choix des femmes
dès la préhistoire.
C’est la conclusion à laquelle Brian
Mautz, biologiste à l’Université
d’Ottawa, est arrivé en
présentant à 105 femmes,
âgées en moyenne de
26 ans, des images
d’hommes nus générées
par ordinateur. Il leur a
demandé lesquels elles
considéraient sexuellement plus
attirants. Si elles remarquaient la taille des
individus et la largeur de leurs épaules,
elles vérifiaient aussi les dimensions du
pénis. Atavisme issu du temps où notre
espèce ne portait pas de vêtements?
L’exhibition du pénis, entraînée par
la bipédie, aurait en effet permis
aux femmes d’évaluer la chose.
Il faut dire que le mâle Homo sapiens
est le mieux membré des primates.
La longueur de son pénis en érection
oscille entre 12,8 cm et 14,5 cm. Chez
le gorille, pourtant trois fois plus massif,
l’appendice atteint tout juste 3 cm
ou 4 cm. J.L.
l’orgasme, c’est
humain ou juste
cochon ?
Si l’activité sexuelle des humains n’est pas
exclusivement liée à la reproduction,
trouve-t-on d’autres animaux qui
éprouvent l’orgasme? Jim Pfaus,
spécialiste du comportement
sexuel des rats (et des humains) à
l’Université Concordia, à
Montréal, le pense. «Chez
l’humain, le plaisir sexuel est lié
à la libération, dans le cerveau,
d’opioïdes, de sérotonine et
d’endocannabinoïdes, qui procurent une
sensation d’extase, de récompense et de
satisfaction. Les hormones de
l’attachement, comme l’ocytocine ou la
mélanocortine, jouent aussi un rôle. Et il
semble que ces substances peuvent être
présentes chez tous les animaux après
un rapport sexuel», explique-t-il.
Le cocktail chimique du plaisir,
hautement addictif, serait donc
universel. Humains, cochons et
rongeurs, même combat! «Chez les
rats, mâles comme femelles, si on bloque
la libération des opioïdes avec un
médicament, ils finissent par ne plus
vouloir copuler, parce qu’ils n’ont plus de
plaisir», ajoute Jim Pfaus. Si la biologie
nous ramène sur le même plan que les
rats, nul ne niera que notre esprit nous
distingue. À moins qu’eux aussi aient des
fantasmes pour décupler leur plaisir?
Qui sait? M.C.
les phéromones, ça
marche ou pas?
THE_CUT/ISTOCKPHOTO
THIERRY BERROD-MONA LISA PRODUCTION/SPL
secrets d’alcôve
La plupart des créatures du royaume
animal, depuis les insectes jusqu’aux
grands mammifères, échangent des
signaux chimiques odorants pour
séduire leur partenaire. Ces
phéromones sont-elles aussi présentes
chez nous?
À l’Université McGill, la professeure
Marylin Jones-Gotman a fait respirer à
des hommes et des femmes
hétérosexuels des concentrés
d’androstadiénone, une hormone
sécrétée par les glandes
sudoripares des aisselles
masculines. Si la
molécule influençait le
flot sanguin dans le
cerveau des femmes,
elle n’avait aucun effet
chez les hommes.
Précédemment, une autre étude,
états-unienne celle-là, avait démontré
que des femmes à qui on faisait humer
des teeshirts humectés de sueur virile
parvenaient à différencier les hommes
avec lesquels elles n’avaient aucun lien
de parenté (qui étaient donc des
géniteurs potentiels) de ceux avec
lesquels elles étaient proches.
Mais le mystère demeure. Car c’est
l’organe voméronasal, qui se trouve de
part et d’autre de la cavité nasale, qui
permet de détecter les phéromones.
Chez les animaux, il fonctionne à fond.
Chez les humains, il y a bien des
vestiges ancestraux de cet organe
derrière les narines, mais ses fibres
nerveuses ne sont pas
connectées au cerveau.
Les phéromones humaines ne
seraient-elles alors qu’un
fantasme? Quoi qu’il en soit, elles
font l’affaire des fabricants de
certains parfums qui prétendent
concocter d’irrésistibles fragrances! D.F.
MARC ROBITAILLE
ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:28 PM Page 51
Le cerveau fou d’amour
Le coup de foudre existe-t-il ou n’est-il que fiction pour
histoires à l’eau de rose?
Le coup de foudre existe sans aucun doute. Quand une
personne s’éprend d’une autre, de nombreuses et très réelles
modifications neurophysiologiques surviennent dans son
cerveau, dont la chimie se trouve modifiée. Cela a été démontré
par des études d’imagerie cérébrale et d’analyse sanguine,
auprès de volontaires récemment tombés amoureux à qui on
demandait de penser fortement à l’être aimé.
Normand Voyer,
professeur et chef du
Laboratoire de chimie
bio-organique
supramoléculaire à
l’Université Laval.
À ce moment, que se passe-t-il au juste dans le cerveau?
Des substances chimiques neuroactives très puissantes sont
libérées. Elles vont altérer le comportement, le rythme cardiaque
et le métabolisme. Il y en a quatre principales. D’abord la
phénéthylamine. Elle agit comme une drogue de la famille des
amphétamines en procurant confort et bien-être : le monde est
beau, plus rien n’est grave. Ensuite, la dopamine,
neurotransmetteur impliqué dans l’attention, vient stimuler la
concentration, l’intensité de l’humeur et la nervosité. On est
survolté, hilarant, paquet de nerfs, on a la bougeotte, on pète le
feu. En troisième lieu vient la norépinéphrine, un euphorisant
qui fait faire des folies, des excès. Pour finir, à la suite de la
métabolisation de la norépinéphrine, apparaît l’adrénaline,
l’hormone de l’urgence, qui augmente le rythme cardiaque,
la pression sanguine et qui fait rougir.
Ces effets, incontestables, finissent cependant par
s’estomper, semble-t-il...
Comme à toutes les autres drogues, on s’acclimate à celles du
coup de foudre. Entre 18 mois et 4 ans après la rencontre, les
effets sont devenus imperceptibles. Mais heureusement,
l’ocytocine, l’hormone de l’attachement, prend le relais.
La relation peut alors se transformer, adopter un autre visage
et peut-être durer. J.L.
Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 51
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