Le cours classique au Petit Séminaire de Chicoutimi. - Web

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LE COURS CLASSIQUE AU PETIT SÉMINAIRE DE CHICOUTIMI.
CINQUANTE ANS APRÈS , QUELS REGARDS ?
« Rosa, rosa, rosae, rosae, rosa, rosam, »
Introduction
Distance entre le monde du Séminaire et celui de la vie concrète, p.3
La vie quotidienne très ordonnée du Petit Séminaire, p.5
La discipline et l’autorité, p.8
Les professeurs, p.10
Les pratiques pédagogiques, p.11
Le programme d’étude, p.13
La religion, p.17
Le climat moral, p.19
Les loisirs, les jeux, les sports et les activités parascolaires, p.22
Les expériences culturelles, p.23
L’ouverture sur le monde, p.26
Les choix de vie, p.27
Nos années de Petit Séminaire furent-elles heureuses?, p.28
Introduction
En octobre 2010, par hasard, je lis dans le journal de l’université du Québec à Montréal,
un article intitulé : " Louise Bienvenue, historienne des identités". En parcourant le texte
je découvre que la professeure Bienvenue effectue des recherches sur l’histoire des
collèges classiques au Québec, des institutions pour garçons qui ont formé l’élite
masculine depuis le début de la colonie jusqu’à la révolution tranquille.
L’intérêt de ces recherches, selon la professeure, « est d’analyser d’un point de vue
historique la formation entre hommes, car l’enseignement était donné par des prêtres. Il
s’agissait donc d’un bassin de recrutement pour la prêtrise et cet enseignement a eu une
influence sur la formation des jeunes garçons, sur leur sociabilité, sur leur vision de la
femme.»
En novembre 2011, j’apprends par le Devoir que Guillaume Lavoie, un jeune trentenaire,
chargé de cours à l’École nationale d’administration publique et originaire de la route
numéro 4 au Saguenay, est l’instigateur du Collège néo-classique. Ce collège vise à offrir
le meilleur des études classiques aux leaders de la génération montante. L’étincelle de ce
projet lui est venu de sa fascination pour ce qu’était nos études classiques. «Je voyage
beaucoup et je rencontre des gens qui ont fait les études classiques et je vois toute la
profondeur et les outils que ça leur a donnés que je n’ai pas eus ».
Ces deux articles ont piqué ma curiosité et je me suis dit qu’il serait intéressant
d’explorer ce que fut le cours classique que nous avons vécu au Petit Séminaire de
Chicoutimi de 1954 à 1962.
Ce qui a ajouté aussi au goût de faire cette réflexion, c’est la célébration du
cinquantenaire de la fin de notre cours classique lors de notre prochain conventum en mai
2012. Quelle belle occasion de revisiter ensemble nos années de Petit Séminaire et
d’essayer d’en trouver les acquis essentiels :
Comment on a été initié aux "humanités classiques"?
Qu’est-ce que nous avons appris en plus du grec, du latin et de la religion?
Quelle place occupait les sciences? Les réalités sociales?
Comment ces études ont-elles fait de nous les personnes que nous sommes devenues?
Que nous reste-t-il de huit années de travaux scolaires et d’enthousiasmes intellectuels et
culturels?
Peut-être que certains parmi vous imputeront ces questions à une nostalgie
quotidiennement renforcée par l’écoulement brutalement irréversible de nos soixante et
dix ans. C’est sûr que tout retour d’une personne sur son passé, son enfance ou son
adolescence est teinté d’une forme ou d’une autre de nostalgie. Mais cette réflexion sur
ce que fut notre cours classique, si elle comporte une part de nostalgie, se veut avant tout
une démarche pour mieux connaître et comprendre l’expérience d’éducation que nous
avons vécue et peut-être pour en tirer quelques leçons, si cela se peut.
Le cours classique au Petit Séminaire de Chicoutimi nous a appris des choses importantes
et il a assuré notre formation. Cependant, que de limites et de carences l’on accompagné
et nous marquent encore peut-être aujourd’hui! C’est cela que je voudrais circonscrire.
Comment retracer nos souvenirs du Petit Séminaire cinquante ans après? L’idée m’est
venue qu’avant d’entreprendre cette démarche, il serait intéressant d’examiner comment
d’autres jeunes, comme nous à travers le Québec, qui ont fait leur cours classique dans
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les séminaires à la même époque, ont brossé un tableau de leurs études classiques, de leur
expérience de vie et de leur formation.
Ce fut une heureuse idée parce ce qu’en examinant ce qui restait dans la mémoire des
autres, cela m’a permis de mieux discerner ce que je pouvais retrouver dans la mienne.
D’ailleurs je citerai à quelques occasions des témoignages de jeunes provenant d’autres
séminaires que le nôtre.
Un ouvrage m’a été particulièrement utile pour repérer et accéder rapidement à l’essentiel
des écrits pertinents pour ma réflexion. Il s’agit de la minutieuse et éclairante étude
doublée d’une bibliographie particulièrement détaillée du sociologue Claude Corbo : La
mémoire du cours classique. Les années aigres-douces des récits autobiographiques. En
deuxième lieu, j’ai obtenu beaucoup d’informations en consultant les Annuaires et l'Alma
Mater du Petit Séminaire de Chicoutimi des années 1954-1962.
De plus en scrutant la mémoire des autres jeunes qui ont vécu à peu près le même cours
classique que nous, j’ai constaté qu’il y avait un certain nombre de thèmes qui revenaient
assez souvent : le collège classique comme un monde en retrait du monde; la vie
quotidienne dans le séminaire; la réalité de l’autorité et de la discipline; les professeurs et
ceux qui ont figure de maître véritable; les programmes d’études et l’enseignement; la
présence souvent envahissante de la religion; les jeux, le sport et les loisirs; l’univers de
la culture; les découvertes essentielles. Dans cette réflexion j’essaierai de voir comment
la mémoire tire inspiration de ces thèmes, aptes à faire surgir de loin le souvenir et le
regard sur nos années d’étude au Petit Séminaire de Chicoutimi.
Enfin je remercie de tout cœur Kristiane, ma conjointe, qui a lu attentivement le
document et m'a suggéré plusieurs améliorations très pertinentes.
Distance entre le monde du Séminaire et celui de la vie concrète
Au Petit Séminaire de Chicoutimi, j’ai eu le sentiment de vivre une vie un peu
particulière en regard de celle du reste de la société. J’étais plongé dans un univers
culturel et moral qui m’isolait de mon monde familial et social, j’étais dans un monde
totalement masculin voué à une mission élitiste.
D’abord en entrant au Petit Séminaire de Chicoutimi, on sentait bien la différence de
rythme entre la vie de cette institution et la vie du monde ambiant qui nous parvenait de
plus en plus fortement par la radio, le cinéma et la télévision. Je trouvais qu'il y avait une
distance entre le Séminaire par rapport au monde de la vie quotidienne et à celui de
l’univers familial et social d'où je provenais.
On se faisait dire qu’on était des privilégiés, même si nous étions issus de milieux
modestes, et qu’on devait s’initier aux humanités classiques c’est à dire à la grande
culture qui nous apparaissait bien éloignée de notre culture environnante. On nous
projetait aussi un idéal de vie qui était en rupture avec le monde réel de la société.
Par exemple nos professeurs n’avaient pas à se préoccuper de gagner leur vie, même si
souvent ils travaillaient très fort. Le fait que nos maîtres étaient soustraits aux impératifs
économiques quotidiens et protégés des soucis ordinaires et terre à terre qui étaient le lot
de la grande majorité des citoyens et citoyennes, accroissaient l’image que le Petit
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Séminaire était une communauté sise hors du monde ordinaire.
On vivait donc une expérience de déracinement vis-à-vis ce qui nous était familier depuis
l’enfance. Plus j’avançais dans les études, plus je participais à un univers complètement
étranger à mes parents. C’était une expérience de choc culturel parce que cette culture des
classes privilégiées n’avait pas pénétré le milieu plus modeste où je vivais. Je contractais
aussi des désirs et des attentes qui n’avaient rien à voir avec la vie vécue de mes parents.
Enfin le Petit Séminaire tenait grandement à préserver cette distance par rapport à la
société. Les pensionnaires avaient des rapports avec la ville qu’en de rares occasions. Les
journaux n’étaient pas nécessairement bienvenus.
Le Petit Séminaire me laisse aussi un souvenir d’une institution élitiste. D’abord le
recrutement était réservé à l'élite des adolescents, capable de passer les tests de quotient
intellectuel et douée aussi d'une motivation et d'un caractère approprié. En se référant à
des études réalisées aux États-Unis, on évoquait la nécessité, pour réussir le cours
classique, d'un quotient intellectuel de l'ordre de 110 à 120 contre une moyenne de 100
dans la population. Avec ces tests, administrés indépendamment du contexte socioculturel d'où nous venions, le cours classique visait les "intelligences supérieurs."
De plus le cours classique n'était pas seulement très sélectif dès le départ dans le choix
des élèves, il le demeurait tout au long de son déroulement, car une proportion
appréciable des admis initiaux décrochaient en cours de route. En 1954-1955, nous étions
121 élèves dans les trois Éléments latins. En Philosophie II : 46 finissants.
À cela s’ajoutait les considérations financières. Vers 1950, une famille normale a besoin
d’un revenu annuel d’environ 2250$ pour vivre correctement. Les frais de scolarité se
situant entre 400$ et 600$ par année, seule une famille disposant d’environ 3000$ pouvait
inscrire leur enfant au Séminaire. Par exemple en 1951, le revenu moyen de cent mille
propriétaires d'exploitations agricoles était de 1512$. Si plus de 50% des administrateurs
et professionnels disposent d'un revenu annuel de 3000$, c'est le cas d'à peine 15% des
cols blancs, de 11% des cols bleus et de 1% des ouvriers non spécialisés. (Claude Corbo,
Les Jésuites québécois et le cours classique après 1945, Septentrion, p: 66, 2004).
Enfin la mission poursuivie par le Petit Séminaire dans la société était bien claire : former
une élite parmi laquelle se trouvait la relève du clergé. Il s'agissait de former ceux qui
dirigeraient la société. Il fallait doter la société de personnes capables de la diriger dans
toutes les sphères d’activité, sur la base d’un héritage culturel, assimilé et inspirant. Sans
levain, la pâte ne lève pas. Combien de fois nos professeurs nous ont dit que nous étions
appelés à constituer "l’élite de demain" et qu’il était important d’exceller. On finissait par
le croire. " La fierté de faire partie d'un groupe d'élite" était mentionnée comme telle par
les élèves du petit Séminaire dans une enquête menée par l'Alma Mater en 1961 au sujet
de la meilleure façon de contrer les divisions entre eux.
Bien plus, ce privilège d’être " l’élite de demain" commençait en quelque sorte dès notre
entrée au Séminaire.
« On a un peu oublié, aujourd’hui, le prestige dont faisaient l’objet les élèves du
classique. Ils avaient droit au respect que commandait l’étude des matières aussi
rebutantes que le latin, le grec, la littérature, l’apologétique, la physique, la chimie et la
philosophie. Je me souviens de certains discours de rentrée scolaire qui saluaient en nous
" les élites de demain" et nous congratulaient de pouvoir fréquenter désormais Aristote,
Tite-Live et Corneille, le tout agrémenté de citations de Sertillanges sur les exigences du
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travail intellectuel….Le fait est que les élèves du classique jouissaient d’un prestige
spécial » (Lucien Bouchard, À visage découvert, Boréal, 1992. 379 p., p. 23-24)
On était donc appelé à un destin particulier, différent du plus grand nombre de nos
concitoyens. Autour de nous dans la société, c'était bien différent. La fréquentation
scolaire du secondaire demeurait très limitée et l'entrée hâtive dans le monde du travail
s'imposait comme loi incontournable à la très grande majorité.
Une autre caractéristique du séminaire qui le singularisait par rapport à la société c'est
qu'il était un monde exclusivement masculin. Les seules femmes qu’on voyait, à part des
professeures de piano, violon et d'orgue, étaient les Sœurs Antoniennes de Marie,
confinées à des tâches modestes et souvent rudes, que l’on s’efforçait de rendre aussi peu
visibles que possible (à la cuisine, au ménage, à l’entretien et au lavage).
«…..À l'époque, les sœurs ont la charge de 525 élèves du cours classique. Elles veillent
au bon soin des 75 prêtres, des 75 séminaristes et des élèves de l'établissement…. Après
une demi-heure de prière et la messe, la journée de travail commence à 7 heures pour se
terminer à 19 heures…. Les repas des élèves se font dans une ambiance de bruits, de
dégâts et de coups, et ce, malgré la présence de maîtres de salle. Les conditions de
travail dans la cuisine changent peu entre 1904 et 1964. Les religieuses portaient de
lourds habits, une longue robe blanche à laquelle on ajoute un tablier rayé à manches
longues, ce qui dans les cuisines surchauffées était peu confortables: les " genoux
chauffaient" et elles étaient souvent en sueur.» (Extrait d'une entrevue avec Sœur Cécile
Paradis, Antoniennes de Marie, responsable de la cuisine du Petit Séminaire de
Chicoutimi de 1955 à 1966. Cette entrevue intitulée " Cuisiner dans un séminaire:
l'exemple de Chicoutimi," est parue dans Patrimoine immatériel religieux du Québec,
récit de pratique culturelle, 8 avril 2009).
Le cours classique signifiait donc l’absence de femmes. On ne retrouvait aucune auteure
dans le monde grec et latin, presque pas non plus dans la littérature française et
canadienne française.
Avec ce monde d'hommes, le séminaire finissait par constituer une communauté humaine
tricotée serrée où s’affirmait, pour certains, un fort sentiment d'appartenance. Cette
communauté établissait une forme d'intimité entre professeurs et élèves et créait des
appartenances destinées à durer longtemps, malgré ce que chacun devenait au cours de
son existence. Cette vie intensément communautaire du Séminaire entraînait, à certains
égards, un repli sur soi et tendait à creuser encore plus une distance entre nous et le
monde extérieur, particulièrement, concernant les nouveautés qui apparaissaient comme
par exemple le «Rock 'n' Roll». Je me rappelle d'un professeur en colère qui s'était
fracturé un doigt en frappant sur le bureau contre Elvis Presley et sa musique «Rock
'n' Roll».
La vie quotidienne très ordonnée du Petit Séminaire
Le Petit Séminaire n’était pas seulement un monde à part du monde environnant mais
aussi un monde où l’on s’efforçait de faire régner un ordre omniprésent, appuyé par une
discipline omniprésente qui laissait peu de place à la fantaisie et à l’oisiveté.
Tout au long des rythmes de la vie quotidienne, dans ses espaces divers, dans ses
activités, le Petit Séminaire se présentait comme un monde ordonné.
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Jour après jour, de septembre à juin, la vie de séminaire se déroulait selon un horaire
inflexible
5h30 : Lever
5h40 : Étude
7h 00: Messe
7h30 : Petit déjeuner
8h15 : Classe
10h00: Récréation
10h15: Étude
12h00: Dîner
13h30 : Étude
14h00 : Classe
16h00 : Récréation
16h30 : Étude
18h00 : Souper et récréation
20h00 : Étude
21h00 : Coucher
Il y avait aussi le silence. Silence lors de la formation des rangs. Silence au dortoir.
Silence dans la salle d’étude. Si on chuchotait quelques notes à notre voisin dans la salle
d’étude et qu’on se faisait prendre ("caper"), c’était la punition.
Avec un tel horaire, certainement pour les pensionnaires, l’enfermement dans les murs du
Petit Séminaire devait être très long. Arrivés au début septembre, les pensionnaires y
vivaient jusqu’en fin du mois de juin pratiquement, avec quatre jours de congé à la
Toussaint, une dizaine de jours à Noël, quatre jours à Pâques, le reste du temps, fins de
semaine comprises, était vécu dans le Petit Séminaire.
Les congés étaient limités : le jeudi après-midi et le dimanche.
Ce régime de congés et le fait que le samedi était un jour de classe contribuait pour les
externes à couper les liens avec les autres jeunes du quartier.
La variété des repas au réfectoire était limitée car les Sœurs Antoniennes de Marie, qui
faisaient la cuisine, ne disposaient que de 0.50$ pour les repas de chacun de nous. Par
ailleurs les menus étaient plus variés pour les prêtres et les séminaristes parce que le
budget n'était pas le même. Pour le déjeuner, nous avions du gruau, des céréales et des
rôtis. Le midi, on nous servait souvent de la tourtière, des fèves au lard avec de la mélasse
et du ragoût de boulettes. Pour le souper, nous mangions régulièrement du hachis, des
fricassés, du macaroni et de la sauce blanche avec des œufs. Pour le dessert, les sœurs
remplissaient six grandes chaudières de pommes et de brioches. Enfin au menu, très peu
de steak et de poulet. Comme le disait Sœur Cécile Paradis dans l'entrevue citée plus haut
"pour des raisons de temps, il était plutôt rare de préparer des steaks et du poulet car
c'était une grosse corvée"".
Au chapitre de la vie quotidienne, on retrouvait aussi le port de l'uniforme du Petit
Séminaire. Il était bien spécifié dans le règlement qu’on devait porter tous les jours
l’uniforme du Séminaire : pantalon gris, blazer bleu marine avec bouton d’écaille gris
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perle avec l'écusson du Petit Séminaire, béret bleu, chemise gris pâle et la cravate rouge
vin.
Il fallait aussi que la cravate soit toujours bien nouée, sinon on se le faisait rappeler assez
rapidement!
Le quotidien se vivait en groupe dans des lieux précis où nous vaquions à nos
occupations prescrites par l’horaire : dortoir, réfectoire, salles de cours et de récréation.
Nous nous retrouvions aussi en groupe à la salle d’étude avec notre préfet de discipline et
nos maîtres de salle. Pensons à l’abbé Pamphile Larouche qui surveillait la salle d'étude
des petits. Rien ne lui échappait. « Perché sur son estrade, il dominait la salle d'étude;
aux extrémités, deux grandes portes souvent ouvertes. Il ne faut pas imaginer l'étude
comme un lieu mort. Au contraire tout était mouvement, pupitres qui s'ouvrent et se
referment, crayons qu'on aiguise, dictionnaire qui fichent le camp, un élève qui se rend
chez son directeur spirituel. » (Jean Éthier-Blais, Le seuil des vingt ans, Leméac, p : 32)
En fait, il n'y avait qu'un lieu dans le séminaire où il était possible d'échapper à la vie de
groupe et à l'inflexible horaire quotidien, c'était l'infirmerie, mais il y avait un prix à
payer pour y accéder! Vous vous souvenez de monsieur PH.Simard, infirmier, de l'abbé
Ls-de-Gonzague Tremblay, du docteur Benoît Fortin, médecin attitré du séminaire!
Un témoin de cette période décrivait cette vie en communauté comme une vie
en " troupeau" «Une vie réduite à une sorte d’abstraction, horaires, routine, silence,
discipline et toujours le troupeau : dormir, se lever, manger avec des centaines d’autres,
au rythme des cloches, toute aventure soigneusement exclue, toute différence aussi»
(Pierre Maheu, Un parti-pris révolutionnaire 1983, p : 288)
Dans cette vie sans territoire à soi, la notion d'intimité et de vie privée ne constituait pas
une caractéristique importante du Séminaire. On s'employait à nous pétrir par une vie
partagée avec ses semblables.
Aussi dans cet univers commun, tout était organisé pour que chacun, peu importe son
âge, soit à sa place.
«L’élève appartenait à son pupitre. Il avait sa place retenue partout dans le collège, en
classe, à l’étude; le pupitre de classe contenait le matériel purement scolaire, celui de
l’étude était le gardien des lettres, des livres de lecture, des tentatives de composition, ce
dernier, dès le premier jour, le plus précieux. Place aussi à table, à la chapelle, à la salle
de récréation, au dortoir» ( Éthier-Blais, 1992, p. 20)
De plus la volonté d'ordre se manifestait aussi en nous regroupant en fonction de l'âge et
de notre cheminement dans le cours classique. Il y avait les élèves de la petite salle qui
regroupait ceux qui étaient en Éléments latins, Syntaxe, Méthode et Versification. Ces
élèves faisaient des travaux et de jeux en commun. La répartition des bureaux dans la
salle d'étude, des lits au dortoir cimentait cette fierté d'appartenance.
Il y avait les élèves de la grande salle qui regroupaient ceux de Belles-lettres, Rhétorique,
philosophie I et philosophie II.
On trouvait aussi dans chaque salle un doyen qui était assez souvent le plus vieux. Il était
une sorte de "clochard" qui nous appelait au travail, aux jeux ou au repas.
Le clivage entre les quatre premières années et les quatre dernières était très grand. Pour
un élève d'Éléments, un rhétoricien ou un philosophe étaient des dieux.
En 1958, il y a l'instauration du "Philosophat" qui regroupait les étudiants des deux
classes de philosophie.
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Pour les autorités du Petit Séminaire à cette époque, former une relève sacerdotale ou une
élite pour la société ne pouvait pas se concevoir en dehors d'un monde bien ordonné qui
s'exprimait par un horaire quotidien strict, une organisation de l'espace précise et par une
intégration de chaque élève dans une communauté tricotée serrée et dans des sousgroupes.
La discipline et l’autorité
Cet ordre dans la vie quotidienne et dans le processus d'apprentissage et de formation
était maintenu et garanti par une discipline rigoureuse et une ferme autorité.
D’abord il y avait au Petit Séminaire une Commission de discipline formée toujours d’un
Monseigneur et d’un prêtre.
La discipline constituait une réalité incontournable et pesante. Chacun s'efforçait de
trouver un modus vivendi pour qu'elle soit plus supportable.
La discipline prenait le style d'un catalogue d'interdits : interdit de parler en classe, dans
la salle d'étude, interdit d'aller aux toilettes sauf à certaines heures prescrites, interdit de
fumer, de lire tel livre parce qu'il est à l'Index, interdit de porter des talons de fer, interdit
de recevoir ses parents en dehors du parloir, interdit de sortir en ville. Même nos parents,
qui voulaient nous sortir en ville le dimanche après-midi, devaient demander la
permission au Directeur.
Le règlement disait aussi que le Directeur pouvait en tout temps prendre connaissance des
lettres qui nous étaient adressées et celles qu’on envoyait nous-mêmes. Tout était
réglementé à la seconde près. Il y avait même des règlements pour chacun des endroits où
nous étions deux ou plusieurs à nous trouver en même temps: le salon de barbier, la
bibliothèque, la cabane des jeux, partout l'ordre devait régner.
Tous ces interdits et règlements s'accompagnaient de la présence de préfets de discipline
à la salle des grands et des petits; de surveillants un peu partout dont la salle d'étude.
« Le surveillant! Il est invisible, puisque son estrade est située au fond de la salle d'étude
où seuls les grands qui sont méthodistes ou versificateurs ont accès directement à lui et
peuvent saisir son regard sans tourner la tête (et tourner la tête est déjà un mauvais
signe : inattention, ne pas être à son affaire). Pour attirer l'attention du surveillant, il
suffit de lever le bras droit. Il quitte aussitôt son estrade et vient vers vous. Il se penche,
écoute ce que vous avez à lui dire et vous donne ou refuse la permission. D'une certaine
façon, il est plus terrible que les professeurs, car, jour après jour, il est le témoin de votre
comportement au repos. Il a l'art de saisir les nuances de vos mouvements. Un livre en
main, somnolez-vous? Il le sait. Penché sur un cahier, en pleine rédaction de composition
française, rêvassez-vous? Vous entendez son pas dans l'allée, un pas qui vient décidément
vers vous et non un autre. » (Éthier-Blais, 1992, p : 30)
Il y avait aussi des sanctions multiples et diversifiées selon les fautes. Apparaît en 19591960 dans les règlements du Séminaire une nouvelle section intitulée " Cas d’exclusion".
Étaient inclues des fautes "particulièrement graves" qui entraînaient l’expulsion pur et
simple du Séminaire comme "Lire ou simplement posséder un livre à l’Index, en pleine
connaissance de cause" (Extrait du règlement). On y trouvait aussi d’autres fautes "
moins graves" qui pouvaient aussi entraîner l’exclusion après étude sérieuse du dossier de
l’élève par la Commission de discipline. Parmi ces fautes il y avait "Sortir en ville sans
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permission ou y demeurer un temps notable après le temps accordé". " Dépasser l’heure
de la rentrée en septembre, à la Toussaint, à Noël et à Pâques sans s’être entendu avec le
Directeur" .
" Pour un externe, ne pas venir au Séminaire un jour de classe sans raison valable ni
autorisation." (Extrait du règlement).
Je me rappelle de l'expulsion de quelques finissants parce qu'ils étaient entrés tard au
Séminaire, suite à leur veillée au carnaval de Chicoutimi. C'était une sanction sans appel
même si les étudiants risquaient de perdre leur année. Il n'existait aucune procédure de
plainte ou de récrimination.
Enfin il y avait même, exceptionnellement à l’occasion, des sanctions physiques qu’on
pouvait appeler des arguments frappants. Un beau matin en classe, je me souviens
d'entendre et de voir les pensionnaires tout énervés, parce qu'un maître de salle avait
frappé physiquement un élève au dortoir durant la soirée.
Derrière ce système se profilait la figure de l'autorité qui ne se laissait pas mettre en cause
facilement.
J’ai souvenir de professeurs profondément choqués parce que des élèves du Séminaire
avait une émission à la télévision de CKRS Jonquière qui s'intitulait "Sans prof ni
bouquin"!
Cette autorité revêtait la figure d’une monarchie absolue de droit divin et refusait d’être
contestée. Souvent on obéissait par la peur. Combien de fois j’ai entendu cette phrase de
la part de nos maîtres :" La peur est le commencement de la sagesse"!
Cette autorité rejetait toute idée de recours à des assises démocratiques. Tout au plus
pouvait-elle accepter de consentir au pardon.
L’heure des chartes des droits et libertés et celles des associations d’élèves prétendant
discuter avec l’autorité n’étaient pas encore arrivées au Petit Séminaire.
Par ailleurs cela ne nous empêchait pas de chercher de temps en temps à contourner les
règlements ni à chahuter en groupe. Certains cours de musique, en Éléments latins avec
l’abbé Coudé et d’anglais avec l’abbé Tessier, étaient des occasions propices à
l’insubordination en groupe. Il y avait aussi aller fumer une cigarette dans une cabine de
toilette, s’éclipser miraculeusement de la messe quotidienne pour aller fumer en cachette
( "dutcher") à la salle académique, établir à l’entre-toit un quartier général avec gardemanger et vin de messe.
Le concept de l’autorité dont s’inspirait nos professeurs et maîtres de salle était-elle
tellement différentes des autres dirigeants du Québec à cette époque? L’Église n’avait pas
encore vécu son Concile, Maurice Duplessis menait son gouvernement d’une main de fer,
les femmes mariées demeuraient sous la tutelle juridique de leur époux, les syndicats
luttaient pour leur existence. Le Petit Séminaire épousait volontiers un style d’autorité qui
était assez répandu dans la société québécoise.
Les professeurs
Presque la totalité des enseignants au Petit Séminaire appartenaient au clergé diocésain.
Une bonne proportion de ces prêtres, surtout au cours des premières années de notre
cours classique, n’avaient pas de formation pédagogique ou de spécialité dans les
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matières qu’ils enseignaient. Ils avaient une formation en théologie catholique et leur
diplôme se résumait au baccalauréat ès arts. Par exemple, je me souviens de la faible
préparation intellectuelle et pédagogique de certains de mes professeurs d'histoire, qui
faisaient de cette matière un répertoire aride de dates avec plein d'accolades sans trop de
liens entre elles.
Nous avons eu aussi quelques enseignants laïcs en cours de route qui avait leur bureau à
la maison "Annexe". Contrairement aux prêtres, la plupart était diplômé de l’École
Normale et avaient des spécialités dans différents domaines : littérature française, lettre,
etc.
Si je regarde l’ensemble des professeurs que nous avons eus durant notre cours classique,
j’y vois un mélange de prêtres dévoués mais minimalement préparées à leur tâche, surtout
dans les premières années, (la qualité des enseignants s’accroissait au fur et à mesure que
l’on progressait vers les classes supérieures) et d’autres prêtres chez qui on ne sentait pas
de vocation et de passion pour l’enseignement. Par contre chez tous les professeurs laïcs
qui nous ont enseignés, j’ai toujours perçu qu’ils aimaient leur profession et avaient un
grand désir de se consacrer à l’enseignement.
Dans ce corps professoral du Petit Séminaire, il y a eu un certain nombre de professeurs
qui m’ont marqué. C’était des personnes qui maniaient l’art pédagogique avec finesse et
dextérité, capables de se démarquer des règles et des pratiques officielles comme par
exemple notre professeur laïc de mathématiques en Philosophie II, Germain Hallé, qui
avait le don de faire jaillir la lumière sur ce qui, jusqu’alors n’avait été qu’obscurité. Cet
art pédagogique, le plus souvent, surgissait de la personnalité même de l'enseignant, de
son caractère, de sa passion, pour ce qu'il enseignait plus que d'un apprentissage formel
du métier.
C’était aussi des personnes brillantes de connaissances et de culture, passionnées par leur
enseignement qui nous donnaient le goût de partager un savoir et de s’initier à un monde
nouveau. Je risque un nom : l’abbé Jean-Paul Vincent.
C’était aussi des personnes qui nous manifestaient beaucoup d’attachement, de
dévouement et de respect pour ce qu’on était et ce qu’on devenait. Par exemple l’abbé
Jean-Paul Simard et son autre frère, prêtre.
Tous ces professeurs assumaient aussi une "probité extrême" : l'ingrate et fastidieuse
tâche de la correction : « Versions et thèmes latins, nos ânonnements en grec, nos
énormités en français, nos erreurs en histoire ou en géographie, nos inattentions, sans
parler des mathématiques, des leçons de choses, tout était passé au crible » (Éthier-Blais,
1992, p.26)
Ces professeurs ont joué un rôle important dans nos vies parce qu’ils nous ont inculqué
les vertus de l’effort, du travail bien fait et de la constance. Ils nous ont appris aussi à
travailler avec méthode et à approfondir ce que nous étudions. Nous en avons conservé
des traces et ils continuent à nous habiter de quelque manière.
Les pratiques pédagogiques
L’un des piliers de la pédagogie de notre cours classique était un souci et une
revalorisation des humanités classiques (la grande culture). Cette dernière était supposée
nous protéger du matérialisme et de toutes les valeurs que semblaient véhiculées les
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influences américaines.
Cette grande culture était aussi approchée de façon très sélective, en morceaux choisis et
en éditions expurgées, car certaines de ses composantes étaient jugées nocives. Qui ne se
rappelle pas des morceaux choisis et lectures expliquées de Mgr Jean Calvet?
La pédagogie de notre cours classique recourrait constamment à la mémorisation (le " par
cœur"). L'étude du latin et du grec, par exemple, requéraient beaucoup d’efforts de
mémorisation : apprentissage du vocabulaire, de déclinaisons, de conjugaisons de verbes.
L'écrit jouissait d'un prestige considérable. On abordait principalement les quatre langues
étudiées sous la forme de l'écrit. Ainsi il y avait un effort soutenu pour comprendre la
grammaire et les règles de la langue écrite et nous faire écrire. Par-delà les productions
écrites proprement scolaires, nous étions aussi encouragés par l'existence d'un journal
personnel ou de classe imprimé à la gélatine. Est-ce que nous nous rappelons de notre
journal de classe en Belles lettres intitulé " L'œil ouvert" ?
Cet apprentissage de l’écriture devait nous apprendre une manière consacrée de réfléchir
et d’analyser les choses. En témoigne la dissertation, dont Éthier-Blais explique bien
l’impact durable dans sa propre vie :
«On commençait en Méthode à nous enseigner l’art de la dissertation, les trois points
que précède une introduction, auxquels la conclusion donne un sens. Ce dressage est si
fort qu’il fait partie intégrante de ma nature pensante. Qu’on me demande un texte, il
sera en trois points, où j’essaierai d’insérer l’essentiel, selon une forme logique. On peut
tout dire, faire le tour d’une question, en trois points.» (Éthier-Blais, 1992, p. 94)
L'expérience de l'écriture était donc omniprésente à travers tout notre cours classique,
depuis les premières compositions françaises jusqu'aux dissertations philosophiques en
passant par les essais poétiques et les envolées oratoires.
La pédagogie de notre cours classique était aussi lourdement influencée par des réalités et
des modèles étrangers qui nous éloignaient de nos racines et de notre identité propre.
Cela transparaissait, par exemple, dans le choix du matériel pédagogique. Le très grand
nombre de nos manuels provenaient de la France. On se rappelle tous de nos volumes de
littérature française, P. Castex et P.Surer. Ainsi les modèles reconnus et enseignés étaient
essentiellement français de France. Il n’était pas question de reconnaître la culture du
"Canada français" et des "Canadiens français". Par exemple les sujets de l’examen du
baccalauréat en Rhétorique portaient sur la littérature française, celle du Canada français
et l’histoire du Canada. J’ai traité le sujet de la littérature française, pour lequel je
m’estimais justement bien mieux préparé. Je dissertai sur la pièce de Britannicus de
Racine.
Enfin on reconnaissait encore moins la culture américaine. Pas surprenant que j’ai pu
constater la distance entre l’univers culturel du cours classique et celui de ma famille et
de mes amis ayant accès de plus en plus à la radio, à la télévision et à différentes revues.
Par contre, mes confrères du Petit Séminaire, dont le père était issu du cours classique, ne
vivaient pas de la même façon cette distance.
Cette pédagogie nous imposait un lourd fardeau de travail. L'examen écrit individuel ou
l'examen oral qui venait s'ajouter à tous les devoirs et concours effectués tout au long de
11
l'année scolaire……« Au Séminaire, les concours se font à intervalles différents. Il y a
bien les concours du Samedi (c'est ce que nous appelons les devoirs français, anglais,
latins, grecs et les mathématiques) qui arrivent à période fixe, mais pour les leçons c'est
autre chose. On ne fait pas ici des concours uniquement à la fin de chaque mois comme
dans les écoles des Commission scolaires. Non, les élèves quand le temps est venu où le
professeur décide que la matière vue et apprise est assez suffisante pour faire un
concours écrit….Les élèves n'ont plus alors qu'à se courber l'échine et à s'exécuter.
Une fois la correction du concours terminé, le professeur dresse la liste de ses élèves par
ordre de mérite. Le plus haut score détermine le premier parmi ses élèves.
C'est à celui qui arrive le premier dans le dit concours, qu'échoit l'honneur d'aller
présenter à M. le Directeur et à M. le Préfet des études cette noble " LISTE" marque de
son génie et de sa grande application au travail En retour de sa feuille l'élève reçoit un
petit souvenir en gage de récompense.» (Claude Dufour, élève du Petit Séminaire, dans
l'Alma Mater, janvier 1952).
En fouillant à la préfecture, Claude Dufour avait compilé 341 " listes " des concours
couvrant différentes matières, apportées par les élèves, des Éléments latins à la
Rhétorique, durant le premier semestre de l'année 1951- 1952 (septembre 1951 au 15
janvier 1952) sans compter les "listes" qui pouvaient dormir dans les pupitres en classe et
à l'étude des élèves!
De plus aucune matière n'échappait au passage obligé par l'examen mensuel, semestriel
ou de fin de baccalauréat. Versions latines ou grecques, thèmes qui obligeaient à traduire
du français vers le latin. Versions ou thèmes qui supposaient un travail soutenu de
maîtrise de la langue (vocabulaires, déclinaisons, conjugaisons de verbes, usage des
prépositions, concordance des temps, etc); examens de mathématiques, compositions
françaises.
Comme si ce régime de travaux quotidiens, d'examens semestriels imposés à tous ne
suffisaient pas, on nous proposait de s'engager volontairement dans des activités
intellectuelles et scolaires supplémentaires. Il y avait des académies littéraires. Par
exemple l'Académie Saint-François-de-Sales, la société Saint-Dominique.
Enfin on devait se présenter à la fin de la Versification (examen d’Immatriculation), de la
Rhétorique et de Philosophie II à une série d'examens de la faculté des arts de l'Université
Laval, examens dont la réussite était la condition d'obtention du grade de bachelier ès
arts. Ce grade ouvrait les portes à toutes les facultés universitaires. Tout, en un sens, se
jouait finalement lors de ces examens redoutés où l'on s'efforçait de nous soumettre aux
épreuves les plus exigeantes.
Les méthodes pédagogiques tablaient aussi massivement sur l’enseignement magistral,
sur la fréquentation des manuels scolaires et sur l’émulation avec l’ "Ordo" mensuel.
« Chaque mois, il y avait publication de " l'ordo", qui attribuait son rang à chacun.
Triomphe pour les uns, torture pour les autres, cette classification disposait
impitoyablement des espoirs et des prétentions de la plupart. Les parents étaient, bien
sûr, systématiquement mis au courant. Une seule loi, celle du meilleur. Dure loi que cellelà » (Lucien Bouchard, p.27)
Bref cette pédagogie attachait une grande importance à la maîtrise du langage écrit,
imposait une somme abondante de travail scolaire, invitait souvent à un surcroît d'efforts,
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nous soumettait périodiquement à l'épreuve et à la sanction des examens.
Le cours classique constituait une entreprise très sérieuse. Nous étions des élus et on se
souciait bien davantage de nous adapter au système en place que de s'ingénier à adoucir
le cheminement et à nous rendre heureux.
Cette pédagogie voulait nous former selon des modèles établis et consacrés plutôt que de
rechercher notre épanouissement selon notre personnalité.
Il est tentant de voir dans la pédagogie que nous avons vécu une transposition de la
religion et de l'Église catholique dans notre univers scolaire. Comme il y avait une Église,
un pape, un clergé pour encadrer les fidèles et les tenir dans le bon chemin, il y avait des
préfets de disciplines, un préfet des études, des professeurs, des maîtres de salles veillant
à ce que nous accomplissions notre devoir et (nos devoirs). Comme il y a un jugement
dernier, il y avait à la fin de chaque année scolaire la cérémonie de la distribution des prix
où le mérite des bons se trouvait proclamé à la face de tout le monde qui était représenté
par toutes les personnes du Petit Séminaire. Les meilleurs étaient récompensés par des
livres de bonne qualité susceptibles de bien reconnaître les vertus des meilleurs et de les
soutenir durant les périodes estivales.
Le programme d'étude
Le programme du cours classique se raccrochait à de très anciennes traditions éducatives,
qui remontaient par-delà la Renaissance et les XVIième et XVIIième siècles français, à la
Grèce hellénistique (Claude Corbo, p. 132)
Le programme n'avait ni option et ni cours au choix. Il tenait à quelques matières.
Langues (français, latin, grec, anglais) qui étaient le cœur du cours classique, histoire,
mathématiques, un peu de sciences (surtout vers la fin de notre cours), philosophie et
enseignement religieux. Il visait à former "l’honnête homme" par un équilibre de
connaissances.
Le français
L'étude de la langue française, de la grammaire à la littérature, occupait une place
centrale des Éléments latins à la Rhétorique. Il y avait un corps à corps quotidien avec les
complications et les secrets de la langue française. Le français devait être maîtrisé comme
langue écrite, d’où les règles à apprendre, les modèles à suivre, les textes à analyser et à
expliquer. Tout cela revenait quotidiennement. Mais cette plongée dans l’étude de la
langue française ne m’a pas facilité l’écriture pour autant. Pendant toute ma vie j’ai eu
des difficultés à écrire.
Tous ces efforts au cours des premières années avec la langue française nous conduisaient
progressivement à l’étude de la littérature.
On recourrait beaucoup aux "morceaux choisis" qui avait la double vertu de proposer les
meilleures pages et surtout d'expurger celles qui pouvaient offenser la loi et la morale.
Ceux qu'on lisait avaient été rassemblés par les bons soins de Monseigneur Jean Calvet :
Corneille, Racine, La Fontaine, Villon, Rutebeuf…..
Enfin nos classes de français étaient pleinement tournées vers la littérature française qui
était la littérature de référence tandis que la littérature "canadienne française" était
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vraiment le parent pauvre. Quelques lectures furtives d'écrivains d'ici, le survol de la
littérature québécoise par l'ouvrage de Mgr Camille Roy. Cette place ténue, réservée à
notre littérature nationale, a certainement approfondie notre sentiment de distance entre
l’univers du Petit Séminaire et celui de notre vie quotidienne, de notre environnement
culturel vécu à la maison et dans le monde environnant.
Le latin et le grec
On commençait le latin dès l'Éléments latins, le grec en Syntaxe. Rappelons-nous les
"fameuses" grammaires latine Petitmangin et grec Ragon-Dain. Cet enseignement
sollicitait beaucoup notre mémoire : déclinaisons, conjugaisons, grammaire, etc. Il y avait
aussi les versions et les thèmes qui nous promenaient en compagnie d’Ulysse, ou
d’Achille, de Tacite, Cicéron, Virgile, Xénophon, Tite-Live, Isocrate, Horace, Socrate et
Démosthène et qui devaient nous aider à approfondir la langue française.
L'enseignement de ces langues ne parvenait pas à dépasser le traitement quasi mot à mot
des textes et échouait à nous faire découvrir par-delà les mots, le sens profond des textes
et l'âme de civilisations depuis longtemps disparues : mythologies, histoires, institutions
et dont ces langues étaient l’expression et que leurs legs culturels et spirituels peuvent
encore nous nourrir aujourd’hui. En un mot, l'étude du latin et du grec était coupée de la
connaissance et de la compréhension des civilisations dont ces langues furent
l'expression.
Carence additionnelle. Toutes ces années d'efforts à potasser le grec et le latin n'ont pas
assuré de les lire couramment. Même les deux années de philosophie, faites en latin, n'ont
pas renforcé la connaissance de ce latin de cuisine.
Je n’ai pas apprécié particulièrement l’étude du latin et du grec qui a été plutôt une
corvée. L’apprentissage de ces langues me laisse le souvenir d’une entreprise austère et
exigeante. J’ai eu l’impression que cette étude n’était pas un moyen d’accès à des auteurs
mais plutôt une gymnastique de l’esprit pour nous permettre d’approfondir le français.
Le point positif que je retiens est la conscience que notre civilisation occidentale a de très
anciennes racines et porte les gênes de cultures antiques.
L'anglais
Cet enseignement n’a pas été un fleuron particulièrement impressionnant. Cet
apprentissage se confinait exclusivement, comme le latin et le grec, à l’espace de la salle
de cours. Nous n’avions pas les moyens audiovisuels d’aujourd’hui et au surplus, au
Saguenay Lac-St-Jean, nous n’avions à peu près jamais l’occasion de l’utiliser.
On accordait beaucoup d'importance à la maîtrise de l'anglais écrit et non parlé. J'avais
l'impression qu'on nous préparait uniquement pour la rédaction du baccalauréat.
Vous vous souvenez de “Our Little Messenger” “Junior Catholic Messenger” “The
French Canadian’s Guide”!
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L'histoire
L'histoire occupait une place importante dans notre cours classique. Elle était découpée
en tranches : l’Orient et la Grèce, l’histoire romaine, le Moyen-âge, l'histoire
contemporaine et celle du Canada.
Je me rappelle que les professeurs recourraient beaucoup à la mémorisation et que c'était
un apprentissage assez desséchant On apprenait des dates avec des tableaux et des
grandes, moyennes et petites accolades. On n'était pas amené à une compréhension
globale des civilisations et à une réflexion sur le cheminement de l'expérience humaine.
Je suis resté vraiment sur mon appétit. Notre programme d’histoire consacrait peu de
temps ou pas du tout à l’histoire contemporaine du Québec et à celle du siècle ouvert par
la Confédération de 1867.
Science et Mathématiques
Même si nous avions quelques notions élémentaires de Botanique, de Zoologie, de
Géologie et de Minéralogie en Éléments Latins et en Syntaxe, c’était plutôt durant nos
deux dernières années de philosophie qu’on entreprenait sérieusement l’étude des
sciences : la Chimie et la Physique. Durant ces dernières années, nous avions aussi
quelques cours en Biologie, Astronomie, Minéralogie et Géologie.
L'intégration des connaissances scientifiques étaient très difficiles à cause de la pauvreté
des équipements scientifiques. Il n'y avait pas de laboratoires adéquatement équipés. Les
expériences scientifiques se faisaient le plus souvent à la craie sur le tableau noir.
Au Petit Séminaire, il y avait des académies qui nous offraient des activités pour
compléter et consolider nos matières scolaires mais il n’y avait pas de loisirs scientifiques
comme des cercles de jeunes naturaliste……
Je sentais une certaine indifférence aux sciences et à la culture scientifique.
Par exemple pour l'abbé Lucien Villeneuve, " Il y avait déjà trop de science dans le cours
classique!" Notre ancien directeur du Philosophat écrivait, à ce sujet, un article intitulé:"
Ne perdons pas la tête!" dans l'Alma Mater du Petit Séminaire de Chicoutimi en 1958.
Cet écrit était une réponse à plusieurs pédagogues québécois, qui remettaient en question
le cours classique avec ses humanités, parce qu'il ne formait pas suffisamment d'hommes
de sciences, surtout après le lancement du "spoutnick" russe en 1957.
«Le " spoutnick" russe, après avoir soulevé une vague d'inquiétudes dans tous les pays
occidentaux, n'attire plus maintenant notre attention. Surtout depuis que " l'Explorator"
veille sur notre globe, nous nous sentons plus protégés.
Cependant je crois que ces fameux Russes avaient caché dans les flancs de leur planète
artificielle, des émanations délétères qui ont réussi à se frayer un chemin jusqu'à
l'intelligence de certains pédagogues improvisés de notre belle province de Québec, où
d'habitude tout est si calme……C'est pourquoi depuis quelque temps, tout le système
éducatif est appelé à la barre pour être jugé. Pour plusieurs (et ce sont ceux qui crient le
plus fort, et ce sont eux qui sont le plus écoutés par les naïfs) notre système éducatif est
jugé: il est désuet, non adapté, rétrograde. Il faut le changer. Les vieilles disciplines ont
vécu, c'est l'ère de la science. Halte-là! Ne perdons pas la tête! ....Que notre cours
traditionnel ait besoin de perfectionnement, on est tous d'accord, mais de là à tout
chambarder, à donner à la science la part du lion dans nos collèges, (il y en a déjà trop!)
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aux dépens du français, du grec, du latin, de l'histoire, de la philosophie…»
Concernant les mathématiques, elles ont été présentes des Éléments Latins jusqu’en
Philosophie II: Algèbre, Géométrie, Géométrie plane et analytique, Trigonométrie et
Calcul différentiel.
Elles n'ont pas été une expérience intellectuelle facile, même douloureuse parfois. Je me
souviens des cours de mathématiques donnés par le préfet des études. Il possédait sa
matière sur le bout des doigts mais il n'avait pas l'art de nous la transmettre. Il allait bien
trop vite! Il remplissait le tableau d'équations et de formules mathématiques que je
n’avais pas le temps de comprendre, d'assimiler et de retranscrire dans mon cahier car il
effaçait tout, aussitôt que le tableau était rempli. C'est avec un professeur laïc, Germain
Halley, en Philo II, que l'algèbre et la trigonométrie ne sont plus vues comme une corvée
mais comme une expérience de plaisir et de découvertes intellectuelles, exigeantes, mais
formatrices. D'ailleurs fait remarquable, nous avions tous réussis, je crois, notre examen
de mathématiques du baccalauréat en Philosophie II.
La philosophie
Si je vous posais la question que vous est-il resté de vos études de la philosophie au Petit
Séminaire, je pense que j’aurais une réponse unanime : Rien.
En effet nous pouvons conclure, sans nous tromper, à l'échec total, sans rémission, de
cette partie de notre formation qui était pourtant supposée la couronner, l'intégrer et la
consolider. Monseigneur Grenier en trois volumes en latin tout à fait rébarbatif! Il
s'agissait de philosophie thomiste et tous les autres systèmes étaient mis de côté en
quelques lignes. On ne sortait pas du manuel. On le suivait mot à mot, de thèse en thèse.
Nous devions apprendre par cœur, en latin, mot à mot, un texte indigeste, des syllogismes
et des explications que nous étions forcés de répéter telles quelles aux examens comme
au baccalauréat. Il nous fallait apprendre ce qui fait que des syllogismes sont en "barbara
celantes, darii, ferio" et comment distinguer un raisonnement juste d'un sophisme.
On était enfermé dans l'univers clos du thomisme et d'une certaine façon le rejet de tous
les autres philosophes : Kant, Hegel, Sartre…
Notre formation consistait à jouer avec des concepts, à manipuler des êtres de raison, à
nous imprégner de pensées abstraites qui débouchaient sur des généralisations ne donnant
pas d'emprise sur les réalités qui nous entouraient, à nous inculquer des leçons morales
rigides.
Voici ce que Lucien Bouchard dit de cet enseignement de la philosophie :
« L’enseignement de la philosophie était un scandale. Le programme obligeait les
maîtres à recourir à un manuel en trois tomes, fabriqué en latin de cuisine par un
professeur du Séminaire de Québec, Mgr Henri Grenier. Outre qu’il ne rendait pas
justice à saint Thomas d’Aquin, dont il prétendait résumer l’œuvre philosophique, à la
façon de Sélection de Reader’s Digest, ce grimoire et l’usage qu’on en imposait étaient
une trahison envers la philosophie » (Lucien Bouchard, p. 36)
D’autres ont utilisé certaines expressions pour décrire cet enseignement de la
philosophie : " théologie déguisée qui obscurcit pour longtemps notre esprit ", un "
thomisme de recettes et de formules" , " un scandale qui réduit maîtres et élèves à
ânonner questions et réponses ", " un vade-mecum immunisant contre tous les doutes et
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surtout les mauvaises doctrines" .
L'inefficacité de l'enseignement de la philosophie durant notre cours classique dépassait
l'ordre pédagogique; "il mettait en lumière le fossé de plus en plus ouvert entre le cours
classique et une société en voie de reconfiguration par la marée montante de la
modernité et de la révolution tranquille". (Claude Corbo)
Le programme d’étude et les pratiques pédagogiques étaient attachés à des valeurs
morales et culturelles dépassées, résolument distant du monde en changement qui
l’entourait. Spoutnik se préparait et nous étudions saint Thomas en latin. On était en
retard sur notre temps. Les modèles proposés étaient dépassés. Le 19ième siècle était peu
étudié et le 20ième nous demeurait étranger. Cette distance avec le monde extérieur était
soigneusement préservée et on ne voulait pas le changer. J’ai souvenir de crises de nerfs
de certains professeurs à la pensée que le cours classique allait peut-être disparaître avec
la Commission Parent et que nous ne serions plus protégés contre la modernité ambiante.
Pas surprenant qu’on était lancé dans la vie avec un retard assez prononcé par rapport à
ce que la société était devenue. Il en résultait pour nous un fort sentiment d’impréparation
à la vie réelle.
La religion
La présence massive, quotidienne, incontournable et dominante de la religion nous
saisissait dès le début de l'année scolaire avec la retraite de la rentrée. Ces journées
étaient consacrées à des activités d’audition de sermons, de méditations et de prières
individuelles. On nous plongeait dans le bain purificateur de la retraite pour que nous
puissions rompre avec les plaisirs et le climat de liberté et de fantaisies qui étaient
attachées aux longues vacances estivales.
La rentrée et la retraite nous réintroduisaient dans un emploi du temps rigoureusement et
méthodiquement ponctué par des pratiques religieuses et des rites quotidiens et
inlassablement répétés. La chapelle du Séminaire était un des lieux obligés de notre vie
quotidienne. Pour en avoir une idée, voici une énumération des ces pratiques.
 Messe quotidienne au lever
 Messe dominicale
 Offices religieux supplémentaires du dimanche
 Prières au cours de la journée, en commun et individuellement
 Confessions régulières
 Communion fréquentes
 Récitation du chapelet
 Lectures spirituelles
 Liturgies spéciales à divers moments de l'année
 Sacrifices liés au carême
 Rencontres avec le directeur spirituel
 Examen de conscience
 Heures d'adoration
 Et autres pratiques variables
Une dimension importante aussi de notre vie religieuse était nos cours de religion
catholique durant les huit années du cours classique. Ces cours d’instruction religieuse (le
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Petit Séminaire appelait les enseignants des cours de religion des " professeurs
d’instruction religieuse" ne m’ont vraiment pas enthousiasmé. Je trouvais cela ennuyeux,
particulièrement l’Apologétique dans les deux dernières années de philosophie. Ce livre
était fait d’une pesante et méthodique argumentation soit pour réfuter les critiques de la
foi chrétienne, soit pour en démontrer de façon irréfutable la vérité.
De plus la pédagogie des cours de religion ne favorisait pas notre questionnement sur les
enjeux de la foi. Il s’agissait pour l’essentiel d’apprendre les réponses qui existaient déjà
et que l’autorité rendait disponibles plutôt que de mener une réflexion profonde sur
l’expérience humaine.
Cet enseignement de la religion ne nous permettait pas non plus d’asseoir nos convictions
religieuses sur du solide, capables de répondre aux doutes qui travaillaient nos esprits.
Une autre composante de la vie religieuse était la présence de directeurs spirituels ou de
directeurs de conscience. Il fallait avoir un directeur spirituel qui assurait notre
encadrement moral. On était libre de choisir, parmi les prêtres affectés à cette tâche, celui
qui sera notre directeur de conscience. On nous conseillait de le rencontrer régulièrement.
Celui-ci veillait à notre piété et chasteté et à notre progrès religieux. Normalement on
devait se confesser à lui.
« Les directeurs spirituels sont les grands moyens utilisés pour déceler un appel de Dieu
dans les âmes et stimuler une réponse chez celle-ci. Dix prêtres y consacrent le plus clair
de leur temps et cela dans des circonstances qui exigent souvent de la pure abnégation.
Que l'on songe un peu à ce que cela représente que de recevoir quarante ou cinquante
dirigés, et même plus une fois tous les quinze jours environ, sans compter la séance
quotidienne de confessions. Avouons-le, il y a de quoi absorber le meilleur des énergies
d'un homme et cependant chacun accomplit cette tâche en plus de sa tâche régulière de
professeur. En pratique, il ne reste même pas de temps pour un repos légitime. L'an
prochain nous augmenterons l'effectif des directeurs de conscience. Ce sera sans doute
l'avantage des élèves, mais la journée des responsables n'en sera guère allégée Je ne tire
pas de conclusion, au lecteur de le faire.» (L.-J. Drouin, prêtre, dans l'Alma Mater, 1954)
Une carence remarquable lors de ces années de pratiques religieuses, c'était l'absence de
la connaissance de la Bible. Pourtant on sait, que dans d'autres traditions chrétiennes et
dans d'autres pays, la Bible se révélait un puissant instrument de culture religieuse,
d’approfondissement et de consolidation de la croyance. Peut-être que la lecture
individuelle de la Bible apparaissait dangereuse et trop près de la tradition protestante.
Cette forte atmosphère chrétienne se caractérisait aussi par les œuvres. Le Séminaire nous
offrait la possibilité de s’engager dans des mouvements où nous pourrions apprendre à
intervenir dans le monde pour y faire rayonner notre foi personnelle. Il y avait diverses
formes de regroupement : JEC (Jeunesse étudiante catholique), Cercle Lacordaire,
Société Saint-Vincent de Paul, Ligue missionnaire des étudiants, Cercle Dubuc de l’AJC
(Association de la jeunesse canadienne), Caisse populaire, Troupe de scouts SaintDominique-Savio, Corps école des Officiers Canadien.
Avec l'abondance de toutes ces pratiques religieuses, avons-nous vécus une expérience
vraiment religieuse à la hauteur de celle que pouvaient espérer nos éducateurs pour nous?
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Cela n'est pas certain. Ces pratiques religieuses n'ont pas été l'assise d'une conviction
religieuse profonde et englobante. On a vécu l'expérience d'une religion sans joie,
pesante, menaçante et sévère. C'était une religion comptabilisant méticuleusement les
sacrifices et les mauvaises actions.
Voici ce que notre confrère Ghislain Croft, président du comité de liturgie au Philosophat,
écrivait dans l'Alma Mater au sujet de notre pratique religieuse: « …Notre première
action est d'enlever toute routine dans l'accomplissement de nos obligations religieuses
(messes, chapelets...) car la routine tue. Ensuite, lorsqu'ensemble nous serons à nouveau
intéressés à la chose religieuse, peut-être la considérerons-nous sous un angle
complètement nouveau. Outre la routine, il y a la compréhension. Hélas, chez nous,
philosophes, c'est encore la routine qui l'emporte. On ne comprend plus le Christ. On
demande des réponses, on demande un idéal. Mais le plus grand mal à combattre c'est
l'indifférence religieuse de plusieurs. Ceux-ci sont portés par les cadres; nous serions
dans un monde communiste, ils le seraient, nous sommes catholiques ils le sont. Ces gars
là ont besoin de beaucoup de prières car le Seigneur est très sévère envers des tièdes.
Voilà les principaux maux que nous rencontrons. Pour agir contre ces maux (agere
contra), nous avons besoin de tout le monde. Il nous faut des suggestions, de la
compréhension, de la collaboration et surtout il nous faut des prières car nous nous
mêlons des affaires de Dieu et nous sommes un peu responsables du Philosophat.»
Autre son de cloche, dans le même esprit, sur la religion, tiré d'une enquête faite par
l'Alma Mater en 1961, qui s'interrogeait sur les valeurs portées par les élèves du Petit
Séminaire. À la question Pensez-vous qu'il existe au Petit Séminaire une indifférence
générale au point de vue religieux? L'Alma Mater commentait ainsi: «Pour la plupart,
oui, cette indifférence existe, surtout dans le sens d'insouciance.
Beaucoup parlent de religion " forcée" de religion " réglementée" etc. A la grand salle
on dit que les élèves suivent la " masse".. Qu'ils vont à la messe pour" faire passer
l'étude" " qu'ils " n'ont pas le sens de la messe".. Il reste tout de même les optimistes: "
Il n'y a pas de véritables indifférents au Séminaire". " pas d'indifférence. mais
certainement de la négligence".
On est plus prudent au Philosophat: " manque de conviction, mais amélioration
notable".." Magnifique effort du comité religieux" " La religion pour la plupart est
demeuré à l'état infantile"…" indifférence surtout au niveau des philosophes".
Même si, à première vue, les opinions émises surprennent un peu par leur pessimisme,
nous trouvons en général un désir sincère de renouveau dans ce domaine.. On commence
au moins à ne plus considérer la religion comme une série d'obligations.»
Le climat moral
Cette présence forte de la religion qui imprégnait les programmes, la pédagogie et la
discipline s’accompagnait d’un climat moral qui visait à consolider notre foi et à nous
inculquer des manières d’être qui correspondaient aux convictions religieuses.
Il y avait d'abord un grand nombre de règles et d’interdits qui avaient pour but de nous
protéger contre des influences qui pouvaient mettre en péril notre âme. Le courrier était
censuré, la correspondance avec les jeunes filles était dangereuse pour les vocations
sacerdotales, la censure des livres était très strict, les journaux étaient interdits à
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l’exception de quotidiens tout à fait orthodoxe comme Le Devoir et L’Action catholique,
l’alcool était prohibé, etc.
Ensuite l’enseignement religieux et moral se préoccupait particulièrement, s’inquiétait,
devrais-je dire, de nos relations avec l’autre moitié du monde.
Le Petit séminaire était un monde d'hommes. Certains d'entre nous le ressentaient de
façon lancinante. On pourrait témoigner de fantasmes que faisait naître ce monde sans
femme. L'absence de la femme se manifestait non seulement dans la vie quotidienne et
dans l'organisation institutionnelle mais aussi dans les programmes d'étude et dans notre
univers culturel. On ne parlait jamais des femmes ou si on en parlait, comme Racine ou
Corneille, c'était en terme grandiloquents. Et lorsqu'on évoque la femme, «c'est en termes
propres à refroidir la concupiscence par l'image de la Vierge Marie et de la Mère, donc
en termes de pureté et de virginité. Le culte voué à la Sainte-Vierge permettait de
présenter la réalité féminine sous un jour édifiant et inoffensif pour nos sens. » (ÉthierBlais, 1992 p.46-47)
On loue aussi les grandeurs et la puissance de l'Immaculée Conception de la Vierge
Marie. On la propose comme le plus beau type de femme. « En cette année mariale [….]
nous devons chercher refuge au pied de notre MAMAN du ciel; nous devons exposer à
notre mère nos problèmes et en particulier celui de notre ÉDUCATION
SENTIMENTALE.» […] Car aucune femme après Marie ne peut être belle de la vraie
beauté, si elle ne lui ressemble au moins un peu. Et ce type de femme vraiment parfaite,
c'est la VIERGE MARIE.»
( " Un beau type de femme: La Vierge Marie" , article écrit en 1954 dans l'Alma Mater
par le président de la J.E.C. du Petit Séminaire)
De plus, pour consolider ce culte à la Vierge Marie, il y avait au Séminaire plusieurs
associations vouées à la Sainte-Vierge. La Confrérie de la Sainte-Vierge qui exigeait la
récitation du Petit office de la Sainte-Vierge, Le Chœur Marial et la Congrégation
Mariale. « La vie intérieure est le climat de la Congrégation Mariale. La montée des
âmes à Dieu ne peut s'accomplir sans une piété intensive où chacun puise lumière et
force. Aussi, on ne saurait s'étonner de voir que cet idéal requiert une pureté à toute
épreuve. L'Immaculée couvre de son aile tutélaire le cœur simple et pur qui s'est donné à
Elle.
À titre de chevalier de Notre-Dame, le Congréganiste participe à d'immenses mérites
attachés à sa fidélité aux règles. En plus des grâces particulières qu'il reçoit du quart
d'heure d'oraison, de la messe et de la communion quotidienne, de la confession
hebdomadaire et de la récitation du chapelet, il peut gagner quantité d'indulgences
attachées à la moindre de ses prières. Qui peut se permettre la privation de toute cette
richesse? […..] Tout nouvel adepte à la Congrégation mariale passe un stage de plus de
six mois d'approbation avant sa réception. S'il sort victorieux de cette épreuve, la tâche
sera facile par la suite; et c'est avec joie et conviction qu'il s'écriera:" Je me consacre à
Vous, ô Vierge Marie. Faites de moi votre Chevalier!" (Article intitulé: " Appel vers les
cimes", écrit par un Congréganiste, dans l'Alma Mater de mars-avril 1957)
Il m'apparaît que toute la réalité de la sexualité a été vécue aussi avec le plus grand
inconfort de la part de nos éducateurs. C'est pourquoi nous avons été marqués par cette
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éducation, troublée par la crainte obsessionnelle de "l'impureté". Pas beaucoup
d’information de base et d'explication sur la sexualité mais de nombreuses exhortations à
la pureté; pas d'éclaircissements mais des règles. Mon directeur spirituel me
demandait : "Comment cela va-t-il en pureté, mon enfant? " Il continuait " Si tu as des
mauvaises pensées, penses à Maurice Richard et au hockey. Fais aussi plus de sport, du
sport…" On sentait une incapacité de l’enseignement religieux et moral d’intégrer la
sexualité comme réalité positive. Le silence et l’interdit étaient les piliers de cet
enseignement.
Dans l’ensemble, cet enseignement religieux et le climat moral qui l’entourait ont apporté
beaucoup de déception chez plusieurs parmi nous qui s’est traduite soit par de
l’indifférence en matière religieuse, soit par de l’incroyance ou même par une opposition
à la religion. Personnellement j’ai toujours été frappé par l’apparente indifférence des
prêtres, qui assuraient notre formation, aux conflits sociaux, au phénomène de la
pauvreté, de la misère, du dénuement ou de l’exploitation que vivait une partie de la
société d’où je provenais.
Nous avons dû faire des efforts durant notre vie pour retrouver Dieu et Jésus auquel nous
étions demeurés sensibles, en nous dégageant de l'enseignement reçu durant notre cours
classique.
Comme pour la philosophie pouvons-nous porter un constat d'échec sur la religion? Oui.
Ces deux enseignements, les plus centraux de notre cours classique, destinés à nous
transmettre la vision du monde et les valeurs essentielles, à assurer la cohésion et la
cohérence de notre formation ont complètement failli à la tâche.
À cette étape-ci du bilan, une question me taraude. Comment avons-nous vécu les écarts
ou même les oppositions entre nos aspirations personnelles et ce que l’on nous
enseignait?
Vers la fin de notre cours classique, il y avait une opposition de plus en plus grande entre
le monde ambiant qui nous parvenait par la radio, la télévision, le cinéma, les
publications et les livres de tous genres et l’univers du cours classique empreint encore de
religiosité, d’autorité et de vérités indiscutables qui étaient indissociables de la culture
intellectuelle.
On vivait une tension entre notre vie concrète et personnelle et ce qu’on nous enseignait.
Souvent notre désir d’une plus grande autonomie et de responsabilité personnelle se
heurtait à l’enseignement officiel, à l’Autorité qui nous indiquait les comportements
désirables et ceux prohibés. Comment avons-nous vécu toutes ces tensions? Comment
avons-nous résolu les conflits entre la grande culture des humanités classiques, qui était
la raison d’être des études classiques et aussi la clé de notre accession à "l’élite de
demain", et nos aspirations individuelles influencées par le monde ambiant?:Comment
avons-nous surmonté les tensions entre ce que nous ressentions, ce que nous désirions
pour nous-mêmes et ce qu’on prétendait nous enseigner et la voie qu’on nous pressait de
suivre? Quels chemins avons-nous pris? Celui de l’indifférence, du détachement, du
cynisme, de la résignation, de la rébellion, de la révolte?
Pour ma part, je pense que j’avais pris la voie de la résignation temporaire empreinte de
cynisme et d’un certain arrivisme. Je supportais tout ça, sans dire un mot, dans l’espoir de
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bénéficier un jour des privilèges attachés aux études universitaires, et par là, à
l’appartenance à "l’élite de demain". Car être franc et honnête, cela aurait signifié la
porte, c'est-à-dire la fin des études avec toutes les conséquences : réprobation de la part
de mes parents qui s’étaient sacrifiés pendant des années pour m’envoyer au Petit
Séminaire, perte de prestige, pauvreté éventuelle.
Les loisirs, les jeux, les sports et les activités parascolaires
Le Petit Séminaire faisait des efforts pour nous impliquer dans des activités qu’on
pourrait appeler "un loisir sérieux" qui prolongeaient en quelque sorte l’enseignement
reçu en classe et visaient à développer nos compétences et nos qualités de membre futur
de l’élite de la société : écriture, élocution, analyse, recherche, réflexion. Il y avait par
exemple une académie ou un cercle à vocation essentiellement littéraire comme la
Société Saint-Dominique avec ses différentes sections : art dramatique, déclamation,
éloquence. Existait aussi l’Académie Saint-François-de-Sales qui avait pour but
d'encourager les succès académiques et de récompenser les mérites scolaires. La JEC
(Jeunesse étudiante catholique) qui essayait de nous initier à une nouvelle spiritualité, de
nous faire comprendre le rôle du laïcat et comment le christianisme peut s’incarner dans
les réalités temporelles. On pouvait aussi s'engager dans la Société Saint-Vincent de Paul
ou le Cercle Dubuc de l’A.J.C. (Association de la jeunesse canadienne). Cette dernière
association visait à nous intéresser aux questions sociales, nationales et internationales.
Sa devise était : "L'amour de Dieu et de la patrie". (On l'avait appelé le Cercle Dubuc en
l'honneur de J.-E.A. Dubuc, ancien député du comté de Chicoutimi et financier bien
connu dans la région) Il y avait enfin la troupe de scouts Saint-Dominique Savio et les
Équipiers de Saint-Michel qui, tout en demeurant studieux, nous engageaient dans une
forte activité physique.
Enfin existait le Conseil du Philosophat où trois de nos confrères y siégeaient: Vital
comme président, Jean-Luc Tremblay comme conseiller et Gérard Guay en tant que
doyen des élèves. Selon Vital: «…. les buts du Conseil étaient d'établir des liens entre les
autorités et les élèves……de donner aux confrères le goût de participer en grand nombre
aux organismes du Séminaire; de faire en sorte que notre vie soit de plus en plus
enrichissante et agréable; de voir aux relations extérieures que nous pouvons avoir avec
d'autres institutions….
Le Philosophat, avec son Conseil et ses différents organismes, constitue une force qui
favorise " les relations humaines". Je suis certain avec mes confrères qu'un tel rouage
formera une excellente atmosphère. Évidemment l'esprit qui doit se créer est appelé à se
parfaire encore, mais, ce qui s'est déjà fait cette année est franchement formidable ».
(Les organismes du Philosophat, dans l'Alma Mater, novembre-décembre 1961)
Outre tous ces loisirs studieux, on trouvait aussi une gamme diversifié de sports et de
jeux individuels et collectifs: hockey, le "petit hockey", tennis, balle au mur, balle molle,
billard, ping-pong, ballon volant, ballon panier, ballon prisonnier, croquet, pétanque, le
drapeau etc. Les jeux et les sports m'apparaissaient en marge de l'effort éducatif et ils
jouaient un rôle sommaire. Ils n'étaient pas vraiment intégrés au programme scolaire.
C'est seulement vers la fin de notre cours classique, qu'il y a eu des cours d’éducation
physique obligatoires, deux fois trente minutes par semaine. Mais en général les jeux et
les sports aidaient plutôt à notre retour discipliné en classe ou dans la salle d'étude parce
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qu'on s'était vidé de nos capacités d'agitation physique. Ils pouvaient aussi nous protéger
des risques "d'activités vicieuses", nous menaçant comme adolescents et jeunes hommes,
répétaient nos directeurs spirituels.
Les équipements de gymnase et de sports étaient réduits à leur plus simple expression
"antédiluvien" même. Je me souviens qu'on jouait au ballon panier dans le gymnase
extérieur sur un plancher plein de trous où il fallait être très alerte pour courir avec le
ballon et en même temps ne pas enfiler dans l'un ou l'autre de ces trous.
Durant toutes ces années, je me suis très peu impliqué dans les activités parascolaires.
J’ai canalisé mes énergies dans les sports, particulièrement le baseball. Plus tard j’ai
regretté de ne pas m’être engagé dans certaines des activités parascolaires mentionnées
plus haut. Avec les autres étudiants j’aurais pu vivre certainement des éléments de
formation et des expériences intéressantes et enrichissantes tant au plan affectif que
social.
Les expériences culturelles
Nos expériences culturelles les plus fortes vécues au Petit Séminaire résultaient pour
l’essentiel des rencontres avec la littérature et à l’occasion avec la musique et le théâtre.
La littérature et la lecture
Pour plusieurs parmi nous, nos années de Petit séminaire ont été l'occasion de découvrir
la littérature et la lecture que rendait accessible, de façon beaucoup plus grande, l’arrivée
de la très économique formule du "Livre de Poche". Avec soixante sous, nous pouvions
lire un grand livre!
Avec quelles œuvres et quels auteurs avons-nous été mis en présence durant notre cours
classique?
Même si nous avions été plongés pendant six ans dans l'étude du grec ancien et du latin,
la littérature de l'Antiquité grecque et latine est demeurée une affaire essentiellement
scolaire. Ce qui m'avait le plus marqué étaient les grandes sagas du vieil Homère. Cet
enseignement ne m’a pas développé un intérêt et une recherche personnelle durable pour
les lettres de l'Antiquité.
Par contre la littérature française était l’univers privilégié du cours classique.
Le Moyen-âge m’a laissé peu de traces. J’ai connu certaines pages par les morceaux
choisis : la chanson de Roland, Tristan et Iseult, le Roman de la Rose.
Je me rappelle que le 16ième siècle avait fait une apparition discrète et ténue avec
Montaigne, Pascal et Rabelais. Je pense qu’il y avait dans ce siècle des auteurs trop
irrévérencieux et nos professeurs n’étaient pas trop empressés de nous les faire découvrir
et approfondir.
Par ailleurs les auteurs du Grand Siècle, celui du 17ième siècle, occupaient beaucoup de
place. On a fréquenté, lu et travaillé intensément, parfois mémorisé, en morceaux choisis
et en œuvres intégrales Boileau, Bossuet, Corneille, La Bruyère, La Fontaine, Molière,
Racine.
On sentait que les auteurs de ce siècle jouissaient de la sanction officielle du Petit
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Séminaire et des professeurs. C’est sûr que cela leur créait, d’autorité, une audience
auprès de nous mais au bout du compte il ne m’est pas resté une passion étendue et
profonde pour ces auteurs.
Je me souviens aussi qu’on avait passé assez rapidement le 18ième siècle, celui de
Montesquieu, de Voltaire, de Diderot, de Jean-Jacques Rousseau, de l’Encyclopédie, etc.
La lecture de ces auteurs n’étaient pas spécialement encouragée, hormis, ici où là
quelques textes dans les morceaux choisis.
Le 19ième siècle, le siècle romantique, était beaucoup plus présent dans notre vie et chez
certains d’entre nous, il a exercé une séduction puissante et durable. À part la forte
présence de Chateaubriand, il y avait aussi Victor Hugo, Lamartine, Musset, Baudelaire,
Verlaine, Rimbaud et Mallarmé. Parmi les romanciers Alphonse Daudet, Alexandre
Dumas, Flaubert, Stendhal, Zola, etc.
La littérature française du 19ième siècle nous offrait une nourriture culturelle très variée à
laquelle nous étions plus sensibles.
Enfin la littérature du 20ième siècle avec les grands écrivains contemporains tels que Gide,
Duhamel, Mauriac, Proust, Bernanos, Claudel et Péguy a été étudié mais il me semble de
façon moins profonde que la littérature du 19ième siècle.
Par contre les romans de cette époque étaient appréciés grâce à l’arrivée dans les
librairies des œuvres en collection de poche. Gide, Sartre, Camus, Proust, Dostoïevki
étaient populaires.
Même si au cours des dernières années de notre cours, nous avions accès à une diversité
plus grande de livres, il fallait faire preuve de grande prudence. Nos professeurs se
méfiaient toujours des lectures auxquelles nous nous adonnions et les prescriptions de
l’Index étaient toujours en vigueur. Évidemment, cet interdit ne faisait que stimuler notre
curiosité et notre appétit.
Il reste que le cours classique nous a permis d’avoir accès à plusieurs des plus importants
écrivains français de l’époque et que la lecture de ces livres nous a permis de contracter
des goûts souvent durables.
Dans toute cette littérature française, il n’était guère fait écho à la littérature canadiennefrançaise ou québécoise contemporaine. Elle se résumait à peu de chose; surtout Félix
Leclerc. Cette littérature ne m’a pas rejoint et je n’ai pas été touché par elle.
De tout l’immense univers littéraire qui se déployait dans les autres langues que le
français, à commencer par l’anglais, il ne se trouve que quelques traces dans ma
mémoire : Dostoïevski, Hamlet, Charles Dickens, Tolstoï.
Le goût de découvrir la littérature fut incertain chez moi. Mais à certains moments de
mon cours, la lecture et la littérature m’ont servi de refuge contre l’ennui du Séminaire et
m’ont permis de m’échapper vers un monde plus merveilleux.
La musique
L’expérience musicale durant notre cours classique prenait des formes multiples.
Le chant faisait partie de notre programme de cours des Éléments latins jusqu’en Belles24
lettres.
Un premier contact avec la musique, s’effectuait dans le cadre des pratiques liturgiques.
Les cérémonies religieuses, qui ponctuaient la vie quotidienne, s’accompagnaient de
musique. On écoutait l’orgue, la chorale et Georges-Marie Coulombe à la chapelle et on
était aussi appelé à chanter.
La musique était aussi expérimentée dans d’autres registres comme la Fanfare, l’Union
Sainte-Cécile qui était la chorale du Petit Séminaire, le Chœur Marial, l’Orchestre à
cordes.
Quelques-uns parmi nous s’adonnaient sérieusement à l’apprentissage d’un instrument :
piano, violon guitare, orgue.
Il était aussi possible d’apprendre à connaître la musique particulièrement la musique dite
classique avec les concerts des Jeunesses musicales du Canada auxquels on était obligé
de s’abonner et d’assister.
Le théâtre
Avec la littérature et la musique¸ le théâtre constituait le troisième pan de notre univers
culturel. À quelques reprises durant notre cours classique, nous avons pu assister à des
pièces de théâtre présentées par le Théâtre Universitaire Canadien. Je me rappelle
particulièrement des Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, de l’Avare, du Malade
imaginaire et des Femmes savantes de Molière, d’Andromaque de Racine, de Polyeucte
de Corneille, de Topaze de Marcel Pagnol et des comédiens et comédiennes, Hélène
Loiselle, Gilles Pelletier, Yvon Deschamps.
Autres expériences culturelles
Je me souviens aussi qu'il y avait au Petit Séminaire un cercle des Beaux-Arts, animé par
l'abbé Jean-Paul Vincent, qui organisait des rencontres, une fois par semaine, de façon
volontaire, après le dîner, pour nous faire connaître les grand peintres. L'abbé Vincent
nous montrait et expliquait les peintures de ces grands maîtres. De plus, au Philosophat,
on avait un comité culturel et même un ciné-club. Les préoccupations du comité culturel
selon Aldéi, qui en était le président.." étaient de favoriser une utilisation rationnelle de
notre salle de musique, d'organiser des conférences et des débats oratoires. De plus, une
exposition permanente des chefs-d'œuvre de la peinture est en voie de réalisation et nous
tâchons de patronner (si le terme est encore admis) les émissions culturelles de la
télévision."
Quant au ciné-club, il avait pour " principal but de donner une certaine formation
cinématographique à ses membres par l'étude des films" selon son président, notre
confrère, Léon-Maurice.
J'ai également souvenance que l'Alma Mater jouait aussi un rôle culturel. En effet tout en
publiant les chroniques du Petit Séminaire et des anciens, ce journal nous donnait la
possibilité de nous exprimer et de traiter de nos expériences et découvertes culturelles en
littérature, musique et théâtre. En même temps, nous avions la chance de faire
l'apprentissage de l'écriture journalistique.
Selon mon souvenir. les arts plastiques, la peinture et la sculpture n'étaient pratiquement
pas présentes dans notre univers culturel.
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Enfin il faut souligner que vers la fin des années de notre cours classique nous avons eu
accès à d’autres ressources culturelles plus diversifiées et abondantes comme la radio, la
télévision et le cinéma.
Ces média nous faisaient découvrir à la fois une culture proprement québécoise, pensons
aux radios-romans : Jeunesse dorée, la Pension Velder, la famille Plouffe, mais aussi une
culture française et américaine avec plus de modernité. Tous ces nouveaux domaines
culturels ont eu pour conséquence de relativiser la culture officielle transmise par notre
cours classique. Tout cet univers culturel nous rendait plus indifférents aux valeurs
véhiculées par le cours classique. On se laissait séduire par des personnages et des
modèles porteurs de valeurs bien différentes des modèles peuplant le monde du Petit
Séminaire. Cet impact des médias dans notre vie quotidienne n’a pu avoir pour effet que
de creuser encore plus l’écart entre le Petit Séminaire et l’univers qui l’entourait.
L’ouverture sur le monde
L’ouverture au monde ne s’étendait pas plus loin que notre pays d’appartenance. En
principe, les cours de latin, de grec, de français, d’anglais et d’histoire auraient pu fournir
l’occasion de découvrir d’autres sociétés, d’autres cultures, d’autres civilisations. Mais
comme mentionné plus haut, les enseignements reçus ont révélé les limites de l’ouverture
au monde.
Certes la visite, le soir dans notre salle d’étude, d’un missionnaire venu de pays
exotiques, avait pu projeter brièvement un éclairage sur ces contrées lointaines et
mystérieuses.
D'autre part le Petit Séminaire, qui voulait former les élites de demain, aurait dû nous
ouvrir aussi à la vie politique, qui constitue un angle privilégié d’ouverture sur le monde,
au nationalisme et aux autres réalités du monde environnant. Paradoxalement il n’en fut
rien. Selon mes souvenirs il n’y a pas de professeur ou très peu qui nous ont vraiment
aidé à comprendre l’univers politique dans lequel on serait appelé à vivre.
Au total l’ouverture au monde et à son inépuisable diversité était assez limitée. De plus
nous ne disposions pas beaucoup de moyens pour connaître ce vaste monde : peu de
journaux et de périodiques circulaient librement à l’exception du Devoir et de l’Action
catholique, tous les deux conformes à l’orthodoxie religieuse régnante, la radio était
rationnée de même que la télévision.
Bref l’expérience de la diversité du monde, de la richesse de la multiplicité des cultures et
des civilisations ne m’ont pas apparu constituer une expérience formatrice fondamentale
et décisive. Parfois la littérature française nous révélait des façons différentes d’être, de
sentir et de saisir le monde, mais c’était tout.
La remise en cause profonde de nous-mêmes et de notre culture d’origine, qu’aurait pu
provoquer la rencontre de l’autre et du différent, ne s’inscrivait pas parmi les expériences
formatrices vécues. Peu de découvertes des civilisations étrangères venaient perturber
notre sereine immersion dans notre culture d’origine.
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Les choix de vie
À quel choix de vie le Petit Séminaire nous invitait-il? Le Séminaire se voulait en
particulier une pépinière de vocations religieuses. La Constitution du Petit Séminaire était
bien claire là-dessus. À l’article deux on pouvait lire ceci : « Comme le dit Mgr
Dominique Racine dans son Ordonnance…. attendu que le Petit Séminaire de
Chicoutimi, fondé et doté dans un but religieux, doit être considéré comme un bien de
l’Église, dont la haute surveillance et l’administration appartient à l’Évêque …..
Cependant, une obligation spéciale est faite au Supérieur de veiller à ce que la présence
de ceux qui ne se destinent pas au sacerdoce ne nuise en rien à la formation morale des
futurs prêtres ». (Extraits des règlements)
Pour l'abbé L.-J. Drouin, le but et les préoccupations premières du Petit Séminaire sont
les vocations sacerdotales: « Le premier but du Petit Séminaire est de former des prêtres.
Effectivement, c'est la grande préoccupation de tout le personnel, l'objectif ultime de
toute activité et, pour ainsi dire, l'orientation de toute la vie de la maison.
Lorsqu'est venue la fin de l'année et que nous tâchons d'évaluer le succès de notre œuvre,
nous étudions sans doute les résultats des baccalauréats, mais c'est surtout le nombre des
vocations sacerdotales qui attire notre attention.» (Article de l'abbé Drouin intitulé
"Notre triduum de vocations" dans l'Alma Mater, 1954)
Le système d’éducation privilégiait donc résolument une orientation vers la vie
religieuse, assorti aussi de pratiques religieuses fréquentes, d’invitations plus ou moins
discrètes.
Le silence sur la vie laïque, l’absence de préparation au mariage, qui serait le lot de la
grande majorité d’entre nous, illustraient le privilège accordé à la vie religieuse.
De plus pour accroître les chances de faire éclore des vocations religieuses, le Petit
Séminaire organisait à la fin de la Rhétorique et de la Philo II la retraite des vocations,
qui se tenaient à la Villa Saint-Ignace ou au Grand Séminaire sur la rue Chabanel.
Pendant quelques jours, nous étions soustraits à la routine quotidienne et plongés corps et
âme dans un bain d’exercices spirituels, de prédications, de confessions et de méditations
dans le silence dont on espérait qu’il rendrait audible l’appel à la vie religieuse.
« De multiples avantages sont attribués à la pratique de la retraite. Dans certains cas, la
retraite fermée, en purifiant l'âme prévient du coup d'innombrables fautes mortelles. La
retraite peut amener l'arrêt plus ou moins définitif d'une mauvaise habitude et constituer
la première occasion sérieuse et profonde de conversion. Dans d'autres cas, la retraite
permet l'affermissement d'une vie d'état de grâce quasi habituel et en instruisant sur les
difficultés de l'adolescence fortifie contre les dangers spirituels, les tentations. Il se
trouve des élèves pour qui la retraite est à l'origine de certaines vocations religieuses ou
sacerdotales. Le grand bienfait de la retraite, qui arrache l'élève aux activités routinières
de la vie scolaire est la révélation concrète de la vie surnaturelle qui atteint d'ailleurs, en
ces heures de solitude une singulière intensité. La retraite rend directement possible
l'action de Dieu dans les âmes des jeunes retraitants et en cinq minutes la grâce peut
produire en l'âme d'un jeune en méditation des fruits dépassant la portée de tous les
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sermons du prédicateur». (Demers, Jean-Paul s.j., Retraite fermées pour jeunes garçons,
Collège et famille, 11/1, 1954, p. 15-17)
La retraite de vocation prenait donc figure de rite de passage consacré; mais qui, le plus
souvent, conduisait à une vie dans le monde.
À défaut de former des prêtres et des religieux, le Petit Séminaire produisait d’autres
variétés de clercs appartenant à des professions nobles : avocats, médecins, notaires.
S’offraient aussi à nous d’autres voies, y incluant les sciences sociales.
Le Petit Séminaire aimait que nous allions dans le monde comme prêtres ou religieux
c'est-à-dire comme des gens qui sont dans le monde sans être entièrement dans le monde.
Il se résignait à nous voir partir pour exercer d'autres professions: ingénieurs,
psychologues, architectes…
Je n’ai pas senti de la part de nos éducateurs qu’ils nous avaient donné le goût du monde,
qu’ils nous avaient insufflé la passion de s’engager et de changer le monde par une œuvre
scientifique, artistique, technique ou intellectuelle.
Nos années de Petit Séminaire furent-elles heureuses?
Au-delà de toutes ces considérations, des expériences vécues et des convictions acquises
au cours de la vie, il est tentant de nous porter sur un autre registre, celui des sentiments,
en nous posant la question suivante : Nos années de Petit Séminaire furent-elles
heureuses?
Pour ma part, malgré les limites intellectuelles ou pédagogiques de professeurs, malgré
les limites imposées à notre ouverture culturelle, malgré le climat moral parfois étouffant,
le Petit Séminaire de Chicoutimi me laisse un souvenir positif.
Il a été l’occasion d’un éveil de mon esprit qui se transformera par la suite en une
recherche du savoir et de la culture.
Il y a eu des moments heureux pendant mon cours classique mais je conserve quand
même un souvenir partagé d’années tantôt agréables, tantôt beaucoup moins le fun, que je
n’aimerais pas revivre, moins en tout cas que mes années d’enfance.
Un point sur lequel je voudrais particulièrement insisté c’est que le bilan de notre cours
classique ne s’exprime pas seulement quant à l’expérience intellectuelle et culturelle mais
il peut aussi se formuler en terme plus affectif. À ce niveau mon souvenir demeure encore
très vivace, extraordinaire et très positif.
Vivre quatre, sept ou huit années consécutives a transformé notre communauté
masculine, dirigée par des hommes en soutanes, en une fraternité élargie qui perdure
encore, même après 52 ans! Nos conventums en sont la preuve vivante. C’est
extraordinaire!
On peut dire que notre cours classique nous a marqué d’une empreinte durable, une
empreinte qui nous distingue probablement des générations qui ont connu plutôt l’univers
de la polyvalente et du CÉGEP.
On l’oublie, peut-être, mais la période où nous avons fait notre cours classique, était celle
du chant du cygne et nous avons été la dernière génération à fréquenter le Petit Séminaire
et le cours classique comme nous l’avons connu.
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Références qui m’ont été précieuses pour faire ce travail
CORBO, CLAUDE, LA MÉMOIRE DU COURS CLASSIQUE . LES ANNÉES AIGRES -DOUCES
DES RÉCITS AUTOBIOGRAPHIQUES , ÉDITIONS L OGIQUES , 2000
LES ANNUAIRES DU PETIT SÉMINAIRE DE CHICOUTIMI , 1954-1962
L'ALMA MATER DU PETIT SÉMINAIRE DE CHICOUTIMI , 1954-1962
Gérard Talbot,
Montréal, 29 février 2012
Courriel: [email protected]
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