LE COURS CLASSIQUE AU PETIT SÉMINAIRE DE CHICOUTIMI. CINQUANTE ANS APRÈS , QUELS REGARDS ? « Rosa, rosa, rosae, rosae, rosa, rosam, » Introduction Distance entre le monde du Séminaire et celui de la vie concrète, p.3 La vie quotidienne très ordonnée du Petit Séminaire, p.5 La discipline et l’autorité, p.8 Les professeurs, p.10 Les pratiques pédagogiques, p.11 Le programme d’étude, p.13 La religion, p.17 Le climat moral, p.19 Les loisirs, les jeux, les sports et les activités parascolaires, p.22 Les expériences culturelles, p.23 L’ouverture sur le monde, p.26 Les choix de vie, p.27 Nos années de Petit Séminaire furent-elles heureuses?, p.28 Introduction En octobre 2010, par hasard, je lis dans le journal de l’université du Québec à Montréal, un article intitulé : " Louise Bienvenue, historienne des identités". En parcourant le texte je découvre que la professeure Bienvenue effectue des recherches sur l’histoire des collèges classiques au Québec, des institutions pour garçons qui ont formé l’élite masculine depuis le début de la colonie jusqu’à la révolution tranquille. L’intérêt de ces recherches, selon la professeure, « est d’analyser d’un point de vue historique la formation entre hommes, car l’enseignement était donné par des prêtres. Il s’agissait donc d’un bassin de recrutement pour la prêtrise et cet enseignement a eu une influence sur la formation des jeunes garçons, sur leur sociabilité, sur leur vision de la femme.» En novembre 2011, j’apprends par le Devoir que Guillaume Lavoie, un jeune trentenaire, chargé de cours à l’École nationale d’administration publique et originaire de la route numéro 4 au Saguenay, est l’instigateur du Collège néo-classique. Ce collège vise à offrir le meilleur des études classiques aux leaders de la génération montante. L’étincelle de ce projet lui est venu de sa fascination pour ce qu’était nos études classiques. «Je voyage beaucoup et je rencontre des gens qui ont fait les études classiques et je vois toute la profondeur et les outils que ça leur a donnés que je n’ai pas eus ». Ces deux articles ont piqué ma curiosité et je me suis dit qu’il serait intéressant d’explorer ce que fut le cours classique que nous avons vécu au Petit Séminaire de Chicoutimi de 1954 à 1962. Ce qui a ajouté aussi au goût de faire cette réflexion, c’est la célébration du cinquantenaire de la fin de notre cours classique lors de notre prochain conventum en mai 2012. Quelle belle occasion de revisiter ensemble nos années de Petit Séminaire et d’essayer d’en trouver les acquis essentiels : Comment on a été initié aux "humanités classiques"? Qu’est-ce que nous avons appris en plus du grec, du latin et de la religion? Quelle place occupait les sciences? Les réalités sociales? Comment ces études ont-elles fait de nous les personnes que nous sommes devenues? Que nous reste-t-il de huit années de travaux scolaires et d’enthousiasmes intellectuels et culturels? Peut-être que certains parmi vous imputeront ces questions à une nostalgie quotidiennement renforcée par l’écoulement brutalement irréversible de nos soixante et dix ans. C’est sûr que tout retour d’une personne sur son passé, son enfance ou son adolescence est teinté d’une forme ou d’une autre de nostalgie. Mais cette réflexion sur ce que fut notre cours classique, si elle comporte une part de nostalgie, se veut avant tout une démarche pour mieux connaître et comprendre l’expérience d’éducation que nous avons vécue et peut-être pour en tirer quelques leçons, si cela se peut. Le cours classique au Petit Séminaire de Chicoutimi nous a appris des choses importantes et il a assuré notre formation. Cependant, que de limites et de carences l’on accompagné et nous marquent encore peut-être aujourd’hui! C’est cela que je voudrais circonscrire. Comment retracer nos souvenirs du Petit Séminaire cinquante ans après? L’idée m’est venue qu’avant d’entreprendre cette démarche, il serait intéressant d’examiner comment d’autres jeunes, comme nous à travers le Québec, qui ont fait leur cours classique dans 2 les séminaires à la même époque, ont brossé un tableau de leurs études classiques, de leur expérience de vie et de leur formation. Ce fut une heureuse idée parce ce qu’en examinant ce qui restait dans la mémoire des autres, cela m’a permis de mieux discerner ce que je pouvais retrouver dans la mienne. D’ailleurs je citerai à quelques occasions des témoignages de jeunes provenant d’autres séminaires que le nôtre. Un ouvrage m’a été particulièrement utile pour repérer et accéder rapidement à l’essentiel des écrits pertinents pour ma réflexion. Il s’agit de la minutieuse et éclairante étude doublée d’une bibliographie particulièrement détaillée du sociologue Claude Corbo : La mémoire du cours classique. Les années aigres-douces des récits autobiographiques. En deuxième lieu, j’ai obtenu beaucoup d’informations en consultant les Annuaires et l'Alma Mater du Petit Séminaire de Chicoutimi des années 1954-1962. De plus en scrutant la mémoire des autres jeunes qui ont vécu à peu près le même cours classique que nous, j’ai constaté qu’il y avait un certain nombre de thèmes qui revenaient assez souvent : le collège classique comme un monde en retrait du monde; la vie quotidienne dans le séminaire; la réalité de l’autorité et de la discipline; les professeurs et ceux qui ont figure de maître véritable; les programmes d’études et l’enseignement; la présence souvent envahissante de la religion; les jeux, le sport et les loisirs; l’univers de la culture; les découvertes essentielles. Dans cette réflexion j’essaierai de voir comment la mémoire tire inspiration de ces thèmes, aptes à faire surgir de loin le souvenir et le regard sur nos années d’étude au Petit Séminaire de Chicoutimi. Enfin je remercie de tout cœur Kristiane, ma conjointe, qui a lu attentivement le document et m'a suggéré plusieurs améliorations très pertinentes. Distance entre le monde du Séminaire et celui de la vie concrète Au Petit Séminaire de Chicoutimi, j’ai eu le sentiment de vivre une vie un peu particulière en regard de celle du reste de la société. J’étais plongé dans un univers culturel et moral qui m’isolait de mon monde familial et social, j’étais dans un monde totalement masculin voué à une mission élitiste. D’abord en entrant au Petit Séminaire de Chicoutimi, on sentait bien la différence de rythme entre la vie de cette institution et la vie du monde ambiant qui nous parvenait de plus en plus fortement par la radio, le cinéma et la télévision. Je trouvais qu'il y avait une distance entre le Séminaire par rapport au monde de la vie quotidienne et à celui de l’univers familial et social d'où je provenais. On se faisait dire qu’on était des privilégiés, même si nous étions issus de milieux modestes, et qu’on devait s’initier aux humanités classiques c’est à dire à la grande culture qui nous apparaissait bien éloignée de notre culture environnante. On nous projetait aussi un idéal de vie qui était en rupture avec le monde réel de la société. Par exemple nos professeurs n’avaient pas à se préoccuper de gagner leur vie, même si souvent ils travaillaient très fort. Le fait que nos maîtres étaient soustraits aux impératifs économiques quotidiens et protégés des soucis ordinaires et terre à terre qui étaient le lot de la grande majorité des citoyens et citoyennes, accroissaient l’image que le Petit 3 Séminaire était une communauté sise hors du monde ordinaire. On vivait donc une expérience de déracinement vis-à-vis ce qui nous était familier depuis l’enfance. Plus j’avançais dans les études, plus je participais à un univers complètement étranger à mes parents. C’était une expérience de choc culturel parce que cette culture des classes privilégiées n’avait pas pénétré le milieu plus modeste où je vivais. Je contractais aussi des désirs et des attentes qui n’avaient rien à voir avec la vie vécue de mes parents. Enfin le Petit Séminaire tenait grandement à préserver cette distance par rapport à la société. Les pensionnaires avaient des rapports avec la ville qu’en de rares occasions. Les journaux n’étaient pas nécessairement bienvenus. Le Petit Séminaire me laisse aussi un souvenir d’une institution élitiste. D’abord le recrutement était réservé à l'élite des adolescents, capable de passer les tests de quotient intellectuel et douée aussi d'une motivation et d'un caractère approprié. En se référant à des études réalisées aux États-Unis, on évoquait la nécessité, pour réussir le cours classique, d'un quotient intellectuel de l'ordre de 110 à 120 contre une moyenne de 100 dans la population. Avec ces tests, administrés indépendamment du contexte socioculturel d'où nous venions, le cours classique visait les "intelligences supérieurs." De plus le cours classique n'était pas seulement très sélectif dès le départ dans le choix des élèves, il le demeurait tout au long de son déroulement, car une proportion appréciable des admis initiaux décrochaient en cours de route. En 1954-1955, nous étions 121 élèves dans les trois Éléments latins. En Philosophie II : 46 finissants. À cela s’ajoutait les considérations financières. Vers 1950, une famille normale a besoin d’un revenu annuel d’environ 2250$ pour vivre correctement. Les frais de scolarité se situant entre 400$ et 600$ par année, seule une famille disposant d’environ 3000$ pouvait inscrire leur enfant au Séminaire. Par exemple en 1951, le revenu moyen de cent mille propriétaires d'exploitations agricoles était de 1512$. Si plus de 50% des administrateurs et professionnels disposent d'un revenu annuel de 3000$, c'est le cas d'à peine 15% des cols blancs, de 11% des cols bleus et de 1% des ouvriers non spécialisés. (Claude Corbo, Les Jésuites québécois et le cours classique après 1945, Septentrion, p: 66, 2004). Enfin la mission poursuivie par le Petit Séminaire dans la société était bien claire : former une élite parmi laquelle se trouvait la relève du clergé. Il s'agissait de former ceux qui dirigeraient la société. Il fallait doter la société de personnes capables de la diriger dans toutes les sphères d’activité, sur la base d’un héritage culturel, assimilé et inspirant. Sans levain, la pâte ne lève pas. Combien de fois nos professeurs nous ont dit que nous étions appelés à constituer "l’élite de demain" et qu’il était important d’exceller. On finissait par le croire. " La fierté de faire partie d'un groupe d'élite" était mentionnée comme telle par les élèves du petit Séminaire dans une enquête menée par l'Alma Mater en 1961 au sujet de la meilleure façon de contrer les divisions entre eux. Bien plus, ce privilège d’être " l’élite de demain" commençait en quelque sorte dès notre entrée au Séminaire. « On a un peu oublié, aujourd’hui, le prestige dont faisaient l’objet les élèves du classique. Ils avaient droit au respect que commandait l’étude des matières aussi rebutantes que le latin, le grec, la littérature, l’apologétique, la physique, la chimie et la philosophie. Je me souviens de certains discours de rentrée scolaire qui saluaient en nous " les élites de demain" et nous congratulaient de pouvoir fréquenter désormais Aristote, Tite-Live et Corneille, le tout agrémenté de citations de Sertillanges sur les exigences du 4 travail intellectuel….Le fait est que les élèves du classique jouissaient d’un prestige spécial » (Lucien Bouchard, À visage découvert, Boréal, 1992. 379 p., p. 23-24) On était donc appelé à un destin particulier, différent du plus grand nombre de nos concitoyens. Autour de nous dans la société, c'était bien différent. La fréquentation scolaire du secondaire demeurait très limitée et l'entrée hâtive dans le monde du travail s'imposait comme loi incontournable à la très grande majorité. Une autre caractéristique du séminaire qui le singularisait par rapport à la société c'est qu'il était un monde exclusivement masculin. Les seules femmes qu’on voyait, à part des professeures de piano, violon et d'orgue, étaient les Sœurs Antoniennes de Marie, confinées à des tâches modestes et souvent rudes, que l’on s’efforçait de rendre aussi peu visibles que possible (à la cuisine, au ménage, à l’entretien et au lavage). «…..À l'époque, les sœurs ont la charge de 525 élèves du cours classique. Elles veillent au bon soin des 75 prêtres, des 75 séminaristes et des élèves de l'établissement…. Après une demi-heure de prière et la messe, la journée de travail commence à 7 heures pour se terminer à 19 heures…. Les repas des élèves se font dans une ambiance de bruits, de dégâts et de coups, et ce, malgré la présence de maîtres de salle. Les conditions de travail dans la cuisine changent peu entre 1904 et 1964. Les religieuses portaient de lourds habits, une longue robe blanche à laquelle on ajoute un tablier rayé à manches longues, ce qui dans les cuisines surchauffées était peu confortables: les " genoux chauffaient" et elles étaient souvent en sueur.» (Extrait d'une entrevue avec Sœur Cécile Paradis, Antoniennes de Marie, responsable de la cuisine du Petit Séminaire de Chicoutimi de 1955 à 1966. Cette entrevue intitulée " Cuisiner dans un séminaire: l'exemple de Chicoutimi," est parue dans Patrimoine immatériel religieux du Québec, récit de pratique culturelle, 8 avril 2009). Le cours classique signifiait donc l’absence de femmes. On ne retrouvait aucune auteure dans le monde grec et latin, presque pas non plus dans la littérature française et canadienne française. Avec ce monde d'hommes, le séminaire finissait par constituer une communauté humaine tricotée serrée où s’affirmait, pour certains, un fort sentiment d'appartenance. Cette communauté établissait une forme d'intimité entre professeurs et élèves et créait des appartenances destinées à durer longtemps, malgré ce que chacun devenait au cours de son existence. Cette vie intensément communautaire du Séminaire entraînait, à certains égards, un repli sur soi et tendait à creuser encore plus une distance entre nous et le monde extérieur, particulièrement, concernant les nouveautés qui apparaissaient comme par exemple le «Rock 'n' Roll». Je me rappelle d'un professeur en colère qui s'était fracturé un doigt en frappant sur le bureau contre Elvis Presley et sa musique «Rock 'n' Roll». La vie quotidienne très ordonnée du Petit Séminaire Le Petit Séminaire n’était pas seulement un monde à part du monde environnant mais aussi un monde où l’on s’efforçait de faire régner un ordre omniprésent, appuyé par une discipline omniprésente qui laissait peu de place à la fantaisie et à l’oisiveté. Tout au long des rythmes de la vie quotidienne, dans ses espaces divers, dans ses activités, le Petit Séminaire se présentait comme un monde ordonné. 5 Jour après jour, de septembre à juin, la vie de séminaire se déroulait selon un horaire inflexible 5h30 : Lever 5h40 : Étude 7h 00: Messe 7h30 : Petit déjeuner 8h15 : Classe 10h00: Récréation 10h15: Étude 12h00: Dîner 13h30 : Étude 14h00 : Classe 16h00 : Récréation 16h30 : Étude 18h00 : Souper et récréation 20h00 : Étude 21h00 : Coucher Il y avait aussi le silence. Silence lors de la formation des rangs. Silence au dortoir. Silence dans la salle d’étude. Si on chuchotait quelques notes à notre voisin dans la salle d’étude et qu’on se faisait prendre ("caper"), c’était la punition. Avec un tel horaire, certainement pour les pensionnaires, l’enfermement dans les murs du Petit Séminaire devait être très long. Arrivés au début septembre, les pensionnaires y vivaient jusqu’en fin du mois de juin pratiquement, avec quatre jours de congé à la Toussaint, une dizaine de jours à Noël, quatre jours à Pâques, le reste du temps, fins de semaine comprises, était vécu dans le Petit Séminaire. Les congés étaient limités : le jeudi après-midi et le dimanche. Ce régime de congés et le fait que le samedi était un jour de classe contribuait pour les externes à couper les liens avec les autres jeunes du quartier. La variété des repas au réfectoire était limitée car les Sœurs Antoniennes de Marie, qui faisaient la cuisine, ne disposaient que de 0.50$ pour les repas de chacun de nous. Par ailleurs les menus étaient plus variés pour les prêtres et les séminaristes parce que le budget n'était pas le même. Pour le déjeuner, nous avions du gruau, des céréales et des rôtis. Le midi, on nous servait souvent de la tourtière, des fèves au lard avec de la mélasse et du ragoût de boulettes. Pour le souper, nous mangions régulièrement du hachis, des fricassés, du macaroni et de la sauce blanche avec des œufs. Pour le dessert, les sœurs remplissaient six grandes chaudières de pommes et de brioches. Enfin au menu, très peu de steak et de poulet. Comme le disait Sœur Cécile Paradis dans l'entrevue citée plus haut "pour des raisons de temps, il était plutôt rare de préparer des steaks et du poulet car c'était une grosse corvée"". Au chapitre de la vie quotidienne, on retrouvait aussi le port de l'uniforme du Petit Séminaire. Il était bien spécifié dans le règlement qu’on devait porter tous les jours l’uniforme du Séminaire : pantalon gris, blazer bleu marine avec bouton d’écaille gris 6 perle avec l'écusson du Petit Séminaire, béret bleu, chemise gris pâle et la cravate rouge vin. Il fallait aussi que la cravate soit toujours bien nouée, sinon on se le faisait rappeler assez rapidement! Le quotidien se vivait en groupe dans des lieux précis où nous vaquions à nos occupations prescrites par l’horaire : dortoir, réfectoire, salles de cours et de récréation. Nous nous retrouvions aussi en groupe à la salle d’étude avec notre préfet de discipline et nos maîtres de salle. Pensons à l’abbé Pamphile Larouche qui surveillait la salle d'étude des petits. Rien ne lui échappait. « Perché sur son estrade, il dominait la salle d'étude; aux extrémités, deux grandes portes souvent ouvertes. Il ne faut pas imaginer l'étude comme un lieu mort. Au contraire tout était mouvement, pupitres qui s'ouvrent et se referment, crayons qu'on aiguise, dictionnaire qui fichent le camp, un élève qui se rend chez son directeur spirituel. » (Jean Éthier-Blais, Le seuil des vingt ans, Leméac, p : 32) En fait, il n'y avait qu'un lieu dans le séminaire où il était possible d'échapper à la vie de groupe et à l'inflexible horaire quotidien, c'était l'infirmerie, mais il y avait un prix à payer pour y accéder! Vous vous souvenez de monsieur PH.Simard, infirmier, de l'abbé Ls-de-Gonzague Tremblay, du docteur Benoît Fortin, médecin attitré du séminaire! Un témoin de cette période décrivait cette vie en communauté comme une vie en " troupeau" «Une vie réduite à une sorte d’abstraction, horaires, routine, silence, discipline et toujours le troupeau : dormir, se lever, manger avec des centaines d’autres, au rythme des cloches, toute aventure soigneusement exclue, toute différence aussi» (Pierre Maheu, Un parti-pris révolutionnaire 1983, p : 288) Dans cette vie sans territoire à soi, la notion d'intimité et de vie privée ne constituait pas une caractéristique importante du Séminaire. On s'employait à nous pétrir par une vie partagée avec ses semblables. Aussi dans cet univers commun, tout était organisé pour que chacun, peu importe son âge, soit à sa place. «L’élève appartenait à son pupitre. Il avait sa place retenue partout dans le collège, en classe, à l’étude; le pupitre de classe contenait le matériel purement scolaire, celui de l’étude était le gardien des lettres, des livres de lecture, des tentatives de composition, ce dernier, dès le premier jour, le plus précieux. Place aussi à table, à la chapelle, à la salle de récréation, au dortoir» ( Éthier-Blais, 1992, p. 20) De plus la volonté d'ordre se manifestait aussi en nous regroupant en fonction de l'âge et de notre cheminement dans le cours classique. Il y avait les élèves de la petite salle qui regroupait ceux qui étaient en Éléments latins, Syntaxe, Méthode et Versification. Ces élèves faisaient des travaux et de jeux en commun. La répartition des bureaux dans la salle d'étude, des lits au dortoir cimentait cette fierté d'appartenance. Il y avait les élèves de la grande salle qui regroupaient ceux de Belles-lettres, Rhétorique, philosophie I et philosophie II. On trouvait aussi dans chaque salle un doyen qui était assez souvent le plus vieux. Il était une sorte de "clochard" qui nous appelait au travail, aux jeux ou au repas. Le clivage entre les quatre premières années et les quatre dernières était très grand. Pour un élève d'Éléments, un rhétoricien ou un philosophe étaient des dieux. En 1958, il y a l'instauration du "Philosophat" qui regroupait les étudiants des deux classes de philosophie. 7 Pour les autorités du Petit Séminaire à cette époque, former une relève sacerdotale ou une élite pour la société ne pouvait pas se concevoir en dehors d'un monde bien ordonné qui s'exprimait par un horaire quotidien strict, une organisation de l'espace précise et par une intégration de chaque élève dans une communauté tricotée serrée et dans des sousgroupes. La discipline et l’autorité Cet ordre dans la vie quotidienne et dans le processus d'apprentissage et de formation était maintenu et garanti par une discipline rigoureuse et une ferme autorité. D’abord il y avait au Petit Séminaire une Commission de discipline formée toujours d’un Monseigneur et d’un prêtre. La discipline constituait une réalité incontournable et pesante. Chacun s'efforçait de trouver un modus vivendi pour qu'elle soit plus supportable. La discipline prenait le style d'un catalogue d'interdits : interdit de parler en classe, dans la salle d'étude, interdit d'aller aux toilettes sauf à certaines heures prescrites, interdit de fumer, de lire tel livre parce qu'il est à l'Index, interdit de porter des talons de fer, interdit de recevoir ses parents en dehors du parloir, interdit de sortir en ville. Même nos parents, qui voulaient nous sortir en ville le dimanche après-midi, devaient demander la permission au Directeur. Le règlement disait aussi que le Directeur pouvait en tout temps prendre connaissance des lettres qui nous étaient adressées et celles qu’on envoyait nous-mêmes. Tout était réglementé à la seconde près. Il y avait même des règlements pour chacun des endroits où nous étions deux ou plusieurs à nous trouver en même temps: le salon de barbier, la bibliothèque, la cabane des jeux, partout l'ordre devait régner. Tous ces interdits et règlements s'accompagnaient de la présence de préfets de discipline à la salle des grands et des petits; de surveillants un peu partout dont la salle d'étude. « Le surveillant! Il est invisible, puisque son estrade est située au fond de la salle d'étude où seuls les grands qui sont méthodistes ou versificateurs ont accès directement à lui et peuvent saisir son regard sans tourner la tête (et tourner la tête est déjà un mauvais signe : inattention, ne pas être à son affaire). Pour attirer l'attention du surveillant, il suffit de lever le bras droit. Il quitte aussitôt son estrade et vient vers vous. Il se penche, écoute ce que vous avez à lui dire et vous donne ou refuse la permission. D'une certaine façon, il est plus terrible que les professeurs, car, jour après jour, il est le témoin de votre comportement au repos. Il a l'art de saisir les nuances de vos mouvements. Un livre en main, somnolez-vous? Il le sait. Penché sur un cahier, en pleine rédaction de composition française, rêvassez-vous? Vous entendez son pas dans l'allée, un pas qui vient décidément vers vous et non un autre. » (Éthier-Blais, 1992, p : 30) Il y avait aussi des sanctions multiples et diversifiées selon les fautes. Apparaît en 19591960 dans les règlements du Séminaire une nouvelle section intitulée " Cas d’exclusion". Étaient inclues des fautes "particulièrement graves" qui entraînaient l’expulsion pur et simple du Séminaire comme "Lire ou simplement posséder un livre à l’Index, en pleine connaissance de cause" (Extrait du règlement). On y trouvait aussi d’autres fautes " moins graves" qui pouvaient aussi entraîner l’exclusion après étude sérieuse du dossier de l’élève par la Commission de discipline. Parmi ces fautes il y avait "Sortir en ville sans 8 permission ou y demeurer un temps notable après le temps accordé". " Dépasser l’heure de la rentrée en septembre, à la Toussaint, à Noël et à Pâques sans s’être entendu avec le Directeur" . " Pour un externe, ne pas venir au Séminaire un jour de classe sans raison valable ni autorisation." (Extrait du règlement). Je me rappelle de l'expulsion de quelques finissants parce qu'ils étaient entrés tard au Séminaire, suite à leur veillée au carnaval de Chicoutimi. C'était une sanction sans appel même si les étudiants risquaient de perdre leur année. Il n'existait aucune procédure de plainte ou de récrimination. Enfin il y avait même, exceptionnellement à l’occasion, des sanctions physiques qu’on pouvait appeler des arguments frappants. Un beau matin en classe, je me souviens d'entendre et de voir les pensionnaires tout énervés, parce qu'un maître de salle avait frappé physiquement un élève au dortoir durant la soirée. Derrière ce système se profilait la figure de l'autorité qui ne se laissait pas mettre en cause facilement. J’ai souvenir de professeurs profondément choqués parce que des élèves du Séminaire avait une émission à la télévision de CKRS Jonquière qui s'intitulait "Sans prof ni bouquin"! Cette autorité revêtait la figure d’une monarchie absolue de droit divin et refusait d’être contestée. Souvent on obéissait par la peur. Combien de fois j’ai entendu cette phrase de la part de nos maîtres :" La peur est le commencement de la sagesse"! Cette autorité rejetait toute idée de recours à des assises démocratiques. Tout au plus pouvait-elle accepter de consentir au pardon. L’heure des chartes des droits et libertés et celles des associations d’élèves prétendant discuter avec l’autorité n’étaient pas encore arrivées au Petit Séminaire. Par ailleurs cela ne nous empêchait pas de chercher de temps en temps à contourner les règlements ni à chahuter en groupe. Certains cours de musique, en Éléments latins avec l’abbé Coudé et d’anglais avec l’abbé Tessier, étaient des occasions propices à l’insubordination en groupe. Il y avait aussi aller fumer une cigarette dans une cabine de toilette, s’éclipser miraculeusement de la messe quotidienne pour aller fumer en cachette ( "dutcher") à la salle académique, établir à l’entre-toit un quartier général avec gardemanger et vin de messe. Le concept de l’autorité dont s’inspirait nos professeurs et maîtres de salle était-elle tellement différentes des autres dirigeants du Québec à cette époque? L’Église n’avait pas encore vécu son Concile, Maurice Duplessis menait son gouvernement d’une main de fer, les femmes mariées demeuraient sous la tutelle juridique de leur époux, les syndicats luttaient pour leur existence. Le Petit Séminaire épousait volontiers un style d’autorité qui était assez répandu dans la société québécoise. Les professeurs Presque la totalité des enseignants au Petit Séminaire appartenaient au clergé diocésain. Une bonne proportion de ces prêtres, surtout au cours des premières années de notre cours classique, n’avaient pas de formation pédagogique ou de spécialité dans les 9 matières qu’ils enseignaient. Ils avaient une formation en théologie catholique et leur diplôme se résumait au baccalauréat ès arts. Par exemple, je me souviens de la faible préparation intellectuelle et pédagogique de certains de mes professeurs d'histoire, qui faisaient de cette matière un répertoire aride de dates avec plein d'accolades sans trop de liens entre elles. Nous avons eu aussi quelques enseignants laïcs en cours de route qui avait leur bureau à la maison "Annexe". Contrairement aux prêtres, la plupart était diplômé de l’École Normale et avaient des spécialités dans différents domaines : littérature française, lettre, etc. Si je regarde l’ensemble des professeurs que nous avons eus durant notre cours classique, j’y vois un mélange de prêtres dévoués mais minimalement préparées à leur tâche, surtout dans les premières années, (la qualité des enseignants s’accroissait au fur et à mesure que l’on progressait vers les classes supérieures) et d’autres prêtres chez qui on ne sentait pas de vocation et de passion pour l’enseignement. Par contre chez tous les professeurs laïcs qui nous ont enseignés, j’ai toujours perçu qu’ils aimaient leur profession et avaient un grand désir de se consacrer à l’enseignement. Dans ce corps professoral du Petit Séminaire, il y a eu un certain nombre de professeurs qui m’ont marqué. C’était des personnes qui maniaient l’art pédagogique avec finesse et dextérité, capables de se démarquer des règles et des pratiques officielles comme par exemple notre professeur laïc de mathématiques en Philosophie II, Germain Hallé, qui avait le don de faire jaillir la lumière sur ce qui, jusqu’alors n’avait été qu’obscurité. Cet art pédagogique, le plus souvent, surgissait de la personnalité même de l'enseignant, de son caractère, de sa passion, pour ce qu'il enseignait plus que d'un apprentissage formel du métier. C’était aussi des personnes brillantes de connaissances et de culture, passionnées par leur enseignement qui nous donnaient le goût de partager un savoir et de s’initier à un monde nouveau. Je risque un nom : l’abbé Jean-Paul Vincent. C’était aussi des personnes qui nous manifestaient beaucoup d’attachement, de dévouement et de respect pour ce qu’on était et ce qu’on devenait. Par exemple l’abbé Jean-Paul Simard et son autre frère, prêtre. Tous ces professeurs assumaient aussi une "probité extrême" : l'ingrate et fastidieuse tâche de la correction : « Versions et thèmes latins, nos ânonnements en grec, nos énormités en français, nos erreurs en histoire ou en géographie, nos inattentions, sans parler des mathématiques, des leçons de choses, tout était passé au crible » (Éthier-Blais, 1992, p.26) Ces professeurs ont joué un rôle important dans nos vies parce qu’ils nous ont inculqué les vertus de l’effort, du travail bien fait et de la constance. Ils nous ont appris aussi à travailler avec méthode et à approfondir ce que nous étudions. Nous en avons conservé des traces et ils continuent à nous habiter de quelque manière. Les pratiques pédagogiques L’un des piliers de la pédagogie de notre cours classique était un souci et une revalorisation des humanités classiques (la grande culture). Cette dernière était supposée nous protéger du matérialisme et de toutes les valeurs que semblaient véhiculées les 10 influences américaines. Cette grande culture était aussi approchée de façon très sélective, en morceaux choisis et en éditions expurgées, car certaines de ses composantes étaient jugées nocives. Qui ne se rappelle pas des morceaux choisis et lectures expliquées de Mgr Jean Calvet? La pédagogie de notre cours classique recourrait constamment à la mémorisation (le " par cœur"). L'étude du latin et du grec, par exemple, requéraient beaucoup d’efforts de mémorisation : apprentissage du vocabulaire, de déclinaisons, de conjugaisons de verbes. L'écrit jouissait d'un prestige considérable. On abordait principalement les quatre langues étudiées sous la forme de l'écrit. Ainsi il y avait un effort soutenu pour comprendre la grammaire et les règles de la langue écrite et nous faire écrire. Par-delà les productions écrites proprement scolaires, nous étions aussi encouragés par l'existence d'un journal personnel ou de classe imprimé à la gélatine. Est-ce que nous nous rappelons de notre journal de classe en Belles lettres intitulé " L'œil ouvert" ? Cet apprentissage de l’écriture devait nous apprendre une manière consacrée de réfléchir et d’analyser les choses. En témoigne la dissertation, dont Éthier-Blais explique bien l’impact durable dans sa propre vie : «On commençait en Méthode à nous enseigner l’art de la dissertation, les trois points que précède une introduction, auxquels la conclusion donne un sens. Ce dressage est si fort qu’il fait partie intégrante de ma nature pensante. Qu’on me demande un texte, il sera en trois points, où j’essaierai d’insérer l’essentiel, selon une forme logique. On peut tout dire, faire le tour d’une question, en trois points.» (Éthier-Blais, 1992, p. 94) L'expérience de l'écriture était donc omniprésente à travers tout notre cours classique, depuis les premières compositions françaises jusqu'aux dissertations philosophiques en passant par les essais poétiques et les envolées oratoires. La pédagogie de notre cours classique était aussi lourdement influencée par des réalités et des modèles étrangers qui nous éloignaient de nos racines et de notre identité propre. Cela transparaissait, par exemple, dans le choix du matériel pédagogique. Le très grand nombre de nos manuels provenaient de la France. On se rappelle tous de nos volumes de littérature française, P. Castex et P.Surer. Ainsi les modèles reconnus et enseignés étaient essentiellement français de France. Il n’était pas question de reconnaître la culture du "Canada français" et des "Canadiens français". Par exemple les sujets de l’examen du baccalauréat en Rhétorique portaient sur la littérature française, celle du Canada français et l’histoire du Canada. J’ai traité le sujet de la littérature française, pour lequel je m’estimais justement bien mieux préparé. Je dissertai sur la pièce de Britannicus de Racine. Enfin on reconnaissait encore moins la culture américaine. Pas surprenant que j’ai pu constater la distance entre l’univers culturel du cours classique et celui de ma famille et de mes amis ayant accès de plus en plus à la radio, à la télévision et à différentes revues. Par contre, mes confrères du Petit Séminaire, dont le père était issu du cours classique, ne vivaient pas de la même façon cette distance. Cette pédagogie nous imposait un lourd fardeau de travail. L'examen écrit individuel ou l'examen oral qui venait s'ajouter à tous les devoirs et concours effectués tout au long de 11 l'année scolaire……« Au Séminaire, les concours se font à intervalles différents. Il y a bien les concours du Samedi (c'est ce que nous appelons les devoirs français, anglais, latins, grecs et les mathématiques) qui arrivent à période fixe, mais pour les leçons c'est autre chose. On ne fait pas ici des concours uniquement à la fin de chaque mois comme dans les écoles des Commission scolaires. Non, les élèves quand le temps est venu où le professeur décide que la matière vue et apprise est assez suffisante pour faire un concours écrit….Les élèves n'ont plus alors qu'à se courber l'échine et à s'exécuter. Une fois la correction du concours terminé, le professeur dresse la liste de ses élèves par ordre de mérite. Le plus haut score détermine le premier parmi ses élèves. C'est à celui qui arrive le premier dans le dit concours, qu'échoit l'honneur d'aller présenter à M. le Directeur et à M. le Préfet des études cette noble " LISTE" marque de son génie et de sa grande application au travail En retour de sa feuille l'élève reçoit un petit souvenir en gage de récompense.» (Claude Dufour, élève du Petit Séminaire, dans l'Alma Mater, janvier 1952). En fouillant à la préfecture, Claude Dufour avait compilé 341 " listes " des concours couvrant différentes matières, apportées par les élèves, des Éléments latins à la Rhétorique, durant le premier semestre de l'année 1951- 1952 (septembre 1951 au 15 janvier 1952) sans compter les "listes" qui pouvaient dormir dans les pupitres en classe et à l'étude des élèves! De plus aucune matière n'échappait au passage obligé par l'examen mensuel, semestriel ou de fin de baccalauréat. Versions latines ou grecques, thèmes qui obligeaient à traduire du français vers le latin. Versions ou thèmes qui supposaient un travail soutenu de maîtrise de la langue (vocabulaires, déclinaisons, conjugaisons de verbes, usage des prépositions, concordance des temps, etc); examens de mathématiques, compositions françaises. Comme si ce régime de travaux quotidiens, d'examens semestriels imposés à tous ne suffisaient pas, on nous proposait de s'engager volontairement dans des activités intellectuelles et scolaires supplémentaires. Il y avait des académies littéraires. Par exemple l'Académie Saint-François-de-Sales, la société Saint-Dominique. Enfin on devait se présenter à la fin de la Versification (examen d’Immatriculation), de la Rhétorique et de Philosophie II à une série d'examens de la faculté des arts de l'Université Laval, examens dont la réussite était la condition d'obtention du grade de bachelier ès arts. Ce grade ouvrait les portes à toutes les facultés universitaires. Tout, en un sens, se jouait finalement lors de ces examens redoutés où l'on s'efforçait de nous soumettre aux épreuves les plus exigeantes. Les méthodes pédagogiques tablaient aussi massivement sur l’enseignement magistral, sur la fréquentation des manuels scolaires et sur l’émulation avec l’ "Ordo" mensuel. « Chaque mois, il y avait publication de " l'ordo", qui attribuait son rang à chacun. Triomphe pour les uns, torture pour les autres, cette classification disposait impitoyablement des espoirs et des prétentions de la plupart. Les parents étaient, bien sûr, systématiquement mis au courant. Une seule loi, celle du meilleur. Dure loi que cellelà » (Lucien Bouchard, p.27) Bref cette pédagogie attachait une grande importance à la maîtrise du langage écrit, imposait une somme abondante de travail scolaire, invitait souvent à un surcroît d'efforts, 12 nous soumettait périodiquement à l'épreuve et à la sanction des examens. Le cours classique constituait une entreprise très sérieuse. Nous étions des élus et on se souciait bien davantage de nous adapter au système en place que de s'ingénier à adoucir le cheminement et à nous rendre heureux. Cette pédagogie voulait nous former selon des modèles établis et consacrés plutôt que de rechercher notre épanouissement selon notre personnalité. Il est tentant de voir dans la pédagogie que nous avons vécu une transposition de la religion et de l'Église catholique dans notre univers scolaire. Comme il y avait une Église, un pape, un clergé pour encadrer les fidèles et les tenir dans le bon chemin, il y avait des préfets de disciplines, un préfet des études, des professeurs, des maîtres de salles veillant à ce que nous accomplissions notre devoir et (nos devoirs). Comme il y a un jugement dernier, il y avait à la fin de chaque année scolaire la cérémonie de la distribution des prix où le mérite des bons se trouvait proclamé à la face de tout le monde qui était représenté par toutes les personnes du Petit Séminaire. Les meilleurs étaient récompensés par des livres de bonne qualité susceptibles de bien reconnaître les vertus des meilleurs et de les soutenir durant les périodes estivales. Le programme d'étude Le programme du cours classique se raccrochait à de très anciennes traditions éducatives, qui remontaient par-delà la Renaissance et les XVIième et XVIIième siècles français, à la Grèce hellénistique (Claude Corbo, p. 132) Le programme n'avait ni option et ni cours au choix. Il tenait à quelques matières. Langues (français, latin, grec, anglais) qui étaient le cœur du cours classique, histoire, mathématiques, un peu de sciences (surtout vers la fin de notre cours), philosophie et enseignement religieux. Il visait à former "l’honnête homme" par un équilibre de connaissances. Le français L'étude de la langue française, de la grammaire à la littérature, occupait une place centrale des Éléments latins à la Rhétorique. Il y avait un corps à corps quotidien avec les complications et les secrets de la langue française. Le français devait être maîtrisé comme langue écrite, d’où les règles à apprendre, les modèles à suivre, les textes à analyser et à expliquer. Tout cela revenait quotidiennement. Mais cette plongée dans l’étude de la langue française ne m’a pas facilité l’écriture pour autant. Pendant toute ma vie j’ai eu des difficultés à écrire. Tous ces efforts au cours des premières années avec la langue française nous conduisaient progressivement à l’étude de la littérature. On recourrait beaucoup aux "morceaux choisis" qui avait la double vertu de proposer les meilleures pages et surtout d'expurger celles qui pouvaient offenser la loi et la morale. Ceux qu'on lisait avaient été rassemblés par les bons soins de Monseigneur Jean Calvet : Corneille, Racine, La Fontaine, Villon, Rutebeuf….. Enfin nos classes de français étaient pleinement tournées vers la littérature française qui était la littérature de référence tandis que la littérature "canadienne française" était 13 vraiment le parent pauvre. Quelques lectures furtives d'écrivains d'ici, le survol de la littérature québécoise par l'ouvrage de Mgr Camille Roy. Cette place ténue, réservée à notre littérature nationale, a certainement approfondie notre sentiment de distance entre l’univers du Petit Séminaire et celui de notre vie quotidienne, de notre environnement culturel vécu à la maison et dans le monde environnant. Le latin et le grec On commençait le latin dès l'Éléments latins, le grec en Syntaxe. Rappelons-nous les "fameuses" grammaires latine Petitmangin et grec Ragon-Dain. Cet enseignement sollicitait beaucoup notre mémoire : déclinaisons, conjugaisons, grammaire, etc. Il y avait aussi les versions et les thèmes qui nous promenaient en compagnie d’Ulysse, ou d’Achille, de Tacite, Cicéron, Virgile, Xénophon, Tite-Live, Isocrate, Horace, Socrate et Démosthène et qui devaient nous aider à approfondir la langue française. L'enseignement de ces langues ne parvenait pas à dépasser le traitement quasi mot à mot des textes et échouait à nous faire découvrir par-delà les mots, le sens profond des textes et l'âme de civilisations depuis longtemps disparues : mythologies, histoires, institutions et dont ces langues étaient l’expression et que leurs legs culturels et spirituels peuvent encore nous nourrir aujourd’hui. En un mot, l'étude du latin et du grec était coupée de la connaissance et de la compréhension des civilisations dont ces langues furent l'expression. Carence additionnelle. Toutes ces années d'efforts à potasser le grec et le latin n'ont pas assuré de les lire couramment. Même les deux années de philosophie, faites en latin, n'ont pas renforcé la connaissance de ce latin de cuisine. Je n’ai pas apprécié particulièrement l’étude du latin et du grec qui a été plutôt une corvée. L’apprentissage de ces langues me laisse le souvenir d’une entreprise austère et exigeante. J’ai eu l’impression que cette étude n’était pas un moyen d’accès à des auteurs mais plutôt une gymnastique de l’esprit pour nous permettre d’approfondir le français. Le point positif que je retiens est la conscience que notre civilisation occidentale a de très anciennes racines et porte les gênes de cultures antiques. L'anglais Cet enseignement n’a pas été un fleuron particulièrement impressionnant. Cet apprentissage se confinait exclusivement, comme le latin et le grec, à l’espace de la salle de cours. Nous n’avions pas les moyens audiovisuels d’aujourd’hui et au surplus, au Saguenay Lac-St-Jean, nous n’avions à peu près jamais l’occasion de l’utiliser. On accordait beaucoup d'importance à la maîtrise de l'anglais écrit et non parlé. J'avais l'impression qu'on nous préparait uniquement pour la rédaction du baccalauréat. Vous vous souvenez de “Our Little Messenger” “Junior Catholic Messenger” “The French Canadian’s Guide”! 14 L'histoire L'histoire occupait une place importante dans notre cours classique. Elle était découpée en tranches : l’Orient et la Grèce, l’histoire romaine, le Moyen-âge, l'histoire contemporaine et celle du Canada. Je me rappelle que les professeurs recourraient beaucoup à la mémorisation et que c'était un apprentissage assez desséchant On apprenait des dates avec des tableaux et des grandes, moyennes et petites accolades. On n'était pas amené à une compréhension globale des civilisations et à une réflexion sur le cheminement de l'expérience humaine. Je suis resté vraiment sur mon appétit. Notre programme d’histoire consacrait peu de temps ou pas du tout à l’histoire contemporaine du Québec et à celle du siècle ouvert par la Confédération de 1867. Science et Mathématiques Même si nous avions quelques notions élémentaires de Botanique, de Zoologie, de Géologie et de Minéralogie en Éléments Latins et en Syntaxe, c’était plutôt durant nos deux dernières années de philosophie qu’on entreprenait sérieusement l’étude des sciences : la Chimie et la Physique. Durant ces dernières années, nous avions aussi quelques cours en Biologie, Astronomie, Minéralogie et Géologie. L'intégration des connaissances scientifiques étaient très difficiles à cause de la pauvreté des équipements scientifiques. Il n'y avait pas de laboratoires adéquatement équipés. Les expériences scientifiques se faisaient le plus souvent à la craie sur le tableau noir. Au Petit Séminaire, il y avait des académies qui nous offraient des activités pour compléter et consolider nos matières scolaires mais il n’y avait pas de loisirs scientifiques comme des cercles de jeunes naturaliste…… Je sentais une certaine indifférence aux sciences et à la culture scientifique. Par exemple pour l'abbé Lucien Villeneuve, " Il y avait déjà trop de science dans le cours classique!" Notre ancien directeur du Philosophat écrivait, à ce sujet, un article intitulé:" Ne perdons pas la tête!" dans l'Alma Mater du Petit Séminaire de Chicoutimi en 1958. Cet écrit était une réponse à plusieurs pédagogues québécois, qui remettaient en question le cours classique avec ses humanités, parce qu'il ne formait pas suffisamment d'hommes de sciences, surtout après le lancement du "spoutnick" russe en 1957. «Le " spoutnick" russe, après avoir soulevé une vague d'inquiétudes dans tous les pays occidentaux, n'attire plus maintenant notre attention. Surtout depuis que " l'Explorator" veille sur notre globe, nous nous sentons plus protégés. Cependant je crois que ces fameux Russes avaient caché dans les flancs de leur planète artificielle, des émanations délétères qui ont réussi à se frayer un chemin jusqu'à l'intelligence de certains pédagogues improvisés de notre belle province de Québec, où d'habitude tout est si calme……C'est pourquoi depuis quelque temps, tout le système éducatif est appelé à la barre pour être jugé. Pour plusieurs (et ce sont ceux qui crient le plus fort, et ce sont eux qui sont le plus écoutés par les naïfs) notre système éducatif est jugé: il est désuet, non adapté, rétrograde. Il faut le changer. Les vieilles disciplines ont vécu, c'est l'ère de la science. Halte-là! Ne perdons pas la tête! ....Que notre cours traditionnel ait besoin de perfectionnement, on est tous d'accord, mais de là à tout chambarder, à donner à la science la part du lion dans nos collèges, (il y en a déjà trop!) 15 aux dépens du français, du grec, du latin, de l'histoire, de la philosophie…» Concernant les mathématiques, elles ont été présentes des Éléments Latins jusqu’en Philosophie II: Algèbre, Géométrie, Géométrie plane et analytique, Trigonométrie et Calcul différentiel. Elles n'ont pas été une expérience intellectuelle facile, même douloureuse parfois. Je me souviens des cours de mathématiques donnés par le préfet des études. Il possédait sa matière sur le bout des doigts mais il n'avait pas l'art de nous la transmettre. Il allait bien trop vite! Il remplissait le tableau d'équations et de formules mathématiques que je n’avais pas le temps de comprendre, d'assimiler et de retranscrire dans mon cahier car il effaçait tout, aussitôt que le tableau était rempli. C'est avec un professeur laïc, Germain Halley, en Philo II, que l'algèbre et la trigonométrie ne sont plus vues comme une corvée mais comme une expérience de plaisir et de découvertes intellectuelles, exigeantes, mais formatrices. D'ailleurs fait remarquable, nous avions tous réussis, je crois, notre examen de mathématiques du baccalauréat en Philosophie II. La philosophie Si je vous posais la question que vous est-il resté de vos études de la philosophie au Petit Séminaire, je pense que j’aurais une réponse unanime : Rien. En effet nous pouvons conclure, sans nous tromper, à l'échec total, sans rémission, de cette partie de notre formation qui était pourtant supposée la couronner, l'intégrer et la consolider. Monseigneur Grenier en trois volumes en latin tout à fait rébarbatif! Il s'agissait de philosophie thomiste et tous les autres systèmes étaient mis de côté en quelques lignes. On ne sortait pas du manuel. On le suivait mot à mot, de thèse en thèse. Nous devions apprendre par cœur, en latin, mot à mot, un texte indigeste, des syllogismes et des explications que nous étions forcés de répéter telles quelles aux examens comme au baccalauréat. Il nous fallait apprendre ce qui fait que des syllogismes sont en "barbara celantes, darii, ferio" et comment distinguer un raisonnement juste d'un sophisme. On était enfermé dans l'univers clos du thomisme et d'une certaine façon le rejet de tous les autres philosophes : Kant, Hegel, Sartre… Notre formation consistait à jouer avec des concepts, à manipuler des êtres de raison, à nous imprégner de pensées abstraites qui débouchaient sur des généralisations ne donnant pas d'emprise sur les réalités qui nous entouraient, à nous inculquer des leçons morales rigides. Voici ce que Lucien Bouchard dit de cet enseignement de la philosophie : « L’enseignement de la philosophie était un scandale. Le programme obligeait les maîtres à recourir à un manuel en trois tomes, fabriqué en latin de cuisine par un professeur du Séminaire de Québec, Mgr Henri Grenier. Outre qu’il ne rendait pas justice à saint Thomas d’Aquin, dont il prétendait résumer l’œuvre philosophique, à la façon de Sélection de Reader’s Digest, ce grimoire et l’usage qu’on en imposait étaient une trahison envers la philosophie » (Lucien Bouchard, p. 36) D’autres ont utilisé certaines expressions pour décrire cet enseignement de la philosophie : " théologie déguisée qui obscurcit pour longtemps notre esprit ", un " thomisme de recettes et de formules" , " un scandale qui réduit maîtres et élèves à ânonner questions et réponses ", " un vade-mecum immunisant contre tous les doutes et 16 surtout les mauvaises doctrines" . L'inefficacité de l'enseignement de la philosophie durant notre cours classique dépassait l'ordre pédagogique; "il mettait en lumière le fossé de plus en plus ouvert entre le cours classique et une société en voie de reconfiguration par la marée montante de la modernité et de la révolution tranquille". (Claude Corbo) Le programme d’étude et les pratiques pédagogiques étaient attachés à des valeurs morales et culturelles dépassées, résolument distant du monde en changement qui l’entourait. Spoutnik se préparait et nous étudions saint Thomas en latin. On était en retard sur notre temps. Les modèles proposés étaient dépassés. Le 19ième siècle était peu étudié et le 20ième nous demeurait étranger. Cette distance avec le monde extérieur était soigneusement préservée et on ne voulait pas le changer. J’ai souvenir de crises de nerfs de certains professeurs à la pensée que le cours classique allait peut-être disparaître avec la Commission Parent et que nous ne serions plus protégés contre la modernité ambiante. Pas surprenant qu’on était lancé dans la vie avec un retard assez prononcé par rapport à ce que la société était devenue. Il en résultait pour nous un fort sentiment d’impréparation à la vie réelle. La religion La présence massive, quotidienne, incontournable et dominante de la religion nous saisissait dès le début de l'année scolaire avec la retraite de la rentrée. Ces journées étaient consacrées à des activités d’audition de sermons, de méditations et de prières individuelles. On nous plongeait dans le bain purificateur de la retraite pour que nous puissions rompre avec les plaisirs et le climat de liberté et de fantaisies qui étaient attachées aux longues vacances estivales. La rentrée et la retraite nous réintroduisaient dans un emploi du temps rigoureusement et méthodiquement ponctué par des pratiques religieuses et des rites quotidiens et inlassablement répétés. La chapelle du Séminaire était un des lieux obligés de notre vie quotidienne. Pour en avoir une idée, voici une énumération des ces pratiques. Messe quotidienne au lever Messe dominicale Offices religieux supplémentaires du dimanche Prières au cours de la journée, en commun et individuellement Confessions régulières Communion fréquentes Récitation du chapelet Lectures spirituelles Liturgies spéciales à divers moments de l'année Sacrifices liés au carême Rencontres avec le directeur spirituel Examen de conscience Heures d'adoration Et autres pratiques variables Une dimension importante aussi de notre vie religieuse était nos cours de religion catholique durant les huit années du cours classique. Ces cours d’instruction religieuse (le 17 Petit Séminaire appelait les enseignants des cours de religion des " professeurs d’instruction religieuse" ne m’ont vraiment pas enthousiasmé. Je trouvais cela ennuyeux, particulièrement l’Apologétique dans les deux dernières années de philosophie. Ce livre était fait d’une pesante et méthodique argumentation soit pour réfuter les critiques de la foi chrétienne, soit pour en démontrer de façon irréfutable la vérité. De plus la pédagogie des cours de religion ne favorisait pas notre questionnement sur les enjeux de la foi. Il s’agissait pour l’essentiel d’apprendre les réponses qui existaient déjà et que l’autorité rendait disponibles plutôt que de mener une réflexion profonde sur l’expérience humaine. Cet enseignement de la religion ne nous permettait pas non plus d’asseoir nos convictions religieuses sur du solide, capables de répondre aux doutes qui travaillaient nos esprits. Une autre composante de la vie religieuse était la présence de directeurs spirituels ou de directeurs de conscience. Il fallait avoir un directeur spirituel qui assurait notre encadrement moral. On était libre de choisir, parmi les prêtres affectés à cette tâche, celui qui sera notre directeur de conscience. On nous conseillait de le rencontrer régulièrement. Celui-ci veillait à notre piété et chasteté et à notre progrès religieux. Normalement on devait se confesser à lui. « Les directeurs spirituels sont les grands moyens utilisés pour déceler un appel de Dieu dans les âmes et stimuler une réponse chez celle-ci. Dix prêtres y consacrent le plus clair de leur temps et cela dans des circonstances qui exigent souvent de la pure abnégation. Que l'on songe un peu à ce que cela représente que de recevoir quarante ou cinquante dirigés, et même plus une fois tous les quinze jours environ, sans compter la séance quotidienne de confessions. Avouons-le, il y a de quoi absorber le meilleur des énergies d'un homme et cependant chacun accomplit cette tâche en plus de sa tâche régulière de professeur. En pratique, il ne reste même pas de temps pour un repos légitime. L'an prochain nous augmenterons l'effectif des directeurs de conscience. Ce sera sans doute l'avantage des élèves, mais la journée des responsables n'en sera guère allégée Je ne tire pas de conclusion, au lecteur de le faire.» (L.-J. Drouin, prêtre, dans l'Alma Mater, 1954) Une carence remarquable lors de ces années de pratiques religieuses, c'était l'absence de la connaissance de la Bible. Pourtant on sait, que dans d'autres traditions chrétiennes et dans d'autres pays, la Bible se révélait un puissant instrument de culture religieuse, d’approfondissement et de consolidation de la croyance. Peut-être que la lecture individuelle de la Bible apparaissait dangereuse et trop près de la tradition protestante. Cette forte atmosphère chrétienne se caractérisait aussi par les œuvres. Le Séminaire nous offrait la possibilité de s’engager dans des mouvements où nous pourrions apprendre à intervenir dans le monde pour y faire rayonner notre foi personnelle. Il y avait diverses formes de regroupement : JEC (Jeunesse étudiante catholique), Cercle Lacordaire, Société Saint-Vincent de Paul, Ligue missionnaire des étudiants, Cercle Dubuc de l’AJC (Association de la jeunesse canadienne), Caisse populaire, Troupe de scouts SaintDominique-Savio, Corps école des Officiers Canadien. Avec l'abondance de toutes ces pratiques religieuses, avons-nous vécus une expérience vraiment religieuse à la hauteur de celle que pouvaient espérer nos éducateurs pour nous? 18 Cela n'est pas certain. Ces pratiques religieuses n'ont pas été l'assise d'une conviction religieuse profonde et englobante. On a vécu l'expérience d'une religion sans joie, pesante, menaçante et sévère. C'était une religion comptabilisant méticuleusement les sacrifices et les mauvaises actions. Voici ce que notre confrère Ghislain Croft, président du comité de liturgie au Philosophat, écrivait dans l'Alma Mater au sujet de notre pratique religieuse: « …Notre première action est d'enlever toute routine dans l'accomplissement de nos obligations religieuses (messes, chapelets...) car la routine tue. Ensuite, lorsqu'ensemble nous serons à nouveau intéressés à la chose religieuse, peut-être la considérerons-nous sous un angle complètement nouveau. Outre la routine, il y a la compréhension. Hélas, chez nous, philosophes, c'est encore la routine qui l'emporte. On ne comprend plus le Christ. On demande des réponses, on demande un idéal. Mais le plus grand mal à combattre c'est l'indifférence religieuse de plusieurs. Ceux-ci sont portés par les cadres; nous serions dans un monde communiste, ils le seraient, nous sommes catholiques ils le sont. Ces gars là ont besoin de beaucoup de prières car le Seigneur est très sévère envers des tièdes. Voilà les principaux maux que nous rencontrons. Pour agir contre ces maux (agere contra), nous avons besoin de tout le monde. Il nous faut des suggestions, de la compréhension, de la collaboration et surtout il nous faut des prières car nous nous mêlons des affaires de Dieu et nous sommes un peu responsables du Philosophat.» Autre son de cloche, dans le même esprit, sur la religion, tiré d'une enquête faite par l'Alma Mater en 1961, qui s'interrogeait sur les valeurs portées par les élèves du Petit Séminaire. À la question Pensez-vous qu'il existe au Petit Séminaire une indifférence générale au point de vue religieux? L'Alma Mater commentait ainsi: «Pour la plupart, oui, cette indifférence existe, surtout dans le sens d'insouciance. Beaucoup parlent de religion " forcée" de religion " réglementée" etc. A la grand salle on dit que les élèves suivent la " masse".. Qu'ils vont à la messe pour" faire passer l'étude" " qu'ils " n'ont pas le sens de la messe".. Il reste tout de même les optimistes: " Il n'y a pas de véritables indifférents au Séminaire". " pas d'indifférence. mais certainement de la négligence". On est plus prudent au Philosophat: " manque de conviction, mais amélioration notable".." Magnifique effort du comité religieux" " La religion pour la plupart est demeuré à l'état infantile"…" indifférence surtout au niveau des philosophes". Même si, à première vue, les opinions émises surprennent un peu par leur pessimisme, nous trouvons en général un désir sincère de renouveau dans ce domaine.. On commence au moins à ne plus considérer la religion comme une série d'obligations.» Le climat moral Cette présence forte de la religion qui imprégnait les programmes, la pédagogie et la discipline s’accompagnait d’un climat moral qui visait à consolider notre foi et à nous inculquer des manières d’être qui correspondaient aux convictions religieuses. Il y avait d'abord un grand nombre de règles et d’interdits qui avaient pour but de nous protéger contre des influences qui pouvaient mettre en péril notre âme. Le courrier était censuré, la correspondance avec les jeunes filles était dangereuse pour les vocations sacerdotales, la censure des livres était très strict, les journaux étaient interdits à 19 l’exception de quotidiens tout à fait orthodoxe comme Le Devoir et L’Action catholique, l’alcool était prohibé, etc. Ensuite l’enseignement religieux et moral se préoccupait particulièrement, s’inquiétait, devrais-je dire, de nos relations avec l’autre moitié du monde. Le Petit séminaire était un monde d'hommes. Certains d'entre nous le ressentaient de façon lancinante. On pourrait témoigner de fantasmes que faisait naître ce monde sans femme. L'absence de la femme se manifestait non seulement dans la vie quotidienne et dans l'organisation institutionnelle mais aussi dans les programmes d'étude et dans notre univers culturel. On ne parlait jamais des femmes ou si on en parlait, comme Racine ou Corneille, c'était en terme grandiloquents. Et lorsqu'on évoque la femme, «c'est en termes propres à refroidir la concupiscence par l'image de la Vierge Marie et de la Mère, donc en termes de pureté et de virginité. Le culte voué à la Sainte-Vierge permettait de présenter la réalité féminine sous un jour édifiant et inoffensif pour nos sens. » (ÉthierBlais, 1992 p.46-47) On loue aussi les grandeurs et la puissance de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie. On la propose comme le plus beau type de femme. « En cette année mariale [….] nous devons chercher refuge au pied de notre MAMAN du ciel; nous devons exposer à notre mère nos problèmes et en particulier celui de notre ÉDUCATION SENTIMENTALE.» […] Car aucune femme après Marie ne peut être belle de la vraie beauté, si elle ne lui ressemble au moins un peu. Et ce type de femme vraiment parfaite, c'est la VIERGE MARIE.» ( " Un beau type de femme: La Vierge Marie" , article écrit en 1954 dans l'Alma Mater par le président de la J.E.C. du Petit Séminaire) De plus, pour consolider ce culte à la Vierge Marie, il y avait au Séminaire plusieurs associations vouées à la Sainte-Vierge. La Confrérie de la Sainte-Vierge qui exigeait la récitation du Petit office de la Sainte-Vierge, Le Chœur Marial et la Congrégation Mariale. « La vie intérieure est le climat de la Congrégation Mariale. La montée des âmes à Dieu ne peut s'accomplir sans une piété intensive où chacun puise lumière et force. Aussi, on ne saurait s'étonner de voir que cet idéal requiert une pureté à toute épreuve. L'Immaculée couvre de son aile tutélaire le cœur simple et pur qui s'est donné à Elle. À titre de chevalier de Notre-Dame, le Congréganiste participe à d'immenses mérites attachés à sa fidélité aux règles. En plus des grâces particulières qu'il reçoit du quart d'heure d'oraison, de la messe et de la communion quotidienne, de la confession hebdomadaire et de la récitation du chapelet, il peut gagner quantité d'indulgences attachées à la moindre de ses prières. Qui peut se permettre la privation de toute cette richesse? […..] Tout nouvel adepte à la Congrégation mariale passe un stage de plus de six mois d'approbation avant sa réception. S'il sort victorieux de cette épreuve, la tâche sera facile par la suite; et c'est avec joie et conviction qu'il s'écriera:" Je me consacre à Vous, ô Vierge Marie. Faites de moi votre Chevalier!" (Article intitulé: " Appel vers les cimes", écrit par un Congréganiste, dans l'Alma Mater de mars-avril 1957) Il m'apparaît que toute la réalité de la sexualité a été vécue aussi avec le plus grand inconfort de la part de nos éducateurs. C'est pourquoi nous avons été marqués par cette 20 éducation, troublée par la crainte obsessionnelle de "l'impureté". Pas beaucoup d’information de base et d'explication sur la sexualité mais de nombreuses exhortations à la pureté; pas d'éclaircissements mais des règles. Mon directeur spirituel me demandait : "Comment cela va-t-il en pureté, mon enfant? " Il continuait " Si tu as des mauvaises pensées, penses à Maurice Richard et au hockey. Fais aussi plus de sport, du sport…" On sentait une incapacité de l’enseignement religieux et moral d’intégrer la sexualité comme réalité positive. Le silence et l’interdit étaient les piliers de cet enseignement. Dans l’ensemble, cet enseignement religieux et le climat moral qui l’entourait ont apporté beaucoup de déception chez plusieurs parmi nous qui s’est traduite soit par de l’indifférence en matière religieuse, soit par de l’incroyance ou même par une opposition à la religion. Personnellement j’ai toujours été frappé par l’apparente indifférence des prêtres, qui assuraient notre formation, aux conflits sociaux, au phénomène de la pauvreté, de la misère, du dénuement ou de l’exploitation que vivait une partie de la société d’où je provenais. Nous avons dû faire des efforts durant notre vie pour retrouver Dieu et Jésus auquel nous étions demeurés sensibles, en nous dégageant de l'enseignement reçu durant notre cours classique. Comme pour la philosophie pouvons-nous porter un constat d'échec sur la religion? Oui. Ces deux enseignements, les plus centraux de notre cours classique, destinés à nous transmettre la vision du monde et les valeurs essentielles, à assurer la cohésion et la cohérence de notre formation ont complètement failli à la tâche. À cette étape-ci du bilan, une question me taraude. Comment avons-nous vécu les écarts ou même les oppositions entre nos aspirations personnelles et ce que l’on nous enseignait? Vers la fin de notre cours classique, il y avait une opposition de plus en plus grande entre le monde ambiant qui nous parvenait par la radio, la télévision, le cinéma, les publications et les livres de tous genres et l’univers du cours classique empreint encore de religiosité, d’autorité et de vérités indiscutables qui étaient indissociables de la culture intellectuelle. On vivait une tension entre notre vie concrète et personnelle et ce qu’on nous enseignait. Souvent notre désir d’une plus grande autonomie et de responsabilité personnelle se heurtait à l’enseignement officiel, à l’Autorité qui nous indiquait les comportements désirables et ceux prohibés. Comment avons-nous vécu toutes ces tensions? Comment avons-nous résolu les conflits entre la grande culture des humanités classiques, qui était la raison d’être des études classiques et aussi la clé de notre accession à "l’élite de demain", et nos aspirations individuelles influencées par le monde ambiant?:Comment avons-nous surmonté les tensions entre ce que nous ressentions, ce que nous désirions pour nous-mêmes et ce qu’on prétendait nous enseigner et la voie qu’on nous pressait de suivre? Quels chemins avons-nous pris? Celui de l’indifférence, du détachement, du cynisme, de la résignation, de la rébellion, de la révolte? Pour ma part, je pense que j’avais pris la voie de la résignation temporaire empreinte de cynisme et d’un certain arrivisme. Je supportais tout ça, sans dire un mot, dans l’espoir de 21 bénéficier un jour des privilèges attachés aux études universitaires, et par là, à l’appartenance à "l’élite de demain". Car être franc et honnête, cela aurait signifié la porte, c'est-à-dire la fin des études avec toutes les conséquences : réprobation de la part de mes parents qui s’étaient sacrifiés pendant des années pour m’envoyer au Petit Séminaire, perte de prestige, pauvreté éventuelle. Les loisirs, les jeux, les sports et les activités parascolaires Le Petit Séminaire faisait des efforts pour nous impliquer dans des activités qu’on pourrait appeler "un loisir sérieux" qui prolongeaient en quelque sorte l’enseignement reçu en classe et visaient à développer nos compétences et nos qualités de membre futur de l’élite de la société : écriture, élocution, analyse, recherche, réflexion. Il y avait par exemple une académie ou un cercle à vocation essentiellement littéraire comme la Société Saint-Dominique avec ses différentes sections : art dramatique, déclamation, éloquence. Existait aussi l’Académie Saint-François-de-Sales qui avait pour but d'encourager les succès académiques et de récompenser les mérites scolaires. La JEC (Jeunesse étudiante catholique) qui essayait de nous initier à une nouvelle spiritualité, de nous faire comprendre le rôle du laïcat et comment le christianisme peut s’incarner dans les réalités temporelles. On pouvait aussi s'engager dans la Société Saint-Vincent de Paul ou le Cercle Dubuc de l’A.J.C. (Association de la jeunesse canadienne). Cette dernière association visait à nous intéresser aux questions sociales, nationales et internationales. Sa devise était : "L'amour de Dieu et de la patrie". (On l'avait appelé le Cercle Dubuc en l'honneur de J.-E.A. Dubuc, ancien député du comté de Chicoutimi et financier bien connu dans la région) Il y avait enfin la troupe de scouts Saint-Dominique Savio et les Équipiers de Saint-Michel qui, tout en demeurant studieux, nous engageaient dans une forte activité physique. Enfin existait le Conseil du Philosophat où trois de nos confrères y siégeaient: Vital comme président, Jean-Luc Tremblay comme conseiller et Gérard Guay en tant que doyen des élèves. Selon Vital: «…. les buts du Conseil étaient d'établir des liens entre les autorités et les élèves……de donner aux confrères le goût de participer en grand nombre aux organismes du Séminaire; de faire en sorte que notre vie soit de plus en plus enrichissante et agréable; de voir aux relations extérieures que nous pouvons avoir avec d'autres institutions…. Le Philosophat, avec son Conseil et ses différents organismes, constitue une force qui favorise " les relations humaines". Je suis certain avec mes confrères qu'un tel rouage formera une excellente atmosphère. Évidemment l'esprit qui doit se créer est appelé à se parfaire encore, mais, ce qui s'est déjà fait cette année est franchement formidable ». (Les organismes du Philosophat, dans l'Alma Mater, novembre-décembre 1961) Outre tous ces loisirs studieux, on trouvait aussi une gamme diversifié de sports et de jeux individuels et collectifs: hockey, le "petit hockey", tennis, balle au mur, balle molle, billard, ping-pong, ballon volant, ballon panier, ballon prisonnier, croquet, pétanque, le drapeau etc. Les jeux et les sports m'apparaissaient en marge de l'effort éducatif et ils jouaient un rôle sommaire. Ils n'étaient pas vraiment intégrés au programme scolaire. C'est seulement vers la fin de notre cours classique, qu'il y a eu des cours d’éducation physique obligatoires, deux fois trente minutes par semaine. Mais en général les jeux et les sports aidaient plutôt à notre retour discipliné en classe ou dans la salle d'étude parce 22 qu'on s'était vidé de nos capacités d'agitation physique. Ils pouvaient aussi nous protéger des risques "d'activités vicieuses", nous menaçant comme adolescents et jeunes hommes, répétaient nos directeurs spirituels. Les équipements de gymnase et de sports étaient réduits à leur plus simple expression "antédiluvien" même. Je me souviens qu'on jouait au ballon panier dans le gymnase extérieur sur un plancher plein de trous où il fallait être très alerte pour courir avec le ballon et en même temps ne pas enfiler dans l'un ou l'autre de ces trous. Durant toutes ces années, je me suis très peu impliqué dans les activités parascolaires. J’ai canalisé mes énergies dans les sports, particulièrement le baseball. Plus tard j’ai regretté de ne pas m’être engagé dans certaines des activités parascolaires mentionnées plus haut. Avec les autres étudiants j’aurais pu vivre certainement des éléments de formation et des expériences intéressantes et enrichissantes tant au plan affectif que social. Les expériences culturelles Nos expériences culturelles les plus fortes vécues au Petit Séminaire résultaient pour l’essentiel des rencontres avec la littérature et à l’occasion avec la musique et le théâtre. La littérature et la lecture Pour plusieurs parmi nous, nos années de Petit séminaire ont été l'occasion de découvrir la littérature et la lecture que rendait accessible, de façon beaucoup plus grande, l’arrivée de la très économique formule du "Livre de Poche". Avec soixante sous, nous pouvions lire un grand livre! Avec quelles œuvres et quels auteurs avons-nous été mis en présence durant notre cours classique? Même si nous avions été plongés pendant six ans dans l'étude du grec ancien et du latin, la littérature de l'Antiquité grecque et latine est demeurée une affaire essentiellement scolaire. Ce qui m'avait le plus marqué étaient les grandes sagas du vieil Homère. Cet enseignement ne m’a pas développé un intérêt et une recherche personnelle durable pour les lettres de l'Antiquité. Par contre la littérature française était l’univers privilégié du cours classique. Le Moyen-âge m’a laissé peu de traces. J’ai connu certaines pages par les morceaux choisis : la chanson de Roland, Tristan et Iseult, le Roman de la Rose. Je me rappelle que le 16ième siècle avait fait une apparition discrète et ténue avec Montaigne, Pascal et Rabelais. Je pense qu’il y avait dans ce siècle des auteurs trop irrévérencieux et nos professeurs n’étaient pas trop empressés de nous les faire découvrir et approfondir. Par ailleurs les auteurs du Grand Siècle, celui du 17ième siècle, occupaient beaucoup de place. On a fréquenté, lu et travaillé intensément, parfois mémorisé, en morceaux choisis et en œuvres intégrales Boileau, Bossuet, Corneille, La Bruyère, La Fontaine, Molière, Racine. On sentait que les auteurs de ce siècle jouissaient de la sanction officielle du Petit 23 Séminaire et des professeurs. C’est sûr que cela leur créait, d’autorité, une audience auprès de nous mais au bout du compte il ne m’est pas resté une passion étendue et profonde pour ces auteurs. Je me souviens aussi qu’on avait passé assez rapidement le 18ième siècle, celui de Montesquieu, de Voltaire, de Diderot, de Jean-Jacques Rousseau, de l’Encyclopédie, etc. La lecture de ces auteurs n’étaient pas spécialement encouragée, hormis, ici où là quelques textes dans les morceaux choisis. Le 19ième siècle, le siècle romantique, était beaucoup plus présent dans notre vie et chez certains d’entre nous, il a exercé une séduction puissante et durable. À part la forte présence de Chateaubriand, il y avait aussi Victor Hugo, Lamartine, Musset, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud et Mallarmé. Parmi les romanciers Alphonse Daudet, Alexandre Dumas, Flaubert, Stendhal, Zola, etc. La littérature française du 19ième siècle nous offrait une nourriture culturelle très variée à laquelle nous étions plus sensibles. Enfin la littérature du 20ième siècle avec les grands écrivains contemporains tels que Gide, Duhamel, Mauriac, Proust, Bernanos, Claudel et Péguy a été étudié mais il me semble de façon moins profonde que la littérature du 19ième siècle. Par contre les romans de cette époque étaient appréciés grâce à l’arrivée dans les librairies des œuvres en collection de poche. Gide, Sartre, Camus, Proust, Dostoïevki étaient populaires. Même si au cours des dernières années de notre cours, nous avions accès à une diversité plus grande de livres, il fallait faire preuve de grande prudence. Nos professeurs se méfiaient toujours des lectures auxquelles nous nous adonnions et les prescriptions de l’Index étaient toujours en vigueur. Évidemment, cet interdit ne faisait que stimuler notre curiosité et notre appétit. Il reste que le cours classique nous a permis d’avoir accès à plusieurs des plus importants écrivains français de l’époque et que la lecture de ces livres nous a permis de contracter des goûts souvent durables. Dans toute cette littérature française, il n’était guère fait écho à la littérature canadiennefrançaise ou québécoise contemporaine. Elle se résumait à peu de chose; surtout Félix Leclerc. Cette littérature ne m’a pas rejoint et je n’ai pas été touché par elle. De tout l’immense univers littéraire qui se déployait dans les autres langues que le français, à commencer par l’anglais, il ne se trouve que quelques traces dans ma mémoire : Dostoïevski, Hamlet, Charles Dickens, Tolstoï. Le goût de découvrir la littérature fut incertain chez moi. Mais à certains moments de mon cours, la lecture et la littérature m’ont servi de refuge contre l’ennui du Séminaire et m’ont permis de m’échapper vers un monde plus merveilleux. La musique L’expérience musicale durant notre cours classique prenait des formes multiples. Le chant faisait partie de notre programme de cours des Éléments latins jusqu’en Belles24 lettres. Un premier contact avec la musique, s’effectuait dans le cadre des pratiques liturgiques. Les cérémonies religieuses, qui ponctuaient la vie quotidienne, s’accompagnaient de musique. On écoutait l’orgue, la chorale et Georges-Marie Coulombe à la chapelle et on était aussi appelé à chanter. La musique était aussi expérimentée dans d’autres registres comme la Fanfare, l’Union Sainte-Cécile qui était la chorale du Petit Séminaire, le Chœur Marial, l’Orchestre à cordes. Quelques-uns parmi nous s’adonnaient sérieusement à l’apprentissage d’un instrument : piano, violon guitare, orgue. Il était aussi possible d’apprendre à connaître la musique particulièrement la musique dite classique avec les concerts des Jeunesses musicales du Canada auxquels on était obligé de s’abonner et d’assister. Le théâtre Avec la littérature et la musique¸ le théâtre constituait le troisième pan de notre univers culturel. À quelques reprises durant notre cours classique, nous avons pu assister à des pièces de théâtre présentées par le Théâtre Universitaire Canadien. Je me rappelle particulièrement des Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, de l’Avare, du Malade imaginaire et des Femmes savantes de Molière, d’Andromaque de Racine, de Polyeucte de Corneille, de Topaze de Marcel Pagnol et des comédiens et comédiennes, Hélène Loiselle, Gilles Pelletier, Yvon Deschamps. Autres expériences culturelles Je me souviens aussi qu'il y avait au Petit Séminaire un cercle des Beaux-Arts, animé par l'abbé Jean-Paul Vincent, qui organisait des rencontres, une fois par semaine, de façon volontaire, après le dîner, pour nous faire connaître les grand peintres. L'abbé Vincent nous montrait et expliquait les peintures de ces grands maîtres. De plus, au Philosophat, on avait un comité culturel et même un ciné-club. Les préoccupations du comité culturel selon Aldéi, qui en était le président.." étaient de favoriser une utilisation rationnelle de notre salle de musique, d'organiser des conférences et des débats oratoires. De plus, une exposition permanente des chefs-d'œuvre de la peinture est en voie de réalisation et nous tâchons de patronner (si le terme est encore admis) les émissions culturelles de la télévision." Quant au ciné-club, il avait pour " principal but de donner une certaine formation cinématographique à ses membres par l'étude des films" selon son président, notre confrère, Léon-Maurice. J'ai également souvenance que l'Alma Mater jouait aussi un rôle culturel. En effet tout en publiant les chroniques du Petit Séminaire et des anciens, ce journal nous donnait la possibilité de nous exprimer et de traiter de nos expériences et découvertes culturelles en littérature, musique et théâtre. En même temps, nous avions la chance de faire l'apprentissage de l'écriture journalistique. Selon mon souvenir. les arts plastiques, la peinture et la sculpture n'étaient pratiquement pas présentes dans notre univers culturel. 25 Enfin il faut souligner que vers la fin des années de notre cours classique nous avons eu accès à d’autres ressources culturelles plus diversifiées et abondantes comme la radio, la télévision et le cinéma. Ces média nous faisaient découvrir à la fois une culture proprement québécoise, pensons aux radios-romans : Jeunesse dorée, la Pension Velder, la famille Plouffe, mais aussi une culture française et américaine avec plus de modernité. Tous ces nouveaux domaines culturels ont eu pour conséquence de relativiser la culture officielle transmise par notre cours classique. Tout cet univers culturel nous rendait plus indifférents aux valeurs véhiculées par le cours classique. On se laissait séduire par des personnages et des modèles porteurs de valeurs bien différentes des modèles peuplant le monde du Petit Séminaire. Cet impact des médias dans notre vie quotidienne n’a pu avoir pour effet que de creuser encore plus l’écart entre le Petit Séminaire et l’univers qui l’entourait. L’ouverture sur le monde L’ouverture au monde ne s’étendait pas plus loin que notre pays d’appartenance. En principe, les cours de latin, de grec, de français, d’anglais et d’histoire auraient pu fournir l’occasion de découvrir d’autres sociétés, d’autres cultures, d’autres civilisations. Mais comme mentionné plus haut, les enseignements reçus ont révélé les limites de l’ouverture au monde. Certes la visite, le soir dans notre salle d’étude, d’un missionnaire venu de pays exotiques, avait pu projeter brièvement un éclairage sur ces contrées lointaines et mystérieuses. D'autre part le Petit Séminaire, qui voulait former les élites de demain, aurait dû nous ouvrir aussi à la vie politique, qui constitue un angle privilégié d’ouverture sur le monde, au nationalisme et aux autres réalités du monde environnant. Paradoxalement il n’en fut rien. Selon mes souvenirs il n’y a pas de professeur ou très peu qui nous ont vraiment aidé à comprendre l’univers politique dans lequel on serait appelé à vivre. Au total l’ouverture au monde et à son inépuisable diversité était assez limitée. De plus nous ne disposions pas beaucoup de moyens pour connaître ce vaste monde : peu de journaux et de périodiques circulaient librement à l’exception du Devoir et de l’Action catholique, tous les deux conformes à l’orthodoxie religieuse régnante, la radio était rationnée de même que la télévision. Bref l’expérience de la diversité du monde, de la richesse de la multiplicité des cultures et des civilisations ne m’ont pas apparu constituer une expérience formatrice fondamentale et décisive. Parfois la littérature française nous révélait des façons différentes d’être, de sentir et de saisir le monde, mais c’était tout. La remise en cause profonde de nous-mêmes et de notre culture d’origine, qu’aurait pu provoquer la rencontre de l’autre et du différent, ne s’inscrivait pas parmi les expériences formatrices vécues. Peu de découvertes des civilisations étrangères venaient perturber notre sereine immersion dans notre culture d’origine. 26 Les choix de vie À quel choix de vie le Petit Séminaire nous invitait-il? Le Séminaire se voulait en particulier une pépinière de vocations religieuses. La Constitution du Petit Séminaire était bien claire là-dessus. À l’article deux on pouvait lire ceci : « Comme le dit Mgr Dominique Racine dans son Ordonnance…. attendu que le Petit Séminaire de Chicoutimi, fondé et doté dans un but religieux, doit être considéré comme un bien de l’Église, dont la haute surveillance et l’administration appartient à l’Évêque ….. Cependant, une obligation spéciale est faite au Supérieur de veiller à ce que la présence de ceux qui ne se destinent pas au sacerdoce ne nuise en rien à la formation morale des futurs prêtres ». (Extraits des règlements) Pour l'abbé L.-J. Drouin, le but et les préoccupations premières du Petit Séminaire sont les vocations sacerdotales: « Le premier but du Petit Séminaire est de former des prêtres. Effectivement, c'est la grande préoccupation de tout le personnel, l'objectif ultime de toute activité et, pour ainsi dire, l'orientation de toute la vie de la maison. Lorsqu'est venue la fin de l'année et que nous tâchons d'évaluer le succès de notre œuvre, nous étudions sans doute les résultats des baccalauréats, mais c'est surtout le nombre des vocations sacerdotales qui attire notre attention.» (Article de l'abbé Drouin intitulé "Notre triduum de vocations" dans l'Alma Mater, 1954) Le système d’éducation privilégiait donc résolument une orientation vers la vie religieuse, assorti aussi de pratiques religieuses fréquentes, d’invitations plus ou moins discrètes. Le silence sur la vie laïque, l’absence de préparation au mariage, qui serait le lot de la grande majorité d’entre nous, illustraient le privilège accordé à la vie religieuse. De plus pour accroître les chances de faire éclore des vocations religieuses, le Petit Séminaire organisait à la fin de la Rhétorique et de la Philo II la retraite des vocations, qui se tenaient à la Villa Saint-Ignace ou au Grand Séminaire sur la rue Chabanel. Pendant quelques jours, nous étions soustraits à la routine quotidienne et plongés corps et âme dans un bain d’exercices spirituels, de prédications, de confessions et de méditations dans le silence dont on espérait qu’il rendrait audible l’appel à la vie religieuse. « De multiples avantages sont attribués à la pratique de la retraite. Dans certains cas, la retraite fermée, en purifiant l'âme prévient du coup d'innombrables fautes mortelles. La retraite peut amener l'arrêt plus ou moins définitif d'une mauvaise habitude et constituer la première occasion sérieuse et profonde de conversion. Dans d'autres cas, la retraite permet l'affermissement d'une vie d'état de grâce quasi habituel et en instruisant sur les difficultés de l'adolescence fortifie contre les dangers spirituels, les tentations. Il se trouve des élèves pour qui la retraite est à l'origine de certaines vocations religieuses ou sacerdotales. Le grand bienfait de la retraite, qui arrache l'élève aux activités routinières de la vie scolaire est la révélation concrète de la vie surnaturelle qui atteint d'ailleurs, en ces heures de solitude une singulière intensité. La retraite rend directement possible l'action de Dieu dans les âmes des jeunes retraitants et en cinq minutes la grâce peut produire en l'âme d'un jeune en méditation des fruits dépassant la portée de tous les 27 sermons du prédicateur». (Demers, Jean-Paul s.j., Retraite fermées pour jeunes garçons, Collège et famille, 11/1, 1954, p. 15-17) La retraite de vocation prenait donc figure de rite de passage consacré; mais qui, le plus souvent, conduisait à une vie dans le monde. À défaut de former des prêtres et des religieux, le Petit Séminaire produisait d’autres variétés de clercs appartenant à des professions nobles : avocats, médecins, notaires. S’offraient aussi à nous d’autres voies, y incluant les sciences sociales. Le Petit Séminaire aimait que nous allions dans le monde comme prêtres ou religieux c'est-à-dire comme des gens qui sont dans le monde sans être entièrement dans le monde. Il se résignait à nous voir partir pour exercer d'autres professions: ingénieurs, psychologues, architectes… Je n’ai pas senti de la part de nos éducateurs qu’ils nous avaient donné le goût du monde, qu’ils nous avaient insufflé la passion de s’engager et de changer le monde par une œuvre scientifique, artistique, technique ou intellectuelle. Nos années de Petit Séminaire furent-elles heureuses? Au-delà de toutes ces considérations, des expériences vécues et des convictions acquises au cours de la vie, il est tentant de nous porter sur un autre registre, celui des sentiments, en nous posant la question suivante : Nos années de Petit Séminaire furent-elles heureuses? Pour ma part, malgré les limites intellectuelles ou pédagogiques de professeurs, malgré les limites imposées à notre ouverture culturelle, malgré le climat moral parfois étouffant, le Petit Séminaire de Chicoutimi me laisse un souvenir positif. Il a été l’occasion d’un éveil de mon esprit qui se transformera par la suite en une recherche du savoir et de la culture. Il y a eu des moments heureux pendant mon cours classique mais je conserve quand même un souvenir partagé d’années tantôt agréables, tantôt beaucoup moins le fun, que je n’aimerais pas revivre, moins en tout cas que mes années d’enfance. Un point sur lequel je voudrais particulièrement insisté c’est que le bilan de notre cours classique ne s’exprime pas seulement quant à l’expérience intellectuelle et culturelle mais il peut aussi se formuler en terme plus affectif. À ce niveau mon souvenir demeure encore très vivace, extraordinaire et très positif. Vivre quatre, sept ou huit années consécutives a transformé notre communauté masculine, dirigée par des hommes en soutanes, en une fraternité élargie qui perdure encore, même après 52 ans! Nos conventums en sont la preuve vivante. C’est extraordinaire! On peut dire que notre cours classique nous a marqué d’une empreinte durable, une empreinte qui nous distingue probablement des générations qui ont connu plutôt l’univers de la polyvalente et du CÉGEP. On l’oublie, peut-être, mais la période où nous avons fait notre cours classique, était celle du chant du cygne et nous avons été la dernière génération à fréquenter le Petit Séminaire et le cours classique comme nous l’avons connu. 28 Références qui m’ont été précieuses pour faire ce travail CORBO, CLAUDE, LA MÉMOIRE DU COURS CLASSIQUE . LES ANNÉES AIGRES -DOUCES DES RÉCITS AUTOBIOGRAPHIQUES , ÉDITIONS L OGIQUES , 2000 LES ANNUAIRES DU PETIT SÉMINAIRE DE CHICOUTIMI , 1954-1962 L'ALMA MATER DU PETIT SÉMINAIRE DE CHICOUTIMI , 1954-1962 Gérard Talbot, Montréal, 29 février 2012 Courriel: [email protected] 29