Note de synthèse 2014

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ANNALES
OFFICIELLES
2014
concours
ecricome
tremplin 2
ÉPREUVE ÉCRITE
zN
ote de synthèse
www.ecricome.org
concours
ecricome
tremplin 1
ESPRIT DE L’ÉPREUVE
sUJET
corrigé
RAPPORt
esprit de l’épreuve
L’épreuve de synthèse de texte comporte deux parties : la rédaction d’une note de synthèse et
la présentation d’une réflexion argumentée.
La première exige la compréhension et l’analyse de plusieurs extraits (le plus souvent trois)
de façon à en dégager l’essentiel, à restituer la pensée des auteurs et à confronter leurs
divers points de vue, pour finalement rédiger une synthèse de ces approches.
La seconde consiste en la composition d’une réflexion brève mais illustrée et argumentée.
Dans les deux cas il s’agit d’évaluer la maîtrise par les candidats de l’expression écrite
française, tant dans la compréhension de ses subtilités que dans sa formulation structurée
et précise. La synthèse exige des qualités de jugement, en particulier l’art de distinguer
l’essentiel de l’accessoire. La réflexion permet au candidat d’exprimer son originalité et sa
maîtrise de l’argumentation.
Les extraits et le sujet de la réflexion portent sur un même thème de culture générale, soit
classique voire traditionnel, soit lié à l’actualité.
SUJET
Cet exercice comporte deux parties OBLIGATOIRES : synthèse et réflexion argumentée.
■ Synthèse
(60% de la note)
Le candidat rédigera une note de synthèse, titrée, présentant les idées essentielles des trois
textes de ce dossier sans aucun jugement personnel ainsi qu’en évitant toute citation ou toute
paraphrase. Il confrontera les points de vue exposés par les auteurs sur l’objet commun de
leurs réflexions. Confronter signifie mettre en valeur les convergences et les divergences
entre les auteurs, ce qui implique bien évidemment que chaque idée soit attribuée à son
auteur désigné par son nom.
Cette note comportera 550 mots (+ ou - 50 mots). Toute tranche entamée de 25 mots, au-delà
ou en deçà de ces limites, entraînera une pénalisation d’un point avec un maximum de deux
points retranchés. Le titre ne compte pas dans le nombre de mots. Les références aux auteurs
et aux textes cités sont comptabilisées.
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tremplin 1
ESPRIT DE L’ÉPREUVE
sUJET
corrigé
RAPPORt
On appelle mot toute unité typographique limitée par deux blancs, par deux signes
typographiques, par un signe typographique et un blanc ou l’inverse. Les lettres euphoniques
ne sont pas considérées comme des mots. Un millésime (2008 par exemple) est un mot. La
mention d’un auteur (patronyme voire prénom et patronyme) est comptabilisée comme un
mot. À titre d’illustration : « c’est-à-dire » compte pour 4 mots, « aujourd’hui » pour deux mots
et « va-t-on » pour deux mots, car « t » y étant la lettre euphonique, ne compte pas.
Le candidat indiquera le nombre de mots à la fin de sa synthèse. Il insérera dans le texte de sa
note de synthèse, tous les cinquante mots, une marque très visible, faite à l’encre et composée
de deux traits : //, cette marque sera répercutée dans la marge. Il donnera aussi un titre à
la synthèse du dossier. Ce titre ne compte pas dans le nombre de mots mais il sera pris en
compte pour affiner la notation.
Les éléments de la notation seront les suivants :
• perception de l’essentiel (c’est-à-dire compréhension des idées et élimination de l’accessoire,
aptitude à mettre en évidence les points communs et les divergences), pertinence du titre.
• composition d’un compte-rendu aussi fidèle et aussi complet que possible (c’est-à-dire
restituant exhaustivement la confrontation). La synthèse doit être entièrement rédigée et ne
pas comporter d’abréviations ou de noms d’auteurs entre parenthèses par exemple.
• clarté de la synthèse (c’est-à-dire aptitude à présenter clairement la question et à élaborer
un plan rigoureux et pertinent envisageant successivement les différents aspects du thème,
capacité à faire ressortir nettement ce plan par la présence de très courtes introduction
et conclusion obligatoires ainsi que par la présentation des idées dans des paragraphes
distincts, éventuellement en ouvrant chaque partie à l’aide d’une question).
• présentation matérielle et expression : orthographe, syntaxe, ponctuation, accentuation,
qualité du style, vocabulaire (clarté et précision, absence d’impropriétés, maîtrise des
polysémies). Un barème de pénalisation sera appliqué en cas d’inobservation des règles de
l’expression écrite : 3 fautes = -1 point,
6 fautes = -2 points.
• le retrait maximal de points pour la formulation est de deux points.
• respect des consignes données. En cas de non-respect des consignes autres que celles
portant sur la formulation ou la quantité de mots, il sera enlevé au maximum un point.
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sUJET
corrigé
RAPPORt
■ Réflexion argumentée
(40 % de la note)
Ensuite le candidat répondra en 120 à 150 mots maximum à la question suivante :
Sujet : Faut-il condamner l’appât du gain ?
Le candidat justifiera sa réponse, personnelle, avec un ou deux arguments essentiels qu’il
peut éventuellement illustrer.
TEXTE N° 1
En effet un tel signalement est indispensable pour nous entendre clairement sur l’objet de
notre étude. C’est pourquoi nous allons nous référer à un document de cet « esprit », dans
sa pureté presque classique, qui contient ce que nous cherchons ici. Il offre en même temps
l’avantage d’être dépourvu de toute relation directe avec la religion, donc, en ce qui concerne
notre thème, dépourvu d’idées préconçues :
« Souviens-toi que le temps, c’est de l’argent. Celui qui, pouvant gagner dix shillings par jour
en travaillant, se promène ou reste dans sa chambre à paresser la moitié du temps, bien que
ses plaisirs, que sa paresse, ne lui coûtent que six pence, celui-là ne doit pas se borner à
compter cette seule dépense. Il a dépensé en outre, jeté plutôt, cinq autres shillings.
Souviens-toi que le crédit, c’est de l’argent. Si quelqu’un laisse son argent entre mes mains
alors qu’il lui est dû, il me fait présent de l’intérêt ou encore de tout ce que je puis faire de
son argent pendant ce temps. Ce qui peut s’élever à un montant considérable si je jouis de
beaucoup de crédit et que j’en fasse bon usage.
Souviens-toi que l’argent est, par nature, générateur et prolifique. L’argent engendre l’argent,
ses rejetons peuvent en engendrer davantage, et ainsi de suite.
Cinq shillings qui travaillent en font six, puis se transforment en sept shillings trois pence,
etc., jusqu’à devenir cent livres sterling. Plus il y a de shillings, plus grand est le produit
chaque fois, si bien que le profit croît de plus en plus vite. Celui qui tue une truie, en anéantit
la descendance jusqu’à la millième génération. Celui qui assassine [sic] une pièce de cinq
shillings, détruit tout ce qu’elle aurait pu produire : des monceaux de livres sterling.
Souviens-toi du dicton : le bon payeur est le maître de la bourse d’autrui. Celui qui est connu
pour payer ponctuellement et exactement à la date promise, peut à tout moment et en toutes
circonstances se procurer l’argent que ses amis ont épargné. Ce qui est parfois d’une grande
utilité. Après l’assiduité au travail et la frugalité, rien ne contribue autant à la progression
d’un jeune homme dans le monde que la ponctualité et l’équité dans ses affaires. Par
conséquent, il ne faut pas conserver de l’argent emprunté une heure de plus que le
temps convenu ; à la moindre déception, la bourse de ton ami te sera fermée pour toujours.
Il faut prendre garde que les actions les plus insignifiantes peuvent influer sur le crédit d’une
personne. Le bruit de ton marteau à 5 heures du matin ou à 8 heures du soir, s’il parvient à ses
oreilles, rendra ton créancier accommodant six mois de plus ; mais s’il te voit jouer au billard,
ou bien s’il entend ta voix dans une taverne, alors que tu devrais être au travail, cela l’incitera
à te réclamer son argent dès le lendemain ; il l’exigera d’un coup, avant même que tu l’aies à
ta disposition pour le lui rendre.
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RAPPORt
Cela prouvera, en outre, que tu te souviens de tes dettes ; tu apparaîtras comme un homme
scrupuleux et honnête, ce qui augmentera encore ton crédit.
Garde-toi de penser que tout ce que tu possèdes t’appartient et de vivre selon cette pensée.
C’est une erreur où tombent beaucoup de gens qui ont du crédit.
Pour t’en préserver tiens un compte exact de tes dépenses et de tes revenus. Si tu te donnes la
peine de tout noter en détail, cela aura un bon résultat : tu découvriras combien des dépenses
merveilleusement petites et insignifiantes s’enflent jusqu’à faire de grosses sommes,
tu t’apercevras alors de ce qui aurait pu être épargné, de ce qui pourra l’être sans grand
inconvénient à l’avenir »
[ ... ].
Pour six livres sterling par an, tu pourras avoir l’usage de cent livres, pourvu que tu sois un
homme dont la sagesse et l’honnêteté sont connues.
Celui qui dépense inutilement chaque jour une pièce de quatre pence, dépense inutilement
plus de six livres sterling par an, soit le prix auquel revient l’utilisation de cent livres.
Celui qui gaspille inutilement chaque jour la valeur de quatre pence de son temps, gaspille
jour après jour le privilège d’utiliser cent livres sterling.
Celui qui perd inutilement pour cinq shillings de son temps, perd cinq shillings ; il pourrait
tout aussi bien jeter cinq shillings dans la mer.
Celui qui perd cinq shillings, perd non seulement cette somme là, mais aussi tout ce qu’il
aurait pu gagner en l’utilisant dans les affaires, ce qui constituera une somme d’argent
considérable, au fur et à mesure que l’homme jeune prendra de l’âge. »
C’est Benjamin Franklin1 qui nous fait ce sermon — avec les paroles mêmes que Ferdinand
Kümberger dans son « image de la civilisation américaine », débordante d’esprit et de fiel,
raille en tant que profession de foi supposée du Yankee. Qui doutera que c’est l’« esprit du
capitalisme » qui parle ici de façon si caractéristique, mais qui osera prétendre que tout
ce qu’on peut comprendre sous ce concept y soit contenu ? Arrêtons-nous encore un instant
sur ce texte dont Kümberger résume ainsi la philosophie : « Ils font du suif avec le bétail, de
l’argent avec les hommes. » Le propre de cette philosophie de l’avarice semble être
l’idéal de l’homme d’honneur dont le crédit est reconnu et, par-dessus tout, l’idée que le
devoir de chacun est d’augmenter son capital, ceci étant supposé une fin en soi. En fait, ce
n’est pas simplement une manière de faire son chemin dans le monde qui est ainsi prêchée,
mais une éthique particulière. En violer les règles est non seulement insensé, mais doit être
traité comme une sorte d’oubli du devoir. Là réside l’essence de la chose. Ce qui est enseigné
ici, ce n’est pas simplement le « sens des affaires » — de semblables préceptes sont fort
répandus — c’est un éthos. Voilà le point qui précisément nous intéresse.
Max WEBER L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1947)
traduction Jacques CHAVY (révisée par Louis DUMONT et Éric de DAMPIERRE)
Éditions Plon
1 La dernière citation est extraite de Necessary Hints to Those that Would Be Rich (écrit en 1736) [Œuvres, éd. Sparks, II, p.
80], le reste provient de l’Advice to a Young Tradesman (écrit en 1748), [éd. Sparks, 11, pp. 87 et suiv.] Les italiques figurent
dans le texte de Franklin. 5
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TEXTE N° 2
L’ensemble de ces points ramène au motif fondamental quant à la position de l’argent : il est
le moyen absolu qui, pour cette raison même, s’élève à la signification psychologique
d’une fin absolue. En une formulation qui n’est certes pas tout à fait logique, on a pu dire que
le seul absolu était la relativité des choses : l’argent, assurément, en est le plus fort symbole,
et le plus direct. Car il est la relativité des valeurs économiques faite substance, il est le sens
de chacune d’elles, comme moyen d’en acquérir une autre — mais il est véritablement ce
sens comme simple moyen, détaché de son support concret, singulier. Et c’est précisément
par là qu’il peut psychologiquement devenir une valeur absolue, n’ayant pas à craindre la
dissolution dans le relatif à cause de quoi tant de valeurs, d’emblée substantielles, n’ont pu
maintenir leur prétention à l’absolu. Dans la mesure où l’absolu de l’existence (je ne parle pas
ici du sens idéel des choses), se dissout en mouvements, rapports, évolutions, ces derniers
prennent la place du premier, pour nos besoins de valeur également. Le domaine de l’économie
a fourni un parfait exemple de ce type historique, dans la valeur absolue de l’argent sur le
plan psychologique : ici, comme on peut le remarquer en présence de certains malentendus
populaires, l’égalité formelle de cette évolution dans tous les domaines n’implique pas
nécessairement une évolution également heureuse.
Quand, pour un individu, le caractère de finalité de l’argent outrepasse ce degré d’intensité où
il devient l’expression adéquate de la civilisation économique de son milieu, alors apparaissent
les phénomènes de cupidité et d’avarice. Je souligne expressément que ces notions
dépendent des conditions économiques respectives, parce que la même quantité absolue de
passion, investie pour acquérir et retenir l’argent, peut être tout à fait normale, adéquate, ou
appartenir à ces catégories hypertrophiques, selon que l’argent a telle ou telle signification.
En général, la limite où commence la cupidité proprement dite se placera très haut dans une
économie monétaire très développée, vivante, mais relativement bas dans des phases plus
primitives, tandis que c’est l’inverse pour l’avarice. Quiconque, dans des conditions étroites
et peu exposées aux mouvements de l’économie monétaire, passe pour économe et
rationnel dans ses dépenses, paraîtra déjà avare dans les conditions larges des transactions
rapides, des gains et des dépenses faciles. On voit déjà ici — et ce sera de plus en plus évident
par la suite — que la cupidité et l’avarice ne sont nullement des phénomènes convergents,
même s’ils ont en commun la même base, l’argent comme finalité absolue. Toutes deux
représentent simplement, comme tous les phénomènes qui ressortissent à l’argent, des
degrés particuliers de tendances, dont les stades inférieurs ou supérieurs apparaissent aussi
avec d’autres contenus. Toutes deux aussi se manifestent en présence d’objets concrets, sans
rapport avec leur valeur monétaire, dans cette manie de collectionner, très remarquable sur le
plan psychologique, que l’on rencontre chez des personnalités communément comparées aux
hamsters : elles engrangent de précieuses collections de toutes sortes, sans tirer jouissance
des objets eux-mêmes et souvent même sans continuer à s’y intéresser. Le réflexe subjectif
de l’avoir, qui d’habitude pousse à acquérir et à posséder, n’est pas ce qui porte ici la valeur,
mais le simple fait, strictement objectif et sans autre conséquence personnelle, que ces
choses sont justement en leur possession : voilà ce qui en fait le prix pour ces personnalitéslà. Ce phénomène, très courant sous une forme limitée, atténuée, est généralement qualifié
tout uniment d’égoïsme : avec les formes habituelles de ce dernier il partage le côté négatif,
l’exclusion de tous les autres de sa possession à soi, cependant il diffère de celles-ci par une
nuance que l’on va décrire en prenant le détour suivant.
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sUJET
corrigé
RAPPORt
Il faut toujours rappeler que l’opposition entre égoïsme et altruisme ne suffit pas à englober
toutes les motivations de nos actions. Il existe également pour nous, effectivement, un
intérêt objectif à ce que certains événements ou certaines choses se réalisent ou non, et ceci
indépendamment des conséquences possibles pour quiconque. Il est important pour nous
que règnent dans le monde une harmonie, un ordre idéel, une signifiance — sans qu’ils aient
besoin de se conformer aux schémas courants de l’éthique ou de l’esthétique — et nous
nous sentons appelés à y collaborer, sans pourtant demander si cela doit apporter plaisir ou
avantage à quelque personnalité, à toi ou à moi.
Georg SIMMEL Philosophie de l’argent (1900) traduction Sabine CORNILLE et
Philippe IVERNEL Éditions PUF
TEXTE N° 3
C’est en direction des améliorations qu’il est possible d’apporter à la technique du capitalisme
moderne au moyen de l’action collective, que toutes ces réflexions se sont portées. Il n’y a rien
en elles qui soit sérieusement incompatible avec ce qui me semble être la caractéristique
essentielle du capitalisme, je veux dire l’utilisation d’un appel intense aux instincts de lucre de
l’individu comme principale force faisant fonctionner la machine économique. Et il ne convient
pas non plus que, si près de ma conclusion, je m’égare vers d’autres sujets. Cependant je
ferais bien peut-être de vous rappeler, pour finir, que les combats les plus violents et les plus
profondes dissensions de l’opinion tourneront probablement dans les prochaines années non
point autour de questions techniques qui appellent de part et d’autre des arguments surtout
économiques, mais autour des questions que, faute de meilleurs mots, nous pouvons appeler
psychologiques ou même morales.
L’Europe, ou à tout le moins certaines parties de l’Europe, connaissent une réaction latente et
assez répandue contre l’habitude de faire reposer aussi largement tout le système social sur
la stimulation, l’encouragement et la protection des mobiles pécuniaires chez les individus.
Les États-Unis, cependant, ne connaissent pas cette réaction hostile, me semble-t-il. Si nous
préférons organiser notre vie de manière à faire jouer aussi peu que possible les mobiles
pécuniaires au lieu de leur donner l’influence maximale, il n’est pas nécessaire que nous
nous en tenions à des considérations a priori pour justifier notre choix ; nous pouvons nous
appuyer sur la comparaison d’expériences différentes. Des personnes différentes, selon la
profession qu’elles ont choisie, trouvent que le goût du lucre joue un grand rôle ou un rôle
effacé dans leur existence quotidienne, et des historiens peuvent nous parler d’autres stades
de l’organisation sociale au cours desquels ce goût a joué un rôle beaucoup plus faible que
de nos jours. La plupart des religions et la plupart des philosophies désapprouvent, pour ne
pas dire plus, un mode de vie qu’influencent de manière prédominante les considérations
de profit pécuniaire personnel. D’un autre côté, la plupart des hommes rejettent aujourd’hui
l’idéal ascétique et ne doutent pas des avantages définitifs de la richesse. En outre, il
leur semble évident qu’il est impossible de se passer du mobile pécuniaire et que celuici, hors certains abus reconnus, fait son office correctement. En fin de compte, la moyenne
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corrigé
RAPPORt
des hommes détourne son attention du problème et ne sait pas clairement ce que sont ses
opinions et ses sentiments sur toute cette maudite affaire.
La confusion des idées et des sentiments aboutit à la confusion dans l’expression. De
nombreuses personnes qui sont, en fait, opposées au capitalisme comme mode de vie,
argumentent comme si elles lui reprochaient son incapacité à réaliser ses propres ambitions.
À l’inverse, des zélateurs du capitalisme sont souvent conservateurs de manière déplacée
et repoussent des moyens de réformer sa technique qui auraient pour effet réel de le
renforcer et de le perpétuer, tant ils craignent que ces réformes soient les premiers pas qui
nous éloigneraient du capitalisme lui-même. Toutefois il se peut que le moment vienne où
nous y verrons plus clair qu’aujourd’hui et saurons distinguer si c’est du capitalisme comme
technique efficace ou inefficace, ou si c’est du capitalisme comme régime souhaitable ou
condamnable en soi que nous parlons. Pour ma part, j’estime que le capitalisme, à condition
d’être sagement conduit, est probablement capable d’être rendu plus efficace dans la
poursuite d’objectifs économiques que tout autre système actuellement en vue, mais qu’il est
en soi extrêmement condamnable à bien des égards. Notre problème consiste donc à élaborer
une forme d’organisation sociale qui soit aussi efficace que possible sans être un outrage à ce
que nous concevons comme un mode de vie satisfaisant.
John Maynard KEYNES Essais sur la monnaie et l’économie (1926) traduction Michel
PANOFF Éditions Petite Bibliothèque Payot
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sUJET
corrigé
RAPPORt
CORRIGé
■ Corrigé de la synthèse
Quelques propositions de titre :
Le sens des affaires est-il synonyme de cupidité et de lucre ?
L’argent : ange ou démon ?
Morale et économie peuvent-elles faire bon ménage ?
//
//
100
//
//
200
//
//
300
//
9
La cupidité est-elle la meilleure ou la pire des choses ? L’ « esprit » du capitalisme, système
économique et mode de vie, est ici en jeu. Max Weber, sociologue, illustre le devoir de s’enrichir
par un sermon de Benjamin Franklin au XIXe siècle. L’économiste John Maynard Keynes
oppose l’efficacité économique du goût // du lucre et le comportement immoral du capitaliste.
Mais dès 1900, Georg Simmel avait sociologiquement analysé l’argent, dans l’échange et dans
sa thésaurisation. Ces approches seront confrontées via leur évaluation de l’argent, la
dimension morale de la cupidité puis l’alternative : efficacité économique et exigence éthique.
Quelle est // la valeur de l’argent ? Philosophiquement, Simmel analyse l’argent : opposée au
relativisme révélé par les échanges économiques, la monnaie apparaît comme une finalité
absolue. Tout s’échange, tout s’achète, l’unique référence universelle est l’argent, valeur en
elle-même. Keynes et Weber précisent : augmenter son capital semble // une fin en soi. Le
sociologue, citant Franklin, détaille : le temps, le rapport à autrui, les apparences, la
progression sociale, les qualités morales sont déterminés en fonction de l’argent. S’enrichir
et être économe résument cette philosophie de l’avarice selon Kürnberger évoqué ici. Keynes
renchérit : que tout le // système social repose sur les mobiles pécuniaires choque les
Européens. Le capitalisme ne se réduit pas à l’économie, c’est un mode de vie.
La cupidité est-elle synonyme de faute morale ? Les trois auteurs sont unanimes : la quête de
l’enrichissement a des implications morales. Le capitalisme est // une éthique d’après Weber
lequel exhibe un sermon de Franklin, s’enrichir y est un devoir. Keynes condamnera
précisément ce mode de vie visant le lucre. Simmel analyse l’avarice et la cupidité, ces
passions égoïstes. Il condamne ces appropriations lorsqu’elles excluent autrui, cependant
l’avoir et la // possession visent aussi des valeurs partagées, l’harmonie, l’ordre, un monde
sensé. Paradoxalement, dans l’examen par Weber, fiabilité, goût du travail et refus de
l’oisiveté, scrupules, honnêteté, économie, ces qualités morales sont le moyen même de
l’enrichissement. La notion de crédit, confiance et créance, réunit en l’ // homme d’honneur
l’argent et les bonnes mœurs. Cependant, Keynes, relativiste, rappelle que l’évaluation morale
varie selon les États, les professions ou les idéologies. Si les philosophies et les religions ont
souvent condamné le lucre, les mœurs contemporaines récusent l’ascétisme.
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//
//
500
//
ESPRIT DE L’ÉPREUVE
sUJET
corrigé
RAPPORt
Accroître son capital : un style de // vie ou une technique économique ? Weber établit le
lien entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Il constate que faire fructifier son
capital, sans l’entamer, apparaît comme un devoir, justifié dans le calvinisme. Le sens des
affaires moralise ainsi l’existence. Lorsque Keynes évoque les zélateurs du // capitalisme et
leur conservatisme il s’oppose à eux, ce régime politique est condamnable par son mode
de vie et son organisation sociale. Néanmoins l’instinct de lucre est un moteur essentiel au
développement économique. L’économiste valorise cette technique capitaliste qu’il dissocie
de l’éthique correspondante ; il veut // améliorer son efficacité économique tout en éliminant
ses nuisances psychologiques. Cependant, Simmel a établi l’interdépendance de l’évaluation
morale et de l’impact économique. La multiplication et la rapidité des transactions
valorisent la cupidité mais condamnent l’avarice. Inversement la rareté des échanges loue la
thésaurisation. Et l’amour // de la possession vise aussi des valeurs communes.
La cupidité est le moteur économique du capitalisme : l’argent y apparaît comme un absolu.
Cependant elle renvoie à un style de vie que certaines morales récusent. Le capitalisme peutil être moral ? Simmel hésite, Weber l’affirme, Keynes l’espère.
Total : 599 mots.
■ Corrigés de la réflexion argumentée
Faut-il condamner l’appât du gain ?
1° L’Avare … Harpagon illustre par la dérision et le ridicule ce que Judas Iscariote symbolise
en matière de cupidité : la condamnation de l’appât du gain. On ne peut servir à la fois Dieu
et Mammon, l’humanité et l’argent, la vertu et la vénalité : l’enrichissement signifie alors // la
perte des valeurs humaines ou spirituelles. La prostituée, le juge corrompu, les licenciements
financiers concrétisent cette déshumanisation dont le capitalisme moderne apparaît comme
la plus sinistre et terrible engeance. Mais un gain n’est pas seulement financier : s’améliorer,
disposer de davantage de temps, réduire l’effort sont appréciables. N’ // en déplaise aux
marxistes, la quête capitaliste du profit a été la condition de la croissance économique,
mais aussi celle d’un bonheur consumériste, cette idée neuve en Europe. L’erreur consiste à
transformer la monnaie en valeur absolue, et pis, unique !
Nombre de mots : 143
2° Les vices privés font le bien public : le luxe et l’opulence développent l’activité économique
et favorisent l’activité industrieuse des hommes. L’enrichissement privé, le capital par
exemple, a été la condition de l’industrialisation ; l’appât du gain pousse à l’investissement
et à terme au // progrès. L’entrepreneur est ici un symbole comme le self made man parti de
rien de l’imaginaire des USA. C’est l’avarice qu’il faut condamner : cette illusion d’une valeur
10
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absolue de l’argent alors qu’il n’est qu’un instrument ; ou encore la cupidité qui // se limite
à la quantité sans évaluer les usages de l’argent. Condamner l’appât du gain se comprend
néanmoins : les valeurs ne sauraient s’y réduire. La monnaie est l’équivalent universel : en
principe tout peut s’acheter ! Mais l’essentiel est ce qui n’a pas de prix !
Nombre de mots : 150
RAPPORT
Trois textes ont été proposés aux candidats à l’épreuve de note de synthèse lors de la session
2014 du concours Tremplin 1. Ces extraits d’auteurs du XXe siècle traitent de l’argent et de
l’appât du gain, dans des perspectives diversifiées : économiques, psychologiques, culturelles
ou morales. La confrontation met en rapport deux sociologues allemands : Weber, qui examine
les thèses de Benjamin Franklin, puis Simmel, lequel ajoute une dimension philosophique, et
enfin l’économiste britannique Keynes dont l’appréciation ouvre sur la politique. Une série
d’oppositions aide à organiser la synthèse : entre esprit d’entreprise et morale, entre système
économique et mode de vie, entre la diversité des mœurs et le caractère absolu de la monnaie,
entre cupidité et avarice, entre le crédit lié à la garantie de moralité et l’esprit de lucre, etc. La
richesse des textes, y compris dans leur structure, se révèle par l’étude précise et rigoureuse
de chacun d’eux et elle est éclairée par le contraste entre leurs perspectives.
La question imposée pour la réflexion argumentée prolonge l’étude des textes et facilite les
prises de position personnelles. L’actualité tout autant que les thèmes culturels traditionnels
ou classiques offrent une riche matière à illustration. L’interrogation : « Faut-il condamner
l’appât du gain ? » compte parmi les lieux communs des moralistes, politiques, économistes
et philosophes.
Un large consensus se dégage parmi les correcteurs autour de quelques points remarquables :
D’une part, dans la droite ligne des sessions précédentes, les candidats excellents ou très
bons représentent une proportion constante des copies, de l’ordre du dixième voire un peu
davantage. Par leur culture voire l’originalité de leur réflexion, la compréhension fine des
extraits et la subtilité des analyses et restitution, l’intelligence des consignes remarquablement
respectées ainsi que l’élégance et la richesse de leur expression, ces compositions se lisent
et se corrigent avec un réel plaisir. Ainsi quelques postulants se voient attribuer des notes
remarquables ; 19/20 majore la session 2014.
En revanche, la moyenne générale de 10 /20 a été rarement atteinte ou dépassée par les
correcteurs quels que soient les lots de copies ou presque. Sous réserve des meilleures, les
prestations des candidats sont ainsi globalement de qualité inférieure à celles des sessions
précédentes. La lecture des synthèses dégage une impression d’inachèvement, laquelle
ressemble aux effets d’un manque de temps ou d’une mauvaise gestion de dernier, à moins
qu’elle ne soit liée à des exposés limités à la préparation préalable distincte des textes,
sans mise en rapport achevée, ou encore à une appropriation partielle des extraits et de
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leur contenu. Les candidats paraissent avoir manqué d’entraînement et avoir souffert de la
durée limitée de l’épreuve. La note de synthèse exige une maîtrise technique qui s’acquiert,
se travaille pour devenir aisée et rapide. L’étude précise du contenu des extraits doit très
rapidement être coordonnée par son but : la confrontation des auteurs et de leurs thèses.
Faute de quoi l’étudiant aboutit à une juxtaposition disparate de remarques. Paradoxalement
cette lenteur et ces difficultés ont conduit à des copies brèves, sans nuance, et restant trop
souvent en deçà de l’essentiel.
D’autre part la richesse des thèses présentées par les auteurs ne constitue un atout et une
aide à la synthèse que si elle est reconnue et précisément utilisée. Or les candidats sont restés
beaucoup trop approximatifs et ils simplifient là où il aurait fallu remarquer et exploiter des
distinctions de point de vue, dans les intentions voire dans l’exposé et la réfutation des thèses
ou de leurs objections. L’insuffisante maîtrise de la langue française dans son vocabulaire, sa
syntaxe est un lieu commun des rapports du jury de l’épreuve de Note de synthèse. Cette année
ces déficiences ont empêché que beaucoup d’exercices soient menés à bien. Des contre-sens,
des interprétations peu plausibles, l’omission de distinctions explicites ont invalidé les efforts
de trop de candidats. La mansuétude des correcteurs ne pouvait pas suffire aux copies qui
attribuent à tel auteur la thèse contraire de celle que ce dernier énonce en toutes lettres.
La lecture, l’habitude de rédiger des textes assez longs correctement écrits, le souci du mot
juste et la fréquentation assidue du dictionnaire, le plaisir de la confrontation avec les belles
lettres : c’est en cela que consiste la préparation adéquate à l’épreuve de Note de synthèse. La
part des candidats pénalisés pour les fautes de français s’accroît chaque année pour atteindre
près des deux tiers du total.
La réflexion argumentée a été également victime de ces approximations et des difficultés à
prendre en compte exactement le libellé de la question. Ainsi « l’appât du gain » a-t-il été
assimilé à la passion du jeu et notamment à celle des jeux de hasard ce qui est bien trop
réducteur. De même la « condamnation » de la cupidité a été strictement identifiée aux seules
sentences judiciaires et aux procédés illégaux. Ou encore le sujet a été étroitement circonscrit
aux conséquences sociales d’un capitalisme sauvage, plus imaginaire ou symbolique que réel
d’ailleurs. Comprendre de quoi il est question est la condition sine qua non pour répondre de
façon pertinente.
Enfin, dans le lot des copies de la session 2014, se manifeste une nette recrudescence des
compositions qui ne respectent pas les consignes. Nombre des compositions s’apparentent à
des plans titrés ou à la juxtaposition de résumés. L’introduction ne mentionne ni les auteurs,
ni le plan de la synthèse ; le développement ne met pas en rapport les divers auteurs et
leurs thèses respectives ; les confrontations et rapprochements ne sont pas indiqués et la
conclusion est hors-sujet. Toutefois ces errements concernent tout particulièrement les
copies moyennes : la qualité de la synthèse tient à l’originalité et à la pertinence, à l’adaptation
précise, du plan qui la structure. La démarche judicieuse est construite en fonction du contenu
précis des extraits et des prises de position de leurs auteurs. Lors de l’actuelle session du
concours, ce sont des plans passe-partout ou tout faits qui sont mécaniquement appliqués !
Cela est rédhibitoire en matière de synthèse : celle-ci doit être à la fois fidèle et originale,
déterminée très exactement par les extraits proposés.
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ÉPREUVE ÉCRITE / Note de synthèse
concours
ecricome
tremplin 1
ESPRIT DE L’ÉPREUVE
sUJET
corrigé
RAPPORt
Ce manque d’originalité et donc de pensée personnelle, la seule qui puisse s’adapter
aux circonstances et faire preuve de jugement, conduit inéluctablement à des réflexions
argumentées inadéquates et donc très faiblement évaluées. Même si ces réponses illustrées
au sujet de discussion sont cette année un peu moins stéréotypées, elles manquent de cette
originalité et de ces capacités de jugement qui manifestent les personnalités intellectuelles.
La Note de synthèse est par excellence une épreuve de culture générale. Cette dernière ne
relève pas de l’apprentissage par cœur des réponses au jeu de Trivial pursuit mais tout au
contraire d’une volonté de s’instruire, d’une prise de recul et de choix dûment évoqués,
effectués et maintenus ; elle s’acquiert patiemment par la curiosité, l’exigence intellectuelle
et la patience. Les meilleures copies parviennent ainsi à exprimer leur personnalité dans cet
exercice technique et rigoureux. En revanche, la pauvreté de certaines prestations manifeste
une peur de l’originalité ou d’esprit critique ou un manque d’instruction qui sont bien
regrettables.
L’épreuve de Note de synthèse est discriminante : les meilleurs candidats y sont brillants au
grand plaisir des correcteurs d’ailleurs. Les plus faibles des copies sont aisément identifiées.
En revanche, se multiplient les copies hors-normes soit parce qu’elles ne respectent pas
les consignes relatives à l’expression, soit parce qu’elles ne proposent pas une synthèse
mais un plan titré ou une juxtaposition de résumés, soit parce que les thèses des auteurs
leur sont restées incomprises. Ainsi bien des candidats rencontrent des difficultés annexes
ou secondaires, mais rédhibitoires. Il est dommage que des défaillances techniques ou
linguistiques empêchent que les candidats soient effectivement évalués en fonction de leurs
qualités de jugement ou de leur originalité intellectuelle. C’est hélas ce qui ne permet pas de
placer la session 2014 du concours parmi ses meilleurs crus.
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ÉPREUVE ÉCRITE / Note de synthèse
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