1A Design_2016 Rapport de l’épreuve d’Histoire de l’Art Programme : « Graphisme et design, de la crise moderne aux diktats du marché (1953 – 2000) » Sujet : En 1965, le designer Gui Bonsiepe (né en 1934) écrivait dans la revue Ulm (n°12/13) : « … Le passage d’une économie de pénurie à une économie d’abondance plaçait la publicité au centre du design, en en faisant une nouvelle institution de contrôle social. » Texte paru en français dans le catalogue L’école d’Ulm : textes et manifestes, Paris, Centre Georges Pompidou, 1988. Vous analyserez et discuterez cette citation en relation avec le programme. 21 copies ont une note supérieure ou égale à 10 dont 1 supérieure à 15 37 copies ont une note inférieure à 10 dont 2 inférieure à 5. Le sujet de cette année ne devait pas surprendre le candidat, puisque la citation proposée reprenait un problème en liaison directe avec l’intitulé du programme « Graphisme et design, de la crise moderne aux diktats du marché (1953 – 2000) », qui invitait à penser l’interaction entre le design et le graphisme, ici autour de la notion de publicité. Il était révélateur des préoccupations de l’après-guerre dans le domaine du design. Cependant le propos du designer Gui Bonsiepe avait sa singularité, il était émis dans un cadre spécifique la revue Ulm et à une date, elle aussi, précise 1965. Ainsi, le cours de l’année de classe préparatoire in extenso, quelle que soit sa qualité, ne pouvait tenir lieu de réponse. Le jury salue ici le travail de préparation qui a été mené. On le retrouve dans la pertinence des exemples et dans une certaine ampleur des questionnements proposés par les candidats. Cependant, dans l’ensemble, le jury constate un relatif tassement de la qualité des copies. Peu sont véritablement indigentes, peu se dégagent comme particulièrement réussies. Il semble que les problèmes soient avant tout méthodologiques. C’est pourquoi le jury souhaite revenir sur ses attentes et rappeler quelques uns des attendus de l’épreuve. Importance de l’analyse du sujet Cette année, le sujet était extrait d’un texte de Gui Bonsiepe, designer formé à l’École d’Ulm, paru une première fois dans la revue Ulm en 1965 et publié, cette fois dans une traduction française, au sein du catalogue intitulé L’école d’Ulm : textes et manifestes en 1988. Ces informations devaient aider le candidat à analyser la citation et à la situer dans son contexte de production. Le lien avec l’École d’Ulm (Hochschule für Gestaltung) devait être souligné, et le contexte économique de la période des années 1950-60 rappelé en quelques lignes. L’expression « société de consommation » devait apparaître en introduction ou au début du développement. L’analyse de la citation ne peut en aucun cas consister en quelques lignes évasives, autrement dit, elle ne peut consister en une vague paraphrase. Elle demande au contraire rigueur et précision. Il ne s’agit pas non plus de la « découper » en plusieurs sections de manière artificielle et caricaturale — ici « le passage d’une économie de pénurie à une économie d’abondance » / « la publicité au centre du design » / « nouvelle institution de contrôle social ». Ainsi, certains candidats se sont emparés seulement de l’un de ces termes : les uns ont donné l’impression au jury de faire une dissertation sur « La publicité » en général ; d’autres se sont interrogés directement et uniquement sur la différence entre graphisme et publicité – un point qu’il était possible d’aborder mais qui n’était pas le cœur du sujet. Les hors-sujets sont souvent le résultat d’un défaut d’analyse de la citation : ils ont été sanctionnés par les correcteurs. Au contraire, l’enjeu de la phase d’analyse du sujet est de parvenir à saisir la citation dans son ensemble et à en tirer un questionnement. Autrement dit, cette problématisation doit provenir d’une compréhension fine de la citation, d’un examen précis de sa nature, d’une réflexion sur les termes utilisés et de leur mise en résonance avec les préoccupations de la période. Le jury insiste sur la nécessité de ce questionnement : une dissertation ne peut se construire sans problématique, au risque de sombrer dans la récitation du cours ou dans le hors sujet. C’est ce problème, isolé par l’analyse du sujet, qui instaurera la dynamique argumentative du devoir. De cette problématique découle le plan du développement et les articulations entre les parties. Rappelons-le, la dissertation est avant tout un raisonnement. Dans le cas présent, certains éléments du sujet étaient plus porteurs que d’autres. Ainsi s’interroger sur la définition du terme «institution» pouvait s’avérer infructueux : certains candidats se sont demandés si l’école ou le mariage étaient des institutions. Là n’était pas la question. En revanche, le triangle de notions – design, publicité et contrôle social – formait le cœur de la question : il fallait interroger ces notions les unes par rapport aux autres. Gui Bonsiepe dressait un constat qu’il fallait discuter : la publicité était-elle vraiment au centre du design dans les années soixante (ici il aurait fallu relever les faits montrant son importance ou au contraire la nuançant et s’interroger sur cette idée de « centralité », par rapport à celles de marge ou de périphérie) ? Etait-ce légitime de penser que ce phénomène et son corollaire – l’emprise accrue de la publicité sur les esprits et la société - étaient le résultat d’une mutation économique ? La forme de la dissertation Le jury attend que le devoir prenne la forme de la dissertation – un exercice qui nécessite un effort aussi bien dans l’expression écrite que dans la structuration de la pensée. On ne peut admettre un développement au fil de la plume, une pensée qui fonctionnerait sous la forme de l’association d’idées, sans véritable construction. La dissertation est une démonstration argumentée : les jugements de valeur non justifiés et les déclarations à l’emporte-pièce n’y ont pas de place. Les thèses avancées doivent être étayées, l’ensemble donner l’impression d’un cheminement organisé, raisonné, structuré en parties. Les phrases doivent être construites, rédigées, compréhensibles. Le candidat doit faire la preuve de sa maîtrise de l’orthographe et de la syntaxe. Les articulations à l'intérieur ou entre les différentes parties doivent être travaillées. Un effort est manifestement fait sur ces points, mais beaucoup de copies présentent encore des lacunes, voire une absence totale de transition. Le jury attend aussi des candidats la maîtrise du vocabulaire de la discipline, et la capacité à utiliser la terminologie la plus adaptée. Cette année, certains ont glissé vers des propos très généraux, type « café du commerce », usant de lieux communs et d’anachronismes. L’actualité de la question a peut-être induit certains candidats à se comporter de cette manière. Ce n’est pas ce qui est attendu. Au contraire, il est demandé un discours argumenté d’un point de vue théorique, précis chronologiquement et cultivé. Rappelons-le, l’épreuve intitulée « épreuve d’histoire de l’art » exige des candidats la production d’une dissertation de nature historique, qui prête attention à la chronologie et aux éventuelles ruptures, « moments » historiques : il n’est pas acceptable, comme certaines copies l’ont fait, de traiter la période 1953-2000 d’un bloc. Aucune copie n’a d’ailleurs proposé un plan chronologique – qui aurait pu fonctionner ici. Plus grave, de nombreuses copies sont incapables de situer le propos en terme de date, semblant confondre les deux guerres mondiales, la crise de 1929 et l’économie des années 1945-1950… De même, il n’est pas admissible de confronter sans précaution, ni précision chronologique des positions et des temps différents : Walter Gropius et Ron Arad par exemple. S’il convenait dans un premier temps de discuter et analyser les propos de Gui Bonsiepe sur la période s’étendant de 1953 au milieu des années 1960, il était légitime de rechercher, au-delà de la date du propos, des pratiques ou des cas qui nuanceraient voire contrediraient la pérennité de cette affirmation : des pratiques de design émancipées de la publicité ou des tentatives pour échapper au contrôle social. Mais dans tous les cas, il était nécessaire de préciser au lecteur qu’il s’agissait là de conséquences postérieures à cette mutation évoquée par Bonsiepe. C’est cette rigueur nécessaire dans la chronologie qui fait que cette épreuve est une épreuve d’histoire de l’art. Apports théoriques Les meilleures copies ont souvent fait référence à des ouvrages ou essais théoriques comme ceux de Gilles Lipovetsky, de Jean Baudrillard, de Marshall MacLuhan, de Guy Debord, etc. Leur connaissance permettait de nourrir le propos, tant sur la place de la publicité au cœur du design que sur l’émergence des nouveaux médias, comme la télévision. Les candidats étaient également libres de faire référence à l’art contemporain des années soixante, au Pop Art par exemple, ou à des œuvres plus précises comme la Supermarket Lady de Duane Hanson. D’une manière générale, le jury a apprécié que les exemples viennent aussi de la culture personnelle des candidats. En effet, les mêmes exemples reviennent très fréquemment. C’est un peu inévitable en classe préparatoire mais chaque candidat devrait aussi développer ses propres exemples, en plus du cours, grâce à ses lectures ou visites. De même, le fait que ce propos ait été formulé par un ancien élève de l’École d’Ulm était une piste intéressante, lorsque l’on sait que c’est précisément ce type de débat qui a agité l’école durant toute son existence. Certains ont saisi cette opportunité pour décrire l’école comme le lieu d’une transition des idéaux modernes de l’objet standard à la situation de consommation qu’inaugurent les années cinquante, le lieu aussi de débats sur le design et les moyens contemporains de communication. Du rôle de l’exemple L’exemple doit être compris de manière intime : il ne peut être plaqué tel qu’il a été vu en cours. Il ne suffit pas de l’énoncer ; il doit être analysé et prouver son efficacité pour la démonstration. Au sens large, il peut s’agir d’une production visuelle ou plastique, d’un artefact, mais aussi d’un ouvrage ou d’un essai, d’un manifeste, voir d’un passage de tel ou tel texte, etc., etc. Le traitement de l’exemple doit être précis. Cela suppose des qualités particulières : il convient à la fois de décrire en quelques mots au lecteur l’exemple en question, de le rendre vivant et surtout de le rattacher au point soulevé. Le jury a pu l’apprécier dans quelques copies qui ont su utiliser à bon escient telle affiche de Josef Müller-Brockmann ou tel objet de Dieter Rams. C’est loin d’être le cas dans l’ensemble des copies. Pourtant les candidats ont, semble-t-il, de bons exemples à employer, mais ils sont parfois mal compris ou pas assez reliés à la réflexion. Les exemples de rupture, de mouvement ou de personnalités essayant de contredire le fait que la publicité et le design étaient désormais du côté du contrôle social étaient intéressants, par exemple en troisième partie. Non, la publicité n’est pas forcément au cœur du design. Il y a des possibilités pour le créatif dès les années soixante et au-delà de revendiquer une pratique hors des schémas dominants. Des exemples alors sont venus étayer cela depuis le manifeste First Things First de Ken Garland (écrit en 1963 et publié en 1964) jusqu’à Enzo Mari et son Proposta per un’autoprogettazione (1974) ou au texte de Sottsass « Tout le monde dit que je suis méchant » (1973). Au-delà, la déconstruction des moyens mêmes du conditionnement publicitaire pour éviter la récupération étaient une voie de libération, ainsi que l’inscription du « consommateur » lui-même dans le processus de conception. Et là, le candidat avait des exemples utilisables en réserve. En conclusion, les candidats pouvaient utiliser, cette fois, des questions d’actualité pour réfléchir aux nouveaux modes de production dans le domaine du design – le design pour l’image - ou bien la nécessaire éducation aux images.