La Chute de Flak Rat - France-Crashes 39-45

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La chute de "Flak Rat" le 31 décembre 1943 à Arjuzanx. (première partie)
Ce vendredi, tard dans la matinée, les Dubrasquet, père et fils, venus de Morcenx Bourg sont à
la ferme du Songe. Ils sont occupés à remplir les bouteilles de vin destinées au repas de fin d'année
offert par Mr Malet à ses employés, lorsque soudain un bruit sourd de moteurs et de mitraillages les
attire hors du chai. Comme de nombreux habitants de la région, ils assistent à un intense combat
aérien qui se déroule au-dessus d'eux à 6000 mètres d'altitude. Une pluie de douilles et de maillons
tombe du ciel. Quelques avions de chasse allemands s'opposent à une formation de bombardiers lourds
qui s'étire sur des kilomètres en direction de l'est.
Aux environs de midi, un bombardier en perdition et éloigné de son groupe décroche de sa
trajectoire. Nos sommeliers voient des parachutes s'ouvrir. Ils en comptent cinq, six, sept puis huit et
regardent l'avion tomber en piqué dans la direction sud-est, à environ 1 km. Ils se précipitent alors à
travers bois vers le point de chute.
Que faisait cet avion au dessus d'Arjuzanx ? Qui était-il, d'où venait-il ? Combien d’hommes
étaient à bord ? Quelle était leur mission ?
- Le bombardement dans le contexte de l’époque :
En marge de la conférence de Casablanca qui réunissait du 14 au 24 janvier 1943 à l’hôtel
Hanfa, Roosevelt, Churchill et les généraux De Gaulle et Giraud (Staline ayant décliné l’invitation), il
avait été décidé que les anglais opéreraient les bombardements de nuit et les américains les
bombardements de jour. La doctrine américaine qui prévalait alors dans les états-majors depuis 1935,
préconisait des bombardements massifs opérés par des formations serrées d'un très grand nombre
d'avions et à très haute altitude. L’altitude, pensaient-ils, mettait les bombardiers à l’abri de la Flak et
leur conférait un relatif avantage face aux chasseurs, ces derniers perdant beaucoup de leur maniabilité
au-dessus de 20 000 pieds. Les bombardiers américains développés dans cette optique, étant équipés,
eux, de turbocompresseurs (General Electric ne tarissait pas d’éloges sur ses turbocompresseurs, grâce
auxquels les bombardiers volaient si haut que rien ne pouvait les atteindre). Au fil des mois, il fallut se
rendre à l'évidence : l'artillerie anti-aérienne allemande (notamment le canon de 88 mm), était efficace
au moins jusqu'à 30 000 pieds, et si les chasseurs n'étaient pas à l'aise à très haute altitude, les
bombardiers ne valaient guère mieux. La première mission en Europe de l’USAAF eut lieu le 17 août
1942. Après la période de mise au point de la technique d’opération, la fin de l'année 43 voyait les
bombardements de masse sur les infrastructures militaires et industrielles, surtout celles liées aux
activités aériennes, s'intensifier autant sur l'Allemagne que sur l'ouest de l'Europe. Pour le seul mois de
décembre le tonnage de bombes déversé par la 8ème Air Force a été de 13.142 tonnes. Le but était
d'affaiblir au maximum le potentiel des forces aériennes ennemies qui avaient vu doubler leur effectif
tant en avions qu'en personnel durant l'année 43.
Rien que pour le mois de décembre 10 missions ont été effectuées :
- 1 décembre 281 bombardiers sur Solingen et Leverkusen
- 5 décembre 550 bombardiers sur Bordeaux et Cognac
- 11 décembre 523 bombardiers sur la zone industrielle de Emden
- 13 décembre 649 bombardiers sur Brême et Hambourg
- 16 décembre 535 bombardiers sur Brême
- 20 décembre 470 bombardiers sur Brême.
- 22 décembre 439 bombardiers sur Osnabruck et Munster.
- 24 décembre 670 bombardiers sur 23 bases de V1 dans le Pas-de-Calais
- 30 décembre 658 bombardiers sur Ludwigshafen.
- 31 décembre 571 bombardiers sur Bordeaux, Cognac, etc.
Les pertes étaient parfois très lourdes, jusqu’à 25 avions perdus par sortie.
- Le point de chute de l’avion :
Cet extrait de la carte IGN au 50000, celle que l'on appelait "carte d'Etat Major" montre le
secteur d’Arjuzanx tel qu’il existait avant le bouleversement causé par l’exploitation de la mine de
lignite. C'est une révision de 1942 où figurent les routes et les chemins qui ont disparu. Le point de
chute de l’avion se situe à environ 150 mètres à l'est de la maison "le Mousse". J'ai découvert que
l'endroit était répertorié dans différentes sources d'origine US comme "la maison du marin", et repris
sous ce nom par les archives de l'USAAF, sans doute par le hasard de traductions alternées.
L'emplacement de la chute se devine encore par l'impact sur la végétation dû sans doute aux
différents liquides, huiles, essence, acide des batteries etc. ainsi qu’aux résidus de la lente calcination
d'une partie de la carcasse pendant plusieurs jours. La croissance de l'herbe ou du maïs actuellement
cultivé dans ce champ est nettement diminuée à cet endroit. Une recherche d'éléments métalliques et
autres débris confirme l'endroit précis dont j'ai effectué le relevé GPS ( 43° 59’ 37 " Nord et O° 50’
55" Ouest) avec l'aide de Mr Castagnède, l'exploitant du champ qui m'a affirmé avoir dû déverser des
tonnes de fumier à cet endroit sans résultat totalement satisfaisant.
- L’identification :
A l'époque, une photo au moins a été prise. La date en est indéterminée, sans doute plusieurs
jours après le crash. Peut-être en existe t'il d'autres. Malheureusement seule la queue de l'avion figure
sur le document mais elle montre clairement les éléments d'identification de l'appareil. J'ai retrouvé un
cliché original (je pense qu'il a été tiré à de nombreux exemplaires car des arjuzanais disent en
posséder d'identiques, à moins qu'il ne s'agisse de reproductions). C'est un petit format, 6x9 cm pour
être précis, moins les marges il ne reste pas beaucoup de surface utile et le grain est un peu gros ce qui
ne permet pas d'identifier les personnages.
Ce document provient de la collection de la secrétaire de mairie de l'époque, mme Yvonne
Devert. Il m'a été confié par sa nièce Mme liquinano (Une reproduction de cette photo figure dans la
communication de Gaston Dupouy sur le bulletin de la société de Borda en 1989 intitulée "bataille
aérienne à Arjuzanx").
Grâce aux marquages de queue parfaitement lisibles, il a été facile de retrouver l'avion dans les bases
de données de L’USAAF et de l’identifier.
La lettre S dans un triangle blanc est le code d’identification du 401ème Groupe de
Bombardement (401st – BG) de la 8ème AIR FORCE, stationné à la Base 128 située près de
Deenethorpe dans le sud de l’Angleterre. L’appareil, un quadrimoteur, portait également sur le
fuselage le marquage IW-A (non visible sur la photo), indiquant qu’il appartenait au 614ème escadron
du Groupe. Ce marquage était en service fin 43 au moment de cette mission. Début 44 le triangle était
noir avec lettre blanche, une bande de couleur transversale était rajoutée et les avions n’étaient plus
peints, ils restaient couleur aluminium.
L’appareil tombé à Arjuzanx était de type B17-G, numéro de série complet 42-37770 (le
premier chiffre est toujours omis). Comme le voulait la tradition son équipage et son équipe de
maintenance lui avaient donné un nom. Ils avaient choisi FLAK RAT (le rat de la Flak). Le
bombardier sortait des usines Douglas Aircraft, de Long Beach, en Californie et faisait partie du bloc
de production B-17G-10-DL. Sa livraison à l’USAAF avait été effectuée le 23 Août 1943 à Denver au
Colorado puis il avait été acheminé vers l’Angleterre où il était arrivé le 19 novembre 1943 à la Base
128 de Deenethorpe. Il était "flambant neuf".
Le B-17G, dernière variation du modèle B17, a été la version construite dans le plus grand
nombre d'exemplaires. Les livraisons ont commencé fin 1943. Comme pour le modèle précédent, le B17F, trois constructeurs participèrent à la production : Douglas avec 2395 exemplaires, Lockheed
avec 2250 exemplaires ; Boeing produisant à lui seul 4035 appareils. Les B-17 produits par Douglas
étaient codés avec le code DL, ceux construits par Lockeed-Vega avec le code VE et les appareils
construits par Boeing avec les lettres BO.
- Le groupe de Bombardement :
Insigne de la 8ème AIR FORCE et Codes et Insignes d’épaule des 4 escadrons
La base de Deenethorpe en 1944 (arch. USAAF)
Le 401ème Groupe de Bombardement était commandé depuis le mois de juin 1943 par le
Colonel Harold W. BOWMAN. Le 614ème escadron de bombardement était sous les ordres du
Major Ivan Wayne EVELAND. Le 401-BG était opérationnel depuis le 26 novembre 1943, date à
laquelle il avait mené sa première mission de combat avec pour cible BREME en Allemagne. Le 30
décembre 1943 le groupe subissait sa première perte d’équipage, celui du Lt Trian Neag dans la
mission sur Ludwigshafen qui visait à détruire une usine de fabrication de carburant synthétique. Le
31 décembre 1943, deux autres équipages du 401BG étaient portés manquants au retour de mission.
- L’appareil :
Le B17 reste le plus célèbre des bombardiers lourds de l’USAAF. C’était un avion
incroyablement robuste, connu pour sa capacité à résister à des dommages importants et de (presque)
toujours ramener son équipage à la maison. Certains réussirent à regagner leur base sur un seul
moteur, tandis que d’autres, étaient tellement endommagés à leur retour qu’il fallût les envoyer
directement à la casse pour servir de réserve de pièces détachées. Malgré cette légendaire robustesse,
4735 B17 ont tout de même été abattus pendant les missions de bombardement.
Caractéristiques du Boeing B-17G Flying Fortress :
Equipage: 10 exceptionnellement 12 (1 pilote, 1copilote, 1 navigateur, 1 bombardier, 1 radio et 5 mitrailleurs)
Envergure: 31.67 m.
Longueur: 22.68 m.
Hauteur: 5.84 m. Surface alaire: 131.90 m².
Masse à vide: 16 390 kg. Masse maximale au décollage: 29 700 kg. Distance franchissable: environ 3220 km
Vitesse de croisière: 290 km/h. Vitesse maximale: 460 km/h. Plafond opérationnel: 35 500 ft (environ 10 650 m)
Motorisation: 4 moteurs à pistons en étoile Wright R-1820-97 de 1200 chevaux chacun.
Armement: 13 mitrailleuses Browning calibre .50 (12.7 mm). 2724 kg de bombes (jusqu'à 7985 kg pour des
missions de courtes distances).
Le B17-G est équipé d’un armement plus lourd que les séries précédentes et justifie
pleinement son nom de Flying Fortress (Forteresse volante). Comme l'expérience des opérations
montrait une défense insuffisante du secteur avant, une tourelle avec 2 mitrailleuses de 12,7 mm avait
été ajoutée sous le nez afin de contrer les attaques frontales. Ceci portait l'armement défensif à 13
mitrailleuses de calibre .50 car les 2 mitrailleuses ajoutées à l'avant sur les derniers B-17F (une de
chaque côté) furent conservées. Il était équipé également de plus grands réservoirs à obturation
automatique et la section arrière du fuselage avait été redessinée et modifiée pour une plus grande
stabilité aux altitudes élevées. Enfin, l’habitacle pour le mitrailleur arrière a été rendu plus confortable.
-L’équipage :
Il est formé d’hommes aux parcours et origines très diverses.
- Le Second Lieutenant (Sous-lieutenant) McDANAL est né en 1917. Après 4 ans de lycée il
exerce la profession de comptable employé de bureau. Il est marié. Il s’engage le 22 mai 1942 à
Denver, Colorado sous le matricule 17087096, puis suite à sa formation d’officier, il reçoit un
nouveau matricule, 0-803840.
- Le Major (Commandant) Ivan Wayne EVELAND né en 1916 a commencé sa scolarité à
l’Ecole Roosevelt de Missoula, dans le Montana, puis après deux ans de lycée à Great Falls, il termine
ses études au lycée de BUTTE en 1934. Après deux ans à l’Ecole des Mines il obtient son diplôme de
l’Université du MONTANA. En 1936 à la sortie de l’Ecole des Mines il s’engage dans le Corps de
Réserve d’Artillerie Côtière de la Garde Nationale. Il occupe alors dans le civil un emploi dans une
société de construction d’appareillages électriques. Il est marié. Le 9 août 1939 il signe dans l’Armée
de l’Air comme Cadet et obtient son grade de second lieutenant en mai 1940. Au début de la guerre il
sert brièvement avec le grade de capitaine dans la compagnie PAN AMERICA AIRWAYS of
AFRICA évacuant blessés et réfugiés de Chine et de Birmanie. Un job « spécial ». Après la
déclaration de guerre des Etats-Unis il est reversé au service militaire actif début 1942 et prends le
commandement de l’escadron 614 en novembre 1943.
- Le second Lieutenant Lucas H. SPRINKER est né en 1921 dans le Missouri. Après 3 ans de
lycée, il occupe un emploi de comédien acteur. Célibataire sans attaches. Il s’est engagé le 16
septembre 1940 à Tacoma , Etat de Washington. Il est alors versé dans l’Artillerie Côtière de la Garde
Nationale avant de rejoindre l’armée d’active.
- Le second Lieutenant Daniel H. GOETSCH né en 1916 dans le Wisconsin, après 4 ans de
lycée occupe également un emploi de comédien. Il est célibataire, sans attaches. Il s’est engagé le 2
juin 1941 à Milwaukee, Wisconsin. Versé d’abord dans la Garde Nationale puis mobilisé dans
l’Armée de l’Air.
- Le Staff Sergent Donald L. JERUE né en 1922 dans le Kansas, après deux ans de lycée
occupe un emploi de manœuvre sans qualification. Il est marié. Il s’était immédiatement porté
volontaire le 8 décembre 1941, le lendemain de l’attaque de Pearl Harbour par les japonais et avait été
affecté à la Garde Nationale pendant un an. Il s’est engagé le 22 septembre 1942 à Kalamazoo,
Michigan pour la durée de la guerre plus six mois.
- Le Staff Sergent Joseph L. KIRKNER né en 1924 en Pennsylvanie, après 4 ans de lycée
occupe un poste d’employé de bureau. Il est célibataire. Il a suivi la même voie que JERUE en se
portant volontaire le 8 décembre 1941. Après un an de Garde Nationale, il s’est engagé le 20
septembre 1942 à Philadelphie pour la durée de la guerre plus six mois.
Le sergent Hubert J. REASONER né en 1924 au Texas, après 4 ans de lycée occupe un
emploi de vendeur. Il est célibataire. Lui aussi il s’est porté volontaire le 8 décembre 1941 … Il s’est
engagé pour la durée de la guerre le 30 octobre 1942 à Lubbock, Texas.
- Le sergent Morton ARINSBERG né en 1923 en Pennsylvanie, 3ans de lycée, occupe un
emploi de bureau, chargé des réceptions et expéditions dans une entreprise. Il est célibataire. Il
s’engage le 19 janvier 1943 à Philadelphie pour la durée de la guerre.
- Le sergent Francis G. KELLY né en 1920 à New York, 3 ans de lycée occupe un emploi de
bureau. Il est célibataire. Il s’engage le 10 avril 1942 à New York pour la durée de la guerre.
Le Sergent Harold W. SANDERS né en 1917 dans l’Illinois, 4 ans de lycée occupe un emploi
d’ouvrier spécialisé en mécanique et réparation automobile. Il est célibataire. Il s’engage dans l’Armée
régulière le 10 octobre 1941 à Benjamin Harrison, Indiana.
Le 18 octobre 1943, après une formation intensive, les aviateurs ont quitté la base de Great
Falls dans le Montana, pour l’Angleterre en empruntant l'itinéraire du nord. Des sauts de puce
généralement effectués depuis l’aérodrome de Scott Field dans l’Illinois, puis Goose Bay, l’aérodrome
de Meeks, Newfoundland (au Labrador), puis le Groenland, Reykjavik en Islande, Stornaway en
Irlande et finalement le centre de regroupement et formation de Prestwick en Ecosse. L’échelon sol,
les « rampants » formés au Camps Shanks de New York a rejoint l’Angleterre le 2 novembre à bord
du Queen Mary.
L’équipage normal de FLAK RAT
A Prestwick, les pilotes et navigateurs recevaient la formation finale sur les techniques de
navigation en usage en Angleterre. Ceux qui obtenaient les meilleures notes lors de cette formation
pouvaient choisir le Groupe de Bombardement qu'ils voulaient. Les équipages étaient alors formés.
Pour cette mission, le Major Eveland remplaçait le second Lieutenant Robert Timberlake
titulaire du poste de copilote. Comme il avait quelques inquiétudes devant le manque d’expérience de
ce tout nouvel équipage de Mc Danal fraîchement arrivé et pour lequel c’était la première mission au
feu, il avait demandé avec insistance au Commandant du 401 BG, le colonel BOWMAN de le laisser
voler comme simple copilote pour les accompagner. Bowman, devant les arguments du Major Eveland
accordera finalement cette dérogation à une règle sacro-sainte : le règlement prévoyait que les officiers
supérieurs ou certains officiers en affectations particulières ne pouvaient voler en opération qu’une
mission sur cinq. Ce règlement avait été établi suite aux lourdes pertes durant l’été parmi les officiers
supérieurs les plus expérimentés et en charge de fonctions primordiales ou détenant de par leurs
responsabilités des informations capitales.
Eveland venait de participer en tant que pilote et chef d’escadron à l’avant dernier raid du 24
décembre qui avait vu 670 bombardiers attaquer 23 sites de lancement de bombes volantes V1 dans la
région de Vaqueriette et Gorenflos (Pas-de-Calais). Il aurait dû attendre au minimum quatre missions
supplémentaires avant de reprendre l’air.
Il est à noter que les membres d’équipages pouvaient être relevés du service aérien au bout de
25 missions mais qu’en moyenne, statistiquement, 10 à 12 missions étaient suffisantes pour se faire
abattre … Les plus chanceux arrivaient à s’en tirer, par exemple l’équipage de la célèbre MEMPHIS
BELLE matricule 41-24485, un B-17F-10-BO du 91BG de Bassingbourn, qui a vu son retour au pays
organisé en grande pompe avec tournée de propagande dans tous les Etats-Unis après sa 25ème mission
du 17 mai 1943. Mais il n’était pas rare qu’après une permission d’une vingtaine de jours des aviateurs
se portent volontaires pour une nouvelle série de 25 missions.
Equipage définitif du 31 décembre 1943.
Positions et fonctions respectives des membres d’équipage.
- La mission :
La mission du 31 décembre reprenait les objectifs de celle du 5 décembre qui n'avait pu être
menée à bien pour cause de météo défavorable. Les avions n'avaient pu larguer aucune bombe sur les
cibles. On déplorait néanmoins la perte de 9 appareils. C'était donc une nouvelle tentative sur les
aérodromes de Bordeaux-Mérignac, et Cognac-Châteaubernard. Mais la mission avait été étendue à
quelques objectifs supplémentaires : La Rochelle-Laleu, Landes de Bussac, le cargo OSORNO échoué
au Verdon (chargé de caoutchouc, de tungstène et autres matériaux stratégiques), la base sous-marine
de Bacalan (objectif secondaire), l’aérodrome de St Jean d’Angely-Fontenet et les usines de
roulements à billes de Bois-Colombes et Ivry-sur –Seine en région parisienne.
Point d’objectif sur les Landes comme cela a pu être supposé quelquefois pour le Château de
Castillon à Arengosse qui abritait des services de l’organisation TODD.
Ce 31 Décembre FLAK RAT opérait dans le cadre de la 171ème mission de bombardement
de la 8 Air Force, menée par 25 groupes de bombardement (571 bombardiers lourds) escortés par
12 groupes de chasse (548 chasseurs). Le 401ème BG, dont c’était seulement la 10ème mission, avait
fait décoller pour sa part 21 bombardiers dès 7h30 du matin avec pour objectifs assignés les bases
aériennes de Bordeaux–Mérignac et de Cognac-Châteaubernard (en objectif secondaire). Au
cours de cette mission 25 bombardiers lourds ont été perdus directement pour cause de combat aérien
ou abattus par la Flak (abréviation de Fliegerabwehrkanone, artillerie antiaérienne), parfois les deux.
En réalité, en comptant ceux qui à cours de carburant ont dû être abandonnés en vol par leur équipage
et se sont écrasés en Angleterre, plus de 30 appareils manquaient à l'appel au soir du 31 Décembre. Un
dernier avion s'est écrasé en mer au retour, juste avant d'atteindre la côte anglaise, près de la pointe
Sainte-Catherine. On ne connaît pas la cause du crash. Tous les membres d'équipage ont péri. L'avion
s'appelait HEY LOU, matricule 42-31064, équipage du Lt Lawry. Sur les 10 membres d'équipage, un
seul corps a été retrouvé, celui du copilote le Lt Dockendorf. Cet appareil appartenait également au
401BG . Trois avions ont été abattus dans la région proche, un à Arjuzanx, un à Lesperon et un perdu
en mer au large de Carcans à environ 70 kms au large de la côte. Celui de Lesperon (5 morts), un
B17F nommé OKLAHOMA OKIE, matricule 42-29921, marquage A dans un triangle, appartenait au
91BG basé à Bassingbourn . Celui de Carcans (10 morts dont 5 disparus, 5 corps seulement ont été
rejetés par la mer entre Biscarrosse et Moliets) était un B24-H-I-FO nommé BUZZ BUGGY
matricule 42-7577, marquage H dans un cercle, du 446BG basé à Bungay.
ème
- Chronologie du combat :
Grâce aux documents des archives de l’USSAF et aux recoupements des rapports d’évasion
maintenant déclassifiés des survivants interrogés par les services de renseignement dès leur retour en
Angleterre, on peut reconstituer assez fidèlement la chronologie du déroulement de la mission de
FLAK RAT. La consultation des notes et écrits du Major Eveland apporte également quelques
précisions sur le déroulement de l’action.
A 3 heures du matin, les équipages sont réveillés en fanfare. Ils n’ont que quelques minutes
pour se raser et effectuer une toilette rapide. Ensuite direction le réfectoire où un petit déjeuner très
copieux leur est servi dans un joyeux brouhaha. En fait il s’agit d’un vrai repas car ils n’auront plus
rien pendant plus de 12 heures (retour de mission prévu à 16h23). Impossible de manger par 50 ou 60°
au-dessous de zéro à l’altitude de croisière. Le seul fait d’enlever un gant pouvant se traduire par
d’affreuses gelures (Il est à noter que la majorité des blessés légers pendant les raids l’ont été pour
cause de gelures). Les officiers sont ensuite acheminés vers la salle de briefing où ils sont contrôlés et
pointés à l’entrée. La mission leur est alors dévoilée et expliquée sur écran et les documents de vol
délivrés, plan de vol etc., sans oublier le fameux Flimsy, une page de bon papier qui détaille toute la
procédure de navigation, les codes d’identification, les marquages, les fréquences radio, les couleurs
des fusées de signalisation etc. et qu’il était recommandé de manger en le mastiquant bien avant
d’abandonner l’appareil en perdition.
Jusqu’alors, seuls les officiers de l’Etat-Major du Groupe étaient au courant de la mission pour
des raisons de sécurité évidentes en temps de guerre. A partir de ce moment tout s’est passé très vite.
A 6h55 embarquement des équipages et vérification du matériel. L’échelon sol, les rampants,
est déjà à l’œuvre depuis longtemps. A 07h10 les pilotes démarrent les moteurs l’un après l’autre et
commencent à effectuer les vérifications du fonctionnement de tous les équipements (check list). A
07h25, fin du point fixe et début des décollages et regroupements dans la zone d’attente puis
assemblage des Groupes de Combat (94 CBW pour le 401BG et 351BG). A 08h33 la tour de contrôle
annonce que tous les appareils sont partis en mission.
Plan de vol du leader du 94th Combat Wing (401BG et 351BG).
Le tracé en ligne continue correspond à l’itinéraire prévu, celui en pointillé à celui effectivement réalisé par le 401BG.
Dès le départ, les manœuvres de regroupement de Flak Rat sont rendues difficiles par le
fonctionnement erratique des turbocompresseurs, mais l’appareil finit par se joindre à la formation à
une position autre que celle qui avait été prévue. Un peu plus tard d’autres troubles des
turbocompresseurs amenant à l’impossibilité de tenir la formation serrée font envisager un moment de
faire demi-tour. Finalement il est décidé de continuer la mission.
A l’approche de la côte la formation est détectée par le radar de Labenne qui alerte l’artillerie
antiaérienne côtière et l’aérodrome de Biarritz où est stationné un groupe de chasse. C’est à ce
moment là que les problèmes de turbocompresseurs de FLAK RAT recommencent et l’avion est un
peu à la traîne. Une proie plus facile pour les 7 ou 8 chasseurs allemands arrivés rapidement sur place,
d’autant que l’escorte de chasseurs américains, prévue pour toute la durée du raid, avait été obligée de
rebrousser chemin au niveau de Contis par manque de carburant après avoir lancé les fusées de
signalisation selon la procédure. En effet le groupe de bombardiers était descendu beaucoup plus bas
que prévu vers le sud. Le point d’entrée aurait dû se situer au niveau de Biscarrosse selon le plan de
vol. Il s’est opéré au niveau de Moliets et avec 45 minutes de retard sur l’horaire.
Vers 11h58, Flak Rat est attaqué par deux chasseurs arrivés de face à une heure par rapport à
la direction de vol (Est Sud-Est). C’est la première attaque. Presque aussitôt il signale être touché par
un obus de Flak et décroche par la gauche, l’aile gauche précisément, très endommagée. Il a été pris à
partie très vraisemblablement par les batteries du MAA618 de Contis et Moliets et Maa et également
par les batteries de l’Ecole d’Artillerie Antiaérienne N°2 basée à Dax qui avait 9 batteries écoles
installées sur la côte en particulier à Moliets. Essentiellement du 88 et du 105. Un autre appareil est
frappé par des canons antiaériens et effectue un demi-tour pour rentrer à la Base.
A ce moment, à sa gauche, McDanal voit Oklahoma Okie exploser en vol à environ 8000
pieds. L’appareil commence alors à perdre de l’altitude. Le mitrailleur arrière signale une attaque par
l’arrière et précise que tout va bien. C’est à ce moment là qu’une rafale d’obus de 20 mm endommage
l’arrière et la queue de l’appareil qui devient difficilement contrôlable. Après de longs efforts
désespérés du pilote et du copilote pour maintenir l’avion en configuration de vol, le major Eveland
prend le commandement et donne l’ordre d’abandonner l’appareil. Il n’obtient aucune réponse des
occupants de la partie arrière de l’avion. Il pense que les liaisons interphones et klaxon sont détruites
et que les mitrailleurs n’ont pas reçu le signal.
Le Lt McDANAL, le pilote, saute le premier, sur ordre d’Eveland, à 18000 pieds soit environ
6000 mètres. Il estime dans son rapport avoir ouvert son parachute à 10000 pieds (3000 mètres). Le
sergent KIRKNER, mitrailleur de tourelle dorsale saute aussitôt après lui mais ouvre beaucoup plus
bas à 3000 pieds (moins de 1000 mètres) et tombe directement à Beylongue. Le Lt SPRINKER, le
navigateur, saute à son tour et choisit d’ouvrir immédiatement, un coup à geler sur place, toujours aux
alentours de 18000 pieds, mais l’avion commence à chuter rapidement. Son ouverture précipitée et les
courants d’altitude vont rapidement l’amener très loin vers le sud. Il a sans doute utilisé sa petite
bouteille d’oxygène. Il se présentera à la Mairie d’Audignon près de St-Sever où il sera capturé
immédiatement par les allemands. Il sera interné au Stalag Luft1 à Barth-Vogelsang (Prusse).
Le Lt GOETSCH, le bombardier, cherche son parachute. Quelqu’un l’a pris. Sans doute
McDanal qui déclare dans son rapport avoir ouvert un ventral car il avait l’impression que le dorsal
n’avait pas bien fonctionné (sic). Pilotes et copilotes étaient équipés d’un unique parachute dorsal mais
le harnais permettait de rajouter un ventral (fin de parenthèse). Il fonce à l’arrière en chercher un autre
et traverse la soute à bombes (dans toutes mes recherches, un mystère demeure, qu’est il advenu du
chargement de bombes? Goetsch n’y fait aucune allusion et ni McDanal ni Eveland ne signalent avoir
donné l’ordre de s’en débarrasser). Il constate que le local radio est rempli de fumée et qu’il n’y a
personne. Jerue n’est plus là. Il trouve un parachute, l’accroche aux mousquetons du harnais et regarde
vers le poste de pilotage. Le siège du pilote est vide. Kirkner, le mitrailleur de tourelle dorsale n’est
plus là non plus. Il ne voit pas le copilote Eveland caché par son siège (il mesure 1m65). Pourtant il est
toujours là, agrippé au manche et arc-bouté sur les pédales. Le pilote ayant sauté, Goetsch pense qu’il
n’y a plus personne à bord (le moins qu’on puisse dire est que la procédure d’évacuation réglementaire
en a pris un coup ce jour là). L’arrière est totalement enfumé et la proie des flammes. Il saute à son
tour et ouvre à 5000 pieds (1500 mètres). Dans son rapport d’évasion il signale avoir compté aussitôt
six corolles de parachutes. Sept avec lui.
A bord reste encore le Major EVELAND. C’est lui qui pilote l’avion depuis la deuxième
attaque. Il saute le dernier avec difficulté alors que l’avion tombe en vrille. En quasi état
d’impesanteur, il a du mal à atteindre et franchir le sas. Il ouvre aussitôt son parachute. On peut donc
imaginer qu’il a sauté à la verticale du point de chute. A l’atterrissage il part d’abord vers le nord
contrairement à ses coéquipiers puis rapidement oblique vers l’est et entame un incroyable périple.
Pour le sergent REASONER, le mitrailleur de tourelle ventrale il n’y avait plus rien à faire.
Prisonnier dans sa boule il s’est écrasé avec l’avion et n’a été identifié que le 4 janvier 1944, cinq jours
après le crash, grâce à sa plaque matricule retrouvée dans les débris encore fumants de l’avion.
ARINSBERG, le mitrailleur de queue sûrement tué lors de la rafale d’obus qui a atteint cette
partie de l’avion lors de la deuxième attaque s’est également écrasé avec l’appareil. Pendant la
descente en parachute trois aviateurs sur huit ont été abattus par les avions de chasse et les cinq
rescapés signalent tous dans leurs rapports avoir fait l’objet de tirs.
JERUE, SANDERS et KELLY ont été regroupés par les soldats allemands et roulés dans la
toile de leur parachute.
L’avion a été abattu par le Feldwebel (adjudant) Hoffman du 2/JGr. West (2ème Groupe de Chasse
Ouest) détaché à l’Ecole de pilotage de Biarritz-Parme.
Extrait de l’Etat des attributions de victoires du 31-12-1943. Archives Luftwaffe.
- Le bilan est lourd : Cinq morts, cinq rescapés.
Quatre des rescapés ont réussi à regagner l’Angleterre via l’Espagne avec l’aide de résistants locaux ;
trois par le pays basque et un plus à l’est, le copilote major Wayne Eveland. Ce dernier, après un long
périple qui l’a amené successivement à Mont de Marsan, à la gare de Morcenx, à Bordeaux,
Périgueux, Barcelone et Gibraltar, a posé enfin le pied en Angleterre en mars 44. Le cinquième, le
sous-lieutenant navigateur Lucas Sprinker, a été capturé à la mairie d’Audignon près de St-Sever et
interné au Stalag Luft 1 (Compound South) à Barth-Vogelsang en Prusse.
Les dépouilles des cinq aviateurs tués ont été inhumées au cimetière d’Arjuzanx avec pour
linceul des toiles de parachutes. Il s’agit du radio Donald Jerue, du mitrailleur de tourelle ventrale
Hubert Reasoner, du mitrailleur de queue Morton Arinsberg, et des deux mitrailleurs de sabords
Francis Kelly et Harold Sanders. En juin 1945, les corps ont été exhumés par les autorités américaines
et transportés provisoirement au cimetière américain de Luynes près d’Aix en Provence. Trois d’entre
eux ont ensuite été rapatriés aux Etats-Unis, pendant que les deux autres, Donald L. Jerue et Harold
W. Sanders étaient transférés au Rhone American Cemetery de Draguignan, France, où ils reposent
toujours.
L’épopée de l’évasion voit entrer en lice d’autres acteurs, français ceux-là, résistants ou
simples patriotes. Ce sera l’objet de la deuxième partie du dossier.
Bibliographie et sources :
Archives Air Force Historical Research Agency
Archives American Battle Monuments.
Archives Bombs Groups 8th Air Force Historical Society of Minnesota.
Archives National Archives USA (archival Databases (AAD).
Archives du 401st Bombardment Group Association.
Le crash des forteresses, par L’Abbé Michel Devert.
Wayne Eveland : « Memories and reflections » unpublished manuscrit.
« The Young Ones » American Airmen of WW II de EriK Dyreborg.
Jean Darmanté
La chute de "Flak Rat" le 31 décembre 1943 à Arjuzanx. (deuxième partie)
Les Evadés d’Arjuzanx
En cet après-midi du 31 décembre 1943, le pilote 2lt Homer McDanal, le copilote major
Ivan Wayne Eveland, le navigateur 2lt Lucas Sprinker, le bombardier 2lt Daniel Goetsch, et le
chef mécanicien s/sgt Joseph Kirkner sont dans la nature. Ils courent, se cachent et courent
encore afin de s’éloigner le plus rapidement possible de leur point de chute.
Tous, sauf un, se dirigent vers le sud ; ils savent qu’ils sont près de l’Espagne. Le major
Eveland fait exception : il fonce plein nord. Il a expliqué plus tard qu’il pensait qu’on ne le
chercherait pas dans cette direction. Dans sa théorie, cela lui donnerait de la marge pour partir
ensuite vers l’est le plus loin possible avant d’obliquer vers le sud pour rejoindre l’Espagne
sur une trajectoire parallèle éloignée de celle où on aurait dû normalement le chercher.
Ce choix devait entraîner une véritable épopée de plus de trois mois pour le Major
Eveland,. Son exfiltration organisée vers le Sud-Est et la Catalogne, au départ avec l’aide de
membres du réseau Jade Amicol, fut rude, mouvementée et à l'issue incertaine. Dans le même
temps, certains de ses compagnons étaient récupérés par des résistants landais rattachés à
l’O.C.M (Organisation Civile et Militaire) et regroupés en vue d’une exfiltration collective
avec d’autres aviateurs abattus lors du même raid ou de raids précédents.
Les Réseaux impliqués dans l’évasion :
JADE-AMICOL s'est développé depuis le Sud-Ouest de la France à partir d’ octobre
1940. A cette date, le capitaine Claude Arnould, "Désiré 33" pour la clandestinité, transfuge
du deuxième bureau de Vichy, contacte le père jésuite Antoine Dieuzaide, aumônier général
de l'association catholique de la jeunesse française et crée le réseau. Fin 1943 il compte entre
1100 et 1700 membres (aucun responsable n’a été en mesure de communiquer un chiffre
exact après la guerre)
Ce réseau était exclusivement un réseau de renseignement qui travaillait pour les Anglais
de l'Intelligence Service, plus exactement du MI-6 (renseignement militaire). Il était spécialisé
dans la recherche d’informations d’ordre civil ou militaire sur la défense de Bordeaux, les
défenses côtières, de La Rochelle à Mimizan inclus, ainsi que la zone de Bayonne à Biarritz.
Il surveillait également l'ordre de bataille allemand dans la région des Pyrénées et de la côte
atlantique (implantation des unités, effectifs, défenses, etc.) Deux liaisons radio par semaine
permettaient de transmettre les informations recueillies.
L’OCM, ou du moins ce qu’il en restait suite à l’affaire Granclément qui l’avait décimée,
travaillait plutôt à la préparation de l’insurrection armée en appui du débarquement attendu
(organisation des parachutages d’armes, constitution de dépôts). A cette époque c’était
Léonce Dussarat, le fameux Léon des Landes qui était en charge de reconstituer le réseau sous
la forme de l’A.S. (Armée Secrète), avec l’aide du SOE, le "Special Operations Executive",
Service britannique qui était chargé de coordonner les actions menées contre les allemands
dans les pays occupés. La branche française du SOE était animée par le colonel Maurice
Buckmaster.
L’évasion du major Ivan Wayne Eveland
La première partie du périple du copilote Ivan Wayne Eveland, celle où il est livré à luimême est relatée dans son rapport d’évasion daté de fin mars 1944. Les renseignements
figurant sur les rapports d’évasion sont les plus fiables. C’est la synthèse des interrogatoires
poussés subis par les évadés dès leur retour en Angleterre. Trois mois après les faits la
mémoire est moins sélective et moins sujette à romancer les faits et les embellir. Ce sont des
documents bruts de forge, empreints de toute la rigueur militaire et non sujets à suspicion.
L’autre source principale d’information concernant la suite de l’évasion d’Eveland, comme
celle de McDanal d’ailleurs, repose sur les témoignages des intervenants locaux, recueillis de
nombreuses années après les faits et hélas entachés de contradictions, d’erreurs de dates et de
confusions. La mémoire est ce qu’elle est et la manie d’enjoliver les choses très humaine …
L’examen attentif de tous les documents que j’ai pu consulter fait ressortir une grande
confusion sur les dates et une relative élasticité du temps (rien de nouveau depuis A.
Einstein). Certains de ces témoignages ont été publiés par l’Abbé Michel Devert dans son
ouvrage « Vendredi 31 décembre 1943, le crash des Forteresses » (disponible chez l’auteur).
Enfin, troisième source : Sur l’insistance de ses proches, le Colonel Eveland (nommé
colonel en mai 1950, il est resté dans la réserve jusqu’en 1976) a consenti à coucher sur le
papier, en 1979, plus de 30 ans après les faits, les péripéties de son évasion. Il persuada
ensuite McDanal de faire de même. Que pouvait-on espérer de mieux ?
En 2003, avec l’autorisation de sa seconde épouse Loïs, pour ce qui concerne Eveland (il
est décédé le 28 juillet 1999), leurs récits « améliorés » ont été publiés dans un livre, « The
Young Ones , American Airmen of WWII » de Eric Dyreborg (ISBN : 0-595-28237-7)
Le Major Ivan Wayne EVELAND en 1944
Deux chapitres sont consacrés à Eveland et McDanal :
« On The Run For Three Months » raconte l’odyssée d’Eveland (truffée d’erreurs par
rapport aux pertes d’équipage de Flak Rat ) et « The Firtst and Only Mission » par Homer
McDanal comportant les mêmes erreurs. Ces deux contributions sont particulièrement
romancées et les dates très élastiques par rapport à celles du premier rapport d’évasion,
contrôlé et certifié par l’autorité militaire ; rapport qui s’arrête curieusement à l’approche du
village de Benquet (sans le nommer) et ne souffle mot de la suite de l’évasion. Ce qui peut se
comprendre aisément car à partir de ce moment sont impliqués des citoyens français et
surtout des réseaux de résistance.
A ce propos il semble que le major Eveland ait bénéficié d’un traitement de faveur de la
part des responsables de Jade-Amicol. En effet, de par sa vocation ce réseau n’aurait
normalement pas dû s’occuper d’évasions d’aviateurs. Est-ce son amitié avec l’officier de
renseignement de sa base, un certain " Clausway ", ou bien le fait qu’avant 1941 il ait
travaillé comme pilote dans le transport aérien en Birmanie et en Chine pour le compte de la
Pan American Airways of Africa (en fait pour le compte des services secrets américains) qui
a fait que le réseau a accepté de l’exfiltrer ?
On peut également penser que sa position de chef du 614th squadron du 401BG, détenant
donc des informations militaires sensibles, en faisait un "Very Important Person" (VIP) à
récupérer de toute urgence.
En tout cas, dès sa position signalée par un "honorable correspondant" qui venait de le
réceptionner, des membres du réseau Jade -Amicol, et non des moindres, se sont précipités
aussitôt depuis Bordeaux jusqu’à Bretagne-de-Marsan pour le récupérer.
D’après le rapport « Evade and Escaps #476 » du major Eveland :
Pendant la descente qui lui parait interminable, un chasseur allemand effectue de
nombreux tours en tirant sur lui sans l’atteindre. Il tombe enfin dans un bois dont les arbres
sont très rapprochés. La toile de parachute déchirée par les branches, la réception au sol est
brutale. Il entend des voix et reprenant ses esprits met aussitôt en application les instructions
de l’Intelligence Service ; à savoir cacher immédiatement le parachute et le harnais et
disparaître le plus rapidement possible et le plus loin de la zone du point de chute.
Contrairement à ses compagnons dont il ignore le sort, il décide de partir vers le nord à
toutes jambes et remonte un petit ruisseau dans lequel il court, pensant être poursuivi par des
chiens dont il entend les aboiements. A aucun moment il ne signale traverser une petite
rivière, une route importante ou une voie de chemin de fer, ce qui permet de situer
approximativement son point de chute entre le Bès et la voie ferrée qui relie Morcenx à Montde-Marsan. Complètement éreinté, il se repose alors et attend plusieurs heures, pense-t-il,
caché dans un roncier épais dans lequel il s’est glissé en rampant grâce au véritable caparaçon
que représente sa tenue de vol en cuir épais rembourré. Il pense ensuite s’être dirigé vers le
nord pendant environ un kilomètre et demi puis s’est de nouveau reposé jusqu’à la nuit avant
de reprendre vers l’est puis au sud. En fait, vu son point d’arrivée connu, près de Benquet, il a
surtout marché vers le sud-est.
Dès le départ il était évident que le plus proche pays neutre était l’Espagne. Les
instructions étaient de rejoindre la frontière le plus rapidement possible par ses propres
moyens, de préférence en marchant la nuit et en se cachant le jour, sans contact avec la
population et en évitant de marcher directement sur les routes. Il vérifie son kit de survie
comprenant une petite boussole, des cartes imprimées sur soie, un petit container rempli de
différents produits de première nécessité et pouvant servir de bouteille d’eau, ainsi qu’un petit
pécule en argent français (1000 francs de l’époque).
Il s’oriente et commence sa marche, en suivant tous les sentiers et chemins dans la
direction sud-est, progressant par bonds de quelques kilomètres en alternant avec des phases
de repos. Sa condition physique n’est pas très bonne ; il traîne un mauvais rhume et est blessé
légèrement à une main ainsi qu’à une cheville. Dans la nuit, il lui semble que le bruit de ses
chaussures qui font craquer le sol gelé alerte tous les chiens de la région qui ne cessent
d’aboyer. C’est la nuit du 31 décembre, une triste nuit pour le major Eveland qui a dû penser à
son épouse Dawn et sa fille Nicole âgée d’à peine un peu plus de trois mois, là-bas au loin
dans le Montana. Il imagine que sa femme doit déjà être prévenue de sa disparition. En
réalité, le terrible télégramme « Missing In Action » ne lui sera adressé que le 12 janvier.
L’air est chargé d’humidité et au petit matin lorsqu’il veut se reposer, malgré une litière et
un couvert de branches de pins, il lui est impossible de se réchauffer. Fiévreux et mal en
point, il se décide, affamé, à frapper à la porte d’une ferme. Après plusieurs tentatives sans
succès, il réussit à manger et se faire donner un vieux pardessus et un béret qui lui permettent
d’abandonner sa tenue de vol un peu trop voyante et encombrante. Il garde néanmoins sa
tenue militaire et la poignée de son parachute ( ?) de peur en cas d’arrestation d’être pris pour
un espion.
Il reprend sa progression vers l’est et arrive à une route à l’entrée d’une petite ville
(certainement Saint-Martin-d’Oney). Il observe et décide de partir plein sud sur un large
chemin. Il est alors stoppé par une petite rivière qui coule d’est en ouest et que franchit un
pont en arceau très prononcé, détail qui semble l’avoir marqué. Arrivé à mi-pont, en
apercevant une silhouette de soldat fusil à l’épaule qui monte la garde sur l’autre rive, il fait
immédiatement demi-tour en catastrophe heureusement masqué par le brouillard.
Le seul pont existant est celui qui enjambe la Midouze au sud de Saint-Martin-d’Oney au
lieu dit Lacheyre sur le grand chemin qui joint alors Saint-Martin-d’Oney à Campagne,
aujourd’hui route départementale D365. Effectivement à cet endroit, la rivière coule d’est en
ouest pratiquement depuis Mont-De-Marsan puis remonte brusquement vers le nord juste
après le pont.
On peut être étonné d’une telle précision des souvenirs d’Eveland qui s’explique sans
doute par la peur lorsqu’il a aperçu le soldat allemand ; peur qui a gravé profondément ces
détails dans sa mémoire.
Il rebrousse alors chemin vers le nord sur quelques centaines de mètres, en suivant la
rivière et découvre une petite barque qu’il emprunte pour traverser en se laissant dériver. Il
camoufle la barque après avoir hésité à la couler et reprend sa marche vers l’est sur encore
une dizaine de kilomètres. Epuisé, il s’endort dans un champ où il est réveillé par un paysan
qui l’amène chez lui. Il se restaure et l’homme, qui a parfaitement saisi la situation, lui fait
comprendre qu’il va l’amener chez quelqu’un qui peut l’aider. Il s’agit du Comte Maurice de
Laurens, habitant le village de Benquet.
A ce stade de la narration d’Eveland, on peut enfin le situer avec certitude à un endroit
relativement précis, aux alentours de Benquet, mais encore dans l’ancienne zone occupée.
Depuis combien de jours marche-t-il ? Lui rétrospectivement (50 ans plus tard !) pense de
nombreux jours. C’est normal, il a dû trouver le temps long. Il semblerait après recoupements
qu’il ait mis plutôt à peine un ou deux jours pour atteindre Benquet.
Suite de la narration d’après les écrits postérieurs et les témoignages locaux :
Grâce à la description du Comte et au croquis des lieux que lui fournit le paysan (qui ne
parle pas un mot d’anglais !), après s’être mis en observation dans le village, il n’a semble-til aucun mal à prendre contact avec Maurice De Laurens. Celui-ci l’amène chez lui, lui fait
prendre un bon bain et le restaure d’une soupe au chou. Il a horreur en général de la soupe au
chou mais il trouve celle-ci excellente. Il vient sans doute de découvrir la célèbre garbure. Le
Comte lui explique qu’il ne peut le garder chez lui et l’embarque dans sa voiture, caché sous
une couverture. Il prend alors la direction du lieu-dit Penan, résidence isolée de Pierre Lemée,
maire de Bretagne de Marsan. La grande demeure, connue sous le nom de « petit château » est
pleine d’invités en cette période de fêtes et Pierre Lemée s’arrange avec Maurice de Laurens
pour qu’il héberge Eveland jusqu’au lendemain matin. De retour chez lui, le Comte le cache
dans une chambre au-dessus d’une dépendance. Cinquante ans après, Eveland pense être resté
là trois jours.
Là encore qui croire ?
Pierre Lemée était un notable rural, industriel en produits forestiers et maire de BretagneDe-Marsan depuis 1933. D’abord Croix de Feu, puis à la dissolution de la ligue en 1936,
responsable landais du Parti Social Français (PSF) toujours du Colonel François De La
Rocque, il participait à la résistance intérieure de l’OCM (Organisation Civile et Militaire)
tout en étant en liaison avec le Réseau Jade-Amicol.
Le lendemain, comme prévu, il va récupérer Eveland chez le Comte et l’amène chez lui.
Malgré la barrière du langage ils arrivent à communiquer et le soir même Pierre Lemée
organise un fameux repas (12 couverts) où il convie le Docteur Warnerey, directeur de
l’hôpital de Nouvielle tout proche, son épouse, ainsi qu’une infirmière Mlle Nicod qui parle
un anglais parfait. Eveland est ravi mais ne peut s’empêcher d’être inquiet devant ce manque
de discrétion.
C’est alors que se posa la question et maintenant qu’allons nous faire ?
Pierre Lemée décide d’envoyer un ami résistant, René Barbères, à Bordeaux, pour
contacter un responsable du réseau Jade-Amicol, en l’occurrence Gustave Souillac habitant le
Bouscat. Il revient dans la journée en annonçant l’arrivée imminente du fils de Gustave,
Christian, alias Toutou et de Alain Perpezat, un autre membre du réseau Jade-Amicol. En
attendant, vu les visiteurs incessants dans la demeure de Lemée, il est décidé de mettre
Eveland dans un lieu plus sûr. Pierre Lemée pense alors à ses amis Dupeyron qui exploitent
un garage Renault à Mont-de-Marsan. Il les contacte aussitôt. Ceux-ci ravis, n’hésitent pas
une seconde. Gustave Dupeyron et son fils René « déboulent » avec une camionnette à
gazogène et prennent livraison du major Eveland. Ce dernier a un choc en arrivant à MontDe-Marsan dans le garage des Dupeyron en constatant qu’il est plein de soldats allemands.
On lui explique que le garage est réquisitionné pour assurer la maintenance des véhicules
automobiles de l’armée allemande et qu’il n’a pas à s’inquiéter car c’est un endroit où
personne n’aura l’idée d’aller le chercher. Sa surprise est encore plus grande lorsqu’il
découvre que madame Andrée Dupeyron est une aviatrice célèbre connue dans le monde
entier. Eveland, dans ses écrits tardifs, pense être resté quelques jours chez les Dupeyron.
Le lendemain Christian Souillac et Alain Perpezat arrivent chez Lemée à Bretagne-DeMarsan, de bon matin, à bicyclette, sans doute depuis Mont-De-Marsan, pour préparer le
départ d’Eveland.
L’évasion vers Bordeaux s’organise. Pierre Lemée établit de vrais-faux papiers
directement avec le matériel de la mairie et mlle Nicod, l’infirmière de Nouvielle, lui
confectionne un pansement conséquent à la gorge. Ainsi équipé il est transporté dans la
camionnette gazogène des Dupeyron jusqu’à la gare de Morcenx où il embarque avec ses
gardes du corps improvisés dans un train de permissionnaires allemands. Arrivé à Bordeaux
sans encombre, il est amené au Bouscat, au 54 avenue Victor Hugo, où réside Gustave
Souillac. Immédiatement, devant « Toutou » et Alain Perpezat, Gustave Souillac téléphone à
Maurice Papon, alors Secrétaire Général de la Préfecture à Bordeaux, pour lui demander de
faire établir de nouveaux papiers d’identité et de lui fournir des vêtements corrects pour
Eveland. Cet épisode a fait l’objet en 1997 d’un témoignage d’Alain Perpezat, 77 ans et une
mémoire excellente, confirmé à la barre par Christian Souillac lors du procès Papon. Presque
60 ans plus tard ils situent cette anecdote le 4 janvier à 8 heures du soir.
Chez Gustave Souillac, Eveland rencontre le père Dieuzaide qu’il reverra plusieurs fois
pendant son séjour. Celui-ci lui apportera des paquets de cigarettes américaines Lucky Strike,
au grand étonnement d’Eveland, des revues en anglais et un jour une bouteille de Scotch dont
il a un souvenir très précis. Le père Dieuzaide parlait parfaitement anglais contrairement à
Gustave Souillac avec lequel Eveland arrivait seulement à échanger quelques propos en
espagnol. Eveland dit être resté chez les Souillac quatre semaines pendant la mise au point de
la suite de son évasion.
Gustave Souillac avait été informé que deux ou trois autres aviateurs américains étaient
hébergés à Bordeaux en attente d’un moyen sûr d’évasion. L’opportunité d’un départ se
présente lorsqu’un camion citerne destiné à transporter du vin, emprunté plus ou moins avec
l’accord du propriétaire par son chauffeur habituel, est proposé comme moyen de transport.
La citerne était compartimentée par des cloisons verticales qui laissaient un passage au bas
juste suffisant pour qu’un homme puisse s’y glisser. C’est ainsi qu’Eveland et trois
compagnons de voyage arrivent dans les faubourgs de Périgueux. Leur chauffeur les dépose
bien avant l’entrée de la ville, et leur désigne une ferme voisine où ils sont accueillis par des
patriotes français.
Le jour même ils entrent dans Périgueux avec comme point de chute un bar qu’on leur a
indiqué et où une femme les met en contact avec un responsable du maquis local. Ce dernier
leur explique qu’il a l’habitude de faire passer des aviateurs au-delà des Pyrénées et que
normalement il ne devrait pas y avoir de difficultés. Plus tard un rendez-vous est organisé
dans un cimetière où un homme, à l’accent anglais très pur, les interroge et recueille leurs
identités, grades et matricules, afin de prévenir Londres qu’ils sont saufs et en bonne voie de
retour. Ils sont ensuite séparés par groupes de deux ; Eveland est en binôme avec un
lieutenant, Stanley Plytinski. On leur demande de suivre à distance un homme qui les amène
dans une résidence de Périgueux chez un certain René Lamy. En fait il s’appelait Claude
Lamy et s’était évadé d’Allemagne alors qu’il était prisonnier de guerre. Maintenant policier,
il vivait modestement dans un petit appartement. Il restent là un certain temps puis de même
dans deux ou trois endroits successifs autour de la ville.
Un jour, ils sont mis dans un train avec pour instruction de suivre un jeune couple à
distance et de quitter le compartiment en même temps qu’eux. Ils descendent à Carcassonne.
Il est minuit. On leur affecte deux guides et après une longue marche (une quarantaine de km)
de plus de deux nuits dans la campagne, le jour ils restent cachés, ils regagnent le lieu de
rassemblement dans les contreforts des Pyrénées, d’où ils partiront vers l’Espagne.
A l’issue de cette première partie du trajet qui ne présentait pas de difficultés particulières,
les montagnards catalans sont inquiets de leur épuisement et les gardent quelques jours au
point de rassemblement afin qu’ils reprennent des forces. Ils attendent surtout une nuit de
pleine lune avec un ciel dégagé propice à la marche. Après une longue attente ils partent
enfin, à la tombée de la nuit. Le voyage qui devait durer un jour (il reste au moins 70 km à vol
d’oiseau !) pour les amener de l’autre côté de la frontière s’étire sur trois jours abominables,
les plus périlleux et difficiles de sa vie d’après Eveland. Les pieds à moitié gelés, ils avancent
dans la tempête de neige qui fait rage. La nourriture s’épuise.
Arrivés enfin dans le village de Alp ( Catalogne Espagnole pas très loin d’Andorre) ils sont
logés dans une bergerie et reçoivent deux repas par jours. « Il y avait de la paille et des brebis.
La paille nous protégeait du froid » écrit Eveland.
Une nuit, ils sont avertis qu’ils partent pour Puigcerda, petite ville espagnole au nord de
Alp, où les attend un capitaine espagnol avec un camion qui doit les amener à Barcelone. La
marche de Alp à Puigcerda ne leur parait pas longue comparée à ce qu’ils viennent de subir ;
et pour cause il n’y a que 7 km à vol d’oiseau et pratiquement sur du plat ! Arrivés à
Barcelone sans encombre grâce à leur escorte, ils sont déposés à l’intérieur d’un garage. Reste
à prendre contact discrètement avec le consulat britannique, ce qui se passe sans problèmes.
Là, confiés aux bons soins d’une ravissante blonde, d’après Eveland, ils sont remis à neuf
de pied en cap ; vêtements, chaussures, coiffeur etc. Munis d’un peu d’argent et de nouveaux
papiers visés par des policiers espagnols manifestement achetés, ils prennent la direction de
Madrid. Eveland se souvient avoir passé deux ou trois jours dans une famille espagnole avant
de partir pour Madrid et avoir découvert à cette occasion un curieux moyen de chauffage, une
sorte de brasero glissé sous la table pendant les repas. Le voyage s’effectua par le train. De
Madrid ils prennent la direction de Gibraltar, toujours par le train. « La vue du drapeau
britannique fut une vision inoubliable » écrit encore Eveland. Fin Mars il est de retour en
Angleterre et est interrogé. Il est alors nommé Lieutenant-colonel puis renvoyé dans le
Montana où il prend le commandement du 9095th Volunteer Air Reserve. Il obtiendra le
grade de Colonel en 1950 est restera dans la réserve active jusqu’en 1976.
Colonel Ivan Wayne Eveland 1979
Sous-Lieutenant Homer McDanal 1944
L’évasion du Sous-Lieutenant McDanal
D’après le rapport « Evade and Escaps E#444 » du 2Lt Homer McDanal :
McDanal, le pilote, après avoir sauté à 18000 pieds, près de 6000 mètres, déclare avoir
ouvert son parachute à 10000 pieds. Comme il tardait à se déployer, il tire la poignée du
ventral. Un chasseur allemand qui le suivait dans sa chute en effectuant une figure de feuille
morte ouvre le feu. En descendant il remarque un petit village sous ses pieds (Arjuzanx sans
nul doute). « J’angoissais à l’idée de tomber en plein milieu » écrit-il. Il se pose dans une forêt
de pins sans encombre et sans toucher un arbre mais assez durement pour être sonné. Le
temps de reprendre ses esprits, il cache le pépin dans un trou et le recouvre de fougères.
Comme il terminait de camoufler son attirail, le bois est survolé par un petit avion de
reconnaissance du genre Piper Cub. McDanal prend immédiatement la direction du sud en se
basant sur le soleil. Arrivé à l’orée d’une clairière, il hésite à traverser en entendant des motos
sur des routes voisines. Il se glisse dans un creux du terrain rempli de fougères et de grandes
herbes et reste ainsi un grand moment à se reposer et réfléchir à la situation.
« J’entendais quelqu’un qui fendait du bois pas très loin ainsi que des cloches de vaches. Je
n’avais pas l’impression que l’on me recherchait. Prenant mon courage à deux mains, j’ai
traversé la clairière. J’ai rempli ma bouteille d’eau à une petite rivière et mis un cachet
d’halazone dedans» (L’halazone sodique désinfecte l’eau mais abîme le foie plus sûrement
que l’abus de vin rouge. Il faut 6 tablettes par litre et 20 minutes d’attente qui donnent un
goût « dégueulasse ». Les tablettes se dégradent rapidement à l’humidité et perdent toute
efficacité). J’ai traversé plusieurs fermes à distance raisonnable et en restant légèrement
éloigné de la route que je longeais en attendant que la nuit tombe.
J’ai alors choisi une ferme très isolée que j’ai longuement surveillée de peur qu’il y ait des
allemands dans les parages. Une femme et deux hommes travaillaient dans une grange. Un
chien a commencé à aboyer et les deux hommes restés seuls se sont approchés. Je leur ai fait
comprendre que j’étais un pilote américain qui venait de sauter en parachute. Ils étaient très
excités et la femme est alors venue se joindre à eux. »
Par gestes il leur explique qu’il a faim et qu’il est fatigué. Ils le font entrer dans la maison
et la femme lui donne un bol de soupe. Ils sont très inquiets et ne souhaitent pas le garder chez
eux. Alors le fermier l’amène chez un couple de personnes âgées, non loin de là. Ils paraissent
très contents de l’héberger et déblaient une pièce encombrée, une chambre d’amis que ne
servait pas. McDanal se couche dans un bon lit. La vieille dame reste à son chevet et le
regarde fixement en passant sa main sur son front. Elle part enfin mais un chien vient le
lécher. La vieille revient pour le chasser ce qui lui permet de s’endormir.
« A 5 heures du matin le premier janvier, le vieil homme m’a réveillé en m’apportant une
tasse de café. Ils m’ont confectionné un sandwich avec un morceau de pain dans lequel ils
ont glissé deux œufs et une tranche de viande. Ils voulaient que j’emporte une bouteille de vin
mais j’ai préféré mon eau ».
Ils partent sur un chemin en s’éclairant avec une lanterne et s’arrêtent à deux fermes sur le
trajet. « Les habitants semblaient paniqués à ma vue ». Vers huit heures ils atteignent enfin
une route pavée. Le vieil homme lui fait comprendre que cette route mène vers l’Espagne et
fait demi tour.
« J’ai traversé la route et j’ai pris ma carte, mais je n’avais aucune idée de l’endroit où je
me trouvais. J’ai compris que comme les choses allaient je n’arriverai pas à prendre contact
avec un réseau organisé. J’étais alors résigné à gagner l’Espagne à pied. J’ai marché trois
heures à travers bois sans rencontrer personne. J’étais toujours ma combinaison de vol et mes
bottes et un vieux béret que la vieille dame m’avait donné ».
En remplissant son bidon à un ruisseau, il aperçoit un fermier qui fendait du bois. « Je
voulais l’éviter mais il m’a fait signe. Je lui ai lancé un hello. Il était tout excité et est venu
vers moi. J’ai essayé de lui expliquer que je voulais passer en Espagne. Il m’a fait comprendre
que vêtu comme je l’étais, je n’y arriverai jamais et il m’a amené dans une grange ou sa
femme préparait une soupe. Toute la famille était rassemblée autour de la table. Ils m’ont
donné une chaise et offert un excellent repas. Ensuite le fermier m’a fait comprendre de rester
caché dans la grange et il est parti en bicyclette. Vers 18 heures il est revenu avec un homme
qui m’a dit bonjour mon gars, comment vas-tu ? J’étais fou de joie de rencontrer quelqu’un
parlant anglais, mais j’ai vite déchanté car il ne semblait connaître que cette phrase. Il a
regardé mes blessures légères causées par les branches à l’atterrissage. Ils m’ont ensuite
donné de vieux vêtements et ont soigneusement caché ma tenue de vol dans le foin. Cet
homme m’a dit que mon départ était organisé et que nous partirions à bicyclette. Mais encore
une fois quelque chose n’a pas marché et j’ai dû rester caché trois jours de plus avant que mon
départ soit enfin décidé ».
C’est le fermier Jean Laborde habitant au lieu-dit Bon à Beylongue, en bordure de la
route qui va de Villenave à Tartas, qui ce matin du premier janvier 1944 a récupéré McDanal.
Il était parti ranger du bois et a vu l’aviateur s’approcher de lui. A son accent et son
accoutrement il a tout de suite compris qu’il s’agissait d’un rescapé du combat auquel il a
assisté dans le ciel, presque au-dessus de sa tête. D’autant qu’un autre aviateur est tombé la
veille à proximité, à deux pas de chez lui et s’est évanoui dans la nature.
En fin d’après midi Jean Laborde part à Rion-Des-Landes, en bicyclette, prendre contact
avec un groupe de résistants dont il fait partie. Il revient vers 18 heures accompagné de
l’instituteur du village, Monsieur Malsan, qui salue l’américain chaleureusement (Il s’agit du
Lieutenant Malsan, membre de l’Etat Major de l’OCM placé sous le commandement de
Léonce Dussarat). Ils amènent McDanal dans la maison, lui donnent de vieux vêtements et le
cachent dans une chambre. Peu de temps après, arrivent le gendarme Fourniol et son
collègue Jean Brut, de la brigade de Rion, qui veulent s’assurer qu’il s’agit bien d’un
américain et non d’un infiltré allemand. Fourniol entre dans la chambre révolver au poing et
près avoir vérifié sa plaque matricule, rassurés sur la nationalité et la qualité de leur
interlocuteur les deux gendarmes le saluent chaleureusement. Ils lui font comprendre que son
départ s’effectuera dans trois jours vers l’Espagne.
Pendant ces quelques jours passés chez les Laborde, des allemands sont passés très
souvent sur la route sans se douter qu’un américain se cachait à quelques dizaines de mètres
de là. Le six janvier 1944, à 4 heures du matin, une camionnette vient chercher McDanal pour
le conduire chez Jean Castillon au lieu-dit Peschicoy à Lévignacq.
A son arrivée à Lévignacq McDanal retrouve le S/Sgt James Ross, mitrailleur du sabord
droit de la forteresse « Oklahoma Okie » du 91st BG de Bassingbourn, explosée en vol audessus de Lesperon peu avant le crash de « Flak Rat » et tombée en morceaux aux lieux-dits
Craquedits et Saluces.
Le lundi 10 janvier 1944 ils sont amenés à l’usine Lhospital, où les attend Charles
Lhospital en personne. L’usine est située à 500 mètres environ de la maison de Jean Castillon.
Les deux hommes sont embarqués dans une camionnette gazogène de l’entreprise Joseph
Lassale de Castets-Des-Landes, camouflés derrière des sacs de charbon de bois fournis par
l’entreprise Lhospital. Au volant, Marcel Lassale dit « Mathio » âgé de 19 ans, à ses côtés
Joseph Lassale, son père, dit « le Caïffa », tous deux venus de Castets. Ils avaient été
prévenus lors de la visite d’un agent de liaison de leur réseau, un certain « Jeannot », qui les
avait informés que quelques rescapés avaient été recueillis par des familles en contact avec la
résistance.
Via Le Souquet puis Rion-Des-Landes, ils font route de nouveau vers Beylongue pour
charger deux passagers supplémentaires, le second lieutenant William L. Olsen dit « Bill »
navigateur et le sergent Nicolas M. Carusone « Nick » mitrailleur, tous deux du 578 squadron
du 392 BG, abattus le 30 décembre au retour de Mission sur Ludwigshafen à bord du B-24
(sans nom) 42-7588 tombé à l’ouest de Rouen. Ils sont arrivés à Dax par le train en
provenance de Paris, accompagnés par un certain Robert le boiteux (il a deux jambes
artificielles) et finalement acheminés à Beylongue. Les deux hommes embarqués, ils
reprennent la route vers le Souquet et prennent la direction de Castets puis Dax. A Dax ils
s’arrêtent au Sablar pour récupérer deux autres « voyageurs » qui devaient être amenés à
l’auberge de Madame Calcos par un certain Caillan. Personne n’est au rendez-vous (A ce
propos il semble y avoir eu un cafouillage ; il s’agissait sûrement des deux aviateurs amenés à
Beylongue). Après une brève attente ils reprennent la route vers Peyrehorade où ils ont un
autre rendez-vous. La difficile montée de la côte de Cagnotte, à la force des bras et des
jambes, laissera un souvenir impérissable à nos aviateurs.
Au rendez-vous de Peyrehorade personne non plus. Ils devaient y récupérer deux autres
passagers et un guide sensé leur indiquer l’endroit et les personnes à qui ils devaient confier
leurs passagers pour traverser la frontière.
Ils décident de continuer hors filière, par leurs propres moyens. En empruntant les petites
routes du pays basque qu’ils connaissent très bien, ils rejoignent DANCHARIA et
franchissent le fameux petit pont sur le ruisseau Lapixchouri (que tous les contrebandiers du
dimanche utilisaient, bien avant l’ouverture des frontières…)
Abrités dans une grange, les américains ne savent pas qu’ils sont en Espagne mais doivent
s’en douter à l’accent et l’aspect de leurs nouveaux compagnons de route. Ils sont confiés à
des basques frontaliers, rompus à la contrebande et connaissant le moindre chemin de la
région qui les accompagnent jusqu’à Pampelune. De retour à Castets les Lassale apprennent
l’anéantissement de la filière et les arrestations à Dax et Peyrehorade, derniers soubresauts de
l’affaire Grandclément dont le résultat a été le démantèlement de nombreux réseaux et
l’arrestation de plus de 300 résistants (L’organisation se reconstituera rapidement début 1944
sous la direction de Léonce Dussarat).
Après un transit par Madrid et Gibraltar, McDanal pose le pied en Angleterre le 2 mars 44.
L’évasion du Sous-Lieutenant Daniel GOETSCH.
D’après le rapport « Evade and Escaps E#396 » du 2Lt D. Goetsch :
Après avoir eu du mal à trouver un parachute, le sien ayant disparu, le bombardier Daniel
Goetsch saute, ouvre à 5000 pieds et tombe dans une clairière au milieu de la forêt de pins,
sans problème particulier. Il entend bien des coups de fusils ( ?) mais ne voit personne et
dégrafe immédiatement son harnais et roule son parachute pour cacher le tout dans les fourrés,
conformément aux instructions de survie. Il extrait alors la boussole de son kit d’évasion,
s’oriente et se met à courir dans la direction du sud. Estimant avoir quitté la zone dangereuse,
il continue en marchant et atteint une route qu’il hésite à traverser de peur de se faire repérer.
En la longeant, en retrait dans la forêt, il repère une grosse buse qui sert de pont. Il se glisse à
l’intérieur et se retrouve rapidement de l’autre côté. En longeant encore la route sur une
centaine de mètres et en traversant une vigne il entend deux grosses explosions vers l’est puis
rapidement voit une grosse fumée d’incendie. Sans doute le crash de Flak Rat. Il observe alors
de nombreux passages d’avions allemands. Sa trajectoire sud-est lui fait à nouveau traverser
la même route et une forêt épaisse.
Plus tard il aperçoit un fermier dans son champ et se fait repérer par le chien qui se met à
aboyer. Il décide alors de prendre contact avec les habitants de la ferme. Au moyen de sa carte
il essaye de se faire indiquer où il se trouve et demande où sont les allemands. Là encore la
barrière de la langue empêche d’obtenir les renseignements demandés. De plus les paysans
sont méfiants, ils ne savent pas trop à qui ils ont affaire. Goetsch pense qu’ils l’ont pris pour
un allemand.
Dépité il reprend aussitôt sa route et se cache dans les bois où la nuit tombant il envisage
d’essayer de dormir. En cheminant il entend des voix et aperçoit deux personnes en train de
charger du bois dans une carriole. Goetsch crie, américain ! américain ! D’abord effrayée une
jeune fille l’aide à se camoufler dans la charrette et le transporte ainsi jusqu’à la ferme. Là il
quitte son encombrante tenue de vol gorgée d’humidité. On lui donne alors à manger et on lui
offre du vin. Il préfère de l’eau au grand étonnement des fermiers. Il ne savait pas que dans
nos campagnes l’eau était surtout destinée à faire boire les vaches et à faire la soupe et que les
paysans étaient très fiers de leur production viticole locale et souvent personnelle. Le soir il
dormira près du feu de la cheminée.
Le lendemain, premier janvier, un homme est venu le voir. Goetsch lui a fait comprendre
qu’il ne souhaitait pas rester habillé en militaire, ce qui était plus risqué en cas de capture
mais infiniment plus pratique pour passer inaperçu. L’homme est reparti sur sa bicyclette et
lui a rapporté des vêtements civils ainsi que des chaussures en bois (probablement des sabots
ou des fabrications de cette époque de restrictions, des souliers avec des semelles en bois). Le
pantalon d’après Goetsch était allemand (sûrement reteint). On lui donne alors un sac de
provisions avec une bouteille de vin… et on lui indique un petit chemin à suivre qui l’amène
dans un petit village qu’il traverse sans que personne ne fasse attention à lui. Il se retrouve de
nouveau dans la forêt et est stoppé par une petite rivière qu’il franchit, ses vêtements roulés
sur la tête. A la nuit, en suivant une petite route, il atteint un autre petit village isolé. Il
appliquait à la lettre les recommandations de la sécurité militaire qui préconisait d’éviter
d’emprunter les grands axes routiers largement fréquentés par les allemands. En traversant le
village il aperçoit un homme et lui montre sa carte et sa plaque d’immatriculation. Cet homme
l’hébergera pour la nuit et lui donnera également à manger.
Le jour suivant, nous sommes le 2 janvier, son hôte lui procure un vélo et un rasoir et
l’accompagne jusqu’à une rivière qu’ils traversent en barque. Goetsch reprend la route seul
avec sa bicyclette et arrive à proximité d’une grande ville qu’il décide d’éviter pour aller
dormir dans la campagne. Le 3 janvier, il s’approche d’une ferme où une vielle femme est en
train de gaver une oie. En apercevant Goetsch elle parait très inquiète mais comprend assez
vite que c’est un américain. Elle lui donne à manger. Après avoir abandonné sa bicyclette, il
décide de traverser la ville à pied. A la sortie, point de petite route en direction de l’est. Il part
alors à travers champs jusqu’à ce qu’il rencontre un chemin dans la direction souhaitée. A la
tombée de la nuit il rencontre un homme qui coupe du bois. Goetsch le trouve dur d’oreille
mais en fait le brave homme ne doit rien comprendre à son charabia. Il lui trouve néanmoins
un endroit pour dormir dans le village voisin.
Le 4 janvier Goetsch est toujours sur la route. Dans un village, avec son pécule de survie,
il essaye d’acheter un vélo. Il regrette d’avoir abandonné le sien car il s’avère que c’est
impossible. A la nuit il aperçoit un forgeron au travail en bord de route à qui il tente
d’expliquer sa situation, mais c’est un dialogue de sourds. Le forgeron lui donne néanmoins à
manger. Un gars qui passait par là s’arrête et pose des questions en français à Goetsch qui ne
comprend rien. Il lui parle alors en allemand et Goetsch, qui le parle très bien, fait semblant
de ne pas comprendre. L’autre lui parle alors dans un anglais sommaire et ils conviennent
d’aller dans un village voisin à la nuit tombée. Il n’est pas rassuré car l’homme, qui n’arrête
pas de lui parler en allemand, l’amène derrière une maison où deux hommes attendent et se
mettent à le questionner en anglais. Notre aviateur est de plus en plus inquiet car l’un d’eux a
un fort accent germanique. Il s’avère que la méfiance est réciproque : Goetsch a un nom à
consonance germanique et porte un pantalon allemand. Finalement suite à plusieurs réponses
satisfaisantes sur des sujets typiquement américains, l’atmosphère se détend.
Le 8 janvier Goetsch partira vers les Pyrénées accompagné par deux jeunes filles. Munis
de provisions réparties dans trois gros sacs à dos, ils franchissent la frontière espagnole à 2
heures du matin le 11 Janvier. La narration du rapport d’évasion établi le 6 avril 1944 s’arrête
là. On retrouve la trace de Goetsch à Pampelune où McDanal signale avoir recueilli des
informations sur son passage dans la ville quelques jours avant lui.
Le rapport ne mentionne aucun nom de personne, de village ou de lieu. La guerre n’est pas
finie, sécurité oblige.
L’évasion du Staff-Sergeant Joseph Kirkner.
D’après le rapport « Evade and Escaps E#450 » du S/Sgt Joseph Kirkner :
Kirkner, le chef mécanicien et mitrailleur de tourelle dorsale, saute juste après le pilote
McDanal, à 10000 pieds. Il note que Sprinker et Goetsch étaient derrière lui, prêts à sauter. Il
ouvre à 3000 pieds et tombe dans un champ labouré à proximité d’une route en évitant de peu
une ligne électrique. Un peu sonné il met un certain temps à reprendre ses esprits. Des
fermiers qui travaillaient au champ en bordure de route avec leur attelage de mules,
s’approchent de lui (Il s’agit de Léon Labian et de son fils qui habitent à l’époque la ferme du
lieu dit Laouga anciennement Lauga) et lui proposent par gestes, de l’aider. Il refuse et cache
son parachute, casque et gilet de sauvetage, le célèbre Mae West, dans un vieil et énorme
arbre creux. Les fermiers l’amènent au premier étage des ruines d’un château (château de
Naureils) tout à côté, d’où il surveille les alentours. Ne voyant aucune patrouille allemande, il
décide alors d’aller se cacher dans les bois, plus sûrs, et déballe son kit d’évasion. Il part
ensuite dans la direction sud-est vers l’Espagne et marche jusqu’à la tombée de la nuit avant
de se reposer dans une grange. Le lendemain matin, 1 janvier, il reprend sa marche et remplit
son petit bidon plat avec de l’eau d’un ruisseau et 2 comprimés d’halazone. Il ne sait pas où il
se trouve car il n’a traversé aucun village ni rencontré de borne.
En fin de journée le jour suivant, 2 janvier, il rencontre une maison isolée et voit une
femme qui l’observe. Il lui fait comprendre qu’il est un aviateur rescapé et lui mime son
besoin de manger. Il la trouve sympathique (elle aussi sans doute, il a 19 ans et est comme on
dit, beau gosse). Elle est seule, son mari est prisonnier en Allemagne…Elle le fait entrer et lui
sert un repas chaud. Comme il veut repartir, elle insiste pour qu’il reste dormir à la ferme. Il
reste le jour suivant 3 janvier, et encore la nuit suivante. Les mauvaises langues des alentours
ont prétendu, après la guerre, que la dame aurait bien aimé qu’il reste plus longtemps…
L’après-midi du 4 janvier, un jeune homme vient le voir et l’amène chez lui pour la nuit
(un jaloux sans doute, mais néanmoins patriote !). Le jour suivant, 5 janvier, il lui procure de
vieux habits civils, l’équipe d’un sac à dos avec des vivres et ils partent ensemble à travers
champs. Ils traversent un ruisseau puis arrivés à un sentier, le jeune homme lui montre la
direction à suivre et rebrousse chemin après lui avoir donné un papier à présenter aux gens
rencontrés qui lui sembleraient sûrs et sur lequel Kirkner pense qu’il est marqué de lui
indiquer la direction de l’Espagne. Il comprend un seul mot du message, Pyrénées.
Il marche toujours sud-est et s’arrête pour passer la nuit dans un champ, tout près d’une
route. Au lever du jour le 6 janvier il emprunte prudemment la route pour trouver une borne
kilométrique. Enfin il sait où il est et peut se repérer sur ses cartes (pas très précisément car il
ne s’agit pas de cartes au 50.000 mais de cartes d’environ 1.000.000ème). Ses chaussures
françaises le font souffrir mais il continue de marcher et atteint une petite ville en fin de
soirée. Il décide de passer la nuit caché dans une haie.
Le matin, on est le 7 janvier, il traverse la ville sans être remarqué. Alors qu’il s’apprête à
traverser un pont il remarque deux allemands derrière lui, l’un à cheval et l’autre à bicyclette.
Il se cache sous le pont une bonne heure et reprend sa route. Plus tard, alors qu’il traverse un
petit village, il tombe nez à nez avec un autre soldat allemand affairé à la réparation d’une
roue de son vélo, dont le pneu est vraisemblablement crevé. Il aperçoit Kirkner mais n’y prête
aucune attention. Le soir il souffre de plus en plus de ses pieds.
Il repère une grange mais le fermier l’intercepte avant qu’il ait réussi à l’atteindre. Il
explique toujours tant bien que mal qui il est, montre son papier et le fermier le fait entrer
chez lui et lui donne à manger. Le paysan l’amène ensuite chez un proche voisin, qui croit-il,
parle un peu l’anglais. Kirkner lui explique que dans l’immédiat il cherche un endroit pour
dormir et laisser reposer ses pieds endoloris. On lui propose de prendre place dans un camion
qui va demain dans la ville suivante et qui lui permettra de faire un grand bond. En attendant,
on lui donne une chambre pour la nuit. Miracle, le chauffeur parle un excellent américain
appris pendant la guerre de 14-18 dans les tranchées, auprès de compatriotes de Kirkner. Il
prend notre aviateur en main et l’amène chez une personne qui s’avère d’abord très méfiante
et contrôle longuement la plaque matricule attachée autour de son cou. Un autre homme arrive
qui parle parfaitement anglais. On cache Kirkner à l’étage d’une maison qui semble- t-il, loge
aussi des allemands, en lui recommandant d’être très discret.
Le 8 janvier quelqu’un vient le prévenir qu’il partira le lendemain 9 janvier. Il attendra
jusqu’au 14 janvier qu’on vienne le chercher. Il est alors incorporé à un groupe où il est le
seul américain. Muni d’un sac à dos avec une réserve de fromage, deux boîtes de sardines, du
pain et une bouteille d’alcool qu’il identifie comme du cognac (assez improbable), il marchera
avec son groupe toute la nuit. Le 15 janvier ils resteront cachés toute la journée dans une
grange avant de reprendre une longue marche de nuit de plus de 10 heures sur les contreforts
des Pyrénées. Dans la nuit du 16 janvier, ils sont en pleine montagne. Ils franchissent la
frontière le 17. Arrivé enfin à Pampelune, Kirkner retrouve McDanal, et le sergent Roos et
apprend que Goetsch vient de passer il y a peu de temps lui aussi à Pampelune.
Ils rejoindront l’Angleterre le 2 mars 1944 et passeront sur la sellette les 23 et 24 mars ;
L’évasion du Sous-Lieutenant Lucas H. Sprinker.
De l’évasion du navigateur Lucas Sprinker, on sait peu de choses. Il a sauté
immédiatement après le sergent Kirkner à 18000 pieds d’altitude et a ouvert son parachute
aussitôt, ce qui a eu pour effet de le faire dériver sur une grande distance. De son point de
chute on ne connaît rien. On retrouve sa trace à Audignon, près de Saint-Sever, le 5 janvier
1944, lorsqu’il se présente à la mairie du village et qu’il est arrêté aussitôt par les allemands.
Interrogé en Allemagne au centre d’interrogation de Francfort, il est ensuite transféré et
interné au Stalag Luft 1 (Bloc sud) à Barth-Vogelsang dans la province de Schleswig
Holstein, juste au bord de la Mer Baltique.
Le Stalag était voisin d’une école d’artillerie
antiaérienne constituée en grande partie de jeunes
femmes russes enrôlées de force dans l’armée
allemande.
Les prisonniers américains avaient obtenu du
commandant du camp, sous promesse sur l’honneur
de ne pas chercher à s’évader, de pouvoir se baigner à
la plage toute proche. La plage était également
fréquentée par ces demoiselles, ce qui en période
d’été ne devait pas manquer d’intérêt… Cette
anecdote a été rapportée par le 2lt Edgar L. Moore,
navigateur rescapé du crash de « Oklahoma Okie » à
Lesperon, interné lui aussi à Barth.
En souvenir des morts du 31 décembre 1943.
Le radio Donald Jerue, le mitrailleur de tourelle ventrale Hubert Reasoner, le mitrailleur
de queue Morton Arinsberg, et les mitrailleurs de sabords Francis Kelly et Harold Sanders
sont morts en ce dernier jour de l’année 1943. En juin 1945, les corps des cinq aviateurs,
inhumés au cimetière d’Arjuzanx, ont été exhumés par les autorités américaines et
transportés provisoirement au cimetière américain de Luynes près d’Aix en Provence. Trois
corps ont ensuite été rapatriés aux Etats-Unis, pendant que les deux autres, ceux de Donald L.
Jerue et Harold W. Sanders, étaient transférés au Rhone American Cemetery de Draguignan,
France, où ils reposent toujours. Sur les trois rapatriés aux USA, je n’ai pour l’instant retrouvé
la trace que du sergent Francis Kelly.
Une stèle a été érigée à Mézos, près de l’église, en souvenir de cet épisode douloureux. On
peut y trouver les noms des victimes du crash d’Arjuzanx et de celui de Lesperon où périrent
également cinq aviateurs, le pilote 2lt Bayard T .G. Dudley, Le copilote 2lt Glen E. Neff, le
bombardier Jack E. Hill, le mitrailleur ventral s/sgt Joseph B. Jr Young et le mitrailleur de
sabord droit s/sgt William Hennig.
Y figure également, le nom du 1Lt L.V. Allen, pilote du B24, « Buzz Buggy » 42-7577.
Cet avion lourdement endommagé est tombé en mer à environ 80 km au large de Carcans
lors de la même mission.
Le corps de Allen, rejeté par l’océan à Mimizan (borne kilomètrique 23) a été retrouvé le
20 janvier 1944 et inhumé au cimetière de Mimizan-Bourg le 26 janvier 1944, tombe N° 3.
Exhumé le 27 juin 1945, il a été transporté à Luynes avant d’être rapatrié dans un cimetière
privé au Texas. Les 9 autres membres d’équipage ont également péri lors de ce crash en mer.
Le corps du Sgt Harvey Tillman né le 12 mars 1918 a été retrouvé le 7 février 1944 sur la
plage de Moliets par le Docteur Hans Grabner de la marine allemande. Inhumé au cimetière
de Bayonne le 21 février 1944 puis à Draguignan le 25 juillet 1945, au Plot G, Row 3, Grave
900, il a ensuite été transféré au Union Cemetery de Tillatoba (Mississipi) le 1er octobre
1948.
Le S/Sgt William Douglas Norton né le 2 septembre 1921 a été trouvé le 28 janvier 1944.
Inhumé le 1er février 1944 à Mimizan-Bourg, tombe N° 1, il a été exhumé le 4 juillet 1945
puis inhumé à Luynes le 21 septembre 1945, Plot D, Row 24, Grave 568. Son corps a été
rapatrié aux Etats-Unis le 15 avril 1948. Il repose au Arlington Cemetery de Fulton, County
d'Atlanta (Georgie).
Le corps sans tête du 2nd Lt Wesley Robinson Jr, né le 23 juin 1920, a été retrouvé selon
un document allemand à 1500 mètres au sud de Biscarrosse et a été inhumé au cimetière
communal de Cazaux le 9 février 1944, tombe N° 8 puis inhumé provisoirement en tant que
X-122 au cimetière de Luynes le 23 juin 1945, Plot I, Row 1, Grave 577. Identifié avec
certitude le 8 octobre 45, il a été rapatrié aux Etats-Unis le 25 septembre 1948. Il repose au
cimetière de St. Augustine National Cemetery à Jacksonville (Floride)
Enfin, le corps du 2lt Chester Mikus né le 17 janvier 1922, a été retrouvé le 25 janvier par
un soldat allemand à la hauteur de Sainte-Eulalie. D’abord inhumé au cimetière de Mimizan
Bourg, tombe N° 2 le 27 janvier 1944, il est exhumé le 27 juin 1945 et envoyé à Luynes le 4
juillet 1945, Plot D, Row 24, Grave 574. Rapatrié aux USA le 28 avril 1948 il repose au
cimetière polonais E. Herkimer de Littlefalls (NY)
Les corps du 2lt Peter R. Cline, du Sgt Allen E. Crandall, du S/Sgt William E. Fuller, du
S/Sgt Thomas R. Kelly et du S/Sgt William L. Bloyd, les cinq autres membres d’équipage,
n’ont jamais été retrouvés.
Bibliographie et sources :
Archives Air Force Historical Research Agency ; Archives American Battle Monuments ;Archives National Archives USA
(archival Databases (AAD) ; Le Crash des Forteresses, par L’Abbé Michel Devert ; « The Young Ones » American Airmen
of WW II de EriK Dyreborg, Archives de Jacques Leroux.
Jean Darmanté
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