HMBE104: Evolution - Approfondissements Sélection sexuelle Arnaud GREGOIRE La reproduction et ses rituels Les partenaires semblent coopérer pour propager leurs gènes… … pas toujours évident. L’alliance est délicate: POURQUOI? Mâles et femelles : anisogamie La reproduction anisogame existe chez la plupart des organismes pluricellulaires. ‘Parasitisme’ d’un spermatozoïde gros œuf par un Gamètes du mâle Gamètes de la femelle Gros Petits Mobiles Nombreux Faible investissement Immobiles Fort investissement Peu nombreux Différence d’investissement dans la production de chaque descendant. (On le verra plus tard: pas uniquement) Conséquences en cascade Succès reproducteur d’une femelle limité par sa capacité à faire des œufs. Celui d’un mâle limité par le nombre de partenaires qu’il peut se procurer. (chez l’homme 5ml de sperme pourraient théoriquement féconder plus de 100 millions d’œufs) Vérification expérimentale par Bateman (1948) Nb. moyen de descendants 150 Mâle 100 Femelle 50 0 0 1 2 3 Nb. de partenaires Conséquences en cascade 1 Toutes les femelles seront une ressource convoitée: compétition entre les mâles. 2 Les femelles auront intérêt à choisir les meilleurs mâles. Sélection sexuelle Chez les espèces à reproduction sexuée: l’aptitude phénotypique des individus dépend de leur capacité à survivre et leur fécondité, mais aussi de l’accès aux partenaires sexuels. Darwin (1871): ‘We are, however, here concerned only with that kind of selection, which I have called sexual selection. This depends on the advantage which certain individuals have over other individuals of the same sex and species, in exclusive relation to reproduction.’ Charles Darwin (1809-1882) Quelles conditions sont préalables à l’enclenchement du processus de sélection sexuelle? Processus (Endler 1986) = ensemble de phénomènes reliés par des chaînes causales 1) Variation entre individus pour un trait* 2) Relation entre le niveau d’expression du trait et la capacité d’un individu à obtenir un partenaire. 3) Héritabilité du trait, i.e. variation du trait doit avoir une composante génétique *Caractère sexuel secondaire: trait dimorphique sexuellement, non directement lié à la reproduction (caractères sexuels primaires). Place de la sélection sexuelle dans les processus sélectifs Trait Z Sélection sexuelle Sélection naturelle # moyen de descendants par partenaire Longévité Acquisition partenaire(s) Fécondité Aptitude phénotypique Deux grands types de sélection sexuelle Sélection intra-sexuelle Sélection inter-sexuelle (compétition entre mâles) (choix des femelles) Sélection sexuelle Sélection intra-sexuelle Sélection inter-sexuelle (compétition entre mâles) (choix des femelles) Veuve géante (Euplectes progne) Cerf (Cervus elaphus) Sélection intraou inter-sexuelle ? Berglund et al. (1996) Crabe violoniste (Uca pugilator) Crabe violoniste (Uca pugilator) Types de sélection Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Capacité à combattre Gardiennage précopulatoire Compétition spermatique Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices directs Bénéfices indirects via les gènes Fisher (processus d’emballement) Principe du handicap Hypothèse de Hamilton-Zuk Hypothèse du handicap d’immunocompétence Origine du choix de la femelle Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Capacité à combattre Armes pour se battre contre autres mâles: une réalité empirique Barrette & Vandal (1990) 713 duels chez caribou 90% retraits, plus petites cornes Eberhard (1979, 1980) Lucanes Caractères taille corporelle et ornement corrélés? Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Capacité à combattre Armes pour se battre contre autres mâles: une réalité empirique ATTENTION: Taille du corps ou taille des armements? Le cas de la forficule européenne ou perce-oreille Forcicula auricularia Forslund (2000) EXP 1 EXP 2 Taille corporelle (masse) qui joue et non la taille des forceps! Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Différents types de modèles ont été proposés / évolution et maintien. Reproduction type diploïde (Maynard Smith et Brown 1986) Matrice des gains Petit Moyen Grand Petit 0.5s(x1) 0 0 Moyen s(x2) 0.5s(x2) 0 Grand s(x3) s(x3) 0.5s(x3) On considérera ici que la fécondité est égale entre classes de taille s(xi): prob. Survie d’un individu de taille xi jusqu’à la maturité sexuelle Possible d’évaluer les conditions sous lesquelles chaque stratégie est une ESS. e.g. Petit est une ESS si: 0.5s(x1) > s(x2) et 0.5s(x1) > s(x3) Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Reproduction type diploïde (Maynard Smith et Brown 1986) Pour être complet, il faudrait considérer que: 1- s(x) est une fonction décroissance de x (coût) 2- Considérer le succès reproducteur Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Trois issues possibles à cette course aux armements: i) La course aux armements continue jusqu’à ce que les mâles deviennent si rares que l’espèce s’éteint. ii) La population produit des cycles: les grands envahissent puis les petits ré-envahissent quand les grands mâles matures deviennent très rares, réinitialisant le processus. ou iii) La population va vers une distribution stable de taille des mâles où les coûts et bénéfices des traits exagérés sont équilibrés. Les conclusions des divers modèles se rejoignent sur le fait que: Quand la stabilité est atteinte, on obtient une distribution polymorphique des valeurs du trait avec la moyenne décalée de l’optimal écologique. Cette stabilité a plus de chance d’être atteinte quand: Coûts en survie augmentent de manière exponentielle avec le trait Part environnementale sur l’expression du trait. Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Capacité à combattre Armes ‘psychologiques’ Ornements (e.g. chant, couleur) reflétant la capacité compétitrice des individus Signale le statut (badge of status) des individus. Nombre d’intrusions par heure Carouge à épaulettes Agelaius phoeniceus Pas le signal rouge = pas de danger Cependant, hypothèse alternative Pas de signal rouge = autre espèce? Épaulettes du mâle (Peak 1972) Testée par Hansen et Rohwer (1986) Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Gardiennage précopulatoire (mate guarding) Mâles restent aux alentours des femelles fécondes. Caractéristique des espèces où: 1) La réceptivité des femelles est cyclique et limitée dans le temps. 2) Les périodes de réceptivité ne sont pas synchrones entre femelles. 3) Les mâles sont disponibles pour se reproduire de manière quasi continue. Amplexus chez le gammare: Sex-ratio opérationnel biaisé en faveur des mâles. Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Gardiennage précopulatoire (mate guarding) Mâles restent aux alentours des femelles fécondes. Caractéristique des espèces où: 1) La réceptivité des femelles est cyclique et limitée dans le temps. 2) Les périodes de réceptivité ne sont pas synchrones entre femelles. 3) Les mâles sont disponibles pour se reproduire de manière quasi continue. Oiseaux : Présence d’intrus (ou leurre) Femelle prépare le nid Mâle chasse Busard cendré (Circus pygargus) temps de présence du mâle Sélection intra-sexuelle – Compétition mâle/mâle Compétition spermatique Chez les insectes odonates, femelles copulent avec plusieurs mâles. Mâles ont des pénis goupillons capables d’éjecter, de la femelle, le sperme des concurrents. Cas de Calopteryx maculata. Quantité de sperme restant dans la spermathèque (en mm3) Córdoba-Aguila (1999) Les aedeagus stimulent rejet des spermatozoïdes en simulant la ponte d’un œuf sur les plaques vaginales. Largeur de l’aedeagus (en mm) Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle ATTENTION: Ici uniquement le choix par la femelle est envisagé La réalité: le sexe qui investit le plus dans chaque descendant est le sexe ‘rare’, qui choisit. Divers facteurs peuvent intervenir sur la direction de la sélection inter-sexuelle: Kokko & Monaghan (2001) - Le sex-ratio opérationnel. - La durée des périodes de non-réceptivité des mâles et femelles. - Traits d’histoire de vie. e.g. différence de mortalité entre sexes. - Investissement dans les soins parentaux. - ... Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Choix de la femelle pour des caractères élaborés: une réalité empirique Senar et al. (2005) Expérience 1. Lien entre niveau d’expression des caractères sexuels secondaires et préférence femelle: Approche descriptive. Tarin des aulnes, Carduelis spinus Corrélatif… Est-ce bien la taille de la barre alaire? Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Choix de la femelle pour des caractères élaborés: une réalité empirique Senar et al. (2005) Expérience 2 & 3. Lien entre la taille de la barre jaune et préférence femelle: Approche expérimentale. Tarin des aulnes, Carduelis spinus Les femelles préfèrent les mâles à barre alaire plus large. POURQUOI? Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices directs Bénéfices directs obtenus par les femelles à travers leurs choix. 1) Protection e.g. Perdrix grise (Perdrix perdrix) Dahlgren (1990) Femelles préfèrent les mâles les plus vigilants 2) Accès aux ressources - Apports nutritifs par les cadeaux nuptiaux e.g. Mouche scorpion (Hylobittacus apicalis) Femelle ne s’accouple que si la mouche offerte est suffisamment grosse. Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices directs Bénéfices directs obtenus par les femelles à travers leurs choix. 2) Accès aux ressources - Qualité du territoire Chez les espèces territoriales, les femelles peuvent discriminer les mâles sur la base de la taille ou la qualité du territoire qu’ils défendent. e.g. Poisson, Pseudolabrus celidotus (Jones 1981) Les femelles préfèrent les territoires les plus profonds (œufs à l’abri des prédateurs). 3) Accès aux ressources (Hoelzer 1989) e.g. Guiraca bleu, Guiraca caerulea Les femelles préfèrent certaines couleurs, reflétant la capacité parentale. Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes Processus d’emballement (runaway process) Fisher (1930), Lande (1981), Kirkpatrick (1982) Etape 1. Dans une population les femelles choisissent les mâles au hasard. Etape 2. Femelle préfère s’accoupler avec les mâles présentant un caractère lié à l’aptitude phénotypique. e.g. longueur d’une plume sur le crâne. Etape 3. Les descendants auront les gènes codant pour le trait et les gènes qui causent la préférence -> appariement non aléatoire: entraînant covariance positive entre les gènes (déséquilibre de liaison). Les femelles préfèrent s’accoupler avec les mâles possédant le caractère extrême et produisent des mâles eux-mêmes favorisés: ‘sexy sons’ FEEDBACK positif. Trait peut évoluer jusqu’à: Coûts > Bénéfices Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes Processus d’emballement (runaway process) Fisher (1930), Lande (1981), Kirkpatrick (1982) Un test empirique: La longueur des filets chez l’hirondelle rustique Rowe et al. (2001) Hirundo rustica Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes Processus d’emballement (runaway process) Fisher (1930), Lande (1981), Kirkpatrick (1982) Un test empirique: La longueur des filets chez l’hirondelle rustique Rowe et al. (2001) Hirundo rustica Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes Processus d’emballement (runaway process) Fisher (1930), Lande (1981), Kirkpatrick (1982) Un test empirique: La longueur des filets chez l’hirondelle rustique Rowe et al. (2001) Hirundo rustica Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes Processus d’emballement (runaway process) Fisher (1930), Lande (1981), Kirkpatrick (1982) Un test empirique: La longueur des filets chez l’hirondelle rustique Rowe et al. (2001) Hirundo rustica En termes d’évolution: 1- Trait favorisé par sélection naturelle Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes Processus d’emballement (runaway process) Fisher (1930), Lande (1981), Kirkpatrick (1982) Un test empirique: La longueur des filets chez l’hirondelle rustique Rowe et al. (2001) Hirundo rustica En termes d’évolution: 1- Trait favorisé par sélection naturelle 2- Trait évolue par préférence femelle (au-delà de la taille optimale) Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes Le principe du handicap. Zahavi (1875, 1977) Ici, plus un choix arbitraire! Femelles préfèrent des traits extravagants qui diminuent la survie. Ainsi, de tels traits révèlent, sans tricherie, la vigueur (qualité) des mâles les arborant. La femelle, en s’appariant avec un tel mâle, fournirait à ses descendants de bons gènes. Présupposés centraux: - Ornement est coûteux à produire ou à maintenir. - Coût mieux supporté par un individu de forte viabilité que par un individu de faible viabilité. Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes Le principe du handicap. Zahavi (1875, 1977) Traits coûteux: une réalité. Coûts aérodynamiques de la queue étalée 0.20 Graduelle 0.15 Epingle 0.10 Fourche forte Petite fourche 0.05 0 5 10 20 30 40 50 Longueur de la queue (cm) (adapté de Balmford et al. 1993, Nature) Aérodynamisme ici, physiologique, prédation… Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes L’hypothèse d’Hamilton-Zuk (1982) Proposent que les caractères sexuels secondaires des mâles, comme les couleurs, ont évolué de façon à révéler une qualité particulière des individus: capacité à résister aux parasites. Choix d’un mâle avec un caractère extravagant: - Mâle en bonne santé. - Transmission des allèles de résistance aux pathogènes à la descendance. Leucocytozoon sp. Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes L’hypothèse d’Hamilton-Zuk (1982) Deux prédictions envisageables: Niveau de dimorphisme sexuel de l’espèce Au niveau inter-spécifique: Niveau d’infestation Risque d’infestation parasitaire Au niveau intra-spécifique: Valeur du trait Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes L’hypothèse d’Hamilton-Zuk (1982) Test chez l’hirondelle rustique, Møller (1990, Evolution) Hirondelle rustique, Hirundo rustica Parasites: Acaridae, acariens. Nombre d’acariens sur ses propres jeunes dans le nid d’accueil Après l’éclosion, échange de jeunes entre nichées (cross-fostering) 100 50 Quel est l’intérêt d’une telle manipulation? 10 Possible de séparer les effets: -Environnementaux -Génétiques 5 0 90 100 110 120 Longueur de la queue du mâle (mm) 130 En choisissant des mâles aux filets les plus longs, les femelles assurent aux descendants les gènes de résistance contre les acariens. Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes L’hypothèse d’Hamilton-Zuk (1982) De nombreuses autres études ont visé à tester ces prédictions… … résultats plutôt contrastés, voir contradictoires Cependant, ces divers travaux ont permis de faire évoluer l’hypothèse d’Hamilton-Zuk. Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Bénéfices indirects – via les gènes L’hypothèse du handicap d’immunocompétence. Actuellement, divers chercheurs s’intéressent à évaluer la relation entre le développement des caractères sexuels secondaires des mâles et la capacité de leur système immunitaire à lutter contre les parasites. Testostérone Folstad & Karter (1992) + Niveau d’expression Système immunitaire Seuls les mâles pourvus d’un système immunitaire performant sont capables de payer le prix associé au développement de caractères secondaires dont l’expression dépend du niveau de testostérone. Sélection inter-sexuelle – Choix de la femelle Origine du choix de la femelle Processus fisherien Le trait précède la préférence femelle Principe du handicap Préférence par la femelle peut correspondre à un effet pléiotrope du système sensoriel qui a évolué pour d’autres raisons: Le principe d’exploitation sensorielle (Ryan 1990) Rodd et al. (2002) Préférence des femelles pour le orange des mâles serait un sous-produit d’un biais sensoriel lié à des mécanismes de détection de nourriture. Poecilia reticulata