L'Impérialisme colonial français en Afrique À mon épouse, Sarnia, pour sa présence et son amour, À mes parents pour leur patience et compréhension., À ma sœur Aby pour on soutien sans faille. @ L'Harmattan, 2007 5-7, rue de l'Ecole polytech n iq ue ; 75005 Paris http://Vv'\vw.librairieharmattan.com diftù[email protected] hannattan I (Ühvanadoo. fr ISBN: 978-2-296-04248-3 EAN : 9782296042483 Patrick-Papa DRAMÉ L'Impérialisme colonial français en Afrique Enjeux et impacts de la défense de l'AOF 1918-1940 Chaire Lucienne-Cnockaert Universités de Bishop et de J..)herbrooke L'Harmattan Il.) () t:: c\:S s.-. ~ v5' <]) ê <]) () t:: > ~ ~ t:: o -et; t:: <]) ;:j cr' :E ~ 5'1) o ..Il.) o B (/.) +-' S ~ ~ ~ 'i c:: E ~ ~ '-" Z 0 ~ ~ +-' '~ ~ ~ ~ U 'ë.:j u Q C,.I ::I 0- ~ C,.I C,.I "'0 ë i ,5 3 g 11 NOTES LIMINAIRES 1. Principales abréviations utilisées dans les notes AOB AN-CARAN ANS BCAF-RC CAOM CEA CHETOM CRA CST ECPA EMA JMO JORF RTC RFHOM SHAT SHM SHAA SHGN Ancre d'Or Bazeilles Archives Nationales, Centre d'accueil et de recherche des archives nationales Archives Nationales du Sénégal Bulletin du comité de l'Afrique Français Renseignements coloniaux Centre des archives d'outre-mer (Aix) Cahiers d'Études Africaines (Bordeaux) Centre d'histoire et d'études des troupes d'outre-mer (Fréjus) Centre de Recherches Africaines (Paris) Commandant supérieur des troupes Établissement cinématographique et photographique des armées État-Major de l'armée Journal de marche et des opérations Journal officiel de la République française Revue des troupes coloniales Revue Française d'histoire d'outre-mer Service Historique de l'Armée de Terre (Vincennes) Service Historique de la Marine (Vincennes) Service Historique de l'Armée de l'Air (Vincennes) Service Historique de la Gendarmerie Nationale (Maison-Alfort). 2. Abréviations AA AEF AOF BTS CCA CCDC CSDN DCA DIC FFL FNFL FAFL GN GQG PC PM RAC RIC RICMS RMIC RTS SHR utilisées dans le texte Anti-arien. Afrique Équatoriale Française. Afrique Occidentale Française. Bataillon de tirailleurs sénégalais. Batterie de côte contre avions. Comité consultatif de défense des colonies. Conseil supérieur de la Défense nationale. Défense contre-aéronefs ou avions. Division d'infanterie coloniale. Forces françaises libres. Forces navales françaises libres. Forces aériennes françaises libres. Groupe nomade Grand quartier général de l'Armée. Poste de commande. Peloton méhariste. Régiment d'artillerie coloniale. Régiment d'infanterie coloniale. Régiment d'infanterie coloniale mixte sénégalais. Régiment mixte d'infanterie coloniale. Régiment de Tirailleurs Sénégalais. Section Hors rang. INTRODUCTION La présence française sur la côte occidentale de l'Afrique est fort ancienne. Dés la fin du Xyème siècle, dans le sillage des navigateurs portugais, et sous l'impulsion d'armateurs dieppois; marins et négociants français s'aventurent dans ces parages que les anciens représentent comme « étranges et riches », mais « terrifiants et maléfiques 1. » Ainsi, du Xyème au XYIIIèmesiècle, un trafic s'organisa progressivement sur les côtes africaines, « riches en or et en hommes ». Des navires abordaient alors les comptoirs de traite pour en repartir les cales chargées d'épices, d'or et d'esclaves: c'est l'âge d'or du commerce triangulaire. La constitution d'un corpus de doctrine colonial, d'inspiration purement « mercantiliste» et l'engagement en matière coloniale de l'État français ne vîrent cependant le jour que sous Louis XIII, et se confirmèrent plus tard avec Colbert. Il serait donc abusif d'incorporer l'Afrique dans le premier empire colonial français, qui reste exclusivement américain. De fait, jusqu'au milieu du XIX èmesiècle, la France ne maintient sur la côte occidentale africaine qu'une série d'établissements commerciaux et stratégiques. C'est sans doute dans les grandes transformations techniques, économiques et politiques de l'Europe des années 1840-1885 qu'il faudrait rechercher les catalyseurs du développement des impérialismes et de son corollaire, l'expansion coloniale vers les mondes outre-mer, en particulier en Afrique2. Les mobiles et arguments évoqués par les promoteurs de l'aventure coloniale furent partout analogues. La mutation des structures techniques et économiques (révolutions des transports et des structures techniques)3 facilita ainsi le transport des personnes et des biens4. Le « boom» industriel s'accompagne de la nécessité de débouchés et la recherche de matières premières que seule une expansion économique et financière pourrait assurer aux États colonisateurs5. Les raisons d'ordre économique viennent en premier lieu, mais ne suffisent pas à expliquer le phénomène d'expansion coloniale. Des mobiles stratégiques furent aussi avancés. L'entreprise coloniale fut en fait conçue comme indispensable en vue de l'acquisition de points d'appui maritimes nécessaires aux grandes puissances, pour agir partout dans le monde6. Enfin, des arguments politiques et idéologiques sont 1 Catherine p. 2 COQUER y -VIDROVICH, La découverte de l'Afrique, Paris, Juillard, 1965, 175 Pierre RENOUVIN, Histoire des relations internationales, de 1871 à 1945, Paris, Hachette, 1994, Volume III, 977 p, p. 7. 3 Sur la révolution des techniques, voir Alain BELTRAN, Pascal GRISET, Histoire des techniques aux XIX ème et.IT ème siècles, Paris, Colin, 1990, 185 p. 4 Pierre RENOUVIN, Histoire des relations internationales, de 1789 à 1871, Paris, Hachette, 1994, Volume II, 695 p, p. 442-43. 5 Jean GANIAGE, L'expansion coloniale et les rivalités internationales, Paris, CDU, 1975, Tome I, 151 p, p. 6. 6 Ibid., p. 12-13. également évoqués. Le désir de conquête répond au besoin d'accroître le prestige des États. Les Européens s'estiment, en effet, investis d'une «mission civilisatrice» à l'égard des populations dites «primitives» et « inférieures» 7, qu'il fallait «éveiller à la civilisation », en élevant leur niveau de vie et en leur apportant l'instruction et la santé. Cet argument de prestige, d'ailleurs fortement lié au développement du nationalismes joua un rôle fondamental dans la formation territoriale du deuxième empire colonial français, qui s'enclencha à la fin des années 18709. C'est à notre sens dans l'histoire politique de l'Europe de la seconde moitié du XIX èmesiècle qu'il faudrait rechercher la cause véritable de l'expansion coloniale française en Afrique, à savoir le prestige et le drapeau. En fait, relativement en paix jusque vers 1860, le vieux continent fut secoué par une série de conflits armés imputables à l'unification de l'Allemagne et de l'Italielo. La défaite française de Sedan (1871) et l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine par la Prusse, suscitèrent un vif sentiment de revanche chez les Français et de fait une vague de nationalisme et de chauvinisme dans toute l'Europell. C'est précisément durant la période de « recueillement» de l'immédiat après-défaite que s'élabora dans certains milieux français, un important corpus doctrinal et intellectuel servant de support idéologique à « l'impérialisme colonial français 12».La capacité à conquérir et à posséder des territoires outre-mer fut donc présentée comme, «l'occasion d'un accroissement de prospérité, mais aussi et surtout comme le moyen de reconquérir dans le monde le prestige et la grandeur que la défaite [de 1871] vient de compromettre13.» C'est cependant chez Jules Ferry que l'on retrouva l'élaboration la plus complète de la doctrine coloniale, en l'occurrence dans son fameux discours du 28 juillet 1885 à la Chambre. Outre les arguments d'ordre économique et humanitaire qui y sont avancés, l'homme d'État français met en garde contre toute politique de « renoncement» hors d'Europe, qui équivaudrait à l'abdication pure et simple du rang de grande puissance. Bref, pour exister dans le concert des grandes nations, la France devait exercer son influence, en exportant vers les territoires outre-mer ses mœurs, sa langue, ses armes, son drapeau et son 7 ème_ ème Alain RUSCIO, Le credo de l'Homme blanc, regards coloniaux français XIX XX siècles, Paris, Complexe, 1995, 401 p, p. 11-12. S Pierre-François GONIDEC, Droits d'outre-mer, de l'empire colonial de la France à la Communauté, Paris, Monteschestien, 1959, Tome I, 462 p, p. 62. 9 Denise BOUCHE, Histoire de la colonisation française, flux et reflux, 1815-1962, Paris, Fayard, 1991, Tome second, 607 p, p. 54. ID Élikia M'BOKOLO, Afrique Noire: Histoire et civilisations, XIXème-XXème, Paris, Hatier, 1992, Volume II, 576 p, p. 272. IIWinfried BAUMGART, expansion: 1880-1914, 12 Raoul GIRARDET, 1983, 271 p, p. 85. 13 Ibid, p. 86. Imperialism, Oxford university Le nationalisme the idea and reality Press, français, 10 of British and French colonial 1982, p. 55 Anthologie 1871-1914, Paris, Seuil, géniel4. Des débuts du colonel Faidherbe au Sénégal (1854) au partage du Togo allemand avec la Grande-Bretagne (1914), la France se tailla en Afrique Occidentale, un territoire vaste de 4 634 000 km215. Compte tenu de sa contribution militaire et économique à l'effort de guerre métropolitain de 1914-1918, l'empire africain occupe désormais une place prépondérante dans la politique de Défense nationale élaborée entre 1918 et 1940. En abordant la problématique de la défense de l'Afrique Occidentale française dans la période de l' entre-deux-guerres, nous n'entendons nullement ériger une histoire militaire ou coloniale de la France en Afrique. Nous nous proposons plutôt de comprendre l'effort de « mise en défense» et de « maintien de l'ordre» ou du moins l'histoire des forces, des aimes, des institutions et des doctrines élaborées par la puissance coloniale pour sauvegarder un espace colonial conçu comme partie intégrante de la métropolel6.Grâce à de nombreux travaux historiques, plusieurs aspects de la colonisation française en Afrique subsaharienne, en l'occurrence la conquête militaire, les rouages du système politique et administratif, de l'économie de traite, de l'enseignement et de la justice, etc. sont désormais bien connus 17. Or, la thématique de la défense, c'est-à-dire l'effort de sécurisation déployé pour maintenir l'ordre colonial dans l'espace territorial de l'AOF, son interdiction à des ennemis éventuels et sa sauvegarde comme appoint à la Défense nationale métropolitaine reste le parent pauvre des travaux consacrés à l'aventure coloniale française. Quelques aspects du système défensif fédéral, incluant la dimension intérieure et extérieure sont abordés 18, comme la mission des troupes coloniales, que nous devons aux travaux d'officiers ou d'administrateurs coloniauxl9, du professeur Marc Michel et de l'école anglo-saxonne2o. L'épisode de l'attaque de la base de Dakar (23-25 septembre 1940) a suscité l'intérêt des historiens, mais il n'est pas abordé sous l'angle de la politique de renforcement défensif prônée par le 14 Raoul GIRARDET, L'idée coloniale en France, 1871-1962, Paris, La Table ronde, 1998, 295 p, p. 48-49. 15 En 1895 fut créé le gouvernement général de l'AOF regroupant l'ensemble des territoires coloniaux français, au fur et à mesure de leur conquête. 16 Pierre-François GONIDEC, Droits d'outre-mer..., p. 62. 17 Voir les actes du colloque « centenaire de l'AOF », Charles BECKER, Saliou et al, AOF: réalités et héritages, Sociétés ouest-africaines et ordre colonial, Dakar, Direction des archives du Sénégal, 2 volumes, 1997, 2 538 p. 18 On peut estimer que l'organisation défensive de l'AOF se met en place à partir de la grande guerre. 19 Voir commandant DUBOC, Les Sénégalais au service de la France (1939), Yves de BOISBOISSEL, Origine et histoire sommaire des tirailleurs sénégalais (1956) et Marc CARLIER, Méharistes du Niger (2002), etc. 2°Marc MICHEL, L'Appel à l'Afrique: contributions et réactions à l'effort de guerre en A OF, 1914-1919, Paris, 1982, 533 p, Myron ECHENBERG, Colonial conscripts, the tirailleurs senegalais in French West africa, 1857-1960, Portsmouth, Heineman, 1991,236 p et Nancy LA WLER, Soldats d'infortune: les tirailleurs ivoiriens de la Deuxiéme Guerre mondiale, Paris, l'harmattan, 1996, 271 p. Il gouvernement de Vichy pour empêcher le ralliement de Dakar et de l'AOF21. L'objectif scientifique de cet ouvrage sera de lire, en filigrane de la colonisation, les stratégies de défense déployées par la France pour assurer l'administration, la police, et la sécurité de la Fédération vis-à-vis des forces intérieures dissidentes et des convoitises des grandes puissances européennes. La défense n'est en réalité que « [...] l'ensemble des activités intellectuelles et des moyens matériels qui concourent à la protection d'un État contre toutes les formes d'agression22.» La période historique choisie pour cette étude va des débuts de la révolte des populations Sahoué du Dahomey Guillet 1918) à l'adoption par le gouverneur général Boisson de nouvelles instructions sur la défense de l' AOF (décembre 1940). Cette trame chronologique qui s'étend sur la période de l' entre-deux-guerres correspond en fait au «zénith de l'impérialisme à la française23. » Ce qualificatif discutable à certains égards peut s'appliquer à la colonisation française qui s'enracine alors résolument dans l'Ouest africain. En effet, ce fut durant cette phase que la mainmise coloniale s'établit résolument dans l'ensemble fédéral, par le truchement d'un réseau de rouages économico-militaro-stratégiques et par la densité de son maillage administratif. Ce fut le cas de la politique dite de « mise en valeur» qui eût pour effet de multiplier les exigences du colonisateur (impôt de capitation, travail forcé, prestations de travail, conscription, etc.) vis-à-vis des populations enclines à remettre en cause le nouvel ordre établi. En d'autres termes, ce fut durant ces 22 années [1918-1940] que la puissance coloniale s'ingénia à marquer de son empreinte tous les aspects de la vie quotidienne des populations africaines. Au sortir de la grande guerre, l'Afrique Occidentale, en l'occurrence la base navale de Dakar, outil de puissance impériale prît une nouvelle dimension stratégique aux yeux de l'État-major et des décideurs politiques français. Ce fut durant cette période 1918-1940 que se situe la véritable conceptualisation des plans de défense et la mise sur pied de la logistique militaire nécessaire à interdire l'accès de la Fédération et à s'assurer la contribution de ses produits et de ses hommes à la sauvegarde de la métropole, en cas de nouveau conflit mondial24. En effet, affaibli en Europe orientale et en Amérique latine, « l'impérialisme à la française» de l' entredeux-guerres ne sembla pouvoir survivre que dans les colonies, politiquement dépendantes, et donc derniers remparts et ultimes symboles de la puissance française dans le monde25. Le choix d'étudier .la politique de défense de la France en Afrique Occidentale relève de plusieurs raisons qui peuvent d'ailleurs tenir en une seule. L'épisode colonial, en dépit d'une durée 21Jacques MORDAL, La bataille de Dakar, Paris, Ozane, 1956, 319 p. 22Prançois GÉRÉ, Dictionnaire de la pensée stratégique, Paris, Larousse, 2000, 318 p, p. 71 23Jean BOUVIER, René GIRAUL T, Jacques THOBIE, L'impérialisme à la Française, Paris, la découverte, 1986, 294 P , p. 9. 24 Ibid., p. 257-58. 25 Ibid., p. 258. 12 relativement courte (moins d'un siècle), marqua pourtant profondément l'Afrique et les Africains' mais aussi le colonisateur. De fait, Il est extrêmement difficile de comprendre l'Afrique de l'Ouest contemporaine, si l'on ne saisit pas les fondements de la domination coloniale française sur cette partie du globe. D'autre part, la totalité de l'engagement colonial français sur le continent africain suffit à expliquer l'incapacité de la métropole «à accorder l'indépendance sans pour autant décoloniser ».Nous avons été préalablement tenté d'aborder la thématique de la défense uniquement dans le cadre restreint de la colonie du Sénégal. Or, l'étude des archives de l'Armée de terre et du Gouvernement général nous a permis de constater que le concept de défense abordé dans une telle perspective ne serait pas disséqué dans toute sa complexité. En d'autres termes, si défendre l'AOF supposait d'abord assurer la sécurité de Dakar, il faut pourtant noter que la capitale fédérale tire son importance de sa situation de clef de voûte du système stratégique et politique français dans l'Ouest africain. En procédant à la conquête des espaces traditionnels africains (émirats, chefferies, royaumes) constitués en une sphère coloniale, la puissance impériale s'investit de l'exercice des droits de souveraineté. L'expression de cette souveraineté ou de la mise en dépendance intégrale des colonies se marqua, en effet, par l'implantation d'un nouvel ordre administratif, politique, culturel et économique26. En tant que telle, l'organisation de la défense des colonies constitue une tâche régalienne, fondamentale des États impérialistes et coloniaux27. La problématique défensive de l'AOF soulève en effet les questions du « pourquoi? », du « contre qui? » et du « comment? » de cette entreprise. Le maintien de la prééminence française en AOF, dans la période de l'entredeux-guerres, appelait un préalable, à savoir l'interdiction de l'espace colonial à tout ennemi intéri,eur ou extérieur, virtuel ou réel, susceptible de le menacer, d'y empiéter voire de s'en emparer. À cet effet, l'organisation défensive fédérale appellait de la part de la France un certain nombre d'efforts militaires et intellectuels très importants pour assurer d'abord le « maintien de l'ordre» intérieur qui consiste à veiller à la rentrée des impôts, à l'exécution des travaux obligatoires et à la lutte contre les révoltes, insurrections, conflits armés ou razzias. La sécurisation de l'espace fédéral dans le cadre d'une «défense extérieure» supposait également la surveillance du littoral, des frontières et des confins sahariens face à tout ennemi réel ou virtuel. Les principaux plans de défense élaborés à partir de 1924 désignèrent en effet l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste Uusqu'en juin 1940), l'Espagne franquiste (entre 1936 et mai 1940), la Grande-Bretagne et le mouvement de la France Libre du général de Gaulle (après l'Armistice de juin 1940), comme les menaces à la souveraineté française en AOF. En 26 Pierre-François 27Les colonies GONIDEC, Droits d'outre-mer..., p. 10-11. de l'AOF furent considérées comme des parties métropolitain. 13 intégrantes du territoire somme, ce n'est qu'en procédant à une solide organisation des aspects intérieurs et extérieurs de la défense de l'Ouest africain que la France pourrait s'assurer la libre disposition des ressources humaines de celui-ci dans l'optique de sa Défense nationale. Or, il ne saurait être question de traiter de défense fédérale sans évoquer la place de Dakar, capitale administrative fédérale et pierre angulaire du système et du dispositif stratégique français en Afrique noire. Notre réflexion s'articule donc autour de quatre grands thèmes qui sont d'ailleurs à la base de tout projet d'organisation défensive. Compte tenu de l'implantation tardive de notre première borne chronolog.ique (1918) par rapport à l'implantation coloniale en Afrique Occidentale28, nous avons estimé indispensable, d'entrée de j eu, de disséquer les rouages du système d'organisation d'ensemble fédéral, partant des divers décrets fondateurs. Il conviendra aussi de saisir les origines du gouvernement général, d'en répertorier les différentes institutions et leur fonctionnement puis les principes d'organisation défensive (répartition des tâches entre autorités militaires des différentes armes, modalités d'utilisation des forces maritimes et aériennes). Enfin, les troupes d'infanterie coloniale comme les tirailleurs, les méharistes ou encore les gardes de cercles jouent une fonction essentielle dans la surveillance du territoire fédéral. Aussi est-il indispensable de comprendre leur mode de recrutement, leur répartition spatiale et enfin leurs missions, dans l'optique de la garde de l' AOF. L'historiographie de la colonisation' perçoit la période de l'entre-deuxguerres comme celle du règne d'une paix générale, «[... ]résultat final d'opérations de pacification, ultimes campagnes au cours desquelles le vainqueur acheva de désarmer les populations soumises29.» Une telle conception peut être validée, si l'on conçoit que les populations aofiennes ne songèrent pas à se constituer en solidarités susceptibles de forger une oPPQsition unifiée à l'entreprise coloniale30. Or, si cette « pax gallica » assura une certaine~ sécurité en empêchant des confrontations armées entre Africains, elle fut pourtant troublée durant la période considérée. Aussi, la seconde partie de notre étude se propose-t-elle d'aborder la problématique de la défense intérieure du groupe par les troupes coloniales. La «paix française» qui devait s'imposer à l'ensemble des populations soumises, fut en effet celle d'un ordre établi par la force et maintenue par une police attentive3! .Toutefois la question du «maintien de l'ordre» se posa en fonction du type d'organisation sociale des populations insurgées et des conditions naturelles de leurs aires d'habitat. La présence coloniale avec son cortège d'exigences (impôts, recrutement militaire, prestations de travail etc.) 28 La fédération de l'AOF fut forgée par le décret du 16 juin 1895. 29 Denise BOUCHE, Histoire de la colonisation... , p. 144. 30 Jacques FRÉMEAUX, ~es empires coloniaux dans le processus Maisonneuve & Larose, 2002, 371 p. p. 262. 31 Denise BOUCHE, Histoire de la colonisation... , p. 146. 14 de mondialisation, Paris, qu'implique en partie la « mise en valeur des colonies32 », ne manqua pas de susciter des insurrections et révoltes des populations noires: Sahoué, Dogon et Lobi de l'AOF, et d'entraîner par ricochet l'intervention brutale des forces coloniale. Il sera donc essentiel de comprendre l'organisation politique et sociale de ces populations, de diagnostiquer les causes objectives des résistances, leurs manifestations, leurs objectifs et enfin d'aborder les modalités de la répression appliquée par les autorités coloniales. Notre second chapitre traite de la question de la surveillance du Sahara et des stratégies militaires élaborées par les troupes françaises aux prises avec les turbulentes populations nomades, Regueibat, Touareg et Toubou. La frange désertique « Mauritanie, Nord de Tombouctou et Niger» fut, durant l'entredeux-guerres, le théâtre d'un véritable « bras de fer »33 qui opposa les forces méharistes françaises - chargées du contrôle et de la police d'un immense territoire, aux conditions naturelles difficiles - aux populations nomades farouchement attachées à leur mode de vie traditionnel (pillage, nomadisation) et nullement disposées à se conformer au nouvel ordre politique et économique imposé par la colonisation française (instauration de la notion de frontières, impôts, politique de contrôle des nomades et sédentarisation. ) La troisième grande problématique de notre réflexion sera consacrée à la question de la défense extérieure fédérale. Timidement abordé dans la quinzaine d'années qui suivit la fin de la grande guerre, l'effort d'interdiction de l'accès de l'espace fédéral à des ennemis extérieurs prît une actualité particulière au milieu des années 1930. La montée des tensions en Europe (guerre d'Espagne, formation de l'Axe de fer Rome-Berlin) et la véhémence des revendications coloniales des belligérants trouvent en effet un prolongement en AOF, confinée de part et d'autre par des possessions coloniales espagnoles (Rio de Oro, Canaries, Séguiet el-Hamra), italiennes (Tripolitaine), britanniques (Gambie, Sierra-Léone, Gold-Coast, Nigeria) et éventuellement allemandes (mandats du Cameroun et du Togo )34. En filigrane des facteurs géopolitiques que nous venons d'évoquer, un premier chapitre s'efforcera de disséquer les différents plans de défense terrestre fédérale, leur évolution et adaptation en fonction de la situation internationale de la France. Pour ce faire, il convient de mesurer le poids de l'Afrique noire dans le système stratégique français et de saisir la nature des périls aux portes de l'AOF. Dans un second temps, il est important d'aborder la mission des troupes, l'organisation de leur commandement et les modalités d'application militaires des plans au niveau des «théâtres d'opération locaux» des frontières et des confins. 32 Albert SARRAULT, La mise en valeur des coloniesfrançaises, Paris, Payot, 1923, 656 p. 33 Contrairement aux populations noires « sur la défensive », les nomades du Sahara ont su alterner phase offensive et défensive vis-à-vis des troupes françaises. 34 Depuis 1935, le Reich revendiquait ses deux anciennes colonies devenues mandats français depuis la fin de la grande guerre. 15 À ce titre, l'étude du plan d'action offensive des troupes de l'Afrique française contre les possessions espagnoles du Sahara occidental constituera un exemple inédit de conceptualisation de la couverture des confins sahariens de l'Afrique Occidentale. Jusqu'à la reddition de la France en juin 1940, les plans de défense de l'empire français ont cessé d'être purement « coloniaux» pour intégrer le cadre plus général de la Défense nationale d~ la France. Une telle conception qui s'est imposée dès le lendemain du premier conflit mondial, suppose de la part des populations colonisées une contribution militaire à la sauvegarde de l'indépendance métropolitaine. Il s'agit donc de mesurer dans toute sa complexité la participation des tirailleurs sénégalais à la bataille de France, depuis leur recrutement au sein de leurs colonies d'origine jusqu'à leur désastreux engagement dans des combats perdus d'avance contre les forces allemandes. La dernière partie de notre réflexion tentera de répondre à la question de savoir, en quoi la place de Dakar peut être considérée comme la pierre angulaire du système stratégique érigé par la France dans son Afrique Occidentale. Pour ce' faire, un premier chapitre s'intéresse à l'avènement du système militaire et défensif français accompagnant l'implantation d'une ville et d'un port sur la presqu'île du Cap-Vert entre 1857 et 1898. Ensuite, nous verrons comment la situation géostratégique et tactique privilégiée de ce point d'appui détermine les principes de son organisation défensive. Un second chapitre abordera la problématique de -l'évolution de la logistique défensive de l'espace maritime dakarois et des « ports défendus» fédéraux en filigrane des problèmes budgétaires métropolitains de l'après-guerre puis en fonction de l'impact des tensions internationales sur l'effort de renforcement effectif de la base à partir de la fin des années 1930. Il convient donc d'évaluer les capacités logistiques et la valeur défensive des fronts maritimes et terrestres de la base de Dakar et des autres ports maritimes de l'AOF, partant de l'étude d'une part de la configuration de leurs systèmes de sécurité fixes, mobiles maritimes et terrestres, et d'autre part de l'organisation du 6ème RAC et du 7ème RTS chargés de l'interdiction des différents fronts défensifs de la presqu'île du Cap-Vert. Enfin, il s'agit de comprendre comment, de la signature de l'Armistice de juin 1940 à son ralliement en novembre 1942, la place de Dakar a constitué un enjeu stratégique majeur pour chaque belligérant (Britanniques, FFL et régime de Vichy) au point de constituer l'objet des violents affrontements de septembre 40, puis d'un puissant effort de renforcements défensifs par le gouvernement de Vichy pour empêcher tout ralliement de l'AOF aux forces alliées. 16 PREMIÈRE PARTIE: ADMINISTRATIF, MILITAIRE L'AOF LE SYSTÈME ET DÉFENSIF DE La colonisation française des entités traditionnelles africaines s'est accompagnée de la destruction, de la dénaturation et parfois de l'utilisation des structures politiques préexistantes. L'ordre colonial qui s'établit au fur et à mesure de l'avancée de la conquête, érige parallèlement un système d'organisation politique, administratif et militaire original. Ce cadre fut cependant régi par des principes autoritaires hérités du régime du Second Empire français35. L'implantation de ce nouvel organigramme de distribution des pouvoirs politico-administratifs, du commandement et de la responsabilité Inilitaire et défensive était destinée à assurer la mainmise coloniale. La puissance impériale n'a pas cherché à organiser ses colonies selon la spécificité de chacune d'elles, mais seulement en fonction de ses objectifs propres, de la pression des événements, de l'efficacité de son administration, alliant centralisation et délégation des responsables militaires et civils dans les différentes colonies. Si, la création de l'Afrique occidentale française en juin 1895 répond à la volonté du colonisateur de résoudre des difficultés d'ordre politique et administratif rencontrées sur le terrain, les modifications successives introduites par les divers décrets (1899, 1902, 1904, 1920 etc.) dénotent la volonté de celui-ci d'asseoir sa domination militaire et s'1-mainmise politique et économique sur une entité fédérale pilotée depuis le Gouvernement général à Dakar. Parallèlement à ces exigences politiques et administratives, le contexte international de rivalités et de tensions impériales de l' entredeux-guerres eût comme conséquence d'ériger des fondements conceptuels et juridiques de la défense fédérale de la base navale de Dakar et des ports défendus africains. En somme, il s'agit dans un premier temps de s'interroger sur les origines et objectifs de la création d'un gouvernement général de l' AOF (1895). Il convient par la suite de disséquer l'ossature politico-administrative et les responsabilités du commandement militaire et défensif qui fondent le gouvernement fédéral. Enfin, l'occupation militaire de l'espace terrestre constitue l'élément premier des droits de souveraineté coloniale. Aussi l'étude de la répartition et des missions des forces d'infanterie coloniale qui assurent le maintien de l'ordre et la police coloniale, préalables à l'organisation d'une défense extérieure s'avère fondamentale pour comprendre la stratégie de défense globale déployée par la puissance coloniale dans l'espace fédéral. 35Pierre-François GONIDEC, Droit d'outre-mer, de l'empire colonial à la Communauté, Paris, éditions Montchrestien, 1959, Tome I, 262 p. D'autre part, l'institution d'un gouvernement général en juin 1895 fixait les principes politiques et juridiques à partir desquels se fonde l'organisation de la défense intérieure et extérieure de l'espace fédéral. On comprendra donc l'utilité et l'importance à analyser la distribution de l'autorité politique et celle des commandements militaires et de la défense dans le cadre juridique fédéral. il s'agira enfin de disséquer les fondements du système d'organisation politique, militaire et défensive sur lesquels s'est appuyée la domination française des territoires conquis et intégrés dans le cadre de la Fédération de l'Afrique occidentale. 18 CHAPITRE I : LE CADRE ADMINISTRATIF ET DÉFENSIF Les origines et objectifs de]a création de l'AOF Le 16 juin 1895, en pleine période de conquête militaire française en Afrique, un décret signé par le Président de la République française, Félix Faure, institue un gouvernement général pour l'Afrique occidentale française (AOF)36. Ce décret introduit donc le principe du régime fédéral, c'est-à-dire le regroupement de collectivités territoriales auxquelles se superpose un État central ou gouvernement général37. Il s'agit tout d'abord de mettre en exergue quelques données historiques et géographiques importantes de la constitution de l'espace fédéral. Ensuite, il conviendra de saisir dans quelles circonstances et selon quelles motivations, le colonisateur fut amené à effectuer un regroupement de ses territoires conquis dans un cadre politique, administratif et militaire centralisé. Or, «vue du bas », c'est-à-dire considérée dans une perspective africaine, la Fédération pourrait apparaître comme une construction artificielle, imposée par une puissance coloniale d'abord soucieuse de satisfaire ses propres aspirations, sans se préoccuper outre mesure des intérêts des populations concernées38. D'où l'importance à analyser les objectifs poursuivis par la France dans la création d'une Fédération qui, en moins d'un siècle d'existence (1895-1959) aura profondément marqué les colonisés39. Pourquoi instituer un gouvernement général? Dans son rapport au Président de la République, précédant le texte de décret de création du gouvernement général, Camille Chautemps, ministre des colonies, justifie le regroupement des possessions coloniales françaises de l'Ouest africain du fait des conflits de compétences que gênerait alors l'extension du domaine colonial africain, et de fait par « la nécessité devenue impérieuse de donner plus d'unité [...] à la direction politique et à l'organisation militaire [...]40.» L'extension progressive de la sphère de 36Catherine CAPKO- VODOUHÉ, « Les origines et objectifs de l' AOF », dans AOF, réalités et héritages Charles BECKER, Saliou M'BA YB, et al., Actes Colloque sur le centenaire de l' AOF, Dakar, 1997, Volurne I, 663 p. p. 59-74, p. 66. 37Pierre CHARMEIL, Les Gouverneurs généraux des colonies françaises, leur pouvoir et attribution, Paris, Sagot, 1927, 143 p, p. 35. 38Pierre-François GONIDEC, « L'AOF, amorce d'un État fédéral? », dans AOF, réalités et héritages... Charles BECKER, Saliou M'BA YB et al., Actes Colloque sur le centenaire de l' AOF, p. 28-35, p. 28. y 39Catherine COQUER -VIDROVITCH, « Du territoire à l'État-nation: le cas de l' AOF », dans AOF, réalités 'et héritages..., Charles BECKER, Saliou M'BAYE, Actes, Colloque sur le centenaire de l'AOF, p. 21-27. 40 « Décret du 16 juin 1895 portant création du Gouverneur général de l' Aftique occidentale . française », JORF', 162 (17 juin 1895), p. 3883-85. domination et de l'autorité coloniale françaises en Afrique à la fin du XIX èmesiècle pose en effet la question des compétences. Surtout entre territoires frontaliers, mais administrés par des autorités civiles ou militaires jalouses de leurs prérogatives, et de leur indépendance. Géohistoire de l'Afrique Occidentale Le processus de formation territoriale de l'empire colonial français d'Afrique enclenché par le colonel Faidherbe au Sénégal vers 1854 ne s'est pas opéré sans oppositions de la part des Africains. En fait, cet effort de conquête territoriale est fonction, d'une part, de la résistance des royaumes, chefferies ou émirats aux troupes coloniales, d'autre part, de la validité des traités passés avec les souverains locaux, selon le principe « d'occupation effective» édicté par l'Acte de Berlin, et enfin de l'âpreté de la concurrence livrée par d'autres puissances coloniales rivales pour la pénétration des hinterlands 41 . La formation territoriale de l'AOF fut un moment important dans les rapports entre la France et les entités traditionnelles africaines. Elle procède en effet d'un syncrétisme politique, économique et militaire entre deux mondes différents. La projection de la puissance coloniale dans le continent africain s'effectua d'une part par la force armée, appuyée sur des traités souvent « arrachés» aux chefs africains, et d'autre part sur la volonté de transformer radicalement la géographie administrative des espaces annexés et le mode de vie de ses populations dans le cadre d'un nouvel ordre régi selon la volonté de la puissance dominante. Si le processus d'horogenèse, c'est-à-dire la formation des frontières du continent européen s'était étalé sur plusieurs siècles, le découpage territorial de l'Afrique s'effectua quant à lui dans une période très courte. En 25 ans, soit de 1885 à 1910, 70 % des frontières africaines furent tracées42. La formation territoriale d'un empire colonial en Afrique occidentale s'inscrit dans ce mouvement impérial qui fait de la possession de territoires coloniaux une marque de standing et de rang dans le concert des grandes puissances. La pénétration française de l'Ouest africain fût axée sur deux itinéraires: l'un, maritime, longe le golfe de Guinée, d'escale en escale, sans visée sur l'hinterland pour aboutir au Congo; la deuxième direction, terrestre et d'orientation Est, remonte le fleuve Sénégal pour rejoindre le Soudan puis le Niger et le Tchad: la fameuse « marche vers le Niger ». 41 L'Acte général de la Conférence de Berlin ne lance pas la conquête officielle de l'Afrique, il établit plutôt le principe de la libéralisation du commerce dans le bassin du Congo d'une part et édicte par ailleurs diverses procédures pour l'occupation effective des territoires. 42Michel FOUCHER, Fronts et frontières: un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1988, 527 p. p. 110. 20 Elle est le fait d'une « armée coloniale »43 confiée à une poignée d'officiers comme Faidherbe dont l'influence est prépondérante dans la nomination de Gallieni et de Binger en 1886 pour le Soudan. Le colonel Faidherbe fut également à l'origine de la « course vers l'est» entreprise depuis 1878 par ses successeurs Brière de l'Isle et Borgnis-Desbordes. Menée à l'origine par des marsouins, troupes blanches de l'infanterie de marine, la conquête fut par la suite assurée par des troupes recrutées dans le pays, les fameux bataillons de tirailleurs sénégalais, véritables outils de la domination et de l'emprise françaises dans l'Ouest africain44. Face à l'intrusion coloniale et à l'occupation de leurs territoires, l'attitude des institutions politiques africaines (royaumes, chefferies, émirats maures, communautés villageoises etc.) fut des plus diverses. Elle va en effet de la collaboration intéressée ou forcée à l'héroïsme suicidaire, en passant par le refus frontal ou passif5. Aussi, jouant des « rivalités de cour », passant de nombreux traités de protectorat censés écarter des concurrents européens éventuels dans le scramble46, la France substitue aux territoires traditionnels africains, un espace colonial vaste d'environ 4 634 000 km2, dans lequel « se succèdent confins sahariens et zones semi-arides, savanes arborées et grandes forêts [...]47.» Ces territoires de l'Ouest africain furent de trois types si l'on considère leur situation, leur géographie et 1'histoire de leur conquête. Il s'agit d'abord des « colonies de la côte occidentale africaine» (Sénégal. Soudan français et Guinée), « colonies du golfe de Guinée» (Côte-d'IvoireHaute-Volta, Dahomey et du mandat du Togo) et enfin en « colonies sahariennes» formées des territoires de Mauritanie et du Niger. Bien avant la fin de l'ère du scramble et de la formation territoriale de son domaine colonial africain, le colonisateur avait pris conscience du fait que celui-ci ne pourrait demeurer qu'une simple entité géographique. On pensa en effet à donner à ces territoires conquis une expression politique et une cohérence administrative et à assurer leur occupation militaire, condition sine qua non de leur mise en défense et donc à leur sauvegarde. Par voie de conséquence, le décret du 16 juin 1895 crée un Gouvernement général de l'AOF dans lequel sera intégré l'ensemble des colonies françaises au fur et à mesure de leur conquête48. 43Marc MICHEL, « L'armée coloniale en Afrique Occidentale Française », p. 57-78, sous la direction de Catherine COQUER Y -VIDROVITCH, L'Afrique Occidentale au temps des français, colonisateurs et colonisés (1860-1960), 1992. 44 Ibid., p. 57. 45Jeanne-Marie KAMBOU-FERRAND, Peuples voltaïques et Conquête coloniale (18851914) Paris, ACCT-I'harmattan, 1993,467 p. 46 En 1914, la France est la deuxième puissance coloniale derrière l'Angleterre, ses possessions couvrent alors 10 millions de km2, soit 20 fois la superficie de la métropole. 47 Claudine COTTE, « Géopolitique de la colonisation », p. 79-104, p. 84, sous la direction de Catherine COQUERY-VIDROVITCH, L'Afrique occidentale au temps des français: colonisateurs et colonisés (1860-1960), 48 Clément CAPKO-VODOUHÉ,« Paris, 1992. Les origines 21 _ et les objectifs... », p. 59-74. La persistance des résistances africaines à la conquête Contrairement à l'optimisme démesuré souvent affiché par les rapports de situation politique de l' AOF49, l'action de conquête territoriale entreprise par la France depuis l'époque de Faidherbe, ex~lusivement par la force, se èmesiècle. heurta à des résistances dans les colonies africaines à la fin du XIX A la veille de la fondation du gouvernement général, un regard géographique sur l'Ouest africain permet en effet de constater qu'outre le Sénégal déjà bien entamé et les coups d'éclats de quelques récits d'explorateurs sur le Soudan, les espaces côtiers du golfe de Guinée restèrent encore peu connus50. Parallèlement à un espace colonial aux limites encore floues, subsistent, à la fin du XIX èmesiècle, des États africains indépendants tels le pays de Kong occupé par Samory, le royaume de Sikasso où règne Babemba, le royaume du Fouta Djallon, le royaume mossi ou encore les Émirats maures du Trarza et du Brakna dans le Sahara51. La conférence de Berlin (1884-1885), édicta certes des règles de pénétration des hinterland africains, mais elle ne partagea pas le continent. Elle contribua plutôt à accentuer les rivalités entre puissances dans le cadre de la «course au clocher ». La conquête généra en conséquence des résistances chez les États, royaumes et émirats africains52. De fait, en 1895, la prise de possession des espaces traditionnels africains fut loin d'être achevée. On pouvait alors observer le caractère plutôt hétérogène des établissements français de l'Ouest africain tant sur le plan physique, humain qu'économique53. Cette situation ne sembla pas avoir préoccupé les promoteurs du projet de création d'un gouvernement général. En revanche, les circonstances spéciales créées par les rivalités et conflits de compétences entre gouverneurs de colonies voisines par rapport à la méthode et à la politique à mener vis-à-vis des résistances africaines, constituèrent très vite des obstacles majeurs que la puissance coloniale entendait bien surmonter. 49Gouvernement général de l'AOF, Affaires administratives AOF (1893-1920), ANFCARAN, microfilms 200 mi 1079 à 1083. 50 Gérard BRASSEUR, « Un regard géographique de l' AOF de 1895 », Charles BECKER et al., Actes du Colloque sur le centenaire de l'AOF Dakar, 1997, p. 36-49. 51M'Baye GUÉYE et Albert ADU-BOAHEN, « Initiatives et résistances africaines en Afrique occidentale de 1880 à 1914 », sous la dir Albert ADU-BOAHEN, Histoire générale de l'Afrique, Volume VII, UNESCO, 1989,534 p, p. 107-19. 52/bid., p. 109-14. 53 Gérard BRASSEUR, « Un regard géographique... », p. 46-47. 22