ENSEIGNEMENT DE SPÉCIALITÉ Ce sujet comporte deux documents. THÈME DU PROGRAMME : Progrès technique et évolution économique, Joseph Schumpeter DOCUMENT 1 : « Nous avons vu que le rôle de l’entrepreneur consiste à réformer ou à révolutionner la routine de production en exploitant une invention ou, plus généralement, une possibilité technique inédite. « C’est à ce genre d’activités que l’on doit attribuer la responsabilité des « prospérités » récurrentes qui révolutionnent l’organisme économique, ainsi que des « récessions » non moins récurrentes qui tiennent au déséquilibre causé par le choc des méthodes ou produits nouveaux. La mise en œuvre de telles innovations est difficile et constitue une fonction économique distincte, en premier lieu parce qu’elles se détachent des besognes de routine familières à quiconque et, en deuxième lieu, parce que le milieu économique y résiste par des moyens divers. Pour agir avec confiance au delà de la zone délimitée par les balises familières et pour surmonter ces résistances du milieu, des aptitudes sont nécessaires qui n’existent que chez une faible fraction de la population et qui caractérisent à la fois le type et la fonction d’entrepreneur. « Or, cette fonction sociale est, dès à présent, en voie de perdre son importance et elle est destinée à en perdre de plus en plus et à une vitesse accélérée dans l’avenir [...] ». Joseph Aloïs SCHUMPETER, Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942 DOCUMENT 2 : « L’année 2003 a été sans conteste celle de la photo numérique en France. Les ventes d’appareils numériques ont fait un bond de 125 % en volume, à 2,5 millions d’unités. Il s’est même vendu pour la première fois plus de numériques que d’argentiques (classiques) en volume. Au point que les ventes totales qui oscillaient depuis cinq ans entre 2,3 et 2,6 millions d’unités ont explosé en 2003 à 3,5 millions d’appareils : ‘‘L’appareil photo numérique a été le cadeau de fin d’année’’. Principale raison à cette envolée : la démocratisation du produit. Le prix moyen est passé de 773 € en 2001 à 395 € aujourd’hui. Et il devrait encore baisser de 25 % cette année, à 295 €. A ce jour, 18 % de foyers sont équipés, ce qui laisse une bonne marge de progression. « Dans ce contexte, les industriels se bousculent au portillon et les fabricants issus du monde du PC, de la chaîne de l’image (HP, Epson...) et de l’électronique grand public (Sony, Toshiba, JVC...) viennent narguer les acteurs classiques (Canon, Olympus, Kodak...) sur leur terrain. "Une quarantaine de marques se disputent le marché, dont une quinzaine de majeures, constate F. Klipfel. Il est évident qu’il va y avoir un mouvement de consolidation dans les deux ou trois ans et qu’au final, subsisteront seulement 7 à 8 acteurs." Le marché mûrit donc, d’où un rythme de croissance qui devrait se tasser cette année ». La Tribune, 26 mars 2004 QUESTIONS : 1. À partir de vos connaissances et du document 1, caractérisez l’entrepreneur et son rôle dans le système capitaliste selon Schumpeter. (8 points) 2. Expliquez la phrase soulignée. (document 1) (6 points) 3. L’analyse de Schumpeter vous paraît-elle confirmée dans le document 2 ? (document 2) (6 points) 1. À partir de vos connaissances et du document 1, caractérisez l’entrepreneur et son rôle dans le système capitaliste selon Schumpeter. (8 points) Rappel de méthode : introduction sur pourquoi Schumpeter se pose cette question ; définition principale des termes ; puis explication à partir du cours et de l’utilisation de citations. Tout au long de son existence, Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950) a un contact constant avec le monde des affaires et en connaîtra tous les hauts et les bas : expansion économique avant la Première Guerre Mondiale, difficultés de la reconstruction germanique et inflation forte de 1921 à 1923, croissance des années 1924 à 1929, crise économique de 1929 qui laisse des traces jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale. Fort de cette expérience, il essaiera notamment dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942) de comprendre le caractère cyclique de l’économie et le rôle de l’entrepreneur dans cette dynamique. Pour Schumpeter, l’entrepreneur est un acteur économique à part. A la manière de Max Weber, il en décrit un idéaltype. La principale caractéristique de l’entrepreneur est d’être un innovateur, c'est-à-dire celui qui transforme une invention en une application économique. Comme par exemple Denis Papin qui imagina la cocotte-minute à partir du principe scientifique de la pression occasionnée par la vapeur d’eau dans un récipient clos. A ce titre, il est capable de « révolutionner la routine de production ». La mise en place d’une innovation risque en effet de changer les habitudes de production. Ce fut par exemple l’apport de Taylor à l’économie dont l’innovation, le taylorisme, a modifié en profondeur les manières de produire en Occident. Il joue donc un rôle capital dans l’économie puisque il apporte les innovations qui sont au cœur des cycles économiques de la production et de l’extension progressive du développement. Pour tenir ce rôle, l’entrepreneur est un individu qui dispose de qualités particulières. Il n’est pas nécessairement rationnel mais a bien plus une capacité à se projeter dans l’avenir. C’est ce qui lui permet « d’agir avec confiance au delà de la zone délimitée par les balises familières », c'est-à-dire qu’il arrive à gérer une situation inconnue engendrée par l’innovation. De plus, il dispose d’une opiniâtreté et d’un charisme qui lui permettent de « surmonter les résistances » économiques et sociales qu’il pourrait rencontrer en mettant en place son innovation. C’est par exemple grâce à sa capacité à convaincre les milieux des affaires américains qu’Edison a réussi à généraliser l’utilisation de l’électricité comme source d’énergie à la fin du XIXème siècle. 2. Expliquez la phrase soulignée. (document 1) (6 points) Rappel de méthode : explication du mécanisme en jeu à partir du cours et de l’utilisation de citations. En innovant, l’entrepreneur tient un rôle central dans l’économie capitaliste selon Schumpeter. Son intervention explique le caractère cyclique de l’économie, notamment pour les cycles longs (environ 50 ans) qu’on appelle cycles de Kondratieff. Le premier effet de l’innovation est tout d’abord d’inciter d’autres entrepreneurs à innover, par imitation, par mise en confiance ou simplement par opportunité étant donnés les nouveaux besoins qui ont émergé suite à la première innovation. L’innovation que fut le moteur à explosion a eu pour effet de développer les innovations que furent l’automobile, les pompes à essence, les routes goudronnées, les lieux de tourisme, etc. Cette grappe d’innovations a pour effet global de rendre disponible de nouveaux produits sur le marché et dans le même temps de réduire les coûts de production. En réduisant les coûts unitaires de production, il est désormais possible de produire plus avec des dépenses identiques, ce qui a pour effet d’augmenter la production et donc de causer une phrase de « prospérité ». On peut par exemple attribuer la forte croissance des Trente Glorieuses aux innovations découlant de l’introduction du moteur électrique et du plastique. Cependant, dès qu’une grappe d’innovations apparaît, il s’opère une révolution de « l’organisme économique ». Les anciennes entreprises n’innovant pas ne peuvent pas réduire leurs coûts de production et leurs prix, pas plus qu’elles ne peuvent proposer des nouveaux produits. Elles sont amenées à perdre progressivement des parts de marché jusqu’à finalement faire faillite. Ce processus de mutation sectorielle est appelé par Schumpeter la destruction créatrice. On en voit un exemple avec la disparition progressive des maréchaux-ferrants au début du XXème siècle quand se généralisent la voiture et le métier de garagiste et de mécanicien. Au bout d’un moment, les fermetures d’entreprises non innovantes sont plus visibles que la croissance des entreprises innovantes. La production totale de l’économie progressera alors à un rythme moins soutenu qu’auparavant. C’est une période de récession qui commence alors, constituant la deuxième phase du cycle Kondratieff. 3. L’analyse de Schumpeter vous paraît-elle confirmée dans le document 2 ? (document 2) (6 points) Rappel de méthode : rappel de la théorie de l’auteur, explication de la pertinence de l’exemple à partir de ce qui a déjà été dit dans les questions 1 et 2 et de l’utilisation de citations. Selon Schumpeter, les entrepreneurs ont pour rôle d’amener des innovations dans l’économie, ce qui a pour effet d’entraîner une période d’expansion économique forte suivie d’une période de ralentissement en raison d’un processus de destruction créatrice. Cette théorie s’applique parfaitement au secteur des appareils photographiques. Suite à l’introduction d’une innovation, l’appareil photo numérique, le secteur a connu une mutation et une phase d’expansion puis de ralentissement de la production. Dans un premier temps, les producteurs d’appareils argentiques et de numériques ont continué à vendre tous deux leurs produits, jusqu’au moment où les ventes de numériques ont dépassé celles d’argentiques. Il y eut alors une augmentation forte de la production totale d’appareils (argentique plus numérique), passant de 2,3 millions en 1998 à 3,5 millions en 2003 selon La Tribune. Dans le même temps, le secteur s’est recomposé. « Les fabricants issus du monde du PC, de la chaîne de l’image (HP, Epson...) et de l’électronique grand public (Sony, Toshiba, JVC...) viennent narguer les acteurs classiques (Canon, Olympus, Kodak...) sur leur terrain ». Face aux innovateurs, les anciennes entreprises doivent innover pour ne pas perdre de parts de marché. Parmi elles, certaines perdent des parts de marché et vont bientôt disparaître. C’est pour cette raison que la production totale va arrêter sa rapide augmentation pour reprendre un rythme moins soutenu.