02 décembre 2013 Introduction à la conférence des Comités Moyen-Orient et Asie de l’ANAJIHEDN Iran : de la normalisation diplomatique à l’ouverture économique ? Au lendemain de la signature d’un accord valable six mois entre l’Iran et le groupe des 5 + 1 (membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) prévoyant l’allégement des sanctions imposées à l’Iran, les réactions de tous bords ne se sont pas fait attendre. Cet accord intermédiaire stipule notamment qu’en échange d’une baisse des sanctions de 6 à 7 milliards d’euros, Téhéran s’engage à ne pas enrichir son uranium de plus de 5% et à traiter les stocks d’uranium déjà enrichis à 20% pour qu’ils perdent leur qualité « militaire ». La période que nous vivons est marquée par une rare conjonction de facteurs favorables à un rapprochement entre l’Iran et la communauté internationale. En effet, déjà en 2003, les ministres des affaires étrangères français, britannique et allemand s’étaient rendus à Téhéran pour envisager une voie diplomatique, moins séduisante aux yeux de l’administration de George.W. Bush que celle des armes. En 2006, l’attitude provocatrice de Mahmoud. Ahmadinejad avait conduit le Conseil de sécurité à décréter des sanctions contre l’Iran. Aujourd’hui, le monde voit des chefs d’Etat, responsables et démocratiquement élus1, se tourner vers la voie prônée par l’Union Européenne et représentée par Catherine Ashton, c'est-à-dire une voie qui vise à parvenir, par la négociation, à des solutions acceptables pour les deux parties et à la construction d’un environnement apaisé. Cette conjonction de facteurs est suffisamment rare, voire fragile, pour être soulignée. Selon les chercheurs Elena Aoun et Thierry Kellner, « l’Iran est économiquement exsangue, plus isolé que jamais politiquement, et ceci dans un contexte de sécurité considérablement dégradé. 2» Pour autant, comme l’évoquait Thierry Coville dans son intervention à l’Ecole militaire à Paris dans le cadre de la table-ronde « Iran : vers la levée des sanctions ? » organisée par l’IRSEM le 7 novembre 2013, si les sanctions infligées à l’Iran ont eu des conséquences3, bien au-delà du strict giron de l’économie iranienne, les accords qui viennent d’être signés tiennent davantage à la volonté de deux esprits de mettre un terme à des relations conflictuelles et de se mettre à la table des négociations dans le respect de l’autre, qu’à un Iran qui serait à bout de souffle en raison des sanctions qui lui ont 1 Ancien négociateur en chef sur le dossier nucléaire entre 2003 et 2005 et présenté comme un « conservateur modéré », Hassan Rohani a été élu le 14 juin 2013 Président de la République Islamique d’Iran. 2 Elena Aoun et Thierry Kellner : « Vers une solution négociée du nucléaire iranien ? Dynamiques favorables et vents contraires », note du GRIP, 8 novembre 2013 3 Entre 2011 et 2012, les exportations iraniennes de pétrole ont diminué de moitié. Or l’économie du pays repose très largement sur ces exportations. Dans le même temps, les exportations non pétrolières ont sensiblement augmentées, notamment grâce à un soutien de l’Etat. Par ailleurs, la contrebande représenterait près du tiers des importations iraniennes. 1 02 décembre 2013 été infligées. Pour Bernard Hourcade, si les sanctions ont appauvri la classe moyenne de la société iranienne, le régime n’a quant à lui pas été affaibli. Il s’agit aujourd’hui, quelles qu’aient pu être les conséquences des sanctions sur l’économie iranienne, de ne pas manquer cette occasion car pourraient revenir sur le devant de la scène des forces bien plus favorables au maintien, voire à un durcissement des sanctions à Washington et en faveur d’une politique résolument anti-étatsunienne à Téhéran. En Iran, le principal adversaire du candidat Hassan Rohani, et ancien négociateur dans le dossier nucléaire, Saïd Jalili, a ainsi profité de « la journée nationale du combat contre l’arrogance mondiale », qui se tient tous les ans le 4 novembre en mémoire de la prise de l’ambassade américaine par Téhéran, pour dénoncer une nouvelle fois les Etats-Unis aux cris de « Mort à l’Amérique ! »4. Par ailleurs, ce rapprochement recueille nécessairement le soutien au moins tacite de l’ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême. Mais, s’il est indispensable à la poursuite des négociations, ce soutien est aussi fonction de la tournure qu’elles prendront et de la capacité de Hassan Rohani à faire avancer ce dossier sans se mettre à dos les franges les plus conservatrices du régime. Par ailleurs, du côté occidental, l’administration Obama doit faire face à de nombreux partisans d’une politique exclusivement coercitive tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les républicains américains ont ainsi « fustigé ce compromis passé avec un Etat qui parraine le terrorisme »5. Israël a de son côté dénoncé une « erreur historique », « un mauvais accord » bâti sur des « illusions »6. Pour le gouvernement Netanyahou, le Président Rohani est « un loup déguisé en agneau, dont la stratégie reposerait sur une ouverture factice destinée à obtenir un assouplissement des sanctions qui étranglent le régime ainsi que le temps suffisant pour achever la construction de l’arme nucléaire. »7 Dans ces conditions, des efforts devront être fournis par toutes les parties en présence afin de ne pas manquer cette occasion de rapprochement. On se souvient enfin de l’Executive Order Act 13645 signé par Barack Obama le 3 juin 2013 et dont le second volet sanctionne toute entité étrangère qui vend, livre, fournit des pièces ou des services au secteur automobile iranien8. Pour Michel Makinsky, « L’objectif réel de Barack Obama est de purger le marché iranien de toute concurrence étrangère au cas où un rapprochement s’ébaucherait entre Washington et Téhéran. » Dans ce contexte, quelle position la France adoptera-t-elle pour défendre ses intérêts dans la région ? Stéphane Cholleton, 60 e session Jeunes, Lyon 2008 Responsable du Comité Asie [email protected] 4 Elena Aoun et Thierry Kellner, article cité Rue 89 : « Accord « historique » à Genève sur le nucléaire iranien, critiqué par Israël » http://www.rue89.com/2013/11/24/accord-trouve-a-geneve-nucleaire-iranien-247793#end 6 Ibidem 7 Elena Aoun et Thierry Kellner, article cité 8 Michel Makinsky : « Retour de Washington en Iran : sanctions et concurrence déloyale contre la France », Les Echos, 29/07/2013 5 2