Le griot, mémoire de l`Afrique

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TRADITION
Le griot, mémoire
de l’Afrique
Si la culture africaine se
transmet grâce aux paroles,
le griot, poète et alchimiste
du verbe, immortalise ce
savoir ancestral.
E
n Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une
bibliothèque qui brûle. »
Cette célèbre phrase a été prononcée
en 1960 à l’Unesco par l’écrivain
malien Amadou Hampâté Bâ, pour
signifier que si l’Afrique a surtout
une culture orale, elle n’en était pas
pour autant illettrée. « Vous confondez, à ce que je vois, l’écriture et le
savoir. Pour nous, l’écriture est une
photographie du savoir, expliquait
alors Amadou Hampâté Bâ. Le savoir
est la lumière qui est en l’homme. Il est
l’héritage de tout ce que les ancêtres ont
pu connaître et qu’ils nous ont transmis en germe. » Ces quelques mots
résument parfaitement l’importance de la tradition orale en Afrique
de l’Ouest. La tradition orale africaine procède essentiellement de la
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internationa
international/ cultures africaines
parole. Loin de considérer cette
situation comme un obstacle à la
diffusion de la connaissance scientifique, Amadou Hampâté Bâ a mis
Dans la culture africaine,
le savoir est transmis par la parole.
RENCONTRE AVEC MARC ROGER, LE GRIOT BLANC
Lecteur public, Marc Roger a parcouru
à pied les 5 000 kilomètres qui
séparent Saint-Malo de Bamako, au Mali
en lisant à voix haute, au gré de ses étapes,
romans, poèmes et nouvelles
d’auteurs français et africains, évoquant
l’Afrique d’hier et d’aujourd’hui.
Entretien avec un passeur d’écritures.
POURQUOI S’APPELER LE GRIOT BLANC ?
C’est une formule de poète que j’ai imaginée
pour créer un pont entre ma culture occidentale, qui
vient de l’écrit, et la culture africaine, qui est partie
de l’oral pour s’acheminer vers l’écrit. La lecture à
voix haute que je pratique constitue une passerelle
entre ces deux cultures. Me revendiquer griot
blanc était une manière de toucher mon public.
VOUS N’AVEZ PAS DÛ PASSER INAPERÇU…
En effet, un blanc qui marche avec un âne se repère
de loin ! Sur le chemin, on m’abordait sans arrêt,
me demandant mon nom, d’où je venais, si j’étais
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en valeur les acquis de la tradition
orale et a affirmé que la plus grande
partie du patrimoine culturel de son
pays était « fondée sur la puissance et la
beauté de la parole ». Pendant longtemps, dépourvue de système d’écriture pratique, l’Afrique a entretenu le
culte de la parole, « du verbe fécondant » :
la parole, comme moyen de transmission du savoir.
UNE CASTE RÉVÉRÉE
En Afrique de l’Ouest, la tradition
orale a notamment été incarnée par
les griots, ces narrateurs du passé
et de l’histoire, détenteurs des récits
relatifs aux fondations des empires
et aux hommes illustres et généalogistes hors pairs. Considérés comme
des encyclopédies vivantes, les griots
constituaient une caste à part entière :
on ne devenait pas griot, on naissait ainsi. Certaines lignées de griots
étaient spécialisées en histoire du pays
et en généalogie, en art oratoire ou en
pratique musicale. Aujourd’hui, les
griots sont pour la plupart musiciens.
En Guinée, la famille Kanté est
une célèbre lignée de griots. Avec
des parents griots et un grand-père
maternel puissant chef de griots,
le destin du chanteur Mory
Kanté était tout naturellement
de devenir jali, terme mandingue pour désigner le
griot. Le musicien sénégalais Youssou N’Dour à la
renommée internationale,
également ancien ministre
de la Culture et du Tourisme du Sénégal, est aussi
fils de griotte. Tandis qu’en
Mauritanie, c’est une femme,
Aïchamint Chighaly, qui perpétue la tradition des griots
maures.
Néanmoins,
leur
position a évolué,
certains
d’entre
eux occupant leurs
fonctions
sans
être liés à la caste.
Il en est ainsi de
Salif Keïta, chanteur et musicien
malien issu d’une
famille de princes,
que rien ne prédestinait à devenir griot…
Octobre 2010, Youssou
N’Dour enchante l’Agora.
Concert mémorable
en octobre 2010 de
Salif Keïta aux Arènes.
CLAIRE BOUC
marié et avais des enfants. Le soir, lorsque je demandais
l’hospitalité, on me répondait : « Bonsoir Marc,
comment va la famille ? » Le bouche à oreille avait
fonctionné bien plus vite que mes jambes !
QUEL ÉTAIT VOTRE OBJECTIF ?
Faire découvrir ou redécouvrir aux pays traversés
(France, Espagne, Maroc, Sénégal et Mali) quelques
trésors de nos littératures africaine et française, au
travers de thématiques mêlant violence, drame, humour,
fantaisie, poésie et voyage : Amadou Hampaté
Bâ (Mali), Alain Mabanckou (Congo), Amos Tutuola
(Nigeria), Laurent Gaudé (France), Léopold Sédar
Senghor (Sénégal), Ernest Pépin (Guadeloupe)…
Si mes lectures ont permis à ces gens de passer
un bon moment, mon objectif a été atteint. Si
elles leur ont donné l’envie d’aller plus loin, en
découvrant par eux-mêmes des auteurs, alors c’est
encore mieux, mais l’objectif premier était vraiment
le plaisir partagé. Il l’est toujours aujourd’hui dans
les lectures à voix haute que j’effectue en France.
LE PUBLIC AFRICAIN EST-IL
DIFFÉRENT DU PUBLIC FRANÇAIS ?
Complètement ! Le public africain est sensoriel :
sa culture, empreinte d’oralité, lui a appris
à recevoir la lecture par tous les sens et à y
réagir immédiatement. Je me souviens d’une
lecture de Fatou Diome (Sénégal) au cours de
laquelle un homme, somptueusement vêtu,
touché par une phrase que j’avais lue, s’était
permis de me couper dans ma lecture en disant :
« Mesdames, Messieurs, on applaudit la phrase ! » Ceci serait impensable en France : le public est cérébral, il reçoit d’abord la lecture par le filtre de son
cerveau avant d’éventuellement réagir par des émotions.
PROPOS RECUEILLIS PAR CLAIRE BOUC
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