5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives

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5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives
Coordonnateur de ce numéro : Michel BOURSE (Université de Nantes, France, Université Galatasaray, Turquie)
Présentation du numéro
Michel BOURSE
Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique
Pierre-Yves MODICOM
Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne
Marina CIOLAC
De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une analyse du discours électoral européen de
2009 en France et à Chypre
Dimitris TRIMITHIOTIS
Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchantement de la communication politique dans
l’univers médiatique camerounais
Joseph KEUTCHEU
Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours des publicités politiques faites par les
partis politiques
Halime YÛCEL
« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication politique à la politique de communication
Edgard ABESSO ZAMBO
La stratégie du réseau social (grassroot networking) pendant la campagne présidentielle de Barack Obama,
août-novembre 2008 : discours et symboles du mouvement social
Adeline VASQUEZ-PARRA
Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communication politique en Afrique noire francophone
Louis-Marie KAKDEU
Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et interviews des présidents élus, candidats
vaincus, consécutives à l’annonce des résultats des élections présidentielles
Miroslav STASILO
Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de l’« étoffage » de l’information politique
transmise à la jeunesse. Cas de la construction d’un panthéon mémoriel
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Jacquinot Bamba BISSELE
Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas des dérapages verbaux traités dans une
rubrique de quotidien
Frédéric TORTERAT
La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aperçu de la campagne électorale 2007
Geneviève LEMIEUX-LEFEBVRE
C’est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence
Christelle DELARUE
Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l'Ile Maurice
Julie PEGHINI
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Revue électronique internationale publiée par quatre universités partenaires : Galatasaray (Istanbul, Turquie), Ovidius (Constanta,
Roumanie), Turku (Finlande) et Nantes (France) avec le soutien de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF)
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Editorial
Présentation du numéro
Michel BOURSE, Université de Nantes (France), Université de Galatasaray (Turquie).
Date de publication : 7 juillet 2010
La communication politique se différencie essentiellement des autres espèces de communication par sa
finalité. Dans les sociétés démocratiques représentatives, le sujet politique s’exprime dans l’espace public en
utilisant la communication politique, qui repose sur l’adhésion de l’émetteur au message qu’il délivre. Cette
démarche se différencie de la publicité politique, utilisée de plus en plus dans nos démocraties modernes : elle
véhicule plutôt des « référents » puisés dans l’imaginaire collectif et non la politique stricto sensu. La
publicité politique repose en effet sur une disjonction entre l’émetteur (généralement non identifié comme
porteur du message) et le destinataire. La publicité politique fait ainsi largement appel à l’imaginaire pour
provoquer l’adhésion à une idée. On peut penser que le déclin des « idéologies » dans les démocraties
représentatives contemporaines n’est pas étranger à ce mode de communication du politique tendant de plus
en plus vers l’usage de la publicité politique. À tel point que, depuis les années 80, l’homme politique
s’entoure de conseillers en communication, équipés et expérimentés, généralement issus du secteur privé de la
publicité ou des médias. Au début du 21e siècle, la tendance dominante est à une communication politique
« euphémisée », légère, rassurante et empathique, comme pour se prémunir de toute « révolte » ou de tout
« bouleversement » dans une société de plus en plus envahie par les images d’un monde extérieur en crise. En
même temps force est de constater que toute communication politique obéit à une politique de communication
qui innove au gré des scrutins électoraux. À l’instar d’entreprises, cette communication est sur-mesure. Elle
prend en compte une veille informative, l’analyse des « théâtres d’opération », des cibles. Les élections
américaines l’ont prouvé, la communication-produit à laquelle se confond aujourd'hui souvent la
communication politique, est désormais incontournable : le « buzz», les réputations et les blogs sont devenus
de vrais outils de campagne.
Ces phénomènes nous semblent être au cœur de l’interrogation sur le politique aujourd’hui. C’est pourquoi ce
numéro 5 de la revue Signes, Discours et Sociétés invite à une réflexion sur la communication politique et sur
les discours politiques. Les articles rassemblés dans ce numéro sont loin d’épuiser la richesse de la
problématique qui entoure la notion de communication politique ; ils sont toutefois représentatifs, au-delà de
la diversité d’approches proposées, des évolutions qui se manifestent dans les sociétés démocratiques.
Par-delà la diversité des positionnements et des approches, deux axes thématiques traversent la réflexion dont
nous font part les auteurs des contributions ici rassemblées : dans quelle mesure la nouvelle communication
politique appelle-t-elle une nouvelle information politique ? Dans quelles mesures les évolutions dans la façon
d’adresser des messages politiques engagent-elles une réflexion sur les conditions de l’échange politique dans
les démocraties gouvernées ?
Pierre-Yves MODICOM montre, à partir de l’analyse des différentes campagnes de communication du parti
présidentiel français UMP en 2009, que l’utilisation d’une palette de supports et de techniques très large
témoigne d’un déplacement des méthodes de la communication traditionnelle au profit du marketing politique.
Les techniques du marketing stimulant le désir mimétique et le recours au récit plutôt qu’à l’argumentation
favoriseraient la transmission d’une vision de l’action politique conforme à sa redéfinition idéologique par le
parti. Le déplacement de l’objet du discours politique correspondrait donc à celui de ses supports.
Marina CIOLAC analyse, à partir d’une approche communicative et sociolinguistique, cinq discours de
vœux télédiffusés prononcés par le président Sarkozy (France) et le président Băsescu (Roumanie). Cette
analyse comparative permet de démontrer que les vœux présidentiels sont influencés non seulement par les
paramètres culturels et psychologiques de l’émetteur et par son parcours politique, mais aussi, et surtout, par
les traits socioculturels et historico-politiques de la société à laquelle il appartient.
Dimitris TRIMITHIOTIS étudie les rapports entre discours politique et communication, en s’appuyant sur
une approche du processus de production de ce discours (ses acteurs, leurs activités pratiques et discursives et
leurs interactions). Sa proposition principale est celle du lien qui s’observe entre trois niveaux : la scène
(programmes électoraux), les coulisses (comités de soutien des partis) et le public (les électeurs). Ses constats
permettent d’appréhender la relation entre champ politique et société non seulement à partir de la
transmission-réception des messages politiques, mais également à partir de la participation implicite des
électeurs à la production du discours électoral, par l’intermédiaire de la communication politique.
Joseph KEUTCHEU s’intéresse plus précisément à l’investissement de plus en plus visible de la
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communication politique par des acteurs du champ journalistique. Il montre que les pratiques braconnières
récurrentes dans la presse, notamment la transgression des normes langagières mettent à mal le discours
politique et relativisent le procès de pacification des règles du jeu politique et de civilisation des mœurs
politiques au Cameroun. Il procède ainsi à une analyse sémiologique d’une centaine de « unes » de la presse
camerounaise pour exhumer les paroles violentes et outrancières qui violent la police du bien dire et tournent
en dérision les règles de la civilité démocratique.
Halime YÜCEL analyse les publicités politiques turques dans les journaux réalisées pour les élections
législatives de 2007 par trois partis politiques. Dans la première partie de son travail, elle analyse l’expression
du discours des publicités politiques en prenant en compte la forme de ces publicités, c’est-à-dire la relation
texte/image, la forme des textes, les photographies et les emblèmes, ainsi que le sujet, l’anti-sujet et le
récepteur du discours. Dans la deuxième partie elle analyse le contenu de la publicité politique, en cherchant à
montrer comment les partis politiques se présentent eux-mêmes, présentent leur leader et leurs idées sur la
Turquie actuelle.
Edgard ABESSO ZAMBO s’attache à analyser la rupture introduite par le président camerounais Paul Biya
quand il décide s’adresser aux Camerounais par le biais d’une lettre. Le fait qualifié d’« inédit » a été
commenté par les médias du point de vue du mode de communication. Son article vise à montrer, à partir de
quelques titres et commentaires des médias, que cette lettre présidentielle, inscrite dans la logique de la
communication politique, a surtout connu, par le rôle des médias, l’écho d’une nouvelle politique de
communication.
Adeline VASQUEZ-PARRA analyse l’une des grandes stratégies de communication utilisée par le Président
Obama : le réseau social ou grassroot networking. Elle montre comment la stratégie du réseau social a permis
de dessiner un cadre d’action collective pour assurer, entre autre, une continuité narrative entre la société
américaine et ses mythes culturels et sociaux.
Louis-Marie KAKDEU traite des différentes formes de promesse dans les discours politiques en Afrique
Noire Francophone. Il montre comment d’un statut de simple acte de parole, la promesse à valeur
sensationnelle est devenue une véritable stratégie de communication permettant de faire face aux attentes
multiples et non concordantes des différents acteurs.
Miroslav STASILO analyse l’évolution du discours politique en France et en Lituanie, quand les présidents
élus et les candidats vaincus réagissent à l’annonce des résultats des élections présidentielles. Les candidats
vaincus utilisent un vocabulaire plus personnel, des phrases plus courtes, utilisent moins les phrases
subordonnées, argumentatives, complexes et plus les constructions prépositives et affirmatives, typiques du
discours publicitaire.
Jacquinot BAMBA BISSELE s’intéresse plus spécifiquement aux discours politiques adressés à la jeunesse.
Ceux-ci créent un univers imprégné d’imaginaires spécifiques : adresse d’information, de formation et de
ralliement, ils présentent des figures illustres de l’histoire nationale camerounaise censées inspirer cette
jeunesse. On assisterait alors sur la durée à l’érection et à l’« étoffage » d’un panthéon dans la mémoire
collective des jeunes.
Frédéric TORTERAT s’attache plus précisément au dérapage verbal, tel qu’il est traité dans neuf articles
d’une rubrique du quotidien Le Parisien (décembre 2009). Il analyse ainsi les discours citants assortis de leurs
commentaires au croisement de la linguistique du discours et de la sociologie des médias. Entre autres
éléments, ce genre de rubrique journalistique montre comment le débat public se rematérialise presque
instantanément au moindre dérapage verbal.
Geneviève LEMIEUX-LEFEBVRE s’intéresse aux formes de qualification péjorative présentes dans les
discours politiques tenus lors de la campagne électorale menée au Québec à l’hiver 2007. Pour effectuer son
analyse, elle a concentré son attention sur l’ensemble des extraits vidéo présentés lors des bulletins télévisés
de fin de soirée, ce qui lui a permis de proposer une véritable typologie des actes de langage dépréciatifs
distincts, comme l’insulte, l’ironie, la moquerie, l’avertissement, le reproche et la critique.
Christelle DELARUE analyse le phénomène de la reformulation à partir de l’exemple du connecteur « c’està-dire » au sein d’un corpus d'interviews radiophoniques. Outil didactique et pédagogique ou moyen de
correction, ce connecteur de reformulation prototypique assure la stabilisation et la crédibilité du discours. Il
existe cependant des situations de reformulations frontalières, où l’équivalence n’est plus aussi évidente. La
communication politique, contrainte de s’adapter aux électeurs et visant une réussite quasi immédiate, ne peut
ignorer ces modes de fonctionnements, aussi individuels et conjoncturels soient-ils.
Julie PEGHINI analyse comment l’idéal qui a donné forme et continuité au principe et modèle de gestion
des différences à Maurice, l’« unité dans la diversité », est devenu un poncif bâti par les discours politiques.
Cette volonté doit être régulièrement réaffirmée puisque l’unité et l’harmonie prônées ne vont pas de soi dans
un contexte communautariste, où les dérapages ethnocentristes et les discours sectaires ne sont pas rares. Son
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article s’attache ainsi aux discours politiques et met en lumière deux tendances contradictoires mais
complémentaires sur lesquelles ils s’appuient : la tendance intégrative et la tendance divisionniste.
Pour citer cet article
BOURSE Michel. Présentation du numéro. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et
discours politiques : actualités et perspectives, 7 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revuesignes.info/document.php?id=1931. ISSN 1308-8378.
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Article
Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique
Pierre-Yves MODICOM, Étudiant-normalien en linguistique, Université Paris-Sorbonne
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
L’analyse des différentes campagnes de communication du parti présidentiel français UMP en 2009 témoigne
d’une palette de supports et de techniques très large et marquée par un déplacement des méthodes de la
communication traditionnelle au profit du marketing politique. Le recours aux réquisits rhétoriques et
idéologiques y joue un rôle capital. L’étude de ces phénomènes de mention, couplée à l´analyse textuelle ainsi
qu’au commentaire des phénomènes de polyphonie énonciative, montre une stratégie fondée sur l’appel à
s’identifier et à répéter un grand récit du volontarisme individuel : les techniques du marketing stimulant désir
mimétique et le recours au récit plutôt qu’à l’argumentation favorisent la transmission d’une vision de l’action
politique conforme à sa redéfinition idéologique par le parti. Le déplacement de l’objet du discours politique
correspond donc à celui de ses supports.
Abstract
The analysis of communication techniques is centered on the case of the French conservative party UMP in
2009. The use of several media corresponds to an evolution from ideological communication and argumentation
towards narrative-based marketing. Nevertheless, those political discourses massively resort to keywords and
quotation effects as signals for political identity. The commentary of polyphony in general as well as of text
deep structure reveals that the global argumentative strategy now corresponds to a paradigm of repetition and
imitation, which can subsumed under the concept of « great narrative », in the sense of advertising as well as
mythology. It is finally demonstrated how this evolution of discourse techniques corresponds to a renewal in the
concept of political action, so that narrative advertising highly corresponds to ideological contents.
Table des matières
I. LA QUESTION DU SUPPORT ET DE SON ÉVOLUTION : ENTRE CAMPAGNE POLITIQUE ET MARKETING
A. Spots de campagne officielle
B. Le « buzz »
1. Les « Créateurs de possibles »
2. Le cas du lipdub
II. RÉQUISITS LINGUISTIQUES ET POLITIQUES
A. Le lieu du débat dans la nouvelle communication politique
B. Qu’est-ce que « créer un possible » ?
III. QUI PARLE ? CONSTRUIRE UNE COMMUNAUTÉ DISCURSIVE
A. La voix des citoyens
B. La voix du bon sens
CONCLUSION
Texte intégral
Lancé en janvier 2010, quatre mois après son annonce officielle le 4 septembre, le « site communautaire » de
l´Union pour un Mouvement Populaire (UMP), le parti de droite au pouvoir en France, n´avait, plusieurs mois
après sa mise en service, toujours pas rencontré le succès escompté, selon la presse. Pourtant, le site des
« créateurs de possibles », dont l´établissement coïncidait avec celui d’un réseau concurrent par l’opposition
de gauche, était présenté comme un outil d’initiative politique appelé à faire date, et s’inscrit dans une série
d’opérations de l’UMP pour affirmer sa maîtrise de nouvelles techniques de communication politique tout au
long de l’année 2009, qui fut marquée en juin par la victoire du parti aux élections au Parlement Européen.
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Durant cette année 2009, l’UMP a ainsi déployé la palette complète des supports et des styles de
communication politique, qu’on se proposera ici d’analyser dans leur cohérence et leur diversité : du
traditionnel spot officiel de campagne télévisée au lipdub (clip vidéo construit en plan-séquence où des
individus, seuls ou en chœur, reprennent les uns après les autres en play back les paroles d’une chanson,
diffusée en arrière-plan), du discours-fleuve du secrétaire général (voire du Président de la République) à la
plate-forme numérique. Le trait commun à ces différents procédés dans l’utilisation qu’en fit l’UMP est la
présence massive d’effets de mention dont l’analyse peut contribuer à une caractérisation globale de la
communication politique multimodale et multimédiale du parti. Ce terme d’effets de mention recouvre en
réalité des phénomènes de deux ordres bien distincts: d’une part, le recours à des motifs récurrents du discours
de l’UMP destinés entre autres à marquer son identité politique sous forme de réquisits rhétoriques, et d’autre
part des effets de collage et de citation donnant une forte impression de polyphonie. Là où le premier type de
mention pouvait s’analyser en termes de contenu, le second est davantage intéressant du point de vue de la
superposition des niveaux d´énonciation.
I. LA QUESTION DU SUPPORT ET DE SON ÉVOLUTION : ENTRE CAMPAGNE
POLITIQUE ET MARKETING
Les campagnes de communication de l´UMP en 2009 sont passées par trois supports, outre la « plate-forme »
des Créateurs de Possibles, qui en soi n´était pas censée ressortir du marketing politique, mais était plutôt
l´objet que celui-ci (du moins à l´automne) devait mettre en valeur. Son statut est néanmoins complexe,
puisqu´en définitive elle aura surtout servi d´argument pour affirmer une autre thèse, celle du monopole de
l´UMP sur la modernité politique. A fortiori depuis son échec, on peut donc considérer que la principale
fonction de cette plate-forme fut de pur prestige, avec un objectif semblable à une campagne de publicité sur
internet : créer le « buzz », c´est-à-dire être ce dont « tout le monde parle » et occuper l´espace médiatique du
Web
A. Spots de campagne officielle
Au plus tard depuis que la chaîne de télévision publique France 2 a justifié ses mauvais résultats d´audience
en début de soirée en 2007 par la présence des spots de campagne présidentielle juste avant le moment crucial
du journal de 20 heures, il est de notoriété publique que l´intérêt public pour ces campagnes télévisuelles (que
le droit français encadre très strictement et cantonne à des horaires précis) est extrêmement faible. Ce sont par
conséquent des moyens de communication d´importance mineure. Les spots de l´UMP pour les élections
européennes de juin 2009 sont toutefois dignes d´intérêt en raison d´une tension qui s´y fait jour : s´il s´agit
d´une campagne sur un médium traditionnel et ayant peu d´impact sur le grand public, on peut supposer que
les techniques de la publicité s´y soient relativement peu implantées. Mais inversement, les mouvements
politiques ont commencé à utiliser ces spots dans le cadre d´une stratégie de visibilité sur internet. Les deux
principaux spots de l´UMP pour ces élections étaient ainsi présentés en page d´accueil du site de campagne 1 .
Ce premier pas en direction d´une stratégie de « buzz » est complété par la possibilité d´utiliser ces spots à
faible impact (a fortiori dans le cas des Européennes, connues pour ne mobiliser que très peu d´électeurs)
comme des ballons d´essai pour des initiatives de marketing de plus grande envergure.
Les deux spots mis en avant par l´UMP ne se distinguent que par la longueur (distinction destinée à s´adapter
aux seuls formats autorisés pour les campagnes télévisées), respectivement 1´:15´´ et 3´:40´´. Dans le premier,
c´est le secrétaire général du Parti, M. Xavier Bertrand, qui parle, dans le second, c´est M. Michel Barnier, tête
de liste en région parisienne et « animateur national de la campagne ». Le contenu linguistique des spots est
semblable : les propos prononcés par M. Bertrand sont extraits de ceux de M. Barnier, tronqués d´un certain
nombre de développements. La mise en scène est également semblable, c´est pourquoi on se concentrera sur
un seul d´entre eux : le plus long. Le début est une reprise du canon des spots de campagne : l´orateur, debout
devant une bibliothèque, face à la caméra, s´adresse directement au spectateur. La suite du spot est toutefois
beaucoup plus novatrice dans la forme : passée la deuxième phrase, Michel Barnier n´est plus qu´une voix off.
Sur un vaste plan-séquence, des anonymes apparaissent tour à tour en remuant les lèvres selon le discours que
l´on entend toujours en arrière-plan. La voix de M. Barnier énonçant les arguments de campagne de l´UMP se
superpose à ces mouvements et l´énonciation paraît prise en charge par cette suite de personnes. En d´autres
termes : le spot de campagne devient un « lipdub », non-musical toutefois (à la différence de celui des
écologistes au même moment) qui se clôt par un retour sur Michel Barnier assénant les arguments finaux.
Notons d´emblée qui sont ces anonymes : ces employés de bureaux, souvent en costume, presque toujours
debout, allant d´une salle à l´autre un dossier sous le bras, sont le plus souvent jeunes, dynamiques et épanouis
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dans leur entreprise (autant de réquisits du cadre dans l´imaginaire collectif). Plus tard apparaissent des
badauds, pour la plupart jeunes et beaux, dans un environnement urbain propre mais laissant sa part à la
nature. Cette représentation est donc sociologiquement typée : cet univers esthétiquement aseptisé où les
ouvriers brillent par leur absence peut être rapproché des représentations traditionnelles du milieu où le lipdub
est devenu un moyen de communication comme les autres : les écoles de commerce. Au final, on peut donc
dire que la technique largement dévalorisée du spot télévisée subit ici un renouvellement très important en
même temps qu´une dégradation, puisqu´un spot de campagne officiel fait désormais figure de prototype
d´une vidéo appelée à « créer le buzz » quelques mois plus tard.
B. Le « buzz »
L´automne 2009 est en effet marquée par une double campagne où les « Jeunes Populaires », l´organisation de
jeunesse du parti, joue un rôle de premier plan. C´est lors de la réunion de cette branche de l´UMP qu´est
annoncée la mise en place prochaine de la plate-forme déjà évoquée, et la campagne de communication
largement orientée vers internet qui s´ensuit est principalement le fait des Jeunes du Parti 2 . On peut
distinguer deux moments ayant inégalement attiré l´attention des médias.
1. Les « Créateurs de possibles »
La campagne autour des « Créateurs de Possibles », brève et semble-t-il infructueuse compte tenu de
l´indifférence récoltée, passait notamment par une vidéo, postée le 4 septembre sur le site de partage
dailymotion à l´initiative des Jeunes UMP du département du Var et présentée comme le « clip des créateurs
de possibles » 3 . Cette vidéo est construite autour de la présentation d´un personnage fictif, Virginie,
sympathisante sarkozyste qui trouverait dans cette plate-forme le support idéal à un premier engagement
politique. La voix off nous raconte ses premiers pas. Ici, le recours aux techniques du marketing est patent. Il
ne s´agit plus comme avec Michel Barnier de présenter un contenu idéologique et programmatique sous une
forme jugée plus efficace, mais bien de vanter un produit en racontant l´histoire d´un personnage (cf. Christian
Salmon (2007) et William Safire (2004)), semblable à celui qui regarde l´image, et qui s´épanouit en adoptant
une nouvelles forme de consommation politique personnalisée. Le storytelling doit stimuler le « désir
mimétique » (pour reprendre le concept théorisé par René Girard (1961)) 4 . Le mécanisme mis en œuvre ici
est celui de la publicité, et ceci se retrouve au plan de la typologie textuelle, puisque la structuration du
discours est très marquée et se fait selon des repères chronologiques : il s´agit donc bien d´une narration.
Dans la situation initiale, dont la fonction d´exposition est ici soulignée (« Voici Virginie »), on nous présente
le personnage, ses sympathies politiques (Nicolas Sarkozy et le porte-parole du parti, M. Frédéric Lefebvre),
sa non-appartenance à l´UMP. Puis vient une première borne temporelle marquant le début de l´action
(« quand elle découvre que Frédéric Lefebvre fait partie d’une communauté d’action politique appelée les
créateurs de possibles, elle creuse »), puis une suite de marqueurs indiquant les progrès de ce qui devient un
véritable récit initiatique (« Elle découvre », « elle comprend », « elle comprend », « Une fois inscrite, elle
adhère », … « elle pourra alors »…, « A partir de maintenant », …. « A partir de maintenant »). Enfin,
Virginie lance sa première initiative, dont on nous narre le déroulement (au futur) et finalement le succès
(« ensemble ils feront avancer les choses pour que les classes soient enfin rénovées »). Il est alors temps de
tirer la morale de l´histoire, et c´est ici que se révèle le double jeu de l´argumentation indirecte et de la
narration, au sens que lui donne Frédéric Nef (1980). La morale, qui constitue normalement une étape brève
voire implicite du récit, est ici hypertrophiée et vise à démontrer que l´action politique et l´efficacité sont à la
portée de tous, pointant du doigt l´inévitable frustration de qui ne rejoindrait pas la « communauté » (« En
2010, il y aura ceux qui ne feront que parler de politique et ceux qui agiront vraiment. N’attendez pas pour
devenir un créateur de possibles »).
2. Le cas du lipdub
Malgré les vidéos mettant en scène des militants anonymes aussi bien que des hiérarques du parti vantant
« une autre façon de faire de la politique », cette campagne internet n´a guère porté ses fruits au vu du faible
écho rencontré par le clip promotionnel ou du nombre restreint d´inscrits sur le site. Ce sont en fait les médias
traditionnels qui ont le plus commenté cette initiative en parlant de « Facebook de droite » ou en comparant le
projet aux méthodes utilisées par l´actuel président américain Barack Obama durant sa campagne
victorieuse 5 . En cela, l´objectif était atteint mais sa portée réduite du fait de l´initiative simultanée du
principal parti d´opposition, le Parti Socialiste, visant à mettre en place sa propre plate-forme conçue elle
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comme un espace de débat ainsi que comme un outil technique chargé de la circulation de l’information entre
membres et sympathisants : beaucoup de commentaires furent donc en fait strictement comparatifs. Il n’en fut
pas de même du lipdub des Jeunes Populaires, montrant militants et dignitaires dansant et remuant les lèvres
sur une chanson de variété 6 . Dans son ensemble, l’accueil réservé à la vidéo fut désastreux et marqué par de
nombreuses critiques internes, pour ne rien dire des parodies et de la perplexité médiatique. Il n’en demeure
pas moins que pendant une dizaine de jours, il fut question dans la presse de cette initiative, permettant aux
Jeunes Populaires d’occuper l’espace médiatique avec une tentative de revendiquer la maîtrise de la
communication politique la plus moderne. La dichotomie entre communication politique et marketing est ici
tranchée de façon univoque, puisqu´à part « vouloir changer le monde », nul programme n´est évoqué.
Toutefois, on peut souligner la valeur idéologique du lipdub comme forme. Si la coloration politique du chœur
relève du lieu commun (compte tenu du goût des régimes anti-individualistes pour le chant groupé), celle du
lipdub paraît en effet tout aussi claire. Un chant est pris en charge par une suite d´individus dans une forme de
polyphonie qui est l´opposé exact de celle du chœur : à l´exception du refrain (qui reste choral) il ne s´agit
plus de simultanéité et de collectivité, mais au contraire de succession et d´individualisation. Le lipdub est un
tout réductible à la somme de ses parties, un monde dénué de niveau spécifiquement interindividuel, un
monde où le langage de tous est un collage de propos de chacun. D´où l´affinité, par opposition au chœur,
avec une idéologie libérale 7 . On le voit, le choix d´une forme précise d´énonciation (la narration) ou de
polyphonie (le collage) revêt alors une dimension politique. C´est à une dimension plus proprement
linguistique que l’on s´intéressera maintenant.
II. RÉQUISITS LINGUISTIQUES ET POLITIQUES
Les cas de mention à première vue les plus traditionnels concernent des éléments de langage ou des formules
devenus des réquisits du discours du parti de Nicolas Sarkozy, dont la fonction immédiate est dès lors de
marquer l´identité politique du mouvement. Ces motifs se rapportent tous à des slogans ou à des phrases fortes
de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, dont les deux phrases fétiches étaient « quand on
veut, on peut » et « Ensemble, tout devient possible », le mot d´ordre étant celui de la « rupture » et du
« changement ». Ces éléments sont des Leitmotive du discours de Michel Barnier dans son spot officiel de
campagne, dont le slogan était « Quand l´Europe veut, l´Europe peut » et dont nous examinerons d´abord ce
qu´il est convenu d´appeler la structure textuelle profonde.
A. Le lieu du débat dans la nouvelle communication politique
Michel Barnier tient un discours traditionnel de réhabilitation de l´action politique : en votant, donc en
voulant, le citoyen exprime sa capacité à « faire changer les choses ». Néanmoins, le discours ne varie pas de
cette thématique de l´action et du changement. Cette forme hyperbolique du volontarisme démocratique
revient indirectement à dire que le seul vouloir qui soit aussi un pouvoir est celui qui rejoint l´UMP. Ce
discours est une vaste séquence argumentative dont quelques-unes des parties voire des sous-parties sont
elles-mêmes des séquences, conformément à un phénomène de hiérarchie illocutoire qu´on se propose
d´analyser. La thèse centrale est que le sens même de l´acte civique du vote prescrit de voter pour l´UMP,
puisque celle-ci est le seul parti à avoir une volonté pour la communauté appelée aux urnes. Pour cela il faut
montrer que le volontarisme et l´action politique sont pertinents (donc possibles et nécessaires), puis que les
partis autres ne reconnaissent pas cette nécessité (ce qui est fait en présentant l´affirmation de ladite nécessité
comme la réfutation d´une thèse adverse).
Une première séquence vise ainsi à démontrer par l´expérience qu´il est possible de « transformer l´Europe ».
A l´appui de la thèse, il invoque le bilan de Nicolas Sarkozy en la matière et conclut positivement. Dans un
deuxième temps, il démontre comme prévu que cette transformation est nécessaire, dans un passage
explicitement construit contre la thèse prêtée aux adversaires idéologiques du parti, et qui est le plus proche du
modèle de la séquence argumentative selon Jean-Michel Adam (2009) (la précédente ne comportant pas cette
dimension dialogique explicite voire ostensible). Une fois disqualifié l´adversaire (celui qui ne veut pas agir et
qui « se trompe d´élection »), il faut monter que la réponse de l´UMP n´est pas un vouloir en et pour soi mais
bien un vouloir dans l´intérêt de la France (l´UMP devant alors incarner le rassemblement national). M.
Barnier loue les vertus du rassemblement, tant au niveau européen qu´à l´échelon national, l´UMP se
revendiquant de l´« ouverture » à toutes les bonnes volontés. S’ensuit une brève liste d´« engagements » dont
deux (la question de l´entrée de la Turquie dans l´Union Européenne et la politique industrielle) font l´objet de
développements séquentiels autonomes qui s´insèrent dans la hiérarchie illocutoire pour étayer le serment de
servir les intérêts nationaux par l´orientation « protectrice » qui sera donnée à ce « changement » : « nous
changerons l´Europe pour mieux protéger les Français. L´Europe doit changer, nous le voulons, et devant les
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Français, nous nous engageons. » Dès lors, on peut corroborer la thèse : l´engagement politique (« l´action »)
n´est possible qu´aux côtés de l´UMP. La conclusion tombe (et c´est le moment où Michel Barnier réapparaît
face à la caméra) : seule l´UMP est à la hauteur des enjeux, et les citoyens gâcheront cette occasion
démocratique s´ils ne soutiennent pas l´UMP. Il ne s´agit donc pas de présenter un programme comme
supérieur à celui de l´adversaire ou de dénoncer les périls de celui-ci : l´adversaire est d´emblée disqualifié
puisqu´il ne veut pas, qu´il ne se prête pas au jeu démocratique. L´affrontement ne se fait pas sur le terrain de
la compétence, mais sur celui de la pertinence. De ce point de vue, cette analyse du plan de texte ne fait que
redoubler ce que révèle l´analyse sémantique et lexicale des phénomènes de mention et d´isotopies,
conformément aux théories sémantiques du texte, de Teun Van Dijk (1972) à Alain de Beaugrande &
Wolfgang Dressler (1980) :
C´est le moment de construire une autre Europe .... Une autre Europe est possible. … Nicolas Sarkozy a
commencé à changer l´Europe. C´est le moment de transformer l´Europe… notre volonté commune … une
Europe qui protège, qui agit, une Europe qui obtient des résultats … savoir si nous voulons continuer à
transformer l´Europe. Alors que la crise économique est en train de changer le monde et ses valeurs, nous devons
construire l´Europe de l´après-crise. Le 7 juin il faudra choisir entre une impuissance collective, qui nous
condamne à subir les décisions des autres, et une Europe où la volonté politique nous permet de décider
nous-mêmes de notre avenir … c´est ensemble que nous sommes plus forts … rassemblons-nous derrière les listes
de la majorité présidentielle pour faire changer l´Europe. Le 7 juin, ensemble avec la volonté et la détermination
du Président de la République, nous changerons l´Europe pour mieux protéger les Français. L´Europe doit
changer, nous le voulons… Le 7 juin, vous direz ce que la France veut pour l´Europe. Vous déciderez ce que doit
faire l´Europe face aux bouleversements du monde. Ensemble, avec le Président de la République, avec Nicolas
Sarkozy, nous changerons l´Europe, comme nous changeons la France. L´Europe que nous voulons, nous allons
la construire ensemble, en votant le 7 juin.
L´ensemble du texte est parcouru par un réseau de références au changement et à l´adaptation, à la volonté, à
la capacité d´action et au rassemblement, autant de thématiques omniprésentes dans le discours de Nicolas
Sarkozy : l´UMP est le parti de la volonté.
B. Qu’est-ce que « créer un possible » ?
Ces éléments se retrouvent également dans les formes censément les plus novatrices du marketing politique de
l´UMP. Pour ne rien dire du lipdub des Jeunes UMP, dont la chanson avait pour titre et refrain « Tous ceux qui
veulent changer le monde », on peut citer le simple nom de la plate-forme numérique : la communauté des
créateurs de possibles. Le parallèle avec le slogan de la campagne présidentiel est ici transparent. De façon
intéressante et significative, dans la première version du site, les « possibles » qu´il s´agit ici de créer
s´appelaient, quand ils ne sont encore que des projets, des « nécessaires ». On a vu dans le spot de Michel
Barnier que le changement était lui aussi présenté comme rendu nécessaire par l´environnement économique.
Le vouloir se double donc d´un devoir et d´un appel à la « responsabilité » du citoyen. Le mot d´ordre
« rendre possible ce qui est nécessaire » a toutefois disparu du site, puisqu´aujourd´hui, partout où les captures
d´écran affichées lors du lancement du site affichaient le mot nécessaire, c´est initiative qui apparaît. Ce
concept appartient lui-même aux réquisits du discours de l´UMP (« encourager l´esprit d´initiative »). Le
terme nécessaire avait pourtant donné lieu à des justifications soulignant ce lien affiché par l´UMP entre
volonté et nécessité, là où d´autres verraient une tension : « il est vain de désirer l´avenir, puisqu´il est
nécessaire. L´avenir ne peut être que voulu », lit-on sur la présentation de la plate-forme par la « fédération
UMP des jeunes actifs », qui convoque ici Bergson 8 . De façon quasi nietzschéenne, on affirme donc que le
lien entre le nécessaire et le possible, c´est la volonté. La règle d´or : « Quand on veut, on peut » est d´ailleurs
à nouveau mobilisée comme slogan du site. Les vidéos et présentations du site n´ont toutefois pas recours à la
terminologie du changement. Ici, c´est « l´action » qui est mise en avant (Créer des initiatives pour agir avec
le réseau, ceux qui veulent agir, apparaissent dans la vidéo d´accueil, passer à l’action, vous n’êtes plus
spectateur mais véritablement acteur, mettre en place des actions concrètes figurent dans les trois phrases du
texte introductif sur la page d´accueil).
Mais revenons au clip des Jeunes UMP mettant en scène « Virginie ». Il y est questions de possibles, de
nécessaires, la formule « Dans la vie, quand on veut on peut, on peut » y est prononcée dès la troisième
phrase, présentée comme la conviction profonde de cette sympathisante-type. Or ici, le thème du
« changement » occupe une place de choix : la plate-forme est définie comme « la communauté de ceux qui
veulent vraiment du changement ». « Faire concrètement changer les choses » est même son « seul but ». Il
s´agit de « partager ses désirs de changement ». Ici, on veut « encourager les initiatives personnelles,
améliorer le quotidien de tous, et surtout faire changer la France. » Le thème de l´action est bien sûr présent,
mais sur un mode précis : il s´agit toujours d´agir « vraiment » ou « concrètement ». Le clivage est entre
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« ceux qui ne feront que parler de politique et ceux qui agiront vraiment », opposition qui revient souvent
dans la bouche du Président (ainsi à Nice le 21 avril 2009 : « Franchement, si tous ceux qui commentaient
agissaient, mon Dieu comme le pays irait vite »). De ce point de vue, force est donc de constater que la mise
en œuvre d´outils nouveaux de marketing politique, y compris lors de campagne censées mettre en valeur ce
que ces outils ont de nouveau, s´accompagne d´une grande stabilité rhétorique, non seulement en profondeur
mais même en surface via ces effets d´échos. S´agissant de la thèse générale, on peut également constater de
très grandes similitudes sur la portée prêtée à deux types d´engagement dont la différence est par ailleurs
soulignée dans les discours présentant la plate-forme comme « une autre manière de faire de la politique ».
Dans les deux cas, il s´agit de réclamer le monopole de l´action politique contre la parole vaine et illusoire
(« tout le monde en parle, mais personne ne fait rien », toujours dans ce clip).
III. QUI PARLE ? CONSTRUIRE UNE COMMUNAUTÉ DISCURSIVE
Le « clip des Créateurs de possibles » présente un trait linguistique dont les autres discours témoignaient
certes également, mais de façon moins systématique: la polyphonie n´y prend pas seulement la forme de
renvois à d´autres discours (intertextualité), mais elle est explicitée par la superposition de niveaux
d´énonciation et de points de vue.
A. La voix des citoyens
Tout le récit de l´initiation de Virginie est en effet pris en charge par un commentateur extérieur (une voix off),
mais au discours indirect libre. C´est particulièrement sensible dans la partie très pédagogique où elle saisit le
mode de fonctionnement du site, et où les informations adressées au spectateur sur son ordinateur sont
présentées comme des contenus cognitifs attribués à Virginie, la voix off se chargeant ensuite de les valider
par le verbe épistémique idoine (elle découvre, elle comprend). C´est bien sûr l´énonciateur anonyme qui
assigne une valeur de vérité à son énoncé x, mais en l´espèce, cet énoncé est x= selon Virginie, y. En d´autres
termes : la première assignation d´une valeur de vérité à y, qui est le véritable contenu sémantique de
l´assertion, est le fait de Virginie, qui devient ainsi co-énonciatrice.
Elle découvre le principe de fonctionnement du site; elle comprend que chaque créateur de possible peut
participer à un projet collectif initié par un membre de la communauté: sur le site, on appelle ça un nécessaire.
Elle comprend aussi que chacun peut créer un nécessaire et convaincre les autres de le rejoindre pour faire aboutir
le projet.
Il y a donc « polyphonie » au sens où l´expose Paul Gévaudan (2008 : 6-8.) 9 . Mais cette polyphonie dépasse
le seul cadre de la stratégie argumentative. Plus loin, elle se manifeste en effet par un effet des tournures
destinées à marquer stylistiquement la présence de la voix de Virginie.
Par exemple, dans le lycée de Maxime, son grand, les classes sont vraiment très vétustes et même si tout le
monde en parle à la sortie du lycée, personne ne fait rien.
Ici, l´apposition son grand postposée au nom de l´enfant est caractéristique d´une oralité imitée, dont participe
également le vraiment qui précède très vétustes, et que souligne le petit dessin animé où Virginie apparaît à
côté de son fils et s´agace devant les classes délabrées : la coïncidence entre image et texte contribue à
attribuer d´une part les sentiments maternels et d´autre part l´indignation non pas à un témoin extérieur (la
voix off), mais à la protagoniste elle-même. Cet adverbe vraiment était d´ailleurs déjà apparu dans une phrase
où il est explicitement précisé que l´on se place de son point de vue (« Elle se sent concernée : pour elle, le
partage des profits est vraiment une nécessité »). Vraiment, employé en fait comme particule illocutoire,
remplit ici une fonction de signal de polyphonie. Au terme de cette initiative sur les lycées, il est clair que la
voix de Virginie perce à travers celle de la commentatrice (« ensemble ils feront avancer les choses pour que
les classes soient enfin rénovées »).
B. La voix du bon sens
Il est néanmoins nécessaire de relever qu´en sus de Virginie et de la voix off, le texte mobilise un troisième
énonciateur : la sagesse populaire, mode très particulier du nous (« Comme nous tous, Virginie constate des
dysfonctionnements dans sa vie quotidienne ») qui repose sur la convergence des expériences individuelles,
qu´illustre le recours à une stéréotypie d´un autre genre, non plus endogène (la répétition des réquisits) mais
exogène : les formules ostensiblement empruntées à ce « bon sens » que l´UMP revendique 10 . Dans le clip,
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cette troisième voix s´affirme en plusieurs endroits : parfois sur le mode de la vérité générale (« elle adopte
immédiatement l’idée du site: il faut rendre possible ce qui est nécessaire »), parfois en renvoyant
explicitement à une forme de stéréotypie, comme dans « rompre avec le syndrome du il faudrait que et du y’a
qu’à faut qu’on… », où l´on entend en fait deux voix supplémentaires : celle qui dit il faudrait que, y´a qu´à,
et faut qu´on et celle qui nous intéresse ici, qui procède à la nominalisation de ces constructions, elle-même un
stéréotype. Pour preuve de ce statut, une rapide recherche sur internet donne des résultats comme une dépêche
de l’agence pour le recyclage Eco-emballages titrée « y’a qu’à faut qu’on trie » 11 ou encore le compte-rendu
d’un débat au Sénat :
MME CLAUDIE HAIGNERÉ, ministre déléguée. ... avoir les meilleurs projets et viser l'excellence pour être
compétitifs. Il nous faut rivaliser avec certains aspects du modèle américain...
M. DIDIER BOULAUD. Y a qu'à ! Faut qu'on !
MME CLAUDIE HAIGNERÉ, ministre déléguée. ... mais il n'y a pas que le modèle américain ! La France a des
atouts, une histoire, une tradition, une force, et il nous faut faire évoluer un système qui n'a pas beaucoup changé
depuis vingt ans.
12
Parler du « syndrome du y´a qu´à, faut qu´on », c´est donc une forme de stéréotypie, quand bien même son
objectif est d´en dénoncer une autre. Enfin, deux autres stéréotypes employés présentent la spécificité d´être à
la fois des emprunts à la sagesse populaire et des réquisits au discours de l´UMP : « tout le monde en parle,
mais personne ne fait rien » et surtout l´inévitable devise : « Elle a voté pour Nicolas Sarkozy lors des
dernières élections présidentielles, car comme lui elle est convaincue que dans la vie, quand on veut, on
peut. » Cette dernière occurrence de la voix du On est révélatrice de sa fonction véritable : elle affirme
l´existence d´une communauté discursive entre le Président et son électorat, qui mobilise pour cela le
soubassement partagé du « bon sens ». Ainsi, dans le discours déjà cité du 21 avril 2009, M. Sarkozy se
demande-t-il : « Est ce-que le bon sens existe encore ? » ou affirme-t-il des vérités générales comme : «Il y a
du plaisir, dans la vie, quand d´abord on a mis de l´effort. Il n´y a pas de plaisir quand il n´y a pas d´effort » et
se réfère explicitement à la sagesse populaire quand il ajoute : « Il y a un autre principe : Aide-toi, le ciel
t´aidera. On ne peut rien faire pour celui qui ne veut rien faire pour lui-même. »
Les différents niveaux d´énonciation se superposent ici pour signaler l´existence d´une continuité des discours
de la Vox Populi, du Président de la République et de la sympathisante UMP anonyme. Cette convergence
discursive soulignée par la polyphonie verticale (la superposition des niveaux d´énonciation) est parallèle à
une convergence lexicale et sémantique : Virginie dans le clip, ou les électeurs selon M. Barnier, sont des
volontaristes, des acteurs du changement et de la transformation. Ils ne se contentent pas de défendre l´esprit
d´initiative, ils contribuent à la rupture, et par là ils prennent ces « initiatives » dont ils vantent par ailleurs
« l´esprit ». En un mot : ils répètent ce que fit et fait M. Sarkozy. La remobilisation des réquisits de la
campagne présidentielle s´explique aussi en ce sens : La figure de projection ultime du désir mimétique, c´est
le Président de la République, celui par qui « tout devient possible » et qu´on ne peut donc imiter qu´en
« créant des possibles » à son tour.
CONCLUSION
Reste à déterminer le point d´articulation entre ces différents moments : d´une part l´évolution des supports et
des méthodes de la communication et la dichotomie communication / publicité, d´autre part les
métamorphoses du discours, avec le recours à la narration et aux phénomènes de polyphonie à la fois comme
vecteurs de contenus et comme signaux rhétoriques. Ce point d´articulation est probablement à chercher dans
la notion de répétition, qui intervient dans deux théories pertinentes ici. La première, celle du « désir
mimétique » chez René Girard (1961), que nous avons déjà citée, rend compte d´un déplacement du discours
vers les standards de la publicité. Ce déplacement est particulièrement net dans le cas de la plate-forme des
« créateurs de possibles », où l´on fait de M. Sarkozy le Créateur de Possibles par excellence. C´est bien aux
désirs que l´on fait appel ici : dans le schéma girardien, l´objet explicite du désir, voiture, yaourt ou fortune
personnelle, est toujours ce que la figure d´identification désigne comme désirable. Ici, on nous parle de
« désirs de changement ». Le paradigme publicitaire de la répétition (comme imitation) s´accompagne
toutefois d´un autre paradigme, qui renvoie à une dimension autrement plus ancienne du discours politique.
Selon Mircea Eliade (1963), la répétition est en effet le mode d´être du mythe. Le recours aux réquisits de la
campagne de 2007, outre l´activation du mécanisme mimétique, renvoie donc à un « grand récit », celui de la
« rupture ». C´est ce grand récit que mobilise Michel Barnier pour prouver la possibilité du changement. En ce
sens, le domaine du récit englobe aussi bien le mythe sarkozyen que le storytelling du clip des « Créateurs »,
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et le mimétisme de Virginie est tributaire de l´existence de ce mythe qui permet et appelle la répétition. Les
différentes narrations se répondent donc en même temps qu´elles contribuent à une justification idéologique
par l´exemple. Ces récits sont en effet les vecteurs d´un message, celui de l´initiative personnelle que
couronne le succès (la plate-forme numérique devenant le lieu de la répétition et de l´émulation). En d´autres
termes, ce que nous disent ces récits interchangeables, c´est toujours : « Quand on veut, on peut ». Le mythe,
phénomène social, devient ici individualiste. Ce n´est pas la société qui répète dans le rite, c´est l´individu par
ses initiatives. Le déplacement est semblable à celui du chœur vers le lipdub. Désir mimétique et imitation
mythologique convergent donc à la faveur d´un grand récit de la réalisation de soi dans et par la volonté
absolutisée. On peut alors se demander ce qu´il reste de proprement politique à cet espace discursif. Le
remplacement de la communication politique par un paradigme narratif relevant à la fois de la publicité et du
mythe ainsi que la thématisation exclusive de la volonté de changement tendent en effet, comme on l´a vu
avec le spot des Elections Européennes, à neutraliser le lieu du débat public, à le dépolitiser, ce qui
correspond aussi à la rhétorique du « rassemblement » présente dans le discours prononcé par M. Barnier, qui
correspond à la fois à une tradition de la Cinquième République et à une stratégie souvent réaffirmée de M.
Sarkozy. Néanmoins, cette neutralisation du débat politique au profit d´un grand récit de l´initiative
personnelle peut elle-même être lue comme la communication d´un contenu idéologique : celui du
libéralisme.
Liste des références bibliographiques
ADAM, Jean-Michel (2009) : Les Textes, types et prototypes, Paris : Colin.
de BEAUGRANDE, Alain, Dressler, Wolfgang (1981) : Einführung in die Textlinguistik, Tübingen : Niemeyer.
ELIADE, Mircea (1963) : Aspects du mythe, Paris : Gallimard, « Idées ».
GÉVAUDAN, Paul (2008) : « Das kleine Einmaleins der linguistischen Polyphonie », in Philologie im Netz
43/2008, URL : http://web.fu-berlin.de/phin/phin43/p43t1.htm.
GIRARD, René (1961) : Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris : Gallimard.
NEF, Frédéric (1980) : « Notes pour une pragmatique textuelle », in Communications, 1980, n° 32, 1, p.
183-189, Paris : Le Seuil.
SAFIRE, William (2004) : « Narrative », in New York Times, 5 décembre 2004.
SALMON, Christian (2007) : Storytelling : La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits,
Paris : La Découverte, « Cahiers libres ».
VAN DIJK, Teun A. (1972) : Some Aspects of Text Grammars, Den Haag : Mouton.
Notes de bas de page
1
C´est la source que nous utilisons ici. Pour les versions intégrales de ces spots, on consultera donc :
http://www.ump2009.eu/spots-tv (dernier visionnage: mars 2010)
2 La plupart des vidéos mises en ligne dans ce cadre le sont ainsi sur les « chaînes » des « Jeunes Populaires » et non de
l´UMP.
3
Pour la visionner, on consultera donc: http://www.dailymotion.com/video/xaozj5_news. Nous transcrivons et
soulignons.
4 Girard n´apporte pas de stricte définition du désir mimétique dans son ouvrage majeur, mais quelques passages s´en
approchent. Il écrit ainsi : « Don Quichotte a renoncé en faveur d´Amadis [un héros de récits, rappelons-le] à la prérogative
fondamentale de l´individu : il ne choisit plus ses désirs, c´est Amadis qui doit les choisir pour lui. Le disciple se précipite
vers les objets que lui désigne ou semble lui designer le modèle de toute chevalerie. » (p. 11 sq.), ou encore : « le désir
selon l´Autre est toujours le désir d´être un Autre » (p. 89). L´histoire de Virginie est de la même manière celle que je
souhaiterais être la mienne, et pour être à la hauteur de cette figure d´identification, je me laisse dicter le désir de ce qui lui
permet de s´épanouir comme je le voudrais. Comme on le verra plus loin, la véritable figure de projection n´est pas
Virginie, elle-même en proie à ce désir, mais Nicolas Sarkozy. Il n´en demeure pas moins que c´est Virginie, personnage
plus proche du spectateur, qui remplit ce rôle en première instance, dans le cadre d´un procédé qui relève des applications
publicitaires du mimétisme. Sur ce dernier point, Jean-Pierre Dupuy et Paul Dumouchel ont proposé en 1979 une analyse
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de la société de consommation suivant les concepts girardiens : L’Enfer des choses : René Girard et la logique de
l'économie, Paris : Le Seuil, 1979.
5 Ainsi, le journal (de gauche) Libération titrait le 7 janvier 2010 : « l´UMP lance son Facebook (de droite) » après avoir
consacré deux articles au sujet dans son édition du 29 décembre, dont l´un intitulé « Les partis à l´âge des réseaux » et
comparant les différents dispositifs. La référence à Barack Obama est annoncée dès le sous-titre : « S’inspirant de la
campagne d’Obama et de Facebook, les mouvements veulent tous avoir leur ‘‘média social’’. »
6 Ici encore, la vidéo est toujours consultable : http://www.dailymotion.com/video/xbft4o_lipdub-jeunes-ump-2010officiel_news.
7
Cette réductibilité du tout à la somme de ses parties est un thème fondamental de la pensée libérale depuis Adam
Smith, repris en son temps par Mme Margaret Thatcher (« Il n´y a pas de société »).
8 « Dans la philosophie de Henri Bergson, on apprend que le possible est l’idée de la réalité projetée dans le temps où
elle n’était pas encore réalisée. Le possible nous renvoie paradoxalement vers le passé, mais la création de possibles nous
projette vers le moment où nous aurons sur le réel cette capacité de vision rétrospective et c’est elle qui rend un projet
réaliste. Je sais qu’une chose est possible quand je peux la vouloir, c’est-à-dire quand tout indique à ma raison que la chose
est nécessaire. Nous en tirons une leçon : il est vain de désirer l’avenir puisqu’il est nécessaire. L’avenir ne peut être que
voulu. » (http://www.jeunesactifs-ump.org/createurs-de-possibles). On notera au passage l´allusion à «Désirs d´Avenir»,
l´association de soutien de Mme Royal, candidate malheureuse de la gauche face à M. Sarkozy en 2007.
9 Cf. ses définitions: „Externe Polyphonie - Die Äußerung vermittelt einen Standpunkt, der mit jemand anderem als dem
empirischen Sprecher verbunden ist.“ (exemple : « Jean croit qu´il a fait faillite ») et « Interne Polyphonie - Die Äußerung
vermittelt einen Standpunkt, der mit dem empirischen Sprecher, nicht aber mit dem unmittelbaren Enunziator verbunden
ist. » (« Jean a manifestement fait faillite », où manifestement introduit un niveau d´énonciation supplémentaire). Via la
présence de Virginie comme sujet des verbes épistémiques, le texte crée une polyphonie en rompant la stricte équivalence
entre l´énonciateur du contenu <chacun peut créer un nécessaire et convaincre les autres de le rejoindre> et le locuteur
empirique, puisque le contenu est maintenant rattaché à l´énonciateur (Virginie) et non au locuteur (la voix off). La
polyphonie externe devient toutefois indirectement une polyphonie interne dès lors que le locuteur off utilise le verbe
épistémique découvrir, qui revient à valider implicitement le contenu propositionnel (par opposition à s´imaginer, par
exemple) : le contenu propositionnel, qui reste attribué à Virginie, n´est certes pas assumé par le même énonciateur que
l´ensemble de la phrase, la voix off, mais le locuteur empirique (cette même voix off) ne réfute pas ce contenu.
10 Voir ainsi le communiqué « Moins de grèves, plus de bon sens » le 20 novembre 2008, URL : http://www.lepost.fr
/article/2008/11/20/1332475_moins-de-greves-et-plus-de-bon-sens-des-meilleures-conditions-pour-les-eleves.html
11
Ibid., www.dechetcom.com/infos/depeche.html?fileid=385876
12 Moyens affectés à la Recherche Publique, Question d'actualité au gouvernement n° 0251G de M. Serge Lagauche,
Sénat, Publié dans le Journal Officiel, le 16 janvier 2004, p. 344.
Pour citer cet article
MODICOM Pierre-Yves. Polyphonie et récit : la droite française à l´âge du marketing politique. Signes,
Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet
2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1601. ISSN 1308-8378.
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Article
Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne
Marina CIOLAC, Professeur, Université de Bucarest, Roumanie
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
Considérant que les vœux transmis par un chef d’État à sa nation la veille de la nouvelle année relèvent de la
communication politique de celui-ci, nous procédons à une approche communicative et sociolinguistique de
cinq discours de vœux télédiffusés. Ils ont été émis ces dernières années dans deux pays bien différents de l’UE
et ils appartiennent, respectivement, trois au président Sarkozy (France) et deux au président Băsescu
(Roumanie). Une analyse comparative de ces corpus nous permet de démontrer que les vœux présidentiels sont
influencés (dans leur contenu et dans leur forme verbale et non-verbale) non seulement par les paramètres
culturels et psychologiques de l’émetteur et par son parcours politique, mais aussi, et surtout, par les traits
socioculturels et historico-politiques de la société à laquelle le président appartient.
Abstract
Assuming that a president’s New Year address is part of their political communication, we will approach five
such television addresses from a communicative and sociolinguistic perspective. These addresses were given in
recent years by the presidents of two very different European Union Member States: three of them belong to
French president Nicolas Sarkozy, and the two remaining to Romanian president Traian Băsescu. A comparative
analysis of these corpora enables us to show that presidential New Year addresses are influenced (as regards
both their content and their verbal and nonverbal aspects) not only by the speaker’s cultural and psychological
parameters or by their political background, but also, more importantly, by the socio-cultural, historical and
political features of the society to which a president belongs.
Table des matières
INTRODUCTION
I. LE TEXTE VERBAL DU TOTEXTE
A. La séquence initiale
B. La séquence centrale
1. Dans les vœux pour 2008 et 2009 (VPS08 / VPS09 // VPB09)
2. Dans les vœux pour 2010 (VPS10 / VPB10)
C. La séquence finale
II. LE TEXTE NON-VERBAL DU TOTEXTE
A. Dans les discours français
1. VPS08
2. VPS09
3. VPS10
B. Dans les discours roumains
1. VPB09
2. VPB10
CONCLUSIONS
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Les vœux présidentiels constituent une forme particulière de communication politique. Les discours que nous
analysons ici ont été prononcés, respectivement, par le président français Nicolas Sarkozy (le 31 décembre
2007 = VPS08 1 , le 31 décembre 2008 = VPS09 et le 31 décembre 2009 = VPS10) et par le président roumain
Traian Băsescu (le 31 décembre 2008 = VPB09
2
et le 31 décembre 2010). Il s’agit de discours télédiffusés en
direct dans chacun des deux pays : en France vers 20 heures, en Roumanie peu avant et après minuit.
Nous procéderons ci-dessous à une approche communicative et sociolinguistique de ces cinq corpus. La
discussion qui suit s’appuie sur les considérations générales suivantes :
La communication (= C) verbale est un processus complexe qui suppose la transmission d’une information
sous forme de message (= M), à partir d’un émetteur (= E) vers un destinataire (= D) (qui le plus souvent
devient le récepteur du message – D/R), par un canal (oral ou écrit) à l’aide du code verbal; le processus est
réversible. Si la C verbale est orale, le M de l’E est un texte communicatif total 3 , un totexte, contenant des
éléments verbaux et non-verbaux (gestes, mimique, sons extérieurs, etc.) ; le totexte est donc constitué du
texte verbal et d’un « texte » non-verbal. Si la C verbale orale est directe, non-médiatisée, face à face, l’E et le
D/R se trouvent dans le même contexte situationnel, dont les composants sont : l’endroit, le moment et les
relations psychologiques établies entre E et D/R. Si ces trois catégories d’éléments sont de nature officielle, le
contexte situationnel est considéré du type formel, sinon il est du type moins formel, informel, etc. La C orale
avec échange (réversible) est une C bilatérale ; la C sans échange est unilatérale (= CU). Dans ce dernier cas,
le seul contexte situationnel qui compte dans la transmission du M est celui qui concerne l’E (par exemple :
endroit et moment officiels, relations professionnelles-transactionnelles avec les D/R, etc.). De même, dans la
CU les seuls paramètres extralinguistiques (sociolinguistiques – âge, sexe, statut socioculturel, occupation,
orientation politique, parcours politique, etc. – et psychologiques) qui peuvent être pris en considération
comme influençant le M sont ceux de l’E. La C verbale télédiffusée, fût-elle unilatérale ou bilatérale,
constitue toujours, à son tour, le M d’une CU qui suppose un émetteur responsable de la transmission (= E0)
s’adressant aux téléspectateurs (= D0/R0).
Nous nous proposons de démontrer ci-dessous que le M des vœux présidentiels analysés est influencé (dans
son contenu et sa forme verbale et non-verbale), d’une part par les paramètres sociolinguistiques et
psychologiques de l’E, et d’autre part par les particularités socioculturelles, historiques et politiques du pays
auquel le président appartient.
1) Du point de vue communicatif, les éléments communs aux cinq discours sont les suivants : a) le type de la
C verbale (orale, unilatérale, télédiffusée) ; b) la matérialisation du M sous forme de totexte. Les éléments
communicatifs qui distinguent les discours français des discours roumains que nous analysons sont assez
nombreux. En voici quelques-uns :
a) Le contexte situationnel de la communication est très formel pour les vœux du président français (VPS08,
VPS09 et VPS10), mais il n’est que formel pour les prestations du président roumain. Car les deux E se
trouvent dans des endroits et dans des conditions de transmission de nature différente :
- Le président Nicolas Sarkozy prononce ses trois discours à partir du palais de l’Élysée, à Paris, étant seul
devant les caméras.
- Le président roumain ne se trouve pas dans le palais présidentiel. Il prononce le premier discours analysé ici
(VPB09) sur une scène dressée sur la place centrale de la ville de Braşov. Le deuxième discours (VPB10) est
prononcé toujours dehors, cette fois-ci dans la petite ville montagneuse de Sinaia 4 . Dans les deux cas, T.
Băsescu n’est pas seul devant les caméras : à côté de lui se trouvent des personnages officiels locaux et à
Sinaia à sa droite se trouve aussi son épouse.
b) Les destinataires/récepteurs du président français sont uniquement les téléspectateurs (= D0/R0), en
revanche les destinataires/récepteurs du président roumain sont de deux (voire de trois) types : α) les
téléspectateurs (D0/R0) ; β) les récepteurs locaux directs (= D1/R1) 5 ; la présence d’un public qui reçoit
directement son message permet à l’E roumain d’avoir (ne fût-ce que partiellement) un feed-back (qui est
d’ailleurs toujours positif – des applaudissements, des acclamations) pour les idées qu’il transmet.
c) Ces distinctions concernant les conditions externes de la C se reflètent dans la façon différente de présenter
le M : sobre et très surveillée (rythme lent de la lecture sur prompteur, prononciation claire et distincte,
mimique et gestes pondérés) pour N. Sarkozy / comportement communicatif plus désinvolte pour le président
roumain.
2) Du point de vue sociolinguistique, des rapprochements peuvent être faits entre les deux présidents en ce
qui concerne certains traits individuels (tels la même orientation politique – leurs partis respectifs appartenant
au même grand groupe politique européen, un parcours politique soutenu par l’ambition, le charisme, le désir
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de dominer), mais les conditions macro sociolinguistiques dans lesquelles ils prononcent leurs discours sont
bien différentes.
1) En France, le président Sarkozy, s’appuyant sur un long exercice de la démocratie dans son pays, ainsi que
sur le rôle important joué par son État dans le monde, n’a pas besoin de faire une entorse à la tradition
française des vœux présidentiels (même endroit de la transmission, même façon de transmettre – ou presque la
même façon – que ses prédécesseurs). Si entre les trois discours analysés (VPS08 / VPS09/ VPS10) il y a
toutefois une différence extérieure d’ordre communicatif, elle est due plutôt à quelques facteurs
sociolinguistiques individuels : les VPS08 sont prononcés par un président qui vient d’être élu dans l’année
même – il est assis derrière son bureau ; / les VPS09 sont transmis par N. Sarkozy à la fin d’une année où il a
assuré la présidence de l’UE – il est debout, derrière un pupitre transparent, dominant ainsi son auditoire ; / les
VPS 10 étant prononcés à un moment où la cote de popularité du président a diminué, N. Sarkozy tente une
petite innovation (dans la transmission), censée le rapprocher de son peuple-récepteur : derrière son pupitre
présidentiel est projeté, sur un grand écran, le tricolore français (qui présente au milieu, sur la partie blanche,
des figures et des faits familiers aux Français).
2) La Roumanie, membre récent de l’UE est actuellement (à partir du 21 déc. 1989), après plus de 40 ans de
dictature communiste, une république semi-présidentielle. Pendant les dernières années de la période
communiste (Ceauşescu ayant été président entre 1974-1989) les vœux présidentiels sont devenus de plus en
plus détestés par le public-récepteur (car ils étaient longs, mensongers et faisaient l’apologie du communisme
et des soi-disant réussites de la Roumanie, tout en calomniant d’autres pays et les vraies valeurs de
l’humanité). C’est pourquoi les présidents de la période post-révolutionnaire (ceux d’après 1989) ont essayé,
chacun à sa façon, d’éviter toute ressemblance avec les vœux de Ceauşescu. Cela explique, entre autres, le
choix fait par le président Băsescu quant aux endroits et à la manière de la transmission des vœux, quant à la
formule introductive et même quant à la durée plus réduite des discours. Afin d’illustrer, de nuancer et de
raffiner ces observations, nous nous arrêterons d’abord sur le texte verbal des vœux et ensuite sur le
composant non-verbal des M.
I. LE TEXTE VERBAL DU TOTEXTE
A. La séquence initiale
1) Très courte dans les trois discours de N. Sarkozy, cette séquence contient dans les VPS08 et les VPS09
uniquement la formule d’adresse Mes chers compatriotes. Dans les vœux pour 2010, la formule initiale est
précédée par le vocatif du nom ethnique des habitants de la France : VPS10 : Françaises, Français ! Mes chers
compatriotes !
2) En ce qui concerne les deux discours du président roumain, la séquence d’ouverture y est considérablement
plus longue.
- Dans les vœux pour 2009, qui se déroulent sur la scène de Braşov, étant donné la double nature des
destinataires, la séquence initiale est constituée d’une formule de salut (Bună seara « Bonsoir ») + le vœu de
bonne année (La mulţi ani) que T. Băsescu adresse au public local (D1/R1) (braşoveni! « Habitants de Braşov
! »). Suit un remerciement pour avoir été invité là, adressé toujours aux habitants de Braşov et encore une fois
le vœu de bonne année destiné uniquement à ceux-ci. Ce n’est qu’après que le président adresse son vœu à
toute la nation : La mulţi ani, români! « Bonne année, Roumains ! » Il désigne ses compatriotes
téléspectateurs (D0/R0) tout simplement par le substantif ethnique (sans déterminant et sans aucune expansion
adjectivale du nom, du type dragi « chers ») 6 .
VPB09 : Bună seara / « La mulţi ani »/ braşoveni ! // Încep prin a vă mulţumi / că mi-aţi dat şansa / de aici / de la
Braşov / să adresez românilor / tradiţionalul salut / de anul nou // Este pentru mine o onoare / să mă aflu / la
Braşov // La mulţi ani / braşoveni ! / La mulţi ani / români ! // (« Bonsoir ! / Bonne année / habitants de Braşov !
// Je commence par vous remercier pour la chance que vous m’avez accordée d’adresser aux Roumains d’ici/ de
Braşov / les vœux traditionnels pour la nouvelle année // Pour moi c’est un honneur de me trouver ici/ à Braşov //
Bonne année / habitants de Braşov ! / Bonne année / Roumains ! »)
- Dans les vœux pour 2010, le public local (de la ville de Sinaia) n’est plus pris en considération séparément,
en revanche l’éventail des destinataires du président s’est élargi et nuancé. T. Băsescu commence par
souhaiter la nouvelle année à tous les Roumains (le nom ethnique au masculin y a une valeur générique) : La
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mulţi ani, români ! « Bonne année, Roumains ! » Ensuite, il désigne explicitement les compatriotes auxquels
il s’adresse, tout en énumérant des concitoyens de plusieurs ethnies. Finalement, en tant que chef suprême de
l’armée, il mentionne en particulier l’armée roumaine.
VPB10 : La mulţi ani/ români ! / La mulţi ani / români / din interioru’ frontierelor / şi din afara frontierelor
României // La mulţi ani cetăţeni români / etnici romi / maghiari / ucraineni / tătari / turci / sârbi / şi de orice altă
naţionalitate sub cetăţenie română ! // La mulţi ani / armatei române / fie ea acasă/ sau în teatrele de operaţii/ din
Afganistan / sau din Balcanii de vest ! // (« Bonne année / Roumains ! // Bonne année / Roumains de l’intérieur et
de l’extérieur des frontières de la Roumanie ! // Bonne année citoyens roumains d’ethnie tsigane / hongroise /
ukrainienne / tartare / turque / serbe et de toute autre nationalité sous citoyenneté roumaine ! // Bonne année à
l’armée roumaine / fût-elle chez elle ou dans les théâtres d’opérations de l’Afghanistan ou des Balkans de
l’ouest ! // »)
B. La séquence centrale
1. Dans les vœux pour 2008 et 2009 (VPS08 / VPS09 // VPB09)
Dans tous les discours analysés ici, la séquence centrale commence par une brève caractérisation de l’année
qui s’achève.
VPS08 : En ce trente et un décembre / au terme d’une année si pleine pour notre pays [...]
VPS09 : L’année deux mille huit s’achève //... Elle a été rude //
VPB09 : Se-ncheie un an două mii opt / care-a fost un an bun / pentru România // (« Il s’achève une année 2008
qui a été une bonne année pour la Roumanie. »)
Les extraits ci-dessus 7 montrent que la même année (2008) a été appréciée différemment par les présidents
de la France et de la Roumanie. Même si l’on peut considérer que les effets de la crise se sont propagés moins
vite vers les frontières de l’UE, l’appréciation de T. Băsescu est plutôt subjective, sinon délibérément
trompeuse, dans la tradition des discours totalitaires, où l’on faisait l’apologie d’un niveau de vie présenté
comme élevé, quand en réalité il était complètement défaillant. De plus, le président roumain minimise les
effets et les conséquences à venir de la crise économique mondiale. Montrant un optimisme exagéré, il
recommande même une confiance sans justification réelle dans les institutions de l’État roumain, capables,
selon lui, de conduire les Roumains en 2009 vers une vie meilleure (l’épithète est soulignée par son
intonation 8 ) :
VPB09 : Vreau să vă asigur / aici / la Braşov / pe dumneavoastră / pe braşoveni / pe toţi românii / că instituţiile
statului român / au ŞI resurse / au ŞI capacitatea / să facă... ca anul două mii nouă/ să fie un an / în care să trăim /
mai BINE // (« Je veux vous assurer / ici / à Braşov / vous / les habitants de Braşov / tous les Roumains / que les
institutions de l’État roumain / ont ET des ressources / ET la capacité / de faire que l’année 2009 soit une année /
pendant laquelle nous puissions vivre MIEUX // »)
Dans les vœux présidentiels analysés (comme dans toute allocution politique) c’est la fonction conative de la
C (centrée sur le destinataire) qui prime. L’émetteur (je), présent dans le texte verbal, se met en relation avec
le destinataire (vous) : le locuteur rend compte, assure de sa compréhension et de sa compassion, promet,
s’engage, s’associe au destinataire (= nous) et, finalement, lui adresse ses vœux. C’est en grandes lignes le
plan de ces trois totextes, à quelques variations près dues aux réalités socio-historiques de la communauté
linguistique du locuteur ainsi qu’au parcours politique de celui-ci.
Dans les vœux pour 2008, le président Sarkozy (élu depuis à peine 8 mois en cette fonction) s’adresse à une
catégorie assez large de destinataires (« ceux qui se préparent à fêter la nouvelle année / ceux qui sont obligés
de travailler pendant cette nuit-là / les soldats en opération / ceux qui sont toujours seuls / ceux que la vie a
éprouvés »), leur transmettant un message d’espoir et de confiance dans l’avenir. D’ailleurs, lui-même il est
optimiste, étant donné qu’il se prépare à assumer (le premier juillet) la présidence de l’UE.
Dans les vœux pour 2009, N. Sarkozy mentionne uniquement des destinataires malheureux (« ceux que la vie
a durement éprouvés / ceux qui ont perdu leur emploi / ceux qui sont victimes d’injustices / ceux qui doivent
affronter l’absence d’un être cher / « nos soldats » qui risquent leur vie »), en concluant que « pour tous les
Français cette année a été difficile. »
Le président roumain, dans ses vœux pour la même année (2009) ne mentionne de façon spéciale qu’une
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catégorie restreinte de destinataires : les Roumains qui travaillent à l’étranger, les militaires roumains en
opération « où qu’ils soient dans le monde » et les jeunes, auxquels il tient à adresser un message spécial, car
le changement rapide du pays « ne peut être entrepris qu’ensemble avec la jeune génération ». La pensée
sous-jacente du président est probablement qu’en Roumanie les jeunes sont les seuls à ne pas avoir été
marqués par la mentalité de l’ancienne époque communiste.
L’existence dans un passé peu éloigné d’un régime totalitaire en Roumanie a rendu la population
« allergique » à la présence dans les discours politiques de certains mots et syntagmes, comme : patria
noastră « notre patrie », vechea noastră ţară « notre ancien pays », mândrie naţională « fierté nationale »,
mândria de a fi român « la fierté d’être roumain », éventuellement meritele noastre « nos mérites », valorile
noastre « nos valeurs », etc. Des éléments linguistiques de ce type sont absents des vœux pour 2009 du
président roumain. À remarquer aussi que T. Băsescu évite le syntagme poporul român/nostru « le peuple
roumain/ notre peuple » et préfère utiliser à sa place des groupes nominaux qui ont comme noyau le nom
ethnique, par exemple toţi românii « tous les Roumains ».
En revanche, comme les Français n’ont pas à lutter contre de tels souvenirs, N. Sarkozy utilise sans aucune
réticence (dans les VPS08 et les VPS09) des termes et des syntagmes du type : le peuple français, la fierté
d’être Français, notre vieux pays, nos valeurs, préservons les valeurs, valoriser le travail et le mérite, etc. En
outre, persuadé que son pays a un rôle à jouer sur la scène mondiale, N. Sarkozy parle des intérêts de la
France, de la vocation de la France, de son rôle et de son rang dans le monde, de la France comme exemple,
comme modèle, des valeurs de la France, de ce que les peuples du monde attendent de la France, idées et
points de vue qui manquent complètement dans le discours roumain.
2. Dans les vœux pour 2010 (VPS10 / VPB10)
Ces discours méritent une discussion spéciale, d’une part, parce que les graves conséquences de la crise
économique mondiale ne peuvent plus être niées même par un successeur du régime communiste ; d’autre
part, parce que les échecs/succès politiques personnels des deux présidents se reflètent largement dans les
deux totextes, poussant chacun des locuteurs à adopter des attitudes qui semblent (du moins partiellement)
différentes de celles des vœux précédents. Mentionnons aussi que chacun de ces deux discours (VPS10 et
VPB10) introduit un concept-clé qui s’impose petit à petit jusqu’à la fin des vœux, étant proposé explicitement
comme palliatif, dans ces conditions de crise : la fraternité dans les VPS10 (je souhaite que deux mille dix soit
l’année où nous redonnerons un sens ... au beau mot de fraternité/ qui est inscrit ... dans notre devise ...
républicaine //) et la solidarité dans les VPB10 (Solidaritatea cu noi înşine/ şi cu obiectivele noastre // « La
solidarité avec nous-mêmes / et avec nos objectifs »).
1) VPS10
Au moment où il prononce ce discours, N. Sarkozy est arrivé à une étape de son mandat où il doit affronter
une baisse non-négligeable de sa cote de popularité. C’est pourquoi il est constamment préoccupé, dans son
allocution, d’une part de se repositionner par rapport à ses destinataires, d’autre part de sauvegarder sa propre
face positive 9 . Nous nous limiterons à quelques remarques générales, sans entrer dans une analyse détaillée
de ces vœux.
a) Afin de renforcer sa position et de consolider son image devant les D0/R0, le président insiste sur l’unité qui
est censée exister entre lui et ses compatriotes (moi + vous). Cette idée est exprimée par le locuteur de
plusieurs façons : le pronom personnel nous (au nominatif-accusatif et/ou au datif – Les efforts que nous
faisons ; sans nous insulter ; Il nous reste encore beaucoup de travail), les déterminants possessifs notre, nos,
parfois à la place de l’art. défini, (l’organisation de notre défense ; la protection de notre environnement ; nos
livres ; nos soldats ; nos compatriotes), l’adjectif unis (Nous devons rester unis), le participe passé rassemblé
(une France rassemblée), l’adverbe ensemble (ensemble nous avons évité le pire), etc.
Une mention à part, dans ce sens, méritent les occurrences du pronom personnel je par rapport aux
occurrences du nous de solidarité avec les destinataires. Si dans les VPS08 le rapport entre ces deux pronoms
était de 48 occurrences de je vs. 15 de nous, et si dans les VPS09 le même rapport était de 23 occurrences de je
vs. 13 occurrences de nous, dans les VPS10 l’ordre des fréquences s’est visiblement inversé : 21 occurrences
de nous vs. seulement 10 occurrences de je. Si l’on ajoute à l’emploi explicite de ce nous la présence implicite
du pronom (inclus dans la désinence verbale) pour les nombreux verbes à l’impératif (à la première personne
du pluriel – respectons, faisons, etc.) on a une preuve évidente du fait que l’ego bien connu du président a fait
des efforts d’atténuation.
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La première personne du singulier sert évidemment au locuteur à formuler ses vœux, à exprimer des
sentiments au nom personnel, à s’engager, mais aussi à défendre sa face positive de façon explicite :
VPS10 : « C’est un domaine/ où il est bien difficile de faire évoluer les mentalités et les comportements// Mais JE
ne suis pas un homme/ qui renonce à la première difficulté// », ou bien de façon implicite, se montrant plein de
compréhension envers ceux qui s’opposent à ses réformes : VPS10 : « Beaucoup de réformes ont été accomplies//
Je sais qu’elles ont bouleversé des habitudes/ et qu’avant de produire leurs effets/ elles ont pu provoquer des
inquiétudes //. »
La première personne du pluriel sert elle aussi à défendre la face du président, mais d’une façon moins directe,
invitant à la compréhension et à l’entente :
VPS10 : « Respectons-nous/ les uns les autres // Faisons l’effort de nous comprendre // Évitons les mots [√] et les
attitudes qui blessent // Soyons capables de débattre SANS nous déchirer/ SANS nous insulter // SANS nous
désunir // ».
Donc si dans les VPS10 l’emploi de nous l’emporte largement sur celui de je, c’est grâce à un changement
d’attitude du président en comparaison des discours précédents : N. Sarkozy essaie de se repositionner par
rapport à ses destinataires, se solidarisant verbalement le plus possible avec ceux-ci.
b) Mais N. Sarkozy recourt aussi à une autre façon de sauver la face. Il met en évidence les réalisations
françaises (internes et externes) ainsi que les projets à venir (censés consolider la place de la France dans le
monde) et laisse inférer qu’il en est l’habile artisan, faisant valoir, ne fût-ce que de façon implicite, sa propre
face positive. Par exemple, soulignant que les maux provoqués par la crise sont en France moins profonds
qu’ailleurs, le président insiste sur quelques réussites françaises dans le domaine social :
VPS10 : « Cependant/ notre pays a été moins éprouvé que beaucoup d’autres // Nous le devons à notre modèle
social/ qui a amorti le choc / aux mesures énergiques qui ont été prises pour soutenir l’activité / et surtout pour
que PERSONNE ne reste sur le bord du chemin // ».
De plus, N. Sarkozy n’hésite pas à se rapporter, de manière explicite et presque flatteuse, à la face positive de
ses D0/R0 (vous ; les Français), afin de gagner leur adhésion :
VPS10 « Mais c’est à chacun d’entre vous que revient le plus grand mérite // Je veux rendre hommage / CE soir
/au sang froid // et au courage des Français / face à la crise // ».
C’est toujours en faisant l’éloge de l’unité entre le président et ses concitoyens, au nom desquels, lui, il a agi,
que N. Sarkozy mentionne des réussites externes passées et futures :
VPS10 : « C’est cette unité qui nous a permis de prendre l’initiative d’entraîner les autres // Les idées que la
France défend / vont pouvoir s’imposer / dans la recherche d’un nouvel ordre mondial //. »
2) VPB10
Traian Băsescu prononce ses vœux pour 2010 peu après avoir été réélu (le 6 déc. 2009) à la tête de l’État,
ayant gagné les élections de justesse (à une différence de moins de 1% des voix). Après une lutte électorale
acharnée, le président est maintenant plein d’assurance, content de lui. Il parle avec aplomb en sa qualité de
président du pays et, symboliquement, il parle aussi en qualité de père de famille, car à ses côtés se trouve son
épouse. Voici quelques remarques concernant la séquence centrale de ces vœux :
a) Cette séquence commence par une double caractérisation de l’année 2009 :
- D’une part, le président reconnaît cette fois-ci (à la différence du discours précédent) les difficultés dues à la
crise globale qui a atteint le pays. Mais, en véritable continuateur des « orateurs » communistes, T. Băsescu
tient à souligner que la crise n’a pas humilié ou soumis les Roumains :
VPB10 : Două mii nouă a fost un an dificil // Un an în care peste România a trecut criza globală / care ne-a afectat
/ dar nu ne-a îngenuncheat // (« 2009 a été une année difficile // Une année dans laquelle la Roumanie a été
frappée par la crise globale / qui nous a affectés / sans pour autant nous obliger à nous agenouiller // »)
- D’autre part, T. Băsescu se réfère à l’existence en 2009 de ce qu’il appelle, « des crises politiques » internes
(à savoir les confrontations électorales), tout en évoquant de façon flatteuse la face positive des Roumains :
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VPB10 : Două mii nouă / a fost şi un an în care am avu’ parte de ... crize politice // Crize politice pe care românii
le-au tranşat prin votul lor / pe şase decembrie/ atunci când au decis să fiu preşedinte al tuturor românilor/ pentru
încă un mandat // (« 2009 a été aussi une année dans laquelle nous avons eu... des crises politiques// Des crises
que les Roumains ont tranchées par leur voix/ le 6 décembre/ quand ils ont décidé de m’élire président de tous les
Roumains/ pour un nouveau mandat // »)
Ensuite, faisant preuve de diplomatie politique, le président remercie non seulement ceux qui l’avaient élu,
mais aussi ceux qui lui avaient refusé leur voix, en lui « donnant une leçon ». T. Băsescu finit cette
sous-séquence par une mise en évidence et de sa propre face positive et de celle du peuple roumain :
VPB10 : Certitudinea votului din şase decembrie / rămâne că politicienii care pot să câştige
10
/ sunt aceia /
care-şi iau ca aliat / poporul român // (« La certitude du vote du 6 décembre reste celle que les politiciens qui
peuvent gagner/ sont ceux/ qui prennent comme allié le peuple roumain // »)
b) Le fait que (en comparaison des VPB09) les vœux pour 2010 ne sont plus prononcés sur une scène (d’où le
président dominait ses destinataires), mais « au milieu de la foule » (T. Băsescu se trouvant à la même hauteur
que ses destinataires), explique peut-être aussi l’inversion du rapport de fréquence entre la première personne
du singulier et la première du pluriel (inversion visible dans le choix des pronoms personnels, des
déterminants possessifs et des formes verbales). Par exemple, si dans la séquence centrale des VPB09 le
président roumain recourt 8 fois à la première personne du singulier et 5 fois seulement à celle du pluriel, dans
les VPB10 ce sont les occurrences du pluriel (31) qui l’emportent sur celles du singulier (9). À cette
explication qui vise des changements dans les conditions physiques extérieures de la communication doit
s’ajouter une autre qui concerne le locuteur lui-même : après avoir gagné les élections, T. Băsescu est bien
plus détendu, ce qui le pousse à être plus ouvert et à se rapprocher plus de son peuple, avec lequel il se déclare
solidaire et auquel il prétend de la solidarité :
VPB10 : Avem nevoie / ca în perspectiva anilor viitori / să facem din... solidaritate un mod de-a tră i // (« Nous
avons besoin / dans la perspective des années à venir / de faire de la solidarité un mode de vie // »)
C’est sans doute ce même sentiment personnel d’assurance et d’autosatisfaction qui pousse le présidentlocuteur à ne plus respecter certaines restrictions verbales qu’il s’était imposées dans le discours précédent,
notamment celles qui consistaient à éviter les formules figées et stéréotypées, dévalorisées par les discours
communistes. Le fait de revenir à de telles formules est loin de rendre les idées transmises plus claires :
VPB10 : [...] cred că fiecare trebuie să avem în minte / că dragostea de ţară înseamnă patriotism // Iar
patriotismul este parte a solidarităţii noastre cu ţara în care trăim / cu ţara pe care o iubim // (« [...] je crois que
nous devons chacun ne pas oublier que l’amour pour la patrie signifie du patriotisme // Et le patriotisme est une
partie de notre solidarité avec le pays dans lequel nous vivons/ avec le pays que nous aimons // »)
c) Dans la foulée, les stéréotypes de la langue de bois de l’époque totalitaire sont introduits dans des
déclarations grandiloquentes qui ne correspondent pas à la réalité :
VPB10 : Nu avem de ce să nu fim mândri de ţara noastră // Istoria ţării / cultura/ tradiţiile noastre sunt cele care îi
recomandă pe români / ca una din cele mai puternice naţiuni/ ale Uniunii Europene // (« Nous n’avons aucune
raison de n’être pas fiers de notre pays // L’histoire du pays / notre culture/ nos traditions sont celles qui
recommandent les Roumains / comme l’une des nations les plus puissantes de l’Union Européenne // »)
d) Toujours une forme de mystification à l’adresse des D0/R0 doivent être considérées les affirmations
catégoriques par lesquelles le président présente comme absolument certains pour 2010 la fin de la crise en
Roumanie, la croissance économique et l’optimisme des citoyens comme état d’âme. L’emploi du futur de
l’indicatif, sans aucun élément atténuateur est censé recommander ces affirmations comme des certitudes
inébranlables :
VPB10 : [...] anul două mii zece // Va fi un an în care vom scăpa de criză / va fi un an în care optimismul va fi cel
care ne va anima să depăşim momentul / pe care l-am trăit în anul două mii nouă // (« [...] l’année 2010 //
Celle-ci sera une année dans laquelle nous n’aurons plus la crise / ce sera une année au cours de laquelle ce sera
l’optimisme qui nous animera/ pour dépasser le moment difficile que nous avons vécu en 2009 // »)
C. La séquence finale
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1) Dans les trois discours français, la séquence de clôture est très courte, étant toutefois préparée par les
dernières phrases de la séquence centrale. La séquence finale proprement dite comprend, dans les trois
discours français, deux formules figées, présentées dans le même ordre, la première étant un souhait adressé à
la République, la seconde un souhait pour la France. (Dans les VPS08 et les VPS10, ces souhaits sont précédés
par une formule d’adresse destinée aux D0/R0.)
VPS08 : Mes chers compatriotes / VIVE la République/ et VIVE la France //
VPS09 : VIVE la République / et VIVE la France //
VPS10 : Mes chers compatriotes / VIVE la République/ et VIVE la France //
2) Dans les deux discours roumains, la séquence verbale finale est beaucoup plus longue et bien moins
prévisible, sous certains aspects.
a) Dans les VPB09, le président Băsescu souhaite une bonne année à ses concitoyens (auxquels il s’adresse
employant le pronom indéfini au datif pluriel tuturor), puis il ajoute son slogan électoral 11 et, après le
compte à rebours, il répète la formule La mulţi ani ! « Bonne année » + le vocatif du nom éthnique (români).
VPB09 : Şi pentru că ultimile clipe ale anului care trece / le petrecem împreună / daţi-mi voie / de-aici de la
Braşov / să vă doresc tuturor / din tot sufletu’ /cu toată dragostea : « La mulţi ani ! » Şi « Să trăiţi ... BINE ! » //
[Suit le compte à rebours ] La mulţi ani / români ! / La mulţi ani ! // (« Et parce que nous passons ensemble les
derniers moments de l’année qui s’écoule/ permettez-moi / d’ici / de Braşov / de vous souhaiter à tous / de toute
mon âme / de tout mon cœur : « Bonne année ! » Et « Vivez BIEN ! » [...] Bonne année / Roumains ! Bonne
année ! // »)
Cette façon plutôt atypique de clore un discours de vœux s’explique, par certains traits psychologiques de
l’émetteur, mais aussi par des circonstances politiques précises, tant générales que spécifiques. Il y a d’une
part l’effort déjà mentionné d’éviter tout rapprochement et toute ressemblance avec les discours de Ceauşescu
et des politiciens de l’époque communiste, discours qui finissaient toujours par Trăiască Republica Socialistă
România « Vive la République... ». Et il y a d’autre part le désir de T. Băsescu de rappeler aux Roumains (par
son slogan) que l’année qui commence est une année électorale en Roumanie et que vraisemblablement il se
portera candidat.
b) Dans les vœux pour 2010, le président roumain diversifie un peu ses souhaits, tout en introduisant (de
même que dans la séquence centrale) quelques marqueurs de la langue de bois de l’époque précédente (« avec
nos objectifs », « cher pays ») :
VPB10 : Permiteţi-mi / dragi români / să-nchei urându-vă multă sănătate / bucurie / fericire-n familii / şi cel mai
important lucru / SOLIDARITATE // Solidaritatea cu noi înşine/ şi cu obiectivele noastre // Vă doresc la toţi : La
mulţi ani ! // La mulţi ani România ! / La mulţi ani români ! // La mulţi ani/ ţară dragă ! // (« Permettez-moi /
chers Roumains / de finir en vous souhaitant de rester en bonne santé / d’avoir du bonheur dans vos familles / et
la chose la plus importante : de la SOLIDARITÉ // La solidarité avec nous-mêmes / et avec nos objectifs // Je
vous souhaite à tous : Bonne année ! // Bonne année / Roumanie ! // Bonne année / Roumains ! // Bonne année /
cher pays ! // »)
II. LE TEXTE NON-VERBAL DU TOTEXTE
A. Dans les discours français
Le totexte débute (et s’achève) par les sons de la Marseillaise et, dans les deux premiers discours, par l’image
extérieure du palais de l’Elysée, à Paris. L’attitude du président Sarkozy est sobre, ses gestes sont retenus et
sans ampleur, appropriés au contexte très formel de la communication. La mine du locuteur est concentrée,
peu mobile, sauf pour les séquences initiale et finale, où l’ébauche d’un sourire est visible. Les unités
totextuelles (= UT) 12 dans ces discours sont toujours soit bimarquées 13 , soit monomarquées 14 verbalement
(ou bien transmises comme telles aux téléspectateurs). Il n’y a pas d’UT monomarquée non-verbalement, car
étant donné le contexte très formel de la communication, N. Sarkozy ne recourt à aucun geste substitutif 15 de
la parole.
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1. VPS08
Le cadre qui succède à l’ouverture du totexte présente le président Sarkozy assis à son bureau, de sorte qu’on
ne voit que la partie supérieure de son corps. La position assise n’offre pas une grande liberté de mouvement,
toutefois les mains et (plus rarement) les bras, qui se trouvent sur la table, ainsi que la tête de l’émetteur
peuvent bouger librement. Les gestes du président dans ce discours sont strictement des gestes
accompagnateurs 16 du texte verbal et peuvent être répartis en plusieurs catégories :
a) des gestes paraverbaux – destinés à marquer le rythme du discours oral et/ou à souligner certains mots ou
syllabes en leur donnant plus de poids :
VPS08 : Je veux dire qu’il ne FAUT pas [geste de la main droite ayant les doigts réunis] perdre de vue / que [...].
Photo 1
b) des gestes de contact ou phatiques, « symboliques » – censés exprimer :
- la sincérité (mains ouvertes et paumes orientées vers le haut ou latéralement) :
VPS08 : Et c’est avec le MÊme esprit d’ouverture [geste engageant à l’aide des deux mains] / avec la même
volonté / de tenir mes engagements / que j’aborde cette nouvelle année /
Photo 2
- la disponibilité (éloignement des paumes ouvertes ; mouvement des bras qui s’avancent et qui ouvrent une
voie vers les destinataires, etc.) :
VPS08 : Urgence à dépasser les vieux clivages partisans / urgence du choc fiscal et social pour rétablir la
confiance / [geste des mains vers les D0/R0] et SOUTenir l’activité /
Photo 3
- une protection promise/accordée à un élément essentiel, au « cœur » d’un problème (le creux des paumes
jointes, les mains ouvertes réunies par le bout des doigts) :
VPS08 : Celle d’une politique qui touche DAvantage encore / à l’ESSENTIEL // [il rapproche ses deux mains,
comme s’il tenait quelque chose d’important entre ses paumes]
Photo 4
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c) des gestes référentiels ou de désignation (index et/ou bras tendus pour indiquer vaguement des personnes
dont parle le texte verbal) :
VPS08 : [...] de ceux [geste qui indique les personnes] qui attendent au fond de leur prison que la France parle /
Photo 5
d) des gestes référentiels ou illustratifs – qui suggèrent des éléments non-animés dont il est question dans le
texte verbal :
VPS08 : Alors / que la France montre la voie // [geste de la main droite pour indiquer un chemin à suivre]
Photo 6
2. VPS09
Debout, derrière son pupitre présidentiel semi-transparent, N. Sarkozy s’appuie tout le long de son discours
sur ce meuble, ce qui lui laisse peu de liberté de mouvement. En outre, les responsables de la transmission ne
montrent, le plus souvent, que le haut du torse du président et sa tête. Par conséquent, les seuls mouvements
qui sont toujours visibles par les D0/R0 sont ceux de la tête et/ou du buste. Parfois, on devine également que le
locuteur change le poids de son corps d’une jambe sur l’autre (= mouvement de confort 17 , collatéral,
indépendant de la parole). Les seuls gestes qui accompagnent les paroles du président dans ce discours sont
ceux qui mobilisent ses doigts ou, moins fréquemment, sa main droite (voire son bras droit), dans de rares
gestes désignatifs ou argumentatifs rythmiques. Les gestes de ce type sont sans envergure et ils appartiennent
toujours, comme nous venons de le souligner, à des UT bimarquées. Il est à remarquer, par rapport aux vœux
précédents, l’absence d’une gestique de la bienveillance et de l’ouverture. Ses gestes prouvent qu’après un
exercice plus long (une année de plus) de son pouvoir interne et après l’exercice de la présidence de l’UE, N.
Sarkozy se montre plus ferme et plus tranchant dans les rapports avec ses compatriotes.
3. VPS10
Au début de cette allocution, le président se trouve devant la partie centrale de l’écran tricolore. On devine
qu’il s’appuie sur son pupitre (tout comme dans les VPS09), mais celui-ci n’est pas visible par les D0/R0, car
le plan filmique employé (durant tout le discours) est le plan rapproché (on ne voit que la poitrine et la tête du
locuteur). Les vœux pour 2010 se caractérisent par plus de sobriété et par moins de mobilité de la part de N.
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Sarkozy. Les gestes sont peu variés et d’ailleurs certains sortent partiellement du cadre. Mobilisant seulement
les bras, les mains ou les pouces, la gestique est pauvre. Elle est surtout : a) de nature paraverbale (soulignant
et/ou rythmant les paroles) ; b) de nature déictique référentielle (indiquant des éléments du contenu) ; c) de
nature déictique-conative ou phatique (indiquant les destinataires).
Une mention à part mérite toutefois un geste communicatif centré à la fois sur les destinataires (geste
phatique) et sur le contenu du message (geste référentiel illustratif-désignatif) ; ce geste est censé soutenir et
souligner de façon non-verbale le composant vous du nous de solidarité (nous = vous + moi) : VPS10 : « Dans
ce moment/ si crucial/ nous devons rester unis / comme [geste de la main droite vers les téléspectateurs] nous
avons su l’être au plus fort de la crise // » 18
Photo 7
B. Dans les discours roumains
1. VPB09
Malgré le fait que le président Băsescu se trouve sur une scène, il ne se déplace pas pendant la séquence
centrale de son discours. La transmission contient toutefois, en ce qui concerne ce locuteur, une UT
monomarquée non-verbalement : durant la séquence de clôture, pendant 25 secondes le président tourne le dos
à la caméra et passant d’un co-acteur à l’autre, sans aucune intervention verbale pour le public, il serre les
mains des destinataires qui se trouvent sur la scène (D1b/R1b). En même temps, il contrôle plusieurs fois la
poche intérieure de son manteau (où se trouve le drapeau roumain), afin de préparer l’UT suivante.
L’attitude de T. Băsescu ressemble en grandes lignes à celle de N. Sarkozy dans le premier discours analysé
ci-dessus. Toutefois, intéressé à gagner (ou à conserver) la sympathie de ses destinataires dans l’année
électorale qui commence, le président roumain sourit plus fréquemment, module plus librement le timbre et
l’intensité de sa voix, recourt même à des comportements dont la théâtralité est évidente – par exemple,
l’agitation du drapeau à la fin de sa prestation : VPB09 : « La mulţi ani / români! / La mulţi ani ! // [Il agite le
drapeau] »
Photo 8
Néanmoins, la gestique de T. Băsescu n’est que partiellement cohérente avec l’attitude mentionnée ici. Ses
gestes révèlent plus fidèlement que ses paroles les véritables intentions de l’émetteur :
- d’une part, à côté des gestes simplement paraverbaux ou des gestes déictiques (qu’il fait, le plus souvent de
sa main gauche 19 ), il a des gestes phatiques symboliques de salut, d’ouverture et de sympathie : le bras plus
ou moins levé ayant la paume ouverte orientée vers ses D/R ;
- d’autre part, cependant, certains gestes symboliques du président roumain laissent deviner sa position
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autoritaire ; c’est le cas d’un mouvement semi-circulaire du bras et de la main qui se ferme, geste impératif
par lequel un chef d’orchestre, par exemple, impose silence à ses musiciens à la fin d’un passage musical :
VPB09 : Vreau să ne amintim / acum / de milioanele de români / care lucrează / în Italia / în Spania / în toată
Europa/ în toată lumea [le bras achève son mouvement semi-circulaire, le poing se ferme, marquant la fin de
l’idée] // Vreau să ne gândim acum / la militarii români din Afganistan // (« Je veux que nous nous rappelions /
maintenant / les millions de Roumains / qui travaillent en Italie / en Espagne / dans toute l’Europe/ dans le monde
entier // Je veux que nous pensions maintenant / aux militaires roumains se trouvant en Afghanistan // »)
20
Photo 9
2. VPB10
Plus long que le discours précédent, ce totexte montre un président bien plus décontracté, sûr de lui et de ses
gestes, qui rit ou sourit (surtout) au début et à la fin des vœux. Pendant tout son discours, T. Băsescu reste
debout devant un microphone fixe, regardant devant lui, vers la caméra (donc vers les téléspectateurs –
D0/R0).
Dépourvus du genre de théâtralité gestuelle qui caractérisait le discours précédent, les VPB10 contiennent une
gestique moins affectée, courante, peu ample et plus tempérée, sans doute aussi parce qu’il n’a plus le public
local devant lui. Cette gestique est axée sur deux coordonnées : a) ouverture et cordialité (les paumes ouvertes
toujours tournées vers le haut 21 ) ; b) fermeté et autorité (le poing qui gesticule fermé).
Les responsables de l’image font alterner différents types de plans filmiques : le plan rapproché, le plan
américain, le plan général et même quelques plans généraux sans l’image du président, qui accompagnent, à
certains moments, le texte verbal (par exemple, on voit plusieurs fois le ciel et les feux d’artifice pendant que
T. Băsescu parle) ou qui remplacent le texte dans quelques UT monomarquées non-verbalement.
Le président roumain commence son discours souriant et détendu, tenant les paumes au niveau de sa taille,
orientées vers le haut, dans un geste d’ouverture et de grande disponibilité. Les gestes de bienveillance, se
répètent plusieurs fois au cours de ces vœux. À part ces marqueurs (gestes, sourire) d’une attitude cordiale
envers ses destinataires, T. Băsescu recourt aussi à des gestes paraverbaux et à des gestes déictiques qu’il fait
de son (ou de ses) poing(s) fermé(s) et qui sont accompagnés d’une mine sobre. L’ouverture et la fermeture
des mains alternent durant ce discours, révélant l’autorité d’un locuteur qui désire se montrer chaleureux et
populaire dans sa détermination :
VPB10 : Fără reforma statului [il gesticule, au niveau de la poitrine, de sa main gauche légèrement fermée,
comme s’il tenait un globe pesable dans sa main] nu vom putea [geste de son poing droit fermé] valorifica [gestes
paraverbaux latéraux des deux mains ouvertes] în favoarea românilor [geste déictique du même poing droit
fermé – v. la photo 10] / creşterea economică ce va fi reluată în al doilea trimestru al anului două mii zece// («
Sans la réforme de l’État / nous ne pourrons valoriser en faveur des Roumains / la croissance économique / qui
sera reprise / dans le 2-e trimestre de l’année 2010 // »)
Photo 10
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CONCLUSIONS
Quelques constatations finales découlent de la discussion ci-dessus.
1) Vu les conditions spécifiques qui caractérisent le contexte situationnel de l’E, le totexte de la transmission
n’est jamais strictement non-verbal dans les vœux français, alors que dans les discours roumains il y a aussi
des UT monomarquées non-verbalement.
2) a) Le totexte des deux premiers discours français reflète (surtout par sa composante non-verbale) le
passage de l’E, suite à des circonstances extérieures (politiques), d’une attitude plus coopérative (VPS08) vers
une position plus ferme et plus déterminée par rapport à ses destinataires-compatriotes (VPS09). Par ailleurs,
dans ces totextes le locuteur essaie, par les deux composants (verbal et non-verbal), de mettre en évidence sa
face positive.
b) Le troisième totexte, émis à un moment où la popularité de N. Sarkozy est en baisse, se veut innovateur (du
moins par les conditions non-verbales de l’émission). Ces vœux montrent, surtout par le composant verbal,
un président qui se trouve sur la défensive et qui se justifie, désireux de préserver sa face positive et de
(re)gagner l’adhésion de ses concitoyens. Le composant non-verbal, par la gestique modérée et la mimique
très sobre, suggère une attitude tendue, surveillée.
3) a) Le totexte du premier discours roumain (VPB09), produit dans un contexte historico-politique et
socioculturel différent des vœux français, montre un comportement communicatif plus ambigu de la part du
président du pays. Celui-ci oscille entre deux attitudes contraires : d’une part, il tient à éviter toute
ressemblance avec les discours communistes (notamment par le choix des termes d’adresse et des formules
d’ouverture et de clôture, par l’exclusion de certains lexèmes de son texte verbal, par une mimique ouverte,
souriante, par des gestes phatiques de sympathie, donc par un comportement communicatif peu
conventionnel) ; d’autre part, en revanche, le président roumain ne peut se débarrasser de certaines traces du
discours totalitaire : la tendance sinon à cacher la vérité, du moins à enjoliver la réalité sociale présentée, le
désir (trahi et par la fermeté et par la théâtralité de certains gestes) d’imposer de façon impérative sa propre
volonté et de dominer à tout prix ses destinataires, sous une forme soit autoritaire, soit affectée.
b) Dans le totexte du deuxième discours (VPB10), prononcé peu après la réélection de T. Băsescu, le
composant verbal s’avère bien moins restrictif, de sorte que des lexèmes ou des syntagmes qui rappelaient le
langage politique communiste et que le président roumain avait évités précédemment sont employés
maintenant avec aplomb, prouvant que le locuteur se sent en position forte. Les gestes et la mimique
renforcent l’image d’un président décontracté, satisfait de lui-même, conscient de son autorité, désireux
d’exposer sa face positive.
Il est donc évident qu’à travers les traits sociolinguistiques individuels des deux E, les données macro
sociolinguistiques de la communauté linguistique nationale exercent une influence décisive sur le
comportement communicatif des deux présidents, ce qui génère des différences incontestables entre les
totextes politiques analysés ici.
Liste des références bibliographiques
BROWN, P. / LEVINSON, S. (1978), « Universal in Language Use. Politeness Phenomena », in E. Goody
(éd.), Questions and Politeness Strategies in Social Interaction, Cambridge University Press.
Ciolac, Marina (2003), La communication verbale, Bucureşti, Editura Universităţii din Bucureşti.
Ciolac, Marina (2007), Du texte au totexte : études socio-communicatives et corpus, Bucureşti, Editura
Universităţii din Bucureşti.
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COSNIER, Jacques (1982), « Communications et langages gestuels », dans COSNIER, J., COULON, J.,
BERRENDONNER, A., ORECCHIONI, C., Les voies du langage, Paris, Dunod, p. 255-304.
COSNIER, Jacques (1991), « De l’amour du texte à l’amour du contexte », dans Fivaz-Depeursinge (éd.), Texte
et contexte dans la communication, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 13, p.
29-40.
GOFFMAN, E. (1974), Les rites d’interaction, Paris, Les Éditions de Minuit.
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine (1990), Les interactions verbales, Paris, Éditions Armand Colin, vol. I.
MORRIS, D. (1994), Le langage des gestes, Londres, Calmann-Lévy.
Notes de bas de page
1
VPS08 = vœux du président Sarkozy pour 2008; VPS09 = vœux du président Sarkozy pour 2009; VPS10 = vœux du
président Sarkozy pour 2010;
2
VPB09 = vœux du président Băsescu pour 2009; VPB10 = vœux du président Băsescu pour 2010.
3 Le concept de communication totale figure déjà depuis bien des années dans la bibliographie de spécialité, de même
que la notion de totexte. Celle-ci a été introduite par le médecin et biologiste Jacques Cosnier dans ses études consacrées à
la communication et aux langages gestuels (v. Cosnier 1982, 1991, etc.). À leur tour, certains linguistes ont choisi de
recourir à ce terme et à la réalité qu’il désigne. C. Kerbrat-Orecchioni, par exemple, souligne (1990 : 48) qu’il est important
de tenir compte de « ce que Cosnier appelle le ‘‘totexte’’, c’est-à-dire [...] la totalité du matériel comportemental impliqué
dans l’échange ». V. aussi Ciolac 2007 : 13 et suiv.
4 La ville de Sinaia se trouve non loin de Braşov. Les anciens rois de la Roumanie y avaient une résidence d’été (le palais
de Peleş).
5
Pour les VPB10 ces récepteurs directs sont les gens qui entourent le président ; pour les VPB09 le public
local se subdivise en : spectateurs qui se trouvent sur la place de l’Hôtel de Ville, devant la scène (= D1a/R1a),
et récepteurs qui se trouvent sur la scène, à côté ou derrière le président (= D1b/R1b).
6 Tout le monde évite aujourd’hui en Roumanie des formules comme Dragi tovarăşi şi pr(i)eteni « Chers camarades et
amis » que le dictateur Ceauşescu employait pour s’adresser à la nation.
7
Voir aussi plus loin dans les VPS09 : « Pour tous les Français cette année a été difficile. »
8
Les syllabes et les mots prononcés avec un accent d’intensité seront transcrits ici avec des majuscules.
9 Pour le concept de face cf. E. Goffman (1974 : 4), qui définit la face comme étant « la valeur sociale positive qu’une
personne revendique effectivement à travers sa ligne d’action. » Selon P. Brown et S. Levinson (1978), chaque locuteur
dispose de deux faces : a) une face positive (ou extérieure), qui correspond à la définition donnée par Gofman à la notion de
face ; b) une face négative (ou intérieure), qui représente le territoire intime du locuteur.
10
Inférence : « comme c’est mon cas. »
11
Il s’agit du slogan des élections présidentielles précédentes : Să trăiţi bine ! « Vivez bien ! ».
12 Pour une étude approfondie du totexte, nous avons proposé (Ciolac 2007 : 16) la notion d’unité totextuelle (= UT) et
nous avons défini celle-ci comme étant le plus petit fragment d’un totexte qui soit capable de transmettre une information
complète.
13 Nous avons appelé (Ciolac 2007 : 15) UT bimarquées les UT dans lesquelles les deux composantes (verbale et
non-verbale) sont également actives et saillantes. Nous avons appelé UT bimarquées synchroniques les UT dans lesquelles
les deux composants se déroulent en même temps et UT bimarquées asynchrones celles où il y a un décalage temporel
entre la composante verbale et la composante non-verbale.
14 Nous avons considéré (Ciolac 2007 : 15) monomarquées les UT dans lesquelles une seule des deux composantes est
présente et/ou pertinente, l’autre étant soit absente, soit non-recevable par le destinataire, soit absolument non-marquée. Il
peut y avoir donc : a) des UT monomarquées verbalement ; b) des UT monomarquées non-verbalement.
15 Les gestes peuvent être classifiés en plusieurs catégories, tenant compte de plusieurs critères. Selon le critère
communicatif, J. Cosnier (1982 : 263 et suiv.) suggère, par exemple, de distinguer des gestes communicatifs (qui ont trait
aux composants du schéma de la communication proposé par Jakobson) et des gestes extracommunicatifs (qui ne sont pas
liés aux éléments de ce schéma). Selon Cosnier (1982 : 263), chacune de ces deux catégories se subdivise en plusieurs
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sous-catégories de gestes. Les gestes extracommunicatifs, par exemple, seraient autocentrés (grattage, tapotements, etc.),
ludiques (dessiner automatiquement, plier un papier), de confort (changement de position), pouvant, parfois, assumer aussi
une valeur communicative. À notre tour, nous considérons qu’il y a, selon les circonstances, des gestes communicatifs
proprement dit et des gestes collatéraux (ou extracommunicatifs). Ce sont les premiers qui font qu’une UT soit marquée
(aussi) non-verbalement. À notre avis (Ciolac 2003 : 29-30), les gestes communicatifs peuvent être des gestes suppléants ou
substitutifs (ceux qui dans des UT monomarquées remplacent les mots) et des gestes accompagnateurs ; ceux-ci, à leur
tour, peuvent être illustratifs-désignatifs (ils suggèrent, imitent, désignent – bien qu’ils puissent parfois passer dans la
catégorie des substitutifs), paraverbaux (ils tiennent le rythme de la parole, accentuent les idées, ponctuent les mots),
phatiques-régulateurs (ou de contact) (ils envoient des signaux vers le destinataire et de celui-ci vers l’émetteur). Selon des
critères psychologiques, ces gestes de contact, tout comme les gestes substitutifs d’ailleurs, peuvent être aussi symboliques
ou suggestifs : d’ouverture, de sincérité, de menace, de défense, etc.
16
Cf. la note 15.
17
Cf. ci-dessus la note 15.
On constate dans cette unité totextuelle bimarquée synchronique qu’en dépit du fait que seul le pronom
nous est employé dans le texte verbal, le geste de la main est censé indiquer le composant vous, avec sa double
valeur dans le totexte : référentielle et conative.
18
19
Il tient le microphone en général de sa main droite.
20 Ce n’est sans doute pas par hasard que le geste autoritaire mentionné accompagne un texte verbal qui
contient deux fois le verbe de volonté vouloir à la première personne du singulier.
21
C’est ce que les spécialistes appellent « le geste du mendiant ».
Pour citer cet article
CIOLAC Marina. Vœux présidentiels télédiffusés dans deux États de l’Union européenne. Signes, Discours et
Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010.
Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1622. ISSN 1308-8378.
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De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une anal...
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Article
De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une
analyse du discours électoral européen de 2009 en France et à Chypre
Dimitris TRIMITHIOTIS, Doctorant en Sociologie, MMSH-LAMES, Université de Provence
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
Cet article étudie les rapports entre discours politique et communication, en s’appuyant sur une approche du
processus de production de ce discours (ses acteurs, leurs activités pratiques et discursives et leurs interactions).
En prenant pour exemple la campagne électorale du Parlement européen de 2009, l’enquête de terrain consiste à
associer une analyse des programmes politiques électoraux des partis européens et nationaux à une série
d’entretiens menés auprès des membres des comités de soutien de ces partis. La proposition principale est celle
du lien qui s’observe entre trois niveaux : la scène (programmes électoraux), les coulisses (comités de soutien
des partis) et le public (les électeurs). Les constats permettent d’appréhender la relation entre champ politique et
société non seulement à partir de la transmission-réception des messages politiques, mais également à partir de
la participation implicite des électeurs à la production du discours électoral, par l’intermédiaire de la
communication politique.
Abstract
This paper seeks to examine the relation between political discourse and communication, in studying the
process of production of this discourse (its stakeholders, their actions and discursive activities, and their
interactions). Focalising on the example of the campaign of the European Parliament’s elections in 2009, the
field study associates an analysis of european and national parties political programs to a series of interviews
with the parties’ committees members. The main thesis lies on the connection we can observe between three
levels: the front stage (electoral programs), the backstage (parties’ committees) and the public (electorate). The
observations show that the relation between the political field and society can be considered not only in terms of
transmission-reception of political messages, but also from the perspective of an implicit participation of the
electorate to the production of political discourse, through political communication.
Table des matières
INTRODUCTION
I. DE LA TRACE MATÉRIELLE DU POLITIQUE…
II. … AU PROCESSUS DE PRODUCTION DU POLITIQUE
A. Le discours idéologico-politique et la différenciation du mode de participation
B. Le discours public ou le public du discours
CONCLUSIONS
Texte intégral
INTRODUCTION
À l’ère de la démocratie représentative moderne, les campagnes électorales constituent de véritables rituels de
la vie sociale. Elles captent les électeurs en mettant en scène des enjeux politiques et sociaux, des problèmes
et leurs solutions pratiques. Pour ce faire, elles mobilisent de grands moyens médiatiques : la télévision, la
presse, la radio, Internet, ou encore des tracts et des affiches. Une campagne électorale met toujours en rapport
les producteurs d’un discours politique avec ceux qui le reçoivent. Ce rituel repose alors sur l’établissement
d’une relation de communication, qui construit, entre autres, un référent commun. L’article présent se donne
pour tâche d’étudier la manière dont cette communication se réalise dans ses formes concrètes, à partir des
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pratiques de personnes mises en œuvre pour la production du politique.
Au sein de cette recherche, le politique n’est pas réduit au seul domaine de l’activité politique institutionnelle.
Il est doté également d’une dimension cognitive. Il s’agit de distinguer le politique de l’activité politique sans
pour autant les dissocier. Le politique renvoie à un « partage du sensible » (Rancière 1998 : 17), c’est-à-dire, à
un système d’évidences sensibles qui donne à voir l’existence d’un commun ; un partage du sensible qui fixe
en même temps un commun partagé et des parts exclusives. Autrement dit, le politique passe par une sorte de
sélection des logiques de pensée et d’action possibles au sein d’une société qui permettent de (re)construire un
ordre social pensé comme fondé dans l’ordre de la nature (Godelier 2007).
En ce sens, le politique est une des composantes du système symbolique 1 ; un système complexe qui permet
aux individus de se représenter le monde, et par cela de donner une signification à leurs actions (Molino
1986). Le politique en tant que cognitif englobe un processus symbolique ; à savoir, l’ensemble des moyens et
des procédures par lesquels des réalités idéelles s’incarnent à la fois dans des réalités matérielles et des
pratiques, qui leur confèrent un mode d’existence visible, concret et social (Godelier 2007). Ce qui rend
possible l’étude du cognitif est le fait qu’il se présente en tant qu’objet « matériel » (un texte, une loi, un
curriculum, etc.) et qu’il peut par conséquent être analysé en tant que tel. On peut en analyser les éléments
constitutifs, l’organisation de ces éléments et les différentes procédures qui ont précédé sa production
(Ramognino 1988). Partant de cette acceptation, les produits discursifs de la politique sont considérés comme
des objets, comme des traces matérielles du politique et ils constituent, en tant que tels, le point de départ
pour son étude.
L’objectif de cet article est de comprendre le processus de production du discours électoral européen, de la
fabrication d’un manifeste idéologique à sa transformation en support médiatique. Le discours politique est
mis au centre de l’analyse pour saisir les acteurs, les possibilités et les contraintes dans sa production, ses
contenus et les enjeux qu’il implique en tant que message politique transmis aux électeurs. Les résultats
présentés dans cet article sont issus d’une recherche consacrée à l’espace politique européen et en particulier à
la campagne des élections du Parlement Européen de 2009 2 . Cette étude a porté sur le discours électoral
(programmes électoraux, affiches, tracts, publicités numériques) de trois partis d’un des pays fondateurs de
l’Union Européenne (UE), la France ; et de trois partis d’un pays ayant récemment intégré l’UE, Chypre.
Chacun de ces partis français : Union pour un mouvement populaire (UMP), Parti socialiste (PS), Parti
communiste français (PCF), étant lié avec un des partis chypriotes : Rassemblement démocratique (DISY),
Mouvement pour la démocratie sociale (EDEK), Parti progressiste des travailleurs (AKEL) par le fait de leur
appartenance au même parti européen : Parti populaire européen (PPE), Parti socialiste européen (PSE),
Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL). L’analyse des programmes politiques a été
approfondie par une observation in situ des partis pendant la période de la campagne électorale, ainsi que par
une série de trente-quatre entretiens, menés auprès des candidats et des membres des partis concernés.
J’ai choisi de présenter ici l’exemple d’un de ces trois partis politiques européens, celui du PPE et des deux
partis français et chypriote qui y sont affiliés : UMP et DISY. En effet, un des constats principaux de l’étude
sur les trois partis européens (PPE, PSE, GUE/NGL) est que malgré les spécificités dans leur composition et
leur fonctionnement, ceux-ci présentent une tendance commune quant à la manière dont se structurent les
continuités/discontinuités entre les programmes français et chypriotes et le rapport de chacun aux programmes
européens, au travers des procédures de production semblables. L’article se développe en deux parties. Dans
un premier temps je présenterai les résultats issus de l’analyse des programmes électoraux de DISY, de l’UMP
et du PPE, en me focalisant notamment sur leurs différences. Il s’agit de montrer que les partis français et
chypriote, UMP et DISY, tout en partant d’une même référence, le manifeste du PPE, ont finalement élaboré
des programmes différents dans le cadre de leur campagne au sein de leurs contextes nationaux respectifs.
Dans un deuxième temps je tenterai d’expliquer ces divergences entre les deux programmes en les ramenant
aux enjeux qu’implique le processus de production du discours électoral.
I. DE LA TRACE MATÉRIELLE DU POLITIQUE…
Par une analyse du discours associant des outils lexico-métriques et une approche thématique-structurelle,
portant sur les programmes électoraux de l’UMP, de DISY et sur le manifeste du parti européen PPE, on peut
constater que ces trois textes présentent des divergences. Certes, les points communs entre ces trois textes sont
nombreux et même majoritaires. Or, étant donné que le manifeste du PPE est le produit de la collaboration de
l’ensemble des partis nationaux membres de ce parti, dont l’UMP et le DISY, la différenciation des textes
politiques produits par ces partis partageant une base idéologico-politique commune, reste énigmatique.
La différence principale constatée en comparant le programme de l’UMP à celui de DISY, est que le premier
peut être qualifié de franco-centré et le second d’européano-influencé. Le terme franco-centré, n’implique pas
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une absence de points communs entre le programme de l’UMP et le manifeste européen. De même, à travers
la qualification du programme de DISY comme européeno-influencé, il ne s’agit pas d’affirmer l’absence de
traces d’un ancrage national. Mais, ces programmes peuvent être situés et appréhendés sur une échelle qui va
du nationalo-centrisme à l’européano-centrisme. Ainsi le programme de l’UMP tend davantage vers un pôle
de l’échelle, tandis que celui de DISY tend davantage vers l’autre.
Le caractère européano-centré de DISY se reflète en premier lieu dans la structuration de son programme
électoral, quasi identique avec celle du programme du PPE. En effet, ces deux documents sont composés
d’une introduction et de cinq chapitres dont trois figurent avec le même intitulé. Le cinquième chapitre,
présenté avec des intitulés différents dans les deux programmes, comprend un contenu similaire dans les deux
cas. Par ailleurs, une des sous-parties de ce chapitre du programme du PPE se transforme en chapitre au sein
du programme de DISY. Ainsi, un seul chapitre du manifeste du PPE (« Faire de l’Europe un lieu plus sûr »)
est absent du programme de DISY. Quant aux introductions des deux programmes, d’un point de vue
thématique, elles présentent la même structure. Dans un premier temps il s’agit de souligner l’importance des
élections du Parlement européen de 2009 ; dans un deuxième temps de mettre en évidence les « valeurs » sur
lesquelles les deux partis ont été appuyés pour élaborer leurs projets et propositions respectifs présents au sein
de leurs programmes. A savoir, « les racines judéo-chrétiennes », « l’histoire de l’Europe classique et
humaniste », « les acquis de la période des Lumières » et « le rôle actif joué par les Eglises en Europe pour la
promotion de la tolérance et du respect mutuel ».
L’entrée dans le texte par l’analyse du discours permet d’approfondir ces constats. Au sein du programme de
DISY il y a deux types d’énonciateurs 3 : le premier est caractérisé par l’absence de pronom personnel ; ceci
renvoie à « une voix raisonnable édictant des vérités qui ne sauraient être mises en doute » (Vion 1988 : 63).
Le deuxième type d’énonciateur est manifeste par l’usage du pronom personnel « nous » qui renvoie aux
partis DISY et PPE. En effet, dans l’introduction du programme, cette voix abstraite établit un lien entre DISY
et PPE ; et c’est une fois ce lien établi que l’on constate l’apparition du « nous » en tant qu’énonciateur. Le
« nous » représente donc, non pas le DISY seul mais le DISY et le PPE réunis. Soulignons également que le
terme « DISY » en tant que sujet grammatical n’apparait jamais seul mais accompagné par celui du « PPE »
(« DISY et PPE »). Cette opération discursive permet de transférer d’une certaine manière les qualités
attribuées au PPE (« parti fondateur de l’UE », « cohérent », « responsable ») au parti chypriote et par
conséquent à son discours électoral.
À l’inverse, dans le programme de l’UMP n’apparait aucune tentative d’assimilation des projets du parti local
et de ses positions avec ceux du PPE. On constate plutôt une tentative de démarcation du parti français par
rapport à l’état actuel de l’UE. Plus précisément, le programme de l’UMP présente une structure qui se
distingue fortement de celle du manifeste du PPE. Ce premier comprend deux chapitres qui servent de
description de l’« état actuel du monde » ; puis un troisième chapitre divisé en deux parties englobant trente
propositions. Au sein de ces trois chapitres on constate une thématique structurante, un axe transversal : celui
de « la crise financière », ce qui est absent à la fois du manifeste du PPE et du programme de DISY. Dans ces
programmes, l’enjeu de la crise financière apparait seulement dans le chapitre « créer la prospérité pour
tous », focalisé sur la dimension économique de l’UE. Cette différenciation structurale devient aussi
thématique, puisque même si la plupart des enjeux qui apparaissent au sein des trois programmes sont
similaires, la perspective de leur traitement est nettement différente. Ce qui s’exprime dans les programmes du
PPE et du DISY comme des projets à construire, est présenté dans le programme de l’UMP comme la
définition d’un problème à résoudre : sortir de la crise.
En ce qui concerne les énonciateurs au sein du programme de l’UMP, on retrouve les mêmes types
d’énonciateurs qui se manifestent au sein des textes du PPE et de DISY ; c'est-à-dire, une voix abstraite,
raisonnable et le pronom personnel « nous ». Or, au sein du programme de l’UMP il s’agit moins de faire le
rapprochement entre l’UMP et le PPE, que le rapprochement entre l’UMP et le président français N. Sarkozy
et son gouvernement. Le programme est intitulé « Le projet de la majorité présidentielle ». Dans les phrases
formulées au passé, par exemple, on remarque que les sujets grammaticaux dominants sont « N. Sarkozy » et
« la présidence française ». Il s’agit par cela de mettre en avant les aspects « positifs » de la présidence
française de l’UE menée par N. Sarkozy. De cette manière, les positions et les projets exposés au sein du
programme de l’UMP prennent plus de « volonté », de « dynamisme », « de détermination ». Autrement dit,
les qualités attribuées à N. Sarkozy par la voix abstraite deviennent, également, des qualités de l’UMP.
La différenciation des programmes électoraux de DISY et de l’UMP est également visible au niveau des
opérations de « dénomination » ; c'est-à-dire des manières de désigner, de lexicaliser les partis, leurs
programmes et leurs propositions (Luciole 1988 : 69). On constate alors que le PPE et son programme sont
caractérisés comme des porteurs de « cohérence », de « sécurité », de « stabilité », de « progrès », de
«modifications ». Au sein des programmes des partis UMP et DISY ces dénominations y sont également.
Néanmoins, dans le programme de l’UMP, en termes d’occurrences lexicales, l’accent est plutôt mis sur la
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dimension du « changement », et de la « transformation », tandis que dans le programme de DISY, il est mis
sur « l’assurance », « l’ordre » et la « stabilité ».
Plus précisément, au sein du programme de l’UMP, l’état actuel de l’UE est plutôt qualifié de
« problématique », d’où l’insistance sur la perspective de « la transformation ». Et ceci passe par la mise en
avant des changements apportés par la présidence française de l’UE et de la conviction qu’il faut continuer
dans cette perspective de transformation et de réformes. A l’inverse, dans le programme de DISY l’accent est
plutôt mis sur la « cohérence », « la continuité » et surtout sur la « protection » que l’UE et son
fonctionnement actuel peuvent garantir pour Chypre. Les affiches de la campagne électorale pour chacun de
ces partis en témoignent : l’affiche de l’UMP fait figurer le Président français N. Sarkozy à côté du slogan
« Quand l’Europe veut, l’Europe peut », se situant comme l’énonciateur de ces propos qui soulignent la
perspective du changement ; l’affiche de DISY, quant à elle, valorise l’inscription du parti chypriote dans le
parti européen : ce dernier étant représenté par « l’autorité et le savoir au sein de l’Europe », comme des
attributs acquis au sein d’un processus historique long.
II. … AU PROCESSUS DE PRODUCTION DU POLITIQUE
Dès lors, comment expliquer ces différenciations constatées entre programmes électoraux des partis nationaux
membres d’un même groupement politique européen ? Qu’est-ce qui fait que les deux partis, tout en partant
de la même référence textuelle, à savoir le manifeste du PPE, produisent finalement chacun un discours
électoral propre ? L’hypothèse posée ici est que c’est par l’étude du processus de production de ces
programmes que l’on peut comprendre cette différenciation thématique et discursive. Autrement dit, il s’agit
d’examiner l’ensemble des procédures concrètes, de la production du manifeste européen à sa transformation
en programme électoral local, puis en support médiatique de campagne.
L’enquête montre que le processus d’élaboration du discours électoral se distingue en deux phases : une phase
partisane et une phase publique, chacune étant caractérisée par un mode d’organisation et par des participants
spécifiques. La phase partisane se réalise au niveau européen et elle implique des représentants de l’ensemble
des partis nationaux membres d’un même groupe européen. Cette phase renvoie à l’élaboration d’un
programme idéologico-politique commun qui va constituer la base des données discursives en vue de la
production du discours public. La phase publique, quant à elle, consiste en l’élaboration de supports
médiatiques destinés aux électeurs nationaux. Contrairement à la phase partisane, cette deuxième relève du
niveau national, au sein de laquelle les professionnels de la communication et du marketing occupent une
place centrale.
A. Le discours idéologico-politique et la différenciation du mode de participation
La phase partisane se réalise en deux temps. Dans un premier temps, elle consiste en l’élaboration d’une
première version du manifeste. Il s’agit d’un texte en grandes lignes, issu de plusieurs réunions des délégués
de l’ensemble des partis nationaux membres du PPE. Il englobe les axes généraux qui ont été acceptés par
l’ensemble des délégations nationales et qui sont susceptibles de structurer le manifeste final. Dans le
deuxième temps, ce texte a été défini comme la base commune en vue d’un débat plus approfondi sur les
contenus. La première version du manifeste a été distribuée à toutes les délégations nationales afin que chaque
parti national puisse l’étudier, l’évaluer, proposer des modifications, apporter des précisions etc.
Parallèlement, des réunions mensuelles ou bimensuelles entre les délégués de chaque parti ont eu lieu et des
forums virtuels ont été mis en place afin de permettre l’échange à distance entre les différents partis membres.
L’analyse des entretiens, menés auprès des délégués de l’UMP et de DISY ayant participé à ces procédures,
laisse apparaitre une différenciation entre représentants chypriotes et représentants français quant à leur mode
de participation : un mode davantage passif et validateur pour les uns, un mode plutôt actif et propositionnel
pour les autres. Répondant à nos questions sur la procédure d’élaboration du manifeste européen, les enquêtés
chypriotes ne font aucune référence à la première période du processus de la production du manifeste, à savoir
celle de la production du texte-base, mais décrivent par contre la deuxième période, celle de la diffusion et de
l’échange plus élargis entre délégués nationaux. La première phase du travail, après nos relances, est évoquée
en termes de « formalité » et de « suite logique » :
On s’est réuni en fait les représentants de tous les partis et nous avons élaboré un premier texte, mais c’était une
formalité. Vous savez, on fait partie quand même de la même famille idéologique…Et d’ailleurs le parti
Européen avait déjà, depuis sa création, son projet politique de base et ses positions idéologiques. Et donc, si
vous voulez, par une suite logique des choses, la discussion pour l’élaboration de ce…euh… ce premier texte
s’est appuyée là-dessus. (Membre DISY, délégué au près du PPE)
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Vous savez on ne fait pas partie d’un même groupement européen comme ça… par hasard. Le PPE a des
principes idéologiques et des projets politiques qui rassemblent l’ensemble des partis nationaux membres. Que ça
soit la Nouvelle démocratie (ND) de la Grèce ou le Parti populaire (PP) de l’Espagne, les principes fondamentaux
de tous les partis membres sont communs. Et c’est justement sur ces principes communs que nous nous sommes
appuyés pour élaborer les grands axes du manifeste. (Membre du Bureau des affaires Européennes de DISY
délégué au près du PPE)
Dans les récits des ces membres de DISY délégués au près du PPE, la première période de la production du
manifeste n’a pas bénéficié d’une grande attention. Elle prenait pour eux l’allure d’un accord allant de soi, une
phase du travail dépourvue d’enjeux conflictuels ; ce qui, comme nous verrons par la suite n’était pas le cas
pour les délégués français. Ceci renvoie à une certaine passivité quant au mode de participation des membres
du parti chypriote au sein de ces procédures.
En ce qui concerne la deuxième période, c'est-à-dire l’échange au sein des forums virtuels, les délégués
chypriotes se sont limités à un rôle de validation. Leur activité a consisté en l’étude des propositions faites par
les autres participants afin de s’y positionner favorablement ou défavorablement. Les paroles du responsable
du bureau des affaires européennes de DISY en témoignent :
En fait, nous, nous avons fixé comme objectif principal d’intégrer l’enjeu du problème chypriote au sein du
manifeste européen. Et nous sommes heureux parce que nous avons réussi à le faire et c’est très important. Et
puis comme je vous ai dit, par le biais d’internet, il y a eu un va-et-vient entre les différents partis membres, un
échange d’opinions. Nous avons manifesté notre accord avec certaines propositions, on a fait des remarques à
certaines autres. (Responsable du Bureau des Affaires Européennes de DISY)
À l’exception de la question du « problème chypriote », la délégation de DISY n’a pas fait d’autres
propositions durant ces procédures. Ce qui nous a permis de qualifier sa participation, au sein de cette phase
partisane, de validatrice.
A l’inverse, l’analyse des entretiens menés auprès des membres de l’UMP, permet de soutenir que leur mode
de participation au sein des procédures de la production du manifeste du PPE est toute autre. Dans leurs récits,
contrairement aux délégués chypriotes, les membres de l’UMP délégués au près du PPE décrivent la
procédure d’élaboration du manifeste en se référant d’abord à cette première période.
L’élaboration du manifeste c’était une procédure très longue. Ça a duré plus d’un an. C’était la rencontre
régulière de plusieurs partis nationaux, avec des négociations, des tensions aussi. Parce que… oui, on partage une
idéologie… mais on n’a pas forcement les mêmes orientations politiques par rapport à certains enjeux… donc ça
a été très long. Et donc à travers ces négociations on est arrivé à ce qu’on peut appeler le squelette du manifeste,
c'est-à-dire des thématiques générales. Puis le débat a été élargi… euh… et par le biais d’Internet le débat a
continué aussi à distance. A distance ça ne veut pas dire que c’était plus facile ou plus léger. Parce que, par
exemple une fois qu’on a réussi à convaincre nos partenaires d’intégrer dans le programme le projet pour l’Union
méditerranéenne ou la question de l’adhésion de la Turquie… après il a fallu aussi discuter sur comment on va se
positionner vis-à-vis de ces enjeux, vous comprenez ? On n’est pas forcément tous les partis d’accord sur tous les
points. (Membre UMP, délégué au près du PPE) […].
Donc, vous comprenez que ça a été long. D’abord il s’agissait de fixer les grandes thématiques du programme,
les axes directifs. Et pour se mettre d’accord une quarantaine des partis... des partis provenant des pays différents,
avec des traditions et des priorités souvent différentes, nationales, ce n’était pas du tout facile. (Membre UMP,
délégué au près du PPE)
Non seulement les enquêtés français se référent à cette première période, mais de plus ils la perçoivent en
termes de « négociation », de « tension ». Leur discours témoigne de l’importance que cette procédure a eue
pour eux, en laissant en même temps apparaître leur mode de participation actif dans les procédures de
l’élaboration de ce premier texte : des propositions, des prises de position, des objectifs à atteindre.
B. Le discours public ou le public du discours
Concernant la phase publique, le constat principal réside dans l’avènement du phénomène de la marketisation
de la communication politique, au sens de l’implication dans l’activité électorale des agents professionnels du
marketing et de la communication. Et ce constat caractérise aussi bien l’activité électorale française que
l’activité chypriote 4 . Plus précisément, il existe au sein des partis un Département de communication,
composé de trois bureaux différents: le « Bureau de presse », le « Bureau de la stratégie de communication
politique » et le « Bureau de la recherche statistique ». Chacun de ces bureaux est composé par une équipe de
quatre ou cinq personnes.
L’équipe du Bureau de presse, qui est dirigée le plus souvent par le porte-parole du parti, a pour fonction
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principale le suivi et l’observation intensive des médias, notamment de la télévision, de la radio et des
principaux journaux du pays. Il s’agit d’observer et d’analyser l’actualité en général, mais aussi d’évaluer la
prestation des candidats ou d’autres représentants du parti et celle de ses adversaires, pendant les débats
télévisuels, les émissions radiophoniques, les interviews. Puis, à partir de ses analyses, le Bureau de presse
oriente le contenu des prochaines interventions des candidats et de son porte-parole : des réponses à
différentes affirmations des candidats d’autres partis, des enjeux à mettre en avant ou à passer sous silence,
etc.
Le « Bureau de la stratégie de la communication politique » est essentiellement composé par des conseillers
en communication, des conseillers politiques et des agents marketing qui cherchent à tracer les axes à cibler
pendant la campagne électorale. Ce bureau chargé alors de la stratégie politique, est directement lié au
troisième bureau du Département de la communication, celui de la recherche. Le « bureau de recherche
statistique » réunit notamment des statisticiens et des politologues qui mènent des enquêtes à la fois
quantitatives et qualitatives dans l’objectif de saisir l’opinion des électeurs ou des groupes d’électeurs sur
certains enjeux ou une série de thématiques particulières. Les résultats de ces enquêtes deviennent les données
sur lesquelles s’appuie le travail du bureau de la stratégie politique au cours de la production du programme et
plus largement du discours électoral : des thématiques à accentuer ou à éviter 5 .
Cette observation in situ des partis permet de mettre en avant l’idée que la communication politique est une
activité annexe du métier politique. Par conséquent, cette professionnalisation croissante de l’activité politique
invite à prendre en compte dans l’étude du politique tous ces professionnels qui, à un titre ou un autre
(sondeurs, conseillers en communication, etc.) investissent l’activité politique en y important intérêts, logiques
professionnelles, savoir-faire et croyances (Riutort 2007).
Si les programmes électoraux peuvent être appréhendés comme la scène du politique où se donnent à voir les
normes et les valeurs présentes dans une société à une période donnée, les départements de communication
des partis, alors, peuvent être considérés comme des coulisses du politique. Or, une scène suppose non
seulement l’existence de coulisses mais aussi d’un public. La présence du public, c'est-à-dire des électeurs,
joue un rôle essentiel dans l’élaboration de ces représentations (Eliasoph 2003). En effet, les électeurs
participent, eux aussi, dans ce processus de production du discours politique. Ils y participent cependant d’une
manière implicite : c’est le champ politique et plus précisément ces metteurs en scène, les professionnels de la
communication politique, qui les font participer tout en prenant en compte leurs attentes dans le processus de
production du programme électoral.
Un parti politique ne représente pas seulement ses cadres, il représente surtout les citoyens. C’est notre devoir de
les écouter… de les consulter… écouter leurs besoins, leurs problèmes et essayer d’apporter des solutions. C’est
ça le but d’un projet politique. Je ne sais pas… il y a des gens peut-être qui trouvent nos méthodes malhonnêtes…
mais moi, je pense qu’elles sont indispensables pour le fonctionnement du système… pour la démocratie.
(Membre UMP, Département de communication)
Derrière ce discours du membre du département de communication de l’UMP qui cherche à légitimer la
présence des professionnels de la communication au sein du champ politique, il y a une autre logique d’action
qui caractérise leur travail. Cette logique est transportée de leur milieu professionnel initial : le marketing.
L’analyse de l’activité au sein des partis permet de constater une marchandisation de l’activité électorale,
laquelle consiste à optimiser le résultat du parti aux élections. Le Département de communication des partis
peut être appréhendé comme un département marketing au sein d’une entreprise commerciale, qui cherche à
optimiser ses ventes. Les études portant sur l’opinion, les sentiments, les demandes du corps électoral
renvoient à ce que l’on nomme « étude du marché » au sein du milieu commercial.
Le constat de la participation implicite des électeurs au sein du processus global de production du discours
électoral permet d’expliquer les différences thématiques et discursives, présentées dans la première section de
l’article, entre les programmes électoraux élaborés par les partis nationaux.
Si l’on se réfère aux particularités du programme de DISY, à savoir la présence du chapitre portant sur le
problème chypriote, ainsi qu’aux opérations de dénomination insistant sur les termes d’ « assurance » et de
« stabilité », celles-ci peuvent être expliquées en les ramenant aux prénotions des électeurs. En effet, le
« problème chypriote » constitue l’enjeu majeur du débat politique national depuis la constitution de la
République de Chypre. Par ailleurs, des recherches montrent que la préoccupation des partis et leur position à
l’égard du problème politique chypriote et de sa résolution constitue un facteur déterminant pour le vote des
électeurs chypriotes (Mavratsas, 2003). Ceci se révèle aussi dans l’entretien avec le responsable du bureau de
la stratégie de la communication politique de DISY :
Nous par exemple on a mis l’accent sur le problème chypriote et sur ce que nous pouvons en apporter par notre
participation au sein du PPE, le plus grand parti européen. Ça reste quand même dans une perspective
européenne. Le problème chypriote c’est quand même l’enjeu le plus important pour le citoyen chypriote…ça
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concerne l’avenir de notre patrie. (Membre DISY, Département de communication, Responsable du Bureau de la
stratégie de la communication politique)
Quant à l’incarnation de l’« assurance » par DISY proposée par son programme, il importe de se référer à
l’eurobaromètre n°72 de 2009, pour constater que la majorité des chypriotes estiment que l’intégration de
chypre dans l’UE a eu un impact positif sur leur vie, d’abord au niveau économique et ensuite au niveau de la
défense militaire. Autrement dit, pour les chypriotes, l’UE représente une protection à la fois économique et
militaire :
Nous savions que le citoyen est inquiet de son avenir économique…euh, de la stabilité financière, et qu’il cherche
de la protection auprès de l’UE etc. Nous le savions parce que nous, nous sommes près des citoyens. Et puis, les
sondages confirment tout cela. (Membre DISY, Comité de soutien du candidat aux élections du Parlement
européen I. Kasoulides)
De la même manière, on peut expliquer les particularités du programme de l’UMP. Ainsi, la forte présence de
N. Sarkozy dans le programme électoral de la campagne européenne est en lien avec sa popularité élevée
auprès des Français pendant la période qui a précédé les élections du Parlement européen 6 . De même, pour le
message dominant du programme, celui du « changement » nous pouvons nous référer au discours d’un des
membres du Conseil d’orientation de la politique étrangère (COPE) du parti :
Tout cela nous a permis par exemple de voir que les Français veulent une autre Europe, ils ne sont pas satisfaits.
Ils veulent une Europe plus active, plus dynamique. Et nous dans notre programme on fait trente propositions. Ce
sont trente propositions pour changer, pour améliorer l’Europe. (Membre UMP, Conseil d’orientation de la
politique étrangère)
Le rôle des professionnels de la communication politique ne renvoie pas seulement à un renforcement des
positions communes avec les électeurs mais aussi à un travail de figuration (Goffman, 1973). La figuration
suppose que l’on évite tout risque de compromettre le bon déroulement de l’interaction, en évitant,
notamment, d’accentuer les différences des interactants. Il ne suffit pas seulement d’accentuer certaines
thématiques pour se rapprocher des attentes des électeurs mais aussi d’en masquer certaines autres.
En ce sens, l’absence de référents religieux au sein du programme de l’UMP, contrairement au manifeste
européen et au programme de DISY, pourrait être analysée en termes de figuration. Autrement dit, la présence
des référents religieux au sein du programme de l’UMP aurait présenté un risque d’exposer le parti à des
réactions négatives de la part de ses potentiels électeurs 7 . Ceci est en lien avec la particularité de la
conception française de la laïcité ; elle est appréhendée en termes d’exclusion de la dimension religieuse du
domaine de l’Etat et non pas en termes de neutralité de l’Etat vis-à-vis des différentes religions, ce qui est le
cas de la plus part des pays européennes (Tietze, 2003).
CONCLUSIONS
Dans cet article, j’ai tenté d’examiner comment les électeurs et leurs prénotions pèsent sur la communication
politique et plus précisément sur le processus de production du discours électoral. En partant des traces
matérielles du politique, le Manifeste du PPE et les programmes des partis nationaux UMP et DISY, j’ai pu
montrer que les trois programmes présentent des différences thématiques et discursives. Enfin, j’ai essayé
d’interroger la genèse de ces différences à partir de l’analyse des procédures concrètes de la production du
Manifeste, puis des programmes nationaux.
Deux phases ont été dégagées pour la production des programmes électoraux : une phase partisane pour la
production du manifeste et une phase publique pour la production des programmes nationaux. L’étude de la
phase partisane a révélé une différenciation entre délégués français et délégués chypriotes quant à leur mode
de participation au sein de ces procédures : un mode davantage actif et propositionnel pour les premiers,
plutôt passif et validateur pour les derniers. La phase publique a permis, quant à elle, de souligner le constat
de la marketisation de la communication électorale et de la participation implicite des électeurs dans le
processus de production du discours politique.
Les constats issus de l’observation de la phase publique ont permis d’expliquer les différenciations des trois
programmes concernés. Dans la relation scène (programmes électoraux) – coulisses (département de
communication) – public (électeurs), la variable coulisses paraît rester stable au sein des deux contextes,
français et chypriote ; on constate le même type d’acteurs et avec des activités similaires dans les deux
contextes nationaux. La transformation de la variable scène ne peut s’expliquer que par le fait de la
transformation de la variable public. On peut alors souligner la thèse suivant laquelle le discours idéologicopolitique produit au niveau européen est soumis à un processus de recontextualisation 8 (Bernstein, 2007),
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qui consiste à le faire adapter aux prénotions des électeurs et plus généralement aux sens dominants du
contexte local. Cette recontextualisation implique l’existence d’un cadrage national qui pèse sur le processus
de production du discours électoral par des opérations de sélection et d’organisation des éléments, spécifiques
pour chaque pays.
Dans cette perspective, le discours électoral français ou chypriote contribue à (re)légitimer certaines des
normes et valeurs du contexte sociétal au sein duquel il a été produit. Car, si d’une part le discours politique
est produit en fonction des électeurs, d’autre part les électeurs se construisent, en partie, en prenant appui sur
des arguments disponibles, circulant dans l’espace public (Boullier 2004). Certes, cette affirmation implique
un retour sur la question de la « fabrication » de l’opinion publique et à la question des effets que le discours
politique peut avoir sur ses récepteurs, retour que les observations issues de cette étude ne permettent pas.
Néanmoins, même si nous écartons l’hypothèse selon laquelle les messages électoraux dictent à leurs
récepteurs ce qu’il faut penser, il n’en reste pas moins que le discours électoral met en scène des enjeux et des
thématiques, favorisant ainsi la construction de certaines visions tout en écartant d’autres champs de réflexion
(Noelle-Neumann 1984).
Cependant, il ne s’agit pas d’un processus complètement enfermé dans le niveau local. L’analyse des
programmes électoraux montre qu’il existe un discours européen, construit de manière transnationale par les
négociations et le consensus des délégués des partis nationaux, et que ce discours est transmis par la suite au
sein de chaque pays. Les transformations venant d’en haut et qui sont en accord avec l’évolution globale du
système et non pas en contre sens peuvent franchir les clôtures des contextes nationaux et opérer une
transformation des normes et des valeurs d’une société.
Les tentatives de construction d’une Europe politique, de par la place des groupements politiques
transnationaux au sein du Parlement européen, révèlent plus largement un processus d’européanisation du
politique. Or, la comparaison menée dans cet article entre les partis français et les partis chypriotes s’est
montrée fructueuse et a permis de mettre en lumière que ce processus d’européanisation ne se réalise pas de la
même manière au sein de pays ayant des caractéristiques géo-politiques et socio-historiques différentes. Si
l’on revient à la spécificité européano-centrée du programme de DISY, celui-ci va de pair avec le constat
d’une participation passive (et moins active) et validatrice (et moins propositionnelle) de ses représentants au
sein des procédures de la production du Manifeste européen.
Par ailleurs, les constats de ce travail de recherche contribuent aussi à une réflexion scientifique plus large
autour de la théorie de la communication politique. Celle-ci est souvent abordée à travers le schème classique
de la communication, inscrivant les rapports entre émetteurs et récepteurs dans un schéma linéaire et
unilatéral, allant de la transmission des messages par les premiers à la réception de ces messages par les
seconds. Or, l’étude menée sur le processus de production du discours politique permet d’enrichir cette théorie
en considérant ces rapports entre émetteurs, récepteurs et messages à partir d’un schéma triangulaire.
L’exemple de la campagne électorale européenne de 2009 montre que les rapports entre émetteurs et
récepteurs ne passent pas seulement par la diffusion de messages politiques aux électeurs, mais impliquent
également une autre relation qui s’établit entre les deux en amont et au cours du processus de production du
discours politique.
Liste des références bibliographiques
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NOELLE-NEUMANN, Elisabeth. (1984): The Spiral of Silence: A Theory of Public Opinion – Our Social Skin,
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affiches de la politique, Paris, Didier Erudition, PUP, p. 45-76.
Notes de bas de page
1 Il y aurait, en ce sens, plusieurs composantes du symbolique (famille, éducation, médias, religions) informant chacune
des domaines distincts de la vie sociale tout en proposant des croyances et des manières d’agir différentes selon les
domaines. Il y aurait aussi une pluralité de propositions au sein de ces formes sociales : chaque forme met en avant
plusieurs manières de percevoir le monde.
2 Ce travail est issu d’une Recherche Doctorale en Sociologie en cours de réalisation à l’Université de Provence
intitulée : « Les formes d’émergence et de réalisation d’une Europe politique ».
3 Je m’appuie ici sur la théorie linguistique de l’énonciation élaborée par Ducrot (1984) et en particulier sur son concept
de la polyphonie du discours. Il s’agit en effet de voir comment les concepteurs d’un discours électoral ont été amenés à
construire plusieurs énonciateurs, dans les produits électoraux, afin de supporter les différents messages.
4 J’ai construit à partir des données empiriques un organigramme idéal-typique, qui représente l’organisation du
département de communication au sein parti. Il faut noter que selon le parti, le nom des différentes instances, ou des
bureaux qui structurent le département de communication change, mais pas les fonctions qui leurs sont assignées. Certes
l’organisation de chaque parti diffère, notamment en raison de leur volume, de leur histoire politique etc. L’objectif ici étant
d’accentuer les points communs de l’organisation des différentes partis afin d’arriver à un modèle représentatif de
l’organisation partisane française et chypriote permettant de la problématiser et l’analyser en le ramenant au discours
électoral que ces partis ont diffusé pendant la campagne des européennes de 2009.
5 Notons ici que ces trois bureaux du département de communication, sont liés à une compagnie privée de publicité.
Cette compagnie fonctionne comme une extension externe du parti, mais qui ne dépend pas de lui au niveau administratif.
Cette, coopération du département de communication avec une entreprise publicitaire concerne la production des spots
télévisuels, des publicités radiophoniques, des affiches, des tracts ; et plus précisément la fabrication des slogans, des logos,
des images etc. Le plus souvent il s’agit des « suggestions théoriques » de la part du comité de communication,
transformées en propositions concrètes, matérialisées, par la compagnie. Le choix final appartient aux partis.
6 La popularité de N. Sarkozy selon IPSOS était élevée pendant les premiers mois de 2009. Cependant, à partir du mois
de Mai 2009 (c'est-à-dire un mois avant les élections) on constate une baisse de la popularité du président français. Or, sa
popularité restait encore très élevé (plus de 80%) au près des sympathisant de l’UMP. On peut alors estimer que la forte
présence de N. Sarkozy au sein de la campagne renvoie à une stratégie qui cherche à conserver les électeurs traditionnels de
l’UMP, en garantissant ainsi un résultat électoral satisfaisant pour l’UMP, que d’élargir le champ des potentiels électeurs.
7 Sans vouloir prétendre à une connaissance exhaustive de valeurs fondamentales de l’UMP ou de son électorat, nous
pouvons juste souligner que l’UMP se distingue de la majorité des autres partis membres du PPE par le fait d’un « faible »
affichage des référents religieux comme étant parmi les principes fondateurs de ses projets politiques. Rien que par le nom
de certains partis européens membres du PPE (lui-même d’ailleurs fondé sous le Nom de « Parti populaire européen,
fédération des partis démocrates-chrétiens de la Communauté européenne ») nous pouvons constater leur attachement à des
valeurs religieuses : « Union chrétienne-démocrate » (Allemagne), « Chrétiens-démocrates » (Danemark), « Union des
démocrates chrétiens et du centre » (Italie), « Appel chrétien-démocrate » (Pays Bas), « Chrétiens-démocrates » (Suède),
etc. Certes au sein de l’UMP il existe des courants qui affichent clairement leur attachement à des valeurs chrétiennes ;
néanmoins, ceux-ci restent minoritaires et d’une certaine manière écartés par différentes personnalités issus du RPR ou des
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Libéraux.
8 Le concept de « recontextualisation » élaboré par B. Bernstein (2007) renvoie à un processus de sélection et
d’organisation des savoirs au sein des curricula et s’identifie à un principe qui s’approprie, relocalise, refocalise et relie des
discours, de manière sélective, pour constituer son propre discours pédagogique. Dans cet article nous empruntons
librement le concept de « recontextualisation » au champ de la sociologie de l’éducation afin de conceptualiser ce
processus de transformation du discours électoral européen.
Pour citer cet article
TRIMITHIOTIS Dimitris. De la trace matérielle du politique aux enjeux de sa production. Une analyse du
discours électoral européen de 2009 en France et à Chypre. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5.
Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet :
http://www.revue-signes.info/document.php?id=1754. ISSN 1308-8378.
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Article
Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et
désenchantement de la communication politique dans l’univers médiatique
camerounais
Joseph KEUTCHEU, Enseignant assistant à l’Université de Dschang, Chercheur au Groupe de
recherches administratives, politiques et sociales (GRAPS) de l’Université de Yaoundé II
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
L’objet de cet article est de mettre en lumière les tendances à la dépacification du jeu politique au Cameroun à
travers la presse. Ce faisant, nous nous intéressons précisément à l’investissement de plus en plus visible de la
communication politique par des acteurs du champ journalistique. Nous montrons que les pratiques
braconnières récurrentes dans la presse, notamment la transgression des normes langagières mettent à mal le
discours politique et relativisent le procès de pacification des règles du jeu politique et de civilisation des mœurs
politiques au Cameroun. A tropisme pluridisciplinaire, le présent papier mobilise concomitamment les modèles
d’analyses de la science politique et des sciences du langage. Dans le domaine de la science politique, nous
convoquons l’analyse stratégique pour rendre compte du contexte conflictuel d’émergence d’une forme
brouillée de communication politique. Nous procéderons également à une analyse sémiologique d’une centaine
de « unes » de la presse camerounaise pour exhumer les paroles violentes et outrancières qui violent la police du
bien dire et tournent en dérision les règles de la civilité démocratique et s’imposent clairement comme une
figure du désordre et de la dissidence en politique.
Abstract
The object of our paper, dedicated to the political communication, is exactly to bring to light the tendencies to
the de-pacification of the political game in Cameroon through the press. Making it, we are exactly interested in
the more and more visible investment of the political communication by actors of the journalistic field. We
show that the linguistic practices recurring in the press, in particular the malpractice of the linguistic standards
worsen the political speech and put in perspective the trial of pacification of the rules of political the game and
civilization of the political customs in Cameroon. In multidisciplinary tropism, the present paper mobilizes
concomitantly the models of analyses of the political science and the sciences of the language. In the field of the
political science, we summon the strategic analysis to report the conflicting context of emergence of a shape
blurred by political communication. We shall also proceed to a semiological analysis of hundred of headlines of
the Cameroonian newspapers to dig up the violent and exaggerated words which violent the police of the good
language and turn in mockery the rules of the democratic civility and clearly stand out as a figures of the
disorder and the dissidence in politics.
Table des matières
INTRODUCTION
I. ENJEUX POLITIQUES CONJONCTURELS, ICONOCLASME MÉDIATIQUE ET TRANSMUTATION DE LA
VIOLENCE PHYSIQUE EN VIOLENCE SYMBOLIQUE
A. La communication comme site d’observation de la parlementarisation du jeu politique au
Cameroun
B. L’hypothèse de la dé-civilisation du « dire » et du « faire croire » et de la résurgence de la dichotomie
ami/ennemi dans la vie politique camerounaise
II. LA RELATIVISATION DE LA COMMUNICATION POLITIQUE TRADITIONNELLE ET LA PLURALISATION
DES LIEUX D’ÉNONCIATION DU POLITIQUE AU CAMEROUN
A. Libéralisation de l’expression et partage de la fonction d’agenda entre le politique et le médiatique
B. Presse camerounaise et milieu politique : comme « larrons en foire » ?
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Texte intégral
INTRODUCTION
Une partie non négligeable des travaux en science politique est consacrée au processus de pacification du jeu
politique dans les Etats où l’échange entre acteurs en quête du pouvoir est reconnu comme inscrit dans la
démocratie. Dans cette perspective, l’œuvre de Norbert Elias est souvent convoquée, notamment tous les
développements qu’il a consacrés à la « civilisation des mœurs » politiques, la routinisation de répertoires
non-violents de la protestation sociale, l’acculturation républicaine valorisant la forclusion de la violence par
l’acte électoral, et d’une façon générale la délégitimation du recours à la violence physique dans la
compétition politique. Au Cameroun, au-delà de l’épreuve des idéologies et, in fine, de la course au pouvoir,
les acteurs politiques semblent aussi s’être passés le mot dans le sens de la mise en quarantaine de la violence
et de la pratique du fair play. De la dialectique ami/ennemi prégnante au Cameroun au début de la décennie
1990, on semble résolument être entré, en dépit de quelques aspérités, dans une phase de « sportisation »,
c’est-à-dire de respect relatif de l’adversaire politique (Elias, 1991). Pour autant, et comme l’ont remarqué
certains participants au Xe Congrès de l’Association française de science politique en 2009 dont l’une des
thématiques portait sur la dépacification du jeu politique, la pacification n’est jamais achevée. En pratique, le
jeu politique est en permanence travaillé par des processus opposés de dépacification, qui contestent, résistent
ou détournent les principes de la pacification, et obligent les acteurs et groupes politiques à s’articuler et à se
définir contre eux, et à se recomposer périodiquement à cause d’eux (Angenot, 1982).
L’objet de notre papier, consacré à la communication politique, est précisément de mettre en lumière, dans une
perspective constructiviste, ces tendances à la dépacification du jeu politique au Cameroun à travers la presse.
Ce faisant, nous nous intéressons précisément à l’investissement de plus en plus visible de la communication
politique par des acteurs du champ journalistique. Dans un tel contexte, des articles de presse deviennent de la
communication politique par d’autres manières. Nous voulons montrer que les tendances qui transparaissent
dans les pratiques braconnières récurrentes dans la presse, notamment la transgression des normes langagières
et le recours régulier aux registres déconsidérés de l’espace social comme la rumeur, l’insulte et la calomnie,
mettent à mal le discours politique et relativisent le procès de pacification des règles du jeu politique et de
civilisation des mœurs politiques au Cameroun. Notre question de départ est la suivante : dans quelle mesure
la résurgence du journalisme « entrepreneur de scandale » participe t-il à la relativisation du processus de
parlementarisation de la vie politique, entendue comme pacification des rapports politiques au Cameroun ?
I. ENJEUX POLITIQUES CONJONCTURELS, ICONOCLASME MÉDIATIQUE ET
TRANSMUTATION DE LA VIOLENCE PHYSIQUE EN VIOLENCE SYMBOLIQUE
De manière évidente, la communication est au cœur des processus contradictoires qui agitent la politique
contemporaine au Cameroun. Jamais dans ce pays politique et communication n’ont été aussi associées
qu’aujourd’hui ; en même temps que le métier politique s’y définit de plus en plus par la capacité à maîtriser
les techniques de communication (1), on note comme une perversion des quelques avancées démocratiques
par la communication (2).
A. La communication comme site d’observation de la parlementarisation du jeu
politique au Cameroun
En tant qu’échanges de discours contradictoires des acteurs qui ont la légitimité à s'exprimer publiquement sur
la politique (Wolton 1989 : 30), la communication politique doit être envisagée comme un moment de
compétition discursive entre les ressortissants du champ politique. Il va sans dire que cette perspective
conceptuelle se pose par opposition à l'idée classique, de la communication politique qui la réduit à une
simple stratégie pour « faire passer un message ». C’est que, la politique est inséparable de la communication,
et d'ailleurs dans l'histoire de la démocratie au Cameroun ces deux notions font chemin ensemble. Dans ce
cadre précis de prédilection de la parole et en contexte de démocratie, la quête de trophées propres à l’arène
politique se caractérise par la maîtrise de la violence. De fait, la communication politique dans une société
démocratique est le lieu par excellence d’expérimentation de ce qu’Elias et Dunning nomment « sportisation »
de la politique (Elias et Dunning 1995). Cette notion rend compte de la domestication de la relation
d’opposition entre acteurs politiques, de la transformation de la concurrence en jeu. Ici, la « sportisation » ou
la parlementarisation de la politique est la transformation de la politique en jeu avec des règles allant dans le
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sens du respect de l’adversaire, de l’acceptation du « fair play ». Cela est-il prédicable au Cameroun ? Il est
permis de penser que progressivement, et en dépit de quelques moments de recul, les acteurs politiques
semblent ici s’être passés le mot dans le sens de la civilisation des mœurs des politiques. Premièrement, la
ritualisation du vote instaure un ordre symbolique qui impose une éradication progressive des expériences de
1
violence dans l’arène politique . Il y a du point du vue de la violence physique, du crime politique, du
sentiment d’insécurité, un processus de pacification du commerce entre ces acteurs ; la dialectique
2
ami/ennemi (Schmitt 1922) , porteuse de violence sauvage voire criminelle fait progressivement la place à la
compétition entre adversaires.
3
Deuxièmement, l’abrogation de l’ordonnance relative à la subversion et l’inflation de la parole dans
l’espace public camerounais, de même que le déclin du nombre de procès politiques, sont consécutives à cette
transformation de la manière de faire la politique. De fait, la massification de la prise de la parole consécutive
à la révocation de l’ordonnance relative à la subversion a permis la pluralisation de l’expression politique au
Cameroun (Chindji Kouleu 1997). Les entrepreneurs politiques s’approprient depuis lors la communication
comme un levier puissant, susceptible de les aider dans leur course au pouvoir. La presse apparaît comme
l’adjuvant principal de leurs activités. Bien plus, on assiste au phénomène de croissance du rôle de la presse
dans l’espace public camerounais et dans l’univers de la communication politique tant et si bien qu’on
n’éprouverait pas de difficulté à emprunter à Dominique Wolton l’expression « espace public médiatisé » pour
dire que ce milieu est fonctionnellement et normativement indissociable du rôle des médias (Wolton 1991 :
95).
Le commerce politique au Cameroun s’est donc progressivement structuré par la bataille autour du « faire
croire » et dès lors, la communication politique est devenut un site pertinent d’observation de la
parlementarisation du jeu politique. Dans un contexte de construction sociale d’une réalité socioéconomique
camerounaise désenchanteresse, de contestation politique et de dé-légitimation du pouvoir qui ont pour assises
la chute vertigineuse du pouvoir d’achat des ménages, l’inflation galopante, le délétère climat d’affaires et le
chômage galopant, les détenteurs de la compétence dirigeante appliquent avec beaucoup de dextérité le
principe machiavélien selon lequel « gouverner c’est faire croire ». On observe aussi la dynamique
concomitante de l’espace public camerounais, étant entendu que l’espace public renvoie, dans une perspective
habermasienne, à un espace de débat politique, qui concourt à la formation de l’opinion et de la volonté des
citoyens et permet l’élaboration d’une critique des pouvoirs et des institutions en place ainsi que l’expression
de nouveaux besoins, transmis depuis la périphérie du système politique jusqu’à son centre (Habermas 1997 :
386). Dès lors, la communication politique permet aux acteurs politiques tant de l’opposition que de la
formation dirigeante d’exister véritablement dans l’arène politique camerounaise.
Une sociologie de l’espace public camerounais actuel permet d’ailleurs de constater que dans ce contexte de
bataille autour du « faire croire », la formation dirigeante a quasiment phagocyté l’espace de la prise de la
parole. Elle semble jouir dans cet espace d’un avantage comparatif par rapport à ses contempteurs, tant ses
« biens » discursifs sont à la confluence de l’habitus linguistique 4 et d'un marché (Bourdieu 1982 : 28), c'està-dire le système de « règles » de formation des « prix » qui vont contribuer à orienter par avance la
production de la parole et sa réception. En effet, au-delà de ce que les organes de presse du gouvernement lui
semblent acquis, on relève que la formation dirigeante a pu coopter dans ses rangs l’essentiel de ce que la
scène politique camerounaise compte comme discoureurs, mieux, comme rhéteurs, « recrutés » autant dans les
amphithéâtres des universités que dans le milieu de la presse. Cela compte dans un contexte où l'efficacité
propre de ce pouvoir s'exerce non plus dans l'ordre de la force physique, mais dans l'ordre du sens de la
connaissance, dans un contexte où les mots exercent un pouvoir typiquement magique : ils font croire, ils font
agir. A titre d’illustration, le projet de modification de la constitution, conçu par le gouvernement et
finalement adopté par l’Assemblée nationale le 14 avril 2008, a donné l’occasion à cette « dream team » de la
5
communication de se déployer sur le terrain pour « faire croire » en l’utilité de cette modification . En
réalité, à l’heure actuelle au Cameroun, le travail politique est, pour l'essentiel, un travail sur les mots. C’est
que, les mots contribuent à faire le monde social. Seulement, cette dynamique de parlementarisation du jeu
politique au Cameroun doit être considérée comme un rapport construit, comme un rapport contingent,
comme une configuration mouvante. Elle dépend de circonstances historiques précises. Ce constat rend
possible la relativisation de la notion de pacification du jeu politique tant il est vrai que cette dynamique est
tressée par des continuités et des discontinuités. Dès lors, il n’est pas saugrenu de poser l’hypothèse de la
réversibilité de la pacification du jeu politique, au moins en ce qui concerne la communication politique.
B. L’hypothèse de la dé-civilisation du « dire » et du « faire croire » et de la
résurgence de la dichotomie ami/ennemi dans la vie politique camerounaise
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Il est aujourd’hui loisible de constater que civilisation et décivilisation forment un couple indissociable dans la
compréhension de la politique camerounaise au lendemain de ce que beaucoup ont appelé la « transition
démocratique » (Machikou 2009). L’idée de mouvement pendulaire entre pacification et dépacification
rendrait donc plus justice à la réalité sociopolitique au Cameroun. Nous mobilisons ici l’analyse sémiologique
dans le cadre d’une théorie conflictuelle du politique et d’une théorie dissensuelle de la langue. Nous voulons
montrer que l’information dans la presse est un signe et en tant que tel elle comprend les deux versants
saussuriens que sont le signifiant et le signifié. Autrement dit, au-delà de l’information affichée dans la presse,
nous nous intéressons au concept, au contenu sémantique de ladite information pour rendre compte l’inversion
des tendances à la civilisation de la vie politique au Cameroun.
À partir d’un corpus de textes de presse, on constate que les termes échangés dans la presse autour des enjeux
de pouvoir rendent compte des luttes d’appropriation ou de dépossession symbolique qui se jouent dans
l’arène politique camerounaise. La communication politique devient dès lors une lutte qui manifeste la
dichotomie entre stabilisation et déstabilisation langagières, où on n’entraperçoit que de faux armistices au
sujet de la police du bien dire. En réalité, le succès de plus en plus rencontré par la parole violente et
outrancière dans la presse camerounaise met à mal le procès de pacification des règles du jeu politique
ci-dessus évoqué, et il est ainsi possible d’envisager cette dynamique hérétique ou hétérodoxe comme une
forme symbolique de résistance à ce procès de civilisation des mœurs politiques.
Le corpus mobilisé est constitué de onze titres de la presse camerounaise 6 , d’une centaine de « unes » et
prend en compte l’espace temps 2006-2010. Nous nous sommes essentiellement intéressés aux « unes » de ces
journaux pour rendre compte du phénomène de dépacification des signes politiques 7 . En effet, la première
page de ces journaux donne à voir quotidiennement un sujet qui « fait événement », rompant avec la routine
des informations. Les médias représentent le présent en même temps qu’ils donnent le moyen de s’arrêter sur
l'événement présent à la « une ». S’y intéresser permet de comprendre les représentations de ce qui « importe
» pour ce segment de la presse camerounaise, les codes de représentation des institutions, les normes
linguistiques, les manières de parler des institutions, la manière dont elles sont sacralisées ou désacralisées
vis-à-vis des profanes (Hubé 2005). Dans cette perspective, les médias sont à considérer comme des
entreprises en « représentation politique ». Trois pistes d’entrée nous permettent d’interroger le phénomène de
décivilisation de la politique dans ces « unes » : le choix du sujet à mettre en exergue, les manières de dire
l’événement (le champ lexical) et la scénographie ou la mise en page de l’information.
Pour ce qui est de la première piste, on observe que les « unes » de ces hebdomadaires sont marquées par
l’omniprésence de l’anthroponymie, c’est-à-dire qu’elles portent presque exclusivement sur les individus, en
général des personnalités connues et reconnues dans la sphère publique. Elles ne sont pas sophistiques, c’està-dire qu’elles ne s’attaquent pas aux propos et prises de positions de ces individus mais bien aux individus
eux-mêmes. Dans le corpus en étude, la tendance est à l’argument ad hominem : « Mme Haman Adama au
cœur d’un réseau d’homosexualité 8 » ; « Abah Abah et Olanguena, la fin de deux truands 9 » ; « Amadou
Ali. Un serpent aux pieds de Paul Biya 10 » ; « Paix sociale au Cameroun. Amadou Ali est-il
dangereux ? 11 » ; « Encore un coup d’Etat manqué contre Paul Biya. Identification des comploteurs, réseaux
et clans politico-tribaux et mafieux qui déstabilisent les institutions républicaines 12 » ; « La CBC en
faillite… La famille Fotso désormais écartée de la gestion 13 » ; « Mebe Ngo’o accusé de diaboliser des
ministres
14
» ; « Jean-Pierre Biyiti Bi Essam. Une calamité pour le Mincom et les journalistes
15
» ;
16
« Evincé du gouvernement, Ze Meka tente d’emporter 100 millions de FCFA
» ; « Scandale financier.
Essimi Menye détourne 10 milliards 17 » ; etc. D’une manière générale, ici, on quitte fréquemment la sphère
purement logique et les éléments spécifiques à la thématique annoncée, pour en venir à des considérations
personnelles. La rupture est donc nette entre le signifiant de ces messages, à savoir la dénonciation de la
corruption et des détournements des fonds publics, et le signifié qui renvoie à l’entreprise de disqualification
de certains acteurs de la scène politique camerounaise.
Ces échantillons de « unes » rendent compte de ce que dans la communication politique au Cameroun, il
existe un type spécifique d’argumentation qui peut être qualifié de périphérique. Catherine KerbratOrecchioni montre que l’argumentation polémique, dont relève l’implication personnelle, est « d’une nature
bien particulière », dans la mesure où, étant « tout entière orientée vers des fins disqualifiantes, la "rigueur"
et les "preuves" qu’elle exhibe ne peuvent être que bien sujettes à caution » (Kerbrat-Orecchioni 1980 : 30).
En fait, on assiste, nolens volens, à une construction poussée à son paroxysme de la figure de l’ennemi diffus
mis en lumière dans l’arène politique camerounaise par les journalistes. Il s’agit bien de ce que Murray
Edelman, dans son ouvrage intitulé Pièces et règles du jeu politique, appelle « la construction et les usages
des ennemis politiques » (Edelman 1991 : 129-133).
La construction de l’image de l’ennemi est davantage perceptible lorsqu’on s’intéresse au champ lexical
mobilisé dans les « unes » de journaux. C’est l’iconoclasme journalistique et le vandalisme langagier qui
apparaissent au grand jour caractérisés par des gestes de destruction et de profanation à peine voilés. Les
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premières cibles des iconoclastes sont les personnalités sur lesquelles pèsent de fortes présomptions de
corruption ou de détournement de fonds publics. L’iconoclasme ici consiste d’abord à les présenter comme
coupables au mépris du principe de la présomption d’innocence ; les iconoclastes, qui s’affirment ainsi
comme des « casseurs » de personnalités, ne se fixent aucune limite et cherchent à discréditer et à « finir »
leur ennemi (Passard 2009).
L’iconoclasme consiste ensuite à violer la police du bien dire par l’utilisation d’un lexique outrancier et
licencieux. Les isotopies 18 spécifiques qui se dégagent de ces « unes » permettent de reconstruire la
grammaire de la violence dans le « dire » et le « faire croire ». Les personnalités politiques récurrentes dans
les « une » des journaux sont renvoyées dans la classe des « pilleurs de la République » et des « corrompus ».
L'isotopie permet ici la lecture de textes relevant de différentes « unes », de les systématiser en établissant une
homogénéité de la catégorie sémantique « pilleurs de la République ». La cohérence du discours est fondée
sur la répétition d'éléments semblables ou compatibles. L'inventaire transversal du lexique nous a ainsi donné
le résultat suivant : « Ripoux », « blanchiment d’argent », « gabegie », « braqueurs de la République »,
« réseaux », « contrôle supérieur de l’Etat », « 30 milliards », « complicité », « pilleurs de banques »,
« pilleurs de la baronnie », « 100 millions », « contenu des caisses », « Opération Epervier », « montants
faramineux », « Gangstérisme », « commanditaire », « truands », « prédateurs », « créances compromises »,
« faillite », « voleurs », « délinquants financiers », « brigand », « bandits à col blanc ».
Pour la catégorie sémantique « corrompus », les occurrences constatées sont les suivantes : « entourage
véreux », « affairisme », « manipulés », « opportunisme aveugle », « complots », « gombo ». Un détour rapide
par une sociologie de ces journaux iconoclastes tend à montrer que cette forme d’expression politique
hétérodoxe provient de la configuration de la société dans laquelle sont inscrits ces journalistes. Sur le plan de
l’analyse verticale, on peut établir la dichotomie bourdieusienne « dominants »/« dominés » (Bourdieu 1992).
Compte tenu de leur position dans l’administration ou dans les milieux d’affaires les personnalités mises en
cause sont considérées comme faisant partie de la catégorie des « dominants ». Les iconoclastes, quant à eux,
se situent dans la catégorie des « dominés ». Le vandalisme langagier, l’outrance dans les propos et même la
délectation dans le jeu avec l’effet de page 19 peuvent être analysés comme des ressources utilisées par les
« dominés » pour conjurer leur position sur l’échiquier social et au moins « faire payer » aux « dominants »
leur domination 20 . On comprend dès lors, toute la jubilation et la jouissance qui transparaît dans la
convocation de l’injure, de la diffamation et donc, de la dépacification de la politique. Il est bien entendu que
dans ce contexte, la pacification est contre-productive pour les iconoclastes car elle semble profiter aux
dominants. Comme le dit si bien Passard, « Contre le "bon goût" et la respectabilité dont peuvent se prévaloir
les dominants, le pamphlétaire oppose son franc-parler comme la sincérité à l’hypocrisie, le courage de la
vérité à l’imposture. Le pamphlétaire tente ainsi de renverser sa position de faiblesse en position de force : la
transgression des normes langagières, le recours à l’insulte ou à l’injure qui sous-tendent le discours
pamphlétaire correspondent bien à la stratégie de ceux qui ne peuvent pas se faire entendre autrement et
constituent un moyen pour eux de pallier l’absence de capital symbolique » (Passard 2009).
II. LA RELATIVISATION DE LA COMMUNICATION POLITIQUE TRADITIONNELLE
ET LA PLURALISATION DES LIEUX D’ÉNONCIATION DU POLITIQUE AU
CAMEROUN
La montée au créneau de la presse iconoclaste manifeste de manière forte la démonopolisation de la
communication politique qui n’est plus l’apanage exclusif des acteurs politiques traditionnels (1). Il faut
cependant se garder de prendre ce constat dans l’absolu car il existerait des passerelles à fort enjeux politiques
entre ces deux pôles principaux de la communication politique au Cameroun (2).
A. Libéralisation de l’expression et partage de la fonction d’agenda entre le
politique et le médiatique
Le processus de démocratisation dans lequel le Cameroun s’est engagé depuis près de deux décennies a fait
exploser l’espace public avec l’irruption d’un grand nombre d’acteurs et surtout le rôle croissant des médias.
Du fait justement de l’emprise de ces derniers, il n’est pas outrancier de parler au Cameroun d’un « espace
public médiatisé » (Wolton 1991 : 95-96). La dépacification des signes politiques ci-dessus évoquée est
consécutive à la démonopolisation de la fonction d’agenda qui sort de l’emprise exclusive des acteurs
politiques classiques. A l’échelle de l’histoire, ce débat sur le rôle des médias n’est pas nouveau. La question
du rôle des médias dans les processus de décision politique (surtout les campagnes électorales) a été
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reconsidérée aux États-Unis à partir de l'apparition des médias audiovisuels de masse. Elle est à l’origine de la
21
théorie des effets limités
(Bregman 1989 :191-192). La problématique de la fonction d'agenda (« agenda
setting function ») a été élaborée à partir des années 1970 aux États-Unis pour répondre à cette théorie. Il n’est
pas inutile d’y revenir, tant cette problématique semble d’actualité au Cameroun au regard des
développements précédents. La question « quels sont les sujets récurrents de la communication politique au
Cameroun ? » permet d’en juger.
Moins que les acteurs politiques classiques, les médias, devenus des acteurs politiques de plein exercice,
semblent définir le calendrier des évènements et la hiérarchie des sujets. La communication politique est
surdéterminée par les thématiques levées par les médias. La corruption dans l’administration publique et des
détournements de fonds publics sont ainsi promus au rang de sujets à scoops non pas tant à cause du mal fait à
la communauté nationale, mais bien parce qu’il y aurait quelques personnalités à « casser » à travers la
dénonciation de ces déviances. L’homosexualité supposée de certaines personnalités publiques a aussi, pour
un temps, fait partie de ce hit parade des sujets captivants de l’espace public Camerounais 22 . Ici la
configuration du storytelling entre en adéquation avec les aspirations populaires à trouver un bouc émissaire
aux problèmes sociaux récurrents (vie chère, pauvreté rampante, chômage endémique, etc.) C’est alors
l’occasion de la fabrique des complots de tous les genres 23 . Dès lors, le storytelling, par l’interprétation
orientée vers la satisfaction des aspirations populaires, se substitue régulièrement à l’histoire des faits, pour
devenir avant tout un mode de communication que se partagent des journalistes, soumis à la pression de la
nouveauté et de l’éclat médiatique. Jamais, la demande d’informations renouvelées et de vérités immédiates,
contraire à l’essence même du métier d’enquête du journaliste, n’a été aussi forte. Raconter l’Histoire,
raconter une histoire ou raconter des histoires : c’est dans ce pas de trois que se joue souvent la restitution de
l’information.
Quid des acteurs politiques classiques ? Les événements communicationnels récents ont clairement montré
qu’en termes d’initiative dans l’espace public, ils sont le plus souvent atones et ne font que réagir à la
thématique proposée par les médias. La «fonction d’agenda» (agenda setting) définit ainsi la capacité propre
aux médias de déterminer ce qui fera débat, sélectionner les évènements et les sujets auxquels s’intéressera
l’opinion et/ou les décideurs
24
. La « dream team » de la communication ci-dessus évoquée le plus souvent,
n’a pas l’initiative thématique de ses sorties médiatiques. Entres autres, Augustin Kontchou Kouomegni
Pierre Moukoko Mbonjo
29
26
, Ebenezer Njoh Mouellé
30
27
, Jean-Pierre Biyiti Bi Essam
28
25
,
, René Emmanuel
31
Sadi , Jacques Fame Ndongo , Issa Tchiroma Bakary
interviennent régulièrement dans l’espace
médiatique afin d’améliorer la lisibilité et la visibilité de l’action gouvernementale face aux récriminations de
la presse et surtout pour « rétablir les faits » lorsque cela s’impose
32
.
Il faudrait cependant se garder d’absolutiser la posture attentiste des acteurs politiques classiques. Il semble
bien que l’érection d’une certaine presse en acteur politique de premier plan soit justiciable de ses liens avec
ces acteurs classiques.
B. Presse camerounaise et milieu politique : comme « larrons en foire » ?
Si les questions concernant l’indépendance de la presse ont toujours été récurrentes au Cameroun, mais de
façon assez insidieuse, au cours de la décennie 2000 on semble avoir franchi un nouveau stade. Pour tout
observateur attentif, la scène politique camerounaise semble animée d’une frénésie en clair obscur dont les
externalités gagnent inexorablement les autres champs d’activités dont la presse. On y assiste à une succession
d’événements, de moments qui impriment une « rupture d’intelligibilité » (Gobille 2005 ; Fassin 2002) aux
pratiques routinières et aux représentations ordinaires des citoyens-témoins camerounais. A y regarder de
près, le futur proche semble y avoir définitivement cannibalisé le présent actif qui, déjà, n’existe plus dans les
manières d’être et de faire des agents du champ politique camerounais. Il est en effet loisible de constater que
les acteurs politiques camerounais paraissent vivre dans le futur ; l’année 2011, échéance clé dans le champ
politique, semble implicitement structurer cette dynamique, les uns et les autres se déterminant, même sans le
vouloir, en fonction de cette date qui participe à construire un horizon d’attentes et une structure
d’opportunités politiques pour les agents en situation. Une « sociologie spontanée » du journalisme au
Cameroun donne à observer que la décivilisation de la politique visible dans la presse n’est en définitive que
la manifestation des jeux et des enjeux de la scène politique camerounaise échaudée par les échéances
politiques de 2011.
2011, c’est la date très probable des élections présidentielles au Cameroun, compétition politique à laquelle,
sans la récente modification de la constitution, l’actuel locataire du palais de l’unité 33 à Yaoundé n’aurait pu
prétendre prendre part. L’incertitude de la candidature du Président Biya à ces élections constitue un enjeu au
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sein de la classe dirigeante. Dans son propre parti, le RDPC, certains entrepreneurs politiques ambitieux qui
espéraient, chacun, « être calife à la place du calife » ont de la peine à revoir leurs ambitions à la baisse et à
faire preuve d’esprit d’équipe derrière le président Biya. Certains semblent gagnés par l’idée d’accéder à la
sacro-sainte position de « dauphin naturel », d’où les nombreuses batailles de positionnement qui se déroulent
en clair obscur dans l’espace public, batailles dont la presse se fait l’écho en tant qu’informatrice et partie
prenante. On est dès lors tenté de voir des affinités électives entre la promotion ou la « destruction » de
certaines personnalités dans la presse et les enjeux des échéances de 2011.
La presse iconoclaste serait donc aux ordres. Elle serait le relais de certaines personnalités tapis dans l’ombre.
Sinon comment comprendre que certaines personnalités soient régulièrement la cible de certains titres alors
que d’autres, qui auraient pourtant des choses à se reprocher en soient épargnées ou tout au plus présentées
comme des modèles ? L’exploitation de notre corpus nous permet par exemple d’établir que des personnalités
telles que Yves Michel Fotso, Polycarpe Abah Abah, Urbain Olanguena Awono, Jean-Marie Atangana Mebara
sont les cibles privilégiées de L’Anecdote, Aurore Plus, La Météo Hebdo, La Nouvelle Presse, La Nouvelle
Afrique, tandis que La Météo Hebdo se servirait d’Amadou Ali et de Cavaye Yeguie Djibril comme punching
34
ball . Les malversations réelles ou supposées et même la vie privée de ces personnalités y sont
régulièrement exposées sous la forme d’interprétation dévalorisante et d’arguments ad hominem. On estime
généralement que ces journaux seraient renseignés et manipulés par les adversaires politiques de ces
personnalités dans le sérail. Comme pour corroborer cette atmosphère délétère, on pu lire à la « une » :
« Mebe Ngo’o accusé de diaboliser des ministres. Les mauvaises langues soutiennent que le DGSN manipule
35
certains médias
» ; « La guerre meurtrière des réseaux… Un président qui refuse toute idée de dauphinat
aux présidentiables qui piaffent d’impatience. Complots et techniques de barbouzes mis à
contribution…
36
» ; « Acharnement politico-judiciaire contre Fotso. Décryptage de la note confidentielle de
Amadou Ali à Laurent Esso visant l’arrestation de Yves Michel Fotso
37
».
Releverait de l’illusion d’optique, toute lecture « victimisante » de la situation de ces acteurs négativement
sous les feux de projecteurs. Notons que les personnalités dont l’image est écornée dans la presse iconoclaste
sont elles aussi citées comme manipulant d’autres titres de presse contre leurs contempteurs du moment.
Ainsi, Aurore Plus rappelle : « la moitié des journaux au moins paraissant au Cameroun sont acquis à la
38
cause de Polycarpe Abah Abah
». Toute proportion gardée, on ne peut rejeter de manière péremptoire ce
rappel. Un fait permet de corroborer l’idée de la presse aux ordres. Dans le microcosme médiatique
camerounais, il est connu que L’Anecdote n° 360 du lundi 31 mars 2008 rapportant avec force détails
l’arrestation le même jour, à 6 heures, de Abah Abah et Olanguena Awono est sorti de presse à 1 heure du
39
matin, soit près de 5 heures avant l’arrestation effective de ces deux personnalités !
On estime que le
journal aurait reçu les informations des services de Edgard Alain Mebe Ngo’o, alors patron de la police et
considéré comme un des pires ennemis de Polycarpe Abah Abah. Sauf à posséder des dons de divinations, les
journalistes de L’Anecdote n’auraient pu écrire le récit d’un événement à venir avec autant de détails. Plus
2011 se rapproche, plus la presse camerounaise sera instrumentalisée dans la communication politique visant
sinon la conquête du pouvoir, du moins la disqualification de certains prétendants.
CONCLUSION
Au total, il faut prêter une plus grande attention au lexique et aux mots dans l’espace public, ils sont
révélateurs des mutations de l’altérité au cœur de la politique, des mutations dans les rapports entre les
segments de la société politique. La littérature outrancière et le vandalisme langagier de plus en plus visible
dans la presse camerounaise rend compte d’un champ de la communication politique progressivement déserté
par les discours pacifiés et colonisés par les processus de construction d’ennemis multiformes que l’on livre
en pâture aux lecteurs. Au cœur de cette « démocratie » construite de toutes pièces, hantée par les enjeux de la
course au trophée politique de 2011, on voit nettement à l’œuvre des processus multiformes de construction de
l’ennemi dans le sens où l’entend Karl Schmitt. Le concept d’ennemi politique inclut en effet l’éventualité
d’une lutte, la possibilité de provoquer la mort physique d’un homme. Dans le cadre du développement
précédent nous indiquons le changement de perspective avec plutôt la prégnance de la recherche de la mort
politique de l’ennemi.
La figure de l’ennemi permet donc de rendre compte de la communication politique au Cameroun comme
devenue progressivement une activité de production d’une violence symbolique sauvage. Cette figure permet
de mettre en exergue le degré élevé d’hostilité, d’antagonisme qui témoigne de la relativité du poids des
normes, des règles du vivre ensemble dans la vie politique camerounaise. La figure de l’ennemi est une
conséquence de la dynamique particulière du jeu politique. Elle ne constitue pas une fatalité, mais relève des
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pratiques contingentes qui apparaissent à un moment donné et peuvent disparaître. En d’autres termes, la
dynamique de la communication politique au Cameroun peut abriter un processus de « civilisation », de
« parlementarisation » entraînant le passage de la notion d’ennemi à celle plus démocratique de l’adversaire.
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Section thématique 44, « Sociologie et histoire des mécanismes de dépacification du jeu politique ».
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Wolton Dominique (1989), « La communication politique : construction d'un modèle », Hermès, n°4, Le nouvel
espace public, Paris, Éditions du CNRS, pp. 27-42.
Wolton Dominique (1991), « L’information et la guerre », Flammarion.
Notes de bas de page
1 Pour autant, convient-il de le signaler, l'usage du bulletin de vote n’annule pas de manière absolue et définitive les
passions et les violences politiques, des moments de « rechute », même sporadiques, existent. Il suffit pour s'en convaincre
de convoquer à titre d’illustration, les violences à dans la province de l’Ouest lors des élections législatives de juin 2002.
2 Selon Schmitt, le concept d’ennemi inclut l’éventualité d’une lutte, la possibilité de provoquer la mort physique d’un
homme. La figure de l’ennemi permet de rendre compte de la politique comme activité de production d’une violence
sauvage. Par violence sauvage ici, il faut entendre la violence physique infligée à l’autre dans le cadre de la vie politique.
3 La politique criminelle des premières années de l’indépendance a largement contribué à donner une consistance
juridique à la dialectique ami/ennemi au Cameroun en reprenant à son compte la notion floue, au plan juridique, de
« subversion » (Minkoa She 1996 ; Gonidec 1978 : 164). L’ordonnance n° 62/OF/18 du 12 Mars 1962 « portant répression
de la subversion », fort heureusement révoquée par la loi n° 90/46 du 19 Décembre 1990, envisageait comme
« subversive » et susceptible de peines sévères de privation de liberté, la remise en cause, même langagière, des actions des
détenteurs de la compétence dirigeante. Elle consacrait de la sorte un adversaire politique, diabolisé et promu au rang
d’« ennemi de la nation » parce que s’opposant au projet politique de celui que certains ont appelé le « père de la nation ».
4 Selon Bourdieu, l’habitus linguistique renvoie à la fois la capacité de parler et la capacité de parler d'une certaine
manière, socialement marquée, c'est-à-dire à une compétence inséparablement technique et sociale.
5 Dans la loi n° 2008/001 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant
révision de la constitution du 02 juin 1972 , la disposition de l’article 6 alinéa 2 de la constitution de 1996 : « Le Président
de la République est élu pour un mandat de sept ans renouvelable une fois » est modifiée comme suit « Le Président de la
République est élu pour un mandat de sept ans. Il est rééligible ». Beaucoup n’ont pas manqué d’y voir la volonté du
Président Biya de se maintenir ad vitam aeternam au pouvoir. Lire à ce propos,
6 Il s’agit des hebdomadaires : La Météo Hebdo, L’Anecdote, Aurore Plus, Le Jeune Observateur, L’Eveil Républicain,
Le Droit de Savoir, L’Indépendant, La Nouvelle Presse, La Nouvelle Afrique, La Sentinelle ; et du bihebdomadaire Le
Popoli.
7 Le choix des « unes » est guidé par le constat de ce que, au fait de la désaffection de la lecture dans les couches
populaires les responsables de la presse mettent de l’accent sur la « unes » car devant les kiosques à journaux, les personnes
intéressées ne s’en tiennent qu’à la visualisation de la première page.
8
Le Jeune Enquêteur, n°155, 21 août 2006. Madame Haman Adama était alors Ministre de l’éducation de base.
9 Aurore Plus, n°1016 du 1er avril 2008. Messieurs Polycarpe Abah Abah et Urbain Olanguena Awono occupaient
respectivement les fonctions de ministre de l’économie et des finances et de ministre de la santé publique.
10 La Météo Hebdo, n°204 du 15 septembre 2008. Amadou Ali est vice-premier ministre, ministre de la justice, garde
des sceaux.
11
La Météo Hebdo, n°218, 22 décembre 2008.
12
L’Indépendant, n°073 du 10 décembre 2008.
13 Aurore Plus, n°1079 du 28 novembre 2008. La CBC est une banque du Groupe Fotso dirigé par Monsieur Yves
Michel Fotso, homme d’affaires qui aurait des entrées au palais de l’unité, siège de la présidence de la république.
14 La Météo Hebdo, n°214 du 24 décembre 2008. Monsieur Edgard Alain Mebe Ngo’o était alors Délégué général à la
sûreté nationale (ministre de l’intérieur).
15 Aurore Plus, n°1118 du 17 avril 2009. Monsieur Jean-Pierre Biyiti Bi Essam était ministre de l’information et de la
communication.
16
L’Anecdote, n°424 du 06 juillet 2009. Monsieur ZE Meka venait d’être évincé de son poste de Ministre de la défense.
17
La Sentinelle, n°004 du 5 avril 2010. Monsieur Essimi Menye est l’actuel ministre camerounais des finances.
18 Le concept d'isotopie, fortement opérationnalisé dans l'analyse du discours et la constitution du texte en objet
scientifique, est défini en ces termes par A.-J. Greimas: « Ensemble redondant de catégories sémantiques qui rend possible
la lecture uniforme du récit telle qu'elle résulte des lectures partielles des énoncés et la réalisation de leurs ambiguïtés, qui
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est guidée par la recherche de la lecture unique » (Greimas 1986).
19 On doit se garder de négliger la fonction poétique de la mise en page des « unes ». Dans les « unes », même la
sélection des techniques de fontes de caractères, de typographie, de mise en forme et d'espacement, de titrage et de
lettrines, d'illustration et de leur habillage est loin d’être innocente. Elle obéit à un souci de mise en exergue, de mise en
relief de l’information infamante afin de captiver l’attention des populations au sein desquelles se recrute un grand nombre
de « dominés » tout aussi content de voir jeter quelques « dominants » en pâture.
20 Aurore Plus, dans son édition du 03 avril 2008, n’a pas hésité à titrer de manière jubilatoire : « Procès du siècle. Il faut
que Abah Abah et ses complices soient jugés… au stade omnisport » !
21 Selon cette théorie, les effets des médias sur les changements d'attitudes politiques et de comportement des citoyens,
loin de correspondre au modèle de la seringue hypodermique, sont limités par la force de l'identification partisane et par des
processus d'exposition, de perception et de mémorisation sélectives.
22 Si l’on s’en tient aux unes des journaux, les questions pourtant fondamentales telles que la mise sur pied d’un système
électoral fiable ont moins mobilisé les acteurs de l’espace public camerounais.
23 Dans le storytelling le plus commun dans cette presse, l’homosexualité de ces personnalités publiques ne relèverait
pas de la seule question de la libido, mais de la recherche de certains pouvoirs auprès de jeunes qui seraient utilisés comme
objets sexuels contre avantages divers (argent, positions avantageuses dans l’administration, etc.) Lire notamment
« Révélations troublantes sur l’affaire des Listes d’homosexuels », La Nouvelle Presse, n°356 du mardi 22 juillet 2008.
L’essentiel des détournements de fonds publics serait attribué aux membres du G11. Des collaborateurs, en général
quadragénaires, du président Biya ont été étiquetés comme appartenant à la génération 2011 qui planifie de prendre le
pouvoir en 2011, d'où la dénomination de G11. A propos du G11, consulter, « Maroua : Sali Daïrou indexe le G11 »,
Mutations, 24 mars 2008 ; « Cameroun : G11, Clans, réseaux, Club des 12 Connexions dangereuses autour d'Etoudi »,
Germinal, n° 043, 7 octobre 2009 ; « Il faut en finir avec le ‘‘G11’’ ! », Le Messager, 6 novembre 2009.
24 Les inventeurs de ce terme, Mc Combs et Shaw (1972), ont décrit ce phénomène au sujet de l'affaire du Watergate.
Selon leur suggestion, la fonction des médias n'est pas de dire aux gens ce qu'ils doivent penser mais sur quoi ils doivent
concentrer leur attention.
25
Premier agrégé de science politique au Cameroun, ancien ministre de la communication.
26 Ancien ministre de la communication, politiste, enseignant à l’Institut des relations internationales du Cameroun
(IRIC).
27
Philosophe de renom en Afrique, ancien ministre de la communication.
28
Journaliste, ancien ministre de la communication, actuel ministre des postes et télécommunications.
29
Diplomate, secrétaire général du RDPC.
30 Ancien journaliste, professeur de sémiotique, ancien ministre de la communication et actuellement ministre de
l’enseignement supérieur.
31
Ancien membre de la coalition de l’opposition, actuel ministre de la communication.
32 Lire à ce propos Georges Alain Boyomo, « Stratégie : Cafouillage dans la communication gouvernementale »,
Mutations, 15 décembre 2009. Le projet de modification de la constitution conçu par le gouvernement et adopté par
l’Assemblée nationale
33
Siège de la présidence de la République.
34 Au cours du quatrième trimestre 2008, Amadou Ali a, de manière infamante, cinq fois fait la « une » de La Météo
Hebdo.
35
La Météo Hebdo, n° 214.
36
L’Indépendant, n° 069 du 13 août 2008.
37
Les Nouvelles du Pays, n° 132 du 12 août 2008.
38
Aurore Plus, n°1016.
39 Le journal affichait à la « une » : « Fin de parcours pour Abah Abah et Olanguena. Ils ont été appréhendés très tôt ce
lundi par une équipe mixte des services de sécurité ».
Pour citer cet article
KEUTCHEU Joseph. Vandalisme langagier, dépacification des signes politiques et désenchantement de la
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communication politique dans l’univers médiatique camerounais. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5.
Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet :
http://www.revue-signes.info/document.php?id=1766. ISSN 1308-8378.
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Article
Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours
des publicités politiques faites par les partis politiques
Halime YÛCEL, Maître de conférences à la faculté de communication, Laboratoire Sémantique et
Analyse du Discours (SAD), Université Galatasaray
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
Dans ce travail nous analysons les publicités politiques dans les journaux réalisées pour les élections législatives
de 2007 par trois partis politiques turcs : le Parti de la Justice et du Développement, le Parti Républicain du
Peuple, le Parti du Mouvement Nationaliste qui ont été les seuls à entrer dans l’Assemblée Nationale. Notre
méthode d’analyse est basée sur les principes de la sémiotique. Pour réaliser notre travail, nous avons d’abord
distingué l’expression et le contenu de ces publicités politiques. Dans la première partie de notre travail, nous
avons analysé l’expression du discours des publicités politiques : nous prendrons en compte la forme de ces
publicités, c’est-à-dire la relation texte/image, la forme des textes, les photographies et les emblèmes, ainsi que
le sujet, l’anti-sujet et le récepteur du discours. Dans la deuxième partie qui consiste à analyser le contenu de la
publicité politique, nous avons cherché à découvrir comment les partis politiques se présentent eux-mêmes,
présentent leur leader et leurs idées sur la Turquie actuelle, et nous analyserons le contenu des messages
transmis par les partis politiques.
Abstract
In this paper we want to analyze the political advertisements made by three political parties during the 2007
legislative elections: the Justice and Development Party, the Republican Party of the People and the Nationalist
Movement Party. The political parties may be differentiated on some opposition axes such as the safe/unsafe
axe, the stability/instability axe, the past/future axe, the weak/strong axe, the honesty/dishonesty axe and the
timorous/courageous axe. In those 2007 general elections political advertisements it is obvious that the “scene”
occupied the first rank while leaving little place to the word. The ideology is very clearly expressed thanks to
the shaping, to the icons and to the word choice.
Table des matières
INTRODUCTION
I. L’EXPRESSION DES TEXTES PUBLICITAIRES
A. La forme des publicités
1. La forme des textes
2. Les photographies
3. L’emblème
B. Le sujet du discours
1. Le leader
2. Le parti politique
3. Le sujet du discours « supposé »
C. Le récepteur du discours
D. L’anti-sujet
II. LE CONTENU DE LA PUBLICITÉ POLITIQUE
A. Le parti politique
B. Les opinions des partis politiques sur la Turquie
1. L’affirmation
2. Le projet
3. La polémique
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4. L’appel
CONCLUSION
Texte intégral
INTRODUCTION
Les élections générales de 2007 en Turquie qui devaient avoir lieu au mois de Novembre, ont été anticipées de
trois mois en raison des problèmes concernant l’élection du Président de la République. Selon le calendrier
politique l’élection du Président de la République devait avoir lieu juste après les élections législatives, ce qui
mettait en cause sa légitimité de Président de la République qui serait élu par les députés qui se trouvent à la
fin de leur mandat. D’autre part pendant le premier mandat du gouvernement PJD (2002-2007), l’instance
présidentielle avait toujours eu une certaine fonction de « frein » pour les projets de loi du gouvernement en
recourant au Conseil Constitutionnel. En conséquence le fait que la majorité de l’Assemblée Nationale était
composée de députés du PJD, engendrait pour les Républicains laïcs la crainte d’avoir un Président de la
République membre de PJD. Ces craintes se sont traduites en grandes manifestations en faveur de la
République laïque et contre le gouvernement de PJD. Face à ces critiques le gouvernement a pris la décision
d’anticiper les élections législatives.
Les publicités politiques faites pour les élections générales de 2007 ont pris une place très importante dans les
villes et dans les medias. La décision d’anticiper les élections n’a pas eu un effet négatif du point de vue de
l’intensité des activités publicitaires, bien au contraire : les partis politiques ont mis en œuvre des campagnes
publicitaires fascinantes tout en prouvant qu’il y avait au moins un domaine où ils sont capables encore de
faire des progrès, la quantité de leur publicité.
En Turquie, surtout après les années 80, la propagande politique est inspirée des Etats-Unis et de l’Europe et a
gagné un caractère professionnel. Les jingles, le goût de l’événement médiatique donnent l’impression d’une
politique de spectacle qui imiterait les événements organisés pour les scrutins américains.
Notre recherche consiste à analyser les discours politiques publicitaires mis en œuvre dans les affiches et les
encarts publicitaires des journaux par les trois plus grands partis politiques de la Turquie 1 : le PJV (Le Parti
de la Justice et du Développement), le PRP (Le Parti Républicain du Peuple), du PMN (Le Parti du
Mouvement Nationaliste), le PVJ (Le Parti de la Voie Juste) et le PJ (Le Parti Jeune), en utilisant les principes
de la sémiotique. En effet, selon Barthes l’image de publicité, parce qu’elle est remplie par les signes pour
assurer une meilleure lecture, est susceptible d’analyse sémiotique (Barthes 2001 : 70). Comme l’univers
politique est un domaine envahi par des métaphores, le langage visuel et les symboles (Sherr 1999 : 46-47),
on pourrait prétendre que la publicité politique aussi est compatible avec une telle analyse. Pour réaliser notre
travail, nous chercherons d’abord à distinguer l’expression et le contenu de ces publicités politiques.
I. L’EXPRESSION DES TEXTES PUBLICITAIRES
Dans la première partie de notre travail, nous allons analyser l’expression du discours des publicités
politiques : nous prendrons en compte la forme de ces publicités, c’est-à-dire la relation texte/image, la forme
des textes, les photographies et les emblèmes, ainsi que le sujet, l’anti-sujet et le récepteur du discours.
A. La forme des publicités
Dans toutes les publicités politiques que nous avons relevées, la photographie à une place prépondérante.
Parfois elle est utilisée comme un titre d’un texte et les textes sont utilisés comme le sous-titre des
photographies. D’autre part, certains textes écrits avec de très grosses lettres atteignent une valeur d’image.
Nous pouvons constater que les publicités des partis politiques suivent une forme assez cohérente entre elles.
Le PJD utilise dans ses publicités généralement un fond jaune qui est conforme avec la couleur de son
emblème, tandis que dans une de ses publicités. Le fond, devant lequel on aperçoit le leader marcher, est le
drapeau turc. La juxtaposition des éléments visuels est une des méthodes de persuasion publicitaire : elle a
pour but de sous-entendre que ces éléments sont liés l’un à l’autre (Messaris, 1997 : xi). Subséquemment, la
publicité susdite évoque que le drapeau turc et le leader de PJD sont inséparables.
Dans les publicités du PRP les couleurs dominantes sont le blanc et le rouge qui sont aussi les couleurs de
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l’emblème de ce parti. Il est intéressant de noter que les publicités de ces deux partis politiques qui mettent au
jour une polémique directe, coïncident en forme et en support. Le PRP, en guise de réponse à une publicité du
PJD qui utilise une photographie de l’Assemblée Nationale dont la moitié est vide – évidemment la moitié qui
consacrée aux députés du PRP - , donne une publicité dans les mêmes pages du même journal, sous la même
forme sauf le fond rouge qui correspond aux couleur de son emblème, avec le même style de discours et de
construction de phrases, mais cette fois-ci, en utilisant une photographie de l’Assemblée Nationale dont
l’autre moitié est vide.
Le PMN propose dans ses publicités une expression visuelle plutôt brutale et sèche. Dans une grande partie de
ses publicités, on aperçoit une image de papier déchiré sur lequel sont marqués les mots « capitulard »,
« affidé », « séparatiste ». Le parti suggère ainsi que selon une expression turque, « il déchirerait et jetterait »
tous ces problèmes. Une de ses publicités sur la terreur évoquant le sang séché par des taches rouges sur un
fond jaune est assez inconfortable. Même si les publicités où l’on voit la photographie du leader ont une
expression visuelle moins rude, dans les publicités du PMN l’expression visuelle est conforme à son discours
sévère et pessimiste :
1. La forme des textes
Si on désire effectuer une analyse de discours des publicités politiques, il est nécessaire de prendre en compte
la forme des textes afin de comprendre par quelles idées les partis attirent l’attention des électeurs. La
différence de contenu des messages est signalée par leur typographie, leur couleur et leur disposition dans la
page. Dans ces publicités politiques les caractères typographiques préférés sont ceux sans fioritures qui
reflètent, selon Joly, une idée de modernité (1993 : 98).
2. Les photographies
Même si les philosophes, depuis Platon, se défient de l’image et de sa dépendance, dans notre société celle-ci
occupe une place primordiale (Sontag 1999 : 80). Ainsi dans les publicités politiques on peut remarquer que
les images prévalent souvent sur les idées transmises par les paroles. Par conséquent, les photographies
utilisées dans les publicités politiques peuvent être éclairantes pour analyser les messages des partis
politiques.
Dans les publicités politiques turques, les photographies les plus utilisées sont celles du leader, de l’équipe du
parti politique, du peuple et de l’adversaire.
- Le leader : la fréquence d’utilisation de la photographie du leader, ainsi que l’interprétation de ses
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photographies fournissent des renseignements sur le parti politique. Les photographies qui occupent un large
espace sur l’ensemble de chaque publicité, affirment l’autorité de leader sur son parti et donnent l’impression
que voter pour le parti politique, signifie, d’abord, voter pour le leader.
L’ensemble des signes que le leader produit consciemment ou inconsciemment par l’intermédiaire de son
corps, de ses gestes et de son habillement peut être considéré comme son discours ou du moins comme un
prolongement de son discours.
Les trois leaders sont habillés de manière classique avec costume et cravate, par conséquent ils incarnent
l’image de l’homme politique traditionnel et sérieux. Le leader du PMN est toujours photographié seul. Dans
la plupart des publicités du PJD, on aperçoit le leader avec un regard vers l’horizon plein d’espoir et de
confiance, qui marche devant « son peuple », accompagné du slogan « On ne s’arrête pas, on continue la
route ». Cette image qui complète le slogan cherche aussi à attribuer au leader un air au-delà de la politique,
cette dernière ayant des connotations assez péjoratives en Turquie. Dans certaines affiches il salue le peuple
en levant la main. Il se positionne plutôt comme « un homme d’action », « un pionnier », avec son air ardent
et déterminé :
Le leader du PRP a comme particularité d’avoir un sourire plein d’espoir et de constance : c'est une des
expressions préférées des portraits de leader en ce qu'elle évoque la confiance du leader en soi-même et en ses
promesses et projets pour le pays. Dans la plupart des publicités de PRP, le leader sourit en regardant
l’objectif, avec ses lunettes sans monture qui reflètent une image moderne pour la Turquie. Devant lui se
trouve un groupe de gens occupant une place beaucoup plus modeste que celle du leader dans l’espace
publicitaire.
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La photographie du leader du PMN est utilisée dans plusieurs de ses publicités sur un fond bleu. Vu
l’expression visuelle et les couleurs lugubres des autres publicités du PMN, il est possible d’affirmer que les
photographies du leader symbolisent une certaine idée de clarté et d’espérance, tout en fondant une axe
d’opposition présent/futur qui coïncide avec des axes obscurité /clarté, désespoir/espoir. Le leader du PMN est
photographié de près, de sorte que l’expression de son visage soit bien mise en évidence, cette expression
sérieuse, un peu tendue, mais déterminée.
Parmi ces trois leaders, seul celui du PJD échappe dans une certaine mesure à l’image de l’homme politique
traditionnel en essayant d’incarner l’image du « vrai leader », du « guide du peuple ».
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L’adversaire : Parmi les publicités de ces trois partis politiques, c’est le PRP qui accorde la place la plus
grande aux photographies de l’adversaire, en faisant preuve d’une certaine créativité. Dans une de ses
publicités, il utilise une photographie publiée dans la presse pour dénoncer le premier ministre. Cette
photographie montre M. Erdogan, avant qu’il ne soit premier ministre, agenouillé devant le chef de
l’organisation Taliban qui commet des actes terroristes. Le PRP utilise aussi des photomontages et des dessins
qui représentent l’adversaire. Il construit une publicité ludique telle une affiche d’un film hollywoodien avec
les portraits du premier ministre et ses trois ministres -dont le ministre des Affaires étrangères qui deviendra
après les élections le Président de la République - comme les acteurs principaux du film intitulé « La Grande
Arnaque » que « PJD production a l’honneur de présenter », accompagné du commentaire « vous n’avez
jamais vu un tel film : l’histoire incroyable de quatre amis » et des arguments sur les corruptions faites par ces
quatre hommes politiques. Une autre publicité utilisant un dessin qui montre le Premier Ministre R. Tayyip
Erdogan aux mains levées comme s’il se rendait, avec le titre « voilà l’attitude de Tayyip contre la
terreur ».Cette Technique, comme le montre Mucchielli, utilise un des principes des la construction des
identités négatives (1972 : 78)
Le peuple : L’image du leader est souvent complétée par les gens qui l’entourent (Yücel 1997 : 225). Les
gens autour du leader constituent certes une très petite partie des électeurs, mais ils sont généralisés et
présentés comme l’ensemble de la population. Dans les publicités du PJD et PRP l’image de leader est
souvent complétée par l’image du peuple dont le seul droit est celui d’approuver et d’admirer le leader.
Dans les photographies l’image de ces deux leaders est située en haut ou devant l’image du peuple en gardant
une certaine distance probablement afin de souligner leur supériorité par rapport aux gens qu’ils sont censés
représenter. Par exemple dans les publicités du PRP le leader, tel un protecteur, est situé en haut du groupe de
gens qui représente selon le thème de la publicité, les femmes, les jeunes, les chômeurs. Ces gens souriants,
habillés généralement d’une manière moderne, regardent vers l’horizon avec plein d’espoir. Par contre dans
les publicités du PJD, l’image du peuple est floue, ce n’est qu’un groupe dont on aperçoit à peine les visages,
dont le seul désir est de suivre le leader. Toutefois il est possible de distinguer au premier rang les femmes
voilées ainsi que les non voilées. Nous pouvons prétendre que ces photographies est assez significative
puisqu’elles reflètent une image de l’univers politique turque : le peuple n’est pas censé contribuer aux
affaires politiques et avoir des idées politiques, il est seulement bon à voter et suivre le leader. Quant aux
publicités du PMN l’image du peuple n’existe guère.
3. L’emblème
En Turquie les emblèmes politiques ont une grande importance en raison des électeurs illettrés : ils
reconnaissent les partis politiques pour lesquels ils veulent voter à leur emblème présent sur le bulletin de
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vote. Dans les publicités politiques chaque parti utilise son emblème dans sa publicité, comme une sorte de
signature.
L’emblème du PJD est une ampoule formée des couleurs jaune et noir. Nous pouvons prétendre qu’à l’aide de
cet emblème, il introduit l'idée d'un avenir radieux incluant les concepts comme celui de l’espérance et de la
clarté. Dans ce sens, il s’oppose à ses rivaux sur les axes d’opposition de clarté/obscurité et
moralité/dégénération. Il faudra noter qu’un des partis concurrents a joué avec cette idée d’ampoule en
préparant des affiches sur lesquelles on voyait une ampoule noire.
Le PRP, le premier parti politique de la République, créé par Mustafa Kemal Atatürk, a un emblème composé
avec six flèches blanches sur un fond rouge. Les flèches expriment les principes du “républicanisme”, du
‘‘nationalisme”, du “populisme”, de “l’étatisme”, du “laïcisme” et du “révolutionnarisme” qui sont en même
temps les principes de kémalisme. Les flèches symbolisent aussi la vitesse et le développement.
Quant au PMN, le caractère “nationaliste” du parti est accentué avec un emblème composé de trois croissants
blancs sur un fond rouge. L’utilisation de trois croissants souligne aussi la grande ambition de ce parti
politique, celui de réaliser la grande union turco islamique ou selon le terme approprié des nationalistes,
« l’idéal Turan ». Le PMN utilise aussi l’expression symbolique avec la façon particulière de se saluer, de
serrer la main et une manière spéciale de laisser pousser les moustaches de ses sympathisants.
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B. Le sujet du discours
Le discours des publicités politiques est certainement mis au jour et travaillé par un groupe ou une agence de
publicité. Mais dans le texte publicitaire politique, on peut distinguer plusieurs sujets de discours: le leader, le
parti, le peuple, etc. Pour éviter les confusions, les sémioticiens veillent à distinguer les sujets du discours
(Greimas ; Landowski, 1979). Dans le but de préciser le sens du discours, nous chercherons à découvrir les
sujets du discours, en nous posant la question « qui parle ? »
1. Le leader
Le fait que le leader soit préféré souvent comme sujet du discours publicitaire, signe de son autorité sur les
membres du parti, prouve que la propagande du parti politique est fondée sur le charisme du leader. Par
exemple, dans certaines affiches du PJD la prépondérance du leader quasi-charismatique est accentuée par son
nom qui est situé en bas du texte, telle une signature. Cela crée l’illusion que le leader est le garant de ses
promesses. D’autre part le fait que le sujet du discours est souvent le leader, peut nous montrer aussi que le
parti est dénué de mécanisme démocratique, tandis que pour la plupart des électeurs, cela peut être considéré
même comme un avantage qui empêche les conflits au sein du parti. Mais dans les publicités du PRP et du
PMN, les leaders affirment leur domination par la voie de leur portrait utilisé assez souvent, ce qui donne
l’impression que les textes sont les sous-titres des photographies.
2. Le parti politique
Le fait que le parti politique est le sujet du discours donne l’impression qu’il fonctionne dans l’unanimité.
Cette notion de l’unanimité a une grande importance pour l’électeur turc pour lequel toute sorte de discussion
dans le parti a un effet nuisible et peut engendrer tous les malheurs dont les plus redoutés sont l’inflation et la
dévaluation de la monnaie turque ! En utilisant la troisième personne du singulier ou la première personne du
pluriel le texte justifie que le parti a un discours unique. D’autre part, dans la langue turque l’utilisation de la
troisième personne du singulier, - qui est d’ailleurs plus fréquent dans les textes que nous avons analysés évoquant les langages scientifiques et judiciaires, confère au discours une certaine dimension d’objectivité.
Dans toutes les publicités politiques du PJD et du PRP, dont le discours est fondé directement sur la
polémique, le sujet du discours est le parti, on évite d’utiliser la photographie ou même le nom du leader.
Dans ces conditions, il est raisonnable de se méfier d’employer le leader comme le sujet du discours, afin
d’éviter de donner l’impression qu’il s’agit d’un problème personnel entre les leaders. Dans les publicités du
PMN qui soulignent les « malheurs » de la Turquie, le parti politique apparaît très souvent comme le sujet du
discours.
3. Le sujet du discours « supposé »
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Plusieurs partis utilisent un sujet du discours « supposé » dans leurs publicités. Ce sujet est généralement le
peuple qui, unanimement, soutient le parti politique en question. Il peut être représenté même graphiquement,
sous forme d’une main qui appose le tampon sur le bulletin de vote, ce qui est le cas dans la plupart des
publicités du PJD. Dans la plupart des publicités politiques, un « oui » apparaît à la fin du texte, comme une
approbation des paroles du parti politique par le sujet « supposé » du discours, créant ainsi un « semblant de
dialogue» (Yücel 1998 : 128). Le PJD crée parfois un « dialogue unilatéral », en posant une question, et en
supposant que la réponse sera affirmative, on utilise l’image de bulletin de vote sur lequel est tamponnée la
réponse supposée des électeurs : « oui ». Le PRP non plus ne manque pas d’utiliser le sujet de discours
supposé dans certaines de ses publicités : il situe le « oui »en bas de son slogan préféré, « vote et protège la
république ». Par contre le PMN qui n’emploie pas l’image du peuple dans ses publicités, s’abstient aussi
d’utiliser le sujet du discours supposé.
L’utilisation des sujets du discours supposés paraît être une des stratégies des partis. Grâce à cette stratégie, il
est possible de créer l'impression que tous les électeurs vont voter pour ce parti, suivant en cela
instinctivement la majorité.
C. Le récepteur du discours
Les récepteurs du discours sont sans doute les électeurs, mais nous pouvons distinguer divers groupes
d’électeurs selon le discours du parti politique. Tous les partis d’opposition s’adressent aux électeurs
mécontents de la situation actuelle du pays. Le PJD a un discours qui s’adresse à tous les électeurs, même s’il
semble privilégier les femmes, les jeunes et les handicapés. Le PMN connu comme un parti ultranationaliste,
prétend s’adresser à tous les turcs « raisonnables » qui craignent la terreur et le séparatisme, qui veulent
affirmer leur « turquitude » au monde entier. Il précise aussi que les électeurs qui ont voté pour d’autres partis
politiques précédemment seront, en quelque sorte, pardonnés et pourront être les bienvenus parmi les
supporteurs du PMN. Le PRP se déclare comme le parti des pauvres et des classes non privilégiées, il promet
de protéger les opprimés et les petits commerçants tout en se méfiant de servir les intérêts des lobbies – en
formulant presque la même phrase utilisée par un parti politique de droite pour les élections précédentes -, de
garder les intérêts des jeunes, des femmes, des fermiers, des pauvres et des chômeurs.
D. L’anti-sujet
Un anti-sujet est une personne, un groupe de gens, un concept, ou une situation qui, pour réaliser sa quête, est
amené à s’opposer à la quête du sujet (Everaert-Desmedt, 2000 : 42). Dans les publicités politiques, il existe
toujours un anti-sujet tacite ou précis face au sujet du discours. Dans leurs relations mutuelles construites
selon le pouvoir politique, la gloire de l’un est la défaite de l’autre. En conséquence, préciser les
caractéristiques de l’anti-sujet éclaircirait le discours du parti politique.
Dans les publicités politiques faites pour les élections de 2007, les anti-sujets du discours des partis sont
surtout les groupes qui peuvent être vaincus facilement. Le PJD, accuse les partis du gouvernement précédent
lesquels, selon lui, n’ont pas fait assez d’effort pour régler les problèmes sociaux et économiques et il
s’oppose plutôt à son adversaire principal, le parti d’opposition PRP. Pour le PRP, le parti du gouvernement
(PJD) responsable de l’ordre social et politique de la Turquie, de la corruption et du sectarisme, est l’anti-sujet
et il sera facilement détrôné puisque le peuple aussi est opposé à cet ordre « anti-républicain». Dans le
discours publicitaire du PMN l’anti-sujet occupe une place prépondérante et un terrain assez large puisque le
monde entier, même l’histoire « auxquels la Turquie doit lancer un défi en déclarant sa volonté » sont les
principaux anti-sujets pour ce parti politique. Évidemment, le gouvernement « impuissant » du PJD, les
« capitulards », le séparatisme et la terreur aussi figurent parmi les adversaires du PMN.
Selon ces discours publicitaires, l’anti-sujet n’est jamais assez fort : pour l’anéantir, le vote des électeurs sera
suffisant. Cette attitude vise à empêcher de réfléchir sur les problèmes.
II. LE CONTENU DE LA PUBLICITÉ POLITIQUE
Dans cette partie du travail, nous chercherons à découvrir comment les partis politiques se présentent
eux-mêmes, présentent leurs idées sur la Turquie actuelle, et nous analyserons le contenu des messages
transmis par les partis politiques.
A. Le parti politique
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L’analyse des différences conduit à dégager les oppositions binaires qui permettent de définir par les traits
pertinents, les termes et les axes de l’opposition (Fontanille 2003 : 53). Dans le but d’analyser le discours des
partis politiques sur eux-mêmes, nous avons profité des oppositions et des contradictions établies par leurs
discours publicitaires, entre eux-mêmes et leurs adversaires.
Le PJD se définit comme la confiance, la stabilité et la consistance et le parti qui « inaugure les nouveautés»,
s’organise autour des axes d’opposition confiance/défiance, stabilité/chaos, nouveauté/ancienneté. Il accentue
le fait qu’il se distingue de ses adversaires en tant que « l’espoir de la jeunesse », « l’espoir des femmes »,
« l’espoir des handicapés ». Il cherche aussi se présenter comme « le parti de la nation ». Dans une de ses
publicités, il utilise comme sous- titre de son texte publicitaire une maxime de Mustafa Kemal Atatürk,
inscrite sur le mur de l’assemblée Nationale : « la souveraineté appartient inconditionnellement au peuple ».
Une des affiches montre le leader levant sa main et disant « Assez. La décision appartient au peuple ». Cela
fait référence aussi à une de l’affiche la plus connue de la vie politique turque qui a été utilisée en 1950 par le
parti d’opposition, au début de la période multipartite et qui a eu un grand succès. Cette affiche montrait une
image d’une main accompagnée du slogan, « Assez. La parole appartient au peuple » signifiant l’affrontement
contre le gouvernement « kémaliste » de l’époque. Ainsi, le PJD reprend ce thème pour répondre aux
protestations laïques au sujet de l’élection du président de la république, ce qui lui sert aussi de créer un axe
d’opposition pour la nation/contre la nation, entre les kémalistes et lui-même. Il s’organise aussi autour de
l’axe passé/avenir, grâce au slogan « que notre avenir gagne ».
Le PRP profite de son nom (Parti Républicain du Peuple) pour s’identifier avec la République et le peuple. Il
utilise les slogans « cette fois-ci, c’est la République qui gagnera » et « cette fois-ci c’est le peuple qui
gagnera », en conséquence il s’oppose aux autres partis politiques, surtout au PJD sur l’axe républicain/antirépublicain, peuple/ennemi du peuple. Donc le PRP revendique en quelque sorte le rôle de « sauveur du
peuple et de la République ». En outre, en se distinguant en tant qu’un parti politique « honnête » tout en
critiquant les affaires suspectes des membres du parti gouvernemental, il s’oppose à lui sur l’axe de
l’honnêteté/corruption.
Le PMN qui est en quête d’une identité politique après la mort de son leader Türkeş qualifié comme
«généralissime» s’empresse de se définir plus que ses rivaux. Il se présente avant tout comme une « réponse à
donner » « au capitulard, au gouvernement impuissant, à la terreur, au séparatiste, à l’affidé » et par delà, « au
reste du monde ». Il se sert aussi des oppositions confiance/défiance, passé/avenir, intégrité/séparation
puisqu’il se définit en tant que « l’intégrité de notre pays », « l’avenir de nos enfants », « la sérénité et la
confiance ». L’opposition fort/faible aussi qu’il accentue avec le slogan « pouvoir fort, Etat fort » est un des
thèmes dominants de son discours. En effet le PMN, en raison de l’idéologie nationaliste qu’il représente, se
veut le porteur exclusif de ses valeurs.
B. Les opinions des partis politiques sur la Turquie
Les partis expriment leurs opinions sur la Turquie à l’aide de différents types de discours. Dans les publicités
politiques que nous avons relevées, nous avons constaté que les types de discours utilisés fréquemment sont
l’affirmation, le projet, la polémique et l’appel.
1. L’affirmation
Du fait que les partis politiques ignorent le soupçon, l’affirmation apparaît comme un type de discours
dominant dans les publicités politiques. Le PJD emploie l’affirmation comme type de discours surtout en
énumérant ses accomplissements comme ses prétendues réussites économiques, comme par exemple
l’annulation des six zéros de la livre turque et la réalisation de certains projets pour les jeunes, les femmes et
les handicapés. En outre, le PJD utilise un tel discours affirmatif qui présente les projets comme des
accomplissements. Il affirme aussi que « la Turquie se trouve au seuil d’un avenir rayonnant » et « qu’on
couronnera le reste tous ensemble ». Le PRP précise que les femmes, les jeunes, les chômeurs, les opprimés,
les commerçants, les fermiers, ainsi qu’une politique extérieure digne gagneront en même temps que lui. Le
PMN qui emploie les slogans « le PMN au pouvoir, seul » et « une seule réponse suffit », affirme qu’être au
pouvoir serait un défi lancé au reste du monde. Selon le discours du PMN, cette « réponse suffisante » est le
seul remède pour « mettre à la poubelle les plans de Sèvres 2 », pour « ne pas se rendre malgré les
capitulards », pour « protéger notre fraternité de mille ans ».
Tchakotine (1952 : 131) précise que la répétition joue un rôle important dans tous les réflexes conditionnés
ainsi que dans la publicité. Dans la publicité politique aussi la répétition persistante des paroles et des
arguments, qui est un genre de l’affirmation, confère au discours une certitude et une fermeté, et de ce fait elle
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est souvent utilisée par tous les partis. Ainsi, les arguments « maintenant c’est le temps du PRP », « le PMN
au pouvoir seul », « une seule réponse suffit », « on ne s’arrête pas, on continue la route » évitent tout
soupçon, même si les partis politiques ne connaissent pas le soupçon.
2. Le projet
Les partis utilisent un discours sous forme de projet, en expliquant ce qu’ils envisagent de réaliser. Le PJD
donne l’impression d’avoir pleins de projets concernant surtout les couches défavorisées de la société. Il
accentue l’importance qu’il donne à l’entreprise individuelle avec ses projets sur « l’encouragement des
femmes et des jeunes à fonder leur propres entreprise ». Il annonce « qu’il mettra en pratique dans la nouvelle
période » ses projets de fonder des foyers d’étudiants et de former les sportifs. Pour le PJD les projets
constituent la suite de ses accomplissements.
Le PRP conçoit une « loi de morale politique » pour que « le peuple puisse demander, s’il le faut, des
comptes aux représentant qu’il élit ». Dans les publicités consacrées à İstanbul il propose « un modèle
d’administration moderne, efficace et transparente propre aux mégapoles ». Il promet de réaliser « une
reforme d’éducation » et de supprimer le concours national pour aller à l’université, de « résoudre le problème
de chômage grâce aux projets très concrets et sérieux », de protéger les femmes, les opprimés, les
commerçants, les fermiers. Par contre ce que le PRP propose sous le titre « Voilà les solutions », ne sont que
des promesses qui ne donnent pas d’idées sur « ces solutions » probables.
Le projet du PMN est avant tout un avenir où « les capitulards » et « la terreur » n’existeraient pas, où « les
mères ne s’inquièteraient pas », où « les enfants de ce pays seraient heureux, assurés du lendemain ».
Toutefois ces projets sont en effet des critiques contre l’ordre établi. Les partis politiques parlent des projets
tout en se gardant d’expliquer comment ils les mettraient en acte et par quels moyens ils résoudraient les
problèmes.
3. La polémique
La polémique a une place considérable dans les discours du PRP et du PMN, le PJD aussi a recours parfois à
la polémique. Le PJD dans sa publicité intitulée « Vous, vous votez pour qui ? », il accuse les partis
d’opposition et les gouvernements précédents de « chercher à tirer de profit du sang des martyrs », de « rendre
la monnaie turque la monnaie la plus faible du monde » et de faire « baisser la tête de la Turquie ».
Dans une ses publicités, le PRP en utilisant une méthode que l’on pourrait appeler « la publicité dans la
publicité » et « le discours dans le discours », crée une polémique en utilisant le procédé du photomontage. Il
emploie une affiche publicitaire du PJD où le sujet du discours affirme « je peux recevoir des soins dans
l’hôpital que je veux », comme une affiche placée juste dans la rue où les patients forment une longue queue
devant l’hôpital. Le PRP fait aussi un commentaire sur cette image en faisant allusion à une phrase du premier
ministre leader du PJD adressée, pendant une des ses visites en Anatolie, à un fermier qui exprime sa pauvreté
en disant selon une expression de la langue turque « ma mère pleure », « prends ta mère et barre-toi d’ici ».
Ainsi dans cette publicité le PRP dit à son adversaire principal « prends ton mensonge et barre-toi d’ici » :
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En outre le PRP et le PJD utilisent les publicités comme un moyen de s’accuser et se défendre
réciproquement. Nous pouvons donner l’exemple de ces deux publicités ayant une forme identique, dont l’une
est du PJD et l’autre est du PRP, qui s’accusent mutuellement de ne pas avoir été présents dans l’Assemblée
Nationale quand il s’agissait de discuter des problèmes importants du pays : subséquemment ils se critiquent
sur les axes d’opposition présence/absence, travailler pour le peuple/ne pas travailler pour le peuple. Le PRP
poursuit cette polémique dans d’autres publicités, notamment dans l’une qui montre son leader assis à coté
d’un fauteuil vide dans un studio de programme télévisé, posant la question « moi je suis là, toi où es-tu ? ». Il
nous faut souligner que le titre de ce programme télévisé « Er Meydani » (champs de bataille, « er » signifiant
la virilité associée au courage et l’honnêteté selon la culture turque) est plein de connotation. Le mot « er »
suggère les axes d’opposition viril/pas viril, conséquemment courageux/peureux, honnête/malhonnête.
Surtout vers la fin de sa campagne publicitaire, le PRP témoigne de son intérêt pour un discours de type
polémique, assez sarcastique d’ailleurs, dans le but d’accuser le gouvernement d’impuissance et de corruption.
Le discours du PMN est fondé sur la polémique qui consiste à accuser « les autres », parmi lesquels
évidemment se trouve le PJD, de la situation de la Turquie qui, selon lui, est apocalyptique. En affirmant que
les autres gouvernements « ont jeté dans la rue nos enfants et notre pays », il désigne « la rue » aussi comme
un ennemi et précise que « nous n’avons pas trouvé dans la rue nos enfants et notre pays, nous ne les rendrons
pas à la rue », faisant allusion au PKK. Le discours du PMN est assez limité, tandis qu’il est possible de
constater des similarités avec le discours polémique du PRP, tous les deux accusant le gouvernement de son
impuissance et d’être un « capitulard ».
4. L’appel
Généralement les partis politiques emploient l’appel comme un genre de discours pour s’adresser aux
électeurs. D’ailleurs, pour son avenir, le seul travail qu’on attend de la part des électeurs est de voter: en
votant ils sauveront le pays.
Le PJD, tel un conseiller financier, s’adresse aux électeurs dans toutes ses publicités avec le slogan « ne perd
pas cinq ans, gagne encore plus » et « que la Turquie gagne, que notre nation gagne, que notre avenir gagne ».
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Dans le discours publicitaire du PJD, les questions aussi sont utilisées fréquemment, il demande par exemple
à l’électeur « et vous, vous votez pour qui ? ». Selon Canetti, « la question » est significative du point de vue
du pouvoir, puisque chaque réponse donnée suggère une certaine soumission (1998 : 288). Toutefois les partis
politiques n’attendent pas une réponse, ils montrent une image de bulletin de vote portant leur emblème avec
l’estampille d’un oui, située au fond de l’espace publicitaire. Le PMN construit son appel avec le slogan
« pour ton pays, tu dois faire venir le PMN au pouvoir seul » et le PRP fait l’appel aux électeurs en disant
« vote et protège la république ».
CONCLUSION
La propagande politique en Turquie est, depuis une vingtaine d’années, basée sur le spectacle. De même,
dans les publicités faites pour les élections générales de 2007, le spectacle occupe le premier rang en laissant
peu de place à la parole. Les partis politiques cherchent à se différencier sur les axes d’opposition : mais ces
concepts ne sont pas vraiment suffisants pour éclaircir le point de vue politique de ces partis. En outre,
l’analyse de discours de ces partis nous montre qu’ils préfèrent plutôt s’adresser aux électeurs plus ou moins
éloignés de l’univers politique, qui prennent leurs décisions concernant les élections au fil de leur
pressentiment et de leurs préjugés.
Dans ces publicités politiques, on va jusqu’à anthropomorphiser le parti, surtout en lui attribuant la
personnalité supposée du leader. Ce choix aussi aide à s’éloigner des opinions politiques et des sujets comme
le programme des partis, en appelant les électeurs à se focaliser sur les jugements de valeurs apportés sur ces
personnalités. Par la croyance que la répétition rendra vrai ce qu’on répète, les mêmes mots, les mêmes
phrases, les mêmes slogans se répètent dans toutes les publicités. C’est pour cela qu’il n’existe presque pas
d’idées dans ces publicités.
Dans les publicités du PJD le thème dominant est le mouvement, le dynamisme et le changement. Le slogan
« On ne s’arrête pas, on continue la route » et les photographies qui montre le leader marcher, contribuent à
renforcer cette idée. Par contre le PRP affirme son intention de protéger la République, de préserver l’ordre
social et politique, les acquis de la République. Même si ce qu’il prétend préserver sont les valeurs de la
laïcité, la modernité et la démocratie, il est souvent accusé de « vouloir conserver le statu quo ». Le thème
principal du discours publicitaire du PMN où la dysphorie règne, est que la patrie est en péril et que lui seul,
serait capable de la sauver. Ces deux partis politiques ont des discours basés sur l’argument de préserver et de
sauver la nation qui sont parfois en cohérence, surtout quant à l’idée que le pays est en danger, tandis que le
discours quelque peu euphorique du PJD favorise le changement à tout prix.
Les partis politiques cherchent à se différencier sur les axes d’opposition stabilité/instabilité, faible/fort,
passé/avenir, honnête/malhonnête, peureux/courageux et sur les axes de contradiction peuple/non peuple,
intégrité/séparatisme, république/non- république. Dans les publicités faites pour les élections législatives de
2007, le spectacle occupe bien le premier rang en laissant peu de place à la parole. Il s’agit d’un discours
tronqué, essentiellement fondé sur les clichés, les accusations et les images, et apparemment dénué
d’idéologie. Mais l’idéologie, comme nous avons pu le constater, est très clairement exprimée au travers de la
mise en forme, du choix des icônes et des emblèmes, voire aussi du choix des mots.
Liste des références bibliographiques
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Roudledge London.
CANETTİ, Elias (1998), Kitle ve İktidar (trad.Gülşat Aygen), Ed. Ayrinti, Istanbul
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FONTANILLE, Jacques (2003), Sémiotique du discours, Pulim, Limoges.
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JOLY, Martin (1993), Introduction à l’analyse de l’image, Nathan, Paris.
MESSARIS, Paul (1997), Visual Persuasion: The Role of Images in Advertising, Sage Publications, California.
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TCHAKOTINE, Serge (1952), Le Viol des foules par la propagande Politique, Gallimard, Paris.
YÜCEL, Tahsin (1997), Alıntılar, Yapı Kredi, İstanbul.
YÜCEL, Tahsin (1998), Söylemlerin İçinden, Yapı Kredi, İstanbul.
Notes de bas de page
1 Résultat des élections législatives du 22 juillet 2007. Le parti AKP ayant remporté la majorité absolue confirme sa
position au pouvoir. CHP et MHP sont les partis de l’opposition à l’Assemblée Nationale. Sur les 550 membres de
l’Assemblée, il y a 27 nouveaux députés indépendants. Des 15 partis ayant participé aux élections, trois seulement ont
obtenu le pourcentage de voix nécessaires et sont entrés au Parlement. AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) - Parti de la
Justice et du Développement 46.47 % 341 sièges, CHP (Cumhuriyet Halk Partisi) - Parti Républicain du Peuple (socialdémocrate) 20.85 % 112 sièges, MHP (Milliyetçi Hareket Partisi) - Parti d’Action Nationaliste 14.29 % 71 sièges,
Indépendants 27 sièges. Le Parti de la justice et du développement est le parti qui est au pouvoir depuis les élections de
2002. Ce parti qui a été fondé au mois d’août 2002, est devenu le premier parti aux élections du novembre. Son nom est
souvent abrégé en AK Parti, ce qui signifie “parti blanc”. Ce parti se présente comme étant de centre-droit avec des racines
islamiques. Sa référence religieuse constitue un atout important. Mais ses opposants craignent qu’il ne soit une façade pour
les islamistes ou du moins pour les anti-laïcs et s’inquiètent de la menace qu’il porterait à la laïcité du pays. Le Parti
Républicain du Peuple: créé en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk et actuellement dirigé par Deniz Baykal. Il se présente
comme un parti de centre-gauche bien que son programme et son leader soient en faveur d'une politique économique
libérale. Il lui arrive de soutenir de temps en temps la reconnaissance formelle des droits culturels et linguistiques des
kurdes, mais il est souvent en désaccord avec le parti du gouvernement qu’il ne trouve pas assez nationaliste. Le Parti du
Mouvement Nationaliste est le parti ultranationaliste (également connu sous le nom de « Loups Gris ») fondé en 1969 par
feu Alparslan Türkes. Structuré comme une organisation paramilitaire, le MHP était largement responsable de l'escalade de
la violence à la fin des années 70 (environ 5.000 victimes). Le MHP fut dissous après le coup d'Etat de 1980 pendant que
Türkes et d'autres étaient emprisonnés au début des années 80 pour le meurtre de plusieurs personnalités publiques. En
1995, Türkes est autorisé à reconstituer le MHP et à prendre part aux élections législatives qui font gagner au parti 8,5%
des votes. Le MHP est devenu, avec 129 sièges et plus de 18% des voix, le deuxième parti politique de Turquie après les
élections d'avril 1999. Après la mort de Türkeş, considéré comme le leader naturel du parti et des Loups Gris, un
enseignant d’université, Devlet Bahçeli qui a un discours plus modéré est élu comme leader du Parti du Mouvement
Nationaliste.
2 L’empire ottoman est vaincu lors de la guerre de 1914-1918. Un démembrement de l'empire ottoman est ainsi envisagé
lors du traité de paix signé à Sèvres par le sultan en 1920.
Pour citer cet article
YÛCEL Halime. Signes et discours dans les publicités politiques : une analyse du discours des publicités
politiques faites par les partis politiques. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et
discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revuesignes.info/document.php?id=1672. ISSN 1308-8378.
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Article
« La lettre de Paul Biya aux Camerounais » : de la communication
politique à la politique de communication
Edgard ABESSO ZAMBO, Institut des langues et littératures étrangères, Université de Bergen, Norvège
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
Après 27 ans de communication politique par la radio et de la télévision, le président camerounais Paul Biya
rompt avec cette tradition le 5 novembre 2009 en s’adressant au Camerounais par le biais d’une lettre. Le fait
qualifié d’« inédit » a lieu à l’occasion de la célébration des 27 ans de son accession à la magistrature suprême.
Au départ une intention certaine de « parler de l’avenir du Cameroun » aux Camerounais, la sortie épistolaire du
président camerounais, qui était destinée à être publiée par la presse, sera davantage commentée par les médias
du point de vue du mode de communication. Cet article vise à montrer, à partir de quelques titres et
commentaires des médias, que la lettre présidentielle, inscrite dans la logique de la communication politique, a
surtout connu, par le rôle des médias, l’écho d’une nouvelle politique de communication.
Abstract
For 27 years, Cameroon’s President Paul Biya used radio and television as the only channel of political
communication. He broke with this tradition on 5 November 2009 when he chose to address the Cameroonian
people through a letter. The event, which was qualified as unusual, occurred during the celebration of the 27th
anniversary of Paul Biya as Cameroon’s President. The President’s intent was to talk about the future of
Cameroon. The media however were more interested in the letter, which was published in the press, as a new
communication mode. In this article, some media titles and comments will be analysed with the aim of
showing that the President’s letter lies within the mainstream of political communication and that its acclaimed
novelty is due solely to the method of communication used.
Table des matières
I. COMMUNICATION ET COMMUNICATION POLITIQUE : APERÇU THÉORIQUE
II. LA COMMUNICATION POLITIQUE AU CAMEROUN DE 1982 À 2009
A. La communication politique ordinaire
B. La communication politique circonstancielle
C. Réactions et commentaires médiatiques
III. LA LETTRE DU 5 NOVEMBRE : UNE NOUVELLE POLITIQUE DE COMMUNICATION ?
A. Qu’est-ce que la lettre du 5 novembre ?
B. La politique de communication
C. La lettre : une politique de communication
D. Réactions et commentaires médiatiques
E. Illustration de la communication épistolaire du 5 novembre 2009
1. De Paul Biya aux Camerounais : la communication politique
2. Du Secrétaire général du RDPC aux médias : vers la politique de communication
3. Des médias aux populations : une confirmation de la politique de communication
EN GUISE DE CONCLUSION
ANNEXE : INTÉGRALITÉ DE LA LETTRE DE PAUL BIYA
Texte intégral
La communication est présentée comme un fait inhérent à l’exercice du pouvoir en démocratie, le leader
politique devant échanger avec le peuple qu’il dirige. La communication politique évolue cependant avec le
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temps et la dynamique des sociétés qui impliquent entre autres, le développement des moyens de
communication. La politique, les médias et la société deviennent donc intimement liés. S’il est vrai que la
communication politique se rapporte presque à tous les facteurs de la communication qui œuvrent pour sa
réalisation effective, il n’en demeure pas moins que la communication politique met un point d’honneur sur le
message, le canal et les destinataires. Au Cameroun, depuis 1982, la communication politique du président
Paul Biya, dont le contenu repose principalement sur l’unité nationale, le développement, la rigueur et la
moralisation, passe par des discours radiotélévisés et quelques interviews lors des sorties exceptionnelles.
Rompant avec cette tradition, à l’occasion de la célébration de ses 27 ans au pouvoir, le président Paul Biya,
contre toute attente, revient à un mode de communication aujourd’hui peu fréquent en politique 1 , en
adressant une lettre aux Camerounais le 05 novembre 2009, par le biais de la presse écrite, publique et privée.
Fait qualifié d’« inédit » dans la politique habituelle de communication de Paul Biya.
Cet article vise à montrer que ce qui a été nommé « la lettre de Paul Biya aux Camerounais » marque un
passage de la communication politique à la politique de communication à deux niveaux. Dans un premier
temps, en soulignant devant la presse camerounaise – qu’il recevait à l’occasion – que la nouvelle méthode du
président vise à rompre avec « une tradition de primeur et de monopole à la radio-télévision », le Secrétaire
général du R.D.P.C 2 met l’accent, non plus sur le message, mais sur le canal, davantage sur la méthode de
communication que sur la communication elle-même. Dans un second temps, la presse, chargée de
transmettre la lettre, a transmis à la population, non seulement le contenu de la lettre, mais surtout, le fait pour
le président d’avoir exceptionnellement communiqué par lettre.
Notre corpus est constitué de la lettre susmentionnée et des titres de trois quotidiens camerounais écrits que
3
sont Cameroon Tribune, Le Messager, Mutations d’une part, et des titres la CRTV radio d’autre part.
L’analyse aura pour principale base théorique le modèle communicationnel de Roman Jakobson (1963).
I. COMMUNICATION ET COMMUNICATION POLITIQUE : APERÇU THÉORIQUE
La littérature sur la communication n’est pas des moindres en sciences sociales. Elle a bien évolué dans le
temps avec une remise en question permanente des modèles de communication définis suite à l’évolution des
technologies de la communication (Meunier v.d. 2004). Le modèle Shannon et Weaver (1975) réduit le
processus de communication à la seule transmission de l’information et met l’accent sur la résolution des
problèmes de transmission télégraphique. Ce modèle qui a le mérite de chercher à rendre la communication
plus claire entre la source et le destinataire, est cependant loin de pouvoir s’appliquer à plusieurs situations de
communication.
Harold D. Lasswell propose un modèle de communication plus complet qui tend à répondre à la question
« Qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet ? ». Problématique qui dépasse le modèle linéaire de
Shannon et Weaver, mais qui pèche par son unidirectionnalité excluant toute interaction dans le processus de
communication.
Comme conscient de ce manque de retour dans les deux modèles, Riley introduit dans le processus de
communication, les notions de contexte et de feedback. La communication devient donc une activité
interactive où tous les facteurs en présence s’influencent mutuellement (Lendrevie, Emprun 2008).
Roman Jakobson (1963) dépasse les conceptions mécanistes de la communication en étudiant les échanges
langagiers. Ce modèle qui porte une attention particulière sur le message, considéré comme central à toute
communication relève que six facteurs sont nécessaires pour l’effectivité d’une communication verbale : le
destinateur, le message, le contexte, le contact, le code et le destinataire. Jakobson parvient par ailleurs à
trouver que chaque facteur de la communication remplie une fonction précise. Ainsi, la fonction expressive
revient au destinateur ; la fonction conative, au destinataire ; la fonction phatique, au contact ou canal ; la
fonction métalinguistique, au code ; la fonction référentielle, au contact ; et la fonction poétique, au message.
Expressive, interactive et détaillée, la communication jakobsonienne aura permis d’envisager une étude de la
communication sous l’angle des rapports de la transmission du message aux modèles de relation (Lohisse
2006). La prise en compte des sujets interactants et du contexte fait de ce modèle, celui qui s’appliquerait
mieux à l’analyse des discours tels le discours politique.
La communication politique est un champ interdisciplinaire dont l’institutionnalisation date de 1970 (Gingras
2003). Au fil du temps, la saisie définitionnelle de la communication politique, comme acte de
communication, a connu une évolution que Cédric Morel (2007), citant Wolton, résume en relevant que :
Au départ, la communication politique désignait « l’étude de la communication du gouvernement vers
l’électorat » ; puis « l’échange des discours politiques entre la majorité de l’opposition ». Plus tard, cette notion
de communication politique s’est élargie à « l’étude du rôle des médias dans la formation de l’opinion publique »,
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et à « l’influence des sondages sur la vie politique ». Aujourd’hui, la communication politique correspond à
l’étude du « rôle de la communication dans la vie politique » (…) Dominique Wolton opte pour une définition
plus précise : la communication politique est pour lui « l’espace où s’échangent les discours contradictoires des
trois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer publiquement sur la politique et qui sont les hommes politiques, les
journalistes et l’opinion publique à travers les sondages ».
Si l’on peut noter un certain nombre de divergences dans ces approches définitionnelles, il est cependant
constant que la notion de communication politique implique la transmission d’un message entre les acteurs de
la vie politique que sont les leaders politiques, les médias et l’opinion publique. Autrement dit, la
communication politique sous-entend le souci de faire passer efficacement un message à des destinataires
(Arcan v.d. 1995).
Au vu de ce qui précède, on est en droit de dire que la communication politique en tant que processus de
transmission de message par le canal des médias, obéit aux exigences de la communication d’une manière
générale. Autrement dit, « l’intérêt et les enjeux liés à la communication politique s’inscrivent donc dans la
temporalité certaine, puisque le cœur de ce champ interdisciplinaire, c’est la communication comme nécessité
dans l’exercice du pouvoir (…) La consubstantialité du pouvoir et de la communication apparaît à toutes les
époques et pour tous les types de gouverne. Avant même qu’existent les systèmes politiques représentatifs, le
consentement de la population s’avérait essentiel au maintien de l’ordre public et la communication constituait
un des ingrédients essentiels à la cohésion minimale de toute communauté politique » (Gingras 2003 :3). Se
posant ainsi comme une nécessité dans l’exercice du pouvoir, « la communication politique traduit
l’importance de la communication dans la politique, non pas au sens d’une disparition des affrontements, mais
au contraire au sens où l’affrontement qui est le propre de la politique se fait aujourd’hui dans les démocraties,
sur le mode communicationnel, c’est-à-dire finalement en reconnaissant ‘‘l’autre’’ » (Wolton 1989 : 29).
II. LA COMMUNICATION POLITIQUE AU CAMEROUN DE 1982 À 2009
Nous parlerons de communication politique ici comme toute la production discursive politique dans laquelle
le Président Paul Biya s’adresse aux Camerounais depuis son accession au pouvoir en 1982. C’est donc la
communication politique au sens où l’entend plus simplement Dominique Wolton (1989 : 28) : « toute
communication qui a pour objet la politique ». Plus précisément, le lieu où « le sujet politique s’exprime dans
l’espace public en utilisant la communication politique qui repose sur l’adhésion de l’émetteur au signifiant,
en quelque sorte au message qu’il délivre » (Georis 2005 : 5). L’analyse que nous allons faire ici ne vise
cependant pas à étudier les stratégies discurso-communicatives, autrement dit, les moyens verbaux et
para-verbaux qui entrent en action pour rendre sa communication politique plus efficiente. Le but de cette
analyse consiste plutôt à montrer qu’au cours de cette période, le discours politique a constitué une véritable
communication politique. La communication politique ici étant synonyme d’un discours qui met l’accent sur
la pertinence du message. Cette manière de voir rentre en droite ligne du souci de montrer la différence entre
les communications politiques de la période sus évoquée, et le cas qui s’est produit en novembre 2009 avec la
nouvelle méthode de communication par lettre.
Notons que la communication politique au Cameroun peut être divisée en deux catégories : la communication
politique ordinaire et la communication politique circonstancielle.
A. La communication politique ordinaire
La communication politique ordinaire renvoie aux discours qualifiés souvent de « traditionnels » en raison de
leur statut institutionnel. Il s’agit des sortis médiatiques attendus et prévus dans le fonctionnement politique du
Cameroun :
Le discours du 31 décembre : C’est une sortie médiatique du président, qui fait l’objet de plusieurs
attentes aussi bien des populations que des leaders de l’opposition. Le discours de fin d’année fait
généralement le bilan des réalisations de l’année écoulée, au même moment qu’il doit donner des
perspectives d’avenir.
Le discours à la jeunesse : Il est annuellement prononcé le 10 février, à la veille de la fête nationale de
la jeunesse camerounaise. Comme dans le précédent, ici, le président présente les réalisations de l’Etat
au profit de la jeunesse camerounaise, en même temps qu’il lui prodigue des conseils.
Le discours devant le corps diplomatique : Il est aussi rituel que les deux premiers, et a lieu lors de la
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présentation des vœux au président de la République, par le corps diplomatique. Il est donc présenté
chaque début du mois de janvier.
Comme on peut le constater, ces discours qui n’ont rien de spectaculaires de par le moment et le canal par
lequel ils sont transmis, ne sont commentés et communiqués par les médias que du point de vue de leur
contenu, et donc du message qu’ils véhiculent et qui doit être communiqué aux populations. Aussi, jamais on
ne s’est interrogé sur le fait par exemple que la communication du président passe par la télévision ou la radio.
Tout se passe au contraire comme s’il était de l’ordre des choses que cela se passe ainsi.
B. La communication politique circonstancielle
La communication politique circonstancielle au Cameroun concerne les sorties de communications
exceptionnelles dues, soit à un évènement national ou international, soit à une situation de crise.
Dans la rubrique des événements nationaux, le président Paul Biya a souvent prononcé des discours à
l’occasion des échéances électorales. Dans cet ordre d’idées, il peut notamment s’agir d’une sortie au cours de
laquelle le président choisit de s’adresser à une région dans la perspective de la campagne électorale.
Quant aux situations de crise, il arrive souvent que le président Paul Biya prenne la parole pour répondre à un
besoin donné. C’est le cas de sa sortie en février 2008 lors des événements qualifiés d’« émeutes de la faim »
au Cameroun, où Biya a communiqué aux Camerounais pour les appeler au calme et à plus de responsabilité.
Les autres sorties concernent des allocutions au cours des sommets des organisations régionales,
sous-régionales ou internationales.
Comme nous l’avons souligné plus haut, l’intérêt accordé à la communication politique de Paul Biya depuis
1982, repose sur le fait que, seul le message du discours fait l’objet des commentaires médiatiques.
C. Réactions et commentaires médiatiques
L’exercice du pouvoir politique est, de nos jours, indissociables des médias. Les exigences démocratiques
montrent d’ailleurs que le rôle joué par les médias en termes de transmission du message politique est
déterminant pour la survie des démocraties. Parlant de ce rôle des médias, Wolton (1989 : 35) note que leur
« légitimité est liée à l’information qui a un statut évidemment fragile puisqu’il s’agit d’une valeur, certes
essentielle, mais contournable qui autorise à faire le récit des événements et à exercer un certain droit de
critique. Ils observent et relatent les faits de la politique sans pouvoir eux-mêmes en faire. Ils sont les face à
face des hommes politiques ».
Le Cameroun qui est entré dans la mouvance de la liberté de la presse suite au vent de la liberté d’expression
démocratique et au multipartisme depuis les années 1990 ne désobéit pas à cette logique. Au contraire, il se
présente comme un modèle politique de liberté dans la sous région Afrique Centrale. C’est dire que la presse
aussi bien publique que privée y joue un rôle prépondérant dans la communication politique. Aussi, la presse
n’a cessé de relayer et commenter les discours politiques du président Paul Biya. Nous présentons dans les
lignes ci-après, quelques titres et commentaires de la presse sur la communication politique du président
camerounais.
Après le discours du président camerounais du 31 décembre 2005, Mutations titre dans son édition du 03
janvier 2006 : « Paul Biya : Commentaire et analyse d’un discours ». Dans un article d’Alain Blaise
Batongué, on peut lire :
« Les nouveaux ambassadeurs d’Espagne, de Grèce ou d’Egypte, peu habitués aux subtilités de la politique
camerounaise et qui viennent tout juste de présenter leurs lettres de créance ont dû être impressionnés le 31
décembre dernier par la texture du message présidentiel de fin d’année délivré par le chef de l’Etat. Dans une
posture debout qui lui est désormais coutumière pour indiquer sa robustesse, accompagnant souvent par le geste
certains propos forts, Paul Biya a surtout dénoncé les deux travers qui empêchent un bon fonctionnement de notre
pays : la bureaucratie et l’inefficacité de notre administration à travers ces hauts responsables qui s’enlisent dans
de stériles querelles de personnes ou de compétences, et surtout la corruption ».
Les commentaires et réactions, faut-il le souligner, dépendent toutefois de l’idéologie politique. Si certains
commentent objectivement le message politique de Biya, d’autres, à l’instar des leaders de l’opposition,
n’hésitent pas à le débiner. Xavier Luc Deutchoua, journaliste, après avoir interrogé les leaders des partis
d’opposition que sont l’UPC 4 , le SDF 5 et le MANIDEM 6 , souligne que :
Les trois responsables de parti estiment que le Président de la République est passé à côté des vrais sujets de
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préoccupations. Ekane énumère quelques questions qui, à son opinion, fâchent les Camerounais: l’intégration des
Instituteurs vacataires, la répression fiscale, le chômage croissant des diplômés de l’enseignement supérieur,
l’insolvabilité de la caisse d’épargne postale, l’impunité dont jouissent les détournements de fonds publics, le non
payement des droits des employés licenciés. Hilaire Hamekoue allonge la liste des thèmes sur lesquels, selon lui,
le public attendait une initiative du Président Biya: les droits universitaires, le problème anglophone
l’amélioration du processus électoral. Jean Takougang complète la litanie: le statut des enseignants.
Le journaliste tient à confronter les opinions sur le sens du discours présidentiel. Commentant l’intervention
du secrétaire général adjoint du RDPC, il rappelle que :
Grégoire Owona, le secrétaire général adjoint du comité central du Rdpc a répondu, à l’émission "Dimanche
Midi", du poste national de la Crtv. Il s’est dit "rassuré" par le discours de son président, national. A ses yeux la
sortie médiatique du chef de l’Etat est venue à point, pour un "recadrage" du travail gouvernemental, et un
"recentrage du débat politique". Il souligne la prudence du propos présidentiel au sujet du fameux point
d’achèvement, ainsi que son appel à la mesure et au réalisme en matière économique. L’apparatchik du parti au
pouvoir note la volonté du Chef de l’Etat de se "réapproprier" le concept des "grandes ambitions". "Nous avons
contribué à vider ce concept de son vrai contenu", avoue-t-il. Il perçoit enfin un changement de vitesse dans la
lutte contre les tares de la société camerounaise. "Il faut que la recréation cesse, qu’on se mette très sérieusement
au travail", conclut le ministre délégué à la présidence en charge des relations avec les assemblées.
Ces commentaires, qui ne sont certes pas représentatifs de la communication politique du président Biya de
1982 à 2009, témoignent aussi bien des orientations que la presse donne aux communications politiques, que
du choix toujours porté sur le contenu, le message de la communication. Aussi sommes-nous tenté de dire que
la communication politique camerounaise, à cette période, concerne davantage trois facteurs de la
communication représentant d’une part les acteurs de la vie politique que sont le chef de l’Etat (destinateur) et
les populations (destinataires), et d’autre part le message politique, principal objet de la communication.
Comme on peut aisément le constater au vu des exemples donnés supra, jamais le mode de communication du
président Biya n’a fait l’objet d’un intérêt aussi bien par la presse, l’opinion publique que les leaders de
l’opposition. Le canal dans la communication politique n’a jamais fait l’objet d’un commentaire. Qu’il
prononce son discours par le canal de la télévision ou de la radio n’a jamais fait l’objet d’une attention, tout
ceci étant considéré comme allant de soi dans les méthodes modernes de la communication politique. Toutes
les discours de Paul Biya à la nation camerounaise et hors de celle-ci sont donc restées inscrites dans la
logique de la communication politique, sans grand intérêt pour la politique de communication comme cela a
semblé être le cas avec la lettre du 5 novembre 2009.
III. LA LETTRE DU 5 NOVEMBRE : UNE NOUVELLE POLITIQUE DE
COMMUNICATION ?
A. Qu’est-ce que la lettre du 5 novembre ?
La lettre du 5 novembre ou « La lettre de Paul Biya aux Camerounais » est une correspondance écrite par le
président Paul Biya à l’ensemble des Camerounais et aux membres du RDPC à l’occasion du 27ème
anniversaire de son accession à la tête de la République du Cameroun comme président. Cet événement est
célébré le 06 novembre de chaque année dans toute l’étendue du territoire national camerounais,
majoritairement par les membres du parti au pouvoir. Il faut noter que si cette célébration s’achève souvent
par des marches et motions de soutien adressées au président national du parti, ce dernier n’a jusqu’au 4
novembre 2009, jamais adressé un message oral ou écrit au militants, encore moins à l’ensemble des
camerounais, à cette occasion. C’est dans ce sens que la sortie épistolaire du 5 novembre est digne de retenir
beaucoup d’attention dans l’histoire de la communication politique du président Biya au Cameroun.
L’innovation a été qualifiée de fait inédit, s’inscrivant moins dans la logique de la communication politique
que d’une nouvelle politique de communication.
B. La politique de communication
La politique de communication est un concept utilisé en communication d’entreprise. Dans ce sens, elle
« consiste à définir la meilleure combinaison entre tous les moyens de communication qui sont à disposition
de l'entreprise : information-promotion, publicité, promotion des ventes, marketing direct » 7 . Elle met
l’accent sur les méthodes et styles dans la communication (Cormier 2006 : 155). Si la politique de
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communication en entreprise a pour objectif une meilleure définition des moyens susceptibles d’arracher
l’adhésion de la clientèle, elle devient un fait inévitable également dans la communication politique.
Autrement dit, l’exercice du pouvoir politique, dans cet échange permanent avec l’opinion publique, nécessite
une redéfinition des moyens à même de rendre la communication politique plus efficiente. Il n’y aurait donc
pas d’action politique sans politique de communication (Lamizet 1992 : 227).
Dans un sens beaucoup plus large, la politique de communication désigne le moyen de communication jugé
plus efficace pour l’atteinte des objectifs que l’on s’est fixés. Or toute politique se définissant par l’objectif à
atteindre, le pouvoir politique met l’accent sur les moyens à mettre en œuvre pour gagner la confiance des
gouvernés. C’est justement le rôle de la communication politique lors des campagnes électorales. On peut
donc dire que toute communication politique a une politique de communication, définie plus simplement
comme le canal employé pour faire passer efficacement son message à la population.
C. La lettre : une politique de communication
Nous l’avons vu, s’il est vrai que le canal habituel utilisé dans la communication politique au Cameroun est la
radiotélévision, il est tout aussi remarquable que ce canal attire moins d’attention chez les destinataires qui
sont davantage portés sur le message. Mais avec la lettre du 5 novembre, tout semble avoir changé dans cette
logique aussi bien pour le destinateur (le président) que pour les destinataires (la population). Par ailleurs,
cette innovation aura constitué un double canal dans le processus de transmission du message au
Camerounais :
D’abord le choix porté sur le canal « lettre » pour s’adresser au Camerounais. Il constitue une
alternative par rapport aux canaux habituels que sont d’abord la radio et la télévision, puis la presse
écrite chargée de relayer et de commenter le message.
Enfin, le choix du second canal : la lettre doit être publiée par la presse écrite publique et privée.
Comme on peut le noter, c’est la presse qui constitue le canal entre Paul Biya et les Camerounais à qui la lettre
est adressée. Or, on sait que les travaux de Roman Jakobson (1963) accordent une importance capitale au rôle
joué par le canal dans la transmission du message. La fonction phatique, qui est aussi la fonction de contact,
consiste à s’assurer que le destinataire reçoit bien le message qui lui est adressé. Autrement dit, le canal peut
influencer et corrompre le contenu du message. Si la presse, en transmettant la lettre du président Paul Biya ne
l’a pas tronqué du point de vue de son contenu, le tournant décisif aura cependant été l’accent mis, non pas
seulement sur le message, mais sur le premier canal : la lettre. Fait perceptible dans les titres et commentaires
contenus dans la presse aussi bien publique que privée.
D. Réactions et commentaires médiatiques
Nous nous intéresserons ici à la manière donc la communication épistolaire du président Paul Biya a été
relayée par les médias que sont la CRTV, journal parlée et écrite ; Cameroon Tribune, quotidien officiel
national qui parait en français et en anglais ; et bien d’autres.
Dans son édition du 05 novembre 2009 à 13 heures, la radio nationale annonce en titre :
« C’est inédit, le président de la République du Cameroun écrit à ses concitoyens. Une lettre de Paul Biya
adressée aux Camerounais et aux militants du RDPC par le biais de tous les grands titres de la presse écrite
nationale ».
On peut le constater, ce titre annonce l’événement (la lettre), le destinateur (Paul Biya), les destinataires (les
Camerounais) et le canal (la presse écrite nationale). Il ne souligne donc en rien le message qui habituellement
intéresse dans la communication politique de Biya comme nous l’avons vu plus haut. Le titre met ainsi
l’accent sur la manière, le moyen, la politique de communication, plutôt que sur la communication elle-même.
De même, dans son site, la compagnie nationale de radio et télévision CRTV dans son journal écrit, titre :
« Inédit pour les uns, innovation pour les autres, le président de la République du Cameroun s’est adressé de
manière épistolaire aux Camerounais dans le cadre des manifestations annuelles organisées pour le 27ème
anniversaire de son accession à la Magistrature suprême ».
Un peu plus que dans l’exemple ci-dessus, ce titre met l’accent sur la méthode de communication, en même
temps qu’il souligne le caractère inédit de cette manière pour le président de s’adresser aux Camerounais.
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Dans son édition du 05 novembre 2009, le quotidien national Cameroon Tribunes titre : « An 27 du
Renouveau : Le président Paul Biya écrit aux Camerounais ». Le quotidien national camerounais commente
par la suite :
« Le fait est suffisamment inédit pour être relevé d’emblée. A l’occasion de l’an 27 du Renouveau, le président
de la République, président national du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, adresse une lettre à
tous les Camerounais. Cette lettre est publiée ce matin par les quotidiens paraissant dans notre pays, du service
public (Cameroon Tribune) et de la presse privée (La Nouvelle Expression, Le jour, Le Messager, Mutations).
Annonçant cette nouvelle qui est à la fois une exclusivité pour ces quotidiens et une grande première au regard
des formes qu’empruntaient habituellement jusqu’alors la communication présidentielle – discours, messages
radiotélévisés, interviews télévisées – le secrétaire général du Comité central du RDPC, par ailleurs, ministre
chargé de mission à la présidence de la République, René Sadi en a expliqué l’option et la portée aux directeurs
des publications concernées réunis hier dans ses bureaux du 6e étage du palais des Congrès ».
Tout en expliquant la rupture par rapport aux méthodes habituelles de communication de Paul Biya,
Cameroon Tribune est revenu, comme tous les autres, à l’originalité de l’approche épistolaire présidentielle.
Au regard de ce qui précède, on peut constater que les médias se sont davantage occupés de la politique de
communication que du message diffusé par cette communication.
Nous l’avons souligné précédemment, les médias privés occupent une place de choix dans la scène médiatique
camerounaise. Ils participent donc très activement à la vie politique du Cameroun.
Le Messager, dans son numéro du 5 novembre a également consacré un titre à l’événement. Mais l’abordant
sous une perspective plus analytique, du moins tendancieuse, ce quotidien titre : « 27 ans du renouveau : Paul
Biya lance sa campagne pour 2011 ». Mais il n’échappera pas à la logique éditoriale du jour. Aussi
commente-t-il :
« Le désir du chef de l’Etat de se rapprocher de la presse indépendante devient de plus en plus manifeste. Après
l’invitation des directeurs de publication et autres médias au cabinet civil pour tenter un nouveau type de rapports
avec la presse, l’homme du 06 novembre 1982 a choisi de s’exprimer, cette fois-ci, dans les colonnes de la presse
écrite. Est-ce donc à la suite de nombreuses critiques formulées par l’opinion au sujet de sa préférence pour les
médias occidentaux qu’il a opté pour cette innovation ? Est-ce pour parler comme l’autre, une tentative
d’inflexion de la presse à capitaux privés ? »
Le Messager ne s’est pas contenté de l’originalité de la méthode du président. Il cherche également à
expliquer les mobiles d’une telle démarche. Mais dans l’ensemble, c’est toujours la nouvelle méthode de
communication qui intéresse ici, même si Le Messager, dans la suite de l’article, porte un regard critique sur le
contenu de la lettre présidentielle.
Dans l’ensemble, le passage de la communication politique à la politique de communication suite à la lettre du
président Paul Biya peut être illustré par une schématisation des transactions communicationnelles selon
l’approche de Jakobson.
E. Illustration de la communication épistolaire du 5 novembre 2009
1. De Paul Biya aux Camerounais : la communication politique
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Ce schéma représente la macrostructure de la communication politique du 5 novembre 2009. C’est un modèle
qui obéit, du point de vue de sa structure, au modèle communicationnel habituel de Biya, modèle centré sur un
message à adresser à la population. Ce message est annoncé dès les premières lignes de la lettre, de même que
les autres facteurs essentiels que sont le référent, le canal et les destinataires :
« Chers Compatriotes,
Chers militants et militantes du RDPC,
En ce 27ème anniversaire du Renouveau National, je suis très heureux de m’adresser à vous, par le biais de cette
lettre, pour vous parler de l’avenir du Cameroun ».
S’il est évident que Paul Biya souligne déjà le canal dès l’introduction de son propos, il est tout aussi facile de
constater qu’il n’en ira pas plus loin dans sa communication. Nous avons parlé d’intention de communication
politique parce que ce schéma est peu réaliste, en raison du fait que les populations n’ont pas eu accès direct à
la lettre comme le représente le schéma. La lettre transite par le Secrétaire général du RDPC, chargé de la
remettre aux médias, d’où la schématisation ci-après :
2. Du Secrétaire général du RDPC aux médias : vers la politique de communication
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C’est à ce niveau de communication que l’accent mis sur la méthode de communication prend corps. Comme
nous l’avons souligné plus haut, en prenant la parole devant la presse, le secrétaire général du RDPC donne
les raisons de l’innovation du chef de l’Etat à s’adresser aux Camerounais. Mais cette innovation concerne
aussi et surtout le choix de la méthode de communication. L’on notera que la lettre qui constituait le canal
dans le premier schéma est montée à la place du message, implicitement contenu dans la communication du
secrétaire général du RDPC. De même, les destinataires réels que sont les populations camerounaises sont
encore absents du schéma d’une situation de communication qui vise à honorer au premier chef, la presse qui,
à son tour, devra acheminer la lettre aux Camerounais : une troisième situation de communication.
3. Des médias aux populations : une confirmation de la politique de communication
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Nous parlons de la confirmation de l’idée d’une politique de communication parce que les médias chargés de
transmettre la lettre aux populations ont également mis l’accent sur la méthode, le moyen de communication
utilisé par le président Paul Biya. Au final, par le rôle des médias, la population camerounaise aura davantage
été informée de la méthode employée par leur président pour leur parler en cette heureuse occasion.
EN GUISE DE CONCLUSION
La communication politique se présente, au vu de ce qui précède, comme un fait inhérent à l’exercice du
pouvoir dans les démocraties représentatives. S’il est vrai que d’une manière globale, la démocratie peine à
s’installer confortablement dans les pays africains, il n’en demeure pas moins vrai que certains d’entre eux se
démarquent par un effort croissant de laisser la parole au peuple. Laisser la parole au peuple, c’est permettre la
libre expression aussi bien des médias, de l’opposition que de l’opinion publique, composantes majeures et
nécessaires dans le jeu démocratique. Le Cameroun qui veut de tout temps inscrire son nom parmi les
démocraties modernes s’est doté d’une tradition de communication politique constituée des discours
politiques ordinaires et circonstanciels, les principaux canaux étant restés, de 1982 à 2009, la radio et la
télévision. La sortie épistolaire du 5 novembre, que l’on nommerait bien « l’épitre de Paul aux
Camerounais », est venue rompre avec cette tradition. Fait inédit et commenté comme tel par les médias. A
l’origine comme un souci de « parler de l’avenir du Cameroun », acte s’inscrivant dans la communication
politique habituelle de Biya, « la lettre de Paul Biya aux Camerounais » a constitué, pour les médias, un acte
marquant une nouvelle politique de communication du président Paul Biya.
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Article
La stratégie du réseau social (grassroot networking) pendant la campagne
présidentielle de Barack Obama, août-novembre 2008 : discours et
symboles du mouvement social
Adeline VASQUEZ-PARRA, Doctorante en histoire, Centre d’Etudes Nord-américaines (CENA),
Université Libre de Bruxelles
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
La campagne présidentielle de Barack Obama a suscité de nombreuses analyses sociologiques discutant la
singularité de ses stratégies et tactiques de communication politique. L’une de ces grandes stratégies, le réseau
social ou grassroot networking, a impliqué la mise en place d’un réseau de militants actifs au travers des médias
et sa gestion par des communicants. La stratégie du réseau social a également désigné un cadre d’action
collective pour assurer, entre autre, une continuité narrative entre la société américaine et ses mythes culturels et
sociaux. Cependant, a-t-elle véritablement contribué à l’émergence d’un mouvement social ou a-t-elle
simplement servi des intérêts électoraux ? C’est ce que cet article analyse en relevant les pratiques discursives
du candidat pendant sa campagne et aussi, les pratiques discursives de sa communication politique établies au
travers de slogans, réalisations artistiques et outils informatiques novateurs participant à l’existence du grassroot
networking.
Abstract
Barack Obama’s presidential election campaign has raised numerous sociological analyses discussing the
specificity of its strategies and tactics of political communication. One of these strategies called grassroot
networking implied the creation of a network through the Internet and its management by media consultants.
The grassroot networking strategy also allowed a collective action frame that echoed a narrative continuity
between the American society and its cultural and social myths. However, did it exactly contribute to the
emergence of a social movement or did it simply serve electoral interests? The article answers this question
through the analysis of different discursive practices of the presidential candidate during his campaign and those
of his communication staff. Through a variety of slogans and creative works, all participated to the innovative
computing tool of this unusual campaign.
Texte intégral
La campagne présidentielle de Barack Obama a suscité de nombreux commentaires et analyses quant à son
organisation et ses stratégies de communication politique. En effet, pour la première fois dans l’histoire
politique américaine, un candidat a massivement « investi » Internet pour y transposer sa campagne électorale
et utiliser la toile comme principal outil de mobilisation de ressources humaines et financières. Cette nouvelle
approche à la fois de la place du débat politique dans la société et de l’espace public où il prend forme a
profondément marqué la pratique électorale mais aussi le rapport entre gouvernants et gouvernés.
La campagne présidentielle de Barack Obama qui s’est déroulée du 25 août 2008 date de la convention
nationale démocrate de Denver (Colorado) au 4 novembre 2008, a ainsi réussi un pari inespéré : intéresser les
Américains à la politique en les amenant à prendre part au débat dans un premier temps puis dans un second
temps, à voter. Pourtant, si justement la campagne a suscité un tel engouement et la participation massive des
citoyens, c’est parce qu’elle s’appropriait le discours et les caractéristiques du mouvement social au lieu de
s’en tenir à la campagne politique classique. Cette affiliation au mouvement social a été délibérément
réfléchie par les communicants et le candidat lui-même afin de pallier au désintérêt des Américains pour la
scène politique mais aussi, pour mener à bien une stratégie électorale qui a porté ses fruits. La stratégie du
grassroot networking c'est-à-dire la mise en réseau de citoyens anonymes entre eux et leur mobilisation en
faveur du candidat démocrate à l’aide d’agences de communication a organisé le mouvement social du
changement ainsi qu’il s’est lui-même nommé. Cette pratique d’un modèle organisationnel proche des
stratégies de mobilisation d’un mouvement social s’inspire des idées d’organisation communautaire
développées par l’idéologue américain Saul Alinsky qui a dûment marqué Barack Obama, lui-même ancien
organisateur communautaire.
Il avait d’ailleurs déclaré en 1995 tel que le rapporte Manuel Castells, vouloir changer la fonction du leader
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La stratégie du réseau social ( grassroot networking ) pendant la campag...
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politique afin qu’il corresponde mieux au rôle de l’organisateur communautaire :
“It’s time for politicians and other leaders to take the next stop and to see voters, residents or citizens as
producers of this change. What if a politician were to see his job as that of an organizer, as part teacher and part
advocate, one who does not sell voters short but who educates them about the real choices before them?”
(Castells 2009 : 387)
Le grassroot networking que nous traduirons ici par l’expression francophone « réseau social » en n’omettant
pas que le terme anglophone “grassroot” désigne une réalité bien particulière de mobilisation vers le bas
(c'est-à-dire à l’échelle individuelle), a mis en perspective un discours utilisant les même tactiques de
mobilisation que celles opérées dans les mouvements sociaux : la promesse du changement social, le discours
de la rédemption et l’espoir d’une société meilleure à venir. Ce discours a plus largement tiré sa légitimité de
références culturelles plus larges afin de se poser en héritier des valeurs transmises par la popularité des
mouvements sociaux des années soixante en particulier celui pour les droits civiques de Martin Luther King et
celui initié par Robert Kennedy lors de sa campagne présidentielle de 1968. L’héritage de ces deux leaders
politiques est une constante dans le discours 1 de Barack Obama comme celui de A More Perfect Union de
Philadelphie le 18 mars 2008 qui soulève la question de la race à l’instar de Martin Luther King dans I Have A
Dream.
Le discours a ainsi révélé divers mythes politiques de la société américaine afin de construire son propre
aspect mythique. Cette vision fut rendue possible par le réseau social sur Internet qui a permis au candidat
d’asseoir sa position de leader politique mais aussi d’homme du peuple, de common man qui depuis Andrew
Jackson (président élu en 1829 et à l’origine du concept) détermine souvent la crédibilité d’un candidat à une
élection présidentielle aux Etats-Unis. Ainsi, l’Internet contribue largement à déhiérarchiser les relations entre
individus et surtout, à abolir les intermédiaires dans la communication entre ces derniers. Barack Obama a
donc réussi à communiquer de façon directe avec ses militants ce qui a renforcé l’accessibilité de son nouveau
rôle de leader, façonnant en outre une image du citoyen lambda notamment au travers de son profil Facebook.
Cet article tentera donc de décrire et d’analyser le rôle du réseau social, moteur de la participation à la fois
citoyenne et militante lors de la campagne présidentielle de Barack Obama.
Il s’interrogera également sur le mouvement social que cette stratégie a ainsi initié et la stratégie d’action
collective qui a débouché sur une imbrication entre le discours du candidat et le changement social qu’il a
incarné. Il semble par ailleurs essentiel de démontrer comment la mobilisation citoyenne, ultime étape de la
campagne, a été gérée par une judicieuse association d’organisations communautaires telles ACORN
(Association of Community Organizations for Reform Now), de compagnies privées de communication
politique Internet (Blue State Digital) et de réseaux sociaux (Facebook, MySpace) qui ont largement encadré
les militants afin d’amener la campagne à la victoire.
De façon générale, les médias sont toujours les meilleurs outils des campagnes présidentielles et bien souvent
facteur de décision chez de nombreux électeurs. La majorité des candidats à l’élection présidentielle
américaine de ces quarante dernières années les ont largement exploités et les ont maniés de façon plus ou
moins habile comme l’a illustré le président John Fitzgerald Kennedy dans ses débats télévisés avec Richard
Nixon ou Bill Clinton, premier candidat à une élection présidentielle à s’adresser aux militants par le biais du
net. Néanmoins, lors de la campagne présidentielle de 2008, ce seul média semble avoir attiré à lui seul
l’ensemble des attentions tant sa place y fut prépondérante d’un point de vue aussi bien strictement politique
que culturel. Pour Virginie Picquet, auteur d’un ouvrage sur le rapport entre image et présidence aux
Etats-Unis, ceci s’explique par un changement de stratégie de la part du candidat Obama vis-à-vis des médias
et de leur utilisation par ses prédécesseurs :
“En fait, la stratégie de communication adoptée par Obama a reposé sur une indifférence affichée vis à vis des
grands médias traditionnels et sur l’exploitation maximale des nouvelles technologies comme modes de
communication instantanés et interactifs: sites Web, blogs, vidéos projetées sur la Toile et ‘textos’ envoyés
régulièrement aux partisans.” (Picquet 2010 : 338)
En effet, la campagne de Barack Obama investit Internet en partageant d’abord des liens dirigés vers des
médias plus traditionnels. Les vidéos mises en ligne sur Youtube sont d’abord des documents provenant
d’autres médias plus classiques tels que la télévision qui montrent le candidat s’adressant à ses futurs militants
ou à la Convention démocrate d’août 2008. Toutefois, Obama comprend très vite l’utilité des réseaux de
partage tels que Youtube et Myspace pour s’adresser directement aux militants ou pour révéler ses stratégies
de campagne à l’instar de la vidéo 2 mise en ligne le 16 janvier 2008 et intitulée “My Plans for 2008”. C’est
notamment dans cette vidéo où l’on voit le candidat en tenue décontractée s’adresser directement aux
Américains en leur expliquant que sa campagne symbolisera le changement que les Américains ont tant
attendu (“change and progress that we so desperately need”) et surtout, il y mentionne alors le grassroot
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networking et son importance pour la mobilisation du futur mouvement social qu’il compte fabriquer :
“Years ago as a community organizer in Chicago, I learnt that meaningful change always begins at the
grassroots.”
A travers cette simple phrase, Obama décrit sans détours la stratégie de sa campagne axée sur la participation
à l’échelle individuelle et la réseauification inspirée des méthodes d’organisation communautaire. Pour le
sociologue français Emmmanuel Lazega, un réseau social est défini :
“Méthodologiquement (pour des raisons techniques) comme un ensemble de relations spécifiques (par exemple
collaboration, soutien, conseil, contrôle ou encore influence) entre un ensemble fini d’acteurs.” (Lazega 1998 : 8)
Cette restriction du réseau à “un ensemble fini d’acteurs” apparait déjà ambigüe à Lazega lui même qui
modère l’expression en ajoutant “qu’un ensemble social n’est jamais réellement fini” (Lazega 1998 : 8). Il
apparait que cette explication valide la principale particularité du réseau social sur Internet puisque le virtuel
autorise un nombre infini de ressources confirmant par là même sa démocratisation. En effet, si le réseau
social tel qu’il pouvait se concevoir de manière plus classique (un club privé par exemple) nécessitait une
position sociale, une collaboration professionnelle ou encore des liens d’amitié, l’adhésion à un réseau social
du net, elle, n’est affaire que d’un clic. Les barrières sociales mais aussi géographiques ou culturelles sont
totalement laissées de côté, l’engagement politique est facilité et la participation au débat démocratique
devient aisée. Les communicants d’Obama saisissent donc l’opportunité que leur ouvre Internet, de
l’explosion des réseaux sociaux tels Facebook qui comptent en 2007 aux Etats-Unis, plus de 15 millions
d’utilisateurs sur une population de 305 683 227 d’habitants. Les conseillers média de la campagne
présidentielle d’Obama entrent en contact avec des sociétés privées de marketing politique spécialisées sur le
net à l’image de la société Blue State Digital dont le dirigeant, Joe Rospars, a déjà travaillé à des campagnes
présidentielles. En effet, Rospars s’était déjà attelé à la création d’un blog de campagne pour le politicien
Howard Dean, candidat démocrate à la présidentielle en 2004: Blogforamerica. Ce blog avait réussi à
rassembler de nombreux partisans et avait déjà à l’époque suscité une pléthore de commentaires sur cette
stratégie de campagne “grassroot” mère du futur “grassroot networking”.
Les communicants web de la campagne ont donc déjà une expérience du potentiel mobilisateur d’Internet et le
mettent en place dès 2007 en créant la page Facebook personnelle de Barack Obama 3 . En moins d’un mois,
1,2 millions d’internautes se connectent sur la page d’Obama où ils y découvrent quantité d’hyperliens menant
à son site de campagne (Debré 2008 : 117). Ces “hyperliens” sont soit dirigés vers le site clef de la campagne:
Mybarackobama.com ou vers d’autres sites de partage de photos et d’informations personnelles tels que
Linkedin, MySpace, iTunes, Flickr et surtout Youtube où le candidat expose la plupart de ses discours sur le
caractère social de la campagne. Notons l’attribut générationnel de ce type de stratégie politique qui vise
clairement à s’attirer les faveurs d’un public-cible : les jeunes, principaux utilisateurs de ces réseaux sociaux
et d’Internet en général. La campagne utilise rapidement Obama comme un produit de consommation
tendance (qui se décline en tee-shirts, mugs, pins que l’on peut acheter en ligne sur le site du candidat) mais
surtout, comme une icône des temps modernes que s’arrachent les programmes préférés de la jeunesse comme
cet épisode des Simpsons’ mis en ligne sur Youtube pendant sa campagne le 29 septembre 2008 montrant le
personnage principal de la série face à des machines de vote destinées à faire barrage à Obama 4 .
En 2006, selon l’organisation non partisane « civicyouth », le vote des jeunes entre 18 et 30 ans était estimé à
41,9 millions de personnes, 22% d’entre eux s’abstenaient de voter et plus de 20% votaient dans le camp
républicain. Obama et ses communicants décident d’ailleurs de confier l’ensemble de la gestion des réseaux
sociaux de partage et de la stratégie du réseau social sur le net (notamment sur Mybarackobama.com) à des
jeunes qui incluent Chris Hughes co-fondateur de Facebook âgé à l’époque de 24 ans et Joe Rospars lui
même, âgé de 25 ans. Cette tactique est renforcée par une dimension socio-culturelle qui octroie à la jeunesse
(dans son sens large), aux Etats-Unis, des vertus sociales. La jeunesse d’un candidat, de ses partisans et de sa
campagne ne peuvent que jouer en sa faveur dans le sens ou cette dernière tend à symboliser le dynamisme,
l’esprit d’entreprise et la vitalité du candidat qui voit par cette occasion son image renforcée d’une popularité
en lien avec ce paradigme culturel particulier.
Le candidat républicain John Mc Cain aura d’ailleurs à pâtir de son âge et de son manque d’implication sur le
net puisque lorsque Obama franchit la barre du million d’amis sur Facebook et voit des groupes parallèles
soutenir sa cause tels que “Students for Obama”, “Asian-Americans for Obama”, “Women for Obama”
totalisant près de 750 000 internautes en plus de la page qui lui est consacré, Mc Cain n’en est qu’à quelques
milliers d’amis sur sa page personnelle Facebook et admet ne rien connaitre aux nouvelles technologies
(Picquet 2010 : 340).
Toutefois, si les groupes de soutien au travers du pays se multiplient en faveur du candidat démocrate, ils se
nucléarisent et fonctionnent souvent de manière autonome: les uns n’ayant pas les même préoccupations ni les
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même motivations que les autres dans la défense du candidat démocrate. La stratégie du grasroot networking
se met alors en place pour ramener l’ensemble des internautes vers une préoccupation commune : la
mobilisation pour le vote en faveur du candidat en simplifiant la mise en réseau de tous ces militants qui
participent parfois pour la première fois à une campagne politique. La stratégie opère sur le site officiel du
candidat Mybarackobama.com qui devient un véritable point de rencontre et un espace d’échanges pour
l’ensemble des militants de la campagne qui mettent en ligne des évènements locaux, échangent des vidéos
sur le candidat, laissent des messages d’encouragement. Mais surtout, le site crée une nouvelle stratégie de
communication déjà un temps soit peu expérimenté au travers du site de Dean en 2004 : il va servir à la fois
de base de données sur les militants et de mobilisation électorale.
Ainsi, en s’enregistrant sur le site officiel de Barack Obama, les militants sont amenés à laisser leur adresse de
courrier électronique et leur code postal. A l’aide de ces deux informations, le logiciel informatique du site
prévu à cet effet leur envoie une liste de 40 personnes à contacter dans leur arrondissement, sympathisants
démocrates, déclarés ou non. Les informations recueillies par le militant virtuel sont ensuite transmises vers la
base de données du site qui enregistre toutes les personnes mobilisées pour la campagne. Ces données
autorisent notamment les communicants à envoyer des textos demandant des dons, rappelant d’aller voter ou
des envois d’une multitude de courriers électroniques informant des prochains rassemblements en faveur du
candidat démocrate, 1,2 milliard de courriels seront d’ailleurs envoyés à l’ensemble des militants pendant la
campagne. A l'automne 2008, l'équipe d'Obama disposait ainsi d'une base de données contenant les
coordonnées de plus de 13 millions de militants et sympathisants. La campagne donne alors naissance à des
micro-campagnes qui s’étendent au travers du pays et se développent grâce au grassroot networking en totale
autonomie.
Ce procédé d’autonomisation des militants s’inspire directement des doctrines de Saul Alinsky fondateur de
l’organisation communautaire dont Obama se revendique. Cette référence à ses années passées en tant
qu’organisateur communautaire est très souvent mise en avant dans ses discours et ceux de ses partisans
notamment de sa femme Michelle qui déclare sur une vidéo de Youtube en février 2008 l’avoir connu alors
qu’il était engagé dans les rues de Chicago en tant que réformateur social. Pour le sociologue Manuel Castells,
la transposition de ces techniques apprises “sur le terrain”, là encore la référence à la mythologie politique
américaine qui assoit l’homme, qui, à la force de ses bras a forgé ses propres armes sur “le terrain” n’est pas
innocente, d’organisation communautaire aux nouvelles technologies du net ont autorisé un nouveau modèle
de mobilisation :
“The key to the success of Obama’s campaign strategy was his ability to translate the classic American model of
community organizing, as elaborated half a century ago by Saul Alinsky into the context of the Internet.
Grassrooting the Internet and networking the grassroots, Obama, who learned his social organizational skills on
the streets of Chicago’s South Side, has probably invented a new model of mobilization that may be one of his
lasting political legacies.” (Castells 2009 : 386)
Ce modèle inventé par Saul Alinsky, réformateur social ayant œuvré à Chicago au début du XXème siècle,
donne la part belle au “grassroot” c'est-à-dire à la mobilisation des individus au niveau social. Toutefois, cette
doctrine revendique emphatiquement son appartenance au grassroot et l’on peut interroger la véritable place
qu’elle lui assigne. Le rôle du discours qui use de signifiants forts au profit de signifiés déployant tout un
ensemble de mythes culturels que nous étudierons plus loin chez les récepteurs du discours, sous-tend déjà la
stratégie du grassroot networking telle que la pensait Alinsky. Ce nivellement par le bas (politics from the
bottom) que permet l’organisation communautaire rassemble des individus d’un même quartier autour d’une
même cause. La place du leader est primordiale puisque c’est lui qui vient jouer le rôle de médiateur mais
surtout, il mobilise comme dans un mouvement social classique. En ce sens, il n’est plus seulement l’émetteur
du discours mobilisateur, il est en est le centre.
Selon l’historien américain Michael C. Behrent dans un article paru sur les liens entre la campagne
présidentielle et Saul Alinsky, l’organisation communautaire se réfère :
“Aux activités par lesquelles un animateur aide les habitants d’un quartier défavorisé à faire valoir leurs droits,
que ce soit en exigeant de l’administration des HLM de mettre les logements sociaux aux normes sanitaires en
vigueur, ou en demandant aux banques implantées dans le quartier d’offrir des taux d’intérêts plus raisonnables.’’
(Behrent 2008 : 01)
Cette méthode de mobilisation est selon Behrent “la méthode Alinsky” qui a non seulement exercé une
influence considérable sur la stratégie du grassroot networking telle qu’elle fut appliquée pendant la
campagne d’Obama mais a aussi influencé le militantisme américain au travers d’agences d’organisation
communautaire telles que l’Industrial Areas Foundation et la Woodlawn Organization. Behrent explique aussi
dans son article le rôle primordial de l’organisateur qui agit sous des intérêts collectifs mais ne doit pas
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négliger ses propres intérêts. Il se donne alors un rôle d’homme providentiel qui possède entre ses mains le
pouvoir d’agir.
Le support idéologique d’Obama pour sa campagne présidentielle a le mérite d’être sans détours. Toutefois,
cette juxtaposition du monde social et militant sur la scène politique, affiche une orientation nouvelle à la
campagne présidentielle traditionnelle telle qu’elle fut pratiquée ces quarante dernières années (à l’exception
de Robert Kennedy qui avait tenté le même type de calque). Cet engagement du grassroot n’est en réalité que
de surface puisque les stratégies de mobilisation sont planifiées d’avance par les agences d’organisation
communautaire ou ici, les communicants Internet qui ont eux mêmes œuvré grâce à des agences
d’organisation communautaire comme Association of Community organizations for Reform Now (ACORN)
basée à la Nouvelle Orléans et qui n’existe plus aujourd’hui. Cependant, la référence constante au grassroot
comme l’ensemble de ces individus qui à l’instar du mouvement social se sont mobilisés d’eux mêmes autour
d’une cause, a toujours transparu de manière univoque. David Plouffe, directeur de la campagne
présidentielle, soulignera après coup le rôle clef du grassroot :
“We as a campaign believed in the grassroots in our core […] that was because we had enough grassroots that we
could win.” (Youtube, Institut d’études politiques d’Harvard, 16 avril 2009)
En vérité, la campagne doit beaucoup au symbole qu’a représenté le grassroot et au discours du mouvement
social qu’elle a amené.
La sociologue américaine Theda Skocpol qui s’est beaucoup intéressée à la mobilisation sociale aux
Etats-Unis relèvera à juste titre que cette ambiguïté entre stratégie de communication et mouvement social est
un symptôme des temps modernes. En effet, dans “Diminished Democracy : From Membership to
Management in American Civil Life”, elle regrette que dans les années soixante, l’adhésion massive à des
mouvements sociaux grassroots et à des organisations semi-privées, a sérieusement décliné afin d’être
presque exclusivement remplacé par des groupes de pressions (lobbies) dirigés par un personnel
professionnel. Cette ambiguïté joue en faveur d’Obama car le grassroot autorise les militants à penser qu’ils
sont eux même vecteurs de changement. Ils sortent ainsi de leur rôle partisan pour devenir des moteurs du
progrès social. La campagne réussit donc à transcender le politique, symbole de pouvoir et d’intérêts
particuliers pour atteindre d’autres sphères notamment celle du social, sémantiquement associée au bien
collectif. En élaborant ensemble un cadre d’action collective pour cette campagne, militants et responsables
politiques ont assigné une signification à la campagne de façon à mobiliser des adhérents et obtenir le soutien
de la société (Benford v.d 1986 : 470). Cependant pour Peter Dreier, professeur de sciences politiques à
l’Occidental College de Los Angeles, toute l’originalité de cette campagne réside justement en ce qu’elle a
emprunté au mouvement social nombre d’attributs mais n’a pas seulement simulé le mouvement social car de
nombreux syndicats et groupes militants s’y sont joints à l’image d’un mouvement social réel :
“Compared with other political operations, Obama’s campaign has embodied many of the characteristics of a
social movement- a redemptive calling for a better society, coupling individual and social transformation. This is
due not only to Obama’s rhetorical style but also to his campaign’s enlistment of hundreds of seasoned organizers
from unions, community groups, churches, peace and environmental groups. They, in turn, have mobilized
thousands of volunteers, many of them neophytes in electoral politics, into tightly knit, highly motivated and
efficient teams.” (Dreier 2009: 388)
La campagne présidentielle d’Obama réussit donc à ouvrir un nouvel espace d’expression ou comme le
souligne brillamment Manuel Castells dans son expression “grassrooting the Internet” le mouvement social
peut avoir lieu. Cette stratégie offre par conséquent à la campagne un cadre d’action collective où avant même
d’exploiter toutes les possibilités de mobilisation qu’Internet peut offrir, un discours propre aux mouvements
sociaux se construit autour des symboles forts de l’expérience contestataire.
Ainsi, l’affiche reprise sur Internet sous forme de photos de profil Facebook, d’images virtuelles ou de
photoramas dans les clips militants mis en ligne sur Youtube devient signe de ralliement, symbole d’une cause
à défendre. L’une de ces affiches remporte d’ailleurs un franc succès car elle reprend à son compte des
techniques artistiques déjà utilisées dans les affiches des grands mouvements sociaux américains des années
soixante. Il s’agit de l’affiche de Shepard Fairey, un graffeur (street artist) de Los Angeles, où l’on voit Obama
peint en rouge, bleu et blanc au dessus d’un slogan lui même fédérateur et significatif : “Hope” (“Espère”).
Cette affiche qui utilise une technique artistique bien particulière adaptée à la rue: la technique du pochoir, est
similaire à celle employée par le mouvement étudiant des années soixante initiée par des groupes comme
Students for a Democratic Society (SDS) ou encore celui pour les droits civiques de Martin Luther King.
Cette technique sera utilisée par de nombreux militants qui n’hésiteront pas à l’appliquer sur des tee-shirts ou
des panneaux qu’ils personnaliseront et diffuseront sur les sites de réseau sociaux. L’affiche en pochoir où
l’on peut apercevoir la tête d’Obama sous un slogan : “Believe” (“Crois”) devient le symbole discursif du
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mouvement social en action.
Cette ressemblance entre la campagne présidentielle d’Obama et le mouvement social des années soixante
s’accentue dans le jeu de ressemblance entre le candidat à la Maison Blanche et le leader des droits civiques:
Martin Luther King. Lorsqu’il présente son profil Facebook, Obama cite une seule phrase dans la rubrique
“favorite quotations”: “the arc of the moral universe is long but it bends towards justice” (« l’arc de l’univers
moral est grand mais il tend vers la justice ») tiré du dernier discours de Martin Luther King en 1968. De la
même façon, dans son discours A More Perfect Union de Philadelphie 5 le 18 mars 2008, Obama pose lui
même sa campagne comme le prolongement des mouvements pour les droits civiques et même de la lutte
contre l’esclavage :
“This was one of the task that we set forth at the beginning of our presidential campaign, to continue the long
march of those who came before us. A march for a more just, more equal, more free, more caring, more
prosperous America.”
Pour le journaliste politique anglais Anthony Painter, cet “héritage” est légitime puisque la campagne de
Barack Obama reflète un mouvement plus large que l’on peut associer aux combats pour les droits civiques
commencé en 1955 par Rosa Parks :
“The inheritance and successes of the 1960’s civil rights movement extends to today’s politicians, Barack Obama
included” (Painter 2009: 21).
Pour Painter, Barack Obama doit également beaucoup à l’héritage laissé par les frères Kennedy en particulier
Robert Kennedy. Le discours d’Obama A More Perfect Union de Philadelphie le 18 mars 2008 fait d’ailleurs
référence à des concepts déjà mis en avant par Robert Kennedy notamment le souci de transcender les
divisions socio-ethniques afin d’éviter la polarisation des races. D’autre part, l’accent porté sur le changement
social et la possibilité d’un devenir meilleur était au cœur de la campagne de Kennedy en 1968, il déclara à
l’université du Kansas où il est invité à discourir le 18 mars 1968 :
“I think we here in this country, with the unselfish spirit that exists in the United States of America, I think we
can do better here also.”
Cette phrase “we can do better in this country” : nous pouvons mieux faire dans ce pays, est reprise par
Barack Obama dans quantité de ses discours et surtout dans le slogan qui aura marqué sa campagne: “Yes We
Can”. Jerry Kellman, l’ancien employeur d’Obama lorsqu’il travaillait encore en tant qu’organisateur
communautaire à Chicago déclara même dans le magazine conservateur National Review du 30 juin 2008 que
Barack Obama était né “dix ans trop tard” car “il avait toujours été très inspiré par le mouvement pour les
droits civiques”. Obama s’est à ce titre entouré d’anciennes figures du mouvement pour les droits civiques
comme Marshall Ganz, ancien membre du groupe Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC)
groupe étudiant pour les droits civiques des années soixante et désormais professeur à Harvard qui a aidé à la
mobilisation des volontaires pendant la campagne (Castells 2009 : 387). La campagne des primaires avait joué
quelques mauvais tours à Barack Obama à ce sujet puisque Hillary Clinton avait déjà souligné sa relation
étroite avec plusieurs activistes des mouvements sociaux des années soixante notamment Bill Ayers du
Weather Underground, faction terroriste d’inspiration marxiste. Néanmoins, le révérend Jeremiah Wright,
également lié au combat pour les droits civiques, célèbre pour ses propos parfois qualifiés d’anti-américain,
fut le personnage le plus controversé de la campagne. Ces reproches ont joué à l’encontre du candidat
démocrate en tant que discours officieux de ses adversaires notamment sur Internet comme le précise Virginie
Picquet :
“ Les vidéos postées sur Youtube ont également rythmé la campagne 2008 comme aucune auparavant […] et ceci
d’autant plus qu’une fois postées sur le Net, elles étaient reprises sur les blogs des sites progressistes ou
conservateurs puis par tous les médias. Les petits ou grands faux pas étaient ensuite exploités dans les publicités
négatives par les équipes respectives afin de discréditer l’un ou l’autre candidat.” (Picquet 2010 : 339)
Ainsi, Obama aura aussi à payer le prix de sa stratégie Internet et surtout telle qu’elle s’est associée au
grassroot networking. En effet, depuis le 17 juillet 2009, ce dernier est constamment contrecarré par un
groupe de pression politique conservateur les Tea Party Patriots qui reprennent les techniques du grassroot
networking: utilisation des médias du web à des fins de mobilisation, autonomie des groupes locaux qui
organisent des manifestations, discours et symboles du mouvement social associé à un paradigme culturel: le
refus de “ l’étatisme” des pères fondateurs, afin de discréditer un maximum la réforme de l’assurance maladie
menée par le gouvernement Obama depuis juin 2009.
Jose Antonio Vargas, journaliste au Washington Post a écrit avec humour dans un article paru le 1 er avril 2008
que la campagne présidentielle de Barack Obama signait l’avènement d’une clicocratie (clickocracy) en
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référence au clic de la souris pour signifier l’importance du débat et de la communication sur le net dans la
politique américaine. Nous pouvons sérieusement interroger l’aspect démocratique de ce débat qui ne peut
s’étendre à l’ensemble de la population américaine (alors que la télévision le pouvait plus largement) dû à sa
difficulté d’accès aussi bien technique que financière. Tous les Américains ne disposent pas d’Internet et n’ont
pas ample connaissance des nouvelles technologies afin d’accéder aux plateformes mises en place par le
candidat Obama pendant sa campagne mais aussi, par le président Obama qui a crée en 2009, une plateforme
de discussion citoyenne : Organizing for America (OFA). L’effacement des frontières entre mouvement social
et campagne politique nécessite une autre interrogation: qu’en est-il de l’intérêt particulier du candidat comme
l’a énoncé et pensé Alinsky en parlant de l’organisateur communautaire ? Doit-il être oublié au profit de la
formidable mobilisation qu’a autorisé la mise en réseau de milliers de militants à travers le pays ?
Liste des références bibliographiques
BEHRENT Michael C. (2008),“Saul Alinsky, la campagne présidentielle et l’histoire de la gauche américaine”,
10 juin 2008, sur www.laviedesidees.fr/Saul-Alinsky-la-campagne.html
BENFORD Robert, ROCHFORD Burke, SNOW David, WORDEN Steven (1986), “Frame Alignment
Processes, Micromobilization and Movement Participation”, American Sociological Review, 51, p 461-481.
CASTELLS Manuel (2009), Communication Power, Oxford University Press, New York.
DEBRE Guillaume, Obama (2008), Les Secrets d’une victoire, Fayard.
DREIER Peter (2009), “Organizing in the Obama Era: Commemorating the 100th Anniversary of Saul
Alinsky’s Birth”, The John Marshall Law Review, 42, 3.
LAZEGA Emmanuel (1998), Réseaux sociaux et structures relationnelles, Presses Universitaires de France,
Paris.
PAINTER Anthony, Barack Obama (2009), The Movement for Change, Arcadia Books, Londres.
PICQUET Virginie (2010), L’image du président de John Kennedy à Barack Obama, éditions Ophrys, Paris.
SKOCPOL Theda (2003), Diminished Democracy: From Membership to Management in American Civic Life,
University of Oklahoma Press.
VARGAS Jose Antonio (2008), “With the Internet comes a new political ‘clickocracy’”, 01 avril 2008,
www.washingtonpost.com/wpdyn/content/article/2008/03/31/AR2008033102856.html.
VON DREHLE David (2010), “Tea Party America”, Time, 1 Mars 2010, vol. 175, no.8.
Notes de bas de page
1
www.youtube.com/watch?v=pWe7wTVbLUU “A More Perfect Union”, 18 mars 2008.
2
www.youtube.com/watch?v=H5h95s0OuEg “My Plans for 2008”, 16 janvier 2008.
3
www.mybarackobama.com, www.facebook.com/barackobama, http://twitter.com/BARACKOBAMA
4
www.youtube.com/watch?v=1aBaX9GPSaQ « Homer Simpson tries to vote for Obama », 29 septembre 2008
5
www.youtube.com/watch?v=pWe7wTVbLUU “A More Perfect Union”, 18 mars 2008.
Pour citer cet article
VASQUEZ-PARRA Adeline. La stratégie du réseau social (grassroot networking) pendant la campagne
présidentielle de Barack Obama, août-novembre 2008 : discours et symboles du mouvement social. Signes,
Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet
2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1820. ISSN 1308-8378.
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Article
Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communication
politique en Afrique noire francophone
Louis-Marie KAKDEU, Doctorant en pragmatique cognitive et analyse du discours, sous la codirection de
Jacques Moeschler, Université de Genève et de Gabriel Mba, Université de Yaoundé I
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
L’article traite des différentes formes de promesse dans les discours politiques en Afrique noire francophone. Il
montre comment d’un statut de simple acte de parole, la promesse à valeur sensationnelle est devenue une
véritable stratégie de communication permettant de faire face aux attentes multiples et non concordantes des
différents acteurs. Dans une démarche multidisciplinaire et expérientielle, l’étude met un accès particulier sur
les périodes allant de 1980 à 2010 et relève que les conjonctures majeures traversées ont imposé trois types de
promesse aux autorités politiques qu’elles soient de l’opposition ou du pouvoir.
Abstract
This article is all about the study of the different types of promise in the political communication in Black
French speaking Africa. The work shows how the use of simple acts of speech has become a real
communication policy able to help in interesting the various actors. Using a multidisciplinary and an
experience-based approach, it covers particularly the period from 1980 to 2010 and indicates the emergence of
three relevant kinds of promise according to the different exigencies of the socioeconomic trends.
Table des matières
INTRODUCTION
I. LE PROBLÈME POLITIQUE D’INTÉRÊT DISCURSIF
II. L’ANALYSE DE L’ÉPOQUE DE LA PROMESSE UTOPIQUE À CONNOTATION NATIONALISTE
III. L’ANALYSE DE L’ÉPOQUE DES PROMESSES RÉALISTES ET POPULISTES À CONNOTATION
ÉLECTORALISTE
IV. L’ANALYSE DES PROMESSES INTELLIGENTES À CONNOTATION ÉLECTORALISTE
CONCLUSION
Texte intégral
INTRODUCTION
L’espace géopolitique de l’Afrique noire francophone que nous traitons couvre la partie de l’Afrique
subsaharienne qui se trouvait dans l’Empire colonial français (Marseille : 1984). De nos jours et dans leur
environnement politique, on assiste chaque année ou presque, d’un pays à l’autre, à l’organisation des
élections municipales, législatives ou présidentielles qui font de la scène politique, une perpétuelle mouvance
de campagnes électorales. Puisque les programmes politiques étoffés ne font pas nécessairement gagner des
élections dans leurs contextes d’analphabétisme et de sous-éducation notoires, on observe que tout le monde
se lance dans des promesses et au fil du temps, l’impression qui se dégage, est que les élections se gagnent au
plus sensationnel. Comme il est d’usage, le perdant conteste la victoire du gagnant et le cycle de la
manipulation du peuple s’enchaîne avec pour conséquence que plusieurs décennies après les élans de
démocratisation, la qualité de vie laisse perplexe. Dans le présent travail, nous nous intéressons aux pratiques
de manipulation ou de promesses sensationnelles comme stratégie discursive en politique. Premièrement, nous
montrons leur modèle de causalité tel qu’il se présente dans la théorie des actions publiques en sciences
politiques. Ensuite, nous jetons un regard cognitif et pragmatique sur l’évolution de la promesse dans les
discours en lien avec les enjeux politiques des années 1980 à nos jours. Nous avons choisi, en raison de
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l’existence d’une certaine similitude historique entre les Etats de notre zone d’étude, de présenter une théorie
des actions de communication qui prend en compte toute leur étendue et de nous concentrer, en pratique, sur
le cas du Cameroun. La collecte et l’interprétation des extraits de discours ont été faites sur la base de
l’expérience des acteurs et de notre propre observation participative.
I. LE PROBLÈME POLITIQUE D’INTÉRÊT DISCURSIF
Dans ce travail, le sensationnel consiste simplement à vouloir utiliser la parole et en l’occurrence, la
promesse, pour rechercher « de la violence ou le miracle » en vue de peigner « un visage grotesque sur le
monde » et en privant le public « de la possibilité d'examiner les événements subtils avec de grandes
conséquences » (Stephens, 2007 : 113). La promesse telle que nous la concevons consiste à prendre dans cette
lancée un engagement oral ou écrit à répondre aux attentes des acteurs de la politique de communication. Le
procédé consiste à annoncer, prédire, faire espérer ou assurer que le nécessaire sera fait. Duradin (1982) parle
de mensonge et le présente comme un discours sur lequel il a été appliqué des procédés d’adjonction, de
soustraction ou de déformation de l’information. Il s’agit donc d’un discours qui n’est plus fidèle aux faits et
dont l’utilisation de l’un des procédés vise à créer des effets spécifiques sur la cible. À ce sujet, KerbratOrecchioni (1984 : 213) parle de « discours du Parti, donc de parti pris, discours apologétique et polémique,
dont l’enjeu est de dévaloriser la position discursive de l’adversaire tout en valorisant la sienne ».
Pour une analyse efficace de ces discours à connotation politique, nous trouvons judicieux de présenter la
théorie des interactions entre les acteurs politiques car, comme le pensait Perret (1997 : 292), une politique
dont celle de la communication est « une construction théorique, au sens où elle implique une représentation
a priori des mesures mises en œuvre, du comportement des acteurs, de l’enchaînement des mécanismes
d’action et des effets produits sur la société ». Dans ce sens, Knoepfel v.d. (2006 : 63) relève pour chaque
politique publique, l’existence d’un triangle constitué des autorités politico-administratives, des bénéficiaires
et du groupe cible. Le cas de la politique de communication en Afrique Noire Francophone se présente de la
manière suivante :
Dans notre schématisation, l’hypothèse causale apporte une réponse politique à la question de savoir qui sont
les coupables du problème à résoudre et l’hypothèse d’intervention établit comment le problème collectif peut
être atténué (Knoepfel v.d. 2006 : 64-65). Les autorités politico-administratives sont composées des élus et des
cadres de l’administration. Dans les normes, elles interagissent, conformément à l’hypothèse d’intervention,
avec le groupe cible au bénéfice des populations nécessiteuses. Le groupe cible est constitué des électeurs et
du corps des armées qui, selon leur degré de satisfaction, sont des militants, des opposants ou des rebelles
(Pabanel, 1984, Souare, 2007). La spécificité de ce schéma des acteurs est qu’on retrouve les mêmes acteurs
dans les tiers perdants et les tiers gagnants. En effet, la France, les Puissances étrangères et les bailleurs de
fonds sont des impérialistes ou « néo-colons » 1 (perdants) lorsqu’il s’agit de protéger leurs intérêts
économiques et financiers, et des membres de la communauté internationale lorsqu’il s’agit de l’aide à
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l’amélioration des conditions de vie des populations. On peut citer la France-Afrique 2 dont le 25ème sommet
s’est tenu le 31 mai 2010 à Nice et que l’auteur controversé 3 Verschave (1999 : 380) décrit comme :
« une nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en France et en Afrique, organisée en réseaux et
lobbies, et polarisé sur l’accaparement de deux rentes : les matières premières et l’Aide publique au
développement. La logique de cette ponction est d’interdire l’initiative hors du cercle des initiés ».
La classe politique gabonaise n’utilise pas de langue de bois à ce sujet 4 . Selon Omar Bongo 5 « L'Afrique
sans la France, c'est la voiture sans le chauffeur. La France sans l'Afrique, c'est une voiture sans
carburant. » 6 . D’ailleurs, ce dernier disait : « Si la France me lâche, je lâche la France » 7 . Le ton des
interactions politiques est donc clairement donné.
Les clans politiques constitués des sponsors, parrains et presses, sont respectivement appelés entreprises
citoyennes, personnes de bonne volonté et presses politiques (gagnants) en cas de respect des contrats tacites,
et des clientélistes, corrupteurs, corrompus et presses sensationnelles (perdants) dans le cas contraire. Vue
d’Afrique, la presse occidentale est par exemple qualifiée de sensationnelle parce qu’elle s’intéresse plus aux
faits divers du « sous-continent » qu’à son émergence. Un sommet qualifié de « néocolonial » comme le 25 ème
de la « France-Afrique » est curieusement évité malgré les 38 chefs d’Etats Africains mobilisés.
La question est donc de savoir comment les autorités politiques font pour communiquer au milieu de tous ces
intérêts 8 . Ceci nous ouvre une piste de compréhension sur les raisons pour lesquelles les autorités politiques,
situées entre le marteau et l’enclume, utilisent la promesse comme stratégie politique pour gérer le passage
d’un intérêt à l’autre 9 .
II. L’ANALYSE DE L’ÉPOQUE DE LA PROMESSE UTOPIQUE À CONNOTATION
NATIONALISTE
Nous entendons par promesse utopique tout acte de parole qui annonce la construction d’un monde idéal. Or,
comme le disait Robert William Service (Service : 2002), la promesse est une dette et nous relevons ici tous
les engagements que les autorités politiques prenaient alors qu’elles ne pouvaient pas respecter.
Il y a environ cinquante ans en pleine actualité de la décolonisation, le discours nationaliste était légitime et
susceptible de faire foule. La promesse manipulatoire qui faisait sensation était celle de vouloir libérer le
peuple du joug du « néo-colon ». Les populations locales d’une part et les anciens colonisateurs d’autre part
étaient tous en pleine expérimentation de la bonne foi des premiers Dirigeants Noirs à servir leurs intérêts
mutuels. La promesse a eu tout son sens parce qu’elle a permis de faire miroiter aux populations que les
colons étaient partis et qu’elles devaient baisser la garde. Face aux accusations de trahison, la préoccupation
des Premiers Leaders était de prouver leur bonne foi et de forger une image de nationaliste. Ils se sont presque
tous fait appeler : « Père de la Nation ».
Au début des années 1980, on enregistre d’autres formes de sensations dans les paroles et les actes politiques.
On ressent une forte volonté de tourner la page coloniale, d’affirmer l’unité nationale et la construction des
pays. Au Cameroun par exemple, le Président Paul Biya 10 arrive au pouvoir presque en fanfare en
promettant le « Renouveau », la « rigueur et la moralisation » 11 . Il se fait appeler : « l’homme du
Renouveau ». En 1985, au congrès fondateur de son parti, le RDPC 12 , il annonce la fin du « parti unique » et
donc, de la « pensée unique », ce qui était remarquable. Mais, dans les faits, cela n’avait été qu’un leurre ; sur
le plan cognitif, depuis cette période, l’agression psychique de l’approche autoritariste est restée présente à
travers, par exemple, la diffusion quotidienne et en plein midi à la radio nationale, d’une mélodie de son chant
de gloire dont les paroles disent entre autres : « Paul Biya nous te présentons les camarades du RDPC, des
millions, des millions… ».
En 1987, les paroles sont encore plus sensationnelles en Afrique Noire. Un angle de vision possible de cette
réalité au Cameroun est la déclaration « crue » de Paul Biya : « le Cameroun n’est la chasse gardée de
personne » 13 . Cette promesse implicite de mettre fin à la mainmise de la France sur son ancienne colonie 14
était énorme mais, cela n’avait valu que le temps de l’événement. Il eut à dire haut et fort : « Je n’irai pas au
FMI 15 » et « Avec ou sans le FMI, le Cameroun se sortira de la crise » 16 . À cette époque, la connotation de
cette déclaration était très nationaliste à l’image de ce que disait son homologue Thomas Sankara du « pays
des hommes intègres », le Burkina Faso : « […] ne payons plus nos dettes [chez les bailleurs de fonds] » 17 .
Ces leaders exprimaient-là un rêve d’autonomie qui ne pouvait que favoriser l’inscription de leur nom dans
l’histoire comme de « Vrais Libérateurs». De même, Biya disait vouloir qu’on retienne de lui qu’il était le
Président qui avait apporté la « démocratie et le progrès » au Cameroun. Mais, ce ne fût que de grosses
sensations discursives car, pendant que Sankara se faisait assassiner, Biya revenait sur sa décision 18 . Du
point de vue de la communication, la promesse dans le discours politique ne fût pas tenue et en se référant au
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triangle des acteurs ci-dessus, tout porte à croire que le lobby 19 des tiers perdants des faits promis s’était mis
en branle pour faire bloc contre leur mise en œuvre. En 2007, le même scénario s’est reproduit avec le cas du
Ministre camerounais des Finances qui a dit: « Nous n'irons plus chercher l'argent du FMI » 20 . À cette
déclaration, des « ouf ! » de soulagement n’avaient pas duré non plus parce que le Cameroun retournera au
FMI.
On observe bien qu’en matière de promesses politiques, plusieurs décennies après les indépendances, la
balance entre les attentes des populations nécessiteuses et celles des tiers perdants bascule toujours en
défaveur des premiers, ce qui crée des crises de confiance susceptibles d’être gérées par le recadrage des vrais
bénéficiaires des actions. Toutefois, dans la décennie 1980, l’esprit des promesses cadrait bien avec les élans
politiques de l’époque. L’essentiel pour les nationalistes n’était pas d’atteindre les objectifs énoncés, mais de
« vendre » l’idéal auquel il fallait aspirer. En 1983 et en 1987 respectivement au conseil national de l’UNC 21
et dans son livre Pour le libéralisme communautaire, Paul Biya a été particulièrement éloquent à ce sujet 22 .
De même, en 1990, il refuse de céder au réalisme que lui imposait la mauvaise conjoncture, en demandant à
son parti de s’habituer à la concurrence politique et en proclamant la « démocratie » pendant que les leaders
occidentaux réalistes à l’instar de Jacques Chirac 23 créait l'ambiguïté en affirmant que la démocratie était un
« luxe » pour l’Afrique : « l'évolution de la vie politique intérieure de ces pays [Africains] doit se faire à leur
rythme et non dans la précipitation ». Malgré tout, le réalisme en politique avait commencé à s’imposer à
partir de ce moment-là. On parla même de la realpolitik 24 .
III. L’ANALYSE DE L’ÉPOQUE DES PROMESSES RÉALISTES ET POPULISTES À
CONNOTATION ÉLECTORALISTE
La promesse réaliste est envisagée comme un acte qui communique sur le gain mutuel dans l’exercice du
pouvoir. Elle est populiste quand elle se fonde sur l’incrimination de l’élite politique, économique et
financière (Rioux : 2007). On observe que la promesse prend une coloration de la realpolitik c'est-à-dire d’une
politique fondée sur le calcul des forces et des intérêts (Kissinger, 1996 : 123).
Dès 1991, la tendance dans les discours à la fois envers les populations, les Puissances étrangères et les
bailleurs de fonds, est de céder à la réalité des intérêts de pouvoir en jeu. En interne, la concurrence politique
était devenue rude avec les mouvements de démocratisation et il fallait commencer à tenir compte du jeu
électoral. La politique du réalisme voulait même qu’on fasse voter « aveuglement [tout moyen est bon] »,
l’essentiel étant de « gagner » les élections. On observe donc la disparition presque totale de beaux discours
nationalistes et idéologiques au profit des promesses populistes. La situation dans les pays se dégrade et le
peuple prend les pouvoirs en place pour bouc-émissaires. L’opposition nage dans la mouvance du temps et son
discours se résume essentiellement en une chose : « le pouvoir est en train de tuer le pays […]. Ils [le
pouvoir] sont en train de faire des manœuvres pour truquer les élections ». Pour ce faire, on offre du
sensationnel à la population comme arme principale susceptible de permettre de sauvegarder son vote. Dans
l’environnement cognitif, planait l’ombre de la promesse de réaliser le « mystère ». A ce sujet, il se développe
au sein de l’opinion camerounaise, par exemple, une adhésion hystérique aux promesses sensationnelles de Ni
John Fru Ndi, un personnage charismatique jusque-là méconnu et qui apparaissait toujours en tenue
traditionnelle d’apparat de sa région, le Nord-Ouest. Dans la représentation politique, la notion de
«traditionnelle» connote « nationaliste » et « mystique ».
En tant que nationaliste, son profil faisait le lien avec les attentes de l’aire de gloire idéologique qui courait
encore en ce début des années 1990. Une explication possible des mobilisations derrière lui serait bien le fait
qu’à partir des années 1988, l’enthousiasme nationaliste qui émanait des premières heures de pouvoir de Paul
Biya s’estompa. Alors que le monde traverse une crise de surproduction et que le Cameroun, économie
agricole, ne trouvait plus de débouchés pour ses produits, le Président demanda de « retrousser les manches »
au lieu de continuer à vendre l’illusion du rêve d’une société idéale. De même, alors qu’on se trouvait dans la
mouvance des Conférences nationales souveraines pour « panser les plaies » du passé, le gouvernement
25
camerounais alla en contre courant et déclara : « Le Cameroun, c'est le Cameroun [et non le Benin
ou le
Mali 26 ] » 27 , « La conférence nationale est sans objet [...].Tant que Yaoundé 28 respire, le Cameroun
vit » 29 , « Me [Biya] voici donc à Douala 30 [faites alors ce que vous pouvez !] ». L’opposition n’avait donc
été qu’opportuniste, dans ce contexte de défiance politique, en proclamant la fin de la souffrance dans un
pidgin accessible à tous: « sofa don finish [C’est fini la souffrance] » 31 .
En tant que personne « mystique », Fru Ndi propageait ainsi l’illusion d’être crédible pour faire face au
« pouvoir » de Yaoundé. Dans la représentation mentale locale, les ressortissants de sa région étaient réputés
être de bons tradi-praticiens 32 , ce qui voulait dire que l’homme connotait la « puissance » pour chasser le
bouc-émissaire Biya. A l’œil nu 33 , il ne lui a fallu ni argent considérable, ni soutien des Puissances
étrangères pour se hisser comme idole de la masse. D’ailleurs, on entendait dans un pidgin-english accessible
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à tous : « I go catch him [Je vais l’attraper, parlant de Biya] ». Cette promesse du mystique était accompagnée
par des accessoires spécialisés comme cette espèce de mouchard ou bout de bâton scruté que tiennent les
dignitaires de sa région et qui est porteur de puissance selon les croyances populaires. L’image du dignitaire
laissait entendre que par un « bâton magique », il pouvait décréter la fin de toutes les souffrances du
Cameroun. Comment pouvait-on croire en ce genre de choses ? De façon hystérique, la question rationnelle ne
semblait pas venir à l’esprit des gens. Plus le « Chairman », comme il se faisait appeler, enchaînait ses
tournées, plus il donnait une certaine sensation forte de sécurité menacée par « l’homme-lion » 34 .
Après 1992, les échéances électorales sont finies et les promesses à connotation sensationnelle perdent de
leurs valeurs. L’opinion se divise et de façon implicite, on peut comprendre qu’à la fin de l’hystérie, les uns et
les autres se soient ravisés et se soient rendus compte des limites rationnelles du « Chairman ». Dans tous les
cas, on observe par la suite des événements que le pouvoir en avait tiré des leçons. L’environnement cognitif
du grassfield 35 est récupéré dans l’approche de la communication politique du Pouvoir et Simon Achidi
Achu, l’alter ego 36 de Ni John Fru Ndi, est nommé Premier ministre du Cameroun. Entre 1992 et 1996, dans
la même mouvance culturelle qui régnait et faisait gagner, il lança : « politic na njangui [le jeu politique
fonctionne comme une tontine : tu me cotises, je te cotise [] » 37 et promet ainsi implicitement la récompense à
toutes celles et à tous ceux qui feraient allégeance au régime. Au sein de la même culture, on ne promettait
plus le « mystique » mais, le « partage du gâteau » avec pour condition de « cotiser » pour en avoir droit.
Pendant la campagne électorale qui conduisit aux présidentielles de 1997, le langage du « njangui » consistait
à proposer du « fifty-fifty » à savoir que « tu tapes dans mon dos, je tape dans ton ventre » ou mieux « tu me
donnes et je te donne à mon tour, sinon tu n’a rien ». Le principal concerné lui-même témoigne : « Nous
disions aux gens que si vous donnez vos voix à Paul Biya, étant donné qu’il gère le pays, il sera à mesure de
38
vous donner en retour en fonction de vos besoins et des disponibilités du pays » . Dans cette démarche, on a
clairement la division du groupe des bénéficiaires en ceci qu’on ne promet plus de soutenir que la portion du
peuple qui accepte d’entrer dans le jeu du réalisme politique. L’homme politique se fait un outil
commercialisable auprès de tous ceux qui veulent obtenir des privilèges au sein de la « mangeoire [appareil de
l’Etat] » 39 . On observe aussi que la répression ne se fait plus par terreur physique de l’époque du
nationalisme mais, par suppression des avantages liés à la citoyenneté 40 . Comme il se disait, les relations
entre les politiques et les bénéficiaires avaient « l’œil [pour discerner] et les dents [pour croquer] ».
Le mot d’ordre de l’opposition devient le boycott et un silence « sensationnel » caractérise leur politique de la
« chaise vide ». Le profil du mystique ne fait plus foule. Dans la mouvance de la libéralisation de la
communication, les médias à capitaux privés ne s’empêchent plus d’ouvrir leurs antennes aux défoulements
de toutes sortes. La libido politique se transpose dans les médias et les audiences se calculent au plus
sensationnel. On crée une obsession autour du « Pouvoir » et on se rivalise de superlatif pour diaboliser les
régimes en place. Sur le plan économique et social, l’opposition promet « rien » et se contente de brandir « la
démocratie occidentale » comme solution « miracle et passe-partout ».
En s’interrogeant sur les attentes du peuple, on constate simplement que depuis la crise économique de 1988
doublée par la dévaluation du franc CFA en 1994, tout s’oriente vers le désir de la relance. Or, dans les faits,
le lien scientifique entre la démocratie et la croissance est mitigé. Cela veut dire que les discours politiques
qui consistent à promettre la démocratie pour le développement sont des mensonges au sens de Duradin
(1982). La leçon de Louis XI 41 s’applique donc à savoir que : « En politique, il faut donner ce qu'on n'a pas,
et promettre ce qu'on ne peut pas donner ». Il y a une quasi-absence de publications consultables et cela
constitue toujours une facette de la promesse sensationnelle. La technique consiste à être toujours celui qui
critique tout en évitant de donner l’occasion de se faire prendre. Louis XI reste vraiment le Roi du jeu : « Qui
ne sait dissimuler ne sait pas régner. »
42
Jusqu’en 2004, la stratégie marchait bien puisque même les Pouvoirs s’étaient tus et préféraient de fonctionner
par des rumeurs : absence de prises de position claire, beaucoup de promesses de « démocratie apaisée », de
« paix et stabilité », etc. Le discours public des leaders politiques se faisait rare et il fallait attendre des
occasions de cérémonies officielles pour glaner quelques informations. De part et d’autre, on remarquait des
lancements de rumeurs en vue d’enregistrer des réactions qui servaient à orienter les « actions surprises ».
C’est aussi le début du règne des médias à tendance sensationnelle qui s’alimentaient de ces rumeurs. La
pratique politique par excellence consistait à distribuer, pour se faire élire, de l’argent, des gadgets et des
aliments. Le fait de « bien parler » consistait à « gombotiser » 43 . Ce sont-là des manifestations de la
promesse réaliste qui a pour crédo « la politique du ventre » : exploiter la misère de la population pour rester
au pouvoir d’une part ou pour le conquérir d’autre part.
En 1998, au Cameroun, on observe dans la promesse de l’atteinte prochaine du « bout du tunnel » que Paul
Biya joue le jeu de la dissimulation politique par le sensationnel. Mais, depuis lors, son peuple semble
toujours lui demander en vain : « À quand ce bout du tunnel ? ». Toutefois, dans la représentation mentale, les
promesses de « l’homme-lion » ne sont pas toujours balayées d’un revers de la main car il a su surprendre en
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matérialisant un peu comme cadeau de « l’an 2000 » son fameux « Je vous verrai » 44 qu’il avait lancé à
Roger Milla, le Lion Indomptable 45 , héros de la Coupe du monde de football de 1990 en Italie. Ce faisant, le
leader camerounais avait actualisé sa manière de faire la langue de bois (Boyomo Assala : 2001) et imprimé
dans l’imaginaire collectif une image de personne « imprévisible ». L’intérêt pragmatique qu’on peut en
déceler est qu’il a su faciliter son activité de vente de l’illusion politique. En 2000, il disait à la
population « […] je vous ai compris » et en 2004, l’idéologie de la morale publique se trouve entièrement
sabotée car, « tous » les acteurs ont les « mains sales ». Comme a chanté l’artiste du pseudonyme « Aïe-Jo
Mamadou » qui ressemble par analogie à « Ahidjo Ahmadou 46 [qui crie Aïe pour ce que le Cameroun est
devenu]» : « mouillé, c’est mouillé ; il n’y a pas de mouillé-sec ». La realpolitik n’était plus réaliste au vu du
nombre de dégâts qu’elle engendrait.
IV.
L’ANALYSE
DES
PROMESSES
INTELLIGENTES
À
CONNOTATION
ÉLECTORALISTE
Il faut entendre par promesse intelligemment faite, un enchaînement discursif actualisé (Boyomo Assala :
2001) intellectuellement et technologiquement correct. Comme le disait Dave Barry (1998), les ordinateurs
ont le pouvoir de transformer notre monde en un monde qui nous soit tout à fait étranger.
Dès 2004, les discours du pouvoir commencent à chercher une alternative à la politique de la promesse du
« partage du gâteau ». On perçoit dans le ton des interventions publiques que les dérives de cette approche
agacent les pouvoirs. A l’occasion de la campagne électorale, Paul Biya feint de se démarquer de la
realpolitik : il annonce qu’il a pour le Cameroun un projet des « Grandes Ambitions » 47 et promet : « vous
verrez, ça va changer ».
Pendant ce temps, on observe que l’opposition délocalisait aussi son offre de la promesse du « mystère ». La
variable forte n’était plus le mystique mais plutôt, les nouvelles technologies de la communication. A l’heure
où l’arrimage à Internet et aux téléphones portables est total, on promet d’utiliser ce « mystère
technologique » pour « chasser » les régimes en place faits des « Vieux de l’autre époque ». Un exemple
d’effet sensationnel de cette approche est la rumeur qui a circulé sur internet sur le décès de Paul Biya
embarquant la totalité de la presse nationale dans la reprise de l’information sans aucune considération à la
vérification de la source. L’hystérie que cela avait produite, indique que la stratégie de la communication avait
été sophistiquée.
En 2006, la promesse intelligente est suffisamment peaufinée chez Paul Biya et la stratégie semble être : « on
se presse de tout dire de peur d’être critiqué ». Or, comme le disait Alain (1923): « Je plains ceux qui ont l'air
intelligent ; c'est une promesse qu'on ne peut tenir ». Ainsi, Biya reconnaît 48 que sa communication politique
par le passé était « grippée », dénonce « l’inertie » (Olinga : 2009) dans son régime et promet « tout » aux
militants de son parti dont entre autres : des « actions fortes pour relancer la croissance », la « discipline
budgétaire et bonne gouvernance », le « développement d’une économie moderne » et ce, de façon urgente car
« chaque jour compte. Alors, assez tergiversé. Entrons dans la mêlée ». Le Président venait ainsi de promettre
« l’intelligence » aux militants assoiffés de sensation. Il leur dit : « Je n’ai pas changé » et finit par :
« l’énumération en serait fastidieuse, mais il est loisible d’en constater la réalité ». Accompagnées par des
séries des questions rhétoriques : « N’en sommes-nous pas capables ? », « Avons-nous le droit d’hésiter ? »,
« Dois-Je rappeler que nous ne sommes plus à l’ère du parti unique ? », les promesses du Président
Camerounais sont intelligemment faites de manière à ne pas susciter l’ombre d’un doute. Il dit : « Non, chers
camarades, rassurez-vous, je ne rêve pas ». Elles ont pour but de contrer toutes les formes de critiques
possibles susceptibles d’être formulées. D’ailleurs, on dit maintenant en politique que « la meilleure défense
est l’attaque ».
La nouvelle démarche discursive intelligente des hommes politiques au pouvoir est donc clairement (1)
d’énumérer d’une part tous les maux possibles susceptibles d’être trouvés et (2) d’y opposer d’autre part,
toutes les solutions possibles, et (3) de conclure sur la volonté de faire. L’homme politique veut prouver aux
populations et à la Communauté internationale sa bonne foi de faire le nécessaire. Cela se traduit par « Je sais
ce qu’il faut faire et je me bats à le faire » et c’est intentionnellement manipulatoire puisqu’il se bat plutôt
pour se faire élire.
Depuis 2008, le discours de l’opposition se cristallise sur la volonté d’éternité au pouvoir des régimes en
place. Le mystère de la technologie ayant été maîtrisé, un autre pôle d’exploration est la Communauté
internationale. Alors, on promet de court-circuiter les méthodes de ces régimes en s’appliquant sur du
sensationnel dans des plaintes au niveau international. Au nom de la démocratie et de la liberté d’expression,
l’heure est aux campagnes de diffamation et d’attaques des personnalités et de leurs proches. Des situations
humanitaires sont provoquées ou exploitées pour alimenter ce réseau en parlant notamment de « crimes contre
l’humanité » et des menaces de poursuite par la Cour Pénale Internationale. Le but est bien sûr de créer des
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sensations pour qu’il y ait une répercussion électorale. En 2009, c’est le cas des rapports de l’ONG baptisée
« Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement » (CCFD) sur les prétendus « biens mal
acquis » des Présidents Africains. Pour le cas du Cameroun, Jean Merckaert, un porte-parole, informait le
public que des « militants et journalistes camerounais » avaient été déçus que leur pays ne figurât pas dans
leur Rapport 2007 : « Ils ont cherché à rassembler tous les éléments à leur disposition sur le sujet, et même
celui du Président camerounais. C’est essentiellement ces documents et quelques autres qui vont nous
permettre de consacrer quelques pages… au Cameroun. » 49
Il était donc clair que le rapport en question avait une connotation sensationnelle nonobstant la pertinence
qu’il pouvait avoir. Cela exprime la détermination d’une certaine diaspora instruite ou non de la chose
politique qui se dit convaincue de ce que : « on peut tromper tout le peuple une partie du temps, on peut
tromper une partie du peuple tout le temps, mais jamais tout le peuple tout le temps ». Elle dit notamment que
« l’heure est venue où les manipulations ne passeront plus du tout, car tout le peuple est en éveil
désormais. » 50 Cette promesse de conquérir le pouvoir et de court-circuiter le fonctionnement des pays de
l’extérieur est prise très au sérieux par les protagonistes. Pour le cas du Cameroun par exemple, une
délégation de hauts fonctionnaires a sillonné la diaspora occidentale en avril et mai 2010 dans le but de
ventiler la promesse de l’implication de cette dernière dans la gestion du pays (« double nationalité et droit de
vote ») : « les choses vont changer ! » 51 .
Il ressort des différentes lettres ouvertes et pétitions 52 que la principale revendication de l’opposition est le
besoin de « l’alternance » sans qu’on ne puisse faire une connexion scientifique entre le changement de
régime et le développement. Cela indique qu’on est au bord d’une mauvaise conjoncture sociale comparable à
celle des années 1990 et que le tiers gagnant risque d’être un opportuniste qui saura nager dans le courant du
temps. D’ailleurs, avec l’élection de Barack Obama aux Etats-Unis en 2009, une série d’hommes politiques
du « Yes I can » 53 se dévoilent au jour le jour sur internet. On n’entend plus que : « nous voulons des
élections libres et transparentes ». Et les nouveaux putschistes en Guinée 54 ou au Niger 55 n’ont rien fait
d’autre que de promettre cela. Comme le pensait Quantin (2002, 6-7) :
« La vague de transitions démocratiques du début des années en 1990 a marqué le retour du multipartisme et du
principe des élections libres et honnêtes. Elle a replacé la question du vote au centre de la politique africaine.
Pourtant ce retour ne doit pas occulter la trace des expériences politiques non-compétitives vécues pendant vingt
ou trente ans par les électeurs africains. Ignorer ce passé de dénégation et de détournement du sens du vote
empêche de saisir les difficultés liées aux (re)démocratisations. »
Tous les acteurs ne pensent plus qu’aux élections pour (1) arriver au pouvoir (opposition), (2) mettre
quelqu’un au pouvoir (néo-colons) ou (3) se maintenir au pouvoir (régimes en place). Certains polémistes
qualifient de néocolonialisme l'attitude actuelle qui consiste à faire appel à la communauté internationale et à
la démocratie occidentale pour s'ingérer dans les affaires politiques des pays d’Afrique Noire afin d'y apporter
les soi-disant « paix, démocratie, droits de l'homme ». Plus on brandit la démocratie et on passe aux élections,
moins les gens voient leurs situations s’améliorer. Le Benin est présenté d’une part, comme « modèle de
démocratie » et d’autre part, comme l’un des pays de l’Afrique Noire Francophone les plus pauvres 56 . En
févier 2008, on avait assisté aux « émeutes de la faim » 57 au Cameroun alors que quelques mois plutôt lors
des législatives en juillet 2007, les mêmes populations avaient donné « une majorité confortable » au régime
de façon pacifique. Ces paradoxes nous indiquent sur le plan pragmatique qu’il y a nécessité de décaler les
discours du champ des élections vers celui des nécessités vitales du peuple car, l’illusion vendue actuellement
dans la promesse de la démocratie tarde à se réaliser.
CONCLUSION
À la fin de cette analyse, on peut dire que la promesse politique dans les régimes présidentialistes d’Afrique
Noire Francophone génère des effets sensationnels qui ne comblent pas les attentes des populations
nécessiteuses. Hantés en perpétuel par le spectre des élections prochaines, les hommes politiques sont plus des
sapeurs pompiers que de vrais bâtisseurs ; ils s’intéressent plus à la stabilisation des cycles conjoncturels
(populaires) et moins au lancement de vraies réformes structurelles susceptibles de conduire à la croissance
(impopulaires). L’enjeu politique est la perte ou la victoire aux élections dont le cycle tourne et tourne sans
cesse si bien qu’on peut parler de rouleau compresseur. Il convient donc qu’au niveau global africain, il y ait
une harmonisation des discours politiques sur la variable à expliquer qui est la croissance et non sur la
variable explicative qui est la démocratie. Pour l’avenir de la communication, des voix commencent à s’élever
pour évaluer les discours démocratiques. Le but est d’isoler cette variable « démocratie » et comparer sur une
durée déterminée, le niveau de croissance obtenu avant et après son instauration. C’est le gage d’une
communication politique efficace dénuée de toute manipulation.
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Notes de bas de page
1 Les leaders panafricains comme Kwame Nkrumah (1909-1972) ou Mongo Béti (1932-2001) furent les premiers à
utiliser ce terme pour désigner ceux qui contrôlent l’Afrique par des moyens indirects.(Nkrumah : 2009) et (Beti :2003)
2 Invention de l’'ancien président de la Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny en 1955 pour définir les bonnes relations
qu’il voulait établir avec la France et reprise par François-Xavier Verschave par « Françafrique ».
3
Le journal Le Monde du 2-3 juillet 2005 reprit ses reproches d’écrire les livres sans se rendre sur le terrain.
4 Après le feu Président Bongo Ondimba, l’opposant André Mba Obame le répète assez régulièrement dans ses
interviews depuis sa perte des élections présidentielles en 2009.
5
Deuxième Président de la République du Gabon qui régna de 1967 à sa mort en 2009, soit pendant 42 ans.
6
Zineb Dryef, « Bongo et la France : quarante ans de mauvais coups », Rue 89, 27 juillet 2007.
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7
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« Le Gabon à la croisée des chemins », Le Pays, 8 juin 2009.
8 Témoignage de l’écrivain Calixte Beyala au journal Le jour « On se rend compte que les premiers présidents africains
étaient pris en otage en quelque sorte. Ils avaient les pieds et les mains liés par l'occident », URL de référence :
http://www.africatime.com/Cameroun/nouvelle.asp?no_nouvelle= 514728&no_categorie
9
AFP, « Bongo a ‘‘servi l’intérêt de la France’’ pas ses ‘‘citoyens’’ pour Eva Joly », Libération, 8 juin 2009.
10
Le Président Paul Biya est au pouvoir depuis le 6 novembre 1982, soit depuis 28 ans à nos jours.
11
Lors de son discours d’investiture le 6 novembre 1982.
12
Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais qui remplaça l’Union Nationale Camerounaise (UNC).
13
C’était lors d’une tournée européenne qui le conduisait entre autres en Allemagne et en Turquie.
14
Le Cameroun n’a jamais été une colonie française même s’il a été traité de la sorte.
15
Fonds Monétaire International.
16 En 1987, devant les députés à l’Assemblée Nationale d’une part et lors de son discours de fin d’année d’autres part, le
président Biya réaffirma à la Nation son hostilité à l’égard de la dette.
17
Ce fût dans son discours au Sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1987.
18
Le Cameroun ira bel et bien au FMI en 1988 et sera mis sous ajustement structurel.
19
Nous utilisons ce mot en référence à un groupe de pression.
20
C’était le ministre Essimi Menye à Yaoundé le 4 février 2007 au cours d'une conférence de presse
21
Union Nationale Camerounaise, parti unique en 1982 à la prise de pouvoir de Paul Biya.
22
Voir détails à http://journal.rdpcpdm.cm/index.php?option=com_content&task=view&id=515&Itemid=265
23
Il était à cette époque le maire de Paris en visite le 18 juillet 1990 à Tunis.
24 Le terme « Realpolitik » désigne la politique ou la diplomatie fondée principalement sur des considérations pratiques
de pouvoir et non sur des notions d’idéologies ou de la morale publique.
25 L’un des premiers Président à accepter la « conférence nationale », Mathieu Kérékou déclara même : « J’accepte
toutes les conclusions de vos travaux » et fût battu aux présidentielles par Nicéphore Soglo en 1991.
26 En 1991, Le président Moussa Traoré est renversé par le général Amadou Toumani Touré qui, après une période de
transition, restaure la démocratie avec l'élection d'Alpha Oumar Konaré en 1992.
27 L'expression a été prononcée par l'ancien Premier ministre Sadou Hayatou lors de la « Conférence Tripartite » qui
avait regroupé du 30 octobre au 15 novembre 1991, au Palais des Congrès de Yaoundé, les acteurs politiques
28
Yaoundé est la capitale politique du Cameroun et siège des institutions.
29 Suite à son Premier ministre, Biya a fait cette déclaration qui engendra des casses pendant les 48 heures qui suivirent
dans les villes de Douala, Bamenda, Limbé et Kumba.
30
Douala, capitale économique du pays, était le fief des révoltes qui ont conduites aux « villes mortes » en 1991.
31
Slogan du Social Democratic Front (SDF), le principal parti d’opposition du Cameroun.
32
Ce terme est utilisé au Cameroun pour désigner les spécialistes de la médecine locale.
33
C’est discutable parce que le soutien des « Grosses puissances » n’est jamais visible.
34
Paul Biya faisait sa campagne à l’image du lion perçu comme animal le plus fort de la jungle.
35
Ethnie couvrant à peu près les régions du Nord-Ouest et de l’Ouest du Cameroun.
36 Ni John Fru Ndi, militant du RDPC depuis le congrès de Bamenda de 1985 et conseiller municipal de Bamenda de
1987 à 1990, est devenu opposant suite à sa non-élection, face à Simon Achidi Achu, comme président de la section
départementale de la Mezam et candidat du parti aux législatives de 1988.
37 Le Njangui est une plate-forme de cotisation mutuelle au sein de laquelle n’ont droit aux fruits de la répartition
équitable que les membres qui ont contribué.
38
Source : Journal du RDPC, http://journal.rdpcpdm.cm/index2.php?option=com_content&do _pdf=1&id=201
39
Terme utilisé au Cameroun dans l’imaginaire populaire pour désigner l’administration publique.
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40
La communication politique du Président parle plutôt de pédagogie pour caractériser cette période.
http://journal.rdpcpdm.cm/index.php?option=com_content&task=view&id=515&Itemid=265
41
Louis XI était le Roi de France né le 03 juillet 1423 et décédé le 25 août 1483.
42
http://www.evene.fr/celebre/biographie/louis-xi-28.php?citations
43
Distribuer de l’argent qui, dans la représentation mentale camerounaise, glisse comme du gombo.
44 C’était au terme d’une épique prestation du joueur dans une finale de la coupe du Cameroun à Yaoundé. Pendant une
période de « disette financière », Milla, actuel ambassadeur itinérant, était revenu évoluer, la quarantaine sonnée et après un
parcours en France et à l’île de la Réunion, au sein de Tonnerre Kalara club en première division nationale, ce qui
représentait une « ingratitude de la Nation » pour ses services rendus.
45
C’est l’appellation de l’équipe nationale mythique de football du Cameroun.
46
Il est le premier Président de la République du Cameroun, « Père de la Nation ».
47
C’était le slogan de campagne lors des élections présidentielles de 2004 au Cameroun.
48
C’était lors de l’ouverture du troisième congrès extraordinaire du RDPC le vendredi 21 juillet 2006 à Yaoundé
49
Repères n° 125, du 03 juin 2009, p. 9.
50
Pour illustration, lire http://www.camer.be/index1.php?art=4244&rub=6:1
51
C’est ce qui ressort du message diffusé en Suisse par exemple les 03 et 04 mai 2010 par cette délégation.
52
Le site internet vedette de la diffusion de ce genre d’information est : http://www.camer.be
53
C’était le slogan de la campagne électorale du Président Américain en 2009.
54 Il s’agit du Conseil National pour la Démocratie et le Développement avec à sa tête Moussa Dadis Camara qui n’a pas
respecté des engagements d’organiser les élections http://www.youtube.com/watch?v=pUkBQDPgCUo
55 Il s’agit du Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie dirigé par Salou Djibo qui a promis la démocratie
et la bonne gouvernance.
56
On estime un taux d’alphabétisation de moins de 40% et une économie informelle à 95%.
57
C’était l’un des plus grandes mobilisations meurtrières du pays depuis les « villes mortes » des années 1991.
Pour citer cet article
KAKDEU Louis-Marie. Analyse expérientielle de la promesse comme stratégie de communication politique
en Afrique noire francophone. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours
politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info
/document.php?id=1677. ISSN 1308-8378.
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Article
Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et
interviews des présidents élus, candidats vaincus, consécutives à l’annonce
des résultats des élections présidentielles
Miroslav STASILO, Doctorant, Université de Paris-Est Créteil et Université de Vilnius
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
L’objectif de l’article est l’analyse de l’évolution du discours politique en France et en Lituanie, quand les
présidents élus et les candidats vaincus réagissent à l’annonce des résultats des élections présidentielles. Notre
méthode est basée sur la pluridisciplinarité et le traitement informatique. On voit qu’il n’y a pas de clivage
radical entre les candidats d’une élection à l’autre, les thèmes restent les mêmes. Le discours politique lituanien
et français est influencé par la langue de bois et refuse tout propos technique, économique, politique très
concret. On a pu distinguer deux groupes : présidents élus et candidats vaincus. Les candidats vaincus utilisent
un vocabulaire plus personnel et des phrases plus courtes. Avec l’augmentation du poids télévisuel, Sarkozy
veut sortir de la tradition de monologue de Déclarations et s’approcher du dialogue. Les Déclarations et
Interviews sont des écrits oralisés. Pourtant le français oral est plus correct que le lituanien suite à la différence
générique des discours. Ce type de discours politique se base moins sur les phrases subordonnées,
argumentatives, complexes, et plus sur les constructions prépositives, affirmatives. Il se rapproche plus des
slogans politiques et de la publicité : plaire, apparaître comme le (la) meilleur(e), du temps et de la
médiatisation massive.
Abstract
The purpose of the article is the analysis of the evolution of political discourse in France and Lithuania, when
the presidents elected and defeated candidates react to the announcement of presidential results. Our method is
based on interdisciplinarity and computer processing. We see that there is no radical divide between the
candidates from one election to another, the themes remain the same. The Lithuanian and French political
discourse is influenced by the “language of wood” and refuses very concrete technical, economic, political
vocabulary. We could distinguish two groups: elected presidents and defeated candidates. The defeated
candidates use a more personal vocabulary, shorter sentences. With the increased weight television, Sarkozy
wants to break the tradition of monologue in Declarations and approach to dialogue. The statements and
interviews are “written oral”. Yet oral French is more correct than the Lithuanian after the generic difference of
speech. This type of political discourse is based less on subordinate clauses, argumentative, complex, and more
on prepositional constructions, affirmative. This type of political speech is more like political slogans and
advertising: please, appear as (the) best, the time and the mass media.
Table des matières
INTRODUCTION
A. Champ politique
B. Déclarations et Interviews
C. Télévision et politique
I. MARKETING DANS LE CHAMP POLITIQUE
II. ANALYSE QUANTITATIVE DU CORPUS
III. ÉVOLUTION DU VOCABULAIRE POLITIQUE DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES
IV. STATUT DU PRÉSIDENT EN FRANCE ET EN LITUANIE
CONCLUSIONS
Texte intégral
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INTRODUCTION
On publie et analyse souvent les textes politiques, on les apprécie, les critique ou les ignore. Aujourd’hui,
quand les informations circulent à la vitesse de la lumière (surtout avec l’apparition de l’Internet), il est
impossible de tenir compte de tous les discours et textes politiques présentés en nombre astronomique. Le
champ de nos recherches se restreint aux déclarations (déclarations, consécutives à l’annonce des résultats
des élections présidentielles ou abr. Déclarations) et interviews (interviews, consécutives à l’annonce des
résultats des élections présidentielles ou abr. Interviews) des présidents élus et des candidats vaincus,
consécutives à l’annonce des résultats des élections présidentielles en France (1995–2007) et en Lituanie
(1993–2009). On prendra la situation quand les présidents élus et les candidats vaincus doivent réagir à
l’annonce des résultats des élections présidentielles devant les caméras de télévision.
Notre méthode est basée sur les techniques modernes de l’approche : la pluridisciplinarité (sciences du
langage, de l’information et de la communication, sociologie, sciences politiques) et le traitement
informatique du corpus (logiciel lexicométrique Lexico3). L’objectif est d’analyser les traits principaux de
l’évolution du discours politique lors des élections présidentielles en France et en Lituanie pendant ces vingt
dernières années (l’époque de l’indépendance lituanienne).
A. Champ politique
P. Bourdieu donne la définition suivante du champ politique : « […] à la fois comme champ de forces et
comme champ des luttes visant à transformer le rapport de forces qui confère à ce champ sa structure à un
moment donné […] le lieu où s’engendrent, dans la concurrence entre les agents qui s’y trouvent engagés, des
produits politiques, problèmes, programmes, analyses, commentaires, concepts, événements, entre lesquels les
citoyens ordinaires réduits au statut de « consommateurs », doivent choisir, avec des chances de malentendu
d’autant plus grandes qu’ils sont plus éloignés du lieu de production » (Bourdieu 1981 : 3 - 4). On peut aussi
utiliser la métaphore théâtrale : ce qui est joué en coulisses influence le jeu sur la scène. Une des grandes
différences entre un champ comme le champ littéraire, religieux ou publicitaire et le champ politique est que
les politiciens sont justiciables du verdict populaire : périodiquement, il faut qu’ils restent tournés vers le
public. Ils ne peuvent pas rester totalement fermés.
L’autonomie du champ politique se renforce avec l’entrée dedans des politiciens professionnels qui vivent de
la politique en vivant pour la politique (par exemple, ceux qui ont une formation à l’ENA ou à Sciences Po).
Les politiciens, les producteurs politiques, ont une force de mobilisation du capital politique lié soit à titre
personnel (ce qui est attaché plus à une personne et est l’effet d’une accumulation lente et continue : Jacques
Chirac et Nicolas Sarkozy en France ou Algirdas Mykolas Brazauskas et Valdas Adamkus, Dalia
Grubauskaitej en Lituanie), soit au groupe. Ceci est attaché plus à une organisation et à l’ensemble des actions
menées par le personnel politique reposant sur des structures objectives et des traditions : Ségolène Royal
avec Lionel Jospin représentent la gauche, le PS, Jacques Chirac avec Nicolas Sarkozy - la droite, le RPR et
l’UMP. C’est ainsi que J. Chirac avait changé de stratégie lors des élections de 1995 après la défaite de 1988 :
il n’était plus seul, ce sont ses lieutenants (A. Juppé, Ph. Séguin, J. Toubon, A. Madelin) qui faisaient
l’exégèse de son discours par le livre « La France pour tous », largement médiatisé (Bonnafous, S., Calbris,
G., 1999). En Lituanie, où les traditions et les liens familiaux sont très importants, les politiciens préfèrent
s’appuyer non seulement sur leurs partis politiques mais aussi sur leurs familles, par exemple, leurs épouses :
R. Paksas (2003-2004) et V. Adamkus (1998-2003, 2004-2009). Le dernier a même édité tout album avec des
photos sur sa femme Alma Adamkiene.
La question du champ politique touche à la nature de ce qui est politique. En donnant assez d'importance à des
genres non-littéraires comme le discours politique, l’analyse du discours souligne le fait que le concept du
genre est définitivement sorti de son contexte poétique d'origine (Charaudeau, P., Maingueneau, D., 2002 :
41). Chaque discours, surtout le discours politique, possède des contraintes génériques (dans notre cas, celles
des Déclarations et Interviews) avec la distribution des rôles (ici, les rôles des présidents élus et des candidats
vaincus).
B. Déclarations et Interviews
Les Déclarations et Interviews sont le produit de choix faits par l'homme politique et par ses conseillers en
communication. Dans le cas des Déclarations, on comprend bien qu'elles sont écrites bien avant l'annonce des
résultats. On peut même supposer que ces Déclarations existent sous deux variantes : pour la situation de
victoire et pour la situation d’échec. Dans le cas des Interviews, on pense que les politiciens parlent sur place
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et que leurs discours sont spontanés. Or le discours politique est rarement improvisé. Le producteur doit
donner le sentiment de le produire à l'instant. Celui qui sait bien maîtriser le savoir-faire un discours improvisé
n'est pas seulement un bon orateur mais aussi un bon acteur.
Il y a une forte dimension de dramaturgie. Les Déclarations et les Interviews ont une organisation bien
précise : « intrigue » avec un début (introduction, où les président élus et les candidats vaincus saluent leurs
électeurs et adversaires), « ancrage dans l'histoire » (les orateurs s'appuient sur les problématiques d'actualité,
décidées souvent par les médias) ; et « dénouement » (la fin, où on exprime l’espoir de l’avenir meilleur). La
production d'un texte / discours a deux facteurs contraints de l'interaction: 1) la situation : motifs, intention,
contenu thématique à transmettre; 2) les genres disponibles : déclarations, interviews, interventions,
mémoires, biographies etc. « […] Dans cette optique, tout nouveau texte empirique [est] donc nécessairement
construit sur le modèle d'un genre, […] il relève […] d'un genre » (Bronckart 1996 : 138).
C. Télévision et politique
Comme l’espace public actuel est très médiatisé avec une dominante télévisuelle, il est bien logique que le
politicien s’occupe plus de son image (une partie de l’ethos, c’est-à-dire de la construction de soi) qu’il y a
30-50 ans. Le sociologue canadien Marshal McLuhan avait remarqué dans son livre « Message et Massage,
un inventaire des effets » (McLuhan 1967) que les premiers débats télévisés étaient organisés aux Etats-Unis
en 1960. Les électeurs américains pouvaient les suivre soit à la télévision soit à la radio. Pendant l’émission, J.
Kennedy portait un costume clair, était très dynamique, décontracté, sympathique et galant. En revanche R.
Nixon parlait avec plus d’arguments mais il était mal rasé, habillé en costume sombre, avait un teint pâle,
fatigué. Etant donné le nombre de téléspectateurs plus élevé que celui d’auditeurs, J. Kennedy avait remporté
ces élections aux Etats-Unis.
La primauté de l’image, du direct, de l’oral, insère en effet le média télévisuel dans une communication qui
privilégie une logique sensitive, émotionnelle et affective. En témoigne l’apparition d’une multitude
d’émissions de divertissement avec la participation des politiques, par exemple, Vivement dimanche sur
France2 en France ou « Auksine blyksne » (Flash d’or en fr.) sur LNK en Lituanie. Il est clair que l’image
impose une esthétisation du politique. Cette dimension a toujours existé (déjà chez Aristote dans « La
Rhétorique »), mais elle est devenue plus importante dans le champ politique contemporain grâce à
l’évolution des médias et avec l’apparition de l’Internet. Être invité à certaines émissions de télévision ou de
radio, c’est être consacré comme politiquement important. Par exemple, l’actuelle présidente de Lituanie
Dalia Grybauskaite et les autres candidats à l’élection présidentielle de 2009 ont participé à l’émission
musicale folklorique très populaire « Duokim garo » (Donnons de la vapeur) sur la première chaîne nationale
LTV la veille du vote.
L’esthétisation du politique, à laquelle la télévision restitue toute sa force, nous rappelle que la relation à la
politique est affective autant que rationnelle : « […] passée au prisme du journal télévisé de 20 heures, la
campagne électorale devient ainsi un récit politique qui se déroule selon la logique d’une scène ou d’un
feuilleton télévisé ayant pour acteurs les hommes politiques, chaque jour apportant son lot d’informations
reprises par le journal télévisé [...]. Chacun ayant dans ce récit un rôle type (héros, faux héros, traître, etc.)
correspondant à ce qu’on attend dans une narration et des attributs permettant de les identifier et de les
distinguer les uns des autres » (Coulomb–Gully 2001 : 20).
I. MARKETING DANS LE CHAMP POLITIQUE
Le marketing politique n’était pas toujours le meilleur moyen de gagner, comme on l’a vu lors des élections
présidentielles en 1995, quand Jacques Chirac a préféré les procédés traditionnels de « séduction », ceux du
mot écrit, et il a perdu (Bonnafous, S., Calbris, G., 1999). Les dernières élections en France se sont déroulées
d’après les règles du marketing à l’américaine : lancement de la publicité à travers de très jolies images des
candidats (surtout celles de Ségolène Royal) ; promotion via les meetings, les rencontres avec les électeurs.
On s’interroge sur l’évolution de la politique dans sa médiatisation télévisuelle actuelle. Les médias
deviennent le seul critère de la légitimité politique : ce qui est rendu au public à travers les médias, devient
familier, et ce qui est familier et connu, devient reconnu et légitimé, parce que ce ne sont que les médias qui
sont capables de contrôler et former l’opinion publique. C’est pourquoi les médias sont souvent appelés
« quatrième pouvoir ».
Le statut de la politique dans notre société médiatisée moderne est problématique. Les frontières du champ
politique se sont élargies. On dit souvent que tout est politique. La banalisation de la politique a aussi des
effets destructeurs. Les traits distinctifs du discours politique, surtout sa structure rigoureuse, sont niés, la
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spécificité de sa fonction dans la société est oubliée.
Les dernières recherches concernant les médias démontrent que les sites sociaux sont devenus plus populaires
ces derniers temps que les sites pornographiques : la quantité des internautes des sites pornographiques a
diminué de 20 à 10 % pendant dix ans. Ainsi B. Tancer (www.DELFI.lt, 17.09.2008) a même trouvé que
les internautes s’intéressaient plus à la vie des stars et moins à la politique, à la religion ou à la santé. La
« mentalité des stars » a gagné du terrain. Par exemple, après avoir annoncé le nom de Sara Palin, candidate
au poste de vice-président aux Etats-Unis en 2008, les gens ont consulté les sites pour regarder ses photos et
non pour lire son programme électoral. De même dans le cas de Barack Obama, candidat démocrate aux
élections présidentielles : les gens voulaient savoir sa taille, son poids, voir les photos de sa famille mais ils
étaient presque indifférents à son programme politique. Les électeurs actuels s’intéressent plus à l’image (à
l’ethos) et moins aux arguments (au logos).
Dans la société où l’image triomphe, où tout doit se voir, la Lituanie n’a commencé à parler réellement de
l’image politique qu’à partir de 1997, lors des élections présidentielles, quand le chef de l’équipe électorale du
parti conservateur R. Pleikys avait proposé de créer l’image plus positive du candidat des conservateurs, V.
Landsbergis : une personne cordiale, chaleureuse, avec le sens de l’humour, un bon et intéressant interlocuteur
dans n’importe quelle situation. À l’époque soviétique, les citoyens votaient pour un seul candidat indiqué,
sans poser de questions. Aujourd’hui la situation a bien changé : la plupart d’entre nous, avant d’aller voter
(ou ne pas voter), réfléchit sur le candidat.
On perçoit aujourd’hui la politique comme un objet qu’on veut regarder et non comme l’objet qui parle de la
réalité. Les politiciens le comprennent et veulent de plus en plus en profiter en utilisant les méthodes du
show-business. Avant un leader politique avait peu de traits personnels. Son côté intime personnel était mis
sur le deuxième plan. On le soulevait au-dessus de la réalité sociale en lui attribuant souvent des
caractéristiques surhumaines, parfois symboliques, afin de le rendre plus grand, patriarche, judicieux. Ces
leaders politiques devenaient immortels et mythiques encore dès leur vivant. C’est ainsi qu’on perçoit Charles
de Gaulles en France ou Antanas Smetona, le premier Président de l’Entre-deux-guerres, en Lituanie.
Aujourd’hui les politiciens sont plutôt orientés vers la séduction émotionnelle-esthétique et non vers la
résolution réelle des problèmes de la société actuelle parce qu’il est plus facile d’avoir un air puissant, capable
de tout expliquer et de résoudre que de prendre vraiment la responsabilité des conséquences possibles de la
résolution d’un problème. Les Déclarations et les Interviews sont soumis à la même contrainte de leur objectif
comme les publicités : plaire, apparaître comme le meilleur (convaincre à travers la promesse, des
propositions, des références aux valeurs ou du bilan), du temps (minuté où le temps dépend du statut de
l’orateur et augmente d’une élection à l’autre) et de la médiatisation (presse écrite, télé, Internet en visant le
public le plus large). Le locuteur se trouve face à la caméra en présence de l’auditoire qu’il veut et doit
séduire. La séduction en fait un mixte : de discours politique, elle prétend à la sincérité et du discours
publicitaire - la suggestion du désir.
Selon le politologue lituanien L. Bielinis (porte-parole de V. Adamkus lors de sa deuxième présidence entre
2004-2009), on peut distinguer quelques types de leaders politiques actuels : 1) leader indépendant
(Grybauskaite en Lituanie) ; 2) leader-commivoyageur (Adamkus en Lituanie) ; 3) leader-marionnette (Paksas
en Lituanie) ; 4) leader-pompier (Sarkozy en France). Tous ces types doivent aussi avoir une personnalité
attirante : être ouvert, politiquement correct, indépendant, influent, clair et sans reproches (Bielinis 2000 : 31).
Comme la vie et la situation changent sans cesse, l’image des politiciens a aussi une conception dynamique,
sinon les concurrents la transforment à leur profit et d’après leur scénario.
Il y a trois types de caractéristiques de l’image politique : 1) intérieure; 2) extérieure; 3) contextuelle. Le
premier type est lié aux changements des traits personnels. C’est un psychologue qui s’en occupe. Le
deuxième type appartient aux compétences professionnelles du candidat. C’est plutôt un sociologue de
l’équipe électorale qui s’en occupe. Le dernier type accentue plus l’entourage politique. Et c’est un
politologue ou aussi un sociologue, qui travaillent là-dessus, par exemple, en créant une légende positive du
candidat. C’est ainsi que les mythes apparaissent : le mythe sur le passé stoïque de Sarkozy juriste ou
l’histoire trop idéalisée du couple présidentiel de Lituanie Valdas et Alma Adamkus. Ce mythe a aidé l’équipe
de V. Adamkus à agir assez librement et à gagner les élections de 1998. La publication de l’autobiographie Le
nom du destin est la Lituanie (« Likimo vardas Lietuva ») était l’apogée de cette légende. Un autre exemple
est celui de R. Paksas : la légende de Paksas « contestateur, émeutier » était très bien soutenue et nourrie par
son équipe électorale jusqu’à la victoire en 2003 ; pourtant après la victoire et la dissolution de cette équipe, le
politicien n’a pas réussi à faire évoluer son ethos et a dû démissionner en 2004.
En Lituanie, la société et le champ politique changent plus rapidement qu’en France puisque les traditions
démocratiques sont en train de se former. Le facteur théâtral et l’informatisation de la politique deviennent les
caractéristiques les plus importantes, par exemple, la victoire du parti politique des acteurs, « Tautos
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Prisikelimo Partija » (Parti de la Résurrection Nationale), lors des dernières élections parlementaires en
octobre 2008. Les talk-shows politiques remplacent les discussions et les débats. Les sondages sociologiques
subsistent les vraies analyses. L’actuelle présidente de Lituanie D. Grybauskaite a gagné grâce à la publication
des chiffres préliminaires des résultats des sondages qui la donnaient toujours gagnante.
En Lituanie la théâtralité acquiert une réalisation parfois dangereuse pour la vie politique lituanienne – elle
s’approche du cirque de clowns. Dans cette situation, la politique devient une parodie de la vraie politique et
on s’éloigne de l’idée que le métier politique est bien loin d’être un art de scandales et de bouffonnerie. Si
l’époque soviétique a été marquée par une grande idéologisation de la société, aujourd’hui on assiste au
processus tout à fait contraire – l’étape de la désidéologisation totale. Ce changement de la société lituanienne
ne signifie pas la faillite ou la catastrophe morale, c’est une nouvelle étape. La politique contemporaine est de
plus en plus formulée selon les règles du marketing, qui consiste à tout catégoriser et à segmenter.
II. ANALYSE QUANTITATIVE DU CORPUS
Influencé par le marketing commercial, le discours politique assimile certaines règles de commerce qui
deviennent celles d’énonciation, petit à petit impératives à tout le champ politique, par exemple la règle « des
4 C » : clair, court, cohérent, crédible (Cotteret 1991); ce qui est exprimé parmi d’autres dans la vitesse
d’élocution (130-150 mots par minute) ou le vocabulaire limité (2000 mots du « français fondamental »). Tous
les locuteurs politiques maîtrisent l’art de la petite phrase (l’une des caractéristiques de la langue de bois). Ces
petites phrases participent non seulement à la création du style personnel mais aussi à la transformation de la
réalité sociale quand « dire c’est faire » puisque les phrases brèves sont plus efficaces dans le domaine de
l’action discursive.
Tableau 1
Principales caractéristiques de la partition : allocution
(La colonne Occurrences présente la quantité de formes répertoriées, la partie Formes indique le nombre de formes
graphiques présentes dans chaque allocution, le graphe Fréquence maximale fournit des informations sur le nombre des
occurrences de la forme la plus fréquente, la colonne Hapax indique le nombre des formes qui n’apparaissent qu’une fois
dans le texte)
On voit que la Déclaration de Chirac et les Interviews d’Adamkus sont les plus importantes quantitativement.
C’est logique puisque les deux politiciens avaient le plus d’occasions de se prononcer grâce à leurs deux
victoires aux élections. D’après la date, c’est en 2007 que le corpus est le plus grand (1634 occurrences) en
France et en 2009 – en Lituanie (1923). Cela démontre l’augmentation de l’intérêt des médias pour les
élections présidentielles et le renforcement du poids de la médiatisation dans le discours politique. Si l’on
compare deux genres, le genre d’Interviews est plus large et moins bref que le genre de Déclarations, 6860
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contre 3563. Quant à la différence quantitative selon l’allocution, la Déclaration de Sarkozy est la plus longue
(1243 occurrences) parmi les allocutions françaises analysées. Elle est même comparable aux Interviews les
plus longs d’Adamkus en 2003 (1207 occurrences) et de Grybauskaite (1032 occurrences) en Lituanie. Cela
pourrait signifier que Sarkozy veut sortir de la tradition de monologue du genre de Déclarations et
s’approcher du dialogue, qu’on retrouve dans les Interviews.
Ce tableau donne aussi les informations sur les formes les plus répandues : la préposition « de » pour la partie
française et les conjonctions « ir » (et) et « kad » (que) pour la partie lituanienne. L’omniprésence de la
préposition « de » témoigne de la volonté des orateurs de lier les mots et les idées en un flux incessant ainsi
que du caractère classique, traditionnel de la langue choisie parce que la préposition « de » est la préposition
la plus employée en français. La présence des conjonctions de coordination (« et ») et de subordination
(« kad ») dans les Interviews lituaniens suppose une suite de discours comprenant des répétitions de mots et
leur réduction par des éléments similaires entre les phrases conjointes. Dans les deux cas, le choix des formes
grammaticales « privilégiées » permet la création d’un discours cohésif. La différence de ce choix est liée à la
différence du lexique de chaque locuteur et à la différence des langues d’origine: le lituanien est une langue
synthétique et très archaïque (sa grammaire est aussi complexe que celle du latin ou du grec) et proche du
sanskrit grâce à son vocabulaire, ses caractéristiques phonétiques et morphologiques assez anciens; et le
français est une langue analytique et romane, issue du latin mélangé avec des langues celtiques, ayant une
base lexicale gréco-latine, très développé, enrichi, structuré et toujours travaillé depuis le Moyen Age grâce à
ses intellectuels.
Si l’on compare les Déclarations et les Interviews des candidats élus et des candidats vaincus, on peut
remarquer que les phrases sont plus longues et complexes dans le cas de ceux qui gagnent les élections.
Comme ils gagnent, les médias peuvent leur consacrer plus de temps : leur colonne Occurrences est 2-3 fois
plus importante que chez les candidats battus (cf. Tableau 1). Les candidats vaincus sont tentés d’utiliser les
phrases plus simples et courtes pour séduire plus de public afin de gagner les élections à venir. Ils utilisent les
structures et les constructions discursives encore plus brèves et compréhensibles que les présidents élus.
Aussi, Lionel Jospin est « leader » dans le domaine des phrases laconiques, l’introduction de sa Déclaration
contient 5 (!) phrases. Il est le plus influencé par le marketing politique.
L’objectif principal de la technologie des élections est la manipulation de l’opinion électorale, surtout au
niveau des émotions parce qu’elles décident souvent notre choix. La personnalité politique devrait en même
temps être associée à tout le monde et se différencier des autres. La langue de politiciens est comme les
artichauts : moins il y a d’idées, plus il y a de mots. Pour cela, tous les moyens sont bons : rajouter des mots
(avec le suremploi des adjectifs), des subordonnées (par de petits ajouts et les conjonctions qui, que, où), des
négations (parfois doubles : « ne que… » « ne pas sans »), des restrictions, des incises (par le dédoublement
des propos et la pratique de l’oxymore utile pour dire une chose et son contraire).
Les Déclarations peuvent être considérées comme les discours d’Investiture, puisqu’il y a l’élément
d’investiture, l’accord à un nouveau chef d’Etat de la confiance du peuple. Ces textes sont des monologues
(sauf celui de N. Sarkozy), ils préfèrent l’emploi du « nous », « notre » devant l’électeur présent dans la salle
ou derrière les postes de télé et de radio. Le « nous » est souvent accompagné d’appels redoublés au
rassemblement par l’emploi fréquent de « vous », « votre », surtout dans le cas des présidents élus. Cet emploi
du « nous » renforce la légitimation personnelle effectuée par le « je », ce qui est le cas de Le Pen. Les
Interviews appartiennent aux textes de dialogue puisqu’il y a souvent une question et une réponse. Ils se
penchent plus que les Déclarations vers le style de la langue parlée avec la présence de phrases très courtes
(sujet+verbe+complément), des tics linguistiques personnels, par ex., « taip sakant » (c'est-à-dire en fr.) chez
V. Adamkus. Passons maintenant à l’analyse du dictionnaire personnel des politiciens lituaniens et français.
III.
ÉVOLUTION
DU
VOCABULAIRE
POLITIQUE
DES
ÉLECTIONS
PRÉSIDENTIELLES
Tous les politiciens parlent la langue de bois : style fleuri, soi-disant franc, sincère. C’est pourquoi on y
retrouve des vocables comme : fraternité, justice, humanitaire, solidarité, espoir, espérance, etc. Etant donné
l’objectif d’analyser des traits distinctifs de l’évolution du discours politique en France et en Lituanie, nous
procédons à l’analyse globale des mots les plus employés.
Le champ lexical du changement occupe tout le terrain. On y retrouve les mots comme : nouveau, naître,
nouveau, changement, renouveau, etc. On voit aussi que la situation géopolitique et économique du moment
des élections est perçue surtout à travers les thèmes des énoncés des présidents élus. Par contre les candidats
vaincus exploitent surtout les thèmes d’actualité : campagne présidentielle, mouvement de renouveau,
élections législatives, parti politique.
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Sarkozy utilise massivement les vocables « je, France, Français » et moins le mot « République » en raison
d’une très forte volonté des Français de changement en attendant le départ définitif de J. Chirac. Cela a
demandé un discours plus personnel, engagé et moins républicain, abstrait. Quant à la Lituanie, tous les
présidents élus ont souvent recours aux mots-clés « Lietuvos » (de Lituanie), « As » (Je) parce qu’ils voient
souvent un danger (imaginé ou réel) de l’extérieur (de la Russie), sauf Grybauskaite qui emploie plus
fréquemment « tikrai » (vraiment) et « labai » (très) puisqu’en 2009 les Lituaniens avaient moins peur des
Russes grâce à l’appartenance à l’OTAN et à l’Union Européenne. Comme la situation économique et
politique du pays était trop dure à cause de la crise économique, ils attendaient plutôt quelqu’un capable
vraiment, évidemment (« tikrai ») de juger et de punir les coupables ainsi que de faire sortir le pays de cette
situation très (« labai ») difficile.
Malgré une ressemblance globale des thèmes, les divergences génériques, culturelles et historiques des deux
pays ajoutent des nuances dans les énoncés analysés. Ainsi le genre des Interviews exige que les thèmes des
énoncés lituaniens soient non seulement universels mais aussi plus nationaux et concrets : critique directe de
l’adversaire, de la campagne présidentielle (pour le camp surtout des candidats battus) ; remarques sur son
parti politique et son équipe (en mentionnant souvent des noms concrets) ; description de la future politique
étrangère - Union Européenne, OTAN, Russie (pour les présidents élus). Comme la naissance de la tradition
démocratique de Lituanie est récente, les orateurs lituaniens parlent fréquemment de la nécessité de la stabilité
politique, de la poursuite du chemin, des pouvoirs de l’institution présidentielle en Lituanie.
Les politiciens lituaniens utilisent souvent des modalisateurs, de simples tics d’expression comme
évidemment, cela va de soi, c’est évident. Cela est dû au genre de l’Interview qui est beaucoup plus spontané
et oralisé que le genre de la Déclaration. La première chose qu’on peut remarquer dans les énoncés lituaniens,
c’est la « pauvreté » des SR (segments répétés). Même si la partie lituanienne est deux fois plus importante
que la partie française (cf. Tableau 1), il n’y a que neuf SR qui se répètent plus de dix fois chez les politiciens
lituaniens. Les structures des SR préférés par les politiciens lituaniens sont: « pronom + verbe », « conjonction
+ verbe », « conjonction + pronom », « nom + nom », « adverbe + gérondif », « verbe + conjonction ». Ce
sont des structures assez classiques pour la langue lituanienne. On peut donc affirmer que les politiciens
lituaniens, eux aussi, optent pour la langue standardisée, correcte et laconique mais leurs énonciations sont
plus personnalisées.
Les mots les plus employés désignent souvent l’événement politique de la période ou des hommes politiques
qui tiennent un rôle important au sein de l’Etat. Observons visuellement la présence de mots-clés à travers les
allocutions (ce tri reflète les énoncés personnels) qui permettent d’identifier à la fois le locuteur et le texte.
Nous prenons la fréquence relative de cinq mots les plus fréquents : Je (43 fois), France (41), je (33),
Français (21), République (16) – pour les énoncés en français; « as » (je-150), « Lietuvos » (de Lituanie -54),
« labai » (très-53), « tikrai » (vraiment-40), « zmones » (gens-33) – pour les énoncés en lituanien.
Figure 1
Fréquence relative des mots-clés de la partition : Déclarations en français
Figure 2
Fréquence relative des mots-clés de la partition : Interviews en lituanien
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Les figures 1 et 2 présentent la différence des énoncés de Sarkozy de Chirac en 2002 en France et d’Adamkus
(03) avec Grybauskaite en Lituanie par rapport aux autres. Elles illustrent aussi le fait que Jospin n’utilise pas
le mot France (0); Le Pen a recours assez souvent aux mots France (4) et Français (3); Royal n’est pas tentée
de privilégier un mot aux autres. Quant aux énonciateurs lituaniens, on voit que la forme de graphiques des
présidents élus se ressemble – elle est montante; alors que celle de candidats vaincus est descendante parce
qu’ils n’utilisent pas trop de mots-clés. On peut donc rassembler les énoncés lituaniens et français selon leur
dépendance au camp gagnants (Chirac 95, Chirac 02, Sarkozy 7 – en France, Brazauskas 93, Adamkus 98,
Paksas 03, Adamkus 04, Grybauskiate 09 – en Lituanie) ou perdus (Jospin 95, Le Pen 02, Royal 07 et
Lozoraitis 93, Paulauksas 98, Adamkus 03, Prunskiene 04, Butkevicius 09).
Les candidats vaincus sont reconnaissants (surtout pour ceux qui ont voté pour leurs candidatures) et
optimistes, pareil comme les candidats élus, mais seulement pour envisager leur victoire à venir : « J’invite
toutes celles et tous ceux qui croient aux valeurs de justice et de progrès à se rassembler pour prolonger cette
espérance et préparer les succès de demain » (Lionel Jospin). « Ce soir, le résultat que j’ai obtenu […] nous
place comme la première force politique française et nous permet de fonder, à court et à moyen terme, les plus
belles espérances… » (Jean-Marie Le Pen). Les candidats vaincus utilisent le mot « espérance » qui porte en
soi l’optimisme. La densification d’une forme dépend du statut de l’orateur.
IV. STATUT DU PRÉSIDENT EN FRANCE ET EN LITUANIE
En France, où l’on tient beaucoup à la diplomatie, au protocole et aux rituels, les présidents élus et les
candidats vaincus prononcent des Déclarations déjà écrites. Les rédacteurs de textes (appelés « nègres ») ne
laissent rien au hasard et intègrent bien les demandes idéologiques et stylistiques de leurs « clients ». Par
exemple, Audrius Poviliunas, gestionnaire à l’Université de droit à Vilnius, écrivait des textes à Adamkus
pendant sa première période de présidence (1998-2003) en essayant de ne pas trop casser l’image du président
associé souvent aux Etats-Unis (V. Adamkus a vécu plusieurs années à l’étranger). On remarque que le temps
entre l’annonce des résultats et la prononciation de la Déclaration diminue d’une élection à l’autre : pendant
les dernières élections en France, S. Royal a prononcé sa déclaration seulement 15-20 minutes après l’annonce
des résultats. Le protocole exige que ce soit d’abord les candidats vaincus qui se prononcent et après les
présidents élus. Les orateurs français préfèrent faire leurs allocations publiques solennelles dans le décor du
siège de leur parti politique.
En Lituanie les politiciens donnent des Interviews le jour même des élections. Les élections présidentielles en
Lituanie se passent selon le modèle « français » : annonce des noms de candidats, gage (en Lituanie – 3500
Euros environ), quantité nécessaire de signatures, présentation de programmes présidentiels des candidats
(soit dans les journaux, soit dans des émissions de débats politiques comme, par ex., pendant les dernières
élections en Lituanie), 1er tour (élection au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans), face à face
télévisé entre les deux candidats gagnants du 1er tour, 2ème tour (en Lituanie, si l’un des candidats reçoit plus
de 51% de voix lors du premier tour, il n’y a pas de deuxième tour), annonce des résultats. Or les candidats
vaincus et les présidents élus lituaniens ne font pas de déclarations solennelles comme leurs homologues
français.
Lors de la première élection présidentielle en 1993, le candidat vaincus S. Lozoraitis et le président élu A. M.
Brazauskas ont essayé de faire des Déclarations un peu semblables comme en France. Mais plus tard en 1998,
le président élu V. Adamkus et le candidat battu A. Paulauskas ont fait de petites Déclarations et des
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Interviews. C’était le passage des Déclarations aux Interviews. Pendant les dernières élections 2009, les
orateurs lituaniens n’ont fait que des Interviews dans les studios de télé. L’une des raisons pourquoi les
politiciens lituaniens préfèrent les Interviews aux Déclarations est l’augmentation du poids de la médiation
télévisuelle dans la société actuelle lituanienne. Le 17 mai 2009, le jour du vote, toutes les chaînes de télé
lituaniennes se sont focalisées sur le déroulement des élections présidentielles en présentant des reportages,
commentaires, interviews. Alors qu’avant c’était plutôt la presse écrite qui s’en occupait. Maintenant la
télévision le fait plus opérationnellement (le jour même du vote et non le lendemain comme dans le cas de la
presse) et plus efficacement (il y a plus de téléspectateurs que de lecteurs). On peut imaginer que dans
l’avenir, c’est l’Internet qui remplacera la télévision.
L’importance de la télévision dans la société lituanienne est plus importante que dans la société française à
cause du passé soviétique. La société soviétique était très idéologisée. Les pouvoirs communistes
comprenaient et savaient les capacités des médias. L’institution présidentielle a été fondée non tout de suite
après la proclamation de l’indépendance en 1990 mais plus tard. C’est le mouvement de la droite patriotique
et politique « Sajudis » (Mouvement) qui a voulu un président de droite, assez fort et indépendant, afin de
limiter l’influence des partis ex-communistes. Mais paradoxalement, c’est le leader de gauche, Algirdas
Mykolas Brazauskas, qui a été élu en 1993. Cela distingue la Lituanie des autres pays de l’Europe Centrale et
Orientale où les ex-communistes soutenaient le modèle présidentiel. Cette particularité lituanienne peut être
expliquée aussi par son histoire : la 1re République parlementaire indépendante de Lituanie (1919-1940) avait
des présidents forts et puissants.
La Constitution actuelle de Lituanie correspond aux critères semi-présidentiels. La différence entre les types
semi-présidentiels français et lituanien, c’est le manque de traditions politiques et le fait que le Président de
France ne peut pas faire démissionner le Premier ministre. Par contre le Président français a le droit de faire
démissionner le parlement et d’annoncer les élections parlementaires anticipées (F. Mitterrand a pu éviter la
situation de la cohabitation même deux fois grâce à ce droit, quand il avait dissolu l’Assemblé nationale après
être élu président).
Une autre particularité lituanienne est l’apparition fréquente des candidats peu connus lors des élections
présidentielle, qui peuvent même gagner (le cas de V. Adamkus lors de sa première élection). Cela démontre
la faiblesse du système des partis politiques en Lituanie. Lors des élections, on vote plutôt pour une
personnalité (l’ethos) et non pour les idées ou le parti qu’elle représente. C’est pourquoi l’électorat des
présidents élus est souvent hétérogène au début mais ils perdent souvent assez rapidement le soutien des partis
politiques par la suite. Comme le modèle semi-présidentiel lituanien est « asymétrique » (le président n’a pas
le droit de dissoudre le parlement pour éviter la situation de cohabitation), le Président de la République est
obligé de trouver d’autres moyens afin de résoudre ou d’éviter des crises politiques. Ce sont souvent des
actions « hors constitutionnelles », par ex., la création des structures parallèles au gouvernement (V. Adamkus
a dû créer une commission spéciale pour vérifier l’export de l’énergie vers la Biélorussie et la Pologne).
Les caractéristiques personnelles des présidents de Lituanie sont plus importantes que celles en France faute
de traditions politiques et le poids trop important de la télévision dans la société. Si la personnalité du
président est influencée par les autres (le cas de A. M. Brazauskas et de R. Paksas), sa politique devient plus
proche du modèle parlementaire. Par contre, si c’est une personnalité indépendante et autonome, le modèle
politique devient plus proche du modèle présidentiel (le cas de V. Adamkus ou de D. Grybauskaite).
CONCLUSIONS
Grâce aux données du traitement lexicométrique, on a pu distinguer deux groupes : présidents élus et
candidats vaincus. Les candidats vaincus sont obligés de séduire un électorat à venir et ils utilisent un
vocabulaire plus personnel, des phrases plus courtes. Dans le climat d’homogénéisation générale du discours
politique, lié à la redéfinition du champ politique, ce n’est pas que le statut du locuteur qui influence la
différence discursive mais c’est aussi l’appartenance à un groupe, voire le parti (en France), représentant
(famille – en Lituanie). Ces discours sont caractérisés par leur libération des contraintes de réalité pour céder
la place à la promesse d’un monde et d’un avenir meilleur.
Les présidents élus et les candidats vaincus sont légitimés à prendre la parole par le fait d’être élus ou d’avoir
perdu au 2e tour des élections présidentielles lors de la fermeture de la campagne présidentielle. Les
politiciens se rendent compte de l’importance extrême de la communication politique de l’Etat. Effectivement,
l’analyse du vocabulaire le prouve. On y a distingué les catégories suivantes : promesse, vouloir et souhait (les
deux se ressemblent), référence aux valeurs, remerciement, bilan.
Il n’y a pas de clivage radical entre les candidats d’une élection à l’autre, les thèmes restent en grande partie
les mêmes : racisme, tolérance, pacifisme, égalité. Le premier but des Déclarations et des Interviews reste
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toujours le même : exprimer une image (ethos) positive de soi. Le discours politique lituanien et français
refuse tout propos technique, économique, politique très concret en se focalisant sur les valeurs de réussite,
d’effort. Les politiciens se prétendent d’avoir les solutions à tous les problèmes. Les politiciens aiment
souvent dramatiser les actualités : il faut que les circonstances soient dramatiques, les problèmes dramatiques,
les perspectives dramatiques. Par leurs propos, ils veulent dire aux électeurs : « moi ou le chaos », « moi ou
l’orage », « moi pour vous sauver du drame dans le drame ». Chaque orateur analysé possède son style, sa
personnalité mais en parlant tous la même langue de bois, trop abstraite et souvent menteuse.
Comme on est habitué à ne voir que ce qu’on veut voir, à n’entendre que ce qu’on désire entendre et à se
reposer sur l’opinion des autres (par exemple, celle des sondages sociologiques), les politiciens ne sont pas
contraints à parler comme tout le monde, ils sont contraints à parler comme tout le monde s’attend à les
entendre parler. La dépolitisation du vocabulaire y est bien évidente. La parole politique actuelle réalise les
formes canoniques rhétoriques enseignées dans les grandes écoles : formule élégante, questions traitées selon
le schéma thèse - antithèse – synthèse avec l’affirmation en conclusion que tous les problèmes peuvent être
résolus. Les Déclarations et Interviews sont des écrits oralisés. Les orateurs politiques modernes choisissent
une langue orale mais « de qualité ». La parole doit rester vivante, non récitée. Pourtant le français oral
est plus correct que le lituanien suite à la différence générique des discours.
Les élections présidentielles en Lituanie se passent selon le modèle « français » sauf que les politiciens
lituaniens préfèrent les Interviews aux Déclarations en raison de l’importance extrême de la télévision dans la
société lituanienne. Mais avec l’augmentation du poids télévisuel, Sarkozy veut aussi sortir de la tradition de
monologue du genre de Déclarations et s’approcher au dialogue, qu’on retrouve dans les Interviews.
Les Déclarations et Interviews se basent moins sur les phrases subordonnées, argumentatives et complexes, et
plus sur les constructions prépositives et affirmatives. Ce type de discours politique se rapproche plus, de cette
manière-là, des slogans politiques et de la publicité, dont le but principal est la séduction du plus grand
nombre d’électeurs. Il est soumis à la même contrainte de l’objectif que les publicités : plaire, apparaître
comme le (la) meilleur(e), du temps et de la médiatisation massive. Les Déclarations et Interviews sont le
dernier accord de la campagne présidentielle qui met le point définitif sur la campagne promotionnelle d’un
produit qui s’appelle « Candidats aux élections présidentielles ».
Liste des références bibliographiques
Bielinis, L., 2000 : Rinkiminių technologijų įvadas, Margi raštai, Vilnius.
Bonnafous, S., Calibris, G., Groupe Saint-Cloud, 1999 : L’image candidate à l’élection présidentielle de 1995.
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Bronckart, J.-P., 1996 : Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionnisme socio-discursif. Paris.
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Charaudeau, P., Maingueneau, D., Dictionnaire d’analyse du discours, 2002
McLuhan, M., 1967 : The Medium is the Massage: An Inventory of Effects. Ed. Random House.
Pour citer cet article
STASILO Miroslav. Évolution du discours politique en France et en Lituanie : déclarations et interviews des
présidents élus, candidats vaincus, consécutives à l’annonce des résultats des élections présidentielles. Signes,
Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet
2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1917. ISSN 1308-8378.
19/07/2014 14:33
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Article
Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de
l’« étoffage » de l’information politique transmise à la jeunesse. Cas de la
construction d’un panthéon mémoriel
Jacquinot Bamba BISSELE, Doctorant en linguistique et analyse du discours, Université de Yaoundé I
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
Le discours politique à la jeunesse crée un univers imprégné des imaginaires spécifiques. Adresse
d’information, de formation et de ralliement, il présente des figures illustres de l’histoire nationale censées
inspirer cette jeunesse. On assiste ainsi sur la durée à l’érection et à l’« étoffage » d’un panthéon dans la
mémoire collective des jeunes. On peut s’interroger sur la nature des hôtes de ce Panthéon et sur son
fonctionnement. Il apparaît à travers les discours du Président camerounais que celui-ci érige un panthéon aux
figures vivantes et anonymes qu’il étoffe de l’imaginaire du football centré sur l’équipe nationale. Ces discours
se parferaient grâce aux apports de la culture et de l’histoire, pour une information politique adaptée à la
nouvelle communication politique.
Abstract
The political discourse towards the youth creates a world impregnated with diverse imaginaries. Informational
and training speech that rallies, it portrays icons of the national history that can inspire the youth. Therefore, a
pantheon is built and furnished in the youth memory. We studied the nature of this Pantheon relating to the
speeches of the Cameroonian Head of State and discovered that this speaker displays anonymous personalities
inside the national football team. Nevertheless, this political type of speech could be more effective if culture
and history were carefully taken into consideration.
Table des matières
INTRODUCTION
I - LES COMPOSANTES DU PANTHÉON MÉMORIEL DANS LE DISCOURS DE PAUL BIYA À LA JEUNESSE
A. Les devanciers : Les « aînés » et les pionniers de l’Indépendance (2) et (10)
B. Les équipes sportives : Les Lions Indomptables du football : (1), (3), (4), (5), (6), (7), (8), (9), (10)
II - FONCTIONNEMENT DE L’« ÉTOFFAGE » DU PANTHÉON MÉMORIEL À TRAVERS LE DISCOURS
POLITIQUE
A. L’imaginaire du football
B. Une « panthéonisation » à visée synchronique
III - DES PERSPECTIVES OU L’« ÉTOFFAGE » MÉMORIEL À L’AUNE DE LA NOUVELLE COMMUNICATION
POLITIQUE
A. La culture et l’histoire nationale
B. La nécessité de nommer dans le discours politique les personnages illustres de l’histoire nationale
CONCLUSION
Texte intégral
INTRODUCTION
Les Technologies de l’Information et de la Communication ont révolutionné les échanges. L’expression
« village planétaire » symbolise ainsi la proximité – de communiquer – désormais possible entre les citoyens
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du monde. Dès lors une nouvelle communication au sein des États et entre États a vu le jour. En conséquence,
on perçoit l’irruption de l’ère des réseaux comme facteur de nouveauté ; la nouveauté s’observe aussi dans les
phases actuelles de l’évolution des États en référence aux précédentes. Au Cameroun par exemple, la nouvelle
communication politique peut s’observer sous le double prisme des innovations technologiques et des
avancées historico-politiques.
À partir des années 1990, le Cameroun connaît une effervescence sans précédent : marche pour la démocratie,
villes mortes, avènement du multipartisme, libéralisation de l’audio-visuel, etc. C’est la floraison de la pensée
nationale, le tohu-bohu social et politique. Les villes mortes paralysent le pays durant de longs mois, on vit la
désobéissance civile et corollairement les pillages, les destructions de biens publics surtout, etc. On parle déjà
de Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). Une nouvelle pensée politique
voit le jour, marquée du sceau de la revendication, du désir du changement, du débat sur la « conférence
nationale souveraine ». Certains protestataires se réclameront même des pères de l’Indépendance, bien que le
contexte ne soit plus le même. La communication politique, produite par l’instance politique change de
visage : elle n’est plus monolithique, ni enfermée dans sa tour d’ivoire. On la trouve plutôt conciliante, parfois
suppliante – souvent paradoxalement menaçante – mais surtout elle se veut rassembleuse, aguichante et pleine
d’espoir.
Aux lendemains de cette agitation démocratique et de ce renouveau médiatique, dans la fermentation des
aspirations tant existentialistes que sociales, l’instance citoyenne et spécialement sa composante qu’est la
jeunesse s’est trouvée face à des sollicitations nombreuses et diverses, l’obligeant d’être « embarquée » :
insertion sociale, emploi, appel à l’expression du suffrage, au civisme, au patriotisme, etc. En bonne place de
ces sollicitations figure l’appel à imiter les figures marquantes du pays et de s’inspirer des valeurs qui les ont
guidées. On note ainsi une tentative de construction d’un Panthéon dans la mémoire des jeunes. Une telle
entreprise suscite quelques questions :
quelles sont les composantes de ce panthéon mémoriel ?
comment fonctionne l’« étoffage » de ce panthéon ?
ce panthéon mémoriel ainsi construit suffit-il à créer l’émulation au sein des jeunes ou doit-il être
davantage étoffé ?
L’analyse du discours, perçue comme étude de la relation entre le texte et le contexte selon Patrick
Charaudeau et Dominique Maingueneau (2002 : 42) nous aidera à répondre à ces questions. On sait que
l’analyse du discours se situe au carrefour des sciences humaines (sociologie, psychologie, anthropologie,
philosophie, etc.) et les sciences du langage. C’est dire qu’un avantage indéniable naît de l’interdisciplinarité
et permet ainsi une meilleure préhension du texte, s’il est vrai qu’aucune discipline ne peut se suffire à
soi-même.
C’est dans ce sens que l’étoffage du panthéon mémoriel semble être mieux perçu au regard de l’étude des
imaginaires, de l’imaginaire discursif, voire sociodiscursif, ces savoirs et croyances que transmet ou manipule
l’orateur politique. Patrick Charaudeau (2005 : 157) les explique ainsi qu’il suit :
Dans la mesure où ces savoirs, en tant que représentations sociales, construisent le réel en univers de
signification, selon un principe de cohérence, on parle d’« imaginaires ». Dans la mesure où ces imaginaires sont
repérables par des énoncés langagiers qui sont produits sous différentes formes, mais sémantiquement
regroupables, on les appellera des « imaginaires discursifs ». Et dans la mesure, enfin, où ceux-ci circulent à
l’intérieur d’un groupe social s’instituant en norme de référence pour ses membres, on parlera d’« imaginaires
sociodiscursifs ».
En effet, l’orateur politique – en l’occurrence le Chef de l’État du Cameroun – manipule dans son discours des
savoirs et des croyances (imaginaires discursifs) qu’il veut voir partagés par ses jeunes compatriotes. Dans la
continuité on y verra une construction, un bâtir. Nous ferons ressortir les composantes du panthéon mémoriel
que construit Paul Biya dans dix de ses adresses à la jeunesse, verrons ensuite comment fonctionne
l’imaginaire dans ces discours. Nous terminerons par une réflexion autour de l’étoffage mémoriel comme
composante d’une nouvelle information politique à l’aune de la nouvelle communication politique.
I - LES COMPOSANTES DU PANTHÉON MÉMORIEL DANS LE DISCOURS DE PAUL
BIYA À LA JEUNESSE
Originellement le terme « Panthéon » désigne un temple dédié par les anciens (Grecs et Romains) à leurs
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dieux tels que Zeus (Jupiter), Artémis (Diane), Poséidon (Neptune), Dionysos (Bacchus), Arès (Mars) ou Pan
(Faunus) entre autres. C’est aussi l’ensemble des dieux d’une mythologie. Par analogie « Panthéon » renvoie à
un monument (bâtisse) où sont déposés les restes des illustres personnages d’une nation ou d’un pays
(Panthéon de Rome, de Paris, etc.). Au sens figuré, le mot désignera « l’ensemble des personnes qui se sont
illustrées dans un domaine » (Petit Larousse illustré, 2004). La « mémoire » quant à elle, capacité biologique
et psychique, permet d’emmagasiner, de conserver et de restituer des informations (Petit Larousse illustré,
2004). La floraison lexicale autour du terme laisse voir la place qu’on lui accorde dans les sciences de la
nature, dans les sciences humaines et même dans l’informatique : mémoire collective, individuelle, devoir de
mémoire, lieu de mémoire, mémoire à court terme, mémoire à long terme, mémoire vive, mémoire morte,
mémoire tampon, mémoire de masse, etc.
La mémoire dans le cadre du discours politique adressé à la jeunesse sera saisie comme capacité de stocker
des messages renvoyant à un imaginaire sociopolitique essentialisé par le locuteur (pédagogue), de les laisser
bâtir et de les conserver en vue d’une restitution citoyenne. C’est à peu près ce que Bourdieu appelle
l’« habitus », un système de dispositions durables acquis par l’individu au cours du processus de socialisation
(1982). L’imaginaire peut participer de l’identité d’un groupe, de son tenir ensemble, de ses aspirations et de
la perception de son destin. Sans nécessairement coller explicitement à une idéologie, il unit l’image mentale
individuelle ou collective à la réalité. D’où que la fonction de l’imaginaire est indissociable de l’ordre de la
matérialité (Bayart 1996 : 231).
La parole revêt dès lors une fonction supplémentaire et devient un vecteur de cohésion et de la modélisation
sociale (Bikoï 2006 : 54). La sédimentation de cette parole dans le conscient et même l’inconscient populaire
est censée créer au fil du temps l’identité, une communauté homogène de mémoration historique, social et
politique, une communauté de croyances (sentiments et passions) et un faisceau commun d’aspirations. Pour
tout dire, c’est un univers où le destin est balisé par les figures qui ont le mieux incarné l’idéal de la
communauté (la nation). La patrie, par devoir de mémoire, par reconnaissance et dans un élan d’émulation les
ancre dans la gloire d’un Panthéon physique (leur corps) et/ou mémoriel (leurs œuvres forts louables) en vue
d’une appropriation pratique dans le vécu quotidien des individus.
Pour distinguer les figures qui meublent le panthéon mémoriel du discours du Président Paul BIYA – le
Cameroun n’a pas encore de Panthéon en tant que monument physique – lisons ces extraits des messages
adressés à la jeunesse camerounaise (de 1990 à 2010) à l’occasion des différentes fêtes qui lui sont
consacrées. Les messages sont extraits de l’Anthologie des discours et interviews du Président de la
République du Cameroun (ADIPRC) et du quotidien national bilingue Cameroon-Tribune :
(1) « Quelles [équipes sportives] vous servent d’exemples 1 à tous, au-delà du domaine sportif ? » [ADIPRC,
vol. 2, p. 170, 10 février 1990, à l’ occasion de la 24e fête nationale de la Jeunesse. L’orateur s’exprime ainsi dans
la foulée du « bilan » des actions menées par la jeunesse camerounaise sur les plans social, culturel et sportif. Le
plan sportif décroche la palme de l’excellence.]
(2) « Car ce Cameroun… vos aînés l’ont bâti et continuent de le bâtir jour après jour, et vous, vous le
consoliderez tous ensemble. » [ADIPRC, vol. 2, p. 335, 10 février 1992, à l’occasion de la 26e fête nationale de la
Jeunesse. On peut se poser la question de savoir de quels aînés il s’agit.]
(3) « Prenez l’exemple sur nos sportifs qui gagnent et tout particulièrement sur nos « Lionceaux » à qui j’adresse
toutes mes vives félicitations pour leurs brillantes performances à l’Ile Maurice. » [ADIPRC, vol. 3, p. 14, 10
février 1993, à l’occasion de la 27e fête nationale de la Jeunesse. Aucun nom n’est cité.]
(4) « Encore une fois, prenons exemple sur nos Lions Indomptables [du football] qui, en dépit des moyens
modestes, ont réussi à se qualifier pour la phase finale de la Coupe du Monde en juin prochain. Parce qu’ils ont le
talent, parce qu’ils ont la foi, parce qu’ils sont portés par les espoirs de tout un peuple. » [ADIPRC, vol. 3, p. 48,
10 février 1994, à l’ occasion de la 28e fête nationale de la Jeunesse.]
(5) « Cette jeunesse qui peut, elle aussi, être un exemple pour ses aînés. Je pense tout particulièrement à nos
jeunes Lions Indomptables qui viennent de nous combler, de nous honorer, en remportant la Coupe d’Afrique des
Nations Junior de football. » [ADIPRC, vol. 3, pp. 81-82, 10 février 1995, à l’ occasion de la 29e fête nationale de
la Jeunesse. Encore une fois il n’y a pas de nom.]
(6) « Mais y a-t-il meilleur exemple que celui de nos sportifs ? Je pense bien sûr à nos footballeurs qui se sont
qualifiés pour la Coupe d’Afrique des Nations et la Coupe du Monde 1998. Par leur qualification, nos « Lions »
auront montré qu’ils appartiennent à l’élite mondiale de leur discipline […]. Nos sportifs ont ainsi tracé la voie. À
vous de suivre. » [ADIPRC, vol. 3, p. 269, 10 février 1998, à l’occasion de la 32e fête nationale de la Jeunesse.]
(7) « Des moyens ont également été dégagés pour que nos sportifs soient présents à la plupart des rendez-vous
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africains et à plusieurs manifestations au niveau mondial, auxquels ils se sont comportés très honorablement. Le
meilleur exemple en est donné par nos Lions Indomptables qui se sont hissés à la CAN 2000 jusqu’au niveau des
demi-finales après des prestations dignes de leur réputation. » [ADIPRC, vol. 3, p. 327, 10 février 2000, à
l’occasion de la 34e fête nationale de la Jeunesse.]
(8) « Vous ne vous étonnerez pas si, à nouveau, je vous donne en exemple nos jeunes footballeurs qui se sont
illustrés l’an dernier à la Coupe d’Afrique des Nations et aux Jeux Olympiques de Sydney. » [ADIPRC, vol. 3, p.
384, 10 février 2001, à l’occasion de la 35e fête nationale de la Jeunesse. Ces Lions avaient en effet remporté les
finales de football de ces rendez-vous sportifs.]
(9) « Qui dit sport au Cameroun, dit évidemment football. Je voudrais saisir cette occasion pour féliciter
chaleureusement notre équipe nationale, les Lions Indomptables, pour leur brillante prestation à la Coupe
d’Afrique des Nations 2002 au Mali. » [ADIPRC, vol. 3, p. 427, 10 février 2002, à l’occasion de la 36e fête
nationale de la Jeunesse.]
(10) « Mes chers compatriotes,
L’année 2010, vous l’avez compris, ne sera pas comme les autres. Elle marquera en effet le cinquantenaire de
notre accession à la souveraineté.
Cet événement mémorable revêt évidemment pour tous les Camerounais une importance considérable puisqu’il
les a rétablis dans leur dignité d’homme et de citoyen. Mais pour vous, chers jeunes compatriotes, il doit avoir
une signification particulière.
Il ne serait pas surprenant en effet que vous, qui êtes nés deux ou trois décennies plus tard, considériez qu’il
s’agissait là de l’aboutissement normal d’un processus historique, en quelque sorte inéluctable. Peut-être. Mais
n’ayez garde d’oublier, ainsi que je le rappelais il y a quelques semaines, que ce fut d’abord un rêve impensable
pour lequel des jeunes gens comme vous ont lutté, se sont sacrifiés, et par la suite ont consacré leur vie à
construire un Etat et former une Nation […].
Le premier devoir que la fidélité à l’idéal des pionniers de notre indépendance vous impose, sera de préserver et
de consolider les acquis des cinquante dernières années […].
J’aurais aimé, avant de conclure, pouvoir me féliciter avec vous du parcours des Lions Indomptables à la récente
Coupe d’Afrique des Nations. Le sort en a décidé autrement. Notre équipe nationale qui est en pleine mutation a
pourtant montré de grandes qualités […] pour encadrer et perfectionner les jeunes qui manifesteront des
dispositions exceptionnelles pour notre ‘‘sport-roi’’ ». [Cameroon-Tribune, 12 février 2010, n° 9537/5738 ;
URL : cameroon-tribune.cm]
À la lecture des extraits de ces dix discours, il apparaît que l’orateur étoffe le panthéon mémoriel de la
jeunesse de trois grandes figures d’importance inégale : les devanciers d’une part, les équipes sportives
d’autre part (notamment les Lions indomptables du football).
A. Les devanciers : Les « aînés » et les pionniers de l’Indépendance (2) et (10)
Les devanciers sont des compatriotes qui ont transcendé leur individualisme ambiant et ont œuvré pour la
Nation au point d’en perdre la vie pour certains. Ils ont donc sacrifié leur vie à l’autel de l’idéal national.
Quelques-uns sont morts de leur bonne mort, d’autre vivent leur derniers jours.
B. Les équipes sportives : Les Lions Indomptables du football : (1), (3), (4), (5), (6),
(7), (8), (9), (10)
Les Lions indomptables ont établi une tradition de succès sur la durée. On a là deux douzaines de
« gladiateurs » (mâles s’entend) en junior mais aussi en senior. Il faut noter que ces illustres personnages sont
pris en bloc (le football n’est-il pas un jeu d’équipe ?)
Au total les figures qui ont accès au panthéon construit par Paul Biya constituent un mélange hétéroclite de
vivants et de morts : les hommes illustres et les footballeurs. On ne distingue pas les morts des vivants sauf
dans la liesse du succès sportif. L’anonymat constitue ainsi l’un des modes par excellence du fonctionnement
de l’érection du panthéon dans la mémoire des jeunes.
II - FONCTIONNEMENT DE L’« ÉTOFFAGE » DU PANTHÉON MÉMORIEL À
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TRAVERS LE DISCOURS POLITIQUE
A. L’imaginaire du football
Comme nous l’avons sans doute constaté, le panthéon édifié par l’orateur en rapport avec la jeunesse est
fortement chargé de l’imaginaire sportif, notamment celui du football. En effet, l’équipe nationale de footballles Lions Indomptables- apparaissent dans neuf discours sur dix. L’imaginaire est entendu comme « image de
la réalité, mais en tant que cette image interprète la réalité, la fait entrer dans un univers de signification »
(Charaudeau 2005 : 158). Ainsi, l’univers de signification des jeunes devient frappé des couleurs nationales à
colorations sportives. Les fantasmes et les rêves de l’auditoire deviennent surdéterminés par l’imaginaire du
football qui est passé dans le texte (imaginaire discursif) pour servir de ciment, puis un univers de croyances
partagés et par conséquent d’idéal commun (imaginaire sociodiscursif). L’emploi du possessif y contribue
fortement :
(3) nos sportifs ; nos Lionceaux.
(4) nos Lions Indomptables.
(5) nos jeunes Lions Indomptables.
(6) nos sportifs ; nos footballeurs, nos sportifs ; nos sportifs.
(7) nos Lions Indomptables.
(8) nos jeunes footballeurs.
(9) notre équipe nationale ; les Lions Indomptables.
(10) notre équipe nationale.
On note également le fait de ressassement conscient qui contribue également à l’ancrage et à l’activation
d’une modélisation et d’une homogénéisation des consciences :
(4) Encore une fois, prenons exemple sur nos Lions Indomptables du football.
(8) Vous ne vous étonnerez pas si, à nouveau, je vous donne en exemple nos jeunes footballeurs.
Pour des questions de typologie, l’imaginaire du football ferait penser à l’imaginaire de tradition, mais ici il ne
s’agit ni d’une quête des origines ni d’un retour aux sources, étant donné l’actualité continuellement
florissante du football. On penserait cependant à l’imaginaire de la souveraineté populaire (le droit à
l’identité) (Charaudeau 2005 : 175) dans la mesure où le football semble devenir consubstantiel à la nature de
peuple camerounais, à telle enseigne que son absence dans les discours singulièrement en direction des jeunes
surprendrait. Dans cette perspective, si le football est le « sport-roi » (Belayachi 1989 : 5, 9, 18), il y a
quelques pays africains qui en sont les princes, parmi lesquels le Cameroun.
Le stéréotypage autour de l’imaginaire du football s’en trouve exacerbé. Selon Ruth Amossy (2000 : 40), le
stéréotypage est l’opération qui consiste à penser le réel à travers une représentation culturelle préexistante, un
schème collectif figé. On note en outre une fonction impressive très prononcée au service de cet imaginaire,
matérialisée par une invite qui traverse les discours de part en part. Pour illustrer cela relevons le nombre
d’occurrences du terme « exemple » (7 fois) à travers le discours et le registre exhortatif exprimé par l’emploi
abondant de l’impératif (« Qu’elles vous servent d’exemple » ; « Prenez l’exemple sur nos sportifs » ; «
Prenons exemple sur nos Lions Indomptables »). Les Lions sont pris en exemple dans ces énoncés
épidictiques (laudatifs). Paul Biya utilise l’exemple, argument inductif le plus courant (Robrieux 2005 : 192)
pour créer l’émulation au sein des jeunes. Vu le caractère discret et taciturne dont les « devanciers » (aînés et
pionniers de l’Indépendance) font l’objet, les figures qui « vivent » et perdurent dans la mémoire restent les
équipes de football.
B. Une « panthéonisation » à visée synchronique
Contrairement aux origines et à la pratique contemporaine où les dieux/personnages illustres qui accèdent à
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tout Panthéon sont bien connus, individuellement nommés, ceux désignés pour la gouverne des jeunes à
l’occasion de leurs fêtes nationales sont regroupés dans une « équipe ». Chacun y perd son individualité, son
talent personnel, son état civil au profit du groupe. Aucun héros ne sort du lot, le talent et la virtuosité sont
nivelés. Si une telle propension à l’anonymat a le mérite de cristalliser l’imaginaire de tous sur une
composante de l’ identité nationale dont les Lions Indomptables sont le symbole, elle a cependant le défaut de
perpétuer une entité vague, de ne pas favoriser une réelle appropriation qui amènerait l’auditoire/lecteur
atemporel à se faire des idoles positives au sein de telle ou telle cuvée de « Lions ». C’est dire que l’anonymat
n’est rentable que dans le présent et aliène le jeune de l’histoire de son peuple, de son histoire tout court.
Au surplus, cette panthéonisation des personnages illustres, de la visée synchronique ne met sur le piédestal
que le héros de l’heure, de l’instant. Pourtant Joseph Ngoué (1997 : 78) nous invite à nous méfier de l’instant
présent : « La conjoncture crée le héros, et l’histoire le grand homme. Méfiez-vous de l’instant présent, servez
l’instant qui dure. » Pour servir l’instant qui dure, il faut nécessairement donner un visage, un nom et une voix
au passé, car de l’avis de Maalouf également (1998 : 131-138) chacun d’entre est dépositaire de deux
héritages : l’un « vertical » lui vient de ses ancêtres, des traditions, de son peuple, de sa communauté
religieuse ; l’autre « horizontal », lui vient de son époque, de ses contemporains.
On comprend dès lors l’importance d’une nouvelle information politique dans la nouvelle communication
politique, la politique entendue comme la gestion des affaires qui impliquent tant l’instance gouvernante que
l’instance citoyenne dans des rapports régulés de pouvoir et de contre-pouvoir. La nouvelle information
politique tiendra idéalement compte de l’histoire nationale des peuples, des personnages illustres et de leurs
œuvres. À défaut d’ériger un panthéon physique qui servent en même temps d’avertissement, de témoignage
et de reconnaissance de la patrie, les hommes politiques gagneraient à meubler, à étoffer efficacement le
panthéon de mémoire de leurs concitoyens, spécialement celui des jeunes.
III - DES PERSPECTIVES OU L’« ÉTOFFAGE » MÉMORIEL À L’AUNE DE LA
NOUVELLE COMMUNICATION POLITIQUE
L’humanité s’avance irréversiblement dans un nouvel ordre mondial marqué du sceau de la mondialisation,
des revendications identitaires, politiques, citoyennes ou syndicales, des frénésies sécuritaires, de la vitesse,
des innovations qui s’« anachronisent » en peu de temps, de l’instantanéité de l’actualité planétaire. C’est à
raison que Paul Biya exhortera « ses chers compatriotes » le 10 février 2010 : « […] Car il ne faut pas s’y
tromper, c’est un nouveau monde qui s’annonce, pour ne pas dire une nouvelle civilisation. Pour ne pas être
marginalisés, vous devrez être parmi les meilleurs. Je vous en crois capables. »
L’une des conditions qui immunisent de la marginalisation dans le nouveau monde se révèle être, à n’en pas
douter la qualité (le contenu) de l’information politique délivrée. En d’autres termes, il faudra qu’au-delà
d’être inspirés par un groupe de joueurs anonymes en maillots, le citoyen et partant le jeune se « sente » venu
de quelque part, se « sente » accompagné par les mânes des devanciers qui ont façonné son présent et que,
transpercé par leurs motivations louables il apporte sa pierre à la construction de la nation. Ce « sentir », qui
n’est pas seulement du ressort de l’émotion aura été le produit d’une information idoine au travers du discours
politique.
A. La culture et l’histoire nationale
La culture entendue comme « ensemble des usages, des coutumes, des manifestations artistiques, religieuses,
intellectuelles qui définissent et distinguent un groupe, une société » (Le Petit Larousse illustré, 2004)
mériterait d’occuper une place de choix dans l’information politique. En effet, bien présentée, elle est un
facteur essentiel de modélisation d’une identité nationale authentique, palpable, assimilable et non
nécessairement inhérent à un unanimisme sociétal. En d’autres termes l’introduction de la culture dans la
nouvelle communication politique cherchera à opérer une espèce de retour aux sources (imaginaire de
tradition : authenticité) adéquatement adapté aux défis actuels et futurs (imaginaire de la modernité :
économisme, technologisme). Le parfait tableau d’une culture mémorielle dans le discours politique se
déclinera aux couleurs de l’harmonie dans la différence, grâce à un tenir ensemble bien distillé et bien
inculqué. Parlant d’identité camerounaise, le Pr. Boyomo Assala (Hiototi 2006 : 111) considère que « La
camerounité se conçoit à travers l’institution de la carte d’identité mais également à partir de la construction
d’une identité culturelle […] la culture est donc en plus convoquée pour participer au développement y
compris, en promouvant les industries cultuelles à travers les entreprises, les théâtres de représentation, etc. »
Ainsi, loin de devenir un rebattement dissonant, la culture mémorielle dans le discours politique servira à
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poser pour ainsi dire des phares, des balises que représentent les figures historiques illustres. D’où que la
parole politique en elle-même revêt une vertu créatrice de mentors et d’égéries dans le panthéon mémoriel. On
comprend dès lors mieux la nécessité de nommer.
B. La nécessité de nommer dans le discours politique les personnages illustres de
l’histoire nationale
Nommer quelqu’un ou quelque chose participe de la connaissance de son identité et de sa fonctionnalité.
Ainsi quitte-on le vague du vide, du flou de l’entité et l’élément nommé (re)prend alors sa place dans le
monde sensible. Certaines évocations d’anthroponymes par exemple suscitent l’euphorie chez certains,
l’aversion chez d’autres. En tout cas, bien des fois il est difficile d’être indifférent - ne fût-ce
qu’intellectuellement - tant le nom propre est chargé d’affects, de croyances ou de stéréotypes culturels. On
s’est bien rendu compte du silence assourdissant voué aux noms de personnes dans le discours de Paul Biya.
Sans revenir sur les effets de ce vacuum anthroponymique, relevons seulement que celui-ci s’écarte de devoir
de mémoire. Il y aurait donc « péril en la mémoire » vu qu’on semble faire table rase de l’histoire nationale,
même dans le dernier discours (10) où il est fait état du cinquantenaire de l’accession à l’Indépendance et des
pionniers de celle-ci. L’anonymat dans lequel sont néantisés les héros de l’Indépendance et autres patriotes a
été décrié par Mboua Massock ma Batolong, citoyen particulièrement remonté contre l’« amonumentalité » de
la culture politique camerounaise. Celui-ci ne s’empêche pas de donner des noms : « Des héros comme
Rudolph Douala Manga Bell, Martin Paul Samba et bien d’autres patriotes ont lutté, se sont sacrifiés pour
que nous soyons libres. Ces hommes de valeur doivent mériter une place de choix dans nos cœurs, dans notre
vie quotidienne. » 2
CONCLUSION
Au demeurant, l’« étoffage » d’un panthéon mémoriel nécessite autant de méticulosité que d’entregent que
l’érection d’un panthéon matériel. Nous avons vu que dans la perspective d’une nouvelle information
politique, le discours politique est appelé à prendre en compte la culture et l’histoire nationale. En outre,
s’impose la nécessité d’une explicitation anthroponymique continuelle des héros qui ont marqué cette histoire
de l’estampille de leur génie, de leur courage et de leur grandeur d’âme. En effet, si les adresses de Paul Biya
à la jeunesse bâtissent en celle-ci un univers où se dressent majestueusement et presque exclusivement les
images de l’équipe nationale de football, il n’en est pas de même des personnages illustres de la vie sociale,
artistique, économique ou politique. Le point commun des figures panthéonesques introduites dans la
mémoire des jeunes étant l’anonymat des individus. L’asymétrie dans le traitement de ces deux groupes de
figures met donc en lumière l’équipe nationale de football (« Les Lions Indomptables ») et établit ainsi la
prééminence de l’imaginaire sociodiscursif du football, un imaginaire somme toute lacunaire qui ne peut tenir
devant les défis de la nouvelle communication politique et des effets de la mondialisation, malgré les apports
des énoncés à valeur conative ou injonctive. L’on pourrait peut-être vouloir entendre dans le discours du
Président de la République du Cameroun la voix des dirigeants des grandes nations de football en Afrique.
Voilà un autre débat non moins intéressant. En tout cas nous croyons avec Eboussi Boulaga (1977 :153) en la
nécessité et l’urgence, pour les politiques comme pour l’instance civile ou citoyenne, d’une « mémoire
vigilante ». Ce philosophe fait justement valoir que « La mémoire vigilante s’insurge contre toutes les
entreprises qui s’efforcent de l’anesthésier par une version triomphaliste et, à vrai dire, mystifiante de
l’histoire […]. C’est dire que la mémoire vigilante n’a pas pour but un jugement anachronique du passé, des
« aïeux ». La mémoire vigilante s’exerce sur le présent. » La mémoire vigilante est donc synonyme de salut, si
tant est que le (nouveau) monde est secoué par des forces centrifuges et doit aujourd’hui, comme l’Afrique
francophone d’après la décolonisation, être sauvé… de lui-même (Smith, 2004 : 98). Telle semble être la
grande ambition d’où tous les imaginaires sociaux et sociodiscursifs doivent tirer leurs forces.
Liste des références bibliographiques
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Nathan/HER.
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SOPECAM (Société de Presse et d’Editions du Cameroun), Anthologie des discours et interviews du Président
de la République du Cameroun (1982- 2002), volumes 2 et 3.
Notes de bas de page
1
C’est nous qui mettons « exemple » en gras.
2
Extrait d’une interview accordée au journal La Nouvelle expression du 16 mars 2006 et cité par la revue Hiototi n° 3.
Pour citer cet article
BISSELE Jacquinot Bamba. Nouvelle communication politique et nouvelle information politique : de
l’« étoffage » de l’information politique transmise à la jeunesse. Cas de la construction d’un panthéon
mémoriel. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et
perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1700.
ISSN 1308-8378.
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Article
Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas des
dérapages verbaux traités dans une rubrique de quotidien
Frédéric TORTERAT, Maître de conférences, Université de Nice / IUFM
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
Cet article porte sur un type d'écart dans le cadre du discours politique, à savoir le dérapage verbal, tel qu'il est
traité ici dans la plupart des neuf articles d'une rubrique du quotidien Le Parisien (décembre 2009). A la suite
d'une présentation sommaire de la rubrique et du contexte éditorial dans lequel elle est parue, nous opérons un
classement des discours cités, puis nous analysons les discours citants assortis de leurs commentaires, dont nous
donnons quelques éléments de conclusion, au croisement de la linguistique du discours et de la sociologie des
médias. Entre autres éléments, il apparaît que ce genre de rubrique journalistique montre comment le débat
public se rematérialise presque instantanément au moindre dérapage verbal, confrontant ainsi la publicité
politique à la temporalité des forums et de la blogosphère.
Abstract
This article returns on a specific intervention in Politic Discurse Domain, namely the gaffe, such as is described
here in most of nine articles gathered in a section of Le Parisien daily paper (in December, 2009). We give a
summary presentation of the section and editorial context in which it appeared, and we operate Discurses
classification, through linguistic and sociologic dimensions of utterances. In this occasion, we analyze
comments and expressions. From these elements, it seems that this kind of journalistic section shows how
public place re-materializes almost immediately in the gaffe, making political publicity particularly sensitive to
forums and blogs temporality.
Table des matières
I. PRÉSENTATION DU CORPUS
II. LE DISCOURS CITÉ : « BUZZ », « PROPOS INJURIEUX » ET AUTRES « IGNOMINIES »
A. A propos du dérapage verbal, en bref
B. Les citations : une diversité mesurée
III. L'ENCADREMENT ET L'ACCOMPAGNEMENT DES DISCOURS : ENTRE NARRATION, COMMENTAIRE ET
MISE EN SCÈNE
IV. ELÉMENTS DE CONCLUSION : LE « POIDS DES MOTS » EN POLITIQUE
Texte intégral
I. PRÉSENTATION DU CORPUS
Brutales, émouvantes, cyniques, spontanées ou calculées,
maladroites ou faisant mouche… L’année qui s’achève aura
été jalonnée de petites phrases dont l’écho se fait encore
entendre à quelques jours du Nouvel An. Le Parisien a fait le
choix d’en sélectionner neuf pour mieux vous faire revivre
les grands moments de l’actualité en 2009. Vous verrez
qu’elles ne manquent pas de sel !
C'est dans ces termes que le journal Le Parisien présente, dans un chapeau reconduit d'article en article, une
rubrique intitulée, par la Rédaction du quotidien, « Les Phrases de l'année 2009 ». Publiées sur une période
très courte (entre le 21 et le 31 décembre 2009), les neuf contributions de cette rubrique portent
principalement sur les dérapages verbaux de personnalités « médiatiques », pour la plupart politiques. Elle
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rend compte par ailleurs d'une amplification plus ou moins provisoire, qui n'appartient pas a priori aux
supports journalistiques, et qu'on désigne couramment à travers le terme de « buzz ». Le bref répertoire en
question, qui oscille entre l'anecdote et l'écrit dramatique, donne un contour représentatif à des formulations
qui se caractérisent d'abord par leur incongruité et leur retentissement. D'autre part, l'inventaire que dresse la
rubrique montre en partie comment les représentants des médias envisagent ces éléments de « mémoire
discursive » (Courtine 1981) comme les signes de véritables faits de société, au-delà donc des simples faits
divers (Cf. Lits & Dubied 1999).
Le corpus, qui rassemble près de 6000 mots (33900 caractères), correspond à des articles qui comprennent
respectivement de 600 à 700 mots environ. En marge du chapeau qui les identifie, les corps de textes sont
construits sur un canevas commun : une accroche, qui circonstancie les faits en quelques lignes (de manière
plus ou moins narrativisée ou commentée), une brève présentation du contexte assortie du récit de
l'événement, lesquels sont suivis, outre la présence d'un à deux intertitres, par des événements postérieurs à la
« phrase » formulée par la personnalité.
Nous reporterons aux articles en reprenant, par commodité, l'ordre linéaire dans lequel ils apparaissent à
l'intérieur de la rubrique, où sont respectivement cités Bernard Debré (1), Thierry Henry (2), Ségolène Royal
(3), Frédéric Mitterrand (4), Christophe Soumillon (5), Dominique de Villepin (6), Daniel Cohn-Bendit et
1
François Bayrou (7), Didier Lombard (8) et Michael Jackson (9) . La plupart correspondent à une démarche
similaire, à l'exception des textes (5) et (9), qui font partie du même ensemble, mais se révèlent à la marge de
la ligne éditoriale revendiquée par le journal.
Cette ligne est ouvertement résumée dans le chapeau, qui insiste à la fois sur la variété des éléments discursifs
et des contextes pris en compte, mais aussi sur leur mémorabilité, au sujet de laquelle cette forme de
préambule parle d'un « écho (qui) se fait encore entendre ». L'« écho » en question renvoie à une
médiatisation (quasi-)instantanée, que les articles nomment à travers les appellatifs de « polémique » ou de
« coup » par exemple.
Sur les neuf personnalités citées, six sont des acteurs de la vie politique. Ces derniers regroupent toutefois une
gamme de professions variées : ainsi la personnalité du texte 1 est-elle un député, celle du 3 une élue régionale
qui a été présente au second tour des présidentielles de son pays, celle du texte 4 un ministre en exercice, celle
du texte 6 un ex-premier ministre et candidat pressenti aux élections présidentielles à venir, celles du texte 7
deux (co-)présidents de partis politiques, et celle du texte 8 le président d'une entreprise nationale que sa
nomination et ses interventions hissent sur la scène politique, au même titre que les élus.
Toutes les « phrases » relayées dans les contributions de la rubrique ne constituent pas forcément des
dérapages « types », ou du moins fournissent-elles la démonstration qu'il existe, dans ce domaine, une certaine
gradation. Effectivement, l'intervention verbale du professeur Debré (texte 1) est envisagée comme une
maladresse, tandis que la déclaration de Ségolène Royal (3) apparaît comme « une démarche ». De même,
alors que la concession du footballeur Thierry Henri (2) est présentée comme un propos honteux, celles de
Frédéric Mitterrand (4) et de Didier Lombard (8) constituent, de l'aveu même de leurs auteurs, respectivement
une « grosse connerie » et « une énorme bourde ». Cette gradation se confirme à travers les autres articles : là
où nous assistons juste à quelque balourdise dans le texte 5, il en est tout autre dans le texte 6, où les
interlocuteurs débattent sur des propos ignominieux. Seul a priori le dernier article, qui renvoie à la
« formule » d'une personnalité du showbiz, ne porte pas sur un dérapage à proprement parler, mais il n'en
demeure pas moins que la formule visée est non seulement déplacée, en ceci qu'il s'agit d'une redite (qui n'a
rien d'un scoop), mais aussi décalée, en ceci qu'elle entre en contradiction complète avec l'événement tragique
qu'elle précède 2 .
Les documents ne se prêtent pas, quoi qu'il en soit, à une classification préconstruite en termes de genre.
Pluriels, autant qu'ils peuvent l'être sur ce type de support, les textes ont tous une part de narrativisation, de
dramatisation et de commentaire, se révèlent tous diversement polémiques et anecdotiques, et donnent tous
aux événements qu'ils relatent une dimension à la fois singularisante et généralisante, individuelle et
collective. C'est en cela, à notre sens, qu'ils sont représentatifs d'une approche du fait social qui, sans pour
autant nous inciter à parler de montage express, aborde l'événement avec une temporalité proche de celles de
la blogosphère et des forums 3 .
Cette question de la temporalité n'a d'ailleurs rien d'anodin, en ceci qu'elle convoque indirectement celle du
moment médiatique, lequel oscille entre la surenchère et ce qu'à la suite de Jankélévitch on peut appeler le
« bon débarras », soit une période au cours de laquelle la personnalité politique assumera sa responsabilité, ou
au contraire s'ingéniera à se déresponsabiliser des propos qui ont été tenus (en attribuant par exemple le
« bruit » occasionné à d'autres ou en critiquant, ouvertement ou non, la médiatisation qui en est faite). Le buzz
provoqué balance par là même entre deux processus contradictoires, l'ostension et la contraction, auxquels les
modes de citation participent avec plus ou moins d'intensité.
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II. LE DISCOURS CITÉ : « BUZZ », « PROPOS INJURIEUX » ET AUTRES
« IGNOMINIES »
A. A propos du dérapage verbal, en bref
Le flux quelquefois haletant des déclarations et la fatigue que cette accumulation peut entraîner chez les
personnalités n'expliquent pas complètement la tenue de propos déplacés, qui apparaissent bien entendu dans
des contextes très variés (où les éventuelles sollicitations du/des journaliste(s) n'ont rien d'automatique). Ces
propos sont diversement péremptoires, diffamatoires, discriminatoires, voire orduriers, procéduriers et même
comminatoires dans certains cas. En ce qui concerne notre corpus, si presque l'intégralité des « phrases » sont
reprises d'entretiens en présence de la presse, ce n'est pas le cas du texte 2, qui prend appui sur un
« communiqué » produit dans l'empressement, et éventuellement du texte 5, de source indéterminée. Dans
toutes les autres contributions, les propos ont été tenus devant des journalistes et généralement en public, ce
qui conforte le fait que la déclaration caractérise, plus que la phrase elle-même (les supports thématiques des
textes 1 et 8 consistent plutôt dans un mot), le matériau qui unifie la rubrique. La « phrase » concernée est
appelée « formule provocatrice » en (1), renvoie indirectement à un aveu en (2), et correspond à un « pardon »
à deux reprises en (3), une « faute » en (4), une « charge » en (6), un « reproche » en (7), un « mot » en (8) et
à nouveau une « formule » en (9), autant d'« objets socio-discursifs » (Angermüller v.d. 2008) que les
rédacteurs s'approprient et commentent variablement.
Brièvement, on peut définir le dérapage verbal comme une production discursive individuelle, généralement
non préméditée, qui présente un caractère intempestif et déplacé. En plus de ces caractéristiques, le dérapage
verbal apparaît comme un propos tenu en présence de tiers, généralement en milieu collectif, et en rupture en
tout ou partie avec les propos qui précèdent. Qui plus est, il s'inscrit dans un contexte où les circonstances en
4
constituent un facteur atténuant ou au contraire aggravant .
Dans le domaine du discours politique, ce type d'intervention consiste au mieux dans une formulation
maladroite (Bougnoux 1998) ou comme le contraire de l'euphémisme (Schepens 2006), au pire comme une
provocation, voire une accusation, mais s'identifie toujours comme une absence de contournement, qui se
révèle aussi inappropriée qu'incongrue. Pour autant, et contrairement à ce qu'on pourrait être conduit à
supposer a priori, ce type de « sortie » n'est pas forcément contreproductive pour son auteur : par moments
délibérée (comme c'est le cas dans les textes 1, 3 et 6 du corpus), la formule constitue éventuellement l'objet
même de l'intervention.
Rappelons que la dénomination de « dérapage verbal » intervient telle quelle dans les documents
journalistiques, qui rapportent couramment le propos diffusé sous forme de discours direct, de même que les
protestations qui ont suivi, lesquelles sont reprises pour leur part sous des formes diverses (discours direct,
5
indirect ou narrativisé notamment) . En voici une illustration, extraite d'une dépêche de l'AFP parue dans le
quotidien Le Monde du samedi 9 février 2010 (page 9) sous forme de brève, et que le journal intitule
justement « Dominique Bussereau dérape sur les harkis » :
Le secrétaire d'Etat aux transports, Dominique Bussereau, tête de liste de la majorité aux régionales en PoitouCharentes, a présenté ses excuses, jeudi 4 février, après un dérapage verbal sur les harkis. Interrogé sur Europe 1
à propos de la présence de centristes sur la liste de Ségolène Royal, la présidente PS sortante, il avait déclaré :
« Oui enfin, elle rassemble des harkis, hein, si vous me permettez l'expression, des gens qui vont un peu dans
6
cette affaire parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens d'être élus » .
Bien que cette relation appartienne à l'initiative de tous types de rédacteurs (journalistes, mais aussi
blogueurs, forumeurs et autres « messagers »), le journalisme en particulier politique s'approprie ce type
d'écart (qui n'est donc pas forcément une erreur pour son auteur) en l'intégrant volontiers dans un débat,
concret ou supposé, où l'informulé, et de ce fait le « présumé » (De Arruda Carneira 1992), prend autant de
consistance que la formule elle-même. Comme l'explique à cet égard Martel (2008 : 9), « si, pour une raison
ou pour une autre, l’interlocuteur n’est pas en mesure d’inférer ce qui est implicite, une partie du sens est
perdue, la force argumentative attachée à ce procédé n’est pas optimale. On peut donc dire que la qualité de la
performance communicationnelle de la contradiction dépend de la co-construction du sens ».
Indiquons que les jugements que portent les médias sur ces « phrases » reprises de personnalités s'appuient
presque autant sur ce qu'elles contiennent que sur les conditions de leur « circulation » (Moirand 2006). Dans
une chronique par exemple de Franck Nouchi parue dans Le Monde du mardi 16 mars 2010 (page 26), le
rédacteur dénonce le fait qu'à la suite d'un entretien « d'une demi-heure » avec le chef de l'Etat, les
responsables politiques du parti présidentiel aient tous tenus les mêmes propos. Enumérant les noms des
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personnalités concernées, le journaliste regrette ainsi que « tous [aie]nt dit la même chose, [aie]nt prononcé les
mêmes phrases, dans le même ordre » (l. 8-11, deuxième colonne). L'article, qui conclut toutefois sur un
« léger décalage » dans les propos prédiqués par un tiers, fustige de ce fait une récitation qui a justement pour
objet d'écarter tout dérapage 7 .
Ces tendances confirment l'une des principales caractéristiques du dérapage verbal dans le cadre de la
publicité politique, à savoir sa responsabilité individuelle, qui semble donc marginaliser le dérapage vis-à-vis
des réponses collectives ou des déclarations mesurées des communiqués de presse.
Dans notre corpus en particulier, tout indique que les propos cités dépassent le cadre qui leur est assigné, ce
qu'admettent généralement les personnalités elles-mêmes, pour peu qu'on soit en mesure d'entendre ce qu'elles
ont déclaré postérieurement à leurs propos (le dérapage prémédité de S. Royal, dans le texte 2, s'accompagne
des avis de ceux qui font une contre-publicité de son « discours », en parlant entre autres d'« opportunisme
politique », mais d'aucun commentaire de sa part). Par exemple, Bernard Debré (1) admet que sa phrase a tout
d'une provocation, Frédéric Mitterrand (4) avoue qu'il « aurai(t) dû calibrer (s)es propos », François Bayrou
(7) concède en parlant de sa propre réaction qu'« on a toujours tort de se mettre en colère », et un « proche »
de Didier Lombard (8) n'hésite pas à convenir du fait que ce dernier « n'est pas un homme de
communication ».
B. Les citations : une diversité mesurée
Les discours cités dans les articles des Phrases de l'année (93 suivant notre décompte) le sont principalement
sous trois formes, dont celle du discours direct avant tout, qui représente 89,25 % des citations, tout en
intervenant dans un cadre monologal ou dialogal. Apparaît plus marginalement le discours indirect (9,68 %),
ainsi qu'un cas de discours indirect « libre » (1,07 %). En voici des exemples significatifs (mis en italiques),
respectivement pour le discours direct en cadre dialogal (A, texte 7), le discours indirect (B, 8), et le discours
indirect libre (C, 5) :
(A) L'émission n'a commencé que depuis vingt minutes. Bayrou reproche à Cohn-Bendit sa proximité avec
Nicolas Sarkozy : « Vous êtes allé trois fois à l'Elysée... », Cohn-Bendit : « J'y suis allé avec tous les présidents
de groupe ». Bayrou : « Pourquoi vous sentez-vous mal ? », Cohn-Bendit : « Je ne me sens pas mal, je trouve ça
ignoble de ta part parce que tu sais exactement ce qui se passe quand on est délégué européen... Ce genre de jeu
devant les citoyens, eh bien mon pote je te dis : jamais tu seras président de la République parce que t'es trop
minable... Trop minable. »
(B) Debout devant son pupitre, le ministre derrière lui, Lombard affirme prendre le problème à bras-le-corps et
présente une série de mesures destinées à améliorer les conditions de travail.
(C) Le sang de Soumillon ne fait qu'un tour. Lemaire profite de son absence pour récupérer certains de ses
chevaux, c'est de bonne guerre ! Et si lui en faisait autant ?
Les énoncés plus généralement rapportés peuvent être cités ou simplement mentionnés, et il conviendrait
également de suggérer la possibilité de discours narrativisés (textes 8 et 9), mais nous nous en tiendrons là
dans la présente classification. Plus spécifiquement, le fait que le discours direct soit le plus représenté
demeure entièrement prévisible, d'une part, dans la mesure où celui-ci intègre une démarche qui revient à
reprendre non seulement les propos qui ont été tenus, mais aussi la forme discursive qu'ils ont occupée dans le
contexte de leur intervention, et, d'autre part, dans la mesure où l'emploi du discours indirect, de son côté,
implique au contraire une reformulation du propos, et suppose donc une prise de responsabilité du rédacteur.
Comme le rappelle a fortiori Marnette (2003 : 128) :
Ces types de discours rapporté ont pour particularité de créer une stratégie de discours qui permet aux journalistes
de présenter les faits de manière directe et donc supposément objective (…), tout en paraissant détachés de ces
faits en tant que rapporteurs.
Indiquons que les remarques métadiscursives (s'attachant à commenter ou à porter un jugement à la fois sur la
formule et la formulation elle-même, ainsi que ce qui les contextualise), interviennent autant dans les discours
cités que dans les discours citants. Pour ce qui concerne les premiers, B. Debré (1) déclare qu'« il faut replacer
les choses dans leur contexte », ce à quoi l'un de ses détracteurs lui répond que, même lâchés dans
l'empressement, « les mots ont un sens ». Dans un cadre analogue, F. Mitterrand (4) aurait voulu « dire les
choses autrement », là où l'un des avocats de D. de Villepin (6) clame que « (l)es mots (de l'une des parties
civiles) installent une violence inouïe ». De son côté, D. Cohn-Bendit (7) parle d'un « jeu devant les
citoyens », et l'un des « proches » de D. Lombard (8) proteste du fait que le propos « est allé trop loin » (l'un
des contradicteurs répliquant dans la foulée que « ce n'était pas un lapsus »).
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Pour ce qui relève des seconds (les discours citants), et en marge du terme de « polémique », qui apparaît 7
fois dans le corpus, les rédacteurs emploient plusieurs sortes d'appellatifs (comme « formule provocatrice » en
1, « mots forts » en 2), mais n'hésitent pas, ici et là, à commenter directement la démarche pour ainsi dire
verbale des personnalités, comme c'est le cas dans 3, où il est écrit que S. Royal « occupe le terrain », dans 4,
où F. Mitterrand visiblement « rumine sa faute », ou par exemple dans 6, où il est indiqué que « le coup avait
été (…) orchestré ». Ces commentaires deviennent encore plus significatifs quand le journaliste indique, dans
6, que si « le contenu de la charge ne surprend personne, la violence des termes, si », et parle de « règlements
de comptes politiques et personnels ». De même, alors que le commentaire de 7 traite de « la violence de cet
échange », celui de 8 estime que le « mea culpa (de la personnalité) est peu convaincant » 8 . Un tel
encadrement des discours est d'autant plus révélateur dès lors qu'il s'agit de désigner « le ton » qui est donné,
ce à quoi recourt l'auteur du quatrième article quand il écrit, à la toute première ligne de sa contribution :
« Frédéric Mitterrand n'aura pas mis longtemps à découvrir le poids des mots en politique ».
III. L'ENCADREMENT ET L'ACCOMPAGNEMENT DES DISCOURS : ENTRE
NARRATION, COMMENTAIRE ET MISE EN SCÈNE
Plusieurs procédés récurrents apparaissent dans les articles de la rubrique, en marge des genres discursifs
représentés (lesquels, comme le rappelle Von Münchow (2009), sont notamment « déterminé(s) par des
"champs d’activité" » des auteurs). Confirmons juste que les contributions concernées narrativisent beaucoup
moins les événements relatés qu'elles ne les dramatisent à proprement parler. Autrement dit, elles construisent
une trame autour de productions interlocutives qu'elles circonstancient variablement, qu'elles commentent
plus ou moins, et qu'elles judiciarisent en partie (quand il s'agit de revenir sur les propos incriminés,
présentant ainsi les faits à la manière d'un réquisitoire ou d'un plaidoyer dont elles convoquent les attendus et
les témoins).
Parmi les procédés récurrents que nous pouvons répertorier (dont font partie l'insinuation et l'allusion, que
nous ne traiterons pas ici), ceux de l'intensification, de l'intitulation et de l'amplification sont les plus
généralisés. Pour ce qui relève de l'intensification, celle-ci passe notamment par les verbes, incidents ou non,
qui spécifient la présence des citations. Certains d'entre eux sont peu connotés, tels que maintenir (1),
annoncer (2, 4, 8), confier (3, 8) ou interviewer (5), là où d'autres impliquent une certaine intensité, comme
c'est le cas par exemple de renchérir (1), insister (1, 2), assener (1, 5), s'offusquer (4), réagir (1, 4), marteler
(1), lancer (3, 5, 9) ou se déchaîner (2, 3, 8), parmi lesquels on remarquera une présence significative de
verbes proches du domaine juridique, comme appeler (3), plaider (5), avouer (2), défendre (1, 8) ou
(contre-)attaquer (5).
L'intensification s'appuie également sur des constructions diverses, dont certaines, qui visent à mettre en scène
les « petits mots » et les « petites phrases » des personnalités, rapprochent les récits impliqués des fictions
narratives. C'est notamment le cas de l'infinitif dit de narration (Torterat 2008), dont voici les deux exemples
(en italiques) de notre corpus (resp. des textes 1 et 3) :
« (…) Une grippette, ça veut dire qu'on n'est pas vraiment malade, qu'en aucun cas on ne peut en mourir...
Bernard Debré est un bon chirurgien, un bon urologue, mais il ne connaît rien à la grippe. » Et de le renvoyer à
ses livres d'histoire : « Autrefois, la grippe se disait aussi follette. (...) ».
Devant plus de six cents personnes invitées par le Parti socialiste sénégalais, l'ancienne rivale de Nicolas Sarkozy
à la présidentielle de 2007 parle depuis une demi-heure lorsqu'elle lance : « Quelqu'un est venu vous dire ici que
l'homme africain n'était pas entré dans l'histoire », une allusion au discours controversé prononcé par Sarkozy un
an et demi plus tôt dans la même ville (lire encadré). Et Royal de poursuivre : « Pardon pour ces paroles
humiliantes et qui n'auraient jamais dû être prononcées et qui n'engagent pas la France (...) ».
Ces constructions sont moins anecdotiques qu'il n'y paraît à première vue, car elles favorisent moins
l'information que la diffusion qui en est effectuée, rendant ainsi l'événement au moins aussi fugace
qu'informatif.
Cette intensification prend les contours d'une dramatisation de l'événement, non pas au sens où elle noircit le
tableau (si l'on nous passe le mot), mais où elle construit une représentation dialogique, quasi-scénique, des
productions verbales. C'est le cas de certaines citations qui reprennent les marques de l'oralité, au fil de
discours cités qui apparaissent alors comme faiblement « redressés » (Torterat 2010), avec une présence plus
ou moins effective des disfluences propres à l'oral :
Elle a travaillé son texte jusqu'à la dernière minute (…). Le texte, c'est sa sauce à elle (3).
Bayrou : « Très bien. Je ne suis pas sûr que vous puissiez, vous, employer le mot ignominie. », Cohn-Bendit :
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« Si, je peux, ça fait partie du langage » (7).
La machine s'emballe. « Ça a fait un buzz énorme dans France Telecom. En un quart d'heure, tout le monde était
au courant. » (8)
Les réticences, reprises, interjections, extrapositions et autres disfluences de l'oral ne font pas toujours l'objet
d'un redressement minimal, compte tenu du fait qu'il s'agit bien de montrer un discours en action, avec ce qu'il
comporte d'incorrections et d'intempestivité. Nous hésiterons en revanche à en déduire que cette manière de
rapporter les propos relève d'un journalisme de communication, tant cette question n'a pour le moment
recueilli que des réponses peu garanties. Comme le dénonce à ce sujet Mathien (2001 : 108), « (l)e paradigme
de "journalisme de communication" paraît difficilement "monnayable" en soi dans les échanges scientifiques,
et a fortiori pour mesurer un changement ou une "révolution" paradigmatique, en raison de la polysémie du
mot "communication" ». Effectivement, dans la mesure où la communication se définit comme « un ensemble
de savoir faire relatifs à l'anticipation des pratiques de reprise, de transformation et de reformulation des
énoncés et de leurs contenus » (Krieg-Planque 2006 : 34), il serait réducteur de lui faire correspondre le
secteur tout entier du journalisme, ou quelque supposé genre journalistique, même si la confusion existe
9
quelquefois chez les principaux concernés .
Un autre procédé, courant dans les quotidiens, consiste à garnir les articles de toutes formes d'intitulations.
C'est bien sûr le cas des titres et des intertitres, mais également de formules positionnées en début ou en
transition de paragraphe, lesquelles donnent ici les contours des buzz qui fondent en grande partie la rubrique.
Les dix intertitres présents dans la rubrique reprennent pour 70 % d'entre eux des propos cités, mais avec une
certaine variété : tantôt ceux-ci relatent une phrase postérieure à l'événement, tantôt la phrase
événementialisée elle-même, tantôt le commentaire d'un détracteur ou du journaliste. Mais c'est dans le corps
des textes que l'encadrement et l'accompagnement des discours deviennent vraiment significatifs.
Outre la formule de première ligne que nous avons reprise du texte 4, où il s'agit du « poids des mots en
politique », nous relevons les expressions de « sortie très médiatique » en 1, de « tempête médiatique » en 3 (à
deux reprises), de « violente polémique » et de « lumière médiatique » en 8, ou encore de « rumeurs » en 9.
Ces expressions sont généralement reprises, au fil des textes, par des mots et des locutions qui s'en font
« l'écho ». Dans les Phrases de l'année du Parisien, il s'agit des éléments suivants :
Texte 1
Texte 2
Texte 3
Texte 4
Discours cité
(la) phrase
discours (2)
intervention
(DCÉ)
(ce) foin
propos (injurieux)
propos
(la) surenchère
contenu (exact)
(ce genre de) propos
(cette) phrase
paroles (humiliantes)
(son/le) texte (2)
(sa) sauce (à elle)
Discours citant
(ses) propos
(DCT)
DCÉ
polémique
discours (5)
(ce) langage
mots forts
grandes lignes
(la) charge
parodies / moqueries
pardon
scandale
pardon
polémique
amalgame
(les) mots
polémique
Texte 6
Texte 7
Texte 8
(ces) mots
ignominie (2)
bourde
sous-entendu
échange
expression
Texte 9
réponse
buzz
mot (3)
DCT
termes
minidébats
déclaration
(le) coup
débat (2)
polémique (4)
(la) charge
échange (2)
(un simple) mot (3)
apparition (publique)
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(les) termes
allusion
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intervention
(la) polémique
allocution
sortie
(flot de) paroles
allusion
mea culpa (2)
lapsus
maladresse (2)
tollé
(ses) propos
pirouette
paroles
Vu qu'il s'agit de traiter des faits marquants et de contribuer à leur mémorisation, pour ainsi dire à leur
résonance, la présence d'intitulations diverses et des expressions qui les relayent se justifie facilement.
Certains des mots et locutions repris ci-dessus rejoignent donc tout naturellement le processus d'amplification
(Cf. le media-hype de Vasterman 2005), lequel revient de contribution en contribution. Celui-ci permet en
particulier d'insister sur la médiatisation du dérapage, et sur ce qui l'inscrit précisément dans un mécanisme
d'enchérissement journalistique. De manière plus ou moins significative, les rédacteurs pratiquent une forme
d'auto-citation, en parlant par exemple de « gros titres » (1) ou de « remous » (3), voire, en 8, d'une « machine
(qui) s'emballe ». Et c'est bien de buzz dont il s'agit, que ce dernier soit désigné directement à travers le terme
d'« unisson » (5), de « grand débat » (7), d'« énorme (lapsus) » (6), plus indirectement de « foule » (9), ou d'un
individu qu'il convient de ne pas « laisser seul face au monde » (2). Ces amplifications en deviendraient
presque lyriques, pour peu qu'on envisage les « braises encore chaudes du scandale » du texte 4, l'« essaim de
micros et de caméras » du texte 6 (qui parle aussi, en désignant le tribunal, de « champ de bataille »), ou bien
de la « forêt de caméras et d'appareils photo » décrite en 8.
Sur ces données, l'analyse du corpus nous conduit à faire correspondre, au terme de buzz, non pas une simple
diffusion médiatique, mais une accumulation d'enchérissements diffus. Le buzz journalistique renverrait ainsi
à une combinaison d'amplifications qui n'a quelquefois pour objet que de maintenir une certaine intensité,
quand bien même elle porterait sur un non- ou un pseudo-événement, pour reprendre des termes répandus, ou
pourquoi pas, de manière plus philosophique, sur une « pseudo-concrétude » de l'événement. Cette
participation de certaines rubriques de quotidiens à la temporalité du buzz contribue à apparenter les articles
de presse à des écrits en tension, comme s'il s'agissait pour ces contributions de devenir les porte-voix d'une
critique immatérielle qu'elles contriburaient à re-concrétiser, à replacer au premier rang des préoccupations et
des débats, autrement dit à rematérialiser. Il conviendrait sans doute, à ce titre, de distinguer le journalisme
d'information de celui d'intervention, dans la mesure où les démarches qui leur correspondent ne sont pas
analogues.
Dans tous les cas et sur ce point, on pourrait donner, à la suite de P. Bouvier, une version « endoréïque » de
ces « phrases » et de ces « petits mots » qui persistent malgré leurs auteurs, dans une mémoire
(interdiscursive) qu'un buzz éphémère a « déclenché », pour reprendre un terme du texte 3. Car ces propos
existent « encore » (chapeau) par eux-mêmes, simultanément « montrés, exprimés ou masqués, à dessein, par
les membres de l'ensemble populationnel » (Bouvier 2001 : 71). Comme l'explique l'analyste, « leurs
expressions ou leurs réceptivités aux interpellations dépendront des contextes de l'époque », de sorte que
« méthodologiquement », pour le linguiste comme pour le sociologue qui les pratiquent, « ce sera au fil d'une
présence continue, d'une observation distanciée de par la nature de l'enquête, qu'une forme particulière
d'échange dialogique se construit » (ibid.).
IV. ELÉMENTS DE CONCLUSION : LE « POIDS DES MOTS » EN POLITIQUE
Bien que le terme de buzz soit en partie connoté péjorativement, notamment dans le milieu de la presse
quotidienne « papier », cette tendance rédactionnelle existe sur tous types de supports, y compris ce dernier.
La rubrique du corpus ici présenté s'affranchit d'une éventuelle critique en profitant de l'ambiance pour ainsi
dire festive de la période du Nouvel an, et en invitant les lecteurs à envisager les contributions concernées
sous l'angle du divertissement. Un tel inventaire montre pourtant de quelle manière certains journaux
quotidiens se saisissent de propos individués, à la faveur d'une compilation d'instantanés d'opinion publique.
En partie liés à l'éphémère, qui est l'« un des principaux médiathèmes publicitaires » (Drouet 2003 : 124), ces
morceaux choisis témoignent à notre sens de la tendance qu'ont certains faits médiatiques de se politiser au
gré de citations plus ou moins replacées dans leur contexte (Lèbre 1992, Meteva 2002), avec pour principal
enjeu de faire « circuler » de (possibles) erreurs propres à la communication, notamment dans le cadre de la
publicité politique.
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Dans la mesure, effectivement, où agir politiquement revient à « mettre en scène », l'intervention inappropriée
provoque une rupture de l'information politique, en ceci qu'elle témoigne du fait que les locuteurs impliqués
ont, dans un court instant, oublié ou écarté le fait de produire un discours « sur mesure », mésestimant ainsi,
pour d'aucuns, la portée de leur propos (mais aussi la longévité des représentations collectives). Or, à l'heure
où les personnalités, en particulier politiques, tentent d'infléchir l'agenda médiatique et de le co-produire en
partie (Champagne 1995, Neveu 2003), l'événementialisation du dérapage verbal est l'une des contreparties de
la connivence qui s'établit entre discours politique et discours journalistique, qui s'influencent mutuellement,
et s'assortissent ici et là de ce que nous appellerons volontiers un esprit de forum. A ce titre, là où la
déclaration politique revendiquée comme telle rejoint un collectif d'opinion, le dérapage en donne une version
singulière, pour ainsi dire une forme de contradiction.
Ces « petites phrases » prennent une dimension sociétale en ceci qu'elles sont plus ou moins révélatrices d'un
point de vue, et d'une certaine manière d'aborder, le temps d'un propos marquant, l'altérité du tiers, voire une
communauté d'opinion. Pour autant, ces démarches s'inscrivent dans une certaine pluralité, ce qui nous incite
à dépasser une version sociocentrée ou médiacentrée de la communication politique.
Une rubrique telle que celle des « phrases de l'année » procure quoi qu'il en soit un échantillon représentatif
des déclarations quotidiennes telles qu'elles sont pratiquées dans le monde politique et par ailleurs, tout en
restant un mode de médiation possible dans la chaîne communicationnelle (Cf. Sovea 2007, qui parle de
« brouillage »). Il paraîtrait toutefois hasardeux d'en faire le reproche aux médias qui en font une publicité
régulière, dans la mesure où ces « petites phrases » représentent autant un objet du discours médiatique que du
discours politique.
Qu'on nous permette dans cette vue de clôturer cette brève analyse par la reprise, non pas de la formule
incriminée, mais de la conclusion qu'en tire l'une des personnalités citées dans la rubrique, à savoir Frédéric
Mitterrand (3), lequel est ministre de la Culture. Celui-ci déclare, non sans une certaine ironie :
ce qui me surprend, ce n'est pas l'intensité de la violence en politique, c'est sa permanence.
Cette phrase-là vient à contre-courant, à moins que ce point de vue ne soit dû à la « sensibilité très
singulière », comme l'écrit le rédacteur de l'article, d'une personnalité que les ressorts de la publicité politique
auraient pris tout à coup au dépourvu. Le buzz journalistique : un fâcheux contretemps pour le monde
politique ou la possibilité, en passant, d'« occuper le terrain » ? Sans doute les deux à la fois.
Liste des références bibliographiques
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Courtine J.-J. (éd) (1981) : Analyse du discours politique, Paris (Larousse), Langages 62.
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Notes de bas de page
1 Voici la liste des intitulés : « Bernard Debré : "La grippe A reste une grippette" », par Hélène Bry (21-12) ; « Henry :
"La solution la plus équitable serait de rejouer le match" », par David Opoczynski (22-12) ; « Ségolène Royal : "Quelqu’un
est venu ici vous dire que l’homme africain n’était pas entré dans l’histoire. Pardon pour ces paroles humiliantes" », par
Rosalie Lucas (23-12) ; « Frédéric Mitterand : "L’arrestation de Polanski est absolument épouvantable" », par Nathalie
Segaunes et Pierre Vavasseur (24-12) ; « Christophe Soumillon : "J’ai douze heures pour perdre trois kilos" », par Clotilde
François (25-12) ; « Dominique de Villepin : "Je suis ici par l’acharnement d’un homme, Nicolas Sarkozy" », par Timothée
Boutry et Geoffroy Tomasovitch (28-12) ; « Cohn-Bendit à Bayrou : "Mon pote, je te dis : jamais tu seras président de la
République, parce que t’es trop minable" », par Béatrice Houchard (29-12) ; « "Il faut mettre un point d’arrêt à cette mode
du suicide" : Didier Lombard, au cours d'une conférence de presse le 15 septembre 2009 », par Sébastien Lernould (30-12),
et « Michael Jackson : "This is it" », par Hubert Lizé (31-12). L'ensemble du corpus est accessible à partir de l'url suivante
(juin 2010) : http://www.leparisien.fr/politique/les-phrases-de-l-annee-2009-29-12-2009-759418.php. Nous remercions A.
de Georges pour sa relecture d'une première version du présent article.
2 Rappelons que le « roi de la Pop », M. Jackson, est mort peu après avoir dit « This is it » (C'est fait !), laissant entendre
alors que les difficultés se trouvaient derrière lui.
3 Cf. Lopez-Muňoz (2006), qui parle au sujet des forums d'un « caractère foncièrement immédiat et fugace », voire de
« principe d'immédiateté ».
4
Voici la définition qu'en donnent Potvin et al. (2008 : 32) : « il y a dérapage lorsqu'un discours contient un ou plusieurs
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de ces mécanismes [qu'ils énumèrent, comme la dichotomie négative, l'infériorisation, la généralisation ou la victimisation,
etc.], qu'ils soient explicites ou implicites ». Nous ne souscrirons pas à ce point de vue, qui à notre sens recoupe des
« mécanismes » très disparates.
5 Cela vaut bien sûr pour ce qu'on nomme le « métajournalisme », à propos duquel Lemieux (2000 : 99) indique que « les
médias méritent (aussi) d'être critiqués pour leurs dérapages », ce que pratique par exemple l'Observatoire Acrimed, sur le
site duquel on trouve notamment la critique d'un « dérapage mémorable » à l'URL : http://www.acrimed.org
/article1444.html. A noter que d'autres initiatives citoyennes existent, ainsi sur Mediapart à l'URL :
http://www.mediapart.fr/club/blog/helene-g/120909/kestudi-derapages.
6 Cf. une autre illustration sur le site du Post à l'URL : http://www.lepost.fr/article/2010/01/28/1910783_ nouveauderapage-de-georges-freche-fabius-a-une-tronche-pas-catholique.html.
7 Franck Nouchi conclut son article sur le commentaire suivant : « Cela [les résultats du scrutin], visiblement, les
« éléments de langage » arrêtés en début de soirée ne permettaient pas de l'admettre », donnant ainsi une connotation
juridique à l'euphémisme employé par l'un des responsables politiques, pour désigner les consignes du chef de l'Etat.
L'euphémisme cité par le chroniqueur du Monde n'a d'ailleurs pas tardé à circuler dans la presse, à la manière précisément
d'un buzz, comme en témoigne cet extrait d'un article de Christine Ollivier, « Modestie de rigueur à l'UMP », paru dans
France Soir du lundi 22 mars 2010 (page 4) : « Ballet de voitures officielles à Matignon. De Rama Yade à Eric Besson en
passant par Roselyne Bachelot et Eric Woerth, les ténors de la majorité sont venus chercher leurs « éléments de langage »
avant de partir sur les plateaux de télévision ».
8 Il serait opportun de faire une analyse lexicométrique des mea culpa présents dans le domaine de la publicité politique,
en lien notamment avec le principe de responsabilité et les différentes médiations sur lesquelles ils prennent appui.
Concrètement, le mea culpa constitue plus qu'une « excuse » aux dérapages verbaux diffusés dans la presse : intimement lié
à l'identité d'une communauté politique, il renvoie à ce que nous appellerons volontiers un rattrapage auquel les médias
prennent diversement part, éventuellement du fait des consignes qui leur sont données par les équipes de rédaction.
9 En témoigne cet extrait d'un autre article du même France Soir que nous citons supra en note (rubrique anonyme
« L'Homme du jour », page 6) : « Organisée par le ministère de l'Education nationale et le Centre de liaison de
l'enseignement et des médias d'information (Clemi), la Semaine de la Presse a pour but de favoriser la rencontre entre le
monde éducatif et celui de la communication ».
Pour citer cet article
TORTERAT Frédéric. Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas des dérapages
verbaux traités dans une rubrique de quotidien. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et
discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revuesignes.info/document.php?id=1807. ISSN 1308-8378.
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La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper...
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Article
La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un
aperçu de la campagne électorale 2007
Geneviève LEMIEUX-LEFEBVRE, Doctorante en linguistique, Université du Québec à Montréal
(UQAM)
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
Dans cette étude, nous nous sommes intéressés aux formes de qualification péjorative présentes dans les
discours politiques tenus lors de la campagne électorale menée au Québec à l’hiver 2007. Pour effectuer notre
analyse, nous avons concentré notre attention sur l’ensemble des extraits vidéo présentés lors des bulletins
télévisés de fin de soirée. Ces extraits nous ont permis de recueillir 158 énoncés péjoratifs, produits presque
exclusivement par trois chefs de parti. Une classification minutieuse de ces données nous a permis de
distinguer six types d’actes de langage dépréciatifs distincts, à savoir plus précisément l’insulte, l’ironie, la
moquerie, l’avertissement, le reproche et la critique. Dans cet article, nous proposerons une définition de
chacune des catégories en plus de présenter un aperçu des contextes dans lesquels chaque forme de qualification
péjorative est produite. Nous présenterons aussi quelques observations faites à la suite de ce classement, puisque
notre étude nous a permis de constater qu’il existait une grande différence entre la fréquence d’utilisation de la
critique et du reproche et celle de l’insulte, de l’avertissement et de la moquerie. Cette différence nous en
apprend beaucoup sur les stratégies discursives choisies par le candidat pour discréditer leurs vis-à-vis
politiques.
Abstract
The present study focuses on the various forms of pejorative language appearing in the political discourse of
Quebec's Winter 2007 provincial election campaign. Data was collected from various televised evening news
reports. 158 pejorative utterances were collected from the video excerpts, most of which were produced by three
party leaders. A detailed classification of these data revealed 7 types of depreciative speech acts, namely insult,
irony, mockery, warning, reproach and criticism. In the present article, each of the categories is carefully
defined, including a description of the context in which they were produced. The data revealed a significant
difference in usage frequencies between utterances defined as a critique or reproach and those defined as an
insult, warning or mockery. This difference sheds light on the nature of the discursive strategies used by
candidates to discredit their adversaries.
Table des matières
INTRODUCTION
I - POLITIQUE ET QUALIFICATION PÉJORATIVE
II - CONSTITUTION DE NOTRE CORPUS
III - LES FORMES DE LA QUALIFICATION PÉJORATIVE
A. L’insulte
B. L’ironie et la moquerie
C. L’avertissement
D. Le reproche
E. La critique
IV - LA QUALIFICATION PÉJORATIVE ET L’ATTITUDE POLITIQUE EN CAMPAGNE ÉLECTORALE
CONCLUSION
Texte intégral
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La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un aper...
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INTRODUCTION
La campagne électorale ayant eu lieu au Québec à l’hiver 2007 est sans doute celle qui a bénéficié de la plus
grande couverture médiatique au cours des dernières décennies. Alors que près du quart de l’attention
médiatique a été consacrée aux controverses survenues tout au long de la campagne (22%), les grands enjeux
sociaux tels que l’éducation et la santé n’en ont occupé que 2 et 4%, faisant de cette campagne un débat
d’image bien plus qu’un débat d’idées. Dans cette joute visant à ternir l'image de l'autre, l'utilisation de termes
péjoratifs a été un élément important. Pour cette raison, nous avons jugé nécessaire d'examiner plus
attentivement les formes que prend la qualification péjorative au cœur du discours électoral.
L'analyse que nous proposons permettra de mettre en évidence les différentes formes de qualification
péjorative qui ont été utilisées tout au long de cette campagne, en plus de nous éclairer sur la nature du
discours politique utilisé au Québec. Il va de soi que cette étude se limitera au discours politique produit dans
un contexte électoral et qu'il nous est impossible, à partir de ces seules données, de fournir l'éventail complet
des formes de qualification péjorative appartenant au discours politique.
Dans cet article, nous présenterons succinctement les six différentes formes de qualification péjorative
utilisées et leur contexte d’apparition. Nous proposerons aussi quelques observations sur les différences
d’utilisation existant entre ces formes et nous discuterons de l’impact qu’a cet écart sur la nature du discours
politique au Québec.
I - POLITIQUE ET QUALIFICATION PÉJORATIVE
Lors de leurs allocutions publiques, il est possible que les candidats émettent des propos dépréciatifs à l'égard
d'un adversaire. Ce recours à des termes négatifs peut être considéré comme de la qualification péjorative,
cette notion étant ici empruntée à Vincent et Laforest (2004). Tel que proposé par ces auteures, la qualification
péjorative est définie comme l'ensemble des formes axiologiquement négatives utilisées pour qualifier de
façon dépréciative un individu, qu'il soit présent ou non (Vincent, Marty 2004 : 63). C’est dans cette
perspective que nous avons abordé les différentes allocutions publiques retenues lors de notre étude.
II - CONSTITUTION DE NOTRE CORPUS
Pour réaliser notre analyse, nous nous sommes constituées un corpus à partir de bulletins d'informations
télévisés. Notre corpus regroupe l'ensemble des bulletins de fin de soirée ayant fait la couverture électorale,
c'est-à-dire ceux couvrant la période du 21 février au 26 mars 2007. Le corpus comprend des enregistrements
provenant de deux réseaux, soit la Société Radio-Canada (SRC) et TVA. Au total, quarante-quatre bulletins de
fin de soirée ont permis de constituer notre corpus, soit plus précisément trente-quatre bulletins enregistrés à
la SRC et dix enregistrés à TVA.
Nous avons choisi d'utiliser le bulletin de 22 heures parce qu'il offre un compte rendu quotidien des activités
politiques en plus de présenter les déclarations considérées comme les plus représentatives des événements de
la journée. Puisque les élections s'inscrivent dans un contexte concurrentiel, le discours politique se veut
fortement polémique, chacun dénonçant l'adversaire et affirmant ses positions. (Monière, 1988 : 49) C'est
donc sans surprise que ces polémiques se retrouvent à l'avant-scène lors de la diffusion du bulletin quotidien.
Il faut toutefois noter que, même si les controverses font souvent la manchette, elles ne sont pas
nécessairement représentatives de l'ensemble des déclarations faites dans la journée. Le discours électoral
connu du public se limite à ce que les médias choisissent de nous présenter, ce qui n'implique pas pour autant
que les informations choisies soient celles devant occuper le premier plan de la couverture électorale. Nous
sommes conscients que les extraits retenus sont affectés par un choix journalistique subjectif et qu’ils ne sont
pas le reflet réel des discours politiques tenus tout au long de la campagne électorale. Ils sont cependant un
bon indicateur de ce que le grand public connaît et retient lorsqu’il est appelé aux urnes.
Par ailleurs, notre étude sera consacrée au discours des chefs de parti. Comme Monière (1988 : 68) l'avait déjà
constaté à la fin des années quatre-vingt, « les journalistes entretiennent le culte du chef », laissant dans
l'ombre les candidats qui n'ont pas de voix médiatique, du moins, pas dans les médias nationaux. Mentionnons
aussi que nous avons choisi d'étudier seulement les propos des chefs des trois principaux partis pouvant
aspirer au pouvoir, à savoir Jean Charest, chef du Parti libéral du Québec (PLQ), André Boisclair, chef du
Parti québécois (PQ) et Mario Dumont, chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ). Puisque chaque
chef livre bataille quasi quotidiennement, les médias n'accordent qu'une faible visibilité aux autres partis en
lice, se contentant généralement de faire un rapide compte rendu des activités, sans leur laisser la parole.
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Avant d'analyser le corpus, une transcription sélective des données a été faite. Seuls les extraits contenant des
propos porteurs de qualification péjorative ont été retenus et, au total, 153 extraits pertinents ont été tirés des 8
heures d'enregistrement effectuées. Chaque extrait pouvait contenir plus d'une forme de qualification
péjorative, ils ont donc été analysés en fonction de leur contenu, puis classés dans une ou plusieurs des
catégories. Nous avons retenu 6 catégories distinctes: l'avertissement, la moquerie, l'ironie, la critique, le
reproche et l'insulte. La prochaine section détaillera chacun de ces actes de langage dépréciatifs, par le biais de
définitions extraites de la littérature et grâce à des exemples permettant de spécifier le contexte.
III - LES FORMES DE LA QUALIFICATION PÉJORATIVE
A. L’insulte
Le recours à l’insulte a été beaucoup étudié, peu importe qu’il s’agisse d’insultes rituelles savamment
orchestrées (Labov 1978 : 233-287) ou d’insultes spontanées recueillies dans les cours d’école (Ernotte,
Philippe, et Laurence Rosier. 2004). Autant d'utilisations de l'insulte pour lesquelles il existe très peu de
similitudes entre les contextes de productions étudiées. Pourtant, la définition de l'insulte qui est proposée
semble faire consensus puisque, pour tous les auteurs cités, l'insulte se veut un acte de langage qui vise à
offenser un adversaire. Ainsi, l'insulte a pour fonction d'outrager, par le choix des mots ou par l'intention
sous-entendue. Au contraire d'autres formes de qualification péjorative, l'insulte ne se fonde pas
nécessairement sur un manquement de la personne visée ou sur une faute commise par elle. En effet, elle peut
s'attaquer à une caractéristique physique, un trait de caractère ou à un défaut, tous trois étant liés directement à
la nature individuelle de la personne visée (Ernotte, Philippe, et Laurence Rosier. 2004 : 39).
Les insultes sont généralement étudiées dans un cadre interactionnel particulier, où un locuteur adresse des
propos offensants à son interlocuteur, ce qui peut mener à une réplique ou à un geste de la part de la personne
visée par l’insulte. Dans le cas des énoncés constituant notre corpus, aucun d’eux n’a été produit dans un
contexte semblable, puisque le locuteur n’interagit jamais directement avec son adversaire. Nous aurions pu
croire qu’un tel contexte favoriserait le recours à l’insulte, mais il n’en est rien : de toutes les formes de
qualification péjorative retenues, une seule appartient à la catégorie de l’insulte.
MD : Vous m’lancez sur le terrain d’la méchanceté. Tsé, le gars qui remplissait les frigidaires pour l’ADQ à la
dernière élection, j’me d’mande si il a resté jusqu’à la fin parce qu’il les remplissait pas bien, il est candidat
libéral dans Hochelaga-Maisonneuve, tsé. (9 mars 2007, SRC)
Il est d’ailleurs fort intéressant de constater que, pour bien saisir l’insulte comprise dans l’énoncé de Mario
Dumont, il faut s’intéresser la dimension perlocutoire ou à ce que l’on doit induire des propos qui ont été
émis. Si l’on s’en tient strictement aux mots utilisés, il n’y a aucun mot qui soit axiologiquement négatif,
donc, fondamentalement insultant. Pourtant, il y a dans cette affirmation une intention manifeste, de la part de
Mario Dumont, d’insulter son vis-à-vis libéral. Puisqu’aucun terme n’est réellement insultant, il faut orienter
la réflexion sur le contenu et ce que l’énoncé sous-entend, à savoir l’incompétence apparente du candidat
libéral pour accomplir même les tâches logistiques les plus élémentaires.
Cependant, il est important d’apporter des nuances à cette classification. S’il est vrai qu’une seule insulte a été
relevée dans notre corpus, il n’en demeure pas moins que d’autres formes de qualification péjorative sont, par
leur contenu, quelque peu insultantes. Pour les besoins de cette analyse, nous n’avons gardé parmi les insultes
que les énoncés qui ne contenaient aucune autre forme de qualification péjorative. Ainsi, un énoncé contenant
une critique de même qu’une insulte sous-entendue sera d’abord considéré comme appartenant à la critique.
B. L’ironie et la moquerie
Définie de façon officielle comme étant une « manière de se moquer (de quelqu’un ou quelque chose) en
disant le contraire de ce qu’on veut faire entendre », l’ironie a aussi été présentée par Kerbrat-Orecchioni
comme un acte de langage volontaire, motivé par ce que Freud qualifie « d’esprit tendancieux » (KerbratOrecchioni 1978 : 11). En ayant recours à l’ironie, un locuteur X cherche à se moquer ou à attaquer. Il vise
donc une cible identifiée, avec en tête une intention claire. La réalisation d’un acte de langage ironique passe
donc par un procédé linguistique, l’antiphrase, qui constitue une infraction « la loi de sincérité » puisqu’il y a
un écart palpable entre ce qu’énonce X et ce qu’il pense réellement (et ce qu’il veut faire comprendre). On
peut donc en conclure que l’ironie consiste à décrire en termes valorisants une réalité que l’on cherche à
dévaloriser. (Kerbrat-Orrecchioni, 1978 : 12).
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De même, Pupier (1998) précise que l’ironie survient au niveau illocutionnaire, ce qui implique que le
locuteur simule, formalisant une idée à laquelle il n’adhère pas (Pupier 1998 : 73). Pour de nombreux cas
d’ironie, c’est uniquement le contexte qui permet de distinguer le compliment de l’ironie, ce qui démontre à
quel point l’ironie peut être difficile à cerner et ce qui peut aussi expliquer sa faible utilisation dans le discours
politique, tout au moins dans le cadre des allocutions publiques ou des conférences de presse télédiffusées que
nous avons analysées.
L’ironie étant une arme efficace mais quelque peu risquée, nous ne nous attendions pas à ce qu’elle soit
fortement utilisée en campagne électorale et, effectivement, nous n’avons relevé dans notre corpus qu’un seul
énoncé pouvant être considéré comme ironique.
En ce qui concerne la moquerie, elle est une proche parente de l’ironie. La moquerie est plutôt définie comme
une action ou une parole visant à tourner en ridicule et à faire de quelqu’un et/ou de quelque chose un objet de
plaisanterie. Au contraire de l’ironie, il n’y a aucune ambiguïté entre ce qui est dit et ce qu’on laisse entendre.
Dans le discours politique, la moquerie se manifeste sous plusieurs facettes, suivant le patron que choisira le
locuteur en la produisant. Dans notre corpus, nous avons relevé 17 énoncés dont l’objectif principal était de
tourner en ridicule soit l’adversaire, soit son parti. Pour ce faire, le locuteur avait recours à différentes
stratégies. Il pouvait reprendre les paroles de son adversaire et les rendre obsolètes en trafiquant le sens ou
encore il pouvait jouer avec les mots, en profitant d’un double sens ou en usant de rhétorique et en employant
des figures stylistiques. Les candidats pouvaient avoir aussi recours à la comparaison pour se moquer d’un
adversaire ou de son parti.
Notons finalement qu’un candidat pouvait aussi faire de l’humour « de circonstance », construisant de ce fait
ses moqueries sur le contexte politique des jours précédant l’énonciation. Prenons pour illustrer ce fait un
énoncé de Jean Charest, produit quelques jours après le débat de chefs.
JC : Chacun a droit à son opinion, han ? Ça a été euh…ça a été mon adversaire dans les débats le plus coriace
d’la semaine. (15 mars 2007, SRC)
Il produit cette moquerie à la suite d’une discussion animée avec un citoyen l’ayant apostrophé et souhaitant
entendre les positions du chef libéral (et Premier Ministre sortant) sur la question du système de santé. Jean
Charest saisit donc l’occasion pour lancer une boutade à l’intention de ses adversaires, avec lesquels il avait
aussi eu à débattre politique quelques jours auparavant.
C. L’avertissement
Dans les conversations quotidiennes, il est fréquent de rapprocher l’avertissement et la menace, de les
confondre et de les utiliser pour désigner des interventions semblables. Lorsque nous nous attardons à leur
définition respective, nous constatons que ces deux actes langagiers se ressemblent et que leurs fonctions sont
assez similaires. Par ailleurs, tant pour l’avertissement que pour la menace, le locuteur 1 (L1) cible une
attitude, un acte ou un choix fait par un locuteur 2 (L2) que le L1 ne croit pas pertinent et ce même L1
prévient L2 que, sans modification de son comportement (ou de sa décision), il s’en suivra des conséquences
ayant un impact négatif pour L2. Ce qui diffère cependant, c’est le pouvoir qu’a L1 sur les conséquences qui
découleront si le L2 refuse de modifier son comportement. Alors que, pour l’avertissement, L1 prévient L2
des conséquences que risque de provoquer son comportement sans pour autant pouvoir les contrôler, L1,
lorsqu’il menace, laisse savoir à L2 que s’il persiste et qu’il refuse de modifier son comportement, L1 prendra
une part plus ou moins importante dans la réalisation ou l’application de la conséquence. Aussi, « Couvre-toi
comme il faut ou tu vas attraper froid! » est clairement un avertissement, alors que « Change ton attitude ou tu
devras chercher du travail ailleurs! » est nettement plus menaçant (Lemieux-Lefebvre 2009 : 48-49).
Dans le discours politique recueilli en campagne électorale, nous avons trouvé quelques cas d’avertissement,
mais aucun cas de menace. Ces quelques formes se distinguent des autres actes de langage dépréciatifs
puisqu’elles correspondent à un patron bien particulier, assez éloigné de ce que l’on considère typiquement
comme une forme de qualification péjorative. L’avertissement est pourtant une façon de réprouver l’attitude
d’un adversaire, une façon sans doute moins conventionnelle en ce sens qu’elle s’appuie sur un état présent
pour demander des modifications dans un futur plus ou moins rapproché. Dans bon nombre d’avertissements,
le candidat avertit son opposant que sa prise de position est inappropriée puisqu’il le prévient que ce choix
pourrait lui nuire au cours d’un éventuel mandat.
Cependant, lorsque l’on s’attarde aux différents avertissements recensés dans notre corpus, force est de
constater que la plupart d’entre eux ne se construisent pas en suivant le modèle proposé précédemment, à
savoir en combinant une demande de changement de comportement et une conséquence négative anticipée.
En campagne électorale, la conséquence négative anticipée est claire : ne pas être élu. C’est une évidence sur
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laquelle les énonciateurs n’ont pas à s’étendre. Il faut aussi mentionner que certains énoncés soient
extrêmement difficiles à départager, ce qui démontre que la frontière séparant la menace et l’avertissement est
floue et qu’il est impossible de distinguer l’un et l’autre de façon absolue. C’est le cas notamment de cet
avertissement produit par Jean Charest à l’attention d’André Boisclair.
JC : Si André Boisclair choisit d’aller sur les questions d’intégrité, ben il va s’faire répondre.
SRC)
(21 février 2007,
Nous le considérons comme un avertissement puisque l’implication de Jean Charest n’est pas claire.
Effectivement, s’il est évident que la persistance d’André Boisclair risque d’entraîner des ripostes, Jean
Charest ne précise pas qui se chargera de riposter.
D. Le reproche
Dans un article consacré au reproche, Laforest (2002) définit le reproche comme l’expression d’une
insatisfaction qu’un individu A adresse à un individu B afin de faire savoir à B qu’un acte qu’il a commis a
rendu A insatisfait (Laforest 2002 : 1596). Dans une telle situation, le reproche est adressé à la personne qui
est considérée comme la cause du problème, à l’individu considéré responsable de l’acte ou l’état des choses
jugé insatisfaisant par la personne formulant le reproche. Dans cette perspective, un reproche serait provoqué
par un manquement, il serait en quelque sorte une réaction à quelque chose que A juge répréhensible de la part
de B (Laforest 2002 : 1596).
Afin de bien distinguer le reproche de la critique, deux formes fortement apparentées, nous avons convenu
que le principal critère distinctif entre ces deux actes de langage dépréciatifs était le degré de responsabilité
que l’on attribuait à la personne visée par le reproche (ou la critique). Ainsi, lorsqu’on se retrouve en présence
d’un énoncé contenant un jugement défavorable à l’égard d’un tiers ou d’un acte perpétré par ce tiers, nous
considèrerons qu’il s’agit d’un reproche lorsque la personne visée sera clairement identifiée comme étant la
source de cette situation jugée inappropriée.
Dans le discours politique, le reproche est utilisé régulièrement, tout au moins en campagne électorale, et ce,
sans doute parce qu’il permet de porter des jugements sur son adversaire sans être inquiété. Le reproche se
présente sous différentes formes, jouant sur les sous-entendus ou ciblant sans ambiguïté l’acte jugé
inapproprié, s’attardant tant aux actes passés qu’aux actes présents et ciblant une personne, un groupe ou l’un
et l’autre. En nous appuyant sur les données de notre corpus, nous avons pu ressortir un ensemble de
manifestations du reproche et les formes sous lesquelles il se décline, ensemble que nous présenterons ici très
sommairement.
Tout d’abord, il arrive que le reproche se présente sous forme de simple constat par lequel un individu
présente publiquement ce qu’il considère fautif chez l’un de ses adversaires. Il peut aussi arriver qu’un
candidat adresse un reproche à un adversaire en ayant recours à la comparaison, par exemple en utilisant les
réalisations d’un autre pour faire la démonstration que son opposant politique n’a pas agi de façon appropriée,
démontant, par le biais de la comparaison, ce que l’on attendait de l’adversaire politique visé et ce qu’il a fait
(ou ce qu’il n’a pas fait) concrètement. Un candidat peut aussi utiliser la stratégie contraire, à savoir mettre en
relation ses réalisations avec celles des adversaires, le but premier étant de faire valoir ses réalisations en
diminuant celles d’un vis-à-vis politique. C’est ce qui ce produit dans le reproche suivant :
MD : Dans des épisodes comme ça, ils savent ce que j’accepte, ce que j’accepte pas. En même temps, les gens
savent ce que d’autres chefs ont accepté. Des candidats qui sont dans des situations comme ça, i(ls) les gardent
pis i(ls) les cachent. (10 mars 2007, SRC)
Dans cet exemple, Mario Dumont répond aux critiques faites par ses adversaires à la suite du congédiement
d’un des candidats adéquistes. Il riposte en comparant ses décisions à celles prises par ses adversaires
politiques dans le passé, jugeant son attitude plus approprié que celle de ses rivaux.
Un candidat peut aussi construire son reproche en s’appuyant sur une concession. Il dira par exemple : « c’est
vrai que notre programme présente telle faille mais… » et il enchaînera en présentant une faille qu’il
considère beaucoup plus importante dans le programme proposé par l’un ou l’autre de ses adversaires.
Généralement habiles avec les mots, il se peut que les politiciens fassent preuve d’un peu plus de subtilité
dans la formulation de leurs reproches, laissant aux personnes qui les entendent le soin de les interpréter et
d’en induire le sens. Il arrive donc que les sous-entendus servent de base à un reproche ou encore qu’un
reproche en cache un autre. C’est le cas de cette affirmation de Jean Charest, affirmation dans laquelle le chef
du Parti libéral reproche à ses adversaires de ne pas avoir fait leur travail :
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JC : Chers amis, on est au jour deux de cette campagne électorale. Au Parti québécois, y a toujours pas de
programme. (22 février 2007, SRC)
Une des stratégies récurrentes parmi les différents actes de langage péjoratifs, c’est l’appropriation des paroles
des autres candidats. Le reproche ne fait pas exception et on y retrouve différentes formes d’appropriation : un
candidat peut reprendre des idées présentées par un adversaire ou encore en reprendre les paroles exactes ; il
peut aussi mettre des mots dans la bouche de son adversaire, en imaginant les discours qu’il pourrait tenir ou
en reformulant de façon approximative des déclarations faites par le passé. En conclusion de ce bref tour
d’horizon, ajoutons qu’il arrive que le reproche permette le recours au cynisme ou au sarcasme. Ainsi, le
reproche reste une occasion de lancer quelques pointes aux adversaires, leur ressortant des propos tenus ou
des événements passés entrant en contradiction avec la situation décriée, ce qui justifie le recours à ces
quelques pointes sarcastiques.
E. La critique
De façon générale, la critique est présentée comme une tendance à émettre un jugement défavorable à
l’intention d’un tiers. Ainsi, le fait de critiquer s’approche à la fois de l’action d’observer, de discuter, de juger
ou d’examiner, mais il est tout aussi approprié de le rapprocher de l’action de contredire, de désapprouver, de
contester ou même de censurer. En nous appuyant sur la définition proposé par Vanderveken pour le verbe
performatif CRITIQUER, la critique peut être présentée comme le fait d’affirmer quelque chose en faisant
ressortir les défauts de quelqu’un ou de quelque chose (Vanderveken 1988 : 172). Plus spécifiquement encore,
critiquer quelqu’un revient à « affirmer qu’un certain état des choses le concernant est mauvais tout en
exprimant de la désapprobation » à l’égard de cette même personne (Vanderveken, 1988, p. 172). Suivant
cette définition, il est possible de postuler que, dans les contextes qui nous intéressent, la critique a pour
principale fonction de porter un jugement défavorable sur une personne et de considérer ses gestes ou ses
actes comme inappropriés.
Au contraire du reproche qui est axé essentiellement sur le degré de responsabilité attribué à la personne
ciblée, la critique se contente de porter un jugement. Elle s’attarde donc à relever ce qui est inadéquat ou
inapproprié dans les gestes, les propos ou les actes d’une personne, en soulignant simplement que ces
agissements n’ont pas lieu d’être. Par ailleurs, la critique peut aussi cibler la naturelle individuelle d’un
individu, visant tant ses convictions personnelles que son éloquence ou son apparence. Ainsi, on considérera
comme critique toute observation négative adressée à un individu ou à un groupe.
Lors de la campagne électorale provinciale de l’hiver 2007, la critique a été l’acte de langage dépréciatif le
plus utilisé. Ce n’est guère surprenant si l’on considère que c’est la façon la plus simple de porter un jugement
défavorable à l’égard d’autrui et sûrement la moins engageante puisqu’elle se contente de pointer du doigt un
comportement ou une façon d’être. Dans notre corpus, la critique se décline sous plusieurs formes, s’adressant
à un individu, à un parti ou encore à l’ensemble des adversaires politiques. Nos données nous ont démontré
qu’il était assez fréquent que la critique prenne pour cible un groupe de personnes et, tout particulièrement, un
parti adverse. C’est le cas de cette critique, adressée à l’Action démocratique du Québec par André Boisclair.
AB : À l’Action démocratique du Québec, y a pas d’équipe, y a pas de cadre financier, y a pas d’expérience.
(27 février 2007, TVA)
Par contre, la critique pouvait aussi être utilisée pour juger négativement les actes ou les propositions de deux
cibles distinctes. Par ailleurs, les critiques adressées à un adversaire politique peuvent viser autant un point
très spécifique qu’un ensemble d’éléments jugés inadéquats. Alors que certaines critiques visent la façon
d’être d’un candidat ou sa façon d’agir, d’autres s’attaquent plutôt à des propos tenus par un candidat et qui
sont jugés inappropriés par un adversaire. Il est aussi fréquent que les critiques soient formulées pour
dénoncer une attitude jugée répréhensible. En voici un exemple :
MD : C’est odieux de le [Jean Charest] voir jouer au gros big shot, au-dessus de ses affaires, qui parade en début
de campagne comme si tout était beau. (22 février 2007, SRC)
Dans cette critique, il est clair que Mario Dumont juge que Jean Charest, premier ministre sortant, agit de
façon répréhensible lorsqu’il dresse le bilan des quatre années que sont parti a passé au pouvoir.
IV - LA QUALIFICATION PÉJORATIVE ET L’ATTITUDE POLITIQUE EN CAMPAGNE
ÉLECTORALE
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À la suite de la classification de nos énoncés péjoratifs, nous avons pu constater qu’il existait une grande
différence entre la fréquence d’utilisation de la critique et du reproche et celle de l’insulte, de l’avertissement
et de la moquerie. Alors que la critique et le reproche sont utilisés régulièrement, l’avertissement et la
moquerie n’apparaissent que dans des contextes spécifiques et l’insulte est presque complètement exclue de
nos données. Ces résultats nous en apprennent beaucoup sur les stratégies discursives choisies par les
candidats pour discréditer leurs vis-à-vis politiques.
Il nous apparaît que les politiciens préfèrent avoir recours à des actes de langage qui permettent de porter un
jugement défavorable à l’égard d’une personne, des gestes qu’elle pose ou des projets qu’elle met de l’avant.
On peut aisément en conclure que, pour dévaloriser ou discréditer leurs adversaires, les chefs optent pour des
stratégies leur permettant de juger négativement tant leurs vis-à-vis politiques que les projets qu’ils défendent,
et ce, sans pour autant s’exposer et mettre en péril leur image publique. De façon générale, les trois candidats
basent leur jugement sur une réalité connue de tous, ce qui implique que le public est à même de juger si la
critique ou le reproche émis sont justifiés. Ainsi, plutôt que d’opter pour des actes de langage dépréciatifs
s’attaquant à la vie personnelle ou à des ouï-dire, les chefs préfèrent avoir recours à des formes permettant de
porter des jugements vérifiables, pouvant s’appuyer sur des déclarations ou des faits connus de tous. De fait,
le discours politique reste courtois, courtoisie qui peut s’expliquer par le désir de chaque candidat de préserver
son image publique, en évitant de dénigrer trop sévèrement leurs adversaires. Il va de soi que ces observations
ne s’appliquent qu’au discours électoral recueilli en 2007 et non pas à l’ensemble du discours politique
québécois, mais cette première étude ouvre la voie à une description beaucoup plus vaste de l’énonciation
politique au Québec.
Il faut aussi prendre en considération le fait que tous les énoncés recueillis ont été extraits d’enregistrements
destinés à l’électorat québécois, ce qui implique que chaque candidat devait garder à l’esprit que toutes les
pointes lancées aux adversaires pourraient être diffusées. Il faut préciser que pour tous les énoncés recueillis,
la situation de communication est semblable : le politicien s’adresse à son interlocuteur (généralement un
journaliste) mais en gardant toujours en tête le public à qui seront présenté, tout au moins en partie, les
énoncés péjoratifs recueillis. Nous attribuons d’ailleurs aux électeurs une part de responsabilité dans le fait
qu’il y ait une différence si importante entre le recours fréquent aux reproches et aux critiques par rapport à
l’utilisation des insultes. De fait, les candidats optent pour une stratégie qui limite les risques de ternir leur
image publique en usant d’actes de langage péjoratifs se construisant sur des faits connus de tous,
ouvertement présentés et potentiellement critiquables. Le désir de préserver leur image publique intacte incite
certainement les politiciens québécois à utiliser des actes de langage dépréciatifs leur permettant de porter un
jugement appuyé sur des faits connus du public, ce qui nous a permis de constater que le discours politique en
campagne électorale reste somme toute assez courtois.
CONCLUSION
En entreprenant notre étude des discours politiques tenu lors de la campagne électorale québécoise ayant eu
lieu à l’hiver 2007, nous voulions savoir si le discours politique contenait des actes de langage dépréciatifs et,
le cas échéant, sous quelles formes se manifestaient ces différentes formes de qualification péjorative. Nous
espérions aussi que la nature de ces actes de langage dépréciatifs nous permettrait de bien cerner le discours
utilisé en politique québécoise et de déterminer s’il reste courtois ou s’il se veut plutôt agressif.
Pour répondre à ces interrogations, nous avons fait l’analyse de l’ensemble des énoncés dépréciatifs présentés
dans les bulletins d’informations télévisés. À partir de cela, nous avons été en mesure de regrouper ces
énoncés dépréciatifs selon qu’ils contiennent de l’insulte, de la moquerie, de l’ironie, de l’avertissement, du
reproche ou de la critique. Cette catégorisation, basée sur des définitions que nous avons élaborées grâce à une
analyse des données recueillies et la littérature disponible, nous a permis de montrer qu’il existait un écart
significatif entre les différentes formes répertoriées.
Évidemment, cette étude n’a pas la prétention de dresser un portrait exhaustif des formes de qualification
péjorative dans le discours politique au Québec. Elle nous permet simplement d’en avoir un aperçu, en
proposant un examen approfondi d’un contexte bien précis, à une époque spécifique et de poser les bases en
vue d’études futures.
Liste des références bibliographiques
Ernotte, Philippe, et Laurence Rosier. 2004. « L’ontotype: une sous-catégorisation pertinente pour classer les
insultes? » Langue française, no 144 (déc.) p.35-48.
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Kerbrat-Orecchioni, Catherine. 1978. « Problèmes de l’ironie » in L’ironie, ouvrage collectif, p. 10-46. Coll.
Linguistique et sémiologie; no 2. Lyon : Presses universitaires de Lyon.
Labov, William. 1978. Le Parler ordinaire. La langue dans les ghettos noirs des États-Unis. Coll. Le sens
commun. Paris, Les éditions de Minuit.
Laforest, Marty. 2002. “Scenes of family life: complaining in everyday conversation” Journal of pragmatics,
vol. 34, no 10-11, p. 1595-1620.
Lemieux-Lefebvre, Geneviève. 2009. La qualification péjorative dans le discours politique en campagne
électorale. Mémoire de maîtrise, UQAM.
Monière, Denis. 1988. Le Discours électoral : Les politiciens sont-ils fiables? coll. Dossiers documents,
Montréal, Éd. Québec/Amérique.
Pupier, Paul. 1998. « Pour une systématique des évaluatif en français », Revue québécoise de linguistique, vol.
26, no 1, pp. 51-78.
Vanderveken, Daniel. 1988. Les Actes de discours : essai de philosophie du langage et de l'esprit sur la
signification des énonciations. Coll. Philosophie et langage, Liège, Pierre Mardaga.
Vincent, Diane et Marty Laforest. 2004. « La qualification péjorative dans tous ses états », Langue française, no
144 (déc.), p. 59-81.
Pour citer cet article
LEMIEUX-LEFEBVRE Geneviève. La qualification péjorative dans le discours politique au Québec : un
aperçu de la campagne électorale 2007. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours
politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info
/document.php?id=1857. ISSN 1308-8378.
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C’ est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence - Signes, Di...
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Article
C’est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence
Christelle DELARUE, TELEM - EA4195, Département des Sciences du Langage, Université Bordeaux 3
Michel de Montaigne
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
Une instance politique n'existe que par ce que reflète d'elle le peuple. L'image du politique et du monde
politique se doit donc de gagner la confiance des citoyens, de convaincre de son sérieux, de son objectivité et de
son honnêteté, stratégie communicative qui passe entre autres par le discours oral ou écrit, médiatisé par la
télévision, la radio, ou internet (sites d'informations officielles ou personnelles). Notre analyse porte sur le
phénomène de la reformulation, articulé autour du connecteur prototypique c'est-à-dire (Vassiliadou). Etudié
par de nombreux chercheurs, l'approche du phénomène s'avère fructueuse aussi bien dans un cadre didactique
(Picoche) que dans une perspective communicative (Roulet), d'où la coexistence de différentes typologies
(Gülich et Kotschi, Fuchs, Rossari, Sarfati). Les exemples de reformulation à tendance définitoire sont certes
nombreuses, mais en marge de ceux-ci foisonnent les cas qui ne présentent pas d'équivalences acquises, mais
qui la construisent en discours sur la base de possibles liés au sens commun et aux topoï : le discours est porteur
d'indications de lecture (Murat). Il en résulte une importance de la prise en compte des traces des CP, ainsi
qu'une perspective prometteuse offerte dans le cadre de la sémantique discursive de Longhi.
Abstract
The body politic exists only through the eyes of the people. The image of the politician and of the political
world must also win the citizen's confidence and convince them of its integrity and impartiality. This
communicative strategy is conveyed through written and oral discourse that can come through television, radio
or internet (official information websites or private websites). Our analysis concerns the reformulation
articulated around namely, often considered prototypic for reformulation (Vassiliadou). A lot of studies about
the connector namely (that is to say) and about reformulation are just as interesting in a didactic context as in a
more communicative situation (Roulet); these studies give rise to different typology (Gülich et Kotschi, Fuchs,
Rossari, Sarfati). Examples of reformulation which have a defining tendency are frequent; but apart from these
many other cases don't present the recognised semantic equivalence: they build the equivalence in the discourse
with the basic foundation being the topoï and common sense. Discourse brings with it indications for
interpretation (Murat). A consequence is that the traces of the conditions of production are important to take
into consideration, and also that the discursive semantics of Longhi is a promising perspective.
Table des matières
INTRODUCTION
I. DES REFORMULATIONS PARAPHRASTIQUES À TENDANCE DÉFINITIONNELLES
II. DES FORMULATIONS OUVERTES À DES REFORMULATIONS VARIÉES
III. UNE SÉMANTIQUE DISCURSIVE COMME CADRE POUR L'ÉTUDE DE LA REFORMULATION
Texte intégral
INTRODUCTION
Une instance politique n'existe que par ce que reflète d'elle le peuple. La concrétisation la plus évidente du
sentiment populaire nourrit à l'égard de ces instances se matérialise dans le vote. Les voix exprimées en faveur
d'une idéologie ou d'une façon particulière de penser l'organisation sociale accréditent celle-ci d'une confiance
certaine en lui donnant comme signal fort, par le don de voix, un écho positif et favorable. Mais cette
manifestation électorale ultime se voit au préalable ébauchée et confortée par une foison de nouveaux outils
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statistiques et médiatiques, nés dans et relégués par une riche panoplie de récents moyens de communication.
Le dialogue établi par ces contacts conditionne de surcroît, par sa qualité, l'éventuel ralliement puis la
souhaitable stabilisation du sentiment de l'opinion : les clefs de la réussite, en particulier dans le cas
d'interviews, interventions souvent courtes, résident dans les traces et les empreintes inscrites alors dans
l'opinion. Ces traces, qui plus est, devront dessiner des voies praticables vers une confiance accrue.
1
Le site gouvernemental viepublique offre sur ce point une forme de communication composite et complexe.
Ne relevant pas du sondage ou du discours prononcé, les propos rapportés sont ceux, aux côtés de textes
officiels et de décrets diffusés sous forme écrite, d'interviews radiophoniques retranscrites. Ces transcriptions,
bien que ne respectant aucune norme et s'en trouvant parfois peu claires, sont pourtant intéressantes : elles
rentrent dans le cadre des données offertes par un site gouvernemental de diffusion officielle des positions et
propos tenus par nos dirigeants, et ont une forte probabilité d'être fidèles aux volontés du pouvoir.
L'interview, bien qu'elle subisse un certain nombre de contraintes spécifiques sur lesquelles nous ne
reviendrons pas (réponses officiellement non préparées, temps court imposant une brièveté excluant de fait les
développements longs et les explications complètes), se doit de se garantir l'adhésion de l'auditeur : arborer un
discours solidement structuré et cohérent est pour ce faire un minimum requis.
L'étude de plusieurs interviews nous a permis de repérer un phénomène particulier, celui de la reformulation
du sens, matérialisée par l'emploi du connecteur c'est-à-dire. Proche d'une reformulation abordée avant tout
traditionnellement, soit comme outils didactique et pédagogique, soit comme moyen de correction, nous
constaterons dans un premier temps que ce type d'usage se retrouve à plusieurs reprises vérifié, et qu’il
s'acquitte au mieux de ce rôle pédagogique qu'il se voit assigné. Présentée comme définitoire par M. Riegel, et
introduite avec la notion de reformulation paraphrastique par E. Gülich et Kotschi, puis plus tard par C.
Rossari (2004, 2007), nous verrons que, fortes de nos premiers exemples, la dimension pédagogique et la
puissance d'action qui lui sous-tendent ne sauraient faire de doutes. Dans un second temps, nous ne pourrons
cependant que remarquer qu'au-delà de ces cas existent des situations de reformulations frontalières, où
l'équivalence n'est plus évidente. M. Murat indexe l'idée d'un rapport d'autorité à des indications de lectures.
Nous montrerons pour finir que la notion de topoï fournit des pistes pertinentes dans la compréhension des
mécanismes en œuvre. Nous verrons également que la sémantique argumentative entre autres, par le biais de
O. Galatanu ou J. Longhi, achève le tracé d'un cadre précis et productif pour l'analyse de ce phénomène ; ce
phénomène qui, précisément, compte de plein droit parmi ceux annonciateurs d'une structuration logique et
cohérente forte, et force le sens de lecture.
I. DES REFORMULATIONS PARAPHRASTIQUES À TENDANCE DÉFINITIONNELLES
Au sein d'un corpus constitué d'interviews radiophoniques, notre analyse portera sur la reformulation du sens
en discours, avec une attention particulière portée à celle usant du connecteur c'est-à-dire. L'ancienneté de ce
connecteur, ainsi que sa fréquence d'usage importante conduisent H. Vassiliadou (2008 : 35) à le considérer,
dans la lignée de nombreux autres chercheurs, comme prototypique de l'ensemble des connecteurs de
reformulation. Il convient dans un premier de rappeler la richesse des études portant sur la reformulation ;
nous évoquerons quelques noms tels ceux d’E. Gülich et de T. Kotschi, G.-E. Sarfati, C. Rossari, C. Fuchs ou
J. Authiez-Revuz. L'analyse de leurs travaux conduit à relever différents classements, dépendants
principalement des paramètres pris en compte. E. Gülich et T. Kotschi (1983) posent trois types de
reformulations : le rephrasage, la correction, et le paraphrasage, accolés à une dynamique de réduction,
d'augmentation ou de variation du volume sémantique commun. Gaulmyn reprendra ces types (Gaulmyn
1987), et détaillera la répétition, préférée au rephrasage. Une autre façon d'aborder le phénomène amène à
poser comme principales distinctions celles opérées (1) d'une part entre les reformulations marquées (par un
connecteur) de celles qui ne le sont pas (Authier-Revuz 1995) et (2) d'autre part la distinction qui serait à faire
entre reformulation paraphrastique ou non paraphrastique (Fuchs 1994, Rossari 2004). Certaines approches
mettent par conséquent l'accent sur la présence ou l'absence des connecteurs reformulatifs, tandis que d'autres
insistent sur la dimension interactionnelle du phénomène, centrant leur intérêt sur les corrections spontanéistes
; ces études, d'ailleurs, portent souvent sur les échanges en interaction (Roulet 1987), et rapportent
2
éventuellement le niveau d'analyse à son type, soit autoreformulatif, soit hétéroreformulatif . Ces recherches
(sur les interactions) portent sur la reformulation, stratégie langagière si mobilisée spontanément et
quotidiennement. La langue, par la reformulation, permet de reformuler, autrement dit littéralement de
formuler à nouveau. Le locuteur peut user de cette possibilité langagière dynamique et productive dans au
moins deux cas principaux :
dans la transmission de connaissances, autrement dit d'un point de vue didactique,
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d'un point de vue communicationnel, c'est-à-dire dans la perspective d'échanges d'informations.
Ce processus de construction et de représentation du sens cristallise la nécessaire tentative d'ajustement à
3
établir entre d'une part l'émetteur du message, sein de son élaboration, et d’autre part son récepteur , siège
4
d'une réception nécessairement interprétative . Les rôles assignés à la reformulation s’avèrent être
fondamentaux d'un point de vue communicationnel, pédagogique, ou encore dans les travaux portant sur la
traduction ou la vulgarisation. Tous ces pôles d’intérêts expliquent sans doute la diversité des travaux menés
5
dans ces perspectives et l'intérêt que suscite plus que jamais le phénomène .
Après avoir remarqué que dire autrement peut relever d'un « simple changement de l'ordre des mots »
(Picoche 2007 : 294), la limitation des possibilités de nouvelles formulations offerte dans ce cas de figure se
manifeste rapidement : bien qu'un réordonnancement lexical permette « des variations dans la mise en valeur
de tel ou tel élément de la phrase de départ, et d'orienter dans un sens ou un autre la suite du discours », un tel
6
procédé « ne peut enrichir en rien la vocabulaire de l'apprenant » (Picoche 2007 : 295). L'auteur, qui se
place sur le terrain de l'acquisition du lexique, adoptant inévitablement un point de vue didactique, distingue
alors, fort de son constat, trois reformulations. Dépendantes de leur structure, elles peuvent être construites par
7
la mise en oeuvre de synonymes, de paraphrases ou de dérivés lexicaux , dernier cas illustré en 1.
1. « […] et puis surtout ce que je veux, c'est réduire le reste à charge pour les familles, c'est-à-dire ce qui reste à
la charge des familles. » (Galzi, 15 octobre 2008)
Cette situation de reformulation par dérivation lexicale est comparable à celle, développée par M. Riegel
(1987 : 30) dans sa note 1, de la « paraphrase stricte reproduisant le sens phrastique des énoncés tel qu'il se
dérive directement de leur forme grammaticale, abstraction faite des aspects significatifs liés à leur usage
contextuel. Ces derniers s'intègrent au sens énonciatif qui est matière à paraphrase discursive ». La
manipulation des dérivés par ré-ordonnancement lexical n'affecte pas fondamentalement le sens des énoncés.
Sans prétendre à la possibilité d'une synonymie parfaite, il nous paraît raisonnablement envisageable de tenir
pour cohérent l'existence de reformulations qui donneraient à comprendre la même chose en n'augmentant pas
concrètement le lexique. Connaissance et compréhension seraient malgré tout affinées et affirmées, par le
truchement de la paraphrase, qui rendrait compte du même sens que celui de la formulation initiale, mais en
s’accompagnant d’un changement grammatical porteur de nouveau pour l’apprenant.
8
Nous considérons dans un premier temps les reformulations qui articulent un élément du lexique avec une
définition, situations qui sont comparables avec le cas de la reformulation équationnelle de H. Vassiliadou
(2008 : 35), ou la reformulation paraphrastique étudiée par Rossari ou Picoche. Cette paraphrase rend possible
une augmentation du lexique, parce que relevant clairement d'une explication lexicale de termes spécialisés.
2. « […] et donc nous passerons de trois escadrons 2000N à deux escadrons, que nous allons rafalisés, c'est-à-dire
que nous allons dédier au Rafale. » (H. Morin, 20 avril 2008)
3. « Le président de la République nous a demandé de faire le retour d'expérience, comme font tout le temps les
armées, c'est-à-dire d'analyser les causes du drame que nous avons vécu et d'en tirer les conséquences. » (H.
Morin, 26 août 2008)
4. « Chaque pays qui est engagé a ce que l'on appelle parfois des caveats, c'est-à-dire des conditions
d'engagement, disant dans tel cas de figure, nos forces ne sont pas engagées. » (H. Morin, 26 août 2008)
5. « Soutenue par ce que l'on appelle les OMLT, c'est-à-dire les Français qui forment l'armée nationale afghane
[…]. » (H. Morin, 20 avril 2008)
L'utilisation de ces termes techniques ne sera valable qu'après une démarche de vulgarisation. La nécessité de
cette vulgarisation trouve sa source dans le contexte même de l'énonciation, qui, rappelons-le, est le résultat de
l'articulation entre un milieu politique et un milieu non politique ignorant des us, coutumes et pratiques
réellement en vigueur dans l’autre. On notera que les termes explicités sont transcrits en italique, et les
explications sont citées en mention, et non en usage, se teintant d'une connotation autonymique propre à
neutraliser l’énonciation et à distancier le dire (Authier-Revuz). Le vocabulaire technique appartient à ce
9
champ de connaissances non partagées par les personnes en dialogue au travers de l’interview : il doit par
conséquent, soit être évité au profit de signes communs (synonymies), soit se voir expliqué, ce qui est le cas
dans nos exemples. Pour qu'une communication soit possible, un système sémiotique commun est nécessaire.
Sans un code minimum partagé par les individus se trouvant en situation de communication, que le codage
porte sur des mots du langage verbal ou sur la communication paraverbale, sans cet espace commun, il va s'en
dire que les échanges et la communication ne seraient pas même envisageables ; qu'ils soient concevables
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n'engage cependant en rien leur réussite, et veut bien seulement dire qu'ils sont éventuellement possibles. On
sait ce qu'on veut dire, on sait qu'on le dit au mieux, au mieux a-t-on conscience de l'irréparable difficulté liée
à l'inaccessible interprétation de l'autre. Et les meilleures intuitions à cet égard ne seront jamais
qu'invérifiables : qu'elles soient justes vient seulement dire que l'écart entre les tentatives du dire et celles de
l'interprétation n'est pas pénalisant, et « il n'y a aucune garantie a priori pour que la représentation R
déclenchée chez l'auditeur coïncide avec la représentation R' du locuteur […]. Le vouloir dire du sujet est,
donc, accessible, dans la mesure où la séquence est perceptible et où ce qu'elle veut dire est disponible : il
suffit de l'interpréter. » (Khatchatourian 2008 : 22)
La paraphrase, ou reformulation paraphrastique, peut être un moyen de proposer des définitions lexicales ou
les explications d'un vouloir dire discursif. Mais elle jouit une mauvaise réputation parmi les enfants
10
scolarisés. Bon moyen pour eux
de montrer qu'ils ont « vraiment compris ce que l'auteur a voulu dire », la
paraphrase va pourtant plus loin, et « ne connaît pas toujours l'écueil du pléonasme » (Masseron 2007 : 230).
Sa dévalorisation en milieu scolaire, accolée à un « à éviter » sentencieux, a opacifié le champ de la stratégie
que la reformulation permet de mettre en place. Trop souvent associée à une technique qui serait déployée
pour contourner l’explication, son potentiel reste peu connu. Certes la reformulation paraphrastique est parfois
mise en parallèle avec les ressources de la métaphore, sources, quant à elle, de nombreuses et prestigieuses
reformulations : « il y a des métaphores d'une grande banalité […]. Il y en a d'autres de plus personnelles
[…]. » (Picoche 2007 : 306). Aux côtés des métaphores classiques sont rendues possibles en langue et en
contexte une infinité de comparaisons, potentielles dès lors que des lieux de sens commun constituent un
terreau favorable. Or la métaphore peut servir la reformulation, en ce que « le locuteur se sent libre
d'employer les mots qu'il veut, de développer certains points et d'en omettre d'autres, et de laisser paraître son
point de vue personnel » (Picoche 2007 : 302). La didactique, l'inscrivant parmi les moyens permettant la
transmission de savoirs et l'acquisition de connaissances, fait à la reformulation une place de premier choix ;
mais ceci ne doit cependant pas faire oublier que reprendre, se reprendre ou tout simplement expliquer ou
s'expliquer, c'est chercher à ajuster le contenu à transmettre à un récepteur au sein duquel nous ne maîtrisons
aucune activité cognitive ou interprétative. Reformuler pour expliquer et reformuler pour enseigner sont deux
phénomènes infiniment proches. La forme de la reformulation en tant que produit du processus est donc libre,
mais ce commun fondateur de la reformulation reste à trouver : l'existence de cet invariant serait-elle une
11
caractéristique propre à la reformulation, une « marque définitoire », comme le suggère M. Kara
(Kara
2007 : 6) ? Reformuler, définir ou expliquer sont des opérations qui s'appliquent à quelque chose de commun
qui est extérieur au langage (sans quoi ces manipulations sémantiques seraient impossibles) : l'introduction
d'un différentiel n'en affecte pas l'intégrité, il en dessine les contours avec plus de précision.
6. « Mais attention, ce qu'on appelle les alertes françaises, c'est de niveau zéro ou de niveau un, c'est-à-dire des
incidents qui, pour l'instant, n'impactent pas l'environnement ou la santé. » (Fulda, 1 er septembre 2008)
Parce qu'il présente un syntagme nominal obscur pour les non initiés mais suivi d'une explication introduite
12
par c'est-à-dire, le cas 6 ressemble à première vue aux premiers exploités (1 à 5) . Il pose cependant un
problème différent, d'ordre qualitatif : les alertes françaises sont-elles toutes de niveau un ou deux ? Sont-ce
toutes les alertes qui sont sans impact, ou seulement celles de niveau un ou deux ? Que signifie ne pas
impacter l'environnement ou la santé : est-ce à entendre comme seulement ayant un impact, ou bien faut-il y
adjoindre une connotation négative qui conduirait plutôt à y voir un impact négatif ? Autant de questions
accentuées par ce connecteur qui, comme le confirment nos premiers exemples, introduit fréquemment des
informations objectives et éclairantes. Sa constitution même est porteuse de traces d’objectivation, en
témoigne le pronom anaphorisant ce, qualifié parfois d'opacifiant (Murat 1987 : 9). Le locuteur tend par le
choix de ce connecteur à objectiviser ses propos, parce que c'est-à-dire « véhicule l'information de ce est à
13
dire et non à dire autrement » (Vassiliadou 2008 : 40). Autrement dit marque le dialogisme qu'il porte par
l'affirmation de la présence de l'autre, ce qui n'est pas le cas de c'est-à-dire, pour lequel le dire n'est pas
présenté comme étant susceptible d'avoir subi une altération : le connecteur peut se rapporter aussi bien à la
situation d'énonciation qu'au contexte linguistique stricto sensu (Murat 1987), et ses caractéristiques lui
confèrent légitimement le rôle d'introducteur d'explication.
II. DES FORMULATIONS OUVERTES À DES REFORMULATIONS VARIÉES
Comme le laissait présager l’exemple 6, d'autres situations comparables sont observées :
7. « La seule chose, c'est que nous n'avons pas tiré les conséquences de la professionnalisation sur le
l'administration et le soutien, c'est-à-dire sur la totalité de la superstructure qui sert les forces opérationnelles. »
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(H. Morin, 20 avril 2008)
Le glissement du sens dans l'exemple 7 va d'un domaine administratif d'administration et de soutien à celui
d'une superstructure qui sert les forces opérationnelles. La dimension et les espaces administratifs sont repris,
reformulés et ainsi replacés au sein des relations qu'ils entretiennent avec les forces de terrain. Ce déplacement
14
établit un lien entre une professionnalisation perçue intuitivement au travers des hommes de terrain , et une
administration sur lesquelles l'impact de la professionnalisation pourrait passer pour secondaire. La
reformulation permet dans cet exemple, et le rassemblement de composantes de popularité variable, et la
solidarisation dans et par la reformulation dans le discours, deux amorces d'un réseau créditant l'ensemble, et
indirectement toutes ses parties, d'aspects particuliers mis en avant.
8. « Ce serait bien que les responsables syndicaux, les responsables politiques soient cohérents avec eux-mêmes,
c'est-à-dire qu'ils approuvent des réformes qu'ils ont souvent défendues. » (F. Fillon, 1 er septembre 2008)
Le cas 8 offre un exemple d'une sélection opérée dans un champ ouvert par la formulation initiale. Le fait
d'être cohérent avec soi suppose une adéquation entre la pensée du locuteur, ce qui est dit, et ce qui est fait par
lui. La cohérence réside dans le scellement de ces paramètres. La reformulation introduite par c'est-à-dire ne
développe pas cette notion fondamentale de scellement : elle opère une sélection, parmi tous les cas concrets,
afin d’en extraire un particulier qui vaudra pour représentation de ce vouloir dire. Être cohérent avec
soi-même peut se traduire au travers de nombreuses situations différentes, et tout autant de cas pourraient
constituer une preuve de cette cohérence. Dans le cas présent, reformuler une généralité de cet ordre en fixe le
sens en contexte, sens qui sinon serait trop indéterminé, et constitue dans ce cas une stratégie qui permet au
locuteur d'opérer un détour pour spécifier : elle détermine de la sorte le sens par une affectation énonciative.
Elle va même plus loin : elle enferme le discours dans cette nécessité, sous peine d'y voir générées des
tautologies stériles. L'exemple suivant (9) se situe à mi-chemin entre d'une part l'explication neutre et
indépendante du contexte, introduite tout à fait légitimement, par c'est-à-dire, et d'autre part le choix subjectif
et contextuel d'une manifestation particulière, cas illustré par l'exemple 8.
9. « On va supprimer ce qu'on appelle les droits connexes, c'est-à-dire ce système qui faisait que si vous étiez
sans emploi, vous aviez le droit à la gratuité de toute une série de services alors que quasiment avec les mêmes
ressources au travail, vous n'aviez pas droit à ces gratuités. » (F. Fillon, 1 er septembre 2008)
Ainsi, le principe du système, qui est bien décrit de façon neutre (faisait que si vous étiez sans emploi, vous
aviez le droit à la gratuité de toute une série de services), se voit complété par une comparaison extérieure à
l'explication (alors que quasiment avec les mêmes ressources au travail, vous n'aviez pas droit à ces
gratuités). Cet écart pointe un élément qui trahit la volonté de présenter ce système comme très négatif : la
comparaison ne rentre pas dans le cadre explicatif, mais celui-ci s'inscrit dans une démarche subjective du
point de vue du locuteur, qui a d'ailleurs déjà annoncé sa suppression (on va supprimer) ; encore une fois, le
sens n'est pas reformulé, il est adapté, spécifié, orienté par le locuteur. Le mouvement de particularisation est
inversé en 10, où elle se voit portée par la formulation, puis exploitée par la reformulation.
10. « Je vais prendre un exemple concret : nous avons décidé de faire un Pentagone à la française : c'est-à-dire de
regrouper la totalité des services des états-majors de l'administration centrale du ministère […]. » (H. Morin, 20
avril 2008)
Faire un pentagone réduit les sens possibles à ceux inhérents au modèle américain ; le faire à la française
élargit tant ce cadre qu'il en perd toute spécificité objective. Toutes les reformulations deviennent
envisageables dans une perspective où en fait une façon de faire à la française ne signifie rien de particulier.
Ce cas de figure est le même qu'en 11, où parler de nouvelles pratiques ne dit rien au sujet des pratiques, si ce
n'est qu'elles s'opposent à ce qui avait cours auparavant. Sans explication, et sans connaissance sur la situation
antérieure, est n'est pas possible de comprendre ce qu'elles recouvrent : la formulation se positionne d'emblée
par rapport à une inconnue non déterminée. Encore une fois, la reformulation explicative est non seulement
attendue, mais elle est reçue comme salutaire.
11. « Le grenelle 2 s'inscrira de toute façon dans nos nouvelles pratiques, c'est-à-dire celles de l'évaluation, des
études d'impact des textes, et le gouvernement a prévu dans les mois à venir l'examen de ce second texte. »
(Galzi, 15 octobre 2008)
L'explication lexicale dépassée, les limites des reformulations envisageables et potentielles sont souples. Pour
Riegel « lorsqu'on s'éloigne d'une simple explication du code, des structures implicatives tendent à se
substituer aux définitions. Interpréter, c'est alors énoncer la ou les conditions dans lesquelles l'emploi d'une
expression donnée est valide » (Riegel 1987 : 11). La seule contrainte s'exerçant est celle de la validation par
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l'interprétant, seul habilité à décider de l’inacceptabilité d’un énoncé.
L'objectivisation inhérente à la morphologie du connecteur c'est-à-dire nourrirait-elle un effacement
stratégique des traces de la subjectivité de l'énonciateur ? Une telle caractéristique serait alors un moyen
opérant dans une dynamique de construction d'un énoncé neutre, solide et convainquant. Il permettrait de
« gagner son efficacité, selon les enjeux d'une situation toujours spécifique, soit sur un effet de subjectivité (en
mobilisant de manière ouverte les ressources du dialogue), soit sur un effet d'objectivité (en masquant ses
visées derrière une neutralité de surface). » (Sarfati, 1995). La propension opacifiante du connecteur c'està-dire facilite sans doute l'amorçage d'une reformulation définitoire présentée comme telle ; la facilite, voire
même l'impose, et stipule que « énoncer une définition stipulatoire, c'est d'abord assigner un sens arbitraire à
un terme existant ou nouveau ; mais c'est aussi s'engager à suivre l'usage ainsi instauré et inviter le lecteur
interprète à en faire autant […]. Ainsi l'énonciation d'une définition stipulatoire acquiert-elle une force
illocutoire spécifique qui varie selon la situation de discours et le statut respectif des protagonistes » (Riegel
1987 : 33). Le sens introduit n'en est pas pour autant arbitraire : il est indéfini et à fixer, spécification qui se
fera par la reformulation et la validation implicite du récepteur. Les choix du locuteur ne sont pas arbitraires,
ils dépendent de son vouloir dire ; le seul arbitraire possible se situe au point de contact de ce vouloir dire et
du pouvoir comprendre du récepteur, pour qui les possibilités interprétatives sont conditionnées et
intériorisées, et suivent un patron déterminé. Les exemples suivants (12 et 13) invitent à constater quelle
forme peut revêtir la réorientation sémantique, parfois articulée autour du connecteur :
12. « C'est l'Europe qui a obtenu l'arrêt des combats. Ensuite il faut faire respecter l'accord qui a été signé. Il ne
l'est pas encore.
Elkabbach : C'est-à-dire que les Soviétiques, ou enfin les Russes, doivent quitter […] l'endroit dans lequel ils se
trouvent en ce moment ? » (F. Fillon, 1er septembre 2008)
13. « La Russie est sur le chemin de la mondialisation. Il y a encore des progrès à faire, naturellement, mais de
notre point de vue, c'est en parlant avec la Russie, en parlant clairement, c'est-à-dire qu'on condamne la
reconnaissance...
Elkabbach : Mais on ne parle pas représailles ni de sanction. Cela n'aurait pas de sens ? C'est ça que ça veut dire
? » (F. Fillon, 1er septembre 2008)
L'opacité de ce mérite d'être mise en avant dans le cas de 12, où il ne reprend pas le cotexte immédiat mais la
phrase antérieure à celui-ci : le segment reformulé n'est pas celui précédant le connecteur, autrement dit il ne
l'est pas encore, comme on aurait pu s’y attendre. Il en résulte des imprécisions évidentes : dire qu'ils doivent
quitter le territoire reformule le même sens que faire respecter l'accord, et non pas le fait qu'il ne l'est pas (ce
qui aurait pu être reformulé par qu'ils occupent encore ledit territoire). L'opacité joue, dans l'exemple 13
comme dans le 12, en faveur d'implicites évidents. Après le développement de la volonté de dialogue, à
établir avec un pays présenté comme justement s'étant engagé sur le chemin de la mondialisation, chemin sur
lequel il faut encore faire des progrès, la reformulation dévie et conduit de l'idée de dynamique positive à celle
de condamnation à l'égard de ce même pays. Le journaliste interrompt l'homme politique pour terminer la
reformulation comme il l'entend. L'extrait supporte ainsi deux réorientations radicales. A la première
reformulation, qui s’ouvre sur les orientations positives adoptées par un pays pour se déplacer, succède le
thème des faits pour lequel il est condamnable : le vouloir dire qui en ressort, paraphrasable en « ce pays est
sur la bonne voie, donc même s'il est condamné, on ne le tient pas pour coupable et on excuse », s'il est
difficilement tenable et acceptable, n'en repose pas plus sur une mise en équivalence objective.
14. « Je crois que personne ne conteste que la croissance verte, c'est-à-dire l'adaptation de nos bâtiments […] est
un acte de croissance. (J.-L. Borloo, 14 octobre 2008)
15. « Voilà. Donc ça veut dire que les français s'intéressent à la voiture. Notre mesure malus-bonus, la mesure
qu'a mise en place J.-L. Borloo, fonctionne bien... Bazin : Je note que vous dîtes maintenant malus bonus et non
plus bonus malus, c'est-à-dire qu'on a inversé la tendance. » (D. Bussereau, 2 octobre 2008)
14 et 15 sont des situations très comparables : dans chaque cas, les topoï de la formulation sont pleinement
exploités dans la reformulation, qui joue d'un changement fin de point de vue. Les derniers exemples (16 à
18), pour finir, illustrent quant à eux des cas de figure où les relations et les équivalences sont à reconstituer :
16. « Journaliste : Votre ministre Christine Lagarde a annoncé ce matin à la tribune qu'elle va vous proposer un
allègement de l'imposition sur le patrimoine et elle indique que l'impôt sur la fortune pourrait être concerné par la
réforme. Est-ce que vous y êtes favorable ?
F. Fillon : Non, nous avons fait une réforme de l'impôt sur la fortune qui, d'ailleurs, est une réussite, qui permet
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aux personnes qui paient une partie de cet impôt de déduire des sommes qu'ils déclarent en les investissant dans
des petites et moyennes entreprises. Ça a été un très très grand succès, c'est-à-dire que les petites et les moyennes
entreprises, dans une conjoncture difficile où elles ont du mal à trouver des financements, ont pu grâce à ce
système voir leurs capitaux augmenter. » (F. Fillon, 1er septembre 2008)
La translation sémantique opérée par la reformulation articulée autour du connecteur en 16 est conséquente.
La formulation initiale dessine une justification des réformes apportées sur l'impôt sur la fortune, qui ne
semble pas être susceptible de se voir apporter une nouvelle modification. Le ministre indique que la réforme
est une réussite, puis il évoque et invoque une conséquence heureuse pour des PMI-PME en difficultés ; le
succès de la réforme en question, pourtant complexe et hétéroclite dans ses volets et multiple par ses effets, se
voit réduit à une conséquence contingente, contextuelle et ponctuelle, dans la mesure où cet état de crise et de
difficultés n'est pas continuel, et dans la mesure aussi où il n'est pas non plus celui ayant motivé les réformes.
Ce n'est pas la réussite qui est reformulée, mais une conséquence précise érigée en exemple représentatif (les
petites et les moyennes entreprises […] ont vu leurs capitaux augmenter).
17. « Voilà. Donc ça veut dire que les français s'intéressent à la voiture. Notre mesure malus-bonus, la mesure
qu'a mise en place J.-L. Borloo, fonctionne bien... Bazin : Je note que vous dîtes maintenant malus bonus et non
plus bonus malus, c'est-à-dire qu'on a inversé la tendance. » (P. Bazin, 2 octobre 2008)
Le journaliste pointe dans le cas 17 un changement de perspective affleurant : alors que l'usage appelle à
parler de bonus-malus, la tournure est soudainement inversée : il est question de malus-bonus. Mais les deux
formulations sont-elles équivalentes et synonymes ? L'homme politique laisse entendre qu'il y a une
équivalence. Mais pour quelle raison alors s’éloigner d’un vouloir-dire d’usage ? L'interrogation suscitée chez
le journaliste montre combien la question de savoir dans quelle mesure il y a ou non changement de point vue,
qui impliquerait un changement de perspective, n'est pas anodine. Il est remarquable qu'un simple changement
d'ordre des mots, dans le cas d'une expression figée ou en cours de fixation, crée par lui-même une variation
impliquant une hiérarchie possible, ou du moins une différence ayant une justification à expliquer.
18. « Bref, nous examinons toutes ces conditions, et nous financerons une partie de ces équipements...
Elkabbach : Nous, c'est-à-dire le budget de l'armée ? » (H. Morin, 20 avril 2008)
Le nous de 18 est un autre exemple des réorientations rendues possibles par une formulation adaptée. Il ouvre
suffisamment de possibilités pour qu'y soient potentiellement associées des reformulations très variées. Cette
possibilité se trouve exploitée dans la mesure où ce nous se voit reformulé par le budget de l'armée. Quand un
homme politique dit nous, il est raisonnable de penser qu'il s'agit de lui, de la classe dirigeante ou de son parti,
selon le sens attendu, ou bien selon la situation. Or, le budget de l'armée déploie un réseau topique différent
puisqu'il inclut, prononcé par le journaliste, chaque citoyen : on passe d'un nous d'apparence et d’appartenance
politique à un nous-citoyens (pourvoyeurs dudit budget), par le parcours d’un réseau topique qui nous conduit
sans encombre au terme des méandres du sens discursif.
III. UNE SÉMANTIQUE DISCURSIVE COMME CADRE POUR L'ÉTUDE DE LA
REFORMULATION
Nous commencerons par rappeler l'importance que revêt la prise en compte des conditions de production
comme constitutive du cadre pertinent pour l'étude du phénomène reformulatif, au travers des indices portés
par la production discursive. Ces traces indicielles sont les seules clefs donnant accès au vouloir dire ; elles
sont les seules aussi à ébaucher un chemin donnant accès à une compréhension des dynamiques de
construction du sens.
Nous l’avons dit, c'est sur la base d'un sens commun aux locuteurs que peut se constituer l'ensemble des
reformulations possibles et acceptables. Pour ce faire, la théorie des topoï s'avère fertile. Les topoï sont des
« principes généraux qui servent d'appui au raisonnement […]. Ils sont utilisés, pas assertés, et ils sont
présentés comme faisant consensus au sein d'une communauté » (Longhi 2008 : 138). Au-delà de ce
consensus, il semble possible de les voir constitués et dessinés en filigrane, au travers des formulations. Par
ailleurs, le sens du discours est plastique, non figé et non fixé, bref, malléable, et « le lien établi entre forme
linguistique, manifestation de la doxa et occupation du champ phénoménologique par une instance singulière
remet au cœur du sujet la problématique énonciative : nous finissons par l'affirmation d'une construction du
contexte par les énoncés eux-mêmes et par le phénomène discursif […]. » (Longhi, 2008 : 19). Par sa théorie
des topoï devient envisageable un lien existant ou à créer entre deux sphères sémantiques composites, l'une
rayonnant autour de la formulation initiale, l'autre autour de la reformulation. C'est-à-dire constitue par sa
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présence une indication, en quelque sorte un fléchage interprétatif : « Il s'agit bien dans tous les cas pour un
interlocuteur de s'assurer que l'autre prendra un segment de discours comme lui l'entend, ou plutôt, eu égard
au caractère autoritaire de ces formules : comme il faut le prendre » (Murat 1987 : 2). C'est-à-dire est porteur
d'indications de lecture allant en ce sens, il force l'interprétation, oriente la restauration des informations
implicites et consolide les liens sémantiques existants et fragiles : il contribue ainsi à fournir une aide
précieuse dans la structuration de la reformulation suivant les balises placées par le locuteur.
L'approche sémantico-discursive de la sémantique des possibles argumentatifs avancée par Olga Galatanu fait
partie de celles qui, si on ne restreint pas son champ d'application au lexique, ouvrent grand les possibilités
d'une analyse du discours qui ne néglige pas l’ancrage énonciatif. L'espace constitué par le déploiement des
prototypes et celui des possibles argumentatifs rendent possible la création sous l'impulsion de c'est-à-dire
d'une relation dont le corollaire immédiat est l'existence de cet invariant, caractéristique de la reformulation.
Cette relation, une fois établie, se base sur la conservation de cet invariant ; mais la nature de celui-ci n'en est
pas précisée, tout comme la proportion du différentiel introduit : il paraît dès lors tout à fait réaliste
d’envisager une reformulation qui serait basée sur une absence de liens, où ils se verraient à recréer. Combler
et restaurer ces espaces de sens commun supposé permet au locuteur de rendre possible des ponts entre eux :
les sphères topiques et le sens commun, et de la formulation, et de la reformulation, peuvent alors se voir
mises en relation. Sans ces points de contact, l'utilisation de c'est-à-dire serait invalidée, la cohérence
incertaine et la cohésion en danger. Le sens commun, acquis ou hérité plus qu'expliqué, trouve sa source chez
le locuteur par l'articulation sémantiquement possible des prototypes de la formulation initiale et de sa
reformulation. Nous sommes bien dans le cas d'une construction discursive qui use « d'associations
15
argumentatives, des DA
non-conformistes, dépendants du contexte […] », intimement liées en discours à
des « enchaînements et des argumentations, ancrées culturellement […], ou carrément inédites,
contextuellement justifiées, exerce une pression sur la signification des mots qui se charge ou se décharge de
valeurs et d'associations de représentations nouvelles et différentes d'une culture à l'autre » (Galatanu, 2008).
La mise en relation de topoï et l'ouverture du phénomène reformulatif à une approche énonciative doit être
associée à une prise en compte, non pas des conditions de productions, mais bien des « ressources
interprétatives situées en leur sein ». Déplacer la question des conditions de productions à celle des traces
qu'elles laissent rend possible par une approche discursive leur étude et leur analyse. Le texte devient le
théâtre des phénomènes observables dans le cadre d'une sémantique textuelle. Ces topoï, « outils de
description du sens en discours, doivent être rapportées aux dynamiques de constitution qui en sont à
16
l'origine » (Longhi 2008 : 15-16), sont sous-tendus par la doxa
et par un sens commun garant d'un fort
potentiel reformulatif. Aux frontières malléables du sens se voient accolées celles, non moins souples, de
l'invariant sémantique. Souvent considéré comme le fondement du phénomène, il implique son corollaire
immédiat, le différentiel introduit par et dans la reformulation. Les topoï inhérents à la formulation initiale et à
sa reformulation, en adéquation au sens commun sous-tendant les échanges langagiers, créent ainsi un creuset
sémantique au sein duquel sont à trouver les clefs de la reformulation, celles-là même donnant accès au point
névralgique d'une articulation par ailleurs discrète.
Ce point central, véritable cheville ouvrière de la reformulation, rend possible un regard sur le chemin balisé
par le locuteur, ce parcours sémantique et argumentatif qu'il offre pour être celui à suivre, selon un fléchage et
des indications objectives ou objectivisées. Trouver une porte d'entrée sur ce parcours, c'est rendre possible un
accès au sens voulu ; l'analyser d'un point de vue sémantique, c'est le concrétiser en s'y engageant.
La communication politique, contrainte de s'adapter au (é-)lecteur, ne peut ignorer ses modes de
fonctionnement, aussi individuels et conjoncturels soient-ils. Les canaux médiatiques surchargés, voire
saturés, imposent par ailleurs la nécessité d'une réussite quasi immédiate : il faut convaincre, ne serait-ce que
de son sérieux. Expliquer et faire preuve de transparence et de compréhension sont deux aspects qui incitent à
ressentir une stabilité protectrice salutaire. Dans cette perspective prime, plus que l'authenticité des propos, le
ressenti et l'impression laissés. Le discours politique n'est plus tant là pour expliquer et s'expliquer que pour
marquer les esprits, investir les mémoires, pour récolter de futurs points : l'objectif n'est pas significatif et
qualitatif, mais quantitatif et symbolique, voire indiciel. Les mots de la communication en politique jouent en
définitive le rôle nécessaire d'interface entre deux mondes : l'importance de ceux assurant la stabilisation et la
crédibilité du discours est grande ; c'est-à-dire est de ceux-là.
17
Il est à noter que, bien que viepublique existe toujours, l'Elysée s'est depuis peu dotée d'un nouveau site
offrant un large éventail d'informations, dont les enregistrements de données audio, telles que des discours ou
des interviews, qui seront disponibles en version audiophonique, et permettront de plus fidèles transcriptions,
tout en offrant de nouvelles perspectives à l'Analyse du Discours.
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linguistiques, stratégies énonciatives, Coll. Rivages, Presses Universitaires de Rennes.
Notes de bas de page
1
URL : http://www.viepublique.fr
2 L'autoreformulation est la reformulation résultat du contrôle d'un locuteur sur son propre discours, la reformulation est
interne à la locution. L'hétéroreformulation est celle effectuée sur un discours par quelqu'un d'autre que son émetteur, et
résulte de l'interlocution.
3
Que ce récepteur soit présent physiquement ou non.
4
Nous attirons l’attention sur le fossé séparant le codage langagier de l’émetteur et l’interprétation langagière du
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récepteur. La communication est la mise en contact de ces deux communiquants, ce contact s’établissant en mots.
5
De nombreuses publications récentes en témoignent.
6 Nous attirons l'attention sur une erreur à ne pas commettre. En effet, dire que le vocabulaire de l'apprenant n'est pas
augmenté suppose un préjugé difficile à tenir : il suppose qu'il soit possible de savoir exactement ce que l'autre sait d'une
sait, et ce qu'il intègre d'autre part, ce qui nous paraît bien présomptueux.
7 Exemple construit illustrant le cas d’une reformulation recourant à : 1) un dérivé lexical : « la grenouille ouvrit une
large bouche… c’est-à-dire qu’elle ouvrit la bouche largement. » 2) un synonyme : « la grenouille glissa… enfin, elle
dérapa. » 3) une paraphrase : « la grenouille glissa et tomba, c'est-à-dire que sa patte s’envola et qu’elle atterrit sur le
postérieur. »
8
Notre corpus ne contient de reformulation articulant à proprement parler des synonymes.
9 L’interview cristallise une rencontre entre le monde politique, représenté par la personne interviewée, et les citoyens
qui n’en font pas partie, à entendre par la voix du journaliste.
10
Ceci est vrai pour les enfants scolarisés comme pour les apprenants de tous âges.
11 L'affirmation de l'existence d'un invariant sémantique qui serait le fondement de la reformulation n'est pas la position
adoptée par d'autres : pour Fuchs et Steuckart, l'état de chose visée conduirait à une identité alors référentielle ; pour Gülich
et Kotschi elle serait sémantique.
12
Nous ne tenons pas compte du fait que la syntaxe, orale, est peu claire, du moins à l'écrit.
13
En gras dans le texte de Vassiliadou.
14
L'armée évoque spontanément plus les hommes de terrain que les personnels administratifs.
15 DA : « déploiements discursifs qui sont les séquences argumentatives réalisées par les occurrences discursives »
(Galatanu : 2008).
16 Longhi (2008 : 17) définit la doxa comme une « délimitation d'une partie du sens commun, comme telle dotée de son
dispositif de topoï spécifiques ».
17
URL : www.elysee.fr
Pour citer cet article
DELARUE Christelle. C’est-à-dire et la reformulation comme mise en équivalence. Signes, Discours et
Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5 juillet 2010.
Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1745. ISSN 1308-8378.
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Article
Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à
l'Ile Maurice
Julie PEGHINI, Chercheuse, CEMTI (Centre d’études sur les médias, les technologies et
l’internalisation) et Équipe « Océan Indien » du CEIAS (Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud),
Directrice déléguée aux programmes du Bureau Océan indien de l’Agence universitaire de la
Francophonie à Antananarivo, Madagascar
Date de publication : 5 juillet 2010
Résumé
L'idéal qui a donné forme et continuité au principe et modèle de gestion des différences à Maurice, l’« unité
dans la diversité », sur lequel l'appartenance nationale se construit, est devenue un poncif bâti par les discours
politiques, dans une volonté affichée de présenter Maurice dans sa diversité paisible. Cette volonté doit être
régulièrement réaffirmée puisque l’unité et l’harmonie prônées ne vont pas de soi dans un contexte
communautariste, où les dérapages ethnocentristes et les discours sectaires ne sont pas rares. Pour comprendre
le hiatus entre l’image de l’île Maurice à l’extérieur comme un espace national pacifié et la situation à
l’intérieur, où les autorités politiques agitent constamment le spectre des divisions, cet article s'attache aux
discours politiques et met en lumière deux tendances contradictoires mais complémentaires sur lesquelles ils
s'appuient : la tendance intégrative et la tendance divisionniste.
Abstract
The ideal that has given shape and continuity to the principle and the model of management of differences,
"unity in diversity" in Mauritius, on which national belonging is built, has become a cliché formed by political
discourses in an overt willingness to exhibit Mauritius in its peaceful diversity. This willingness must be
reaffirmed regularly since the advocated unity and harmony cannot be taken for granted in a communal context
where ethnocentric slips and sectarian speeches are not uncommon. In order to understand the gap between the
image of the island as a pacified national space and the internal situation in which political authorities
constantly stir the spectrum of divisions, this paper is interested in political discourses and highlight two
contradictory but complementary trends on which they are based: the integrative trend and the divisive trend.
Table des matières
INTRODUCTION
I. COMMUNICATION POLITIQUE ET COMMUNALISME
II. DISCOURS SECTAIRES ET NOUBANNISME : « NOUBANN EK BANNLA »
III. PRÉSERVER L’IMAGE MULTICULTURELLE POUR L’EXTÉRIEUR
CONCLUSION
Texte intégral
INTRODUCTION
Si la présentation de Maurice dans sa diversité paisible est devenue un poncif bâti par les autorités politiques,
cette insistance sur l’unité de la nation semble trop prégnante dans les discours politiques pour ne pas
dissimuler une réalité plus complexe.
Le modèle de gestion des différences, qui s’est mis en place à Maurice avec l’Indépendance, en 1968, est la
résultante d’une tension initiale issue du processus de construction nationale à partir des années 1930 : d’un
côté l’idéal assimilationniste, à tendance francophile, d’une « nation unie des communautés », de l’autre
l'idéal de « l’unité dans la diversité » , inspiré par le modèle indien, qui favorise la préservation des
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particularismes culturels et des pratiques de nature ethnico-religieuse. Au début des années 1980, le
Mouvement Militant Mauricien (MMM), mouvement révolutionnaire puis parti d’opposition au Parti
Travailliste – celui au pouvoir à partir de l'Indépendance –, a défendu un modèle unitaire. Il a lancé un slogan
nationaliste et militant, « enn sel lepep enn sel nasyon » (« un seul peuple, une seule nation ») et une
plateforme de justice sociale qu’il opposait au libéralisme économique pratiqué par le pouvoir en place. Mais
la construction par ce mouvement d’un certain vivre-ensemble – c'est-à-dire d'un espace commun dans le
contexte d'une histoire et de valeurs partagées et de règles juridiques assumées – le « mauricianisme », n’a pas
abouti dans sa dimension politique et idéologique. La très brève accession au pouvoir du MMM (1982-83)
soldera l'échec du mauricianisme et l'abandon de cet idéal national par ce parti.
Ce qui prévaut, en particulier depuis 1983, c'est le modèle de « l'unité dans la diversité », quelques aient été
les gouvernements et alliances politiques au pouvoir. Il encourage la diffusion de logiques particularistes, la
proclamation des identités religieuses et linguistiques, favorisant le maintien et la réinvention des
appartenances communautaires. La viabilité politique suppose des règles susceptibles de régir les relations
intercommunautaires sur les plans de l’accès et de l’exercice du pouvoir. Certains auteurs en sciences
politiques qualifient d'ailleurs le régime mauricien de démocratie consociative, notamment Catherine Boudet
(Boudet 2004 : 26) 1 . Elle a fait de cette notion un concept opératoire d’une lecture politique de la société
mauricienne. Il est vrai que ce qui est constant dans cette société est le modèle associatif de négociation
permanente entre les partis. Pris à la lettre, le terme de « consociation », au sens strict des politologues comme
Lijphart, s’attache plus volontiers à la forme qu’au contenu du politique. Nous nous accordons avec Catherine
Boudet pour dire que le modèle « consociatif », proposé par Lijphart, décrit bien les phases d’une forme
d’intégration politique, même s'il ne s’attache qu’à cela, la forme du politique, sans forcément en éclairer le
contenu. Le fonctionnement politique mauricien organise la « coexistence » des communautés. Et le modèle
pluraliste donne ainsi l’image d’un jeu à somme nulle, où les gains d’une communauté sont toujours obtenus
aux dépens d’une autre (Constant 2000 :121). Il en résulte une situation de coexistence pacifique (Simon 2006
: 340). Et cette recherche constante d’équilibre a donné sa forme particulière à la mosaïque mauricienne,
exprimée sous le mode du « consensus négatif » (Carpooran 2008 : 28). Il s'agit d'un consensus car il relève
de principes inculqués aux Mauriciens dès l'enfance, et il est négatif car il privilégie le détour à la voie
frontale (Arno et Orian 1986 : 91). Ce consensus négatif semble à la base de la relative harmonie
intercommunautaire à Maurice.
Au niveau des discours politiques, ce consensus négatif s'articule à travers deux tendances complémentaires et
contradictoires : la tendance intégrative et la tendance divisionniste. Le jeu politique qui consiste à mettre au
centre des discours l'unité, notamment pour préserver l'image de Maurice comme société multiculturelle
paisible, pérennise une représentation divisionniste plutôt qu’il ne la mine, en brandissant en permanence le
mal que représente la « division ». Dans le même temps, ce jeu politique duel contribue à figer la situation
telle qu’elle est, puisque la représentation intégrative a besoin de son opposé, les discours communalistes ou
noubannistes (par référence au nous du groupe), dont elle se nourrit pour se légitimer.
I. COMMUNICATION POLITIQUE ET COMMUNALISME
Un des faits saillants du modèle de l’unité dans la diversité est que le communalisme en est partie intégrante.
Le communalisme à Maurice désigne l'utilisation de leurs pouvoirs par les politiciens pour favoriser les
membres de leurs communautés, au détriment des autres communautés. Par extension, il désigne tout propos,
action ou individu (qualifié de communaliste) qui favorise sa communauté au détriment des autres. Il marque
de son empreinte le modèle jusqu’à ce jour, puisqu’il lui est consubstantiel. Deux mécanismes de reproduction
2
3
du communalisme existent, le système du « Best Loser » et la représentation communautaire . Depuis
l’indépendance, les réalités politiques et les pratiques institutionnelles sont légitimées autour de la
représentation communautaire, avec notamment une représentation en termes de majorité et de minorités.
La constante est que le communaliste, ce n’est jamais soi-même, mais l’autre, dénonciation qui s’opère dans
un contexte où le politique est toujours en lien direct avec la composition de la population, où chaque
événement est traité dans une perspective politique. Dans ce sens, le discours politique est particulièrement
sensible au traitement des questions socioculturelles et le locuteur doit s’adapter à chaque public, à chaque
type d’événement. L’histoire (les événements du passé réinterprétés socialement et politiquement) et les
différences culturelles sont alors utilisées à des fins politiques. Sont convoquées dans les discours des
propriétés vécues comme caractéristiques du « nous » et qui permettent en général de s’opposer à « eux », aux
autres. Ces discours politiques mobilisent les propriétés de l’autre en contexte, c’est-à-dire par l’emploi de
références religieuses, culturelles, linguistiques, de catégories socioprofessionnelles, de références à des lieux
propres à telle ou telle communauté. De ce fait, toute bataille électorale prend une dimension symbolique
considérable. L’enjeu est saisi à travers le prisme du contrôle symbolique de l’appareil d'État, de la
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conservation ou de la mise en question d’un pouvoir symbolique. « Être à la tête du pays » est vécu comme
réalité collective du « nous » restreint. La manière de faire de la politique depuis l’Indépendance est en
relation étroite avec la manière de procéder aux « bonnes alliances » électorales entre les différents partis,
perçus comme représentatifs des différentes communautés. Même si la plupart des partis politiques ne sont
pas explicitement de type « communal » (représentant une communauté spécifique), ils sont identifiés de
manière conventionnelle comme étant proches soit des populations urbaines (plutôt créoles), soit des
populations rurales (majoritairement hindoues). Cette identification peut se fonder notamment sur les
filiations passées, dans le cadre de dynasties politiques, ou bien sur les discours et les pratiques à l’égard
d’une communauté.
La répartition communautaire des électeurs est cruciale pour une consultation démocratique. Sachant que le
paysage politique mauricien est composé de la manière suivante :
le Parti Travailliste et le Mouvement Socialiste Mauricien (MSM) sont en concurrence pour obtenir le
vote des Indo-Mauriciens ;
le Mouvement Militant Mauricien (MMM) et le Parti Mauricien Social Démocrate (PMSD) se
partagent les voix de la « population générale » ;
la majorité des musulmans ont longtemps voté pour le MMM, bien que depuis 2005, ceux-ci ont opéré
un basculement vers le Parti Travailliste, lequel a obtenu un fort pourcentage de voix de cette
communauté.
Un enquêté, intellectuel franco-mauricien, fin analyste de ce qu’il appelle le « système politique » mauricien,
le décrit ainsi lors d'un entretien, en parlant de la dernière campagne électorale de 2005, qui a été, selon ses
dires et les dires de nombre de mes interlocuteurs mauriciens, très communaliste :
Quand je lisais des livres politiques, on disait toujours qu’il y avait deux mouvements en politique, la division
pendant la campagne électorale et puis l’intégration. Mais à Maurice, il n’y a pas eu cela. Depuis l’indépendance,
il y a eu la division, qui aurait du être suivie par l’intégration, c'est-à-dire que les travaillistes ont gagné, on a
divisé, on a excité une communauté contre l’autre, on a divisé les gens en castes, une caste contre l’autre, ça fait
partie on pourrait dire du système politique mais il n’y a pas eu d’intégration, on a continué à diviser. Depuis lors,
on continue la campagne électorale une fois celle-ci terminée. On dirait qu’on a intérêt à garder les communautés
séparées. On n’a pas du tout l’impression qu’il y a une volonté d’intégration alors que finalement je crois que
chaque citoyen mauricien devrait se sentir faire partie de la nation mauricienne. Mais on essaie de les diviser, de
façon à ce que ne naisse pas ce sentiment commun d’appartenance à une nation […]. Je ne pense pas qu’il y a
sur le plan politique un peu du socialisme ambiant. Je pense que hélas les réalités sont plutôt communautaires.
Le discours de cet enquêté 4 rend compte que le fait politique à Maurice depuis l’indépendance est porteur de
préoccupations essentiellement communautaires. Si tous les hommes politiques prônent la coexistence et
l’harmonie entre les communautés, tous s'appuient aussi sur les clivages communautaires, qu'ils mobilisent en
particulier au moment des élections. Ces deux tendances des discours politiques, la dimension intégrative et la
dimension divisionniste, ne peuvent être isolées l’une de l’autre. Les deux tendances se nourrissent d’ailleurs
à la même source : celle de la reconnaissance des communautés en tant qu’entités spécifiques et de la
compétition politique qu’elle entraîne, avec en arrière-plan, des préoccupations de représentativité au sein de
l’Assemblée nationale.
La première tendance, la coexistence et l’harmonie entre les communautés, est perçue comme positive. Elle
tend à réaliser une « communauté politique » d’adhésion à des pratiques et des valeurs communes de la part
de l’ensemble des composantes du pays. Elle s’inscrit dans une construction continue du consensus entre les
différentes communautés, à travers le déploiement d’une diversité d’actions et de discours visant à l’unité
nationale.
La seconde tendance, divisionniste, privilégie le communalisme, à travers des pratiques discursives et des
actes qui tendent à promouvoir une communauté spécifique aux dépens des autres. Le communalisme est
perçu négativement, comme relevant de principes inappropriés moralement pour le tissu social. Il convient de
préciser que cette perception n’a de sens que dans le cadre de la tendance intégrative. Celle-ci part de la
perception communautaire et l’organise en termes d’équilibre de traitement des communautés, composant
tous ensemble l’unité nationale. Dans ce modèle, la marge d’action du jeu politique tourne autour de
l’équilibre dont il s’agit de montrer qu’il est respecté ou bafoué.
II. DISCOURS SECTAIRES ET NOUBANNISME : « NOUBANN EK BANNLA »
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Ce concept (du syntagme créole « nou bann » signifiant littéralement « notre bande ») renvoie dans le
contexte discursif mauricien à « notre groupe ». L’expression suppose une « famille » unique et une
appartenance communale exclusive. Selon le linguiste Arnaud Carpooran, le noubannisme est un phénomène
des années 90 qui se distingue « des mécanismes de repli ethno-identitaire classiques par son caractère
ostensible, sa capacité à s'afficher et l'absence de pudeur qui paraît caractériser son expression. » (Carpooran
2008 : 47). Un journaliste, Jean-Claude Antoine, a inventé cette expression pour qualifier :
[...] un réflexe simple, pour ne pas dire primaire. Il suffit qu'un membre d'une communauté, occupant des
fonctions importantes de préférence soit contesté, mis en examen ou renvoyé pour qu'éclate la nouvelle tumeur.
Aux menaces faites de vive voix par des représentants de sociétés représentatives, ou s'affirmant comme telles,
succèdent les affiches. Qui véhiculent tous le même message : « pas touche nou bann [ne touchez pas à notre
groupe] et adressé aussi bien aux « nous » qu'aux « bann-là. »
5
Le politique rassure, par ce type de discours, la cohésion des communautés, en prônant la sauvegarde des
intérêts communautaires, et attendent en retour un appui électoral au nom de cette appartenance commune. En
même temps, l’équilibre entre les communautés s’appuie sur la crainte de l'hégémonie des autres groupes et
cette peur a pour résultat de resserrer la population derrière les formations politiques. Lorsque des discours
tenus par des politiques, de type sectaires, communalistes ou noubannistes, sont tenus, le public est restreint,
ciblé et représentatif d’un « nous » - c’est-à-dire la communauté d’appartenance. Ils le sont dans les lieux
privés ou semi-publics. A savoir les rencontres non officielles ou les réunions avec des publics restreints,
ciblés et homogènes, comme dans les lieux de culte. En effet, à Maurice, il n’y a pas de distinction entre le
politique d’un côté et les institutions religieuses de l’autre. C’est ce qu’explique V. Ramharaï :
Certains syndicalistes en profitent pour demander qu’il n’y ait pas de cours à la veille des fêtes religieuses
hindoues (la Maha Shivaratree par exemple ou le vendredi après-midi pour les Musulmans) dans certaines
institutions d’enseignement supérieur. Le fait de céder à la pression de différents groupes ethno-religieux pour
que la religion entre dans le service public témoigne d’un aspect pernicieux de la relation entre l’État, les groupes
ethniques et la religion. Au lieu de tenir à égale distance toutes les confessions, l’État les reçoit toutes, participe à
toutes leurs activités et accède à toutes leurs requêtes. Par ce biais, l’État cherche à démontrer qu’il n’est pas
contre les religions, qu’il n’en favorise aucune, qu’il les met toutes sur un pied d’égalité.
6
Cette indistinction entre le politique et les institutions religieuses ne va pas de soi pour bon nombre des
enquêtés et – comme il est possible de le lire dans la presse, dans les forums ou sur Internet – ne va pas de soi
pour bon nombre de Mauriciens en général. Il y a un rôle instrumental des associations socioculturelles, qui
servent aux politiques à prôner la division. Ces associations socio-culturelles sont, tel le mot communalisme,
des spécificités du système politique mauricien. Elles sont financées par l’État, directement au niveau du
cabinet du Premier Ministre, qui gère ce fond. Elles sont regroupées en treize grandes fédérations retraçant les
clivages religieux, à l’intérieur desquelles sont présentes de multiples associations (plus d’une centaine). Les
stratégies des fédérations nationales passent par ces associations, notamment au moment des élections. Ces
associations sont toutes administrées comme des conseils d’administration, des SARL, ce qui crée une
certaine unité et fonctionnent toutes sur le même mode. Ce sont des instances qui enregistrent les processus de
séparation, notamment au sein de la société indo-mauricienne organisée de façon segmentaire. Ce processus
d’imitation et de concurrence entre les associations peut dans un premier temps être perçu comme un facteur
de dynamisme dans la société. Mais le lien avec le politique nuit à ce dynamisme 7 . Il existe une dépendance
totale de la classe politique à l’égard des associations. Cette dépendance se traduit par la présence des hommes
politiques dans les manifestations religieuses organisées par les associations. La présence de l’homme
politique dans ces lieux devient pour l’institution religieuse le gage d’un soutien souvent matériel comme les
subventions. Pour l'homme politique, ce soutien est gage d'un soutien futur pendant la période électorale.
C’est dans cette dépendance mutuelle du monde politique et religieux que l’on peut cerner les relations de
type communalistes et noubannistes.
Le discours noubanniste est décrit de la manière suivante par un journaliste :
Les politiciens, comme cela se produit beaucoup souvent, formatent leurs discours selon le segment particulier de
la population à laquelle ils s’adressent. A travers les divisions des partis, les politiciens ont l’habitude de faire des
déclarations qui ne sont pas à leur place et hors de contexte. Ils détournent les situations et prennent le public en
otage. Les règles de la communication sont enfreintes. Et lorsque les dirigeants des organisations socioculturelles
et socioreligieuses, à leur tour, descendent dans l’arène pour le butin, les mécanismes de la politique de
reconnaissance sont invariablement activés. Les étiquettes commencent à prospérer et à se multiplier. Les
frontières entre les domaines privés et publics deviennent floues.
8
La situation à laquelle il est notamment ici fait allusion est la suivante : devant des hindous lors d’une
cérémonie religieuse, à Union Park, mi septembre 2007, donc devant un public acquis a priori à des propos de
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type communaliste, en présence de journalistes, le Premier Ministre Navin Ramgoolam utilise l'expression
« nous bann » et traite les Franco-Mauriciens de « dinosaures ». La presse se fait le relais de ces propos
politiques, sur le mode du dérapage et l'accuse de communalisme. Le débat public s’enflamme : dans un
journal en ligne, Le Cernéen, organe communautaire où s'expriment les Franco-Mauriciens, l’île Maurice est
comparée au Zimbabwe, Ramgoolam à Mugabe, rapprochements qui engendrent des discours victimaires
dans la communauté franco-mauricienne. La contre-attaque du Premier Ministre ne se fait pas attendre : après
l'incident qu'il a provoqué, il choisit, dans une nouvelle cérémonie, de se dire « révolté » par le
communalisme 9 ; le choix de la cérémonie n’est pas vain, il s’agit d’une commémoration de son père,
personnage-clé de l'Indépendance, appelé « le Père de la Nation ». Et le Premier Ministre de raconter plusieurs
anecdotes retraçant sa vie pour démontrer que sa famille et lui-même ne sont pas communalistes.
Il apparaît, à partir de cette stratégie de défense, que le communalisme est une accusation qui, si elle réussit à
porter, a pour effet de « discréditer » politiquement l’acteur politique dans le débat. Si le communalisme est
une notion-clé qui assure la régulation globale du système, l’accusation potentielle est systématiquement
anticipée, sinon déniée, comme on le voit dans le cas cité.
III. PRÉSERVER L’IMAGE MULTICULTURELLE POUR L’EXTÉRIEUR
Dans le cadre de discours publics, produits dans les lieux institutionnels (à l’Assemblée Nationale, aux
Conseils de districts, aux Conseils municipaux, dans les médias, dans les cérémonies officielles, dans les
meetings), tous les hommes politiques martèlent, sous différentes formes, les mêmes messages : celui de
l'unité qui donne de la force à la nation et permet la prospérité économique. Ainsi ce message du Président à la
Nation, pour le 37ème anniversaire de l’Indépendance :
Au chapitre de l'unité nationale, Sir Anerood Jugnauth, s'est dit convaincu que sans l'unité, il n'y a pas de progrès,
pas de développement ni de prospérité. Il a lancé un appel à la population pour que chaque Mauricien s’engage à
défendre et promouvoir l'unité nationale. Le président de la République a rappelé à chaque Mauricien son devoir
vis-à-vis de la patrie. Pour conclure son message, sir Anerood Jugnauth a déclaré: « C'est l'unité qui nous donne
la force, c'est l'unité qui garantit la paix et l'harmonie. C'est l'unité qui amène progrès. »
10
Les discours de type unitaires prédominent et sont étayés de slogans construits pour inciter à une adhésion
commune et au rassemblement patriotique, de type « c’est l’unité qui donne la force ». Nous pouvons aussi
citer des images types souvent entendues ou lues à Maurice comme « le pays avant tout », « la nation
arc-en-ciel » et d’autres thèmes incitant à l’adhésion, à l’unité et à l’égalité. L’image de l’arc-en-ciel ou de la
nation arc-en-ciel, fréquemment utilisée, est tout à fait significative. La vision de l’arc-en-ciel repose sur
l’affirmation que chaque communauté représente une couleur du prisme et que, comme les couleurs de l’arcen-ciel, elle forme des compartiments distincts d’une entité plus large. Plus précisément, l’arc-en-ciel apporte
une image d’harmonie parce que ses compartiments demeurent distincts. Il véhicule donc dans le même temps
l’image d’une nation harmonieuse et l’image de communautés distinctes.
Un document « Vision 2020 : The National Long-Term Perspective Study » nous paraît particulièrement
révélateur de l’énonciation de la tendance intégrative. Écrit en 2000 par le Ministre de la planification
économique et du développement, dans la perspective de l’île Maurice en 2020, ce rapport se donne pour
objectif de « réunir la population autour de la vision de Maurice 2020 et gagner son appui pour traduire cette
vision dans la réalité » 11 .
Pour atteindre ce but, il est nécessaire que la population de Maurice soit « unifiée ». La vision unitaire à
laquelle il s’agit de rallier la population s’articule autour de trois points : consolider la cohésion sociale,
renforcer l’harmonie et faire de la diversité une force.
Cohésion sociale : Maurice a gagné une réputation mondiale d’être un pays exceptionnellement diversifié et
remarquablement harmonieux en même temps. Cette cohésion sociale est fondée sur une série de valeurs et
d’arrangements institutionnels qui assurent que chaque individu est accepté et que personne n’est rejeté ou exclu.
Harmonie sociale : les valeurs traditionnelles de la tolérance et le respect mutuel pour d’autres communautés, les
cultures et les religions, les droits égaux pour tous sans tenir compte de ces différences, sont à l’origine de
l’harmonie sociale dans le passé. Ce sera aussi important pour la cohésion sociale du futur qu’elle l’a été
autrefois.
Faire de la diversité une force : les Mauriciens s’entendent bien avec les touristes puisqu’ils s’entendent bien
entre eux. Cela est basé sur la persistance de nos valeurs traditionnelles de la tolérance et le respect mutuel dans
les différentes communautés, cultures et religions – maintenant étendues pour couvrir les différences entre
femmes et hommes ainsi que jeunes et âgés.
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« Vision 2020 » présente un type de discours commun aux hommes politiques, qui demandent à la population
de contrôler ses tendances à la division et d’aller vers l’unité nationale dans le respect de la diversité. Ceci est
en général présenté sous l’angle de l’intérêt de l’État, de la modernisation et des changements sociaux. Des
travaux ont montré comment, dans différents contextes, des transformations liées à la libéralisation des
échanges de biens, à la diffusion transnationale des médias ou à l’amélioration des moyens de communication,
contribuaient à l’émergence de nouveaux styles de vie. Les dynamiques néolibérales, impliquant des
changements des modes de consommation et du marché du travail, entraînent à Maurice comme ailleurs la
recomposition des groupes sociaux et de leurs frontières. Le lexique ici utilisé dans « Vision 2020 » pour
parler de la cohésion sociale du futur emprunte largement aux thèses développementalistes et sur l'innovation,
mais il ne tient pas compte du conflit entre mémoire et énonciation pour décrire ce cadre idéal de
« développement ».
S'agissant de l’unification, le pouvoir d’unification exercé par la situation insulaire de Maurice, préexistant à
tout discours, n’est-il pas symboliquement brigué par le discours politique ? Jean Benoist souligne dans son
étude « L’insularité comme dimension du fait social » (Benoist 1987 : 37-39) que l’insularité n’a pas en soi de
sens sociologique et ne possède pas de traits qui lui confèreraient une spécificité, car la barrière insulaire n’est
que l’un des nombreux mécanismes d’isolement. En revanche, en regroupant ce que les autres barrières
sociologiques séparent, elle contraint par sa dimension et son caractère matériel à l’élaboration de relations
sociales qui lui sont propres et qui puisent leurs sources dans les contraintes qu’elle fait subir à la société.
Autrement dit, celui qui endossera la « puissance d’unification » se substituera au symbole de l’île elle-même,
dans un basculement topique validé collectivement. Celui qui, par son discours politique, persuade qu’il
unifie, obtiendrait le même statut symbolique dans l’inconscient collectif que celui de l’île, terre surgie de
l’eau. La notion de « communauté » étant une illusion sociétale dégagée du réel, une illusion collective, elle
s’illustre à la fois comme « ce qui est le pouvoir » à Maurice et « ce qui est Maurice : l’île ». Le jeu
symbolique, dont le champ d’action politique serait l’inconscient collectif même, constitue ainsi la source du
discours politique mauricien. Tout se passe donc comme si le peuple mauricien était à la disposition de tous,
dans une situation de passivité assumée. L’instance active est incarnée par « les autres », par exemple les
touristes dans « Vision 2020 ». Les hommes politiques montrent qu’ils veulent « réunir » les Mauriciens. Ces
notions complexes d’union, de réunion, de rassemblement (déclinées à loisir) apparaissent comme un
mouvement central conduisant au nœud problématique et politico-social de Maurice : la grande infantilisation
du peuple mauricien par tous ses politiques, se présentant comme agents de cette unification. Comme si
l’unification active – que le peuple mauricien s’unisse lui-même – ne correspondait à aucune réalité sociale.
Quelle est en effet la place consentie à la revendication active, lorsqu'elle est présentée, dans un rapport
comme « Vision 2020 », du point de vue univoque du gouvernement ou de la satisfaction des entreprises
privées ?
En mettant l’accent et en encourageant les groupes institués à être solidaires, à s’unir, « Vision 2020 » exprime
aussi en creux la possibilité du contraire. La volonté de discipline relevée plus haut se situe notamment dans
ce qui peut être ou non dévoilé à l’étranger. Les hommes politiques martèlent que le marché et les
investissements étrangers, outils du développement national, ont besoin d’être rassurés, que les structures
politiques et le système social du pays sont et resteront stables.
Il est ainsi posé comme acquis par le discours politique que le sujet mauricien n’agit pas en direction de
l’unification culturelle ou politique. Il nous apparaît impossible et faux de définir le sujet mauricien de cette
façon. A partir de la notion de « discipline », utilisée notamment par Foucault, le discours tenu dans « Vision
2020 » est aussi révélateur d'une forme de contrôle social 13 . Foucault fait remonter l’imposition du « pouvoir
de la Norme » au XVIIe siècle, à l’origine des techniques disciplinaires actuelles de la santé, de l’éducation ou
de l'économie. Ces techniques « tendent à substituer aux marques qui traduisaient des statuts, des privilèges,
des appartenances […] un jeu de degrés de normalité qui sont des signes d’appartenance à un corps social
homogène. » 14
Pour réussir dans le futur, le Gouvernement de Maurice dit qu'il est nécessaire pour la population de Maurice
d’être unie, ce qui appelle à une certaine discipline. Comme le dit Foucault :
La discipline n’a jamais plus importante ou plus valorisée qu’au moment où elle est devenue plus importante
pour diriger une population ; diriger une population ne concerne pas seulement la masse collective de
phénomènes, le niveau de ses effets globaux, cela implique aussi la direction de la population dans sa profondeur
et ses détails.
15
« Vision 2020 » tente de discipliner la population pour lui demander de continuer à lutter contre des tendances
à la division, dans l’intérêt de l’État et de son développement. Cela introduit une forme de censure d’État et de
culture du secret, contraires à la liberté d'expression, puisque les conflits ne doivent pas être exposés à
l’étranger pour favoriser les intérêts politiques et économiques du pays. Ainsi, trouve-t-on dans « Vision
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2020 » cette affirmation : « Les Mauriciens s’entendent bien avec les touristes puisqu’ils s’entendent bien
entre eux. »
16
La possibilité même de la division est déniée dans l’intérêt politique et économique du pays. L’affaire de
l’Azaan en mai 2006 est un exemple de cette censure et du contrôle social. Il s'agit d'une plainte déposée en
justice contre l'utilisation de haut-parleurs par une mosquée de Quatre-Bornes pour diffuser l’appel à la prière.
Le verdict du Juge Paul Lam Shang Leen a condamné la mosquée, ce qui a suscité une très vive contestation
et des manifestations de la communauté musulmane, en particulier des leaders des associations religieuses, qui
se disaient victimes de racisme. Le Premier Ministre a dû intervenir, intervention qui valait un désaveu du
principe des lois et du judiciaire. S'en est suivie une négociation avec les Maulanahs pour trouver un
consensus. Finalement la mosquée est restée sonorisée mais a dû baisser en décibels, pour respecter la loi, le
Noise Pollution Act. Durant cette affaire, une jeune mauricienne qui se dit guide touristique nous raconte que
sa direction lui a donné la consigne de ne pas parler de ce conflit aux touristes, pour ne pas ternir l'image de la
coexistence des religions à Maurice. Si les touristes lui demandent ce que sont ces tracts, collés massivement
dans toute l'île pendant une semaine, elle doit répondre qu’il s’agit de dessins faits pour embellir les villes et
villages. Cet exemple illustre bien la censure et la culture du secret qui pèsent à Maurice, qui cherche avant
tout à préserver l'image d'une nation multiculturelle harmonieuse et à valoriser les intérêts économiques du
pays.
CONCLUSION
Le fait politique s’appuie à Maurice sur la coexistence d’idéologies contradictoires mais complémentaires :
idéologies de distinction/division entre les communautés et de reconnaissance/égalité. À chaque occasion,
l’acteur politique réitère cette reconnaissance des communautés et précise la place de chacune d’elles dans la
société mauricienne, insistant en général sur le communalisme des autres. L'unité mise en avant dans les
discours des politiques y est surtout une question de convention communiquée explicitement, tandis que le
communalisme « n’est pas comme il faut » en certaines circonstances mais prôné en d'autres. Les discours
sectaires, fréquents, ne sont pourtant pas revendiqués dans le contexte mauricien. Le jeu de la parole politique
dans les espaces publics conduit plutôt à glorifier, en apparence, une idéologie de l’unité nationale et de la
coexistence harmonieuse entre les groupes, même si cela sert en réalité à dénoncer les pratiques politiques de
l’adversaire du moment à l’égard de l’une ou de l’autre des communautés. Cela se fait en dépendance directe
avec le religieux, dans la circularité décrite précédemment. Alors que le système politique mis en place est là,
en principe, pour assurer une répartition entre les différentes communautés et un principe d’égalité, en réalité
le communalisme est une stratégie qui resserre le fonctionnement politique sur les communautés
d’appartenance, ce qui se traduit par un évitement de l’État. Que l’on peut traduire par « l’État, c’est ma
communauté ». Historiquement, avec le jeu des catégories constitutionnelles, les communautés se sont
fermées les unes aux autres, il n’y a pas eu une formation sociale unique. Ce processus rend compte d'une
fermeture communautaire, qui a pu être analysée comme l'absence de la figure de l'étranger dans les rapports
internes (Chazan-Gillig 2001), absence qui aboutit à des rapports ethno centrés (Hossen 1989). Cela conduit à
une situation où les signes distinctifs de chaque communauté se sont accentués, consolidés, et surtout ont été
réinventés, et donne lieu à des dérapages ethnocentriques et des discours à tendance noubanniste depuis les
années 90.
Le double champ clos dans lequel puise et s'est figé le discours politique à Maurice pérennise la tendance
divisionniste et contribue à perpétuer le système politique mis en place depuis l'Indépendance. Puisque la
tendance intégrative a besoin de son contraire, qu'elle légitime et dont elle se nourrit pour persévérer dans son
existence, avec une visée qui lui est propre, au-delà des nécessités de la cohabitation harmonieuse des groupes
ethniques. En fait le communalisme, loin d’être un problème pour le modèle national, peut être compris
comme une ressource pour le faire exister en toute légitimité. La tendance intégrative se présente comme un
discours qui vise à favoriser un équilibre plutôt qu’une compétition entre les communautés, tandis qu’en
réalité elle ne contribue qu'à la dissimulation et au renforcement des clivages existants.
Si la communication exercée par les élites politiques et économiques de Maurice présente le multiculturalisme
comme englobant, pourtant l’analyse de cette communication politique montre donc que le discours du
multiculturalisme est en fait partiellement générateur sur le terrain de discours à tendances divisionnistes.
Selon le type d’enceintes dans lesquelles s’expriment les élites politiques, le discours tenu n’est pas le même
et engendre des jeux d’échelle entre espaces de discours et audiences. La communication sur le
multiculturalisme constitue ainsi une stratégie de positionnement pour les élites dans le jeu politique national
et dans les instances internationales.
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Liste des références bibliographiques
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HOSSEN SHEIK AMODE, Jacques, 1989, La production ethno-centriste des identités socio-culturelles à l’île
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RAMHARAI, Vicram, 2005, « L'Église le ministère de l’éducation et la cour suprême : une relation difficile »,
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SIMON, Pierre Jean, 2006, Pour une sociologie des relations interethniques et des minorités, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes.
Vision 2020 The National Long Term Perspective Study, 1996, Mauritius: Government Printing Press.
Notes de bas de page
1 Dans cette thèse sur Les Franco-Mauriciens entre Maurice et l’Afrique du Sud : identité, stratégies migratoires et
processus de recommunautarisation, la chercheuse montre le partage des pouvoirs qui s’établit entre les élites francomauriciennes et hindoues au moment de l’Indépendance et indique que la démocratie consociative se caractérise par la
protection des intérêts des minorités et un fort degré d’autonomie de chacun des groupes en présence dans la gestion de ses
affaires internes, mais aussi par l’organisation des partis politiques sur des bases trans-ethniques.
2 Le « Best Loser » est un mécanisme politique négocié au cours de l'accès à l'Indépendance de Maurice pour asseoir la
représentation des minorités. C'est un principe de « sièges correctifs » dans le système électoral. Cette procédure juridique a
pour but de corriger les déséquilibres les plus criants (en matière de représentations communautaires) qui ressortent des
résultats électoraux, et d'équilibrer, proportionnellement à leur poids démographique, la représentation des minorités au
sein du Parlement mauricien. .
3 La division en communautés est inscrite dans la Constitution de Maurice. Au moment de l'Indépendance, en 1968, la
Constitution, négociée avec le pouvoir colonial britannique, reprend les catégories de différenciations héritées de l'histoire
coloniale. Depuis, le concept de « way of life » définit quatre communautés spécifiques (selon l'acception indienne du terme
anglais « community »), comme étant les hindous (52%), les musulmans (16%), les Sino-Mauriciens (3%) et la
« population générale » (29%). Cette catégorie institutionnelle réunit les groupes descendant de la société esclavagiste,
suivant une hiérarchie pigmentaire héritée de cette période : les Franco-Mauriciens (autrefois les « Blancs »), les gens de
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« la frontière », les « Gens de couleur » (autrefois « Libres de couleur ») et les « Créoles » (autrefois les esclaves). Au fil du
temps, elle s’est également augmentée de tous les cas de métissage et de conversion à la religion chrétienne (Tamouls
baptisés, Chinois baptisés), en vertu desquels les individus concernés n’étaient plus identifiables aux autres communautés
ethniquement définies.
4
Qui préfère rester anonyme.
5
Antoine Week-end, 20 novembre 1994 : 4, cité par Carpooran 2008 : 47.
6
Ramharaï 2005 : 422.
7 Un journaliste de L’Express (hebdomadaire mauricien) relève, non sans ironie les propos et actes contradictoires d’un
président de fédération religieuse, au sujet du lien entre politiques et associations socio-culturelles : « D’ailleurs, Somduth
Dulthumun, président de la Fédération des Temples Hindous ne dit pas le contraire. Dans une interview à l’Express, il
annonçait ceci : «Les grandes associations religieuses hindoues n’inviteront plus les politiciens aux célébrations religieuses.
Les personnages politiques profitent des plateformes de sociétés religieuses pour faire de la politique. Les dirigeants de
sociétés religieuses profitent de la situation pour que les politiciens travaillent dans leur intérêt.» Ces propos ont été tenus
en novembre 2003. Hier, le même Somduth Dulthumun a enguirlandé le Premier Ministre Navin Ramgoolam à Ganga
Talao avant de l’inviter à prendre le micro. » (Edito de Raj Meetarbhan, « La République malmenée », L'Express, lundi 3
mars 2008)
8
« From Union Park to Hindu House », Le Mauricien, 15 décembre 2007.
9
Deepa Bhookhun, “Navim Ramgoolan révolté par le communalisme”, L’Express, 19 septembre 2007.
10
Sir Anerood Jugnauth, cité par Hills 1998 : 103.
11
Vision 2020 1996 : 3.
12
Vision 2020 1996 : 7.
13 Michel Foucault a développé la thèse du panopticisme à partir de ses travaux sur l'évaluation de la panoptique – d'une
structure ou d'une technologie qui donne également le pouvoir du regard à une seule personne. Le Panopticon, est
initialement conçu pour être utilisé en milieu carcéral, où une surveillance constante est atteinte (Hubert Louis DREYFUS
et Paul RABINOW, Michel Foucault : un parcours philosophique : au-delà de l'objectivité et de la subjectivité, Folio,
Paris: Gallimard, 1984.) Extension du panoptique à la société, soit l'équivalent de l'idée de « vivre dans un aquarium » où
vivent les membres de la société dans quelque chose qui est transparent.
14
Foucault 1994 : 186.
15
Foucault 1983 : 102.
16
Vision 2020 1996 : 7.
Pour citer cet article
PEGHINI Julie. Les deux tendances intégrative et divisionniste des discours politiques à l'Ile Maurice.
Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 5. Communication et discours politiques : actualités et perspectives, 5
juillet 2010. Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1684. ISSN 1308-8378.
19/07/2014 14:38
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